M. le président. « Art. 50 bis . - Le dernier alinéa du I de l'article 92 B du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : "Elle est fixée à 50 000 francs à compter de l'imposition des revenus de 1998." »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° II-81, M. Lambert, au nom de la commission des finances, propose de rédiger comme suit cet article :
« I. - L'article 92 B du code général des impôts est ainsi modifié :
« A. - Le I. est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« A compter de l'imposition des revenus de 1998, la limite mentionnée au premier alinéa ne s'applique plus. »
« B. - Le I. bis est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ces gains ne bénéficient pas de l'abattement prévu au deuxième alinéa du 1. de l'article 94 A. »
II. - Le 1. de l'article 94 A du code général des impôts est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« A compter de l'imposition des revenus de 1998, il est opéré un abattement annuel de 8 000 F pour les contribuales célibataires, veufs ou divorcés et de 16 000 F pour les contribuables mariés soumis à imposition commune.
« Les contribuables concernés par le précédent alinéa peuvent effectuer le calcul de leurs plus-values en retenant, pour l'ensemble des titres cotés et assimilés détenus au 31 décembre 1997, le prix de revient réel des titres ou un prix de revient forfaitaire, égal à 85 % de leur cours coté au 29 décembre 1996. Ils font connaître leur choix au service des impôts, au plus tard lors du dépôt de la déclaration de revenus pour 1998. L'option exercée concerne tous les titres détenus au 31 décembre 1997 par l'ensemble des membres du foyer fiscal. Cette option est définitive. »
« III. - Les pertes de recettes résultant du II ci-dessus sont compensées par une majoration, à due concurrence, des droits de consommation prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° II-132, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit l'article 50 bis :
« Le dernier alinéa du I de l'article 92 B du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : "Elle est fixée à 50 000 francs à compter de l'imposition des revenus de 1998 et ne s'applique plus à compter de l'imposition des revenus de 1999." »
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° II-81.
M. Alain Lambert, rapporteur général. L'article 50 bis, introduit à l'Assemblée nationale, tend à abaisser à 50 000 francs le seuil d'imposition des gains nets en capital réalisés à l'occasion de cessions à titre onéreux de valeurs mobilières. Le seuil de déclenchement de l'imposition est, depuis 1997, de 100 000 francs de cessions. En dessous de ce seuil, les plus-values ne sont pas taxées ; au-dessus, elles le sont au premier franc.
Dans le souci de rééquilibrer la taxation des revenus du travail et des produits du capital, l'Assemblée nationale a décidé de poursuivre l'abaissement du seuil d'imposition des plus-values initié par le précédent gouvernement.
Mais quatre observations s'imposent aux yeux de la commission des finances.
Premièrement, la taxation de droit commun des plus-values mobilières s'est alourdie au cours de ces dix dernières années. Cet alourdissement a porté tant sur l'assiette que sur le taux de l'impôt. En l'espace de dix ans, le taux d'imposition des plus-values mobilières est passé de 16 % à 26 %. Concernant l'assiette, le seuil d'exonération des plus-values, qui était de 342 800 francs en 1995, a été réduit à 200 000 francs pour les revenus de 1996 et à 100 000 francs pour les revenus de 1997.
Deuxièmement, la taxation des plus-values mobilières en France se situe désormais au niveau le plus élevé des pays européens.
Troisièmement, la taxation des plus-values est économiquement maladroite et fiscalement inéquitable.
Quatrièmement, le rééquilibrage de la fiscalité des revenus du travail par rapport à ceux du capital n'est au fond qu'un alibi pour justifier une augmentation des prélèvements obligatoires.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances demande de modifier le dispositif actuel afin, d'une part, de prendre en compte non pas le montant des cessions réalisées, mais celui des plus-values effectivement encaissé et, d'autre part, de procéder par voie d'abattement et non par voie de seuil. Cet abattement pourrait être fixé à 8 000 francs pour un célibataire et à 16 000 francs pour un couple marié.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° II-132.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à abaisser de 100 000 francs à 50 000 francs le seuil d'imposition des plus-values de cession d'actif mobilier.
Nous ne pouvons, bien entendu, qu'approuver cette mesure de justice et d'équité fiscale qui permet d'envisager dans un proche avenir une imposition au premier franc d'un certain nombre de produits financiers.
Nous sommes même convaincus que la suppression progressive des prélèvements libératoires existants et l'intégration des revenus du capital et du patrimoine dans l'assiette de l'impôt sur le revenu devraient être la principale orientation de la réforme fiscale. Un tel dispositif rendrait l'impôt sur le revenu plus efficace et plus proche des revenus réels des contribuables. Il ouvrirait même la voie, si la situation le permettait, à une réduction des taux d'imposition, de la TVA ou de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Nous proposons donc, dans cette logique, la suppression pure et simple du seuil d'exonération des plus-values à compter de l'année 1999, ce qui marquera une nette inflexion par rapport à la pratique actuelle et réhabilitera d'une certaine façon la justice fiscale.
