Séance du 25 mars 1999







M. le président. Par amendement n° 236 rectifié, MM. Pépin, Puech, François-Poncet, Michel Mercier, Gruillot, Barnier et Belot proposent d'insérer, après l'article 5 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« Des schémas interdépartementaux d'aménagement et de développement du territoire peuvent être élaborés à l'initiative des départements concernés, pour des missions qui justifient, en termes d'aménagement du territoire ou sur des compétences précises, une approche globale et concertée.
« Ces schémas devront être en cohérence avec les schémas régionaux et interrégionaux existants.
« Ils pourront donner lieu à la mise en place de conventions au sens du second alinéa de l'article L. 5411-1 du code général des collectivités territoriales. »
La parole est à M. François-Poncet.
M. Jean François-Poncet. Ces dispositions ont été proposées par l'association des présidents de conseils généraux ; elles tendent à permettre à des départements de conclure entre eux des schémas interdépartementaux, lesquels existent d'ailleurs depuis longtemps. Mme Bardou et moi-même avons conclu, depuis très longtemps, une entente interdépartementale, qui a permis de lancer le projet sur la vallée du Lot.
La question qui s'est posée à nous, lors du débat en commission, a été de savoir s'il était utile d'inscrire dans la loi une possibilité qui existe déjà dans la pratique. A cet égard, des opinions différentes se sont exprimées. Notre collègue Jean-Pierre Raffarin considère que tout ce qui est interdépartemental est, par définition, régional. Mme Bardou et moi-même ne sommes pas tout à fait de cet avis : il arrive, en effet, que les départements agissent plus vite que les régions et jamais notre opération concernant la vallée du Lot n'aurait vu le jour s'il avait fallu attendre que les régions se déterminent.
Je souhaite laisser à notre collègue Raffarin la possibilité de s'exprimer, puisqu'il défend non seulement son opinion personnelle, mais également celle de l'ensemble des régions. En fonction de ce qu'il dira, le cas échéant, j'interviendrai de nouveau, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Comme l'a indiqué M. François-Poncet, de nombreuses coopérations interdépartementales fonctionnent. Il a donné l'exemple de la vallée du Lot, mais il en existe d'autres ; notre collègue Charles Revet y a fait allusion lors des réunions de la commission.
Je suis sensible, moi aussi, aux expériences qui se sont révélées positives et, en même temps, aux préoccupations exprimées par M. Raffarin. En effet, nous cherchons des cohésions départements-régions, des cohésions interrégionales et peut-être l'introduction de cette disposition pouvait-elle, j'allais dire, quelque peu dissoudre ces cohésions.
C'est assez inhabituel, mais nous souhaitons, après avoir entendu l'avis du Gouvernement, entendre peut-être M. Raffarin.
La commission a émis un avis de sagesse, afin de laisser la Haute Assemblée décider sur ce sujet, car il s'agit d'une approche de prudence.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Les lois de décentralisation ont confié à la collectivité régionale une compétence générale en matière d'aménagement du territoire. Ces dispositions sont codifiées à l'article L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales.
L'amendement n° 236 rectifié remettrait en cause cette répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, alors même qu'une clarification est souhaitée par de nombreux élus et, me semble-t-il, par vous mêmes, puisque vous serez conduits à proposer des amendements en ce sens tout à l'heure.
En outre, cet amendement pourrait introduire une modification du découpage géographique et de l'architecture institutionnelle décentralisée de notre pays. La conclusion de schémas entre départements à l'intérieur d'une région, voire sur le territoire de plusieurs régions, sans intervention des conseils régionaux, reviendrait, en effet, à créer un niveau supplémentaire de collectivité, à modifier indirectement les limites régionales, même si l'amendement précise que les schémas interdépartementaux devront être en cohérence avec les schémas régionaux et interrégionaux existants.
Cet article additionnel paraît d'autant plus inutile que des formes variées de coopération entre départements sont aujourd'hui possibles. Des ententes, des institutions, des organismes interdépartementaux sont ainsi recensés au livre IV de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales. Bien évidemment, ces coopérations ne peuvent exister que dans les domaines de compétences du département.
