Séance du 30 novembre 1999







M. le président. « Art. 5 bis . _ I. _ Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 789 A ainsi rédigé :
« Art. 789 A . _ Sont exonérées de droits de mutation par décès, à concurrence de la moitié de leur valeur, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale si les conditions suivantes sont réunies :
« a. Les parts ou les actions mentionnées ci-dessus doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de huit ans en cours au jour du décès, qui a été pris par le défunt, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d'autres associés ;
« b. L'engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société s'ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut, sur au moins 34 %, y compris les parts ou actions transmises.
« Ces pourcentages doivent être respectés tout au long de la durée de l'engagement collectif de conservation.
« L'engagement collectif de conservation est opposable à l'administration à compter de la date de l'enregistrement de l'acte qui le constate.
« Pour le calcul des pourcentages prévus au premier alinéa, il est tenu compte des titres détenus par une société possédant directement une participation dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation visé au a et auquel elle a souscrit.
« La valeur des titres de cette société qui sont transmis par décès bénéficie de l'exonération partielle à proportion de la valeur réelle de son actif brut qui correspond à la participation ayant fait l'objet de l'engagement collectif de conservation ;
« c. Chacun des héritiers, donataires ou légataires prend l'engagement dans la déclaration de succession, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée de huit ans à compter de la date d'expiration du délai visé au a .
« En cas de démembrement de propriété, l'engagement de conservation est signé conjointement par l'usufruitier et le nu-propriétaire. En cas de réunion de l'usufruit à la nue-propriété, le terme de l'engagement de conservation des titres dont la pleine propriété est reconstituée demeure identique à celui souscrit conjointement ;
« d. L'un des associés mentionnés au a ou l'un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au c exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation, pendant les cinq années qui suivent la date de la transmission par décès, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter, ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ;
« e. La déclaration de succession doit être appuyée d'une attestation de la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation certifiant que les conditions prévues aux a et b ont été remplies jusqu'au jour du décès.
« A compter du décès et jusqu'à l'expiration de l'engagement collectif de conservation visé au a, la société doit en outre adresser, dans les trois mois qui suivent le 31 décembre de chaque année, une attestation certifiant que les conditions prévues aux a et b sont remplies au 31 décembre de chaque année.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article, notamment les obligations déclaratives incombant aux redevables et aux sociétés. »
« II. _ Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 789 B ainsi rédigé :
« Art. 789 B . _ Sont exonérés de droits de mutation par décès, à concurrence de la moitié de leur valeur, l'ensemble des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels affectés à l'exploitation d'une entreprise individuelle ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale si les conditions suivantes sont réunies :
« a. L'entreprise individuelle mentionnée ci-dessus a été détenue depuis plus de trois ans par le défunt lorsqu'elle a été acquise à titre onéreux ;
« b. Chacun des héritiers, donataires ou légataires prend l'engagement dans la déclaration de succession, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver l'ensemble des biens affectés à l'exploitation de l'entreprise pendant une durée de huit ans à compter de la date du décès.
« En cas de démembrement de propriété, l'engagement de conservation est signé conjointement par l'usufruitier et le nu-propriétaire. En cas de réunion de l'usufruit à la nue-propriété, le terme de l'engagement de conservation de l'ensemble des biens dont la pleine propriété est reconstituée demeure identique à celui souscrit conjointement ;
« c. L'un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au b poursuit effectivement pendant les cinq années qui suivent la date de la transmission par décès l'exploitation de l'entreprise individuelle. »
« III. _ Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 1840 G nonies ainsi rédigé :
« Art. 1840 G nonies . _ En cas de manquement aux engagements pris par un héritier, donataire ou légataire dans les conditions prévues aux c de l'article 789 A et b de l'article 789 B, celui-ci ou, le cas échéant, ses ayants cause à titre gratuit sont tenus d'acquitter le complément de droits de mutation par décès, majoré de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 et, en outre, un droit supplémentaire égal à la moitié de la réduction consentie. »
« IV. _ Au premier alinéa de l'article 885 H du code général des impôts, après les mots : "droits de mutation par décès par", sont insérés les mots : "les articles 789 A et 789 B,". »
Par amendement n° I-16, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose :
I. - Dans le deuxième (a) et le huitième (c) alinéas du texte présenté par le paragraphe I de cet article pour l'article 789 A du code général des impôts, de remplacer (deux fois) les mots : « huit ans » par les mots : « cinq ans ».
