Séance du 17 novembre 1999






FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2000

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 40, 1999-2000) de financement de la sécurité sociale pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 58 (1999-2000) et avis n° 68 (1999-2000).]
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, hier soir, au début de la séance de nuit, notre collègue M. Machet a été victime d'un malaise alors qu'il était à la tribune pour présenter son rapport. Je veux simplement, en cet instant, vous donner de ses nouvelles : M. Machet est actuellement au repos, plus qu'en observation, au Val-de-Grâce, et il devrait pouvoir rentrer chez lui dès demain.
M. le président. Nous vous remercions de ces bonnes nouvelles, monsieur le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quatre ans déjà, le Sénat se réunissait pour débattre des grandes orientations du plan Juppé. L'objectif majeur de la réforme engagée en 1996 était l'indispensable rénovation du système de gestion paritaire hérité de l'ordonnance de 1945, grâce, notamment, à un partage clair des responsabilités entre, d'un côté, les partenaires sociaux, qui représentent les assurés, avec le patronat, et, de l'autre, l'Etat, assisté en cela, évidemment, par la représentation nationale.
Le grand mérite de cette réforme a été de mettre en place des outils permettant une meilleure maîtrise des dépenses, et le Gouvernement reprend à son compte la plupart de ces outils mis en place par son prédécesseur.
Je pense, en particulier, à l'Agence nationale d'accréditation, à la réforme de l'organisation des caisses et aux agences régionales de l'hospitalisation, dont le rôle est même élargi dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
L'assurance maladie sera le premier point de mon propos.
Après des mois de tergiversations - certes, le sujet est difficile - nous voilà donc engagés, madame la ministre, dans une politique particulièrement sévère de régulation des dépenses de santé. Ce n'est pas mal. Je pense, en particulier, à l'instauration de lettres clés flottantes, et à la délégation d'objectifs au profit, si l'on peut dire, de la CNAMTS.
Il est vrai que la branche maladie est déficitaire de 12 milliards de francs et que les dépenses de santé augmentent au rythme de 3,8 % par an depuis 1998.
Reprenant certaines propositions d'économies présentées par le directeur de la CNAMTS, M. Johanet, le Gouvernement souhaite charger la caisse nationale d'assurer le respect de l'objectif de dépenses par les professions médicales. C'est elle qui fixera le montant prévisionnel d'évolution du poste honoraires et, tous les quatre mois, elle devra faire le point pour décider des modifications de la nomenclature à l'occasion d'un rapport d'étape.
Le président de la CNAMTS a parlé de situation ubuesque. Sans entrer dans la polémique, il est vrai que cela se traduira par une cinquantaine de négociations, profession par profession, trois fois par an. Nous espérons que l'on pourra remédier à cet état de fait, car nous craignons que quelques professions ne soient stigmatisées sans aucun approfondissement de leur situation.
S'agissant du système des lettres clés flottantes - ce mot passe peut-être mal ! - les variations du taux de rémunération de l'acte en fonction des dépenses constatées impliquent que les praticiens de la spécialité soient sanctionnés collectivement, sans recherche des disparités.
Le système germanique, souvent invoqué, est différent : le praticien est lié contractuellement, à titre personnel, avec les services sociaux du Land en Allemagne ; il s'agit de mesures individuelles et la sanction l'est aussi.
Le traitement des indemnités journalières et des transports sanitaires, sous contrôle de justification médicale, nous conduit à nous interroger sur l'efficacité du procédé, et surtout sur sa rentabilité, au vu des moyens des médecins conseils. Il ajoute à la suspicion, qui va à l'encontre du climat de confiance indispensable pour traiter avec le corps médical.
Il serait plus utile de rechercher pourquoi les indemnités journalières augmentent de 7,2 % et de vérifier les arrêts de longue durée. Les plans de soins discutés avec les malades peuvent avoir leur utilité, car, on le sait 10 % des malades consomment 80 % des crédits de l'assurance maladie.
Il est donc nécessaire de redéfinir les besoins, encore que ceux qui souffrent de maladies de longue durée soient parfaitement connus des caisses.
La Cour des comptes relève qu'il n'y a pas eu de véritable politique de gestion du risque, c'est-à-dire de maîtrise des dépenses. Elle invoque l'absence de stratégie nationale de la branche maladie. Quant aux contrôles, ils sont, dit-elle, mal orientés et conçus comme devant déboucher sur des sanctions dont le nombre et l'efficacité sont très faibles.
Je ne considère pas ces remarques comme des arguments politiciens. Nous ne pouvons qu'admettre, dixit la Cour des comptes, que « la politique des caisses peut être recadrée vers les risques les plus importants et les actions financières les plus efficaces. » Il faut donc une analyse des risques, des pratiques et aussi des comportements.
Si l'équilibre des comptes nécessite des outils efficaces d'analyse, des moyens et moins d'opacité, la pratique médicale doit, elle aussi, changer. En effet, la certitude du savoir et le manque d'écoute, peut-être pour des raisons de temps, engendrent des dépenses souvent inutiles.
L'acte médical est en pleine transformation. Mais les bonnes pratiques ne relèveront-elles que des conférences de consensus, validées par les caisses, du respect de la discipline informatique, en particulier en télétransmissions, ou de consultations assistées par ordinateur avec des logiciels agréés ? Le trait est peut-être un peu appuyé, mais cette médecine de techniciens n'est certainement pas la médecine que nous souhaitons, même s'il est vrai qu'il faut tenir compte des technologies nouvelles.
A la tracasserie administrative, à la culpabilisation, nous opposons la responsabilisation des praticiens, mais aussi des assurés, par le contrat.
L'accès aux soins passe aussi par l'accès aux nouvelles technologies. La réforme du tarif interministériel des prestations sanitaires, le TIPS, via le comité économique des produits de santé, est indispensable, et cela figure dans la loi.
La progression des dépenses de 15 % peut s'expliquer partiellement par des raisons structurelles. Il faut mettre en place une nouvelle méthodologie de négociation des prix, améliorer le rapport entre la qualité et le coût, et accélérer les procédures de mise à disposition et la procédure de référencement.
Alors que la loi de financement de la sécurité sociale s'est malheureusement limitée à des débats sur l'allégement des cotisations sociales, au paritarisme, ainsi qu'à l'autonomie des salariés et des patrons en matière d'assurances maladie, nous souhaitons au Sénat instaurer un débat sur la santé publique.
Quant à la branche famille, qui constitue mon deuxième point, elle ne bénéficie pas d'un effort financier vraiment significatif : 1 milliard de francs de mesures nouvelles, alors que cette branche devrait être excédentaire en 2000 de 6 milliards de francs, et ce après la stagnation des années 1998 et 1999.
Manifestement, la politique de la famille n'est pas une priorité du Gouvernement. J'avais d'ailleurs dénoncé cette absence de politique lors de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 et 1999.
Particulièrement critiquables sont sans doute les différentes ponctions qui sont effectuées sur la branche famille. Il faut convenir que la loi de financement est, à cet égard, de moins en moins lisible, avec la multiplication des fonds, pour les 35 heures notamment, sans parler de la prise en charge, par la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire. L'heure est à la débudgétisation massive - près de 80 milliards de francs en 2000 - et aux financements croisés.
La loi de financement social gagnerait sans doute en transparence si les recettes de la sécurité sociale étaient présentées par branche, à l'instar des dépenses. C'est l'une des suggestions particulièrement opportunes de la Cour des comptes. Ainsi pourrions-nous constater plus clairement les transferts opérés de branche à branche, en l'occurrence au détriment des familles.
Une vraie politique familiale est pourtant possible. La loi « famille », initiée par Mme Simone Veil, en est l'illustration. Améliorer l'accueil des jeunes enfants et l'AGED, l'allocation de garde d'enfant à domicile, étendre le bénéfice de l'allocation parentale d'éducation, correspondent toujours à de vraies priorités dans une société où l'urbanisation et le développement du travail féminin sont des faits durables. On nous oppose le coût « exagéré » du plan Veil alors que l'on s'apprête à engager notre pays dans une véritable spirale dépensière avec les 35 heures.
Le désengagement de l'Etat à l'égard des familles rompt avec la tradition d'une politique ambitieuse, d'autant plus nécessaire que les attentes sont immenses.
Le nouveau souffle dont la politique familiale a impérativement besoin passe, certes, par une augmentation de l'effort financier, mais aussi par une certaine responsabilisation des familles. Dans un monde qui change, l'Etat ne peut durablement répondre à l'ensemble des besoins de la société.
Une réforme de la politique familiale consisterait en priorité à améliorer l'ensemble des dispositifs permettant aux parents de mieux concilier l'exercice d'une activité professionnelle et la vie familiale.
