Séance du 30 novembre 1999







M. le président. Par amendement n° I-248 rectifié, MM. Gaillard, Oudin, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Joyandet, Ostermann, Trégouët et de Broissia proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 238 bis 0A du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 238 bis 0A. - Les entreprises qui achètent, à compter du 1er janvier 2000, des objets mobiliers classés avec le consentement de leur propriétaire en application de la loi modifiée du 31 décembre 1913 et les inscrivent à un compte d'actif immobilisé peuvent déduire du résultat imposable de l'exercice d'acquisition et des neuf années suivantes, par fractions égales, une somme égale au prix d'acquisition.
« La déduction ainsi effectuée au titre de chaque exercice ne peut excéder la limite mentionnée au premier alinéa du 2 de l'article 238 bis, minorée du total des déductions mentionnées à l'article 238 bis A du code général des impôts.
« Pour bénéficier de la déduction prévue au premier alinéa, l'entreprise doit exposer au public le bien qu'elle a acquis dans un musée national, un musée classé ou contrôlé ou tout autre établissement agréé par le ministre chargé de la culture, pendant au moins trois ans au cours de la période de déduction.
« L'entreprise doit inscrire à un compte de réserve spéciale au passif du bilan une somme égale à la déduction opérée en application du premier alinéa. Cette somme est réintégrée au résultat imposable en cas de non-respect de l'obligation prévue à l'alinéa précédent, de cession de l'oeuvre ou de prélèvement sur le compte de réserve. »
« II. - Le premier alinéa de l'article 238 bis AB du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Les entreprises qui achètent, à compter du 1er janvier 2000, des oeuvres originales d'artistes vivants et les inscrivent à un compte d'actif immobilisé peuvent déduire du résultat imposable de l'exercice d'acquisition et des quatre années suivantes, par fractions égales, une somme égale au prix d'acquisition. »
« III. - Les troisième et quatrième alinéas de l'article 238 bis AB du code général des impôts sont ainsi rédigés :
« Pour bénéficier de la déduction prévue au premier alinéa, l'entreprise doit exposer au public le bien qu'elle a acquis dans un musée national, un musée classé ou contrôlé ou tout autre établissement agréé par le ministre chargé de la culture, pendant au moins un an au cours de la période de déduction.
« L'entreprise doit inscrire à un compte de réserve spéciale au passif du bilan une somme égale à la déduction opérée en application du premier alinéa. Cette somme est réintégrée au résultat imposable en cas de non-respect de l'obligation prévue à l'alinéa précédent, de cession de l'oeuvre ou de prélèvement sur le compte de réserve. »
« IV. - Les pertes de recettes résultant des paragraphes I à III ci-dessus sont compensées par le relèvement à due concurrence des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Cet amendement, qui concerne les achats d'oeuvres d'art ancien ou contemporain par les entreprises, reprend la proposition de loi n° 468, dont j'étais co-signataire, déposée sur le bureau du Sénat le 30 juin 1999 à la suite du rapport n° 330 sur le marché de l'art que j'avais eu l'honneur de rédiger et qui faisait suite à une longue étude entreprise par la commission des finances.
Nous cherchons, modestement, sans bouleverser la législation, à assouplir les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent acquérir des oeuvres d'art et participer à deux tâches d'intérêt national : la sauvegarde du patrimoine national et la revitalisation du marché de l'art contemporain.
Les dispositifs que nous souhaitons modifier figurent aux articles 238 bis 0A et 238 bis AB du code général des impôts et ils datent de la loi du 23 juillet 1987. Pourquoi cette loi a-t-elle été un échec ? Parcequ'elle assortissait les avantages accordés aux entreprises - minces avantages ! - de précautions tout à fait tatillonnes, notamment en matière d'exposition au public.
S'agissant de l'art ancien, l'article 238 bis OA du code général des impôts permet à une entreprise d'acheter ou de s'engager à acheter une oeuvre présentant une « haute valeur artistique ou historique » dans le but, dix ans après au plus tard, de l'offrir à l'Etat si celui-ci accepte la proposition. Pendant toute cette période, l'entreprise est tenue d'exposer l'oeuvre au grand public.
