M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la fonction publique et la réforme de l'Etat.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que l'on appelle budget de la fonction publique dans la discussion que nous allons avoir recouvre deux exercices bien différents et d'ordres de grandeur tout à fait distincts : d'un côté, l'analyse des charges de personnel de l'Etat ; d'un autre côté, la présentation des crédits du ministère de la fonction publique stricto sensu. D'un côté, un enjeu qui est le premier enjeu des finances publiques, avec 600 milliards de francs ; de l'autre, les crédits d'un ministère qui dépense quelque 1,4 milliard de francs.
Je vous donnerai tout d'abord quelques indications concernant l'évolution des charges de personnel de l'Etat, mes chers collègues. Pour 1998, nous notons dans le projet de budget une progression qui est plus de deux fois supérieure à la progression des dépenses moyennes de l'Etat, atteignant 2,9 %, pour aboutir à 608,7 milliards de francs.
Par ailleurs, cette progression, en valeur absolue, mobilise 20 milliards de francs, dont 19 milliards pour la dépense de fonction publique au sens strict.
Le rapport écrit de la commission des finances précise les facteurs d'évolution expliquant de tels chiffres : il s'agit du poids du GVT, le glissement vieillissement technicité, qui entraîne 4 milliards de francs de dépenses supplémentaires, de la dérive spontanée des pensions de plus de 3 milliards de francs avec des lendemains assurément très difficiles - monsieur le ministre, nous le savons tous - et des solutions à trouver à moyen et à long termes pour financer cette charge de pension.
Le troisième facteur d'évolution tient à la pesanteur de la dépense de fonction publique.
Les décisions prises en matière de fonction publique se traduisent par des impacts financiers d'ampleur considérable. Je rappellerai simplement un chiffre : en 1997, c'est-à-dire dans le précédent budget, 5 600 emplois de fonctionnaires avaient été supprimés, ce qui avait permis de dégager une économie supérieure à un milliard de francs.
Enfin, pour achever cette mise en perspective, je rappellerai quelques données comparatives.
En France, l'emploi public représente 25 % de l'emploi total, contre 18 % en moyenne au sein de l'Union européenne. Comme chacun le sait, ce poids s'est accru au cours des dernières années et, compte tenu de ce qui nous est annoncé, il risque de s'accroître encore.
S'agissant des dépenses de personnel de l'Etat, la commission des finances estime que nous ne maîtrisons pas comme il le faudrait la dépense de fonction publique, d'autant que l'on se dirige à nouveau vers une augmentation des effectifs globaux de fonctionnaires.
J'observe par ailleurs que les contours de l'emploi public demeurent toujours aussi flous car, au-delà des fonctionnaires protégés par leur statut, nous avons un million de contractuels, nous avons 200 000 titulaires de contrats emploi-solidarité dans la fonction publique, et nous aurons bientôt 150 000 emplois-jeunes sous contrats de droit privé, dont certains occupent ou occuperont de véritables fonctions indissociables de la bonne marche du service public, notamment dans l'éducation nationale, pour 40 000 postes, et pour plus de 8 000 postes de sécurité au ministère de l'intérieur.
Evoquant très rapidement les crédits de votre ministère, monsieur le ministre, j'observe que les dépenses en capital du Fonds pour la réforme de l'Etat ont été supprimées. Je constate par ailleurs que nous sommes dans la continuité pour l'essentiel des dépenses de gestion, avec une évolution mesurée.
Je réserverai une mention spéciale à la formation, en particulier aux subventions aux écoles. Ainsi, dans votre budget, il est prévu un peu plus de 160 millions de francs pour l'Ecole nationale d'administration, école au sujet de laquelle la Cour des comptes vient de rappeler, voilà quelques jours, que le demi-transfert à Strasbourg s'était traduit par des surcoûts très lourds et nettement supérieurs aux prévisions.
A cet égard, je m'interroge toujours sur la spécialisation des deux sites, sur l'état d'avancement du projet de fusion de l'ENA et de l'Institut international d'administration publique et sur les conditions dans lesquelles cette école serait concernée par les réflexions en cours sur la réforme des grandes écoles. Je suppose, monsieur le ministre, que tous ces sujets seront débattus dans les mois à venir.
Je voudrais réserver la fin de cet exposé à quelques considérations sur la réforme de l'Etat, puisque l'intitulé de vos fonctions, monsieur le ministre, comme pour votre prédécesseur, allie la réforme de l'Etat à la fonction publique.
La réforme de l'Etat est un enjeu absolument primordial. Au cours des deux dernières années, des idées ont été émises, des jalons ont été posés, le début d'une action a été esquissé, grâce en particulier au commissariat à la réforme de l'Etat, administration de mission légère mise en place en 1995, pour trois ans.
Si l'on tente d'évaluer ce qui a été fait, on observe que le début de l'année 1997 a été significatif, avec le décret du 15 janvier 1997 relatif à la décentralisation des décisions individuelles, aujourd'hui du ressort de chaque préfet, sauf pour les administrations centrales à justifier de raisons précises afin de maintenir des procédures de décision individuelle à leur niveau.
Par ailleurs, la notion de service à compétence nationale et l'expérimentation des contrats de service au sein de plusieurs administrations me paraissent être des directions intéressantes pour l'avenir.
Enfin, j'ai pris connaissance avec grand intérêt des décrets du 31 mai 1997 sur la déconcentation en matière de gestion du personnel, ce qui me paraît aller dans le bon sens pour favoriser la mobilité et pour responsabiliser la fonction publique à tous les échelons.
Sur la réforme de l'Etat, monsieur le ministre, je veux profiter de cette intervention pour vous poser quelques questions.
Quel est votre projet en ce qui concerne les contrats de service et leur extension ? Cette forme de gestion des crédits permettant une globalisation, responsabilisant ainsi davantage les responsables d'unité administrative, vous paraît-elle devoir être confirmée, et quelle est votre ambition à ce propos ?
S'agissant des fusions de corps administratifs, allez-vous poursuivre l'effort récemment engagé ?
La même question se pose en matière de réforme de la notation et de l'évaluation des fonctionnaires.
En ce qui concerne la mobilité, quels sont vos projets concrets ?
Par ailleurs, s'agissant de la gestion salariale, considérez-vous comme satisfaisant pour l'éternité des temps le principe actuel qui veut que tout soit centralisé dans une seule négociation nationale, alors que sont en jeu des effets macro-économiques absolument considérables ?
Enfin, quels sont vos projets pour ce qui est de la gestion patrimoniale de l'Etat ? Jusqu'ici, en effet, ce dernier se limitait à des considérations de flux ou de budget et s'intéressait peu aux variations en valeur de son patrimoine.
Votre communication du 5 novembre au conseil des ministres m'a quelque peu laissé sur ma faim, monsieur le ministre, car j'ai eu le sentiment que, au-delà d'une apparente continuité sur certains thèmes de caractère assez général, vous vous absteniez de concrétiser l'approche de la réforme de l'Etat et que, en réalité vous vous apprêtiez à abandonner certains chantiers relatifs aux modifications structurelles à apporter à la gestion de la fonction publique.
Constatant que, par ailleurs, le mouvement de création d'emplois publics reprenait, j'ai considéré, en prenant connaissance de cette communication, qu'elle constituait une transition vers le retour à une gestion tout à fait classique des emplois publics, sans remise en cause des conditions dans lesquelles les ressources humaines de l'Etat sont susceptibles d'être mobilisées.
J'exprime donc, en achevant cet exposé, une certaine inquiétude sur ce que j'estime être le flou des orientations du Gouvernement en matière de fonction publique.
Vous le savez, monsieur le ministre, la majorité sénatoriale est attachée au concept de la réforme de l'Etat ainsi qu'à la modernisation du service public, toutes orientations que nous pensons compatibles, d'une part, avec une fonction publique de valeur, composée d'éléments ayant le sens de leurs responsabilités, et, d'autre part, avec l'impératif d'une réduction des déficits publics, d'une diminution du poids de l'Etat et du poids des prélèvements obligatoires sur notre économie.
Sous réserve de l'adoption des deux amendements de réduction de crédits qu'elle vous présentera dans un instant, la commission des finances, conformément à la ligne continue qui est la sienne pour l'examen de ce projet de budget pour 1998, vous recommande, mes chers collègues, l'adoption des crédits de la fonction publique. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 18 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 11 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 7 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 20 % de la population active, soit un actif sur cinq, est aujourd'hui, en France, un agent public. Cela représente, au total, près de 5 millions de personnes et, si l'on tient compte des effectifs de retraités et de pensionnés, ce sont quelque 9 millions de personnes qui relèvent de la politique salariale de la fonction publique.
Ces chiffres illustrent le poids considérable de la fonction publique dans notre pays.