On pourrait certes nous objecter que l'abaissement du seuil d'exonération, voire sa disparition frapperait, d'abord, les plus petits investisseurs, les plus gros n'échappant pas à l'application du prélèvement libératoire sur la totalité de leurs revenus financiers.
Pour autant, cette mesure nous semble être la première à prendre pour parvenir, in fine , à la suppression pure et simple du prélèvement libératoire, seule solution acceptable pour ce qui concerne les cessions de valeurs mobilières. C'est pourquoi, mes chers collègues, nous vous demandons d'adopter l'amendement n° II-132.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° II-132 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s II-81 et II-132 ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. L'amendement n° II-81, présenté par la commission des finances, n'est pas acceptable, et ce pour deux raisons.
La première tient à son coût qui est de l'ordre de 1,3 milliard de francs, ce qui est une somme importante. La seconde tient aux difficultés que son application entraînerait pour les contribuables en dépit du souci de simplicité qui vous anime, monsieur le rapporteur général.
La fixation d'un seuil d'imposition des plus-values, même à 50 000 francs, permet à de nombreux contribuables de ne pas avoir à déclarer celles-ci lorsque le montant des cessions de valeurs mobilières est inférieur à cette somme. Si ce seuil est supprimé - et la même remarque vaut pour l'amendement n° II-132 - les établissements financiers devront calculer les plus-values et demanderont donc une rémunération à cet effet aux épargnants.
J'ajoute un argument qui n'est pas négligeable : bien qu'exonérées grâce à l'abattement, les plus-values qui seront, si je puis dire, déclarées au premier franc seront frappées par des prélèvements sociaux auxquelles elles échappent aujourd'hui.
Vous vous êtes également référé à des exemples étrangers. Permettez-moi d'indiquer qu'en Grande-Bretagne, exemple fréquemment cité dans la Haute Assemblée, les plus-values sont taxées au taux marginal de 40 %, après l'application d'un abattement à la base de 6 300 livres. Ce régime comporte donc un taux qui est beaucoup plus élevé que celui qui est appliqué en France.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° II-81.
La préoccupation qui sous-tend l'amendement n° II-132 est très respectable, mais la suppression du seuil d'imposition des plus-values compliquerait considérablement, comme j'ai essayé de l'expliquer tout à l'heure, la vie de contribuables qui ne sont pas véritablement aisés. C'est pourquoi, madame Beaudeau, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-81.
M. Michel Sergent. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. M. le rapporteur général écrit dans son rapport que « les revenus de l'épargne justifient d'un traitement fiscal privilégié en raison de l'importance de celle-ci dans la réalisation de l'équilibre économique... ». Il souhaite même l'améliorer encore.
Pour notre part, nous estimons que le travail compte autant dans la création de la richesse économique que le capital. Mais chacun est libre de penser le contraire.
En revanche, il apparente la volonté affichée par le Gouvernement à un slogan politique. Je trouve étrange et quelque peu choquant, je l'avoue, que de telles affirmations figurent dans le document de référence qu'est le rapport général sur le projet de loi de finances pour 1998.
Que vous ne soyez pas d'accord avec nous, monsieur le rapporteur général, est une chose, et nous l'admettons parfaitement. Mais que vous dénigriez jusque dans les documents dits techniques notre position relève d'une démarche plus politicienne que politique.
Vous avez dit tout à l'heure que vous étiez fier de la position de la commission des finances et de sa majorité. Mais, nous aussi, nous sommes très fiers de nos positions. La lutte des classes, la chasse aux sorcières, ce sont des images d'un autre temps. Il ne faut pas être caricatural. Nous défendons des propositions qui tendent à assurer une plus grande justice fiscale.
Vous vous étonnez que nous ne touchions pas aux produits défiscalisés et vous y voyez même une incohérence. Or notre choix s'explique aisément puisque le Gouvernement ne souhaite pas toucher les revenus modestes en général et la petite épargne en particulier, qui a souvent bien du mal à se constituer.
Il est, en revanche, normal de demander aux couches les plus fortunées de la population un effort supplémentaire, ne serait-ce qu'au titre de la solidarité.
Pour le reste, nous sommes hostiles au nouvel abattement proposé par la commission des finances. Nous pouvons certes réfléchir pour savoir s'il convient de taxer les cessions ou les plus-values. Il s'agit d'une vraie question. Mais, sur le fond, il ne nous paraît pas opportun d'offrir un nouvel avantage fiscal. L'épargne, comme le reconnaît lui-même M. le rapporteur général, bénéficie, par le biais des plans d'épargne en actions, dans la limite de 600 000 francs, d'une exonération de la taxation des plus-values. Qui, aujourd'hui, peut placer plus de 600 000 francs ? Il ne nous semble pas raisonnable d'aller au-delà sauf à vouloir encore accorder des avantages fiscaux à ceux qui en ont déjà beaucoup.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. La démarche de M. le rapporteur général me semble très utile car il a soulevé opportunément un problème de fond. Notre système nous conduit, depuis longtemps, à raisonner en termes de seuil de cession alors que la bonne démarche, sur le plan économique, consisterait à appréhender le montant des plus-values dégagées et de les taxer au-delà d'une limite à définir.