Je pense par exemple au développement du temps partiel, qui, en France, est, dans 60 % des cas, un temps partiel choisi. Ce n'est pas le travail à temps partiel en tant que tel qui suscite les réticences de nombre de salariés mais certains de ses effets pervers : la faiblesse des rémunérations, la faible qualification, certaines failles de la protection sociale et la non-réversibilité. Il convient donc d'agir sur ces différents aspects si on veut favoriser une forme de travail qui corresponde véritablement tant aux besoins des entreprises qu'aux attentes des salariés.
D'autres propositions me semblent intéressantes. Je pense à une réforme des droits de succession afin de faciliter, par exemple, la transmission entre grands-parents et petits-enfants, ou encore le développement d'une épargne spécifique au niveau des familles.
La branche famille, ce ne sont pas que des lignes budgétaires, un concept comptable, c'est aussi un support à un service public. La répartition des prestations sociales et familiales est au bord de l'implosion. Les caisses d'allocations familiales versent le RMI, l'allocation - aux adultes handicapés, les aides au logement, etc. Elles sont confrontées à la montée de la précarité, ce qui les amène à gérer près de trente prestations. Six millions de personnes, soit 10 % de la population, dépendent des prestations versées par la branche famille, et le nombre des allocataires progresse de 8 % par an.
La présidente de la CNAF - et d'autres avec elle - demande une simplification administrative ; on dénombre en effet 15 000 règles et 270 modèles de pièces justificatives. Ce programme de simplification peut être élaboré avec l'Etat. Voilà un véritable projet politique.
A la veille de la mise en oeuvre de la couverture médicale universelle, qui va nécessiter des millions de justificatifs de ressources, le climat dans les CAF est tendu, vous le savez, tant au niveau des employés que des usagers. Parce qu'il faut lutter contre la précarité, la demande sociale risque d'évincer la politique familiale globale. C'est pourquoi il me semble primordial de rappeler nos priorités non de façon incantatoire mais de façon volontariste.
Je conclurai par un autre dossier, non moins important, celui des retraites.
Alors que la branche vieillesse risque d'être durablement déficitaire dans l'avenir, diverses augmentations de dépenses sont annoncées mais aucune mesure sérieuse n'est engagée afin de juguler, au début du prochain siècle, la dérive des comptes des régimes de retraite par répartition.
Les experts et l'ensemble des responsables politiques ou syndicaux reconnaissent à présent que, dès 2006-2010, la situation financière des régimes par répartition risque d'être intenable. Beaucoup parlent de 300 milliards de francs de besoins de financement en 2015 ! Les causes sont connues : la réduction de la durée moyenne d'activité des salariés, un chômage persistant et, surtout, l'arrivée à la retraite des générations nombreuses nées après la Seconde Guerre mondiale, alors que le taux de natalité depuis les années soixante reste insuffisant. En 2020, au niveau du seul régime général, une personne seulement sera en âge de cotiser pour un retaité. Mais, comme je le disais, ce fait est connu.
Face à la gravité de la situation, bien décrite par le rapport Charpin, la création en 1999 d'un fonds de garantie doté de 2 milliards de francs, soit l'équivalent d'une journée seulement de paiement des retraites, paraît une réponse bien dérisoire. On nous annonce à présent 20 milliards de francs environ en 2000, alors qu'il faudrait 3 à 4 points du PIB sur vingt-cinq ans et qu'il ne nous reste que la période allant d'aujourd'hui jusqu'à l'année 2006 pour constituer des réserves. Par ailleurs, les financements envisagés en 2000 sont d'origines fort diverses et, point important, leur pérennité est loin d'être assurée. Parallèlement, on ponctionne une partie des excédents du fonds de solidarité vieillesse, le FSV, pour financer les 35 heures.
Par son attentisme, le Gouvernement donne l'impression de « jouer la montre ». Après des auteurs peut-être trop réalistes, certains « apôtres », dénoncent aujourd'hui l'agitation, la dramatisation du problème. Or, je crois que l'on peut dire que sérénité n'est pas synonyme de passivité.
Parmi les solutions envisagées figure évidemment la constitution facultative d'une épargne retraite par capitalisation.
Voilà un an environ, le Gouvernement nous a plus ou moins annoncé la mise en place d'un système d'épargne retraite aux contours qui n'étaient pas encore très nets... et qui ne le sont toujours pas ! Selon les dernières déclarations de M. Strauss-Kahn, en octobre dernier, le Gouvernement, réfléchissait à une réforme d'ensemble de l'épargne salariale. Très bien ! La proposition de loi adoptée par le Sénat le mois dernier peut, à cet égard, servir de référence dans l'avenir puisqu'elle garantit à la fois la pérennité des régimes répartition et le bénéfice d'un complément de retraite par capitalisation en faveur des futurs pensionnés. Il importe que l'ensemble des salariés ait accès aux fonds de capitalisation ; ceux-ci existent d'ailleurs d'ores et déjà dans certains secteurs d'activité, dans la fonction publique ou dans de grandes entreprises.
S'agissant des régimes spéciaux, nous attendons toujours des mesures concrètes, alors que le rapport démographique de certains régimes se détériore de façon inexorable. Il revient au Gouvernement de prendre ses responsabilités ; la recherche de l'intérêt général contre tous les égoïsmes catégoriels n'est ni une tâche aisée, ni « un long fleuve tranquille », nous le savons.
Une réforme d'ensemble est indispensable : la France de l'an 2000 a beaucoup évolué depuis les années d'après-guerre et de la reconstruction. Les métiers ont eux-mêmes changé. D'autres besoins apparaissent : que répondre, par exemple, aux sapeurs-pompiers professionnels qui revendiquent un départ anticipé à la retraite du fait de la pénibilité de leur travail ? Nous sommes en pleine actualité.
Une autre réforme s'impose, celle des règles de cumul emploi-retraite, le système actuel s'avérant complexe et injuste.
Enfin, votre projet de loi, madame la ministre, même s'il s'inscrit dans la continuité, ne répond que très imparfaitement aux défis qui nous sont lancés et auxquels notre protection sociale est confrontée : le vieillissement de la population, les difficultés financières présentes ou futures des régimes de retraite par répartition et l'augmentation structurelle des dépenses d'assurance maladie. Le défi est gigantesque, nous le savons, et nous essayons de le relever avec vous.
C'est pourquoi je soutiendrai, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, la commission des affaires sociales du Sénat dans ses orientations, en soulignant l'importance du travail qui a été réalisé et en souhaitant que nos rapporteurs soient non seulement entendus mais écoutés. (Applaudissements sur les través de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la revalorisation des pensions de retraite, inscrite à l'article 11 de ce projet de loi, ne doit pas faire oublier les ponctions opérées par ce gouvernement sur les revenus des retraités depuis son arrivée au pouvoir. (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ça, il faut le faire !
M. Jean Boyer. Le basculement des cotisations maladie des salariés vers la CSG a certes été engagé par le précédent gouvernement mais vous l'avez poursuivi « au pas de charge » - si je puis me permettre cette expression - sans établir d'évaluation claire des conséquences de ce transfert sur les revenus.
M. François Autain. C'est ce qu'il fallait faire !
M. Jean Boyer. Or, si les cotisations sociales ne s'appliquaient qu'aux revenus d'activité ou de remplacement, la CSG, elle, s'étend aux revenus de l'épargne.
M. François Autain. Heureusement ! C'est fait pour ça !
M. Jean Boyer. Le taux de la CSG a augmenté de plus de quatre points en 1998, passant de 3,4 % à 7,5 %. Dans le même temps, vous avez institué un nouveau prélèvement social de 2 %, dont l'assiette est beaucoup plus large que les prélèvements auxquels il est censé se substituer.
Avec l'augmentation du taux de la CSG, la création de cette nouvelle taxe et le prélèvement de 0,5 % au profit de la caisse de remboursement de la dette sociale, c'est au total un prélèvement social de 10 % qui s'applique aux revenus du patrimoine et de placement.
Les retraités sont les principaux perdants de l'opération : les revenus du patrimoine, patiemment constitués au cours d'une vie de travail, représentent un quart de leurs revenus. Ce bond des prélèvements sur les revenus de l'épargne de 3,4 % à 10 % pénalise des millions de retraités qui ont besoin de ces revenus pour compléter leur pension.
Les retraités sont lésés et ils s'en rendent compte actuellement, puisque notre débat coïncide avec l'arrivée au domicile des épargnants de l'appel du Trésor public pour régler la facture de la CSG.
Ainsi, nombre de contribuables viennent enfin de comprendre comment se traduit très concrètement la politique que vous avez engagée depuis deux ans : elle n'avance guère en ce qui concerne les réformes relatives à la protection sociale mais elle reste toujours aussi gourmande en impôts !
