Séance du 5 mai 1999







M. le président. « Art. 7. - Les sommes déposées sur le premier livret des caisses d'épargne sont centralisées à la Caisse des dépôts et consignations et bénéficient de la garantie de l'Etat. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 133, présenté par Mme Printz, M. Hesling et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter, in fine, cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« S'agissant du régime du libre emploi propre aux caisses d'épargne et de prévoyance des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les décrets d'application devront respecter les dispositions prévues par le décret n° 54-1080 du 6 novembre 1954 complété et modifié, notamment par le décret n° 85-624 du 20 juin 1985 relatif à l'organisation financière du réseau des caisses d'épargne et de prévoyance. »
Par amendement n° 197, MM. Ostermann, Eckenspieller, Grignon, Haenel, Hoeffel, Jean-Louis Lorrain et Richert proposent de compléter l'article 7 par un second alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, les caisses d'épargne d'Alsace et de Moselle bénéficient d'un régime particulier en application du décret n° 85-624 du 20 juin 1985 relatif à l'organisation financière du réseau des caisses d'épargne et de prévoyance. »
La parole est à M. Hesling, pour présenter l'amendement n° 133.
M. Roger Hesling. L'article 7 du projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière supprime le régime spécifique des caisses d'épargne d'Alsace et de Moselle, qui permet à celles-ci, depuis 1895, de bénéficier du libre emploi des ressources du livret A. En effet, les établissements de ces trois départements ont la possibilité d'employer directement sur place 50 % des dépôts sur livret A en prêts aux collectivités locales et en prêts hypothécaires aux particuliers.
Ce système de financement court et décentralisé, né de la spécificité de notre région, donne globalement satisfaction aux caisses d'épargne et aux clients, il favorise le développement de l'économie régionale et s'avère indispensable à l'équilibre du tissu bancaire.
Ce régime particulier plonge ses racines dans les lois locales du 14 juillet 1885 et d'août 1912, qui instituaient pour les caisses d'épargne d'Alsace et de Lorraine-Nord une large autonomie et des règles de gestion moderne. Le législateur, par la loi du 1er juillet 1983, a pris acte de l'attachement des Alsaciens et des Mosellans à leur statut et a confirmé le maintien de ce régime du libre emploi. Le décret du 20 juin 1985 comporte, en conséquence, des dispositions spécifiques aux caisses des trois départements concernés.
Il s'agit là d'un héritage historique et culturel auquel nous tenons tous beaucoup dans la région, d'autant que, depuis toujours, le résultat financier du circuit court en place a été correct pour les caisses, les collectivités locales et les clients.
Le maintien du mécanisme du libre emploi est aussi indispensable à l'équilibre du tissu bancaire et ne constitue, en aucun cas, une menace pour la pérennité du livret A. Dans ce domaine, comme dans d'autres, le droit local est parfaitement adapté à un contexte moderne de bonne gestion. Il est fort à craindre que l'application du régime général ne se traduise par une perte immédiate et prolongée de nature à mettre en question la survie de ces établissements et qu'elle ne risque, de ce fait, de menacer gravement l'équilibre bancaire de la région.
Enfin, on oppose à notre volonté de voir maintenu le régime spécifique d'Alsace-Moselle la Commission de Bruxelles, qui n'accepterait pas cette exception. A cet argument, il convient de rétorquer, d'une part, que l'incidence financière est faible par rapport à la globalité des sommes en jeu, d'autre part, que les Sparkassen allemandes ont toujours recours au même système. Sur le plan européen, l'exception n'en est plus une !
Pour conclure, le régime du libre emploi ne mérite ni excès d'honneur ni excès de critique, il est une spécificité du droit local alsacien et mosellan, il est un héritage historique et culturel. De plus, il fonctionne bien, comme fonctionnent bien d'autres dispositions particulières, dont nous avons eu récemment à nous inspirer : mesures sur l'endettement, régime local d'assurance maladie, régime des retraites, notamment.
