M. le président. Je suis saisi par M. Lambert, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat,
« Considérant que la maîtrise de la dépense est la condition première du rétablissement de nos finances publiques ; que l'Assemblée nationale n'a pas respecté cette condition en rétablissant l'intégralité des crédits budgétaires supprimés en première lecture par le Sénat et en portant à 22,6 milliards de francs l'accroissement des dépenses du budget général dans le projet de loi de finances pour 1998 par rapport à la loi de finances initiale pour 1997 ;
« Considérant que la baisse des prélèvements obligatoires est indispensable tant pour dynamiser l'activité économique et créer des emplois durables que pour assurer la compétitivité de notre système fiscal dans l'espace économique européen et mondial ; que, en refusant de poursuivre le programme quinquennal de baisse de l'impôt sur le revenu et en augmentant les prélèvements sur les entreprises, l'Assemblée nationale hypothèque la croissance pour 1997 et place notre économie dans une situation de compétitivité dégradée ;
« Considérant que le Sénat a entendu préserver la création et le maintien en France d'emplois et d'activités en aménageant le régime des provisions pour fluctuation de cours, en supprimant la fiscalisation des produits des contrats d'assurance-vie et en rétablissant la déductibilité des provisions pour licenciement ; qu'il a également entendu aménager, pour en préserver l'efficacité, les dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer et à la construction de navires de commerce ;
« Considérant que le Sénat a en outre adopté plusieurs dispositions visant à rétablir une hiérarchie appropriée des rendements entre l'épargne courte et l'épargne longue et à inciter au développement des placements en fonds propres ;
« Considérant que le Sénat a jugé indispensable de garantir la protection des droits des contribuables face aux exigence incontournables du contrôle fiscal et de réhabiliter la procédure de l'abus de droit de préférence à des modifications incessantes de la loi fiscale ;
« Considérant que le Sénat a souhaité maintenir le plafond des salaires concernés par la ristourne dégressive des charges sociales au niveau de 1,33 SMIC afin de conforter le maintien des emplois peu qualifiés dans un contexte de compétition internationale très sévère ;
« Considérant que le Sénat a voulu limiter les conséquences dommageables pour les petits épargnants du plafonnement de la restitution de l'avoir fiscal et a souhaité actualiser le barème de l'impôt sur la fortune conformément à une tradition de traitement équitable des contribuables ;
« Considérant que le Sénat n'a pas estimé souhaitable, au regard de leur affectation, de majorer les tarifs de la taxe de sûreté et de sécurité dans les aéroports, ni le taux du prélèvement sur les jeux exploités par la Française des jeux, qu'il n'a pas jugé non plus souhaitable que le produit de la contribution sur les organismes collecteurs du 1 % logement puisse être utilisé pour financer des aides personnelles au logement ;
« Considérant que le Sénat a introduit des dispositions tendant à améliorer les modalités d'éligibilité au FCTVA de travaux d'intérêt général et à permettre une souplesse de fixation des taux des impôts locaux dans le cadre de l'intercommunalité ;
« Considérant que l'Assemblé nationale, en nouvelle lecture, est revenue pour l'essentiel au texte adopté par elle en première lecture, et a donc refusé de prendre en considération la plus grande partie des dispositions de fond insérées par le Sénat,
« Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 1998 adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 190). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à M. le rapporteur général, auteur de la motion.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Monsieur le président, j'ai veillé, dans la discussion générale, à motiver cette motion. Je considère donc qu'elle est défendue.
M. le président. La parole est à M. René Régnault, contre la motion.
M. René Régnault. Le groupe socialiste du Sénat est totalement opposé à cette question préalable, et d'abord pour des raisons de fond que mon collègue, M. Gérard Miquel, a fort excellemment rappelées il y a quelques instants à la tribune. Les arguments utilisés, pour nous inacceptables, ne peuvent être retenus. Ce budget - on ne le dira jamais assez - est en effet excellent, car c'est un budget pour la croissance, pour l'avenir, pour la solidarité. Il correspond aux attentes des Français en permettant à la France de rentrer dans l'euro. Il traduit aussi un réel assainissement de nos finances publiques.
