M. le président. « Art. 6. _ Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-5 ainsi rédigé :
« Art. 1386-5 . _ Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement.
« Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation. »
Par amendement n° 4, M. Fauchon, au nom de la commission des lois, propose de supprimer le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-5 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cet amendement nous ramène à une question beaucoup plus simple qui relève, je crois, du bon sens : celle de la date de mise en circulation du produit.
Je rappelle que ce texte comporte une disposition assez particulière. En effet, la durée de responsabilité pour un produit est de dix ans, c'est-à-dire que, passé ce délai, on ne peut, quoi qu'il arrive, engager l'action créée par la directive.
C'est assez inhabituel dans notre droit. Cette disposition ressemble un peu à ce que l'on appelle, en matière de construction, la garantie décennale, et c'est d'ailleurs le seul élément que je trouve comparable.
Comme pour tous les délais, la question du point de départ est évidemment très importante. A partir de quand les dix ans commencent-ils à courir ? A partir de la mise en circulation. Selon le texte en effet, « un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement ».
Nous pensons, pour notre part, que la mise en circulation - c'est ce que nous avions voté précédemment - peut être multiple. En effet, le produit est mis en circulation à la sortie de l'usine. Après cela, il peut être stocké pendant un temps indéterminé, et on ne peut savoir quelle est la gestion des stocks. Ensuite, le produit arrive chez le grossiste, qui lui aussi peut le stocker sans que personne n'en sache rien. Puis, le produit parvient au détaillant, où il peut rester encore un certain temps. Enfin il est réellement mis en circulation, c'est-à-dire qu'il entre dans le public.
C'est à partir de ce moment que le délai de dix ans doit commencer à courir. En effet, il est évident que celui qui acquiert le produit ne peut pas savoir que celui-ci a déjà dormi dans tel ou tel entrepôt pendant deux ou trois ans, voire davantage. Il ne peut voir défalquer de sa période de garantie la période antérieure à l'achat, qu'il ne peut évidemment pas contrôler.
Il me paraît donc tout à fait illogique que le système de l'Assemblée nationale n'admette que la première mise en circulation. Dans ces conditions, en effet, le délai de dix ans d'extinction de la responsabilité sera réduit de la période qui s'écoulera entre le moment où le produit sort de l'usine et celui où il entre pour de bon en circulation dans le public.
Je pense que ce n'est pas ce que l'on a voulu. D'ailleurs, les autorités de Bruxelles, vous l'avez rappelé à l'Assemblée nationale, madame la ministre, n'ont pas du tout souscrit à l'idée d'une mise en circulation unique.
Vis-à-vis de celui qui va subir le dommage, cette période doit courir à partir du moment où il dispose du produit. C'est évident et cohérent avec l'idée selon laquelle la responsabilité peut être recherchée soit du chef du producteur, soit du chef du distributeur final.
Une autre solution serait évidemment défavorable aux victimes, surtout pour le cas des produits qui sont stockés assez longtemps avant d'être distribués. Je sais bien que, dans le monde où nous vivons, ce sont peut-être des hypothèses assez rares, puisque les produits fabriqués sont rapidement vendus, je le reconnais, mais même si elle sont rares, elles peuvent se réaliser et il n'y a pas de raison que celui qui a acheté un produit qui a « vieilli » dans l'entrepôt du producteur ou du grossiste subisse une réduction de sa période de garantie de dix ans. Cette période doit être la même pour tout le monde, et elle part du jour de l'acquisition.
En plus, surgit une difficulté pratique : il est très difficile pour de nombreux produits de savoir quand ils ont été mis en circulation par le producteur. Quand telle cuisinière, tel mobilier audiovisuel sont-ils sortis de l'usine ? Vous vous rendez compte de la difficulté d'en rechercher la date ? Il n'y a pas de procès-verbal, ce n'est pas clair, la preuve est très difficile à apporter. En revanche, la preuve du jour où l'on a acheté un produit est évidemment facile. On dispose d'une facture, on sait très bien quand on a acheté un produit, car il y a un bon de garantie qui date de ce jour-là. De surcroît, c'est plus simple. C'est donc à la fois plus simple, plus juste et plus cohérent.
Le délai d'extinction de la responsabilité doit toujours être de dix ans pour le client, il ne doit pas être entamé. De plus, son point de départ doit être facilement identifiable.
C'est la raison pour laquelle je vous demande d'accepter cet amendement, qui tend à supprimer l'idée d'une mise en circulation unique, ab initio à la sortie de l'usine du produit.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer lors de la discussion générale, les services de la Commission européenne m'ont fait connaître qu'ils estiment que l'unicité de mise en circulation, telle que prévue par la présente proposition de loi, ne constitue pas une transposition correcte de la directive parce qu'elle ne distinguerait pas entre les parties composantes d'un produit et le produit lui-même.
Or il est clair que la mise en circulation s'opère distinctement pour les éléments et le bien lui-même après incorporation.
Je constate en tout cas que le second alinéa du texte proposé par l'article 6 pour insérer un article 1386-5 dans le code civil est source d'ambiguïté. Je ne suis donc pas hostile à sa suppression, en laissant ainsi le soin aux tribunaux d'apprécier la notion de mise en circulation.
C'est la raison pour laquelle je m'en remets, sur l'amendement n° 4, à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Mon explication de vote est en même temps une question.
Je constate très clairement que cela concerne de nombreux produits.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout produit !
M. Guy Cabanel. Je prendrai le cas de l'industrie pharmaceutique.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas la peine puisqu'elle va être exonérée ! (Sourires.)
M. Guy Cabanel. Cela n'a rien à voir, ne plaisantez pas !
M. le président. Veuillez poursuivre votre explication de vote, monsieur Cabanel.
M. Guy Cabanel. Je poursuis sans m'émouvoir, monsieur le président.
Le produit pharmaceutique a une date d'émission et il a même une date de péremption. Dès lors il n'est pas visé par cet article.
Je ne saisis pas très bien la compatibilité qu'il peut y avoir entre un produit sur lequel figure une date d'émission et une date de péremption - c'est le cas du produit pharmaceutique - et les autres produits. Je veux bien supprimer le second alinéa, mais j'ai un sentiment d'insatisfaction.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est évident que si la date de péremption est expirée au moment de la consommation, le consommateur est en faute.
Mais, encore une fois, vous pouvez acheter un produit qui a été fabriqué voilà quelques années. Le pharmacien pourrait vous vendre un produit pour lequel le délai de la responsabilité du producteur expirera dans un ou deux ans. Alors vous n'auriez donc plus qu'un ou deux ans de garantie ? Avouez-le, ce n'est pas normal !
Nous sommes tous acheteurs de produits et nous entendons bien que les garanties courent à partir du moment de l'achat et non de la fabrication, qui peut quelquefois remonter à trois ou quatre ans. Cela me paraît être le bon sens !
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. L'argumentation de notre rapporteur ne peut être retenue. Un produit est mis en circulation une fois, et une seule fois, le jour où le producteur - est assimilé au producteur le professionnel qui commercialise le produit au nom du producteur - s'en dessaisit volontairement, c'est-à-dire le jour où il le met en vente.
Ce que M. Fauchon vient de dire supposerait que l'acte d'achat par le pharmacien d'un produit auprès d'un laboratoire aurait déjà été considéré comme une première mise en circulation. Non ! La loi est claire : il s'agit du rapport entre les professionnels et les consommateurs. C'est à partir du moment où il y a acquisition par un consommateur qu'il y a mise en circulation, et pas avant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, ainsi modifié.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7