Rappelons que la France compte un des taux d'emplois publics les plus élevés parmi les pays de l'Union européenne. Ainsi, la part des fonctionnaires dans l'emploi total, en 1995, était de 24,7 % en France, contre 14,4 % en Grande-Bretagne, 15,7 % en Allemagne et 17,8 % en Italie.
Certes, la fonction publique française peut être citée en exemple ou en modèle. Elle constitue une véritable richesse et un atout certain pour notre société. Les Français ont d'ailleurs bien compris les avantages qu'elle représente.
C'est bien pour cela que de plus en plus de jeunes aspirent à devenir fonctionnaires, sans compter que, contrairement aux idées reçues, les fonctionnaires ne sont pas mal payés par rapport aux salariés du secteur privé et qu'ils bénéficient d'une sécurité de l'emploi fortement appréciable à l'heure actuelle.
Cependant, il faut bien admettre que l'ampleur de la fonction publique constitue, dans le même temps, un handicap dans son évolution et sa modernisation.
C'est pourquoi j'ai salué, en février 1997, le projet de loi du précédent gouvernement relatif à l'amélioration des relations entre l'administration et le public. Il constituait un premier pas dans la nécessaire réforme de l'administration sur les plans humain et technique.
J'espère vivement, monsieur le ministre, que vous reprendrez les idées développées dans ce projet, car elles m'apparaissent bonnes et utiles.
De plus, s'agissant, toujours, de l'importance quantitative de la fonction publique en France, une note interne a été adressée, en septembre dernier, au ministre de l'économie et des finances, M. Dominique Strauss-Kahn. Dans celle-ci, M. Jean Choussat, inspecteur des finances et ancien directeur du budget sous François Mitterrand, faisait état d'un sureffectif de 10 % au minimum, soit près de 500 000 agents.
M. Jacques Mahéas. Vous n'y croyez pas, quand même !
M. James Bordas. Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement a choisi d'ignorer ces remarques. Et vous allez même plus loin puisque, contrairement au gouvernement d'Alain Juppé, vous avez décidé d'abandonner la nécessaire diminution des effectifs de la fonction publique. Je déplore une telle politique, qui s'apparente à celle de l'autruche !
Mais, au-delà de cette querelle de chiffres, je pense que le problème se situe surtout au niveau de la répartition fonctionnelle des agents publics.
Plus qu'une question de quantité, c'est une question de gestion des potentiels qui se pose aujourd'hui. Un redéploiement dans les secteurs qui en ont besoin est impératif et essentiel.
En outre, un effort doit être mené quant à la formation des agents afin que celle-ci réponde correctement aux réels besoins de notre société actuelle.
Enfin, comme je l'ai déjà maintes fois suggéré à vos prédécesseurs, pourquoi ne pas fondre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale, et ne conserver une distinction qu'avec la fonction publique hospitalière, compte tenu de la spécificité de sa mission ?
Bon nombre de différences entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale n'ont pas lieu d'être. De ce point de vue, de profonds changement doivent aussi être entrepris : supprimer les quotas pour les avancements, ouvrir concours et examens en fonction des besoins, garantir à un agent qu'il ne perdra pas le bénéfice de sa réussite s'il n'a pas obtenu une affectation dans un délai d'un an.
Telles sont les quelques remarques que je tenais à faire, monsieur le ministre. S'agissant du vote de ce projet de budget, le groupe des Républicains et Indépendants suivra les recommandations du rapporteur spécial de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à un passé récent, la fonction publique n'est pas mise à mal. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce changement d'état d'esprit. Votre conception du service public, votre approche pragmatique en faveur du « mieux d'Etat » et votre compréhension des besoins concrets des fonctionnaires et des usagers méritent toute notre attention.
Le projet de budget que vous nous présentez montre combien votre action ne s'inscrit pas sous le signe de la continuité. Il reflète parfaitement les priorités du Gouvernement et marque une rupture nette avec la stratégie du « moins d'Etat », choisie par M. Juppé et votre prédécesseur, M. Perben.
Contrairement à ce que préconise M. Lambert, rapporteur général du projet de loi de finances pour notre Haute Assemblée, il convient d'emblée de se féliciter de l'augmentation des crédits consacrés à la fonction publique et de l'arrêt du mouvement de réduction des effectifs.
J'insisterai ensuite sur la méthode de concertation que vous avez adoptée et sur votre volonté de transparence, qui permettent de renouer le dialogue social et de progresser sur les questions essentielles.
Enfin, au-delà de l'examen du projet de budget proprement dit, je m'attacherai à dégager les pespectives du « nouveau pacte républicain » au coeur duquel vous situez l'action de votre ministère, en vous posant un certain nombre de questions destinées à clarifier la situation.
Le premier point de mon intervention concernera donc la hausse des crédits et la création nette d'emplois qui caractérisent votre projet de budget.
L'augmentation de 20 % de vos crédits mérite d'être soulignée, non seulement parce que cette hausse est nettement supérieure à la progression générale des dépenses de l'Etat, mais aussi parce que la répartition de ces crédits, qui atteignent 1,47 milliard de francs, est significative des priorités du Gouvernement.
Ainsi, nous sommes heureux de constater que les crédits de l'action sociale interministérielle progressent de 41 % et atteignent 900 millions de francs. Justifiée par la dotation d'une enveloppe complémentaire de 230 millions de francs en faveur des « opérations d'action sociale », cette croissance nous satisfait d'autant plus que 150 millions de francs seront affectés au logement des fonctionnaires, lesquels sont confrontés, chacun le sait, à de réelles difficultés, surtout dans l'agglomération parisienne et dans les grandes villes en général.
Certains pourraient regretter, en contrepartie, qu'aucun coup de pouce ne soit donné aux crédits d'intervention interministériels de formation et de modernisation, au moment où vous vous attelez, monsieur le ministre, à favoriser l'émergence d'un Etat moderne.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est vrai !
M. Jacques Mahéas. Il est vrai que la droite sénatoriale ne pourrait guère se permettre de vous le reprocher.
M. Jean-Jacques Hyest. Si !
M. Jacques Mahéas. On se souvient en effet de la réduction draconienne des crédits de formation l'an dernier - ils se sont trouvés amputés de près de 30 %, monsieur Hyest - et de la diminution de près de 45 % des crédits de modernisation. Estimons-nous donc satisfaits de voir ces crédits retrouver le niveau de 1997 après annulation.
Autre preuve de pragmatisme et de rigueur dans les choix budgétaires, le fonds de délocalisations publiques sera abondé de 26 millions de francs en crédits de paiement, afin de couvrir les autorisations de programme déjà accordées et de contribuer au lancement, en 1998, des opérations prévues par le CIAT.
Quant à la dotation de 112,5 millions de francs au fonds pour la réforme de l'Etat, elle correspond au niveau d'exécution de 1997 après annulation et favorise les initiatives des collectivités territoriales grâce aux 75 millions de francs consacrés aux opérations à caractère local.
Venons-en maintenant à la principale spécificité de votre projet de budget, à savoir la création nette d'emplois.
En effet, il se caractérise clairement par la rupture avec la stratégie de réduction systématique des effectifs comme objectif en soi.
Après la suppression nette de 5 600 emplois civils inscrite dans la loi de finances pour 1997, le présent texte prévoit, pour 1998, un solde net positif de 490 emplois. Même légère, cette progression des effectifs constitue un signal fort et une approche pragmatique de la fonction publique.
Parmi les bénéficiaires, citons l'éducation nationale qui, contrairement à l'année dernière, ne connaît aucune diminution de ses effectifs. L'enseignement supérieur reçoit 1 354 emplois budgétaires supplémentaires et l'enseignement scolaire 183 postes. La justice voit également ses effectifs augmenter de 762 unités, contre seulement 327 l'an dernier.
N'en déplaise à M. Lambert, les quelques créations de postes dans le secteur public sont bienvenues et répondent aux attentes.
Vous pouvez donc compter sur notre soutien, monsieur le ministre. Loin de me faire l'écho du réquisitoire habituel contre l'emploi public et contre le poids insupportable des dépenses publiques, j'en appelle à votre volonté de valoriser les missions dont nos agents publics assurent l'exécution quotidienne auprès des usagers.
Abordons maintenant le deuxième point, qui porte sur la nature de votre démarche.
L'un des principes de votre action et de votre méthode, monsieur le ministre, consiste, depuis votre nomination, à favoriser la concertation en amont. Ce souci de dialogue social vous honore.
