M. le président. « Art. 5. _ I. _ Au chapitre V du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale, il est créé une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Taxe de santé publique sur les tabacs

« Art. L. 245-13 . _ Il est créé, au profit de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, une taxe de santé publique de 2,5 % sur les tabacs fabriqués en France et sur les tabacs importés ou faisant l'objet d'une acquisition intracommunautaire et une taxe additionnelle de 7 % sur les tabacs à fine coupe destinés à rouler les cigarettes. Ces taxes sont assises et perçues sous les mêmes règles que la taxe sur la valeur ajoutée.
« Un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et du budget pris après avis du conseil d'administration de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés fixe les conditions d'affectation de ces taxes aux actions de prévention et notamment de lutte contre le tabagisme. »
« II. _ Les dispositions du I s'appliquent à compter du 1er janvier 1998. »
Sur l'article, la parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Dans cet article 5, le Gouvernement propose de renforcer la taxation sur les tabacs et d'en affecter le produit à un objectif de défense de la santé publique : la prévention et la lutte contre le tabagisme.
C'est une disposition qui ne devrait pas susciter de divergences entre nous.
Que le tabac tue, cela ne fait aucun doute. Qu'il ait fallu plusieurs décennies de polémiques pour admettre officiellement l'évidence de cette causalité sur les angines de poitrine, sur certains cancers, sur l'hypertension et d'autres pathologies est particulièrement regrettable.
Aujourd'hui, l'évolution de la consommation a pris une dimension dramatique, notamment avec l'apparition de jeunes fumeurs dès l'âge de douze ou treize ans, qui deviennent dépendants avant même d'avoir atteint l'âge adulte.
Les pouvoirs publics, prenant la mesure de la gravité de cette forme de toxicomanie et dépendance, ont finalement utilisé l'arme de l'augmentation du coût du tabac comme un élément de la politique de lutte contre le tabac. Je dis « finalement », car on ne peut pas ignorer la schizophrénie de l'Etat dans cette affaire, quelle que soit d'ailleurs l'appartenance politique du Gouvernement.
On nous propose aujourd'hui à la fois d'augmenter le prix à la consommation, afin d'en faire un élément dissuasif, et de transformer le montant de cette augmentation en moyen de prévention. Il s'agit bien là d'une mesure de santé publique.
L'Assemblée nationale, se fondant sur la nocivité aggravée du tabac à rouler, a décidé fort justement d'ajouter une taxe additionnelle afin de le rendre moins attractif, démarche à laquelle nous souscrivons complètement.
Nous approuvons donc la proposition du Gouvernement.
M. le président. Sur l'article 5, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 33, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose de rédiger comme suit cet article :
« Au dernier alinéa de l'article L. 241-2 du code de la sécurité sociale, les mots : "pour 1997" sont supprimés. »
Par amendement n° 7, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose :
I. - Dans la première phrase du premier alinéa du texte présenté par le paragraphe I de l'article 5 pour l'article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, de remplacer le taux : « 2,5 % » par le taux : « 5 % ».
II. - Dans la même phrase, de remplacer le taux : « 7 % » par le taux : « 10 % ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 33.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. La commission des finances est favorable à l'aggravation de la fiscalité du tabac et à l'affectation de son produit à la CNAM, la Caisse nationale de l'assurance maladie. Chacun sait que le tabagisme, qui est l'une des principales causes de mortalité prématurée par le cancer, occasionne des dépenses colossales pour l'assurance maladie.
Toutefois, la commission des finances n'est pas d'accord avec la méthode proposée par le Gouvernement.
En effet, la création de deux taxes additionnelles, l'une sur le tabac en général et l'autre sur le tabac à rouler, rendrait encore plus complexe une fiscalité du tabac qui l'est déjà suffisamment et qui comporte d'ores et déjà trois taxes.
Par ailleurs, ces deux taxes sont manifestement contraires au droit communautaire. En effet, celui-ci n'autorise la création de telles taxes additionnelles que si elles poursuivent une finalité spécifique.