Monsieur le ministre, laissons fonctionner ce qui fonctionne et ne mettons pas en péril l'équilibre bancaire d'une région qui a beaucoup souffert et qui souffre encore sur les plans humain et économique.
M. le président. La parole est à M. Ostermann, pour défendre l'amendement n° 197.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, permettez-moi également de préciser la teneur de cet amendement, bien qu'il soit largement connu, puisque je l'ai longuement évoqué dans mon intervention liminaire.
Bien entendu, il s'agit du libre emploi dont bénéficient les caisses d'Alsace et de Moselle et qui a été institué par un décret de 1954 et confirmé en 1985.
Le régime est issu du droit local, que le législateur a jusqu'à présent scrupuleusement préservé et respecté.
Contrairement au monopole de la distribution du livret A, le libre emploi dont bénéficient les caisses d'Alsace et de Moselle n'a pas été évoqué par le prestigieux Conseil de la concurrence. Au-delà du texte que nous examinons, monsieur le ministre, vous ne pouvez ignorer que le droit local en vigueur en Alsace et Moselle n'est pas le résultat de manifestations ou de toute autre expression violente de rue.
Le droit local est et reste le témoin de périodes sombres de l'histoire de notre pays, périodes qui ont particulièrement marqué l'Alsace et les Alsaciens.
Aujourd'hui, vous touchez, et sans doute pour la première fois, le droit local. Vous le modifiez en utilisant, monsieur le ministre, un terme significatif : « harmonisation ». J'en prends note.
Je souhaite simplement que le droit local soit pleinement respecté en la circonstance.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 133 et 197 ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Les dispositions dont il s'agit sont traditionnelles en Alsace et en Moselle depuis plus de cent ans.
La commission des finances, vous le savez, mes chers collègues, et certains ne sont pas d'accord sur ce point, se situe dans une perspective de banalisation progressive du livret A. Dans notre conception, durant la période de banalisation, qui s'étalerait sur quelques années, et qui permettrait d'aménager les transitions nécessaires, je pense que l'on trouverait des solutions pour adapter le régime spécifique de l'Alsace et de la Moselle.
Cependant, dans l'immédiat, tirer un trait de plume sur ce régime, qui n'est certainement pas indifférent à l'équilibre économique de nombre d'activités en Alsace et en Moselle ainsi qu'au financement des collectivités territoriales, nous paraît un peu brutal, même si les dispositions prévues par le Gouvernement permettent de neutraliser l'impact financier sur les caisses d'épargne par le jeu du taux de commissionnement.
Monsieur le ministre, compte tenu du caractère délicat de ce sujet, à ce stade, la commission est tentée de s'en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée sur les deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 133 et 197 ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai déjà pu donner le sentiment du Gouvernement à l'occasion de la discussion générale.
Il s'agit là d'un dispositif qui est traditionnel et qui, cependant, crée une distorsion. Cette distorsion de concurrence est susceptible de générer quelques difficultés, non seulement d'ordre interne, mais aussi, éventuellement, d'ordre international.
Il faut donc, de mon point de vue, profiter du projet de loi dont nous débattons pour faire disparaître ce caractère historique, mais aujourd'hui sans doute obsolète, qui s'applique aux caisses d'épargne d'Alsace et de Moselle.
Pour autant, faut-il par là même défavoriser l'économie locale ? Certainement pas ! C'est pourquoi plusieurs mesures sont proposées, dont je voudrais que vous saisissiez l'importance.
La première consiste à neutraliser l'effet de la banalisation en intervenant sur le stock de crédits octroyés par les caisses d'Alsace et de Moselle. Puisque le débat porte sur la centralisation totale ou partielle et sur la perte d'autonomie, en quelque sorte, dont disposaient jusqu'alors de façon spécifique les caisses d'Alsace et de Moselle, l'idée de la neutralisation vise à ce que, pour les quelque 4 milliards de francs d'en-cours, une ligne de financement spécifique soit prévue à la Caisse nationale des caisses d'épargne à titre de compensation.