Comme chacun a pu le constater, il s'est d'emblée concrétisé par la reprise des négociations avec les organisations syndicales, alors que le contentieux salarial était très lourd, puisque le dernier accord remonte à novembre 1993. Non seulement vous avez respecté l'engagement du précédent gouvernement, qui avait décidé deux mesures unilatérales de revalorisation - 0,5 % au 1er mars et 0,5 % au 1er octobre - mais vous avez surtout renoué le dialogue avec les partenaires sociaux. Même si les marges de manoeuvre sont étroites, votre volonté d'aboutir est réelle. En témoignent les 3 milliards de francs déjà inscrits au budget des charges communes, au titre des « provisions destinées à couvrir les ajustements complémentaires de rémunérations publiques pouvant intervenir en 1998 ». Il faut noter, à ce propos, que cette enveloppe est en hausse de 1,5 milliard de francs par rapport à 1997. L'effort n'est pas négligeable.
De toute évidence, cette orientation est aux antipodes des propositions de notre rapporteur général. Quand on veut réduire les dépenses publiques de 21,3 milliards de francs afin de poursuivre la politique du gouvernement Juppé, il est tellement plus facile d'économiser de 3 à 4 milliards de francs sur la fonction publique ! Il suffit de geler les rémunérations des fonctionnaires et de diminuer les effectifs, ce qui revient à supprimer les 3 milliards de francs provisionnés et la ligne nouvelle de 230 millions de francs visant à financer l'« action sociale interministérielle », sans parler des deux amendements de réduction des crédits à l'article 27.
Nous disons « non » à cette politique droitière de restriction, dont les résultats ne sont nullement probants. Nous la rejetons avec d'autant plus de vigueur que le temps de la concertation et des actions transversales, mises en oeuvre par vos soins, est enfin revenu.
C'est dans cet état d'esprit que vous avez abordé la question de la déconcentration des services et que vous concevez la modernisation de l'Etat.
En effet, il ne s'agit pas d'imposer un modèle uniforme. Votre intention de constituer une mission de la prospective dans chaque ministère reçoit mon assentiment. La systématisation des études d'impact avant toute nouvelle décision, sur laquelle vous insistez, est une bonne chose.
Par ailleurs, la mise en oeuvre d'actions de coordination avec et entre les ministères appelés à élaborer des plans de modernisation se révèle également souhaitable. Il en est de même de la gestion des ressources humaines et de votre volonté d'améliorer la mobilité des fonctionnaires. A cet égard, la mission confiée à Rémi Schwartz sur la fonction publique territoriale, dont les conclusions seront rendues en février prochain, nous permettra de mieux apprécier les difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités locales en matière de recrutement, de formation initiale et continue et de gestion des carrières.
Parlons enfin, et ce sera mon troisième point, des perspectives d'une fonction publique modernisée et efficace.
Le Gouvernement veut un Etat plus accessible, « lisible » et transparent, un Etat plus efficace. C'est parfait.
Dans une communication, lors du conseil des ministres du 5 novembre, vous avez d'ailleurs défini les grands axes de la politique que vous entendez conduire en ce qui concerne la réforme de l'Etat, qui doit s'opérer afin que l'Etat soit « garant de l'intérêt général et de la cohésion sociale ».
A la différence du précédent gouvernement, vous comptez engager et mener cette politique en étroite concertation avec les agents, très en amont des décisions. Sans revenir sur le contenu de cette réforme de l'Etat qui se poursuit dans la continuité de l'action de la gauche, je m'attacherai à vous interroger, monsieur le ministre, sur deux points, après avoir relevé les mesures de simplification administrative en faveur des PME présentées par Mme Lebranchu lors du conseil des ministres, mercredi dernier.
Tout d'abord, face à l'opacité qui persiste à régner en matière de rémunérations, vous préconisez, à juste titre, d'introduire de la transparence. La transparence est, en effet, une des conditions de la réussite de la réforme de l'Etat et un facteur essentiel de la mobilité. C'est dans cette optique que vous prévoyez de faire élaborer tous les deux ans un rapport sur la répartition et le montant des primes dans chaque ministère.
M. Jean-Jacques Hyest. Au noir ! On ne l'a jamais su !
M. Jacques Mahéas. Votre intention de faire la lumière sur les fameuses primes, dont les montants importants dans la haute fonction publique faussent la connaissance exacte des revenus des fonctionnaires, me convient entièrement.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jacques Mahéas. J'espère que ce n'est qu'une première étape.
Il serait bon, dans un second temps, d'aller au-delà d'une simple connaisance des rémunérations globales. D'ores et déjà, disposerez-vous de l'autorité nécessaire pour que les différents ministères se montrent coopératifs ? De quels moyens comptez-vous vous doter pour mener à bien cette tâche ?
Ensuite, j'aimerais vous interroger, monsieur le ministre, sur la réforme de la commission de modernisation du Conseil supérieur de la fonction publique que vous préconisez.
Comment concevez-vous la composition de cette instance ? Il semblerait que vous envisagiez de prévoir une représentation des usagers : sous quelle forme, dans quelle proportion et selon quelles modalités ? Qu'en sera-t-il des autres représentants et qu'adviendra-t-il du fonctionnement et du rôle de cette commission ?
Par ailleurs, j'ai quelques questions à vous poser à propos de l'avenir des agents de la fonction publique, qu'il s'agisse de la fonction publique territoriale ou de celle de l'Etat.
Vous vous attachez notamment à appliquer le protocole d'accord sur la précarité qui a été signé par le gouvernement Juppé, et vous souhaitez accélérer l'application du plan de résorption de l'emploi précaire, créé par la loi du 16 décembre 1996. Disposez-vous d'un premier bilan ou d'une estimation chiffrée sur la mise en oeuvre des concours ? Comment envisagez-vous d'augmenter le nombre des concours réservés sans réduire de manière excessive celui des concours réguliers d'accès à la fonction publique ?
A notre grande satisfaction, vous avez également annoncé, à l'Assemblée nationale, que « les mesures prises en faveur de l'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique feront l'objet d'instructions particulières, afin de redonner à ces dispositions toute l'efficacité qu'il convient ». Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce propos ?
Dans un autre ordre d'idées, vous souhaitez préserver le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Nous nous réjouissons que le projet de loi de finances rectificative pour 1997 permette de relever le seuil d'assujettissement du « 1 % solidarité ». Pouvez-vous nous le confirmer ? Dans l'affirmative, quelle sera l'ampleur de ce relèvement ?
S'agissant de la fonction publique territoriale, je vous sais gré, monsieur le ministre, d'être attentif au problème posé par l'actuelle rédaction de l'article 111 de la loi du 26 janvier 1984, modifié par l'article 70 de la loi du 16 décembre 1996. Vous vous êtes déclaré prêt, lorsqu'un texte législatif permettra de l'accueillir, à proposer une disposition confirmant le droit, pour les agents recrutés après l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984, de bénéficier des avantages collectivement acquis. Je vous en remercie, et j'espère que vous nous confirmerez votre engagement.
Vous avez par ailleurs annoncé que vous envisagiez de proroger le congé de fin d'activité, le CFA. Nous y sommes tout à fait favorables. Les maires s'interrogent, cependant, sur le financement de sa prolongation. Les réserves du régime de l'allocation temporaire d'invalidité, l'ATI, seront-elles mises à contribution ? Où en sont ces réserves ? L'amélioration des conditions d'attribution du CFA est-elle prévue ? La pérennisation du dispositif est-elle envisageable ?
Il semble en outre difficile de laisser la fonction publique à l'écart de l'aménagement du temps de travail. De toute évidence, on ne peut aborder le problème comme on le fait dans le secteur privé, où des réorganisations et des aménagements du travail peuvent se traduire par des recettes supplémentaires. C'est pourquoi il vous est apparu nécessaire de procéder à un état des lieux, compte tenu de la diversité des situations dans les trois fonctions publiques. Pour que cela soit tout à fait crédible, il est cependant indispensable qu'une date butoir soit fixée. Avez-vous réfléchi à un éventuel calendrier en ce domaine ?
Par ailleurs, songez-vous à prendre des dispositions, moyennant concertation préalable, pour transformer les heures supplémentaires en emplois ?
Je terminerai par les emplois-jeunes. Ils ne peuvent se situer dans le champ traditionnel des compétences du secteur public. Ils ont pour vocation d'être pérennisés dans les secteurs marchand ou associatif, pour lesquels il n'y a pas de demande solvable matérialisée. Si une partie de ces emplois-jeunes peut revenir au secteur public, ce sera par la voie normale d'accès.
Pouvez-vous me préciser votre position en ce domaine ? Comment vous inscrivez-vous dans ce débat ?
En conclusion, votre budget est un bon budget, tel qu'il est, bien évidemment, sans les amendements proposés par la droite. Le groupe socialiste et apparentés vous apporte tout le soutien dont avez besoin dans cet hémicycle pour éviter qu'il ne soit dénaturé (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Dérian.
M. Jean Dérian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget que nous examinons aujourd'hui est l'occasion d'analyser, de manière bien trop succincte certes, le financement de la fonction publique.
Notre gouvernement a remis en cause la volonté de « dégraisser » la fonction publique, pour employer l'expression favorite de la majorité sénatoriale.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Dégraisser le mammouth !