Quand vous affirmiez, madame la ministre, que ce choix politique permettrait d'abonder le budget de la sécurité sociale de 25 milliards de francs supplémentaires, bien peu de Français imaginaient qu'ils seraient personnellement concernés.
Aujourd'hui, avec l'arrivée des feuilles d'impôts pour la CSG, ils commencent à comprendre comment la méthode Jospin, si modérée en apparence dans l'annonce, se traduit finalement par des impôts supplémentaires.
Ne serait-il pas souhaitable, madame la ministre, qu'une étude détaillée soit faite des incidences sur les revenus des retraités de ces mouvements fiscaux, d'une ampleur et d'une rapidité inégalées ? Les Français ont droit à la clarté. Ils ont le droit de connaître les conséquences de ces réformes sur la répartition des revenus dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore, devant notre assemblée, permettez-moi de me faire l'interprète des retraités et des personnes âgées, de vous faire part de leur amertume à l'examen des articles de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale concernant la branche retraite.
Leurs organisations représentatives ont déjà collecté plus de 400 000 signatures pour attester d'un massif rejet des dispositions budgétaires et fiscales qui, depuis plus de dix ans, rognent leur pouvoir d'achat.
M. Alain Gournac. Ça, c'est vrai !
M. Guy Fischer. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale adopté par l'Assemblée nationale le 2 novembre dernier apporte certes quelques modestes améliorations à la situation des retraités. Mais l'on ne peut réellement prétendre qu'une augmentation de 0,5 % des retraites, de 1 % du minimum vieillesse et de 2 % des pensions de réversion constitue un effort suffisant.
Au moment où l'inflation est de 0,9 %, une nouvelle réduction du pouvoir d'achat des retraités est-elle acceptable ? On sait en effet que celui-ci a subi une baisse de plus de 10 % en une décennie du fait de l'alourdissement de la contribution sociale généralisée, de la réduction du plafond de l'abattement de 10 % de l'assujettissement à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, du supplément de loyer de solidarité et, plus récemment, du moindre remboursement, voire du déremboursement, de certains actes et produits indispensables ainsi que de la mise à l'écart de la couverture médicale universelle des retraités relevant du fonds de solidarité vieillesse.
N'est-il pas consternant, au moment où la commission des comptes de la sécurité sociale fait apparaître une situation proche de l'équilibre pour la branche vieillesse, que M. Jean-Michel Charpin propose de porter la durée de cotisations à quarante, voire à quarante-deux ans et demi, et le MEDIF à quarante-cinq ans ?
Comment admettre que l'on maintienne l'indexation des pensions sur les prix, et non sur les salaires, alors que la croissance devrait atteindre 3 % en l'an 2000, comme vient de la confirmer un récent rapport de l'OCDE ?
Enfin, est-il décent de refuser de relever le plafond de l'abattement de 10 % dont bénéficient les retraités alors que la Bourse de Paris vient d'inscrire son treizième record consécutif, portant sa progression à 28 % depuis le début de l'année ?
Au risque de me répéter - mais, malheureusement, ce projet de budget se répète aussi - je dirai qu'il est profondément injuste de refuser un effort exceptionnel, alors que la conjoncture n'a jamais été aussi prometteuse.
La régulière érosion du pouvoir d'achat des retraités est d'autant plus inacceptable que ces derniers jouent de plus en plus fréquemment un rôle charnière entre les générations. En effet, de modestes retraités contribuent, par la force des choses, à aider des enfants en difficulté, voire des petits-enfants, étudiants ou chômeurs, qui n'ont pas encore fait leur entrée dans la vie active.
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales. Excellent !
M. Guy Fischer. J'en viens maintenant, mes chers collègues, à deux aspects de la politique concernant les retraités et les personnes âgées qui me préoccupent tout particulièrement.
Dans cette assemblée, nous avons récemment débattu de deux propositions de loi visant à réaffirmer le mécanisme de la loi dite « Thomas », en généralisant un étage supplémentaire de retraite par capitalisation. Ces fonds de pension, ces fonds de retraite, qu'importe comment on les nomme, feraient dépendre les retraites des performances des marchés financiers, ajouteraient des éléments d'instabilité sur les marchés financiers internationaux, ne permettraient pas de verser une rente de 1 000 francs par mois à tous les retraités, déplaceraient l'épargne - sans en créer - vers les produits les plus subventionnés. En outre, ces fonds n'accorderaient aucun financement supplémentaire aux petites, aux moyennes et aux très petites entreprises.
Les fonds déjà créés en France - je n'évoquerai pas ceux qui existent aux Etats-Unis - sont un échec, ne serait-ce que dans la mesure où ils ne concernent qu'environ 10 % des bénéficiaires potentiels.
Je crains de ce fait que le fonds de réserve créé l'an dernier ne soit une préfiguration de ce « troisième étage » de notre système de retraite, et j'adjure le Gouvernement de ne pas céder aux sirènes des systèmes de fonds de pension à l'anglo-saxonne, ce qui conduirait à augmenter les prélèvements et à réduire les prestations, à favoriser les salariés dont les revenus importants permettent d'épargner pour leurs vieux jours au détriment des salariés modestes et des chômeurs. Avec un tel dispositif, le principe de solidarité ne pourrait qu'être gravement remis en cause.
J'en viens, enfin, à la loi du 24 janvier 1997 instaurant la trop inégalitaire prestation spécifique dépendance et au souci des organisations de retraités de mettre en place une prestation autonomie dans le cadre de la sécurité sociale.
Les quarante-trois propositions de Mme PauletteGuinchard-Kunstler, ainsi que les propositions figurant dans le Livre blanc en faveur d'une prestation autonomie élaboré par les organisations représentatives de l'aide à domicile et de l'accueil des personnes âgées, pourraient servir de base.
Dans le temps qui m'est imparti, je ne dresserai pas un bilan complet, je me bornerai à rappeler le plafond trop bas des conditions de ressources, le montant insuffisant de cette prestation en nature, les disparités scandaleuses entre départements, entre PSD à domicile et en établissement, les critères contestables établissant les stades de dépendance et l'inadaptation de la grille AGGIR, autonomie gérontologie groupe iso-ressources.
La conjuguaison de ces divers éléments fait que des personnes qui touchaient précédemment l'allocation compensatrice pour tierce personne en établissement ne bénéficient désormais d'aucune aide, puisqu'elles n'entrent plus dans le champ d'application de la PSD et que le plafond, bien trop bas, du recours sur succession décourage nombre de personnes âgées modestes. Ces personnes âgées ont épargné toute leur vie pour acquérir un logement ou une maison et elles souhaitent transmettre le fruit de leur travail et de leurs économies de toute une vie à leurs enfants.
Je vous demande instamment, madame la ministre, de maintenir au moins le pouvoir d'achat des retraites, du minimum vieillesse et des pensions de réversion, dans l'attente du résultat des consultations engagées par le Gouvernement. Ces concertations approfondies devraient, à notre sens, porter non seulement sur le pouvoir d'achat, mais également sur toutes les grandes questions de société qui auront des conséquences sur le niveau de vie des retraités et des personnes âgées : je pense bien sûr aux fonds de pension, à la dépendance, mais également à la fiscalité, à la santé et à la protection sociale. Enfin, je réaffirmerai notre attachement au système des retraites par répartition et notre opposition résolue à tout système de capitalisation. Ce sont des réponses à ces questions fondamentales que nous attendons, madame la ministre. Je suis persuadé que vous saurez nous donner les assurances nécessaires et j'espère vivement que le Gouvernement comprendra l'urgente nécessité de maintenir le pouvoir d'achat des retraités et des personnes âgées, et d'étudier l'avenir de notre système de retraites.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est la quatrième année consécutive que nous discutons d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les Français savent que leur assurance maladie est en déficit et chacun se demande pour combien de temps encore.
Si l'on peut constater cette année un redressement des comptes, il est bien évident que ce résultat est très largement dû à la croissance. Je ne peux que me réjouir de ce retour à l'équilibre de la sécurité sociale, car il ne faut pas oublier que le déficit était, en 1997, de 53 milliards de francs. Mais on doit à la vérité, de dire que les temps n'étaient pas du tout les mêmes !
Néanmoins, cet examen me conduit à exposer quelques craintes.
La première concerne la création du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale. Ce fonds, institué pour financer en partie les exonérations de charges patronales créées pour le passage aux 35 heures, sera notamment alimenté par une nouvelle taxe : la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés.
Sur la forme, ce fonds n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale, laquelle devrait être consacrée aux seuls enjeux de la protection sociale.
