Séance du 5 mai 1999







M. le président. Par amendement n° 9, M. Marini, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sans préjudice des dispositions spécifiques qui les régissent, les taux d'intérêt nominaux annuels des comptes d'épargne-logement, des premiers livrets de caisses d'épargne, des comptes spéciaux sur livrets du Crédit mutuel, des comptes pour le développement industriel, des comptes sur livrets d'épargne populaire, et des plans d'épargne-logement sont révisés semestriellement par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances.

« Les taux d'intérêt nominaux annuels des premiers livrets de caisses d'épargne, des comptes spéciaux sur livret du Crédit mutuel et des comptes pour le développement industriel ne peuvent être inférieurs au taux de l'indice des prix à la consommation majoré d'un point et ne peuvent excéder le taux d'intérêt du marché interbancaire à un mois minoré de 0,5 point.
« Un décret détermine les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Il s'agit d'un amendement particulièrement important, auquel la commission tient beaucoup. Il a pour objet de modifier les conditions de révision des taux administrés.
Vous vous souvenez, mes chers collègues, que le 5 juin dernier le Gouvernement annonçait une diminution des taux réglementés. Parallèlement, était créé un comité consultatif des taux réglementés, « chargé de veiller à l'équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et un financement efficace du logement social et des PME pour que le malaise qui existait jusqu'à présent ne se reproduise pas à l'avenir ». C'était le texte du communiqué.
Ce dernier ne laissait aucun doute sur les évolutions à venir du livret A. Il indiquait que son taux évoluerait désormais entre deux termes : un plancher, fondé sur une garantie de progression du pouvoir d'achat, c'est-à-dire que le taux du livret A resterait supérieur d'au moins 1 % à l'inflation, et un plafond, déterminé par les taux courts de marché minorés de 0,5 %.
Je constate, mes chers collègues, que les innovations annoncées le 5 juin dernier n'ont pas tenu leurs promesses et que l'équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et un financement efficace du logement social et des PME n'a pas été atteint.
L'avis du comité consultatif des taux réglementés, pourtant présenté comme l'organisme chargé de veiller à cet équilibre, n'a pas été suivi d'effets.
Réuni le 23 mars dernier, sous la présidence de M. Babeau, ce comité a recommandé que le taux d'intérêt des livrets d'épargne à vue soit abaissé de 0,75 point.
Vous-même, monsieur le ministre, par un communiqué en date du 30 mars, avez décidé de ne pas suivre la recommandation ainsi formulée.
Ce refus de suivre l'avis du comité consultatif des taux réglementés contredit manifestement l'objet de la réforme annoncée à l'été 1998.
Notre amendement vise donc à préciser les choses et à parfaire cette réforme que vous avez vous-même annoncée à l'été 1998.
Deux dispositions nouvelles sont préconisées. La première consiste en une révision semestrielle des taux réglementés par arrêté du ministre. La commission a toujours souhaité que la révision des taux réglementés soit périodique, afin d'éviter les perturbations créées par des révisions inopinées et irrégulières.
Nous souhaitons en effet que les mouvements portant sur les taux de l'épargne administrée soient aussi fréquents, réguliers et récurrents que nécessaire de telle sorte que les décisions de fixation ne soient plus des événements perturbants pour l'opinion publique.
En mars 1996, le Sénat avait ainsi voté à l'unanimité un amendement imposant au Gouvernement l'obligation de déterminer, au moins une fois par an, les taux de l'épargne administrée.
Vous observerez, monsieur le ministre que, quel que soit le Gouvernement, notre langage ne change pas sur ce sujet.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur ce sujet ! Vous faites bien de le préciser !
M. Philippe Marini, rapporteur. Oui, monsieur le ministre, notre langage peut changer par ailleurs dès lors que les interlocuteurs sont différents et que les thèses qu'ils défendent sont elles-mêmes différentes. Mais, lorsqu'il s'agit d'un sujet de fond, travaillé consciencieusement, avec constance par la commission des finances, je puis vous assurer - et je vous invite à le vérifier - que nos positions sont constantes et en tout cas que les propos tenus en séance, au nom de la commission, sont convergents quels que soient les interlocuteurs.