M. Jean Dérian. Eh oui !
Ce sont donc 5 600 emplois civils qui ont été sauvés.
Votre action, monsieur le ministre, et celle du Gouvernement marquent, de toute évidence, un coup d'arrêt à la politique de droite. Cependant, malgré ce renversement de la vapeur - en tant que retraité cheminot, ayant conduit pendant mon activité des locomotives à vapeur, je sais ce que cela veut dire ! - seulement 490 emplois nets sont créés cette année. Cela est bien, mais peu !
De même, si de grands services publics comme l'éducation nationale et la justice sont les deux bénéficiaires de ces créations d'emplois, ce dont nous nous félicitons, il n'en demeure pas moins que nous sommes très dubitatifs et inquiets quant aux suppressions d'emplois programmées par les ministères de l'équipement, des finances, de l'industrie, des anciens combattants, des affaires étrangères, de l'intérieur ou de la coopération.
Il va de soi, par ailleurs, que ces faibles créations d'emplois ne permettent pas d'envisager une quelconque mise en place de la réduction du temps de travail dans la fonction publique. Aucun crédit ne semble d'ailleurs être réservé à cet effet.
Pourrez-vous, monsieur le ministre, nous préciser comment comptez-vous mettre en place les trente-cinq heures dans la fonction publique ?
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Bonne question !
M. Jean Dérian. Merci !
Cela va-t-il être négocié avec les syndicats de fonctionnaires et les administrations, qu'elles soient nationales ou locales ?
Je viens de parler de négociations, ce qui me conduit tout naturellement à la question salariale.
Vous savez comme moi, monsieur le ministre, qu'il est urgent d'engager une réelle revalorisation salariale non seulement pour les fonctionnaires, mais aussi pour l'économie française tout entière.
Après avoir gelé toute évolution générale des traitements en 1996, le gouvernement précédent annonçait deux mesures unilatérales de revalorisation de 0,5 % chacune, avec effet respectivement les 1er mars et 1er octobre 1997. Or, sur la base des derniers indices connus, l'inflation hors tabac depuis le 1er janvier 1996 s'élève à 2,24 %, ce qui traduit une baisse du pouvoir d'achat pour les fonctionnaires de 1,77 %.
Ce constat général doit être complété par l'examen particulier de la situation des agents situés au bas de la grille des rémunérations. Aujourd'hui, en effet, le SMIC correspond à l'indice brut 243, qui est le premier échelon de l'échelle 4, et ils sont plus de 100 000 dans l'ensemble des trois fonctions publiques à avoir un traitement inférieur au SMIC ! Ce n'est pas acceptable, même si les rémunérations annexes leur permettent de percevoir une rémunération effective égale au SMIC.
Nous nous félicitons de votre volonté de négocier avec les organisations syndicales sur cette question autant que nous nous interrogeons sur la limitation à 3 milliards de francs de la somme allouée à la revalorisation des traitements des fonctionnaires.
Lors de ces négociations, le groupe communiste républicain et citoyen aimerait qu'il y ait un débat, avec les organisations syndicales sur les emplois-jeunes.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. C'est encore une bonne question ?
M. Jean Dérian. Effectivement, la fonction publique a un rôle considérable à jouer dans le cadre d'une politique pour l'emploi des jeunes, particulièrement dans la concrétisation des 350 000 emplois qui leur sont destinés dans le secteur public et associatif, à condition que ces emplois ne remplacent pas des postes ayant vocation à être occupés par des fonctionnaires et qu'ils donnent lieu à une pérennisation dans le secteur public à l'échéance des cinq années.
A cet effet, nous proposons qu'il soit créé dès maintenant un collectif ayant pour tâche la pérennisation de ces emplois et leur adaptation à la grille de la fonction publique.
La création de ces emplois-jeunes doit permettre de faire un bilan des besoins et des priorités dans la fonction publique. C'est l'occasion de réaffirmer la nécessité d'un service public fort et de faire valoir l'utilité d'une grande administration.
Les attentes sont également fortes, tant pour ce qui est de la pérennisation, au-delà du 31 décembre 1997, du contrat de fin d'activité et de la poursuite de la résorption de l'emploi précaire que pour ce qui concerne la reconnaissance, comme le préconise la jurisprudenceBerkani, de la qualité d'agent public aux contractuels.
La majorité sénatoriale ayant déposé deux amendements de réduction des dépenses, le groupe communiste républicain et citoyen ne pourra, par conséquent, monsieur le ministre, voter ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir entendu notre excellent collègue M. Philippe Marini, rapporteur spécial de notre commission des finances, dont les propos, par leur clarté et leur précision, nous ont parfaitement éclairés, je me dispenserai de citer trop de chiffres, me contentant d'aborder quelques points qui me tiennent particulièrement à coeur.
Je rappellerai cependant qu'en 1998 les dépenses de la fonction publique progresseront de 2,9 %, soit deux fois plus vite que l'ensemble des dépenses de l'Etat.
Elles dépasseront le seuil de 600 milliards de francs, atteignant ainsi la part de 38,4 % du budget général, ce qui constitue le pourcentage des dépenses publiques le plus élevé en Europe.
Loin de moi l'idée de remettre en cause le rôle indispensable des fonctionnaires, dont nous mesurons chaque jour la compétence, la disponibilité et le sens de l'Etat.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Serge Vinçon. Toutefois - notre excellent rapporteur l'a clairement rappelé - l'Etat ne parvient pas à maîtriser la dépense de la fonction publique. En effet, alors même que la décentralisation s'effectuait, les administrations centrales de l'Etat ont continué à augmenter leurs effectifs, et les emplois sociaux, quant à eux, poursuivaient leur inexorable progression.
Ce n'est qu'en 1997, grâce à l'action du gouvernement précédent, qu'a été marqué l'arrêt souhaitable de cette évolution, qui a permis une économie de près de un milliard de francs. Aussi, je regrette que, pour l'an prochain, cette orientation, pourtant la seule possible pour amorcer une modernisation de l'Etat et une diminution de la dépense publique, soit abandonnée.
Dans ce contexte, seule une réforme de l'Etat peut inverser cette tendance. C'était d'ailleurs au centre des priorités du précédent gouvernement et cela répondait à la volonté du Président de la République, M. Jacques Chirac, de placer la réforme de l'Etat et des services publics au premier rang des préoccupations gouvernementales.
En effet, la France dispose d'une administration et de services publics d'une qualité élevée. Cette qualité ne peut cependant les dispenser d'une adaptation aux aspirations de nos concitoyens ainsi qu'aux exigences nouvelles d'une économie ouverte sur le monde et d'une société marquée par le développement des phénomènes d'exclusion.
Réformer l'Etat, monsieur le ministre, c'est d'abord s'interroger sur son rôle, car la dimension centrale de l'Etat moderne consiste à prévoir, analyser, concevoir et évaluer. Ces fonctions de régulation doivent être clairement distinguées du rôle d'opérateur, qui consiste à gérer, à appliquer des réglementations ou à servir des prestations. Le rôle d'opérateur n'a aucune vocation à être centralisé. C'est donc sur ce point particulier que doivent notamment porter votre action et vos efforts.
Par ailleurs, l'Etat doit être plus modeste dans sa prétention à vouloir tout régler, mais plus ferme dans sa volonté de bien accomplir les missions qui lui reviennent.
C'est ensuite à la lumière de ses missions redéfinies que l'on peut poser, en des termes adéquats, la question de l'organisation de l'Etat.
Il faut déléguer les responsabilités. En effet, l'Etat central souffre de pesanteur. Le nombre des directions centrales et assimilées est trop élevé. Cette segmentation excessive est coûteuse en emplois, mais elle a également deux autres conséquences graves : elle complique, voire, parfois, rend impossible la mise en oeuvre des politiques interministérielles, et elle génère des procédures et des coûts budgétaires élevés, chaque direction étant amenée à justifier sa propre existence par la production incessante de textes et par la demande de crédits toujours croissants.
De plus, il faut mettre en place une véritable politique patrimoniale de l'Etat. Ce dernier possède un patrimoine très important, très mal connu et mal évalué. Dans un contexte où la situation des finances publiques est marquée par l'importance de la dette publique, il est légitime de chercher à mieux connaître et à exploiter l'actif de l'Etat, qu'il s'agisse de ses immeubles, de ses terrains, de ses équipements, de ses participations, de ses créances ou de ses droits incorporels.
On peut donc légitimement s'interroger sur les moyens adéquats pour une meilleure gestion de ce patrimoine. Or, aujourd'hui, de multiples questions se posent sur les intentions du Gouvernement à l'égard de la poursuite de la réforme de l'Etat.
Malheureusement, la lecture des différentes déclarations gouvernementales donne l'impression d'une fâcheuse absence de volonté politique, comme l'a d'ailleurs souligné notre collègue Philippe Marini tout à l'heure.