II. - En conséquence, de procéder au même remplacement dans le troisième alinéa du texte présenté par le paragraphe II de cet article pour l'article 789 B du code précité.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous abordons une disposition qui peut, dans certaines conditions, représenter une avancée sérieuse au bénéfice des entreprises puisque l'article 5 bis qui a été introduit à l'Assemblée nationale institue, au regard des droits de mutation, un abattement de 50 % sur la valeur des titres ou des biens d'une entreprise qui sont transmis par décès.
Il convient de rappeler qu'une disposition de même nature avait été adoptée dans la loi de finances pour 1996, avec l'avis favorable de votre commission, mais qu'elle avait été annulée par le Conseil constitutionnel à cause de sa rédaction.
Cette fois-ci, les auteurs de l'article 5 bis , forts de cette expérience, ont préparé un texte qui semble répondre aux conditions de la jurispridence du Conseil constitutionnel, au moins telle qu'elle est actuellement formulée. En effet, l'octroi de l'avantage fiscal est, ici, soumis à des conditions assez strictes.
En premier lieu, le donateur et ses associés doivent préalablement s'engager collectivement à conserver pendant huit ans au moins un montant de titres suffisant pour contrôler l'entreprise, c'est-à-dire un taux de détention globale par les actionnaires ainsi liés de 25 % des droits financiers ou des droits de vote attachés aux titres pour les sociétés cotées et de 34 % pour les sociétés non cotées.
En deuxième lieu, les héritiers doivent eux-mêmes conserver les titres transmis pendant huit ans à compter de la fin du délai précédent. La propriété des biens transmis est donc gelée pendant seize ans.
C'est un point sur lequel nous reviendrons car, dans la vie économique actuelle, on peut s'interroger sur le réalisme d'une telle disposition. Seize ans ! Qui, aujourd'hui, dans le monde de l'entreprise, peut y voir clair dans cette perspective ? Même si l'on atteint l'âge de se retirer, il faut penser à la suite, il faut penser aux autres et s'interroger sur la visibilité de l'entreprise et de sa détention pendant deux fois huit ans !
En troisième lieu, l'un des associés ou l'un des héritiers, donataires ou légataires doit, durant les cinq années suivant la date de la transmission par décès, assurer - et c'est bien ! - une fonction de direction de l'entreprise.
Cet amendement n° I-16 a pour objet de réduire les délais minimaux de détention des titres qui subordonnent l'octroi de l'avantage fiscal. Par conséquent, dans le sens du réalisme que j'évoquais précédemment, il vise à substituer deux fois cinq ans à deux fois huit ans. Il semble que l'on serait ainsi un peu plus proche des nécessités économiques.
De plus, cet amendement a l'avantage d'aligner le délai pendant lequel les héritiers ne pourront céder leurs titres sur la durée du sursis d'imposition actuellement octroyé en matière de droits de mutation.
Enfin, notre formule est plus réaliste s'agissant du gel des biens d'une entreprise individuelle. Comment est-il envisageable de contraindre le propriétaire d'une exploitation individuelle à conserver tous les biens nécessaires à l'exploitation pendant une durée minimale de huit ans ?
Pour l'ensemble des considérations que j'ai développées et reconnaissant un caractère d'avancée positive à l'article 5 bis introduit par l'Assemblée nationale, la commission des finances préconise d'améliorer cette disposition dans le sens du réalisme.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Comme toujours, monsieur le rapporteur général, vous avez été extrêmement clair dans la rédaction du dispositif que vous proposez.
Votre amendement tend à diminuer de trois ans les délais de conservation des entreprises transmises par succession, selon le dispositif adopté en première lecture à l'Assemblée nationale. Ce dispositif n'a d'ailleurs pas été adopté sur proposition gouvernementale, monsieur le rapporteur général : vous m'excuserez de rectifier vos propos sur ce point, mais la Haute Assemblée sera certainement heureuse d'entendre que c'est bien un amendement d'origine parlementaire, déposé par votre collègue M. Migaud, qui est à l'origine de cette mesure.