Or la spécificité des taxes proposées n'est pas avérée puisque leur effet dissuasif sur la consommation de tabac n'est pas différent de celui des autres impositions existantes sur le tabac. Leur affectation à la CNAM n'est pas non plus une particularité, puisqu'une fraction des droits de consommation sur les tabacs a déjà été affectée à celle-ci l'an dernier par la loi de finances pour 1997.
Le Gouvernement lui-même ne semble pas très sûr de la mesure qu'il propose. En effet, devant l'Assemblée nationale, vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement négociait avec les producteurs afin de les conduire à majorer leurs prix. Vous avez indiqué que, une fois la négociation terminée, des conséquences en seront tirées sur le mode de taxation et que « l'article 5 ne resterait en vigueur que si la hausse globale ne pouvait être obtenue par la négociation ».
Cela m'amène à la solution préconisée par la commission des finances. Plutôt que de créer des taxes nouvelles, il lui semble plus simple de relever parallèlement les droits de consommation sur les tabacs et la fraction de leur produit qui est affecté à la CNAM. Il faut savoir que les droits de consommation s'élèvent à environ 45 milliards de francs et que cette taxe rapporterait moins de 200 millions de francs.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Pas du tout !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Le tarif de ces droits devra être également complété par une part forfaitaire sur le tabac à rouler, afin de faire disparaître l'avantage dont il bénéficie par rapport aux cigarettes.
L'amendement que vous propose la commission des finances tend simplement à préparer cette opération, qui ne pourra intervenir qu'en loi de finances s'agissant d'une ressource de l'Etat.
Il vise à modifier la rédaction de l'article L. 241-2 du code de la sécurité sociale relatif aux ressources de la CNAM, qui dispose que celles-ci sont constituées par une « fraction du produit du droit de consommation prévu à l'article 575 du code général des impôts, dans les conditions fixées par la loi de finances pour 1997 ».
L'amendement 33 tend à supprimer la référence à l'année 1997, de façon que cette ressource puisse être aisément ajustée dans les lois de finances ultérieures, sans qu'il soit nécessaire de modifier à chaque fois le code de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. La commission des affaires sociales approuve la création d'une taxe de santé publique sur les tabacs. En effet, toutes les études démontrent l'élasticité de la consommation de tabac par rapport à son prix, surtout à moyen terme.
Ce débat a déjà eu lieu voilà longtemps, lors de l'examen de la loi Evin. D'ailleurs, à l'époque, la majorité du Sénat avait bien voulu suivre l'avis du rapporteur que j'étais en votant cette loi. La philosophie de ce texte reposait sur trois « p » : la publicité, les prix et la prévention.
Depuis cette date, le taux de consommation de cigarettes a baissé, baisse qui a été consécutive à la hausse du prix des cigarettes.
L'Assemblée nationale a conservé l'article 5 tel qu'il figurait dans le projet de loi, mais elle a ajouté à la taxe de 2,5 % une taxe additionnelle de 7 % sur les tabacs à rouler. Ces derniers, qui sont très prisés, notamment chez les jeunes, ont une teneur en nicotine et en goudron supérieure à celle des cigarettes.
Le professeur Tubiana, président de nombreuses associations de lutte contre le cancer, notamment contre le cancer du poumon, nous a écrit pour nous indiquer que l'augmentation réduite du prix du tabac à rouler ces dernières années avait provoqué un net accroissement de la consommation de ce tabac, notamment chez les jeunes et chez les gens de peu de moyens.
Nous connaissons les conséquences de l'association du tabac à rouler et du produit carbocancérigène du papier. Le remède est pire que le mal !
Pour éviter les effets pervers que nous connaissons actuellement, il faut donc augmenter plus le prix du tabac à rouler que celui des cigarettes.
En ce qui concerne le problème des engagements européens, je m'en remets aux spécialistes. J'ai écouté les propos qui ont été tenus à la fois par M. Kouchner, à l'Assemblée nationale, et par M. Oudin. Nous verrons bien si la conformité aux engagements européens est avérée.