Au lieu d'engager une réflexion sur le rôle de l'Etat vis-à-vis du secteur privé, des collectivités locales et de l'Union européenne, ou même d'approfondir les résultats obtenus en matière de modernisation des structures, le Gouvernement se contente de poursuivre des objectifs comme « la simplification des procédures » ou « de nouvelles modalités de fonctionnement des services déconcentrés », objectifs qui mériteraient d'être précisés et concrétisés.
Cette situation est regrettable, car, sans une profonde réforme de l'Etat et des services publics, aucune action politique ne permettra de relever les défis auxquels notre pays doit aujourd'hui faire face.
Dans ces conditions, pourquoi attendre un hypothétique débat d'orientation au printemps prochain et des assises sur ce thème à l'automne 1998 ?
Une fois de plus, les décisions sont remises à plus tard et, par la même, les fonctionnaires comme les citoyens en seront les grands perdants.
Dans ces conditions, notre groupe approuvera les modifications et les amendements apportés par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté les orateurs : certains trouvent que tout va bien et qu'il faut continuer, d'autres considèrent qu'il faudrait peut-être faire quelques réformes dans la fonction publique. Pour certains, il n'y a pas assez d'emplois publics, pour d'autres, il y en a trop !
M. Emmanuel Hamel. Cela dépend dans quels secteurs !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez, mon cher collègue !
Il faut quand même rappeler que notre pays a créé près de un million de fonctionnaires depuis 1975 : 570 000 entre 1975 et 1980, 386 000 de 1980 à 1985 et 112 000 de 1985 à 1990.
M. Emmanuel Hamel. Cela a commencé sous Giscard !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez, mon cher collègue, laissez-moi continuer mon raisonnement !
En fait, ce qu'on oublie aussi de dire, c'est que la plupart des emplois ont été créés par les collectivités locales à l'occasion de la décentralisation - on ne le dit même jamais ; il ne faut surtout pas le dire ! - et, curieusement, principalement dans les communes, alors que peu de compétences nouvelles leur ont été confiées. En fait, la raison est que des besoins nouveaux ont été créés.
On n'a pas vraiment tenu compte de la décentralisation en ce qui concerne la fonction publique de l'Etat. De plus, à partir du moment où l'on a transféré des compétences, on l'a fait pour un certain nombre de services, mais on n'a pas été jusqu'au bout.
Des réformes me paraissent donc évidentes.
Certains se plaignent que les directions départementales de l'équipement et les directions départementales de l'agriculture aient perdu des effectifs. Mais peut-être faudrait-il redéfinir les missions, la plupart d'entre elles étant maintenant confiées aux collectivités locales ! Une tentative avait été faite. Voilà le genre de questions que l'on peut se poser en toute objectivité, sans entrer dans une querelle de chiffres à propos du nombre de fonctionnaires.
Bien sûr, monsieur le ministre, qu'il convient, globalement, de réfléchir à une diminution des effectifs de la fonction publique de l'Etat. Mais au problème de la quantité s'ajoute celui de la qualité, car les métiers évoluent. Toute organisation vivante fait évoluer les choses. Sans parler de la répartition géographique des fonctionnaires, qui est extrêmement variable.
Je peux vous donner des exemples de ratios de fonctionnaires, notamment dans les préfectures, qui, par rapport à la population, passent quelquefois de 1 à 2 ! Ce sont encore des choses que l'on ne dit jamais et que l'on ne changera jamais !
Par exemple, dans les départements urbanisés de la région d'Ile-de-France, nous sommes en sous-administration, nous le savons. Nous le sommes du point de vue de la police, de l'enseignement, notamment dans l'académie de Créteil.
A-t-on le droit de poser ces questions ?
N'est-ce-pas une vocation de l'Etat de procéder à une évaluation et ensuite de réformer ce qui doit l'être ?
On a critiqué le rapport d'un inspecteur général. Peut-être était-il un peu trop abrupt, mais, après tout, il est bon de temps en temps de dire des choses abruptes pour faire réfléchir. Son rapport comportait beaucoup de réflexions extrêmement utiles à tout ministre de la fonction publique,et on n'en a gardé qu'une phrase, comme d'habitude !
Monsieur le ministre, vous avez dit qu'on avait cessé désormais tout débat idéologique sur la diminution des emplois publics, et que cela allait faciliter le dialogue. Tant mieux ! Mais je crois que le but de l'Etat n'est pas uniquement de faciliter le dialogue !
Vous avez dit que vous acceptiez le titre de ministre de la réforme de l'Etat. Mais pourquoi réformer l'Etat ? Réformons les services de l'Etat. L'Etat, c'est une entité qui existe en soi, qui forme un tout.
Beaucoup de réformes sont à accomplir, notamment pour mettre en oeuvre la déconcentration qui a été engagée depuis de nombreuses années par votre prédécesseur. Cette démarche doit être poursuivie.
Vous connaissez l'expérimentation qui a été faite dans les collectivités locales avec les contrats de services. C'est très positif ! Les agents sont mobilisés sur le terrain ; on peut voir ainsi si les tâches sont bien ou mal accomplies. Cela permet, bien entendu, de redéfinir les mission des agents.
Ces actions doivent être poursuivies, de même que doit l'être tout ce qui concourt à la gestion décentralisée des agents de l'Etat. La gestion purement centralisée et jacobine, n'est plus de mise. M. le ministre de l'éducation nationale l'a dit lui-même : il faut qu'on aille vers une gestion plus décentralisée et développer ce qui a déjà été fait pour certains corps. Cela est profitable aux agents, ainsi qu'au service public.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la fonction publique est un mal nécessaire. Mais il faut, et vous l'avez dit, que l'Etat se concentre de plus en plus sur ses tâches régaliennes. Je ne suis pas sûr qu'il soit tout à fait de bonne méthode pour un Etat moderne que des milliers de fonctionnaires se penchent sur les actes des collectivités locales pour savoir si l'on a avancé d'un échelon. Ils font le même travail que ceux qui ont rédigé les arrêtés. Ils y consacrent beaucoup de temps. On pourrait simplifier à ce niveau, d'autant que d'autres contrôles s'exercent.
Le contrôle de légalité me semble totalement inefficace à l'heure actuelle. Il serait préférable de passer des contrats avec les collectivités locales et de respecter les engagements plutôt que d'employer des fonctionnaires qui perdent leur temps à effectuer un contrôle tatillon.
C'est notre faute aussi : le législateur fait des lois de plus en plus tatillonnes. Parce que les fonctionnaires sont vertueux, ils appliquent la loi. Quand on leur dit qu'il faut réglementer, ils réglementent et ils créent des circulaires. Cela occupe un personnel nombreux. Je ne suis pas sûr que ce soit utile.
En tout cas, cela augmente l'insécurité juridique, cela accroît, bien entendu, le découragement des collectivités locales, mais aussi celui, des acteurs économiques.
Le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat vient de prendre trente-sept mesures de simplification administrative ; tant mieux ! Mais je crois qu'il ya a encore quelques milliers de mesures à prendre pour que notre Etat soit vraiment un Etat moderne et que les fonctionnaires se consacrent à leur mission essentielle, qui est le service public. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à cette heure tardive, je voudrais tout de même, avant de présenter plus particulièrement mon budget, évoquer, comme l'ont fait d'ailleurs la plupart des orateurs, les problèmes qui se posent dans mon ministère.
Mon ministère - on l'a rappelé - comporte trois composantes : la fonction publique, la réforme de l'Etat et la décentralisation. Ces compartiments ont en commun de se situer au coeur du nouveau pacte républicain que M. le Premier ministre a défini le 19 juin dernier comme le socle de l'action du nouveau Gouvernement.
L'action que j'entends conduire dans ces trois domaines sera fondée sur un élément de méthode : la concertation, qui doit s'établir sur des bases solides de confiance et d'estime réciproques avec l'ensemble de mes interlocuteurs, que ce soient, outre la représentation nationale, les élus locaux, les organisations syndicales de la fonction publique ou les usagers.
Il faut le dire, depuis 1993, les relations sociales ont été marquées par une certaine défiance envers la fonction publique. Je me suis attaché, depuis mon arrivée, à montrer concrètement la considération du Gouvernement pour l'ensemble des fonctionnaires.
C'est un point important. J'ai entendu les intervenants évoquer un certain nombre d'éléments de discours tenus par les uns et les autres ; le rapport de M. Choussat a notamment été mentionné.
Toutes les imputations qui ont pu être faites à la fonction publique sur le registre : « Il y a trop de fonctionnaires ! La fonction publique pèse trop lourd dans le budget de l'Etat ! » me paraissent toujours marquées au coin d'une certaine idéologie ou tout au moins d'un certain a priori. Et cela d'autant que, d'un autre côté, on va dire, la main sur le coeur - je l'ai entendu à l'instant - qu'on a la plus grande estime pour les fonctionnaires, pour leur action, pour leur utilité, pour leur dévouement.