C'est, me semble-t-il, à tort que le Gouvernement fait figurer dans cette loi le financement de la politique de l'emploi. Car, à l'évidence, il ne s'agit pas d'une réforme de l'assiette des cotisations patronales.
Je ne m'étendrai pas longuement sur ce point car je ne souhaite pas que le débat d'aujourd'hui soit occulté par le projet de loi sur les 35 heures, comme il l'a malheureusement été à l'Assemblée nationale. Toutefois, il me paraît fâcheux d'alourdir encore et encore la fiscalité de nos entreprises.
La France fait partie des pays de l'Union européenne où le taux d'imposition des entreprises est le plus élevé. Une telle mesure risque de porter atteinte à la croissance des entreprises et à leur compétitivité, entraînant une fois de plus une vague de délocalisations.
Votre projet de loi, madame la ministre, prévoit de financer également ce fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale par l'extension du champ d'application de la taxe générale sur les activités polluantes, créée en 1999, aux produits phytosanitaires, aux lessives et aux granulats.
Cette taxe servira dorénavant à financer un allégement de charges plutôt que des mesures destinées à protéger l'environnement. Cette nouvelle affectation du produit d'une taxe va permettre au Gouvernement, par le biais d'un artifice comptable, de prétendre que les prélèvements obligatoires n'augmentent pas. Les coûts de production augmenteront cependant, sans pour autant préserver l'environnement.
Tout comme la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, la taxe générale sur les activités polluantes est affectée à une autre fin, à savoir le financement des 35 heures. Personnellement, j'estime que c'est tout à fait regrettable.
Par ailleurs, il sagit là d'une remise en question du principe « pollueur-payeur », ce qui ne contribuera pas à convaincre les entreprises que le Gouvernement fait de la protection de l'environnement l'une de ses priorités.
Ma seconde crainte concerne l'avenir des retraites. Chacun de nous en a conscience - et le rapport Charpin l'a mis en exergue - l'allongement de l'espérance de vie, les conséquences du baby-boom de 1946, le chômage, ne permettront pas à la France de préserver son système de retraite actuel.
D'ici à 2006, le nombre de retraités va considérablement augmenter et le nombre d'actifs progressivement diminuer. Ce problème n'a donc rien de virtuel. Il est inscrit dans la démographie, et les échéances se rapprochent.
Aussi, je ne peux qu'être réservé quant aux mesures proposées pour financer les retraites. Tout d'abord, je m'interroge sur la réelle motivation du Gouvernement, puisque les textes réglementaires relatifs au fonds de réserve pour les régimes d'assurance vieillesse, institué par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, viennent juste d'être publiés au Journal officiel, soit un an après le vote de la loi.
Pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à ce que ce fonds de réserve puisse bénéficier aujourd'hui de recettes exceptionnelles de caractère non fiscal. Je pense notamment aux fonds des caisses d'épargne ou aux libéralités de la Caisse des dépôts. L'an dernier, le Sénat n'a d'ailleurs pas supprimé le fonds de réserve.
Je suis en revanche plus que réservé sur son alimentation par le détournement des recettes de la sécurité sociale, qu'il s'agisse du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine ou de la ponction sur les excédents de la branche vieillesse.
En effet, tant que le Gouvernement n'aura pas annoncé ses orientations pour la réforme des retraites, tant qu'il n'aura pas annoncé quels efforts doivent être faits et comment ils doivent être répartis, il me semble tout à fait prématuré de modifier, en aveugle, les flux financiers de la protection sociale.
L'avenir des retraites nécessite une véritable réforme et il serait préjudiciable pour nos concitoyens de trop attendre.
Il est établi aujourd'hui que relever ce défi démographique et financier passe par la création d'un système de retraite mixte, répartition-capitalisation.
C'est pour toutes ces raisons que je voterai le texte assorti des amendements de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et du RPR.) M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se placera dans le prolongement de celles de mes collègues François Autain et Gilbert Chabroux.
Elle portera plus particulièrement sur la branche vieillesse de cette loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Qu'il me soit permis à mon tour de souligner l'évolution favorable du budget social. Cela a été dit et redit, mais il me plaît de rappeler que, grâce à votre volonté opiniâtre et méthodique, madame la ministre, le déficit de la sécurité sociale, qui était de 54 milliards de francs à votre arrivée, s'est approché de zéro en deux ans, pour se transformer en un excédent prévisionnel de 2 milliards de francs pour 2000, et cela, il faut le souligner, sans augmentation des cotisations ni diminution des remboursements.
Même le rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse, notre collègue Alain Vasselle, observe que la branche vieillesse du régime général avait connu, en 1998, un redressement spectaculaire de ses comptes puisque le déficit n'était que de 224 millions de francs au lieu des 5,6 milliards de francs prévus, et que l'excédent pour 2000 serait de 8,3 milliards de francs.
M. François Autain. On ne le dit pas assez !
M. Claude Domeizel. Je le répète donc !
Le même rapporteur précise que n'y est pas étrangère la forte croissance économique. J'ajouterai, pour ma part, que cette croissance est l'un des révélateurs de la confiance des Français vis-à-vis de leur Gouvernement.
Pour vous, madame la ministre, et pour tout le gouvernement de Lionel Jospin, c'est une réussite avec mention « bien », qui recueille l'assentiment d'une large majorité de Français.
M. François Autain. Mention « Très bien » !
M. Claude Domeizel. J'en viens, comme je l'ai annoncé au début de mon propos, à la branche vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Partout, que ce soit au travers de vos déclarations ou dans les textes législatifs et réglementaires que vous élaborez, vous affirmez votre attachement, comme celui du Gouvernement, à la retraite par répartition. La preuve en est à nouveau donnée dans l'annexe au projet de loi en discussion aujourd'hui, puisque, dans l'un des chapitres intitulé : « Consolider nos régimes par répartition », il est écrit, dès la première phrase, que « Le Gouvernement entend assurer la pérennité de nos régimes par répartition, dans la concertation et le souci de l'équité entre générations et régimes. » Le groupe socialiste du Sénat vous approuve sans réserve dans cette démarche.
En ce qui concerne le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, je note avec satisfaction vos prévisions en matière de revalorisation des pensions, donc du pouvoir d'achat.
Je profite de cette occasion pour rappeler les avancées importantes qui ont été obtenues en 1999 en faveur des conjoints survivants, soit près de 4 millions de nos concitoyens. L'allocation veuvage est désormais versée au taux le plus intéressant pendant deux ans, au lieu d'un an précédemment, ce qui a procuré un gain sensible aux personnes concernées. J'observe également que le bénéfice de cet avantage est maintenu pendant trois ans pour les conjoints survivants âgés de cinquante à cinquante-cinq ans lors du décès de leur conjoint.
Je citerai également la revalorisation exceptionnelle de 2 % du minimum de pension de réversion, à mettre en parallèle avec une inflation de 0,5 %. Cette mesure concerne environ 600 000 conjoints survivants.
S'agissant du pouvoir d'achat des retraités, personne ne peut nier que, depuis 1997, il progresse tous les ans grâce à votre constante volonté de faire participer les retraités à la croissance. Outre les 0,7 % de 1999, vous vous engagez, pour 2000, à le majorer de 0,5 %, au lieu du 0,2 % théoriquement attribué par la règle que le gouvernement précédent avait fixée voilà six ans. On peut toujours juger cette progression insuffisante, mais cette augmentation, qui a l'avantage d'exister, rompt avec les pratiques des gouvernements précédents.
Certes, le Gouvernement Balladur avait mis en place en 1993 des règles de revalorisation, mais cela ne peut pas masquer les prélèvements qui ont pesé sur les retraites pendant cette même période.
Un bref rappel s'impose, surtout pour ceux qui, du côté droit de l'hémicycle, feignent de l'oublier : 1993 fut l'année du 1,3 % de CSG ; 1996 fut celle du 1,2 % de cotisations maladie et du 0,5 % de CRDS ; 1997 fut celle du 0,2 % de cotisations maladie et du 1 % de CSG. Vous savez compter : il s'agit d'une augmentation de 4,2 % entre 1993 et 1997 !
La construction de notre organisation de retraites, qui date de 1945, est solide et bien assise. Elle a fait ses preuves. Le système comporte cependant des travers qui ne facilitent pas la tâche d'aujourd'hui. Mise en place à une époque où le ratio démographique était très favorable, aucun dispositif n'a malheureusement été prévu pour compenser les effets des évolutions démographiques.
M. Alain Gournac. C'est bien emballé ! Avec un papier cadeau !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce qu'il dit est surtout vrai !