La commission des affaires sociales propose d'alourdir de manière significative les taux qui sont proposés.
Elle estime, en effet, que la création d'une nouvelle taxe sur les tabacs ne saurait véritablement constituer une mesure de santé publique que si elle dissuade la consommation. Or une augmentation du prix des cigarettes de 2,5 % n'est pas dissuasive pour les consommateurs. Dans ces conditions, elle vous propose de porter les taux des deux taxes additionnelles à 5 % pour les cigarettes et à 10 % pour les tabacs à rouler.
Je tiens à dire que nous sommes favorables à une taxe de santé publique. Voilà quelques années, une taxe de un centime par cigarette a été instaurée, mais elle a été affectée au budget de l'Etat. L'assurance maladie n'en a jamais vu la couleur !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Tout à fait !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. J'éprouve donc la plus grande méfiance à l'égard du ministère des finances auquel sont versées les taxes, même si, a priori, celles-ci sont destinées à l'assurance maladie. (MM. Machet et Chérioux applaudissent.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 33 et 7 ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Les auteurs de ces amendements ont exprimé des opinions radicalement différentes. J'abonde dans le sens de Mme Dieulangard, bien sûr, et de vous-même, monsieur le rapporteur. Seulement, « chat échaudé craint l'eau froide » !
En tout cas, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 33 présenté par M. Oudin. En effet, vous avez raison, monsieur Descours : toutes les augmentations du prix du tabac, en particulier des cigarettes, ont été affectées au budget de l'Etat et jamais à la CNAM. On a mis des années à connaître le montant exact des sommes qui étaient attribuées à la CNAM.
Si mes chiffres sont exacts - cela semble être un secret ! - 54 milliards de francs ont été versés au budget de l'Etat et 2,7 milliards de francs ont été affectés à la CNAM. On discute toujours ces chiffres ! De toute façon, c'est énorme !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Il s'agit de 43 milliards de francs !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Pour ma part, je maintiens le chiffre de 54 milliards de francs. C'est le produit de la vente des cigarettes qui est affecté directement au budget de l'Etat.
Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, monsieur Oudin, si nous parvenons, au travers de la négociation, à prendre des mesures qui servent non pas le budget de l'Etat, mais la santé publique, nous serons favorables, en effet, au système que vous proposez. Nous verrons quelles dispositions peuvent être considérées comme des mesures de santé publique.
Je vous répondrai maintenant très précisément sur les références à Bruxelles et sur la possibilité de relever les taxes sur les cigarettes. Nous avons demandé au Conseil d'Etat si cela était possible, en ciblant, comme nous le souhaitons, les campagnes de la CNAM sur le tabagisme de la jeunesse. La réponse est positive.
Ne croyez pas que l'augmentation du prix des cigarettes soit une mesure anodine. C'est toujours et dans tous les pays ce qui a permis de faire chuter considérablement la consommation de tabac, en particulier chez les jeunes.
Je souhaiterais comme vous, monsieur Descours, augmenter davantage le prix du tabac, mais je ne crois pas que cela soit possible, car cela provoquerait une formidable levée de boucliers. Si nous parvenons à augmenter, comme nous le proposons, de 2,5 % le prix des cigarettes et de 7 % celui du tabac à rouler, ce ne sera déjà pas si mal, car nous pourrons financer les campagnes de prévention à l'adresse de la jeunesse.
En ce qui concerne le tabac à rouler, je partage votre sentiment, monsieur Descours, et pourtant je suis défavorable à votre amendement, pour les raisons que je viens d'exposer. Le tabac à rouler est effectivement beaucoup plus chargé en nicotine que les cigarettes Passez devant les lycées, et vous verrez que les jeunes commencent à fumer à partir de douze ou treize ans, et très singulièrement du tabac à rouler, parce que c'est moins cher, c'est vrai, et aussi parce qu'une espèce de mode est apparue.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Cela ressemble à un joint !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Effectivement ! Cela explique peut-être le succès de ce tabac ! En tout cas, il est très chargé en nicotine, de sorte qu'il rend encore plus dépendant que les cigarettes, ce qui est quand même très criminel.