Il nous arrive parfois, avec le recul, de regretter que nos amis ne nous aient pas écoutés. Peut-être d'ailleurs les conseils que nous donnons valent-ils tout aussi bien pour ceux dont la logique politique diverge de la nôtre !
Je reprends le rappel des prises de position précédentes.
En avril 1997, c'est M. Alain Lambert, alors rapporteur général de la commission des finances, M. Paul Loridant, et votre serviteur qui avaient pris l'initiative de déposer une proposition de loi n° 301 relative à la détermination des taux d'intérêt de l'épargne administrée. Cette proposition de loi imposait une révision semestrielle des taux réglementés par décision du Comité de la réglementation bancaire et financière, le CRBF.
Aujourd'hui, la commission constate qu'il est plus que temps de réactiver ce dispositif, afin de sortir du blocage créé par la force symbolique, et politique, attachée à toute révision des taux, fût-elle recommandée par un comité d'experts indépendants.
Par ailleurs, et c'est le second objet de l'amendement, la commission souhaite l'établissement d'un mécanisme d'indexation. Nous le suggérions déjà en avril 1997 et d'ailleurs, monsieur le ministre, c'est dans ce sens qu'allait votre annonce de juin 1998. Nous regrettons simplement que vous n'ayez pas mis en oeuvre ces intentions !
Le taux du livret A et des livrets qui lui sont rattachés seront ainsi encadrés, selon le dispositif annoncé en juin 1998, dont vous êtes l'initiateur.
L'objet de cette seconde disposition est important : sans figer l'évolution du taux, que le ministre fixera semestriellement, l'amendement prévoit une fourchette d'évolution en fonction de l'inflation et des taux de court terme, ce qui doit permettre - c'est notre but, croyez-le, monsieur le ministre ; nous le disions de la même façon à votre prédécesseur - de dépassionner et de dépolitiser la décision de fixation du taux de rémunération des livrets A et des autres formes d'épargne administrée.
Cet amendement est au coeur du sujet que nous traitons ce soir, car le livret A est concurrent des parts sociales. Qu'il s'agisse des GLE ou des parts sociales directement émises par les caisses - nous le disions tous les deux il y a quelques instants - le livret A et les parts sociales seront de toute manière concurrents : ce seront deux produits destinés à la même clientèle.
Enfin, cet amendement s'inscrit tout à fait dans le sujet traité par le projet de loi, en tout cas au moins autant que l'article 7, qui centralise les fonds du livret A à la Caisse des dépôts et consignations et concerne tout aussi bien La Poste.
Monsieur le ministre, il est important que nous approfondissions avec vous ce débat et que vous puissiez nous donner votre position sur ce sujet, que vous avez traité par vos annonces de juin 1998...
M. Jean-Louis Carrère. C'est hors sujet !
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, j'ai expliqué en quoi cela était directement dans le sujet, mon cher collègue ! On ne peut pas traiter des caisses d'épargne sans s'intéresser à ce point ! On ne peut pas créer un groupe de droit commun compétitif avec le système de l'épargne administrée et le mode de détermination de ses taux encore en vigueur dans ce pays. Il y a une contradiction entre cette volonté et la façon très archaïque, très politique, de fixer les taux de rémunération de l'épargne administrée, en particulier du livret A, dont l'exclusivité appartient encore - pour un grand nombre d'années, souhaitez-vous, mes chers collègues - au réseau des caisses d'épargne.
Il faut vraiment sortir de cette contradiction et, croyez-nous, monsieur le ministre, les propositions que nous faisons à ce sujet sont vraiment apolitiques. (M. Carrère s'exclame.) Elles visent à sortir du champ du politique une décision qui n'est pas politique !