En outre, en matière d'aménagement du territoire, des contrats de plan particuliers peuvent être conclus entre l'Etat, la ou les régions, et les départements concernés, lorsqu'il s'agit d'actions qui ressortissent de la compétence du département et pour lesquelles il apporte un financement.
Il me semble qu'on ne peut à la fois revendiquer la clarté dans la répartition des compétences et compliquer, multiplier les niveaux d'intervention, de planification, de programmation.
Par conséquent, en la matière, la sagesse consisterait à retirer cet amendement, qui rend les choses extrêmement complexes et qui n'apporte pas d'éléments significatifs nouveaux.
M. Jean François-Poncet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. François-Poncet.
M. Jean François-Poncet. J'ai bien entendu ce que vous avez dit, madame la ministre, mais je souhaite vous demander un éclaircissement, puisque vous désirez la clarification : adopteriez-vous la même position dans l'hypothèse où des pays se crééraient entre plusieurs régions ? En d'autres termes, vous êtes hostile, et on peut le comprendre, à des schémas interrégionaux dont l'initiative est prise par les départements. Avez-vous la même attitude en ce qui concerne les pays ? Cela me paraîtrait logique ! Dans le cas contraire, je ne vois pas pourquoi on autoriserait à l'échelon des pays ce que l'on interdirait au niveau des départements.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur François-Poncet, il me semble qu'il y a là une confusion. D'un côté, on parle de schémas de planification, où la compétence, vous me l'accorderez, relève de l'Etat pour les grands enjeux nationaux et de la région pour ce qui concerne l'aménagement du territoire régional. De l'autre côté, on parle de contrats. S'agissant des pays, il s'agit non pas de la planification territoriale, mais de contrats entre partenaires.
L'article 19 définit, de manière très précise, les modalités de reconnaissance du pays.
Bien évidemment, l'avis des conseils régionaux et généraux concernés est sollicité avant que le préfet de région arrête le périmètre du pays.
On se trouve, je le répète, devant des exercices assez différents. L'exemple que vous avez donné - l'entente interdépartementale de la vallée du Lot - est non pas un exercice stricto sensu de planification territoriale, mais un programme d'action.
M. Jean François-Poncet. Effectivement !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. C'est tout à fait différent ! Je citerai un exemple, sans préjuger d'ailleurs une décision que pourrait prendre votre assemblée en la matière. Imaginons que les deux départements de Savoie décident d'élaborer un schéma régional de Savoie. L'enjeu n'est pas tout à fait le même et les arrière-pensées politiques peuvent être majeures, indépendamment de l'avis des régions auxquelles appartiennent les départements concernés aujourd'hui.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 236 rectifié.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je partage complètement l'argumentation de M. François-Poncet, mais je pense que cet amendement n'apporte pas la bonne réponse.
Madame le ministre, je ne fais pas partie de ceux qui se battent pour la spécialisation des compétences. D'un côté, il y a un schéma de répartition ; de l'autre côté, il y a un contrat de partenariat. S'il s'agit d'un contrat, on n'est pas dans un système de spécialisation.
Naturellement, je souhaite, comme tout le monde, des compétences transparentes. Toutefois, je ne crois pas au système vertical du « qui fait quoi ». Aucun département n'aurait jamais réalisé le Futuroscope !
En fait, il faut conserver une capacité d'initiative. C'est au niveau du contrat que se mobilisent des acteurs et que s'exercent des responsabilités.
Je suis tout à fait favorable à la conclusion de contrats par des départements ; on peut très bien l'imaginer pour la vallée du Lot ou pour d'autres initiatives. Il serait tout à fait concevable que les départements de Charente et de Charente-Maritime élaborent un « plan Cognac ». Il en irait de même pour une vallée comportant des axes importants.
En revanche, je suis inquiet qu'un tel système soit inscrit dans la loi. Monsieur François-Poncet, vous avez fait allusion à l'opération concernant la vallée du Lot. Avec cet amendement n° 236 rectifié, les schémas interdépartementaux devront être en cohérence avec les schémas régionaux et les schémas interrégionaux existants. Il vous faudra donc obtenir l'avis de Montpellier et de Bordeaux afin de vérifier la cohérence de l'ensemble. Or le projet de la vallée du Lot a été réalisé sans prendre l'avis des uns et des autres.