Par conséquent, tout en partageant votre sentiment, monsieur Descours, je me vois dans l'obligation, par réalisme, d'émettre un avis défavorable sur l'amendement n° 7, avis encore plus défavorable sur l'amendement n° 33.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Hier soir, Mme la ministre nous a dit que le contre-projet que nous proposions ne prévoyait aucune économie ni aucune recette. En voilà une !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Notre suggestion de majorer de 5 % les tabacs en général et de 10 % le tabac à rouler devrait permettre de parvenir au maintien de l'objectif de déficit établi à 12 milliards de francs pour 1998.
En ce qui concerne l'amendement n° 33 présenté par M. Oudin, je tiendrai le même raisonnement que tout à l'heure.
Je comprends très bien la structure de cet amendement, mais il a un immense défaut : il ne permet pas de boucler le financement de la loi de financement de la sécurité sociale, car il reporte la décision à une discussion postérieure à la loi de finances. Par conséquent, il est absolument impossible, au Gouvernement comme au Parlement, de pouvoir arrêter le déficit pour l'année prochaine à un certain chiffre.
On s'en remet à une négociation de type féodal entre le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et la SEITA. C'est tout à fait intéressant ! Il s'agit de la survivance d'un droit qui me paraissait dépassé. Je ne crois pas que l'on puisse, dans le cadre d'un texte précis sur le financement de la sécurité sociale, dans lequel il est question de branches, d'objectifs de dépenses et de recettes ; s'en remettre à une négociation postérieure entre le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le président de la SEITA pour instaurer une recette supplémentaire en faveur de la Caisse nationale d'assurance maladie. Cela me paraît en totale contradiction avec le mécanisme dans lequel nous nous trouvons.
Par conséquent, je vous demande, mes chers collègues, contre l'avis de M. Oudin et celui du Gouvernement, de voter l'amendement n° 7 de la commission. En effet, d'une part, il accepte le principe de la création de la taxe sanitaire sur le tabac et, d'autre part, il représente un apport à la construction générale que nous avons édifiée pour maintenir le déficit à 12 milliards de francs l'année prochaine.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je formulerai deux remarques.
En premier lieu, moi qui ai l'habitude de déchiffrer la pensée de mon ministre de tutelle, je ne crois pas, monsieur Fourcade, qu'elle vous ait reproché de ne pas proposer de recettes supplémentaires. En fait, nous estimons que l'addition de taxes ne présente pas d'avantage.
En second lieu, j'ai été finalement assez convaincu - pardonnez-moi, monsieur le président, de changer d'avis - par l'argumentation de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des affaires sociales. Je m'en remets donc, pour l'amendement n° 7, à la sagesse du Sénat.
M. Jean Chérioux. Ah !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Ce débat est important parce que c'est un débat de principe. Alors, disons-le tout net, nous sommes favorables à l'accroissement de la taxation du tabac. Le graphique que vous trouverez dans mon rapport écrit mais aussi dans d'autres documents montre en effet parfaitement la corrélation inverse entre l'augmentation du prix et la baisse de la consommation. De ce point de vue, nous poursuivons donc le même objectif.
Toutefois, nous nous heurtons à des problèmes de cohérence fiscale et législative. Cohérence fiscale, car nous ne souhaitons pas voir se multiplier les taxes sur un même produit. Cette attitude est non seulement celle de la France mais aussi celle de l'Europe. Nous essayons donc de restreindre la multiplication des taxes sur les différents produits. Nous pouvons recourir aux droits de consommation lorsqu'ils existent.
M. le secrétaire d'Etat a déclaré tout à l'heure que, si ces recettes sont affectées au budget de l'Etat, nous n'en verrons pas la couleur. Tel a peut-être été le cas dans le passé, mais je pense que le Parlement, « surveillant » le Gouvernement, peut parfaitement se garantir contre ce risque.