M. Claude Domeizel. La création d'un fonds de réserve intervient peut-être avec cinquante ans de retard.
Rappelons qu'en 1945, lors de la construction de notre protection sociale, les avis étaient partagés entre unité et multiplicité des régimes. Le fait d'avoir choisi la seconde solution est loin d'être neutre dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Ces choix, opérés en 1945, expliquent avec certitude les difficultés que nous connaissons aujourd'hui. Aussi, depuis des années, les gouvernements ont-ils essayé d'y faire face, avec, il faut bien le reconnaître, des mesures de bricolage.
Devant ce constat, pour rompre enfin avec une politique de navigation à vue, et comme il s'y est engagé en juin 1997, le gouvernement de Lionel Jospin a abordé avec méthode le problème des retraites.
Sur un tel dossier, il est indispensable de prendre le temps nécessaire, car vous n'avez, nous n'avons pas le droit de nous tromper. Toute réforme pour s'assurer des garanties du succès est rarement le fruit d'une génération spontanée. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à agir ainsi. Plusieurs pays ont procédé de la sorte. Je ne reprendrai qu'un seul exemple, celui de la Suède, qui vient de transformer la structure de son système de retraite avec un processus de réforme qui s'est étalé sur une quinzaine d'années.
La retraite est en effet un dossier porteur d'enjeux sociaux et financiers concernant l'ensemble de la société française pour plusieurs générations. Les décisions en ce domaine méritent donc la plus grande attention et nécessitent la mise en oeuvre d'une démarche concertée, afin de les inscrire dans la durée et de préserver l'équité entre les générations successives.
Le Gouvernement a déjà pris des initiatives très positives en ce sens : le rapport Charpin, publié à l'issue de la mission de diagnostic et de concertation confiée au Commissariat général du Plan, a apporté une vision pédagogique et complète des perspectives à long terme des régimes de retraite en France ; il a également proposé plusieurs pistes qui devraient contribuer à l'équilibre de notre système de retraite. Parmi celles-ci figure la création d'un fonds de réserve des retraites destiné à atténuer l'impact du vieillissement démographique sur l'équilibre financier des retraites par répartition. J'y reviendrai.
Aussi approuvons-nous et soutenons-nous cette méthode, votre méthode : première étape, faire le point de la situation, c'est le rapport Charpin ; seconde étape, la concertation, c'est celle que vous avez menée avec les partenaires sociaux dans le courant de l'été et prolongée ces dernières semaines.
Travailler seul, dans la précipitation, conduirait à l'échec. M. Juppé en a d'ailleurs fait l'expérience que l'on connaît.
M. François Autain. Eh oui !
M. Claude Domeizel. Nous attendons avec sérénité les propositions que M. Lionel Jospin doit formuler dans ce domaine au début de l'année prochaine.
M. Charles Descours, rapporteur. Il aura pris son temps !
M. Claude Domeizel. J'ai bien dit qu'il fallait prendre son temps. C'est un problème trop important pour qu'on fasse vite !
Je parle de sérénité, non seulement parce que nous faisons confiance au Gouvernement, mais surtout parce que les propositions seront le fruit d'une réflexion collective.
Il est regrettable toutefois de voir que certains s'évertuent à créer un climat d'interrogation, voire d'inquiétude, au sujet de l'avenir du système par répartition. Une telle attitude ne peut qu'encourager un glissement vers la capitalisation.
Pour inverser cette tendance, il est urgent de rassurer toutes les générations, les actifs comme les retraités.
Mais on ne peut rassurer que si les règles sont claires, précises et prévues pour le long terme. Aussi faut-il envisager qu'un organisme de réflexion permanent fixe les objectifs pour vingt-cinq ans ou trente ans, avec un correctif tous les cinq ans. C'est ainsi que - pour ne citer qu'un exemple - les taux de prélèvement maxima devraient être fixés dans le temps, selon un échéancier, pour atteindre ce plafond.
Bref, il faut informer, sensibiliser à la planification retraite, sans cesse persuader que nous disposons d'un bon système, un système qui doit demeurer.
Venons-en au fonds de réserve des retraites, dont l'abondement est prévu à l'article 10 du projet de loi.
L'an dernier, à pareille époque, nous avons approuvé la création d'un tel fonds. Que n'a-t-on pas entendu à son sujet dans les rangs de l'opposition,...
M. Charles Descours, rapporteur. Oui !
M. Claude Domeizel. ... particulièrement sur la somme qui y était consacrée ! Les fameux 2 milliards de francs que la droite jugeait insignifiants ! Pourtant, il fallait bien commencer un jour !
Aujourd'hui, vous nous annoncez que 20 milliards de francs viendront s'y ajouter. Nous nous en réjouissons, car vous donnez ainsi une impulsion non négligeable pour atteindre les 66 milliards de francs nécessaires en 2006, ou les 300 milliards de francs attendus en 2020.
A ce sujet, il est difficilement compréhensible que la commission des affaires sociales s'obstine, cette année comme l'an dernier, à supprimer cet article 10, sous le prétexte de l'insuffisance de ces 20 milliards ou 22 milliards en 2000.
M. François Autain. Ils ne comprennent rien !
M. Claude Domeizel. Mesdames et messieurs de l'opposition,...
M. Alain Gournac. ... de la majorité !
M. Claude Domeizel. ... vous ne pouvez décemment pas tenir deux langages : prétendre que vous êtes favorables au fonds de réserve et en même temps vous opposer à l'alimentation de ce fonds !
M. Charles Descours, rapporteur. C'est parce que nous sommes pour la CMU, que vous tuez !
M. Claude Domeizel. Ou alors votre attachement à la répartition est moins ferme que vous ne le prétendez.
M. Charles Descours, rapporteur. Mais on est pour la CMU alors que, vous, vous êtes contre !
M. Claude Domeizel. Votre démarche, madame la ministre, s'appuie sur un cadrage à long terme pour mettre en place les outils indispensables à l'adaptation continue du système des retraites. Elle ne doit céder en rien au catastrophisme parfois annoncé, mais que l'analyse ne justifie pas.
M. Alain Gournac. Ah oui ?
M. Claude Domeizel. Toutefois, la lisibilité de notre système de retraite est l'une des premières conditions d'adhésion des Français aux réformes mises en oeuvre pour maintenir les principes fondamentaux de notre système de retraite que sont la solidarité et l'équité entre les générations.
A ce sujet, prenons garde aux injustices que peut comporter le système par répartition, dans la mesure où il reporte tout le poids des engagements et des risques sur les générations futures.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Claude Domeizel. Le fonds de réserve figure indiscutablement parmi les initiatives les plus novatrices et les plus susceptibles de répondre de façon adéquate aux principes fondamentaux qui ont déjà été évoqués. Pour une mise en oeuvre immédiate, vous avez logé provisoirement ce fonds au sein du fonds de solidarité vieillesse, structure existante chargée de financer, au titre de la solidarité nationale, divers avantages non couverts par les cotisations sociales.
Cependant, compte tenu de l'importance et de la spécificité des enjeux, des masses financières en cause et de la lisibilité nécessaire du dispositif pour les Français, il est clair que l'organisme chargé de gérer ce fonds ne peut avoir parallèlement d'autre vocation.
C'est la raison pour laquelle il nous semble nécessaire que soit envisagé, pour piloter le fonds de réserve, la création d'un établissement public spécifique doté d'un conseil d'administration ayant pouvoir de décision.
M. Charles Descours, rapporteur. Pourquoi le décret n'est-il pas paru... depuis un an ?
M. Claude Domeizel. Le décret est sorti voilà quelques jours, ainsi que mon collègue M. Bimbenet vient de le rappeler !
M. Charles Descours, rapporteur. Non, il n'est pas sorti !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Depuis un mois !
M. Claude Domeizel. Cette formule juridique permettrait en effet de garantir l'autonomie des décisions, d'affirmer l'importance du fonds constitué pour accomplir une mission spécifique et, enfin, d'assurer transparence et lisibilité.
S'agissant du pilotage du fonds, l'ensemble des parties prenantes, au premier rang desquelles figurent les représentants des employeurs et des organisations syndicales, devraient bien évidemment y être associées.
S'agissant des ressources du fonds, je note que vous persistez dans une démarche de programmation à long terme des paramètres du fonds de réserve : ses ressources doivent être en effet assurées, afin que les projections soient techniquement crédibles et non sujettes à des hypothèses de ressources exceptionnelles.
L'an dernier, déjà, la loi de financement de la sécurité sociale de 1999 lui a octroyé comme ressources « tout ou partie du résultat excédentaire des opérations de solidarité du fonds de solidarité vieillesse, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé du budget ». Il est à noter que les projections de résultat du FSV pour les prochaines années, dans le cadre des travaux menés pour le rapport Charpin, établissent que le solde cumulé des résultats excédentaires du FSV pourrait être, selon les hypothèses retenues, de l'ordre de 75 milliards à 100 milliards de francs en 2005.