Qu'est-ce qui permet de dire comme cela, a priori, qu'il y a trop de fonctionnaires ?
M. Jean-Jacques Hyest. Ou qu'il n'y en a pas assez !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. M. Choussat dans son rapport dit, comme ça, au jugé qu'il y aurait 10 % de fonctionnaires en trop. Cela ne fait pas beaucoup avancer le débat ! M. Choussat aurait fait oeuvre utile s'il avait dit dans quels secteurs, à quels endroits il y avait trop de fonctionnaires. Il aurait alors suscité un intérêt bien plus grand, même de ma part.
Qu'est-ce que j'entends à travers les réclamations qui sont émises, y compris par les élus que vous êtes tous, mesdames, messieurs les sénateurs,...
M. Emmanuel Hamel. Pas tous !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... ou presque tous.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Il y a de brillantes exceptions !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. J'entends dire : « Il n'y a pas assez de policiers dans mon département, dans ma circonscription,...
M. Jean-Jacques Hyest. Ils sont peut-être mal répartis !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... il n'y a pas assez de professeurs, il n'y a pas assez d'infirmières dans mon hôpital. »
Je crois que le Gouvernement a pris la bonne position en décidant d'arrêter, en 1998, de poser comme une sorte d'objectif incontournable la réduction du nombre des fonctionnaires. C'est une position concrète au regard de la loi de finances, mais c'est aussi un signe de confiance à l'égard de la fonction publique, dont on cesse de poser a priori qu'elle est sous-utilisée, sous-employée, qu'il faut absolument réduire le poids de son budget pour le bien-être de la nation.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Tout va bien !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Aussi, dans le projet de loi de finances pour 1998, le nombre des fonctionnaires a été stabilisé. Il est en légère augmentation, de l'ordre de 500 unités. Il a été procédé à des redéploiements dans le cadre de cette contrainte générale.
Monsieur Dérian, j'ai engagé une série d'entretiens bilatéraux avec les organisations syndicales pour déterminer si les conditions d'une négociation salariale en fin d'année étaient réunies. Il est encore trop tôt pour le dire. Toutefois, je souhaite vivement que nous y parvenions, après cinq années passées sans accord salarial, même si les marges économiques et budgétaires sont étroites.
La politique salariale fait en effet partie d'un dialogue social que le Gouvernement entend renouer. De ce point de vue, le signal que le Sénat a adressé aux fonctionnaires en supprimant, dans le budget des charges communes, la provision pour mesures générales intéressant les agents du service public ne pourra qu'être assez mal ressenti par les intéressés, permettez-moi de vous le dire.
M. Jacques Mahéas. On va faire de la publicité !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Doit-on considérer que la majorité sénatoriale entend interdire toute revalorisation des traitements en 1998 ? Cela ne me paraît pas particulièrement opportun.
Pour ma part, j'ai indiqué que le Gouvernement proposerait au Parlement un dispositif législatif visant à proroger le congé de fin d'activité dont nombre d'intervenants ont bien voulu saluer les bons résultats.
D'ores et déjà, avant le 31 décembre 1997, nous prendrons les dispositions nécessaires à une prorogation d'un an, ce qui ne nous empêchera pas par la suite d'examiner, en concertation avec les syndicats, comment modifier ce système dans ses modalités et ses modes de financement.
Le congé de fin d'activité a profité, au cours de l'année 1997 - pour autant que l'on puisse estimer les résultats d'une année qui n'est pas encore terminée - à environ 16 000 ou 17 000 personnes.
Oui, monsieur Mahéas, la politique d'action sociale interministérielle sera renforcée. Elle permettra de gommer quelque peu certaines inégalités parfois criantes entre les départements ministériels, voire entre régions différentes ; elle portera notamment sur le logement des fonctionnaires. Le dialogue déconcentré sera encouragé pour la gestion de cette action sociale. Je sais que la commission des finances a déposé un amendement visant à réduire les crédits affectés à cette action de 230 millions de francs. J'en suis quelque peu étonné...
M. Emmanuel Hamel. Vous n'êtes pas le seul !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... et, entre autres raisons, parce que des promesses, d'ailleurs non financées, avaient été faites par mon prédécesseur sur ce point !
Marque de notre souci de la continuité républicaine, l'effort de résorption de la précarité, tel qu'il a été prévu par le protocole du 14 mai 1996, par conséquent sous l'ancien gouvernement, sera poursuivi avec détermination.
Certes, les concours réservés pèsent sur l'équilibre des recrutements dans leur ensemble. La situation est d'ailleurs assez contrastée suivant les ministères. Mais, conscient de ce problème, le Gouvernement, outre la faible création nette d'emplois en 1998, a autorisé, dès 1997, le dégel de certains emplois dans les ministères où la situation est la plus difficile au regard des concours réservés nécessaires.
Plus précisément, s'agissant de la fonction publique territoriale, puisque la question m'a été posée par M. Mahéas, nous publierons prochainement un décret permettant la titularisation, y compris dans le cadre A, des personnes qui étaient en poste en 1984.
Par ailleurs, des concours nécessaires pour résorber la précarité ont déjà permis de pourvoir 5 047 postes.
Les mesures prises en faveur de l'emploi des personnes handicapées feront l'objet d'instructions particulières, afin de leur redonner l'efficacité qu'il convient. Il faut voir, là aussi, la marque de notre souci de continuité dans l'action des pouvoirs publics.
La question des fonctionnaires ayant servi en Afrique du Nord est une question délicate, dont j'ai d'ailleurs déjà été saisi. Je peux vous indiquer, monsieur Dérian, qu'une concertation ministérielle s'engage sur ce point.
En ce qui concerne la réduction du temps de travail, je ne peux que vous confirmer ce que j'ai eu naguère l'occasion de dire ici même. Il faut évidemment tenir compte de l'extraordinaire diversité des régimes de travail, et de la diversité dans la nature de l'unité de mesure du temps de travail : on ne peut pas mettre sur le même plan l'heure de cours du professeur, l'heure d'astreinte du pompier, l'heure de bureau d'un fonctionnaire d'administration centrale.
Etant donné cette extrême diversité des régimes de travail, étant donné la multiplicité des interlocuteurs - je pense notamment aux collectivités territoriales, qui ont elles-mêmes mis en place des régimes de travail très variés -...
M. Jean-Jacques Hyest. Oui ! Il faut y penser !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Nous y pensons !
... toute avancée sur le terrain du temps de travail dans la fonction publique suppose qu'un état des lieux complet soit préalablement établi.
C'est cet état des lieux que nous allons engager, dans des conditions que j'évoque d'ailleurs en toute franchise, avec les organisations syndicales.
J'en viens à la réforme de l'Etat.
La réforme de l'Etat est une constante dans l'histoire de la République : on en parle depuis des décennies, et l'on obtient des résultats divers. Mais, après tout, aucune organisation humaine ne peut se dispenser de chercher à s'adapter, à évoluer, à s'améliorer.
Il m'a semblé percevoir à travers certaines interventions, notamment celle de M. le rapporteur spécial, un certain scepticisme quant à ma volonté de poursuivre la réforme de l'Etat. Je vous le dis très clairement, monsieur Marini : ne doutez pas de ma volonté ni de l'engagement du Gouvernement.
Ainsi, nous allons mettre en oeuvre la déconcentration des quelque six cents décisions individuelles qui avaient été amorcées sous le précédent gouvernement, ainsi que celle des quelque 400 suppressions ou simplifications de procédures d'autorisation.
Nous allons donc continuer dans cette voie, car tout ce qui a été entrepris par le gouvernement précédent ou par le Commissariat à la réforme de l'Etat mérite estime et n'a pas à être remis en cause.
Toutefois, deux éléments d'inflexion interviendront, il faut le dire clairement.
Tout d'abord, nous allons donner plus de place à la concertation.
Je crois qu'il y a eu, sous le gouvernement précédent, un certain déficit de concertation qui a pu provoquer, ça et là, des blocages ; je pense notamment à ce qui s'est passé lors des expérimentations menées en matière de regroupement des directions départementales de l'équipement et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt.
On ne réformera pas l'Etat sans et encore moins contre les fonctionnaires. J'ai donc l'intention de renforcer cette concertation en amont, au niveau central comme au niveau déconcentré, avec tous ceux qui sont concernés par la bonne marche du service public : les élus locaux, les usagers, les associations, les entreprises et, bien entendu, les fonctionnaires.
J'ai réuni récemment la commission de modernisation du Conseil supérieur de la fonction publique. Cette instance comprend, à côté des administrations et des représentants des fonctionnaires, des élus et des représentants des usagers ; c'est donc un cercle assez représentatif et un lieu de dialogue approprié qui verra son rôle revalorisé.