A la suite du vote de l'Assemblée nationale, les droits de consommation sur les tabacs s'élèvent à 43,8 milliards de francs, la taxe de 0,75 % affectée au BAPSA, le budget annexe des prestations sociales agricoles, à 438 millions de francs, la taxe de santé publique de 2,5 % sur les tabacs à 1,3 milliard de francs, la taxe de santé publique de 7 % sur les tabacs à rouler à 130 millions de francs, soit quatre taxes.
Il est possible de poursuivre dans cette voie, mais la commission des finances n'approuve pas la multiplication des taxes.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ignore de quelle façon vous avez consulté le Conseil d'Etat,...
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Par la voie habituelle, monsieur le sénateur, pas par effraction. (Sourires.)
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. ... mais la commission des finances estime qu'il semblerait - vous voyez à quel point je suis prudent - que la création de taxes additionnelles soit contraire à la directive n° 92-12/CEE du 25 février 1992.
J'en viens aux derniers propos tenus par M. le président Fourcade, qui illustrent bien la difficulté du système. Selon le président de la commission des affaires sociales, l'adoption de l'amendement n° 33 provoquerait un déséquilibre des comptes. Certes, mais l'équilibre sera rétabli dans un certain laps de temps grâce à un versement aux régimes sociaux qui sera prévu dans la loi de finances.
Pour toutes ces raisons, nous maintenons l'amendement n° 33, car il s'agit d'un problème de principe que nous avons le devoir de soulever devant la Haute Assemblée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 33.
M. Roland du Luart. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Après avoir écouté les différents intervenants, je dois avouer que je suis assez troublé.
Je comprends les motifs qui animent ceux qui se veulent responsables en matière de consommation excessive de tabac. Mais vous avouerez que l'on peut être étonné d'entendre un membre éminent du Gouvernement préconiser la consommation de drogues douces, tel que le cannabis.
M. Alain Gournac. Oh que oui !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je n'ai rien dit de tel !
M. Roland du Luart. Vous savez très bien de qui je veux parler.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ce n'est pas de moi !
M. Roland du Luart. En effet, monsieur le secrétaire d'Etat. Je ne fais pas d'amalgame. Vous, vous avez parlé de joint, mais vous avez un collègue éminent au sein du Gouvernement qui, lui, a parlé de la libéralisation du cannabis.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ah bon ! L'adjectif « éminent » ne s'appliquait donc pas à moi ? (Sourires.)
M. Roland du Luart. Je voulais simplement dire que nous sommes assez hypocrites en matière de drogue.
M. Jacques Machet. C'est très grave !
M. Roland du Luart. En revanche, je suis inquiet par la dimension économique du problème. Je comprends, certes, les raisons médicales ou de santé qui sont avancées ; mais si nous augmentons aujourd'hui très fortement les taxes, nous assisterons à un détournement de trafic : les consommateurs iront acheter leur tabac à rouler en Belgique et l'introduiront en France. Il faut donc préconiser une uniformisation des taxes à l'échelon européen, faute de quoi nous créerons des situations anormales.
Par ailleurs, M. Kouchner souhaite, pour des raisons de santé publique, et je le comprends, une chute très forte des ventes du tabac à rouler. Mais n'oublions pas qu'il existe une usine très importante de la SEITA à Metz pour laquelle le Gouvernement devra trouver des solutions économiques, sous peine d'accroître le nombre de chômeurs.
Le Gouvernement doit très rapidement trouver un dispositif global par le biais d'une négociation tendant à faire augmenter très significativement le prix des produits les moins chers dont la consommation se développe au détriment de celle des cigarettes et qui sont achetés par des jeunes ayant un pouvoir d'achat très limité.