Enfin, au risque de me répéter, je dirai qu'il est très important de mettre en place une communication régulière relative à l'ensemble des projections et à la situation du fonds de réserve. Cette communication doit être faite tant à l'usage des décideurs qu'envers les Français, pour confronter la confiance qu'ils ont dans leur système de retraite.
Je dirai un mot, avant de terminer, sur les ressources non permanentes prévues à l'article 31.
Lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale de 1999, nous avions proposé la suppression de l'avance de trésorerie autorisée à la CNRACL. Cette année - j'y reviendrai, si le besoin s'en fait sentir, lors de la discussion de cet article - nous ne nous opposerons pas au projet du Gouvernement, approuvé par l'Assemblée nationale, pour montrer notre satisfaction à l'égard d'un gouvernement...
M. Charles Descours, rapporteur. Les contribuables locaux seront contents qu'on augmente de 0,5 % les impôts ! On leur dira que c'est le choix du Gouvernement.
M. Claude Domeizel. ... qui, sur la base d'une prévision sur deux ans - je dis bien « sur deux ans », car le Gouvernement n'a pas les méthodes de M. Balladur (Protestations sur les travées du RPR.), qui, entre Noël et le jour de l'an 1994, nous annonçait une augmentation du taux de cotisation de 3,5 % - ...
M. Charles Descours, rapporteur. Le Gouvernement a annoncé les 0,5 % de la même façon !
M. Claude Domeizel. Je disais donc que, pour la première fois, une baisse de la surcompensation instaurée dans la loi de finances de 1986 était amorcée.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est vrai !
M. Charles Descours, rapporteur. Ce sont les socialistes qui ont inventé la surcompensation !
M. Claude Domeizel. Permettez-moi, à cet égard, d'ouvrir une parenthèse. M. Fourcade a évoqué hier cette question, qu'il connaît d'ailleurs bien puisque, lors de la création de la compensation en 1974, il était ministre de l'économie et des finances, M. Poncelet étant secrétaire d'Etat chargé du budget.
M. Charles Descours, rapporteur. On parle de la surcompensation.
M. Claude Domeizel. Je vais y venir. Vous avez dit hier, monsieur Fourcade, que le taux pondérateur de 38 % résultait d'une décision de M. Charasse.
M. Charles Descours, rapporteur. Non, de PierreBérégovoy.
M. Claude Domeizel. Or, ce n'est pas vrai.
M. Charles Descours, rapporteur. Comment !
M. Claude Domeizel. Ce taux résulte d'une décision prise par un décret du 26 août 1994 signé, notamment, par M. Sarkozy.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Domeizel.
M. Alain Gournac. Il est à côté du sujet !
M. Claude Domeizel. Je conclus, monsieur le président.
Une telle initiative de la part du Gouvernement, la première du genre, méritait une attitude positive de notre part.
Sous réserve des quelques considérations que je viens d'énoncer, le groupe socialiste est confiant pour aborder ce débat, notamment sur la branche retraite, parce que cette loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 confirme la volonté du Gouvernement de poursuivre l'objectif d'équilibre des finances de notre protection sociale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très bien ! Bravo !
M. le président. Je n'ai pas pour habitude de faire de rappel à l'ordre, monsieur Domeizel, mais vous avez dépassé votre temps de parole de manière suffisamment significative pour que je me sente autorisé à le faire.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Puis-je, madame la ministre, débuter mon intervention par une double question ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous en prie.
M. Claude Huriet. A quoi sert ce débat ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Bonne question !
M. Claude Huriet. Plus précisément, quelle en est la réelle portée ? Quel est désormais le rôle du Parlement en matière de financement de la sécurité sociale ?
En effet, lors de votre audition par la commission des affaires sociales, le 21 octobre dernier, nous avons été frappés par votre réflexion concernant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM. Vous avez indiqué que son évolution serait désormais « rebasée » chaque année, à l'image, avez-vous fait observer, du taux d'inflation ou du taux de croissance de la masse salariale, qui sont calculés à partir des prévisions de réalisation.
Ainsi avez-vous clairement laissé entendre l'importance toute relative que le Gouvernement attache à la détermination par le Parlement de l'objectif national de dépenses de santé, qui ne serait donc qu'une donnée parmi d'autres, des chiffres fixés par le législateur mais dont la valeur serait approximative.
Or la loi organique relative au financement de la sécurité sociale, dans le premier paragraphe de l'article L.O. III-3, précise on ne peut plus clairement que la loi de financement de la sécurité sociale « fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ».
Sans que l'on méconnaisse les conséquences d'événements imprévisibles, la fixation de l'ONDAM est donc au coeur du dispositif de la loi de financement. Si sa valeur devient purement « indicative », non normative, si, chaque année, un ONDAM « rebasé » masque la réalité, alors même que perdure un dérapage inquiétant de nos dépenses de santé et que les réformes structurelles se font attendre, quel intérêt y a t-il, mes chers collègues, à dépenser tant de temps et d'énergie pour en débattre ?
La réalité des chiffres, c'est une augmentation de nos dépenses de 3,5 % en 1999 alors que la loi de financement avait fixé une progression de 2,6 % par rapport à l'ONDAM de 1998.
La réalité des chiffres, c'est que l'ONDAM de 1998 a été dépassé de 9,8 milliards de francs et que celui de 1999 le sera de 13,1 milliards de francs.
Depuis deux ans, on assiste ainsi à une progression soutenue des dépenses de santé que seuls la forte augmentation des prélèvements et le retour de la croissance ont réussi à masquer.
Une autre constatation renforce mes interrogations et mes doutes quant à l'utilité de nos travaux. L'examen de l'annexe b, qui reprend, article par article, l'état d'avancement de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, montre le grand nombre d'articles encore en attente de décrets d'application. Ils concernent des sujets aussi importants que le dépistage du cancer, la création d'un conseil pour la transparence des statistiques de l'assurance maladie, la mission d'évaluation des unions de médecins exerçant à titre libéral ou le contenu du devis et de la facture délivrés par les chirurgiens-dentistes.
Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale ne répond que très imparfaitement à ses objectifs et le Parlement est en partie dessaisi de son rôle en matière de contrôle financier et en matière de politique de santé.
Au-delà de ces réserves de portée générale, je souhaiterais concentrer mon propos sur deux aspects de la loi de financement : la branche famille et la branche maladie.
S'agissant de la branche famille, j'aborderai une question qui me tient particulièrement à coeur, celle de la simplification des règles de droit.
Concernant la branche maladie, je concentrerai mon intervention sur les contradictions et les blocages qui, me semble-t-il, résulteront des nouvelles dispositions incluses dans la loi de financement.
Président depuis 1997 du conseil de surveillance de la caisse nationale des allocations familiales, j'ai pris la mesure d'une institution dont les missions ont largement évolué au fil du temps. A leur objectif initial de soutien aux familles, les caisses d'allocations familiales ont ajouté désormais la tâche, ô combien difficile, de prendre en charge toutes les personnes en situation de précarité. Les CAF sont ainsi devenues une arme efficace de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
Quarante pour cent des allocataires ne sont plus des « familles » et 30 % d'entre eux ne vivent que des prestations versées par leur caisse. Au vu de ces chiffres, on réalise sans peine l'importance sociale du rôle joué par les CAF.
Cet élargissement de leurs missions a eu pour corollaire un accroissement considérable de la complexité des règles de droit. Les CAF gèrent aujourd'hui vingt-cinq prestations légales, qui représentent 15 000 règles de droit. Pour ce faire, elles prennent en compte 250 faits générateurs pour lesquels elles utilisent 270 modèles de pièces justificatives et en traitent 70 millions par an. A ce bref panorama, il faut ajouter que les modifications des situations personnelles des allocataires sont prises en compte en temps réel et que, de ce fait, un tiers du fichier des CAF est modifié en moyenne chaque mois.
En outre, les règles de droit appliquées par les CAF sont très évolutives. Si l'on prend le seul secteur des aides personnalisées au logement, ce sont plus de 150 textes qui ont modifié le régime initial institué en 1977.
Cette inflation de la réglementation part d'un souci fort louable : la volonté d'adapter les aides en « collant » à la situation des bénéficiaires, en prenant en compte le maximum d'éléments de leur situation particulière.
Mais le mieux est devenu l'ennemi du bien ; la réglementation est devenue si complexe qu'elle a perdu toute lisibilité pour ceux à qui elle est en priorité destinée. Les plus modestes, les plus démunis se trouvent incapables de faire valoir leurs droits. Toutes les associations de lutte contre la précarité qui siègent au sein du conseil de surveillance de la CNAF ne cessent de nous alerter sur cette réalité.