En effet, tous les taux d'intérêt sont définis par des mécanismes de marché, à l'exception de ceux de l'épargne administré, qui, naturellement, conditionnent - vous y faisiez allusion vous-même au début du débat, monsieur le ministre - le coût de bien des choses, en particulier celui du logement social dont dépendent un certain nombre de décisions d'autres acteurs économiques, aujourd'hui pénalisés par une conjoncture de taux qui n'est pas en phase avec l'échelle logique des taux d'intérêt de notre économie, qu'il s'agisse de l'économie française ou de l'économie européenne, puisque aujourd'hui nous n'avons plus qu'une échelle de taux d'intérêt, celle de l'Union économique et monétaire.
Monsieur le ministre, je suis certain qu'avec notre amendement nous vous apportons des arguments pour aller dans un sens que vous ne pouvez qu'emprunter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je formulerai trois remarques.
D'abord, monsieur le rapporteur, nos tendances politique respectives divergent et, là, nous en avons une traduction forte.
Contrairement à ce que vous dites, l'épargne populaire, celle des ménages les plus modestes, est un sujet politique. Certes, ce n'est pas seulement un sujet politique, il a aussi des aspects économiques, mais vouloir le traiter comme un sujet purement économique conduit directement, selon la pente que vous suivez depuis le début de cette discussion, à la banalisation du livre A et à la banalisation du réseau des caisses d'épargne.
C'est un choix que l'on peut comprendre, je le répète, mais ce n'est pas celui du Gouvernement, précisément parce qu'il y a un aspect politique dans le réseau des caisses d'épargne, le mot « politique » étant pris au sens le plus noble du terme, qui est la recherche de l'intérêt général, intérêt général auquel vous-même, monsieur le rapporteur, vous êtes référé à plusieurs reprises.
Si ce que l'on appelait le bien public dans un passé qui n'est pas tellement lointain est reflété, partiellement sans doute mais reflété néanmoins, dans ce réseau des caisses d'épargne, au travers notamment du monopole de collecte sur un produit qui a vocation à servir ceux qui ont l'épargne la plus modeste, alors le sujet a bien une composante politique et nous ne pouvons pas tout simplement mettre en place un mécanisme automatique d'indexation.
C'est pourquoi lorsqu'il a défini la réforme de juin dernier, qui visait à encadrer l'ensemble, le Gouvernement s'est réservé la possibilité de s'informer auprès du comité des taux réglementés sans qu'il y ait automaticité de la prise de décision, car celle-ci doit tenir compte d'autres éléments qui, cela ne vous a pas échappé, sont de nature plus politique.
Ensuite, le mécanisme que vous évoquez vise en fait à retirer un pouvoir à l'exécutif.
Vous dites : cela vous facilite les choses. Certes, mais le rôle du Gouvernement n'est pas toujours de se faciliter les choses en se lavant les mains ; il doit prendre ses responsabilités.
J'ai compris à vous entendre que les gouvernements d'une autre couleur politique qui m'ont précédé ont eu la même attitude que celle que je décris. C'est que, en effet, gouverner c'est prendre ses responsabilités et ne pas se réfugier derrière une automaticité.
Il faut que le Gouvernement garde une marge d'appréciation et c'est ce que garantit le dispositif que j'ai défini en juin dernier et qui n'a pas été trahi en mars, puisque le comité des taux réglementés a été consulté mais que, pour un ensemble de raisons, le Gouvernement a préféré choisir une autre voie.
Cela me conduit à la troisième remarque que je voulais formuler.
A partir du moment où l'on veut qu'il y ait une rémunération suffisamment supérieure à l'inflation pour un placement qui a un caractère populaire - car telle est bien sa définition - à quoi faut-il comparer le taux de rendement ? A l'inflation passée ou à l'inflation future ? A l'inflation future, bien sûr ! En effet, on définit un taux de rendement pour l'avenir : c'est donc bien l'inflation à venir qui nous intéresse.