La deuxième inflexion que nous voulons donner à la réforme de l'Etat porte sur les objectifs de celle-ci.
Pour le Gouvernement, réformer l'Etat c'est vouloir affermir le pacte républicain. L'Etat est au coeur du pacte républicain parce qu'il est un élément essentiel du service public qui garantit la cohésion sociale.
Le Gouvernement veut réformer l'Etat, mais ce n'est pas pour le rendre plus modeste ; il veut un Etat assuré de lui-même, ambitieux. Il veut un Etat moderne, pas un Etat modeste.
M. Hyest, qui a eu sur ce point-là des paroles que j'aurais pu prononcer moi-même, a dit par ailleurs que l'Etat devrait se limiter à ses fonctions régaliennes. Cela me paraît un peu restrictif, car il existe tout un ensemble de services publics qui débordent très largement les fonctions régaliennes et que l'Etat a vocation, chaque fois qu'il est le mieux placé, à assumer.
M. Jean-Jacques Hyest. Quand il s'occupe de tout, ça ne marche pas très bien !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Je pense, notamment, à des domaines aussi divers que la santé ou l'éducation.
Vous voulons d'abord rendre l'Etat plus accessible, plus lisible et transparent. Nous voulons ensuite que l'Etat s'organise de manière plus déconcentrée, ne serait-ce que parce qu'il faut accompagner la décentralisation. Nous voulons enfin un Etat plus efficace.
Le 5 novembre dernier, j'ai fait une communication en conseil des ministres sur ces sujets. Ce n'était pas une manoeuvre dilatoire : c'était le début d'un processus qui doit déboucher, à l'automne 1998, sur des assises nationales de la réforme de l'Etat.
Auparavant, j'aurai déposé un projet de loi sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Partiellement issu de l'ancien projet de loi dit « ARAP », que M. Bordas évoquait tout à l'heure, ce nouveau texte suivra une logique générale plus large et ses objectifs seront plus ambitieux.
Il dotera l'usager de droits nouveaux, notamment en améliorant son accès aux documents administratifs et en donnant au médiateur de nouveaux moyens d'intervention. Il permettra également d'unifier et de simplifier les pratiques de diverses administrations.
Cette démarche constitue une illustration très concrète de notre volonté d'avancer : il n'y a pas d'arrêt de la réforme de l'Etat, j'y insiste.
A cet égard, les mesures de simplification destinées aux PME et aux PMI, qu'a récemment exposées Mme Lebranchu en conseil des ministres et qui ont été évoquées ce soir, sont significatives. Certes, elles sont très « ciblées » sur les PME et les PMI, mais on conviendra ici que c'est une bonne cible et qu'elles seront favorables au développement et à la création d'emplois.
En matière de déconcentration, notre politique marquera aussi une inflexion. Nous ne chercherons pas à plaquer sur le terrain un modèle unique et uniforme ; il paraît plus efficace de définir, dans la concertation, une série de formules-types d'organisation des services déconcentrés, parmi lesquelles les préfets, en liaison avec les élus locaux, les fonctionnaires et les usagers, choisiront celle qui leur paraîtra la mieux adaptée aux réalités de leur département.
M. Marini et M. Hyest m'ont interrogé sur le sort des contrats de service. C'est une contractualisation entre services centraux et services déconcentrés qui est actuellement expérimentée au sein des ministères de l'équipement, de l'éducation nationale et de l'industrie, et dont un premier bilan sera dressé dans quelques mois.
Le principe d'une telle contractualisation est bon, et il a été largement évoqué dans ma communication au conseil des ministres du 5 novembre.
Ces contrats précisent les missions des services déconcentrés, leurs objectifs et les moyens qui leur sont alloués, ainsi que les modalités d'évaluation de leurs résultats. Nous sommes donc tout à fait partisans de poursuivre cette expérience, sous réserve des bilans d'étape qui pourraient en être faits.
M. Vinçon m'a interrogé sur la gestion patrimoniale.
Un projet tendra effectivement à redéfinir et à faire évoluer la gestion patrimoniale de l'Etat.
Par ailleurs, nous avons souhaité la création de services de prospective dans chaque ministère. Cela témoigne de l'importance que nous attachons à la visibilité à moyen et long terme, tant pour le décideur que pour le public, des politiques menées.
Ces missions de prospective permettront notamment l'élaboration de plans pluriannuels de modernisation de chaque ministère. Ceux-ci pourront s'accompagner de contrats signés avec les ministères chargés du budget et de la réforme de l'Etat. Cela leur donnera une visibilité à moyen terme sur l'évolution de leurs moyens financiers et humains.
Le Gouvernement insistera également sur la systématisation des études d'impact avant toute nouvelle décision et leur élargissement aux collectivités locales. Nous prévoyons la rénovation du dispositif d'évaluation des politiques publiques. Cette politique, lancée par M. Michel Rocard en 1988, est tombée un peu en léthargie à partir de 1994. Nous souhaitons la revigorer.
Autre aspect important de la réforme de l'Etat : la conception de la gestion des ressources humaines par la fonction publique doit franchir une étape.
On parle de la réforme de la notation. Je ne sais pas si c'est tellement celle-ci qu'il convient de conduire. En tout cas, il faut y associer une politique d'évaluation qui permette réellement au fonctionnaire d'avoir régulièrement, avec son chef de service, ses supérieurs hiérarchiques, un entretien qui soit l'occasion d'évoquer ses points forts et ses points faibles, bien sûr, mais aussi ses besoins en formation, ses perspectives de carrière, de mobilité, d'évolution dans le métier. Il faut faire en sorte que le fonctionnaire se sente considéré et pris en charge. C'est une évolution qui se produit dans d'autres secteurs et que, selon moi, la fonction publique, dans le plus strict respect de ses principes, gagnerait à introduire dans son fonctionnement.
Il faut également favoriser la mobilité. M. Bordas évoquait la fusion des fonctions publiques territoriales et d'Etat ; c'est peut-être aller un peu loin. Je ne suis d'ailleurs même pas sûr que ce serait conforme à la Constitution.
En revanche, la mobilité est peut-être un substitut raisonnable à cette proposition. Elle est à l'évidence...
M. Jean-Jacques Hyest. Bloquée !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... elle sera à l'évidence une source d'enrichissement pour les fonctions publiques.
On parle volontiers de mobilité géographique, mais c'est aussi la mobilité d'une fonction publique à l'autre qu'il faut considérer.
J'ai demandé à l'inspection générale des affaires sociales de me rendre compte d'une mission d'investigation qui lui a été confiée pour essayer d'identifier les obstacles statutaires, pratiques, concrets qui, apparemment, s'opposent à cette mobilité entre les fonctions publiques, encore très insuffisante.
Les fusions de corps qu'évoquait M. Marini constituent une piste. Nous y sommes très favorables, notamment en ce qui concerne les corps équivalents des administrations centrales et des services déconcentrés.
Enfin, M. Mahéas a évoqué la transparence en matière de rémunération. (M. Hyest s'exclame.) Je me suis déjà exprimé sur ce sujet et je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendu. Je n'ai jamais dit qu'il y avait dans la rémunération des fonctionnaires quelque secret honteux et prudemment caché. Il n'y a rien d'illégal dans la rémunération des fonctionnaires, où qu'ils se trouvent !
Je crois simplement qu'il est républicain que le peuple n'ait pas à se poser de questions et qu'il ne puisse pas avoir le sentiment que cette information est secrète, cachée.
Les systèmes de primes dans la police ont récemment été publiés. Nous continuerons cette démarche dans l'ensemble des administrations. En tout cas, je m'y appliquerai. Ne doutez pas de ma détermination à présenter un rapport, au moins biennal, sur ce sujet devant le Conseil supérieur de la fonction publique d'Etat.
Au demeurant, le ministre de la fonction publique, auquel on demande de jouer un certain rôle de pilotage pour résoudre des problèmes aussi divers que celui de la mobilité, a besoin d'une connaissance globale, analytique et synthétique de ces questions.
Un domaine ne figure pas de manière explicite dans le tryptique de l'intitulé de mon ministère : il s'agit de la politique des délocalisations publiques. Elle est le fruit d'une action continue menée par l'Etat depuis plus de quarante ans. Elle sera poursuivie en ce qui concerne le plan décennal 1991-2001 qui a été engagé par Mme Cresson.
D'ailleurs, contrairement à une idée répandue à tort, ce programme est en cours d'exécution. Nous en sommes parvenus à la sixième année d'application et il est réalisé à peu près aux deux tiers : un peu moins des deux tiers en emplois réellement délocalisés et un peu plus des deux tiers dans ce qui est d'ores et déjà programmé.