Il ne faut pas non plus que nos décisions, telles que les mesures fiscales, favorisent les grands groupes internationaux de tabac. Il était important de le souligner. Je suis donc personnellement très réservé quant à la position à adopter. En effet, il n'est pas possible de charger la barque du déficit de la sécurité sociale mais il faut prendre garde aux répercussions économiques des mesures qui seront prises.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Les propos que vient de tenir M. du Luart sont très importants. Nous ne pourrons pas éviter ce débat sur tous les produits toxiques, légaux ou non, qui provoquent des ravages dans notre pays. J'en avais lancé voilà quelque temps et vous avez eu, mesdames, messieurs les sénateurs, la bonté d'y souscrire. Nous examinerons donc cette question ultérieurement. Mais il s'agit d'un problème très grave qui ne peut être abordé sous forme de plaisanteries - je ne parle pas des vôtres, monsieur le sénateur - ou de propos quelque peu intempestifs dans des magazines satiriques. Il est beaucoup plus important.
M. Roland du Luart. C'est certain !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais, à un moment donné, il faudra bien, je le répète, débattre des toxiques légaux et illégaux ainsi que de l'utilisation massive en France des psychotropes que vous avez vous-même évoquée.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, je comprends fort bien que vous vous interrogiez sur le lien entre la santé publique et le chômage. Je suis conscient de ce problème. Pour un responsable de la santé publique, le choix est très vite fait : il existe d'autres causes de chômage. D'ailleurs, nous n'en sommes pas à fermer les usines.
Je reprends vos chiffres. Lorsque nous envisageons d'augmenter le prix du tabac - M. Descours y a fait allusion - on nous rétorque souvent que la contrebande va se développer. Sachez, monsieur le sénateur, qu'elle sévit en Espagne et en Italie, notamment où les cigarettes sont les moins chères. Peut-être est-ce dû à la culture nationale ou à des raisons géographiques ?
Par ailleurs, d'après les chiffres de la SEITA, un marché noir existerait à nos frontières. En fait, ce n'est pas un marché noir : il s'agit essentiellement des frontaliers qui vont chercher leur tabac de l'autre côté de la frontière. Cela représente 1 % ou 2 % de la consommation. Ce n'est pas beaucoup et j'en tiens largement compte. En tout cas, on ne peut pas prétendre que, pour préserver l'emploi, il faut sacrifier la santé publique. Ce fut le cas pendant très longtemps, parce que des subventions de l'Europe étaient allouées aux planteurs de tabac.
Le tabac, je vous le rappelle, est la cause directe de 60 000 morts dans notre pays. Est-il plus important d'en diminuer la consommation ou de s'interroger sur les conséquences éventuelles de celle-ci ? A mon avis, il faut reconvertir toutes ces industries, ce qui serait beaucoup plus profitable pour notre pays, pour l'emploi et pour la santé publique.
M. François Autain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Puisque le Gouvernement nous y invite, je vais essayer de faire preuve de la sagesse bien connue de la Haute Assemblée.
Selon que la taxe sur le tabac est dévolue à l'Etat ou à la CNAM, elle obéit à deux logiques différentes. En effet, l'Etat a l'intérêt, me semble-t-il, à ce que les consommateurs fument le plus de cigarettes possible pour faire entrer le plus de taxes possible dans le budget de l'Etat afin d'équilibrer celui-ci.
En revanche, lorsqu'il s'agit de la CNAM, la situation est quelque peu différente. L'objectif alors est d'essayer de financer les dépenses supplémentaires entraînées par la consommation du tabac. Je ne sais pas si cette consommation a été chiffrée, mais elle est sans doute supérieure aux 2,7 milliards de francs qui résultent des taxes sur le tabac et qui sont affectées à la CNAM.
Si jamais les Français en venaient à ne plus fumer, ce serait une source d'économies pour la sécurité sociale mais une source de diminution de recettes pour l'Etat, ce qui lui poserait un certain nombre de problèmes, d'où ma proposition.
Je me demande s'il ne faudrait pas essayer de réfléchir à une meilleure répartition entre la part qui revient à l'Etat et celle qui est dévolue à la CNAM, sans pour autant augmenter chaque année le taux des taxes. Il existe une disproportion très importante. L'Etat a tendance à user et à abuser de ces recettes dites de poche alors que la CNAM doit faire face à des besoins urgents, tels que le financement des pathologies liées à l'excès de tabac.