Certes, on peut essayer de se faire une idée de celle-ci en étudiant l'inflation passée, mais les choses ne se passent pas toujours de manière mécanique. Si vous interrogez le gouverneur de la Banque de France, qui, j'en suis sûr, vient régulièrement rendre visite à la commission des finances du Sénat, il vous dira que, selon lui, il existe des potentialités non négligeables de remontées inflationnistes dans notre pays. Je suis d'ailleurs certain qu'il vous a déjà dit cela.
C'est donc bien au regard de l'inflation future que nous devons nous déterminer. Dès lors, l'automaticité n'est plus possible, car personne ne connaît exactement quelle sera cette inflation. Chacun essaie de l'estimer, de l'apprécier comme il le peut, et c'est là que nous rejoignons la nécessité, pour le Gouvernement, d'avoir une marge d'appréciation. C'est moins sur l'inflation passée qu'il nous faut nous fonder que sur l'appréciation que nous portons sur l'évolution à venir de l'inflation.
Cela justifie l'existence d'un système qui permette de fixer grossièrement le cadrage - nous l'avons défini au mois de juin dernier - sans rendre pour autant obligatoire la fixation du taux à un certain niveau.
Pour toutes ces raisons, le système qui a été mis en place en juin me paraît bon, et je ne propose donc pas qu'il soit modifié, quelque facilité que cela puisse apporter au Gouvernement. J'assume la difficulté.
Lorsque nous serons assurés que les conditions de taux d'intérêt, d'une part, et d'inflation, d'autre part, sont stabilisées, le Gouvernement dira s'il est ou non opportun de prendre une décision.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9.
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. L'amendement n° 9 tend à fixer une procédure de détermination des taux réglementés.
En premier lieu, une telle initiative ne nous semble pas, contrairement à ce que M. le rapporteur a affirmé, avoir sa place dans un projet de loi portant réforme du statut des caisses d'épargne.
En second lieu, le maintien à des niveaux attractifs des taux réglementés, en particulier du taux du livret A, nous apparaît comme une bonne chose. Rappelons-nous que, durant une longue période, les taux réglementés étaient inférieurs à l'inflation.
De plus, il s'agit en général d'épargne populaire. Tout le monde sait que les heureux possesseurs de fortunes imposantes peuvent, en recourant à des gestionnaires de patrimoine, optimiser leurs placements grâce à des taux souvent bien supérieurs à ceux dont peuvent bénéfier les détenteurs d'un CODEVI, d'un PEL ou d'un livret A. Ce petit « plus » apporté à des épargnants modestes ne me choque donc pas, bien au contraire.
Je suis d'ailleurs surpris de l'acharnement de la commission des finances s'agissant de la fixation des taux de l'épargne populaire. Regardons plutôt l'ensemble de la question de la rémunération et de la fiscalité de l'épargne. La solution ne peut être envisagée que globalement, non avec la seule volonté de réduire la rémunération de l'épargne populaire.
Enfin, la fixation des taux réglementés me semble faire partie de la politique économique et sociale d'un gouvernement. Même si le ministre de l'économie et des finances peut recourir à des avis, comme il vient de le confirmer, c'est lui qui, en dernier ressort, demeure libre et il doit le demeurer de fixer ces taux. La loi n'a pas à prévoir un « corridor » de fixation.
En conséquence, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, vous comprendrez que le groupe socialiste ne puisse vous suivre et adopter cet amendement, bien sûr dépourvu d'arrière-pensées politiques. (Sourires.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous êtes contre le logement social !
M. Joël Bourdin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. L'amendement défendu par notre rapporteur général me gêne d'abord sur le plan de la forme.
Il me souvient que, voilà quelques minutes, à l'article 1er, nous avons repoussé un amendement n° 167 de Mme Beaudeau qui fixait un objectif concernant le livret A. Or il me semble que cet amendement n° 9 présente exactement le même péché : c'est un cavalier et il n'a pas vraiment sa place dans ce texte.
Ensuite, sur le plan doctrinal, je suis d'accord - une fois n'est pas coutume - avec M. le ministre. On ne peut pas traiter l'épargne populaire comme on traite l'épargne d'une manière générale. Le taux du livret A, comme d'ailleurs celui du livret bleu, c'est autre chose. Il faut faire très attention à la sensibilité des épargnants populaires face aux modifications du taux du livret A.