S'agissant de l'art contemporain, l'article 238 bis AB du code général des impôts prévoit que les entreprises qui achètent des oeuvres originales d'artiste vivant, peuvent déduire, dans certaines conditions et limites, une somme égale au prix d'acquisition des oeuvres concernées.
Dans le cas d'achat d'oeuvre d'artiste vivant, le système est presque identique à celui qui est applicable aux oeuvres d'art ancien, à cela près que l'objectif est non d'enrichir les collections publiques mais de favoriser la création contemporaine. L'entreprise reste donc propriétaire de l'oeuvre. En revanche, on retrouve la même déduction sur dix ans du prix d'achat - sous réserve du plafond - en contrepartie de la même obligation d'exposer au grand public. Cette déduction est pratiquée par fractions égales au titre de l'exercice d'acquisition et des neuf années suivantes.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce système, mais il a semblé difficile, à ce stade de la réflexion, de changer radicalement les dispositions de la loi. Cet amendement prévoit un aménagement pragmatique, afin d'assouplir les régimes existants compte tenu des récentes évolutions du marché de l'art.
Pour l'art ancien, il a paru souhaitable, premièrement, de limiter le bénéfice du régime aux seuls biens classés avec le consentement de leur propriétaire. Cela simplifie la tâche des entreprises, qui n'auront pas à demander un agrément, et favorise le maintien sur le territoire français de biens de nature à constituer des « trésors nationaux ».
D'ailleurs, la reflexion sur la protection des trésors nationaux devrait être prolongée. Nos collègues socialistes s'apprêteraient à déposer une proposition de loi en la matière dans les semaines ou les mois à venir, dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux propositions d'origine parlementaire. Cet amendement est donc complémentaire du texte qui viendra en discussion.
Il a également paru souhaitable, deuxièmement, de substituer, au système de donation sous reserve d'usufruit, un régime d'acquisition en pleine propriété ; troisièmement, d'autoriser, comme pour les achats d'art contemporain, la déduction du bénéfice et non du bénéfice imposable ; enfin, quatrièmement, d'alléger la contrainte d'exposition au public pour la remplacer par une obligation de prêt limitée : trois ans sur les dix ans de la période de déduction.
On note que, pour l'art ancien, on ne fait que calquer le nouveau régime sur celui qui est déjà applicable à l'art contemporain, ce afin d'inciter les entreprises qui le souhaiteraient à constituer de véritables collections.
Ce qui manque le plus à notre pays pour revitaliser le marché de l'art français et pour véritablement protéger les trésors nationaux contre une évolution jurisprudentielle qui fait que l'Etat n'a plus les moyens d'assurer cette protection, sinon par des dépenses extraordinaires, c'est un relais dans le secteur privé. Ce relais existe en Grande-Bretagne et en Italie, où des banques, des caisses d'épargne ont constitué de véritables collections d'oeuvres d'art. Cela leur permet de protéger plus efficacement et de manière moins onéreuse leurs trésors en les laissant sur le territoire national.
L'important est non pas nécessairement d'enrichir les collections publiques françaises, mais de maintenir des oeuvres sur le territoire national pour permettre, suivant l'évolution normale des dations, des héritages, que se constituent, au siècle prochain, de nouvelles galeries et de nouvelles collections publiques, sur le modèle de ce que nous ont légué les grands mécènes dont nous célébrons les mérites, comme Mariette ou Vivant Denon.
Encore une fois, la stratégie préconisée par cet amendement est de créer un marché intérieur pour les oeuvres classées, réduisant d'autant la pénalité qui résulte, pour les propriétaires qui acceptent le classement, de l'impossibilité d'exporter, donc de pouvoir bénéficier des hauts prix du marché international.