Au fond, vive la coopération ! Faisons en sorte que la coopération interdépartementale s'organise en bonne intelligence avec le fait régional. D'ailleurs, quand on ne fait pas preuve d'intelligence, on se paralyse mutuellement et on se trouve alors en situation d'échec. La logique du contrat est celle de l'intelligence : on s'associe pour aboutir à un résultat, et non pas pour se bloquer. Tout le monde a la capacité de bloquer tout le monde !
Le présent amendement réduirait, me semble-t-il, la liberté que nous avons aujourd'hui dans ce domaine. L'équilibre auquel nous sommes parvenus entre les départements et les régions me paraît mieux assuré dans l'état actuel du droit.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jacques Oudin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Les discussions que nous venons d'avoir sur l'article 5 bis et sur l'amendement n° 236 rectifié tendant à insérer un article additionnel après l'article 5 bis me laissent tout de même un peu perplexe s'agissant de notre façon de procéder.
Il est possible d'élaborer des schémas interdépartementaux, un schéma régional d'aménagement du territoire et un schéma interrégional d'aménagement et d'équipement du territoire. Imaginons que vingt-deux régions s'associent pour élaborer un grand schéma interrégional d'aménagement du territoire. Cela n'aboutirait-il pas à un schéma national d'aménagement du territoire ?
Je suis donc perplexe : d'un côté, il y a un enthousiasme communicatif pour élaborer des schémas régionaux d'aménagement du territoire et des schémas interrégionaux, mais, d'un autre côté, quand on arrive à l'échelon national, il y a une sorte de blocage intellectuel, plus rien n'est possible ! Personne, pas plus Mme la ministre que d'autres, ne peut expliquer pourquoi on peut faire des schémas régionaux ou interrégionaux, mais pas un schéma national d'aménagement du territoire. Pourtant, il suffirait de rassembler les vingt-deux régions pour aboutir à un schéma national.
D'autre part, on sait qu'un conseil régional peut voter un schéma régional d'aménagement du territoire. On pourrait suivre le même raisonnement à l'échelon national. Or, là, on constate que le Parlement est dans l'incapacité de voter un schéma national d'aménagement du territoire. Nous sommes en plein Kafka !
D'un côté, on donne aux régions ou aux groupes de régions la possibilité d'élaborer leurs schémas interrégionaux d'aménagement du territoire, d'en débattre, de procéder à de larges consultations et de la voter ; de l'autre, à l'échelon de la représentation nationale, nous ne pouvons désormais plus exercer ces compétences qui nous étaient auparavant dévolues.
Madame le ministre, je serais très intéressé si vous pouviez m'expliquer ce système, car personne n'a été en mesure de le faire jusqu'à présent !
Cela étant dit, j'aimerais aussi savoir quels liens existeront à l'avenir entre un schéma régional ou un schéma interrégional d'aménagement du territoire et les fameux schémas d'équipements et de services.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. C'est précisé dans le texte !
M. Jacques Oudin. J'imagine qu'ils intègrent au moins la partie régionalisée des schémas d'équipements et de services. Cette situation est absurde !
M. Alain Vasselle. Absolument !
M. Dominique Braye. C'est comme tout le projet de loi !
M. Jacques Oudin. Le dispositif que nous sommes en train d'examiner est incompréhensible. Il n'y a aucune cohérence dans tout cela, et je tenais à vous le dire, madame le ministre.
Mais ce n'est pas tout !
Je lis à la page 98 de l'excellent rapport de la commission spéciale que l'article 40 A de la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral prévoit que les conseils régionaux des régions littorales peuvent élaborer un schéma interrégional du littoral, qui doit être compatible avec le schéma national d'aménagement du territoire - celui qui existait auparavant - et les schémas régionaux d'aménagement du territoire.