Enfin, sur le plan technique, ce qui me gêne aussi dans cet amendement, c'est le système d'indexation. Du reste, personnellement, je ne suis guère favorable aux systèmes d'indexation, ce qui, d'une certaine façon, me facilite la tâche.
En l'occurrence, ce système d'indexation viserait à permettre de fixer des taux de rémunération du livret A qui pourraient varier d'un mois sur l'autre.
Or, l'observation de l'évolution des collectes du livret A révèle que nous avons affaire à une clientèle particulièrement sensible aux variations des taux nominaux, cette sensibilité étant d'ailleurs plus forte à la baisse qu'à la hausse.
Même à l'époque où les taux réels étaient négatifs, les épargnants ne bougeaient pas parce que le taux nominal ne variait pas. Aujourd'hui, alors que les taux réels sont tout à fait intéressants, dès qu'est annoncée une baisse du taux nominal du livret A, nous assistons à une fuite très nette des épargnants. Bien sûr, quand il est arrivé que le taux du livret A augmente, cela a, certes, entraîné une augmentation de la collecte, mais sûrement pas un mouvement de foule. A l'inverse, à la moindre baisse, la décollecte est importante, comme ce fut le cas au mois de juin dernier.
Pour ces raisons, je n'irai pas jusqu'à voter contre l'amendement défendu par M. le rapporteur - étant membre de la commission des finances, je suis un peu embarrassé -...
M. Jean-Louis Carrère. Moi aussi, j'en suis membre !
M. Joël Bourdin. ... mais je m'abstiendrai.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication ce vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cet amendement est une nouvelle illustration de la thèse selon laquelle l'actuelle rémunération des livrets défiscalisés pèserait sur le niveau des taux d'intérêt sur les marchés.
Nous ne partageons évidemment pas les attendus de cet amendement parce que nous connaissons les véritables intentions qui animent ceux qui, depuis de longues années, font cette analyse.
Il ne faut pas oublier dans ce débat que, au-delà de la question des ressources et de leur rémunération, se pose la question des emplois associés.
L'utilité sociale des livrets défiscalisés - singulièrement celle du livret A mais aussi celle des comptes et livrets d'épargne logement - n'est plus à démontrer et, de notre point de vue, en dernière instance, c'est ce dont on doit bien se souvenir.
Je relèverai simplement que notre rapporteur est beaucoup moins attentif à cette question de l'emploi des ressources quand il s'agit des sommes engagées par les établissements de crédit banalisés, alors que de nombreux exemples illustrent les montages coûteux qui peuvent être conçus sur cette ressource relativement facile d'accès que constitue l'épargne salariale à vue.
De même, il y a une certaine forme d'indécence à demander la révision des taux des livrets défiscalisés alors que nous venons de connaître plusieurs années d'accroissement spectaculaire de la capitalisation boursière de la place de Paris, accroissement qui se fait pour l'essentiel contre la croissance de l'économie réelle.
Nous voterons donc contre cet amendement n° 9.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Il est un peu dommage que cette discussion ait lieu à une heure si tardive, alors qu'il s'agit d'une question qui est au centre de notre équilibre monétaire et financier. D'ailleurs, chaque fois que l'on aborde les problèmes relatifs à cet équilibre, on bute nécessairement sur cette question ; ce fut le cas, le président Lambert en est témoin, lorsque nous avons élaboré le rapport sur le système bancaire français.
Mme Beaudeau fait état des mauvaises intentions des banquiers. Mais un homme comme le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, qui passe pour être un homme de progrès, dont les sympathies politiques ne semblent en tout cas pas être de notre côté, ne fait pas, sur ce point, une analyse différente de la nôtre.