Il faudra simplement améliorer la procédure et développer la concertation le plus en amont possible et selon trois axes : d'abord, la cohérence du choix des sites d'accueil des organismes délocalisés avec la politique d'aménagement du territoire ; ensuite, l'incitation à ne pas cantonner les délocalisations de la région parisienne vers les grandes métropoles régionales, mais à jouer le jeu de la délocalisation des grandes métropoles régionales vers les villes moyennes et petites ; enfin, le respect du volontariat et la mise en oeuvre d'un dispositif d'accompagnement social efficace.
Je souhaite évoquer brièvement la décentralisation. Même si ce thème n'est pas au coeur du débat budgétaire de ce soir, je sais qu'il est cher à votre assemblée. La décentralisation doit être poursuivie, mais elle doit être rendue plus lisible pour nos concitoyens. En effet, si elle a atteint son objectif de dynamisation - il suffit de parcourir la province pour s'en convaincre - elle n'a pas, peut-être par défaut de lisibilité, provoqué chez nos concitoyens le regain d'implication citoyenne qui faisait partie des objectifs fixés.
Je serai ainsi amené à déposer devant le Parlement, au printemps 1998, un projet de loi sur les actions économiques des collectivités locales.
La réforme du régime actuel des interventions économiques est indispensable, à la fois parce qu'il faut chercher la meilleure efficacité par rapport à notre priorité - l'emploi - et parce qu'il faut que les élus, les décideurs disposent d'un ensemble des règles plus claires et plus lisibles.
La stratification de règles, de pratiques et parfois de jurisprudences obscurcit un peu la lisibilité. Elle compromet également l'action des décideurs sur lesquels pèse une exigence de probité incontournable. Il importe de préserver leur possibilité d'action sur un terrain clairement lisible et non piégé. Il faut donc sécuriser l'élu, porteur de probité.
Nous devons également harmoniser nos pratiques avec le droit européen.
Nous voulons, en outre, faciliter et encourager le recours aux sociétés de capital risque et aux sociétés de garantie qui allient sécurité, pour le décideur, et professionnalisme.
Je souhaite enfin, à l'occasion de ce texte, « toiletter » la loi de 1983 sur les sociétés d'économie mixte, qui constituent un instrument tout à fait important mais qui, dans la pratique et la jurisprudence, ne sont pas dénuées de péril.
Le Gouvernement, sous l'impulsion de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, et en collaboration avec moi-même, présentera également au Parlement un texte visant à faciliter le développement de la coopération intercommunale.
L'architecture de l'intercommunalité est, en effet, devenue trop complexe, car elle est composée de strates successives. Par ailleurs, la solidarité fiscale n'est pas encore suffisamment mise en oeuvre. Le Gouvernement souhaite que la taxe professionnelle intercommunale se développe. Elle en est aujourd'hui à un stade tout à fait embryonnaire.
Je vous rappelle que, sur 1 500 intercommunalités à fiscalité propre - ce qui représente un beau succès et montre que les choses progressent - 65 seulement ont, à ce jour, opté pour la taxe professionnelle commune.
Il faut également améliorer l'enracinement démocratique de l'intercommunalité. Il semble, en effet, nécessaire de créer des règles qui assurent une meilleure transparence, tant pour les assemblées délibérantes des communes qui la composent qu'en termes d'information et de consultation des citoyens.
Pour compléter ce projet de loi, il faudra, enfin, porter une attention très particulière aux agglomérations.
L'élaboration de ces textes s'effectuera, je le sais, avec un souci fort de concertation, en amont, avec les associations d'élus et les parlementaires.
S'agissant de la fonction publique territoriale, il n'y aura pas de bouleversement, car l'architecture a atteint un stade déjà avancé, mais des ajustements permettant une meilleure gestion des carrières, des emplois et mettant l'accent sur la qualité du recrutement et de la formation peuvent être nécessaires. J'ai désigné, sur ces deux sujets, M. Rémy Schwartz, membre du Conseil d'Etat, qui me remettra son rapport d'analyse et de propositions au cours du premier trimestre 1998.
J'en viens maintenant au projet de budget de mon département ministériel à proprement parler. Je serai bref, car beaucoup a déjà été dit.
Les crédits consacrés à l'action en matière de fonction publique et de réforme de l'Etat, d'un montant de 1,4 milliard de francs, connaissent une progression de 20 %, ce qui est très supérieur, comme vous le savez, à la progression générale des dépenses de l'Etat.
Toutefois, à l'intérieur de cette enveloppe, certains chapitres diminuent - il s'agit de la contribution du ministère à la maîtrise des dépenses publiques - tandis que d'autres progressent ; c'est notamment le cas de l'action sociale.
Ainsi, des efforts d'économie ont été consentis sur les crédits d'intervention interministériels de formation et de modernisation. Cela nous obligera à être encore plus sélectifs et plus exigeants en terme d'efficacité.
Les subventions aux différentes écoles sous tutelles - l'ENA, l'Institut international d'administration publique, les cinq instituts régionaux d'administration, auxquels on adjoint le Centre d'études européennes de Strasbourg - connaissent une remarquable stabilité, à 329 millions de francs.
Mais je ne voudrais pas évoquer ces écoles sans répondre aux questions qui m'ont été posées sur la double localisation de l'ENA. Le récent rapport de la Cour des comptes ne relève aucune irrégularité dans cette affaire. Seules les conséquences de cette double localisation ont prêté à critiques.
Je rappelle que, dans le projet initial du gouvernement de Mme Cresson, c'est la ville de Strasbourg qui avait été choisie pour accueillir l'ENA. C'est le gouvernement de M. Balladur qui, en 1993, a décidé cette double localisation sur laquelle, je vous le dis d'emblée, il n'est pas question de revenir pour l'instant. En effet, si cette double localisation peut entraîner des surcoûts, elle a également des conséquences favorables : elle a notamment contribué, sans faire perdre ses liens parisiens à l'ENA, à créer à Strasbourg un pôle de formation administrative nationale et internationale.
Je relève d'ailleurs au passage que si un surcoût a été constaté, par exemple dans le domaine des coûts de fonctionnement, la scolarité a été enrichie à l'occasion de l'implantation à Strasbourg.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Il faut l'espérer !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Le surcoût de fonctionnement n'est pas dû uniquement à la double localisation !
Ja salue d'ailleurs, à cette occasion, le dynamisme du Centre d'études européennes de Strasbourg, qui est installé dans les locaux de l'ENA. A mesure que ce pôle se développera, ce qui est tout à fait dans les projets du Gouvernement, la sous-occupation des locaux que certains ont pu déplorer tendra à s'atténuer.
De la même façon, dans le cadre de ce pôle, nous recherchons des synergies avec l'Institut des études supérieures de la fonction publique territoriale,...
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... émanation du CNFPT, qui s'est récemment implanté à Strasbourg...
M. Jean-Jacques Hyest. Totalement !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Effectivement !
... et qui tisse également, avec le milieu universitaire, les liens les plus prometteurs.
Les crédits de l'action sociale interministérielle progressent de 41 %, pour atteindre 900 millions de francs. Je ne reviens pas sur les 230 millions de francs d'augmentaton. Je souhaite vivement qu'ils soient maintenus par le Sénat dans ce projet de budget.
Le fonds pour la réforme de l'Etat est doté de 112,5 millions de francs, soit le niveau d'exécution de 1997 après les annulations. Au sein de cette enveloppe, il est envisagé d'utiliser 75 millions de francs pour des opérations à caractère local.
Le fonds de délocalisations publiques sera abondé de 26 millions de francs en crédits de paiement, afin de couvrir les autorisations de programme déjà accordées et permettre le lancement des opérations prévues par le CIAT en 1998.
Enfin, pour ce qui est des effectifs, tant de la direction générale de l'administration et de la fonction publique que du commissariat à la réforme de l'Etat, ils restent parfaitement stables.
Le projet de budget de mon département ministériel est à l'image de celui de l'Etat : il est raisonnable et marque des choix.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a estime et considération pour les fonctionnaires. C'est avec eux qu'il entend réformer l'Etat, le rendre plus accessible, alors même que des franges de la population se trouvent en situation d'exclusion.
Le service public est le ciment de notre société, le garant de la cohésion sociale et la marque distinctive de la République. Le Gouvernement s'emploiera à le rendre plus efficace.
A l'étranger, on nous envie notre fonction publique, comme en témoignait encore récemment un article du Financial Times sur la France. Mon action, mesdames, messieurs les sénateurs, visera à conforter cette appréciation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

SERVICES GÉNÉRAUX DU PREMIER MINISTRE

M. le président. Je vous rappelle que nous venons d'examiner les crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat inscrits à la ligne « Services généraux du Premier ministre », dont les autres crédits ont été examinés le vendredi 28 novembre et le mercredi 3 décembre dernier.
En conséquence, nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant les services généraux du Premier ministre.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III, 277 082 257 francs. »