J'observe au passage qu'aucun schéma interrégional du littoral n'a jamais pu voir le jour et qu'aucun schéma de mise en valeur de la mer n'a pu être établi, bien qu'il ait été prévu par la loi de 1983, la loi de 1986 et le décret de décembre 1986.
Alors, mes chers collègues, je m'interroge : ne sommes-nous pas en train de voter des textes dont la cohérence n'est pas démontrée, mais dont l'inapplicabilité a été, elle, au contraire, parfaitement démontrée ?
Pour ma part, je m'abstiendrai sur cet amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 5 bis, car on ne nous a pas donné les éclaircissements nécessaires. (M. Vasselle applaudit.)
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je souhaite, non pas revenir sur la question du schéma national, mais rassurer M. Oudin sur la compatibilité des schémas régionaux avec les schémas de services collectifs : elle est expressément prévue à l'article 5.
Les régions doivent donc tenir compte des orientations nationales arrêtées dans les schémas de services collectifs et les respecter.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Pour ce qui nous concerne, nous avons adopté une règle depuis le début du débat : nous considérons qu'il n'y a pas lieu, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, de mettre en cause les compétences telles qu'elles sont définies actuellement. Tout ce qui amènerait à modifier ou à tenter de modifier les compétences des régions et des départements ne pourrait que nuire à ce texte et susciter entre nous un certain nombre de malentendus.
Or, dans cet amendement, il est question de « schémas interdépartementaux d'aménagement », alors que l'aménagement relève de la compétence des régions. Je suis donc résolument hostile à cet amendement, et je comprends parfaitement les objections de M. Raffarin.
Mme Janine Bardou. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou. Puisqu'on a évoqué à plusieurs reprises le programme de la vallée du Lot, je voudrais en dire quelques mots.
Quand le programme de la vallée du Lot a été lancé, il n'était pas encore question de régionalisation. Je ne suis d'ailleurs pas sûre que, si la régionalisation était alors entrée dans les faits, ce programme, qui s'est révélé extrêmement efficace pour la vallée du Lot, aurait abouti.
Ce débat me paraît tout de même révéler une certaine méfiance vis-à-vis des départements.
Je rappelle que le programme de la vallée du Lot concerne trois régions et de nombreux départements. Or il s'agit bien d'aménagement du territoire, à travers l'aménagement d'une rivière. Les départements ont donc bien un rôle à jouer au moins dans l'aménagement de l'espace rural. C'est pourquoi je suis donc tout à fait favorable à cet amendement.
Je n'oublie pas que j'ai été présidente d'un conseil général et je crois qu'il ne faut pas que nous figions les choses. La région doit être un lieu dynamique. Or je crains qu'un programme de ce type, qui a reçu l'accord de l'ensemble des départements concernés, ne puisse se mettre en place s'il doit recevoir de surcroît l'aval des régions.
Nous devons respecter l'initiative et la liberté d'entreprendre.
M. Jean François-Poncet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. François-Poncet.
M. Jean François-Poncet. Je ne voudrais pas décevoir Mme Bardou, parce que nous sommes, en effet, attachés depuis longtemps à une opération, celle de la vallée du Lot, qui est sans aucun doute la principale opération d'aménagement et de développement rural de France : je ne crois pas qu'il en existe une autre qui ait cette ampleur géographique et cette incidence économique.
J'espère donc que Mme Bardou ne m'en voudra pas si je dis que j'ai été convaincu par notre collègue M. Raffarin, notamment lorsqu'il a expliqué que cet amendement, en réalité, limitait plus qu'il n'étendait les possibilités des départements.
Mieux vaut peut-être ne pas légiférer en la circonstance puisque ce que nous avons pu faire, nous pouvons le recommencer. Les ententes interdépartementales existent dans la loi ; personne n'a, à ma connaissance, à ce stade, modifié le dispositif sur ce point. Après tout, si nous prévoyons des mises en conformité, nous alourdissons un mécanisme existant.
Par conséquent, n'apercevant aucun autre signataire de cet amendement, je prends sur moi de le retirer.
M. Alain Vasselle. C'est la sagesse !
M. le président. L'amendement n° 236 rectifié est retiré.

Demande de réserve