Si nous vous suivions, monsieur le rapporteur général, les biens ou les titres représentatifs d'une entreprise transmis par succession seraient conservés, en définitive, pendant un délai de dix ans par le défunt et ses héritiers.
La rédaction actuelle cherche à concilier la stabilité de l'actionnariat - or vous y êtes, je crois, sensible - et les contraintes juridiques qui résultent de la décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 1995, laquelle a eu pour objet d'établir un équilibre, une proportionnalité entre l'engagement à prendre par le défunt et ses héritiers et l'avantage fiscal dont l'engagement doit être la garantie.
Cela étant, je suis assez sensible à ce que vous dites : seize ans, dans la vie d'une entreprise soumise à une évolution technologique qui change tous les dix-huit mois,...
M. Roland du Luart. C'est beaucoup !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... cela peut-être considéré comme long. Mais il faut que ce dispositif vive et qu'on l'apprécie à la lumière de l'expérience.
Quoi qu'il en soit, l'existence d'un engagement de conservation des titres transmis pendant une durée totale de seize ans lorsque l'entreprise a une forme sociale est l'expression d'une volonté, qui doit être redite ici, de lier le sort du patrimoine des héritiers au devenir de l'entreprise.
Il en est de même en présence d'une entreprise individuelle.
Je ne crois donc pas qu'il soit opportun de réduire les délais de conservation imposés aux parties : cela fragiliserait encore davantage le dispositif du point de vue constitutionnel, puisqu'il serait ainsi en rupture avec l'équilibre souhaité par le juge constitutionnel.
Au bénéfice de ces explications, monsieur le rapporteur général, et parce que je suis sensible à l'idée de favoriser la stabilité de l'actionnariat, à l'idée de faciliter la transmission des entreprises, à l'idée d'assurer, au regard des objectifs de l'emploi, une transmission des entreprises sans traumatismes qui coûteraient cher à l'emploi, entreprises et aux actionnaires, mais aussi parce que mon objection constitutionnelle est forte, je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le secrétaire d'Etat, sur le plan constitutionnel, je ne puis partager votre appréciation, car le dispositif de la loi de finances de 1996 prévoyait un délai de cinq ans ; la commission propose de porter ce délai à deux fois cinq ans, soit dix ans.
Par ailleurs, dans la loi de finances de 1996, il n'y avait pas de conditions relatives à l'exercice de fonctions de direction dans l'entreprise. Or je crois que c'était ce point-là qui, sur le plan juridique, était essentiel s'agissant de la bonne application du principe d'égalité.
Vous savez que, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'égalité doit s'appliquer à des personnes qui se trouvent dans la même situation, ou du moins dans des situations équivalentes. Or il a différence de nature entre le fait d'être un tiers par rapport à la société - un simple investisseur, finalement - et le fait d'être un dirigeant de l'entreprise ou d'exercer une responsabilité professionnelle réelle au sein de la direction de l'entreprise.
Dans ces conditions, je ne crois pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que le fait de diminuer, dans un souci de réalisme, de deux fois huit ans à deux fois cinq ans les délais d'indisponibilité des titres puisse être de nature à changer l'appréciation constitutionnelle.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je ne veux pas prolonger le débat avec cette discussion très technique, mais, si le juge constitutionnel a, en effet, évoqué la nécessité de l'exercice de fonctions de dirigeant dans l'entreprise, il a également visé l'équilibre et la proportionnalité de l'engagement dans l'entreprise par rapport aux avantages procurés.
Je suis donc à peu près certain que l'objection constitutionnelle est forte, monsieur le rapporteur général, et que nous serions bien avisés, vous comme moi, de remettre l'ouvrage sur le métier afin d'affiner le dispositif au regard de cette contrainte posée en 1995 par le juge constitutionnel.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-16.