Nous essayons ainsi de trouver un moyen terme entre l'impossibilité pour l'Etat d'assurer la protection de ses trésors nationaux, compte tenu de la jurisprudence Walter, qui, maintenant, rend le classement hors de portée du budget, et la possibilité d'avoir un véritable secteur privé qui prenne le relais.
Pour l'art contemporain, on se contenterait de conserver le régime actuel en en assouplissant les modalités, comme pour l'achat d'oeuvres anciennes : la déduction serait encouragée par un raccourcissement de la durée de la période de déduction, qui passerait ainsi de dix à cinq ans ; la contrainte d'exposition serait allégée en conséquence par simple obligation de prêt d'un an sur la période de cinq ans.
Les artistes des galeries attendent que le législateur et le Gouvernement prennent des mesures de relance qui ne soient pas trop contraignantes et qui permettent de revitaliser le marché de l'art français qui se trouve actuellement, comme on a pu le constater à la lecture du rapport d'enquête, dans une situation très difficile.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Notre collègue Yann Gaillard est intervenu à bon escient pour présenter une bonne mesure, qui figure d'ailleurs parmi les différentes propositions de l'excellent rapport qu'il a récemment rédigé au nom de la commission des finances. La commission soutient donc les dispositions qu'il vient de présenter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement souhaite rappeler que le dispositif prévu en faveur du mécénat est fondé sur le concept de don, d'une part, et d'intérêt général, d'autre part. L'inconvénient majeur du dispositif proposé réside dans la subordination du régime de faveur à l'exposition des oeuvres d'art au grand public. Or votre amendement, monsieur le sénateur, limite le temps de cette exposition à un an par période de cinq ans, alors que le dispositif actuel est beaucoup plus ouvert, puisque la période d'ouverture minimale est fixée à dix ans.
Pour ces deux raisons, je demande au Sénat de repousser la mesure qui vient d'être présentée longuement et en détail par M. Gaillard.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-248 rectifié.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. C'est justement cette obligation d'exposition de très longue durée des oeuvres d'art au public qui a rendu pratiquement inopérant le dispositif de 1987. Nous cherchons non pas à substituer aux musées publics une sorte de musées privés, mais à constituer une richesse privée sur le territoire national en oeuvres d'art ancien et d'art contemporain...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Yann Gaillard. ... qui, plus tard, dans vingt, trente ou quarante ans, sera la source à laquelle s'abreuvera la richesse des musées nationaux. Cela revient à amorcer la pompe qui, précisément, permet à des pays comme l'Italie ou la Grande-Bretagne de vivre.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Exactement !
M. Yann Gaillard. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre objection...
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est une vision à courte vue !
M. Yann Gaillard. ... montre que vous continuez à raisonner en termes d'expositions au public dans des musées nationaux. Telle n'est pas la question ! Il s'agit d'amasser sur le territoire français...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Yann Gaillard. ... un potentiel d'oeuvres et de richesses qui, plus tard, reviendra forcément dans les musées. C'est un dispositif de long terme.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je maintiens mon objection, car je pense qu'il ne peut pas y avoir d'avantage fiscal sans contrepartie.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La contrepartie, c'est le patrimoine !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. La contrepartie, c'est la mise à disposition de ce patrimoine de tous ceux qui ont besoin de cette culture, en particulier la jeunesse.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous ne pensez qu'aux générations à venir !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. D'ailleurs, dans le dispositif italien que vous évoquez, les oeuvres d'art sont ouvertes au grand public, de manière très libérale, par les entreprises, les banques et autres organismes du même type : ils achètent des oeuvres d'art selon des dispositifs fiscaux favorables, mais ils les mettent pendant longtemps à la disposition du public, en particulier de la jeunesse.
Deux philosophies s'affrontent : l'une tend à acquérir ces oeuvres d'art, à bénéficier d'un avantage fiscal, et à les conserver pendant un certain temps dans un milieu fermé et privé ; l'autre consiste à adopter la même démarche, mais en assurant, en contrepartie, une ouverture très large au grand public. Ce n'est pas la même chose ! Par conséquent, je maintiens mon objection.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-248 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 9.

Article 10