En 1998, sur dix-neufs mesures nouvelles mises en oeuvre, huit sont allées dans le sens d'une plus grande complexité, telles les règles d'intéressement à la reprise d'activité. Cette disposition, contenue dans l'article 9 de la loi relative à la lutte contre les exclusions - disposition tout à fait louable - permet de cumuler pendant quelques mois le maintien du versement d'une allocation de RMI avec un emploi, disposition dont chacune doit se féliciter.
Mais sa mise en oeuvre s'avère d'une complexité extrême, le calcul de l'allocation variant en fonction de chaque type d'emploi éventuellement retrouvé : stage, CES, CEC, CDD, CDI, etc.
L'incompréhension des personnes concernées est grande et le risque d'erreur, et donc de versement indu, est très important lui aussi.
Ce bref exemple montre à quel point la question de la simplification des règles de droit est de plus en plus d'actualité. Le conseil de surveillance de la CNAF, lors de sa séance du 21 avril 1999, a constaté que les engagements contenus sur ce point dans la convention d'objectif et de gestion signée entre l'Etat et la CNAF n'avaient pas été tenus. Le conseil vous avait alors demandé, madame la ministre, l'inscription de cette question à la conférence de la famille.
Je réitère devant vous cette demande. La simplification de l'ensemble du système de prestations, et pas seulement de l'APL, l'aide personnalisée au logement, que le Gouvernement s'est engagé à remettre à plat, représente un enjeu politique et social majeur ! Je dois aussi attirer votre attention, mes chers collègues, sur la tendance qu'a parfois le législateur à accroître encore la complexité des dispositions.
S'agissant de la branche maladie, le débat sur la loi de financement s'inscrit cette année dans un climat délétère qui affecte les professionnels de santé et un contexte marqué par des contradictions dont les effets risquent d'être redoutables. Elles entraîneront des blocages préjudiciables à la mise en oeuvre d'une politique de santé.
La contradiction essentielle contenue dans ce projet de loi réside, à mes yeux, dans la séparation instaurée entre la régulation de l'hospitalisation, désormais un domaine réservé de l'Etat, et la maîtrise des soins ambulatoires confiée à la Caisse nationale d'assurance maladie, avec toutes les réserves formulées par le rapporteur de la commission des affaires sociales, que je félicite pour son excellent travail, sur la marge de manoeuvre réelle dont la CNAM pourra disposer pour exercer cette mission.
Cette séparation des rôles au niveau national est, à mon sens, une erreur. Elle va à l'encontre des évolutions récentes qui visaient à promouvoir la fongibilité des enveloppes à un niveau pertinent, le niveau régional, dont maintenant tout le monde parle sans trop savoir comment le mettre en oeuvre. Elle méconnaît ainsi l'évolution de notre système de soins, qui tend au développement des réseaux ville-hôpital, du secteur hospitalier ambulatoire et de l'hospitalisation à domicile. L'hôpital et la médecine de ville commencent à apprendre à travailler ensemble. Pourquoi prendre le risque de les séparer ?
Cette tendance à l'ouverture de l'hôpital sur l'extérieur et au décloisonnement se retrouve d'ailleurs dans les observations de bon nombre d'instances qui réfléchissent à l'avenir de notre système de santé. Ainsi, le rapport de la dernière Conférence nationale de santé, à propos du vieillissement, met l'accent sur l'importance qu'il y a à développer des réseaux de santé gérontologiques associant médecine ambulatoire, hôpital et secteur médico-social.
Dans la deuxième partie de son rapport, consacrée aux inégalités de santé, la Conférence a adopté une résolution qui, en s'appuyant sur les conclusions du rapport du Haut Comité de la santé publique, prône la fusion des cinq enveloppes actuelles, la création d'une agence régionale de santé et celle d'une enveloppe transversale spécifique des actions de santé. Cette dernière, selon le rapport, « devrait inciter les différents acteurs de santé à apprendre à travailler ensemble de manière coordonnée sur des programmes régionaux de santé incluant, par définition, une dimension préventive au sens large du terme ».
A quoi sert donc la conférence nationale de santé si les décisions du Gouvernement non seulement n'en tiennent aucun compte, mais la contredisent ? Est-ce cela que vous appelez la « démocratie sanitaire » ?
Autre exemple de contradiction, certes plus ponctuel : la décision, prise en juin 1998, de suspendre la mise en oeuvre de la troisième étape de revalorisation des soins conservateurs de la nomenclature des soins dentaires. Cela signe l'arrêt brutal d'un processus qui visait à corriger progressivement une situation où la faiblesse de la prise en charge de certains soins primaires entraîne trop souvent une renonciation à ces soins, ce qui induit ultérieurement une augmentation des besoins en traitements prothétiques, plus coûteux et fort mal remboursés par l'assurance maladie.
Deuxième constatation qui ne manque pas d'inquiéter : les blocages que l'on constate dans les relations avec les professionnels de santé, qui augurent mal un possible retour à une pratique conventionnelle constructive.
Sans aucun doute, ces blocages sont alimentés par deux facteurs essentiels, dont la conjonction provoque un refus des professionnels de santé d'adhérer à un système de maîtrise médicalisée des dépenses de santé, le terme lui-même étant désormais pratiquement abandonné. Le premier est le caractère contestable des données financières sur lesquelles s'appuient non seulement la définition de l'ONDAM mais aussi toutes les mesures de correction des dérives de telle ou telle activité. Le second est l'absence de référence aux besoins de santé, ce qui conduit inéluctablement à une maîtrise exclusivement comptable.
S'agissant de la fiabilité des données sur lesquelles repose la maîtrise des dépenses de santé, nous disposons cette année d'une référence indiscutable grâce au travail approfondi de la Cour des comptes sur les outils de connaissance, de pilotage et d'évaluation des données de santé. Quiconque en prend connaissance mesure l'étendue du chemin restant à parcourir pour disposer en temps utile de données fiables, susceptibles de donner lieu à des décisions pertinentes et adaptées, et comprend par là même le refus des professions de santé d'accepter des décisions qu'elles considèrent comme largement arbitraires.
Concernant l'ONDAM et le suivi des dépenses tout au long de l'année, la Cour constate : « La qualité des données utilisées pour construire l'ONDAM et en suivre la réalisation est hétérogène. Il n'existe, ni au niveau national ni par caisse, des données fiables sur la qualité moyenne de la liquidation elle-même. » On retrouve ici la nécessité de simplifier un système d'informations qui, à l'heure actuelle, produit des données par trois chaînes de remontée différentes, présentant chacune des qualités et des faiblesses.
Il convient de souligner l'impérieuse et urgente nécessité de faire reposer les politiques de maîtrise des dépenses sur des données sûres et reconnues. C'est à ce prix seulement qu'elles ont quelque chance d'être acceptées. Or la Cour constate que « l'inadéquation est grande entre l'état actuel de ces systèmes et l'ambition de rendre opposables les données qu'ils produisent ».
Cette phrase n'explique-t-elle pas très largement l'incompréhension, les heurts, l'impossibilité de dialoguer que l'on observe avec inquiétude, s'agissant des contacts entre les professions de santé et les pouvoirs publics ?
Et l'on voudrait que les professions de santé adhèrent à des désicions prises dans de telles conditions ! C'est impensable !
A cet égard, je regrette que le Conseil pour la transparence des statistiques de l'assurance maladie ne soit pas encore installé.
La deuxième cause de blocage réside dans l'absence de prise en compte des besoins de santé dans le pilotage du système de santé.
Tous les médecins, libéraux ou hospitaliers, y sont extêmement sensibles, car, derrière la froideur des chiffres, se dessinent le visage de leurs malades et l'obligation qui leur incombe de les soigner au mieux, en leur prodiguant le « juste soin ».
Faute de temps, je ne donnerai qu'un seul exemple, qui concerne ma région. Il s'agit d'un projet d'implantation d'un site inter-régional de production de radio-émetteurs de positons à usage bio-médical. Cette technique d'imagerie relativement nouvelle permet de visualiser la répartition dans l'organisme de traceurs biologiques marqués par un radio-élement ; on la connaît davantage sous le nom abrégé de PET-Scan.
Pour votre information, mes chers collègues, je vous signale que l'Allemagne dispose à ce jour de vingt équipements de ce type, la Belgique d'une dizaine, dont cinq pour la seule ville de Liège, alors que la France n'en a aucun.
Cette technique, qui existe depuis plusieurs années, connaît des applications dans les domaines de la cardiologie, de la neurologie et de la cancérologie. En ce qui concerne, par exemple, le dépistage de certains cancers dont la fréquence est particulièrement importante en Lorraine, la précision du diagnostic ainsi obtenu permettrait d'éviter de 12 à 15 % des interventions mutilantes pratiquées actuellement.