M. Paul Loridant. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous qui brocardez volontiers la majorité plurielle qui soutient le Gouvernement, vous êtes bien obligés d'admettre, je le constate, que vous êtes en présence d'une belle initiative émanant de parlementaires de gauche, en l'occurrence du rapporteur de l'Assemblée nationale, lequel affiche sa préoccupation de la survie des entreprises. Cela vient un peu en contrepoint des observations que vous faites, les uns et les autres, sur l'incapacité de la gauche à connaître la réalité des entreprises !
Ensuite, s'agissant de l'objection constitutionnelle soulevée par M. le secrétaire d'Etat, je pense que la Haute Assemblée est suffisamment attentive et avertie des prises de position du Conseil constitutionnel pour que l'argument avancé par M. le secrétaire d'Etat soit pris en considération.
A la réduction très importante des droits de mutation, opérée de façon dérogatoire, doivent nécessairement correspondre des contreparties ! Or, de ce point de vue, le délai de huit ans que vous contestez, monsieur le rapporteur général, est aujourd'hui quasiment normal.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah bon ?
M. Paul Loridant. Mais si ! Ainsi, pour sortir sans être fiscalisé d'un plan d'épargne en actions, d'un plan d'épargne populaire ou d'un contrat d'assurance vie...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais, dans le cas présent, ce ne sont pas des placements !
M. Paul Loridant. ... le délai de détention est bien de huit ans.
La majorité sénatoriale essaie systématiquement - et c'est une nouvelle fois le cas -, au nom de la survie des entreprises mais aussi de la préservation de l'emploi, de donner des avantages fiscaux aux nantis.
Dans ces conditions, je considère, monsieur le rapporteur général, que la commission « tord le bâton » au regard des principes d'égalité de l'ensemble des citoyens.
J'invite donc vigoureusement la Haute Assemblée à rejeter l'amendement de la commission.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, je regrette de devoir reprendre la parole, mais on ne peut pas entendre certaines choses sans réagir.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur Loridant, il ne s'agit pas ici de placements financiers !
M. Roland du Luart. Vous mélangez tout !
M. Paul Loridant. Ah bon ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous mélangez tout, en effet ! Vous parlez de PEA, alors qu'il s'agit ici d'exercer le contrôle d'une entreprise. Ce n'est pas la même chose que de détenir quelques actions d'une entreprise et d'avoir en même temps à y exercer une activité professionnelle de dirigeant ! De grâce, ne confondez pas tout, ne jetez pas le trouble dans cette assemblée - à supposer qu'elle y soit accessible - ...
M. Jean Chérioux. Non, heureusement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... avec des comparaisons qui n'ont vraiment pas lieu d'être.
Il faut quand même rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette petite fenêtre, cette lucarne très étroite, doit être comparée à un régime de droit commun des donations qui permet aux donataires de personnes âgées de moins de soixante-cinq ans de bénéficier sans conditions particulières - Dieu merci ! - d'avantages fiscaux égaux à celui qui est prévu ici lorsque les donateurs aménagent la dévolution de leur patrimoine.
L'utilisation du pacte d'actionnaire est une bonne idée pour faciliter le maintien du contrôle amical d'une entreprise, pour faciliter le maintien de la ligne stratégique de cette entreprise malgré le passage de relais d'une génération à l'autre. A cet égard, il faut rendre hommage au combat mené depuis un certain nombre d'années, en particulier par M. Yvon Gattaz et ses amis de l'association des moyennes entreprises patrimoniales.
Cela dit, en ce qui concerne l'aspect constitutionnel, lorsque cette affaire a été examinée à la fin de 1995, il faut rappeler qu'il n'était pas prévu, je le redis une nouvelle fois, que les intéressés exercent une fonction de dirigeant dans l'entreprise.
Par ailleurs, le délai était de cinq ans. Nous doublons le délai de cinq ans et nous créons la condition d'exercice de fonctions dans l'entreprise.
Au demeurant, monsieur le secrétaire d'Etat, si le Conseil constitutionnel avait recommandé un jour de conserver les titres pendant cent ans, aurions-nous dû faire semblant de considérer une telle position comme raisonnable alors qu'elle défie l'entendement ? Ce n'est pas parce qu'on siège dans les palais nationaux qu'on peut s'abstraire de la réalité, notamment de l'évolution économique !