En revanche, la libéralisation du cannabis - je ne me prononce pas sur le principe - aurait au moins une conséquence intéressante : nous pourrions lever une taxe sur le cannabis, ce qui permettrait d'équilibrer les comptes de la CNAM ou de l'Etat. Lorsque vous réfléchirez à cette question, mes chers collègues, vous ne devrez pas perdre de vue les conséquences qui résulteraient pour le budget de l'Etat et, éventuellement, pour celui de la sécurité sociale d'un prélèvement d'une taxe sur les ventes de cannabis, si celui-ci était dépénalisé.
M. Alain Vasselle. Vous ne manquez pas d'humour !
M. François Autain. Pour toutes ces raisons, nous voterons l'amendement n° 33, en souhaitant que le Gouvernement et le ministère des finances s'efforcent, dans les années à venir, d'assurer une répartition des taxes sur les tabacs plus favorable à la CNAM.
M. Paul Blanc. Pourquoi pas la totalité ?
M. François Autain. Ce serait effectivement l'idéal, mais je ne souhaite pas le proposer parce que ce serait difficile à réaliser, surtout dans l'immédiat.
M. Alain Gournac. Ce serait plus normal !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. J'ai été très attentif aux commentaires que vient de faire M. le secrétaire d'Etat à propos des conséquences de la contrebande. En effet, il a donné une information qui est en contradiction avec celle que j'ai recueillie, voilà quelques semaines, auprès d'un haut responsable des douanes de ma région.
Contrairement à ce qui ressort de nos échanges, il existe une corrélation entre l'augmentation du prix du tabac et la diminution de la consommation. Cette corrélation ne serait qu'apparente, car interviendrait, au fur et mesure de l'augmentation des prix, un accroissement des produits de contrebande.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez établi une distinction entre les différents pays de l'Union européenne en considérant - et c'est d'ailleurs très intéressant car paradoxal - que les pays qui pratiquent un prix moins élevé pour les cigarettes seraient davantage exposés aux produits de contrebande. C'est d'autant plus intéressant que, si ces observations sont avérées, la stratégie sur laquelle nous sommes d'accord en matière de politique de santé publique risquerait d'être contredite par les chiffres.
Les informations dont vous disposez et celles qui procéderaient de contacts avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie permettent-elles de savoir si la corrélation entre la consommation et le prix des produits comporte un biais significatif dû à la contrebande ?
Cela étant dit, quelle que soit la réponse que vous pourrez nous apporter ce soir, ou lors d'un débat ultérieur, il va de soi que je voterai l'amendement de la commission des affaires sociales.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, je suis très ferme sur ce point pour en avoir discuté voilà quelques jours encore avec M. Tubiana : il y a une corrélation absolue entre la hausse du prix des cigarettes et la baisse de la consommation, singulièrement chez les jeunes, et ce dans tous les pays.
En revanche, et c'est là un fait que je qualifierai de culturel pour être pudique dans mes appréciations, ce n'est pas dans les pays où le prix du tabac est élevé que la contrebande sévit le plus puisqu'elle est plus développée dans des pays comme l'Espagne et l'Italie où les prix du tabac sont bas.
M. Paul Blanc. C'est vrai, mais ces pays sont des plaques tournantes !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Telles sont les deux informations que je vous apporte. Il y en a bien d'autres. Ce qui est certain, c'est que l'augmentation du prix du tabac entraîne une baisse de la consommation chez les jeunes.
M. Claude Huriet. De la consommation officielle !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5, ainsi modifié.

(L'article 5 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné vingt-trois amendements en deux heures vingt, soit, comme aurait dit le président Dailly, un braquet de dix amendements à l'heure. Au rythme actuel, si vous souhaitez achever l'examen des articles dans la nuit, nous en terminerons au mieux à quatre heures trente ou cinq heures.

Article additionnel après l'article 5