M. le rapporteur général, par sa démarche, nous rappelle simplement une évidence : le seuil de cession peut résulter de différentes opérations, mais ne pas conduire à la réalisation de plus-values très substantielles, alors que la véritable assiette fiscale est bien le montant des plus-values réalisées.
M. le secrétaire d'Etat a indiqué, à la suite de l'intervention de M. le rapporteur général, que des fiscalités étrangères, qui ont procédé à d'autres arbitrages que nous, ont adopté ce raisonnement. Mais il faut savoir que la France a une particularité qui a été fort bien illustrée, récemment, lors d'une réunion de la commission des finances, par le professeur André Babeau, qui est une autorité en matière de fiscalité de l'épargne, et nul ne le contestera, en tout cas certainement pas vous, monsieur le secrétaire d'Etat.
Il nous a dit en effet que nous empilions tous les instruments possibles et imaginables de politique fiscale parce que, en réalité, nous ne voulions jamais choisir. Nous fiscalisons le capital, le revenu et les plus-values ; nous avons l'impôt local, l'impôt national et, en définitive, les strates s'ajoutent les unes aux autres. On en arrive nécessairement à des effets pervers et à ne plus comprendre cette fiscalité qui devient de plus en plus sophistiquée.
Au sein même d'une majorité inchangée, il nous est proposé, chaque année des sophistications supplémentaires. Il ne peut qu'en être de même, a fortiori, lorsque se produit une alternance et que la nouvelle majorité veut montrer l'existence d'une inspiration nouvelle, même si s'expriment toujours les mêmes conceptions qui émergent de la part des technostructures.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'amendement n° II-81 est très pédagogique parce qu'il conduit à remettre en cause des modes de raisonnement que nous considérons comme trop évidents. Il me paraît donc utile que cet amendement soit voté pour les raisons qui ont été exposées par M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Tout d'abord, je dirai à M. Michel Sergent que je partage son point de vue : la force des arguments ne nécessite pas l'emploi de mots blessants. En effet, nous devons, les uns et les autres, veiller à ce que le débat politique et démocratique demeure fondé sur une argumentation, et non pas sur des mots offensants. Si les mots figurant dans mon rapport écrit sont blessants, ce n'est pas ce que j'ai voulu faire.
M. Michel Sergent. Venant de vous, monsieur le rapporteur général, je n'en doutais pas.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je vous prie donc d'accepter mes regrets monsieur Sergent.
Cela étant, je n'ai pas de regret en ce qui concerne l'amendement de la commission. En effet, ainsi que M. Marini l'a très bien dit, ce débat est ouvert depuis longtemps. C'est l'Assemblée nationale qui l'a ouvert en 1990. Je fais référence au rapport Hollande, bien connu, qui concluait sur la nécessité de réfléchir plus au niveau de la plus-value réalisée que sur le volume de transactions. Le débat est utile. Peut-être reviendra-t-il un jour ? Le Gouvernement qui sera alors en fonction considérera peut-être que le dispositif préconisé par le Sénat est le meilleur.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez évoqué, voilà un instant, les difficultés de calculer les plus-values sur actions. Ces difficultés s'étaient déjà posées à l'occasion de la taxation des OPCVM de taux au premier franc et elles avaient été surmontées. Certes, les opérateurs eux-mêmes font valoir que des difficultés peuvent surgir. Cependant, l'expérience des OPCVM a montré que de telles difficultés sont surmontables.
S'agissant du chiffrage, pouvons-nous au moins nous mettre d'accord sur le fait qu'il est difficile à établir. Le chiffre retenu par les services de la commission des finances est de 580 millions de francs. Nous ne nous situons donc pas sur le même niveau. J'ignore qui a raison et qui a tort.
Par ailleurs, vous avez fait des comparaisons avec la Grande-Bretagne et l'Espagne. Je préciserai que, en Grande-Bretagne, l'abattement est de 60 000 francs pour un célibataire et de 120 000 francs pour un couple. Je rappelle que notre amendement prévoit un abattement de 8 000 francs pour un célibataire et de 16 000 francs pour un couple.
Pour toutes ces raisons je recommande vivement au Sénat d'adopter l'amendement présenté par la commission des finances.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. La discussion s'étant très bien déroulée jusqu'à présent, je souhaiterais apporter une précision sur le chiffrage pour éviter toute ambiguïté et toute contestation entre la commission des finances et le Gouvernement.
Le chiffre de 580 millions de francs que vous avez cité représente le coût de l'abattement seul. Or, vous avez introduit une disposition supplémentaire de valorisation forfaitaire du prix de revient des titres en portefeuille au 31 décembre 1997. Le coût de l'abattement augmenté du coût de ce dispositif de prix de revient s'élèverait - la précision n'est pas parfaite - à 1 300 millions de francs.
Cela étant dit, je maintiens la position du Gouvernement, à savoir le rejet de l'amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-81, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 50 bis est ainsi rédigé et l'amendement n° II-132 n'a plus d'objet.

Article 50 ter