La mesure préconisée par l'amendement n° I-16 me paraît donc constitutionnellement parfaitement correcte et un peu plus réaliste sur le plan économique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. M. le rapporteur général a cru devoir ébranler mes convictions, et je tiens donc à confirmer que je voterai contre l'amendement.
Monsieur le rapporteur général, certes, les conditions sont extrêmement rigoureuses et l'enjeu est important : il s'agit d'assurer la transmission et la continuité d'entreprises, de garantir qu'une partie du patrimoine économique de notre pays ne parte pas dans des conditions désastreuses à l'étranger. En effet, ce phénomène concerne les toutes petites entreprises, mais il peut aussi toucher les très grandes entreprises à l'heure des restructurations.
Le Gouvernement et le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, ont donc, à mon avis, raison. Les avantages fiscaux sont considérables, compte tenu des enjeux, et je regrette que vous ne l'ayez pas souligné dans votre intervention. Dans ces conditions, il me paraît normal de définir des conditions rigoureuses de transmission, et le délai de huit ans me paraît tout à fait opportun.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur général, certes, ce n'est pas un placement financier, mais cela touche tout de même au patrimoine des ménages ! Or, un principe d'égalité doit être respecté entre tous les épargnants, entre tous les citoyens de ce pays, que le patrimoine des ménages prenne la forme d'actifs d'entreprises ou d'actifs financiers. Le délai de huit ans me paraît donc tout à fait justifié, et je m'oppose vigoureusement à l'amendement n° I-16.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que la disposition introduite sur l'initiative de M. Migaud et à laquelle le Gouvernement a apporté son soutien est beaucoup plus importante que ce que M. le rapporteur général veut bien dire.
Depuis une vingtaine, voire une trentaine d'années, cette question, dont M. Loridant a eu raison de souligner l'importance, était discutée au Sénat et à l'Assemblée nationale ! Nous avons enfin trouvé, certes avec un certain nombre de conditions, la voie raisonnable qui, au-delà des avantages fiscaux procurés, doit surtout être lue, à mon humble avis, comme la possibilité, pour une entreprise moyenne dont le capital est détenu par des actionnaires issus de la même famille - c'est le cas français typique de l'entreprise patrimoniale que représente M. Gattaz avec l'association dont il est le président - d'organiser la succession préalablement au décès de son fondateur, le plus souvent, ou du fils de ce dernier, et de mettre clairement en place, par un pacte d'actionnaires, la dévolution de l'entreprise sans que cette dernière crée de traumatismes au sein de l'entreprise et en matière d'emploi.
La disposition adoptée par l'Assemblée nationale, sur proposition de M. Migaud, constitue donc une rupture, un coin enfoncé dans un système que nous n'avions cessé, sur toutes les travées, de critiquer. La transmission d'entreprises en France était en effet une occasion d'affaiblissement de la valeur de l'entreprise, d'éclatement de celle-ci, de mauvaise dévolution du pouvoir entre les actionnaires et, finalement, de perte de substance économique et sociale pour l'entreprise.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut à mon avis bien considérer les objectifs de l'amendement Migaud et en apprécier tout l'aspect novateur et toute la portée. Pour ce faire, il est nécessaire de le conserver dans sa rédaction actuelle pour voir, à l'expérience, dans quelle mesure il conviendra de renforcer ou de faire évoluer les dispositions qu'il comporte. Laissons du temps au temps pour que ce dispositif novateur et fondamental, qui résout une grande partie des inquiétudes élevées depuis de nombreuses années au sein des deux assemblées, puisse bien fonctionner. Nous verrons, à l'expérience, et si nécessaire, comment adapter le système.
Pour l'instant, laissons-lui du temps, laissons-lui du champ, et faisons confiance à l'expérience ! Nous avons déjà gagné une très grande partie dans le problème épineux, économiquement et socialement, de la transmission d'entreprises. Constatons ce beau résultat et laissons à l'économie et à la société française le soin de bien le gérer dans le temps.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est d'autant plus généreux que ce n'est pas applicable !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-16, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5 bis , ainsi modifié.

(L'article 5 bis est adopté.)

Article additionnel après l'article 5 bis