M. le président. Par amendement n° 58 rectifié, MM. Arnaud, Belot, Blaizot, Bécot, Fauchon, Hoeffel, Doublet et Raffarin proposent d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le code général des impôts est ainsi modifié :
« a) Dans le premier alinéa du 1° du I de l'article 403, le tarif : "5 474 francs" est remplacé par le tarif : "5 450 francs" et dans le 2° du I du même article, le tarif : "9 510 francs" est remplacé par le tarif : "9 467 francs" ;
« b) Dans le 2° de l'article 438, le tarif : "22 francs" est remplacé par le tarif : "29,60 francs" et dans le 3° du même article, le tarif : "7,60 francs" est remplacé par le tarif : "10 francs" ;
« c) Dans le troisième alinéa du a) du I de l'article 520 A, le tarif : "17 francs" est remplacé par le tarif : "14,50 francs". »
La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. L'an dernier, lors de l'examen par le Parlement du premier projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'article 24 de ce texte avait été adopté, certes après discussion. Cet article visait à renforcer la lutte contre l'alcoolisme, sujet ô combien d'actualité au moment où était lancée la nouvelle campagne contre l'alcoolisme. Il visait aussi à assurer des ressources complémentaires, en particulier pour soutenir une politique de prévention.
Cet objectif a été approuvé, notamment par moi-même. Toutefois, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, de nombreuses voix se sont élevées pour contester le financement de cette politique.
En effet, 60 % des produits alcoolisés consommés en France ont été exclus de l'assiette contributive à cet effort nécessaire, qui aurait pourtant dû être un effort solidaire entre toutes les boissons alcoolisées. Ces 60 % épargnés, ce sont les vins.
Or, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qui dit alcoolisme dit excès de consommation d'alcool sous toutes ses formes. En effet, ce qui importe, c'est non pas la quantité de liquide bue, mais la quantité d'alcool ingérée.
Certes, on ne boit pas le vin, la bière ou un alcool dit fort, c'est-à-dire un spiritueux, de la même façon. Savez-vous pourtant qu'un verre de vin contient autant d'alcool qu'un verre de cognac, d'armagnac ou de calvados, voire une chope de bière ?
Savez-vous encore qu'un verre de cognac est déjà taxé à 1,90 franc et un verre de vin à 3 centimes, alors qu'ils contiennent une quantité d'alcool identique ?
En chiffres arrondis, un litre d'alcool pur en provenance des spiritueux acquitte 120 francs, contre 1,80 franc s'il est issu du vin, c'est-à-dire soixante fois plus ! Certes, il y a l'histoire et chacun a des intérêts politico-économiques, voire des intérêts particuliers à défendre. Cependant, il n'est pas acceptable, compte tenu des objectifs que l'on poursuit, de faire perdurer ces discriminations.
L'article additionnel que je soumets au Sénat a le mérite non pas de rééquilibrer les contributions - le fossé est trop grand - mais d'appeler chacun à une contribution solidaire. En aucun cas, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, cela ne vous prive de ressources puisque, au contraire, l'assiette se trouve considérablement élargie et donc le taux de cotisation amoindri.
Il s'agit donc d'une mesure d'équité. En effet, il est tout de même paradoxal que l'on ne vise, en parlant d'alcoolisme, que les spiritueux à 40 degrés qui, tous confondus, ne représentent que 5,6 % de la consommation d'alcool pur et les bières à 5,5 degrés qui représentent 18 % de cette consommation, en ignorant les vins à 11,5 degrés qui représentent 60 % de la consommation d'alcool. Cette discrimination pourrait sans aucun doute intéresser la Cour européenne de justice.
Ayant pris conscience de cette anomalie, le Gouvernement avait, en 1997, missionné M. Denis Jacquat pour analyser ces différences de traitement entre produits alcoolisés et pour proposer des solutions tendant à une plus grande équité. Il ne semble pas que vous ayez repris ces travaux. C'est donc l'objet de cet amendement qui tend à insérer un article additionnel. Je vous demande, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'approuver et vous, mes chers collègues, de l'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Je voudrais rappeler un point d'histoire : si nous en sommes là, s'agissant des différences de taxation, c'est parce que l'année dernière, au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il y avait eu, à l'Assemblée nationale, une bataille mémorable. Celle-ci n'avait pas opposé la droite et la gauche. Chacun sait, en effet, que, lorsque l'on parle d'alcool en France, il y existe un transcourant ; nous l'avons souvent constaté. Le résultat de ce débat houleux et prolongé a été les taux sur les alcools forts et les vins qui sont actuellement en vigueur.
L'année dernière, nous avons refusé de revenir sur ce débat lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité sociale. Je vous invite, mes chers collègues, à faire de même cette année. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement. (M. Chérioux applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement partage l'avis de M. le rapporteur : il est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 58 rectifié.
M. Paul Blanc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc. Je partage, moi aussi, l'avis de la commission. Je voudrais simplement rappeler à M. Arnaud ce que les Américains appellent le french paradox : les consommateurs de vin rouge ont 30 % de moins de risques de développer une maladie cardio-vasculaire que les personnes qui ne consomment pas de vin.
Il serait très intéressant que le Sénat constitue, peut-être à travers l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, une commission pour étudier scientifiquement quels sont les produits qui, dans le vin, protègent contre les maladies cardio-vasculaires.
M. Emmanuel Hamel. Le tanin !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. L'huile d'olive, aussi, en protège !
M. Philippe Arnaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Je ne surprendrai personne en disant que je voterai cet amendement. Je vous invite, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à ne plus parler de lutte contre l'alcoolisme si par une position de principe on exclut 60 % des produits alcoolisés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 58 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 6