Mais nous sommes encore plus opposés à cette question préalable pour des raisons de forme. La majorité sénatoriale entraîne, en effet, la Haute Assemblée dans un refus de l'examen de textes qui est réellement préoccupant, d'autant plus préoccupant après la décision inconcevable et inqualifiable qui a été prise, cet après-midi, concernant l'ordre du jour.
Voilà maintenant que nous n'allons pas examiner le budget de la France, alors que le vote du budget est l'acte principal et fondateur des assemblées parlementaires ? Nous en prenons acte.
Mes chers collègues, nous constatons le profond désaccord qui existe entre la majorité sénatoriale et la minorité. Nous observons que votre attitude est cohérente, mais nous espérons encore que vous n'adopterez pas cette question préalable.
Je me tourne vers vous, monsieur le secrétaire d'Etat. Le groupe socialiste aurait aimé manifester dans cette enceinte le jugement positif que votre budget justifiait au regard de nos analyses et de nos attentes. Notre confiance et notre engagement vous sont toutefois totalement acquis.
Je vous remercie, mes chers collègues, de la décision que vous prendrez dans un instant en refusant d'adopter la question préalable ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement rejette les considérants de cette question préalable. Il s'en remet à la sagesse du Sénat, en marquant tout de même sa désapprobation.
M. le président. Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe politique, pour une durée n'excédant pas cinq minutes.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. A l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, qui a achevé, ce matin, la nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 1998, force est de constater que le texte soumis à notre examen n'a plus qu'un rapport très lointain avec le contre-budget courageux et constructif voté par le Sénat en première lecture.
Le travail responsable et approfondi que nous avons effectué sur ce budget se fondait sur le double engagement de réduire les prélèvements obligatoires et la dépense publique. Nous y sommes parvenus, n'en déplaise à nos collègues de l'opposition sénatoriale et de la majorité plurielle de l'Assemblée nationale.
Que constatons-nous maintenant ? Le texte adopté par l'Assemblée nationale nous revient avec les 60 milliards de francs de prélèvements supplémentaires sur les entreprises et sur les ménages que nous avions dénoncés la semaine dernière.
Certains nous reprochent d'avoir voté la poursuite de la réforme de l'impôt sur le revenu sur laquelle, d'ailleurs, de très nombreuses inexactitudes ont été proférées.
Elle aurait réservé ses effets aux seuls contribuables les plus aisés. Quoi de plus faux ? Qui peut nier qu'elle aurait eu pour conséquence de baisser l'ensemble des tranches du barème de l'impôt sur le revenu ! Un couple ayant 200 000 francs de revenus aurait vu son impôt baisser de 28 % à l'issue de la réforme. Fait-on partie des contribuables aisés lorsque l'on a des revenus de ce niveau ?
Certains ont voulu nous démontrer que cette réforme n'était pas financée. Comment peut-on défendre pareille position ? Même les membres du Gouvernement ne croient plus à cet argument.
A l'occasion de la discussion générale au Sénat, le 20 novembre dernier, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a déclaré que la majoration de l'impôt sur les sociétés avait servi à financer la réforme de l'impôt sur le revenu pour 1997, mais, quelques minutes plus tard, M. le secrétaire d'Etat au budget déclarait que cette même majoration de l'impôt sur les sociétés remplaçait des recettes de TVA prétendument manquantes.
Qui a raison ? Qui a tort ? Autant de questions sans réponse, mais les approximations et les contradictions sont bien là. La réforme de l'impôt sur le revenu était financée, et tout le reste n'est que polémique.
Ce que le Gouvernement engage pour 1998, c'est le matraquage fiscal - oui, l'expression ne plaît pas, mais il faut bien la répéter - des familles, des petits épargnants, des retraités et des entreprises.