Il faudra tout de même bien en sortir un jour parce que c'est un des points de blocage de la modernisation du système financier et bancaire français. D'ailleurs, M. le ministre le sait bien lui-même, mais il ne veut pas aller jusqu'au bout du raisonnement, pour des raisons politiques, qui sont d'ailleurs tout à fait honorables, mais qui retardent largement la modernisation de notre pays dans ce domaine.
Moi, je voterai cet amendement. Je sais bien que, même s'il est adopté au Sénat, il ne le sera probablement pas définitivement, mais il s'agit d'une occasion que nous ne devons pas laisser passer.
Une nouvelle fois, je regrette que ce débat n'ait pas lieu en pleine lumière et qu'il se tienne dans l'intimité d'une séance de nuit.
M. Marcel Deneux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Il est dommage, en effet, que nous discutions sur ce sujet, si important, à minuit et demi.
Cela étant, monsieur le ministre, je me permettrai de présenter deux objections aux propos que vous avez tenus.
Je crois d'abord que l'expression « épargne populaire » est à manier avec beaucoup de précaution s'agissant du livret A. Il suffit d'examiner le volume que représentent les livrets pleins. Voilà des gens qui profitent d'une épargne défiscalisée mais qui ne ressortissent pas véritablement à ce que l'on sous-entend généralement lorsqu'on parle d'« épargne populaire ».
Par ailleurs, je rappelle que les CODEVI conditionnent directement les prêts aux entreprises. Lorsque vous baissez les taux servis aux détenteurs de CODEVI, vous baissez du même coup le taux des prêts consentis. Ainsi, par le biais de l'impôt sur les sociétés, vous récupérez des sommes non négligeables qu'il faut aussi prendre en compte.
Quitte à m'écarter du sujet, je veux également dire mon étonnement devant les comparaisons de taux entre les parts sociales et le livret A. Personne n'intègre dans le raisonnement les incidences non négligeables de l'avoir fiscal. C'est un élément qu'il faut prendre en considération et qui invalide les raisonnements que j'ai entendus.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est pas nous, monsieur le ministre, qui avons rédigé le communiqué du 5 juin 1998, qui était très clair et commençait ainsi : « Des taux réglementés trop élevés nuisent au financement de l'économie, notamment du logement social et des PME. »
Un peu plus loin, il était indiqué : « Le Gouvernement a décidé de remédier à cette situation économiquement malsaine tout en veillant à la mise en place d'un dispositif protégeant efficacement l'épargne populaire. »
Quel était donc ce dispositif ?
« a) Le maintien de la rémunération du livret d'épargne populaire à 4,75 %, comme aujourd'hui.
« b) La création d'un comité consultatif des taux réglementés qui sera chargé de veiller à l'équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et un financement efficace du logement social et des PME pour que la situation malsaine qui existait jusqu'à présent ne se reproduise pas à l'avenir. »
Ecoutez bien, mes chers collègues, la phrase suivante : « C'est pourquoi le taux du livret A évoluera entre un plancher fondé sur une garantie de progression du pouvoir d'achat... » - le Gouvernement prenant ainsi l'engagement que le taux du livret A resterait supérieur d'au moins 1 % à l'inflation, quelle que soit son évolution - « .... et un plafond déterminé par les taux courts de marché minorés de 0,5 % ».
Ainsi, en juin 1998, vous disiez, monsieur le ministre, « évoluera entre ». Or, aujourd'hui, nous ne sommes plus à l'intérieur de cette fourchette. Ce que vous avez communiqué au mois de juin n'est plus la vérité, et de loin.
Pourtant, vous concluiez en ces termes : « Le Gouvernement démontre sa volonté d'agir concrètement, efficacement, à la fois pour la justice sociale, l'investissement, la croissance et l'emploi », propos qu'il faut toujours faire figurer en conclusion d'un communiqué de presse !
Ce n'est pas nous qui avons inventé ce dispositif, au reste de bon sens et bienvenu. Mais, peu de mois après, nous sommes sortis de cette fourchette que vous aviez définie vous-même, en prévoyant une évolution entre un terme haut et un terme bas. Monsieur le ministre, mettez donc en oeuvre les orientations que vous avez vous-même annoncées !