Deuxièmement, pour aller plus loin - je vous livre là une information qui n'a encore, à aucun moment, été discutée - il a semblé bon au Gouvernement de permettre aux caisses d'Alsace et de Moselle de continuer à bénéficier de cette neutralisation sur un flux. Ce n'est pas seulement le passé qui est neutralisé, c'est aussi le futur, et ce au niveau qui est aujourd'hui celui des engagements nouveaux passés chaque année, soit grosso modo 700 millions de francs. Cela veut dire que la Caisse nationale des caisses d'épargne disposera d'une ligne spécifique permettant de conserver les avantages dont disposaient les caisses d'Alsace et de Moselle au niveau d'aujourd'hui, qui est de 700 millions de francs.
Il s'agit d'un ensemble considérable : c'est non seulement la neutralisation du passé, mais aussi, dans une certaine mesure, la poursuite de l'avantage sous d'autres formes qui ne posent pas de problème de concurrence et de regards externes.
Allons plus loin : pour être sûrs que cela correspond bien aux intérêts des populations, des collectivités territoriales d'Alsace et de Moselle, ce qui avait été annoncé initialement n'est en rien retiré et le taux de commissionnement, en passant de 0,75 % à 1,2 %, apportera, en rémunération, une vingtaine de millions de francs de plus par an à ces caisses.
Je me résume : le paquet qui est proposé en marge du projet de loi pour permettre une banalisation par ailleurs nécessaire - je voudrais que vous me fassiez confiance sur ce point - consiste à neutraliser le passé, à perpétuer la réalité de l'avantage sous d'autres formes pour l'avenir et à couronner le tout avec un passage du taux de commissionnement de 0,75 % à 1,2 %.
Les deux directeurs des caisses d'épargne d'Alsace et de Moselle ont estimé que ces dispositions étaient satisfaisantes et les parlementaires au contact de cette réalité mosellane et alsacienne pourront peut-être en débattre avec eux.
Le dispositif proposé par le Gouvernement permet de sortir d'une situation qui, de toute façon, poserait un problème, par le haut, c'est-à-dire en ne défavorisant pas l'économie - c'était le risque évoqué par M. le rapporteur - qu'il s'agisse de l'économie territoriale des communes, des entreprises ou encore de toute sorte d'activités financières que pouvaient mener les caisses d'Alsace et de Moselle puisque la neutralisation est acquise et que la rémunération est augmentée.
Je ne sais pas si je saurais vous convaincre. Ce débat est complexe car il ne faut pas que ce que nous disons entre nous puisse être retenu contre le réseau des caisses d'épargne. Je veux donc rester réservé. Mais je pense très sincèrement que cet ensemble est très satisfaisant pour les caisses d'Alsace et de Moselle, je dirai même plus que satisfaisant en ce qu'il surcompense l'avantage qui existait jusqu'à présent sous une autre forme et qu'il fait disparaître par ailleurs les réserves juridiques.
Je souhaite donc que MM. Hesling et Ostermann acceptent, comme d'ailleurs l'ont fait leurs collègues de l'Assemblée nationale après la même discussion, de retirer leurs amendements afin que nous mettions en ordre et en place une procédure qui soit totalement favorable aux populations, aux entreprises et aux collectivités territoriales d'Alsace et de Moselle, sans présenter les inconvénients juridiques que j'évoquais.
M. le président. Monsieur Hesling, l'amendement n° 133 est-il maintenu ?
M. Roger Hesling. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 133 est retiré.
L'amendement n° 197 est-il maintenu, monsieur Ostermann ?
M. Joseph Ostermann. Il s'agit d'un problème économique local tout à fait sensible, à propos duquel je ne souhaite pas que le Sénat se divise. C'est pourquoi je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 197 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article additionnel après l'article 7