Rappelons-nous, mes chers collègues, la division par deux de la réduction d'impôt pour emplois familiaux, qui est indissociable de la réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, et de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales !
Même s'il a fait un geste envers les personnes dépendantes, comme lui demandait le Sénat, faut-il croire que le Gouvernement veut renvoyer les femmes au foyer et inciter au travail au noir ?
Les entreprises sont touchées de plein fouet : majoration de 15 % de l'impôt sur les sociétés, doublement de la taxation des plus-values à long terme, suppression de la provision pour licenciement. Comme si les entreprises licenciaient pour des raisons fiscales !
Que dire des mesures remettant en cause les allégements de cotisations sur les bas salaires ? Chacun sait qu'il s'agit là de la seule politique possible pour créer des emplois. Chacun connaît les résultats enregistrés par cette politique, et vous voulez la supprimer !
Mais n'oublions jamais la raison de cette suppression : le financement des emplois-jeunes, la destruction d'emplois marchands au bénéfice d'emplois non marchands dans des secteurs parapublics.
Que dire de votre obstination à engager le pays sur la voie, que je pourrais presque qualifier de suicidaire pour nos entreprises et notre économie, du passage obligatoire aux trente-cinq heures de travail hebdomadaires ?
D'ailleurs, pour ces deux projets, nous dénonçons de nouveau la faiblesse des crédits alloués par le Gouvernement pour 1998, alors que ses déclarations semblaient les avoir élevés en priorité.
L'autre cible privilégiée du Gouvernement, ce sont les épargnants, et donc les retraités, pour lesquels, souvent, une épargne constituée à force d'efforts pendant toute une vie est un complément aux pensions de retraite.
Que dire de l'attitude du Gouvernement sur des questions aussi emblématiques que les quirats ou la loi de défiscalisation outre-mer ?
Le Gouvernement a souhaité faire machine arrière sur l'assurance vie, et nous n'avons pas eu le sentiment que votre majorité plurielle, monsieur le secrétaire d'Etat, vous suivait avec un enthousiasme débordant.
Les Français ont également du mal à suivre. Le Gouvernement n'a cessé de nous répéter qu'il voulait rééquilibrer la fiscalité du travail et la fiscalité du capital, Cette volonté l'honore, mais, si nous en sommes arrivés à la situation actuelle, ne serait-ce pas à cause de la politique menée pendant dix ans par les gouvernements socialistes, qui ont augmenté de 10 % les prélèvements sur le travail et diminué de 40 % la taxation des revenus financiers ? Pourquoi le Gouvernement, après avoir proclamé cette volonté, fait-il l'inverse en supprimant les mécanismes d'allégement du coût du travail ?
Face à autant de contradictions, l'attitude du Sénat apparaît réellement comme la seule alternative plausible pour la France à la politique budgétaire proposée par le Gouvernement pour 1998, qui consiste à augmenter les prélèvements obligatoires et à exonérer l'Etat de tout effort en matière de dépenses de fonctionnement.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Yann Gaillard. Je conclus, monsieur le président !
Réduire les crédits inscrits aux titres III et IV des budgets des ministères non régaliens de 1,44 % ne procède pas d'une logique purement comptable.
Ce faisant le Sénat a été accusé de porter « un mauvais coup » aux Français. Qu'est-ce que ce sera lorsque le Gouvernement procèdera à des gels de crédits qui feront regretter ce taux de 1,44 %, en début d'année !
Ce budget ne prépare pas la France aux défis de l'avenir. Au contraire, il aura pour conséquence de la faire se replier sur elle-même et de l'éloigner encore un peu plus de la voie empruntée par nos partenaires.
C'est pour toutes ces raisons que le groupe du RPR votera la question préalable.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet du projet de loi.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 67:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 217
Contre 97

En conséquence, le projet de loi est rejeté.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, si vous en êtes d'accord, je suggère que vous appeliez en discussion dès à présent le projet de loi de finances rectificative pour 1997.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Avis très favorable.
M. le président. Nous allons donc aborder l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1997.

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