Nous n'avons d'autre souci que de vous y aider en rédigeant un texte de loi qui soit un peu plus directif que le vôtre et qui vous prémunisse contre des discussions à n'en plus finir alors que vous avez tant d'autres choses plus importantes à faire ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le rapporteur, depuis de longues minutes déjà, vous louez ce communiqué. Puisque vous le trouvez si bien, restons-en là et gardons-le. Pourquoi absolument changer ?
Mais ce que j'ai dit alors, comme d'ailleurs ce que j'ai dit au mois de mars dans un autre communiqué, que vous ne citez pas, c'est qu'il faut attendre la stabilisation des conditions de marché. Nous n'allons pas changer le taux de rémunération du livret A toutes les cinq minutes ! Rien ne nous dit - je parlais de l'inflation future tout à l'heure - que les taux de marché seront ce qu'ils sont dans quinze jours, dans trois semaines, dans deux mois.
M. Bourdin l'a rappelé avec beaucoup de sagesse tout à l'heure, et il connaît ces questions mieux que moi, en matière d'épargne populaire, il faut agir avec modération.
Vous m'opposez le « évaluera ». Or le Gouvernement ne s'est pas fixé de délai et, ne s'étant pas fixé de délai, il n'a en rien pu trahir sa parole.
Le dispositif comprend une borne supérieure et une borne inférieure. Lorsque ces bornes bougeront, le taux sera amené à bouger. Alors, attendons de savoir si ces bornes se stabilisent comme il est dit, en matière d'inflation vers le bas, en matière de taux de marché vers le haut. S'il le juge opportun, le Gouvernement prendra alors une décision. Mais à aucun moment, dans le communiqué que vous citez et dont vous faites votre bible momentanée, monsieur le rapporteur, il n'est dit que, dans l'heure, le Gouvernement fera telle ou telle chose. Ce serait très déraisonnable, alors même que le taux d'inflation comme d'ailleurs les taux de marché sont susceptibles de fluctuer extrêmement rapidement.
C'est toute la différence entre une action correctement conduite et la précipitation que vous voulez instaurer par une indexation. D'ailleurs, dans tous les pays où des indexations, de toute nature, ont été mises en place, il n'en est résulté que des malheurs. Je pense, vous vous en souvenez comme moi, au SMIC brésilien, qui fut indexé sur l'inflation sur les conseils d'économistes de l'école de Chicago, école que vous devez chérir par ailleurs, monsieur le rapporteur !
Prenons le temps de réfléchir à chaque fois qu'une information nous est apportée.
Au mois de mars, le comité des taux réglementés nous a proposé une baisse. Le Gouvernement a considéré que les conditions conjoncturelles n'étaient pas suffisamment stablisées pour qu'il soit sûr qu'elles revêtaient un caractère pérenne. Nous verrons ce qu'il en est un peu plus tard et, si la situation actuelle s'avère définitive, peut-être faudra-t-il alors agir pour le logement social. Mais peut-être la situation ne se stabilisera-t-elle pas au niveau actuel, et alors il ne faudra pas agir. Tout cela sera réaffirmé en temps utile.
Il n'y a aucune raison de se précipiter. Honnêtement, l'article additionnel que vous nous proposez n'apporterait pas de simplification, mais susciterait peut-être une agitation dans les taux du livret A à mesure que les taux d'inflation et les taux de marché se trouveraient eux-mêmes agités.
Le Sénat doit une bonne part de sa réputation - justifiée - à la sérénité avec laquelle il sait envisager les questions et les trancher. Je suis donc d'autant plus surpris de la nervosité avec laquelle vous souhaitez que nous réagissions sur le taux de rémunération du livret A. Sachez que nous agirons, en ce qui concerne le livret A, au pas que cette assemblée a su définir et qu'on qualifie volontiers de « train de sénateur ». (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 92:

Nombre de votants 319317
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 220
Contre 97

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 7.

Chapitre III