Or les éléments de réponse que s'apprêterait à faire valoir votre administration sont les suivants : « Les gamma caméras sont soumises à autorisation au titre des équipements lourds. Votre région est normalement dotée. A vous de "faire avec", en réduisant les indications cardiologiques ou neurologiques au profit des indications cancérologiques. »
Si, malgré sa technicité, j'ai évoqué cet exemple, c'est parce qu'il est révélateur d'une situation que les médecins ne peuvent, en conscience, accepter : choisir ceux qui peuvent bénéficier d'un diagnostic ou d'un traitement, au détriment des autres. Aucun d'entre eux ne conteste la nécessité d'« optimiser » les moyens qu'ils revendiquent pour leurs malades, mais ils refusent que les moyens - nécessairement limités, ils en conviennent - soient déterminés sans référence aucune aux besoins de santé.
Disposer de données fiables, s'appuyer sur une référence aux besoins de santé, définir des priorités à l'échelon pertinent, c'est-à-dire à l'échelon régional, comme chacun s'accorde désormais à le reconnaître, telles sont, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, les conditions auxquelles doit satisfaire une politique de santé à laquelle pourraient alors adhérer les acteurs du système de soins.
La politique suivie par le Gouvernement me paraît s'éloigner, année après année, de ces préoccupations. Au lieu de rechercher une détente, elle contribue à crisper les relations entre les différents partenaires.
Avec les membres du groupe de l'Union centriste, je voterai les amendements présentés par la commission des affaires sociales, afin de corriger, autant que faire se peut, un projet de loi dont les fondements et les conséquences ne manquent pas de nous inquiéter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je sais que mon passage à la tribune est salué avec le plaisir que suscite le dernier intervenant dans la discussion générale et que, en échange, j'aurai droit à une attention toute particulière ! (Sourires.)
Le Sénat examine le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, et donc l'ensemble des problèmes qui y sont liés.
L'importance de ce budget, la succession ininterrompue de déficits considérables, l'échec patent de tous les plans d'économie ont conduit les gouvernements successifs à multiplier les solutions, à créer la CSG en 1991, à en augmenter le taux en 1993, 1997 et 1998, à créer la CRDS, la contribution au remboursement de la dette sociale, en 1996 et à la proroger en 1998.
Demain, faute d'une maîtrise convenable de ce budget, il ne sera possible ni d'accroître les cotisations des salariés et des employeurs - ce n'est plus de saison ! - ni d'augmenter ces impôts qui pèsent lourd sur le pouvoir d'achat.
Mais compte tenu de la nature éminemment sociale et sensible de cette sécurité sociale, il ne peut non plus être question d'une gestion purement comptable de la dépense, gestion qui serait obligatoirement aveugle et injuste.
Il faut donc que tous les partenaires jouent le jeu honnêtement et dans la transparence, cette transparence qui, comme vous le savez, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, fait encore gravement défaut, sinon à la CNAM même, du moins dans de nombreuses régions, ce qui n'est pas bon pour le dialogue.
Il faut également que les mesures autoritaires restent du domaine de l'exception.
Madame la ministre, vous avez fixé pour l'an 2000 une enveloppe globale de 658 milliards de francs sans que nous puissions, à l'heure actuelle, aisément déterminer la répartition que vous ferez entre les différents secteurs. Une majoration de 2,5 %, ce serait très bien, compte tenu de la conjoncture, si la progression des dépenses de santé en 1999, comme le rappelait Claude Huriet, n'était pas déjà de 3,5 %.
M. François Autain. Elles baissent !
M. François Trucy. Peut-être, dans votre estimation de 2,5 %, avez-vous, madame la ministre, provisionné quelque peu ce que l'on reproche aux gouvernements de ne jamais prévoir, c'est-à-dire des dépenses exceptionnelles causées par l'épidémiologie, le financement des progrès techniques ou des mesures nouvelles en matière de prévention. Si c'est le cas, pouvez-vous nous le préciser ?
Car il faut être réaliste : après des années d'expériences cuisantes, nous savons que ni les recettes de gestion - améliorables - de la CNAM ni les efforts - encore insuffisants - de maîtrise des dépenses par les praticiens de la santé ne progresseront suffisamment.
Les dépenses de santé ne peuvent qu'augmenter du fait du vieillissement de la population et de la croissance du coût des techniques médicales. Alors, et c'est l'argument majeur, mieux vaut la rationalisation que le rationnement.
La loi annuelle de financement de la sécurité sociale est donc une nécessité. Elle relève d'un principe légitime et réclame toute notre attention.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, il reste à voir avec vous si les mesures que vous proposez sont en cohérence avec le contexte et susceptibles d'être efficaces.
La répartition des rôles entre le Gouvernement, le Parlement et les caisses étant de plus en plus difficile à comprendre, mes questions auront une portée assez large.
Ainsi, vous accordez, dans le texte, une plus large autonomie déléguée à la CNAM. Quelle est la réalité de cette autonomie annoncée ? N'est-elle pas de façade ?
En effet, si vous donnez à la CNAM les moyens légaux et réglementaires de faire respecter la gestion de l'enveloppe de 247 milliards de francs pour les soins de ville, vous précisez qu'en cas d'échec et de dérapages des dépenses au-delà des objectifs vous interviendrez en sanctionnant les spécialistes - ou les secteurs - « fautifs » par des baisses autoritaires de la valeur de leurs lettres clefs.
Une plus large autonomie donnée à la CNAM signifie-t-elle que le plan stratégique mis en débat par celle-ci en mars 1999 reçoit votre feu vert ?
Que retenez-vous ou qu'écartez-vous de ce plan ? Une prise de position claire et officielle de votre part sur chacun des points de ce plan doit être, tôt ou tard, connue de tous pour que ne persiste pas l'incertitude dans laquelle vivent les partenaires. Sinon, le régime conventionnel, déjà mal en point, ne guérira pas.
Ainsi, acceptez-vous que les praticiens doivent se soumettre à intervalles réguliers à une recertification de leurs connaissances, condition de leur conventionnement ? Si oui, comment concevez-vous cet énorme et difficile contrôle des compétences ?
Retenez-vous la proposition de la CNAM de conventionner les professionnels de santé en fonction des besoins sanitaires dans les régions où existerait une surdensité médicale ? Dans l'affirmative, qui jugera s'il y a ou non surdensité ?
On vous prête l'intention de renoncer définitivement aux remboursements par les médecins en cas de dépassement des objectifs de prescription de leur régime. Conseil d'Etat ou non, ce système était très difficile à mettre en oeuvre et éminemment injuste.
Cependant, si vous procédez, en cas de dérapage des dépenses et d'échec de la CNAM, à des baisses autoritaires des tarifs de telle ou telle lettre clef, vous disposerez d'un système plus simple, certes, mais tout aussi injuste que le précédent puisque tous les spécialistes seront pénalisés en raison du comportement d'un petit nombre d'entre eux.
Croyez-vous réellement possible, en tout état de cause, de procéder à des bilans du respect de ces objectifs au quatrième et au huitième mois de l'année ?
Rendrez-vous obligatoire - comme ce serait souhaitable - les justifications et motifs des arrêts de travail ?
Enfin, estimez-vous normal que la CNAM remette en cause sa part du financement de l'assurance sociale vieillesse des médecins conventionnés - droit acquis en 1960, en échange du conventionnement - en fonction de critères de gestion d'actualité ?
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, à la logique du système d'assurance créé à la Libération, et dont la gestion paritaire était confiée aux cotisants, s'est, au fil du temps, ajoutée une logique de solidarité, qui a étendu le bénéfice du système à un nombre sans cesse croissant d'assujettis, en particulier les plus démunis et les plus dépendants.
C'est cette logique de solidarité qui justifie la perception des impôts récents que sont la CSG et la CRDS, et qui sont légitimes. Mais quelle est la légitimité du financement, directement ou indirectement, du coût de l'application de votre projet de loi de réduction du temps de travail à 35 heures ?
Par ces dispositions, vous introduisez dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale une troisième logique ; c'est une logique d'organisation sociale du travail qui est d'une autre nature, qui n'a pas sa place dans ce projet de loi et qui n'est pas cohérente avec les objectifs et les missions pour lesquelles la sécurité sociale a été initialement créée.
Le budget de la sécurité sociale est en passe de devenir un instrument parmi d'autres de gestion des finances publiques puisqu'il inclut des dépenses qui relèvent par nature du budget de l'Etat et utilise des impôts.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, le groupe des Républicains et Indépendants attend vos réponses à ces questions. Surtout, il sera très attentif aux avis que vous formulerez sur les propositions de la commission des affaires sociales et de son très compétent rapporteur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

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