M. le président. « Art. 1er. - I. - Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 235 ter ZB ainsi rédigé :
« Art. 235 ter ZB. - Les personnes morales sont assujetties, dans les conditions prévues aux II à V de l'article 235 ter ZA, à une contribution temporaire égale à une fraction de l'impôt sur les sociétés calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés au I de l'article 219.
« Cette fraction est égale à 15 % pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée conformément au deuxième alinéa de l'article 37, entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1998 inclus. Elle est réduite à 10 % pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 1999 inclus.
« Sont exonérées les personnes morales ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 50 millions de francs. Le chiffre d'affaires à prendre en compte s'entend du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise au cours de l'exercice ou la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant, et, pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe. Le capital des sociétés, entièrement libéré, doit être détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques ou par une société répondant aux mêmes conditions dont le capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques. Pour la détermination de ce pourcentage, les participations des sociétés de capital-risque, des fonds communs de placement à risques, des sociétés de développement régional et des sociétés financières d'innovation ne sont pas prises en compte à la condition qu'il n'existe pas de lien de dépendance au sens du 1 bis du l'article 39 terdecies entre la société en cause et ces dernières sociétés ou ces fonds. »
« II. - Dans le premier alinéa de l'article 213 du code général des impôts, après les mots : "235 ter ZA", sont insérés les mots : ", la contribution temporaire mentionnée à l'article 235 ter ZB".
« III. - Le 2° du f du I de l'article 219 du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour la détermination de ce pourcentage, les participations des sociétés de capital-risque, des fonds communs de placement à risques, des sociétés de développement régional et des sociétés financières d'innovation ne sont pas prises en compte à la condition qu'il n'existe pas de lien de dépendance au sens du 1 bis de l'article 39 terdecies entre la société en cause et ces dernières sociétés ou ces fonds. »
« IV. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. »
Sur l'article, la parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en première lecture, la majorité du Sénat, en vertu d'une analyse de fond largement développée et rappelée fort exactement et fort opportunément par M. Jean Cluzel, au nom de la commission des finances, a estimé devoir supprimer cet article.
Les raisons qui nous semblaient conduire à cette décision demeurent aujourd'hui ; la continuité doit à notre avis prévaloir dans l'analyse, d'autant plus que l'actualité de ces derniers jours nous incite à réitérer nos positions. En effet, un divorce croissant, très préoccupant, est en train de s'opérer entre le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, et les entreprises.
J'évoquerai à cet égard votre proposition d'alourdir l'impôt sur les sociétés avec tous les travers, tous les effets pervers d'une telle mesure, mal ciblée, inopportune économiquement, inefficace, qui semble aller tout à fait à contre-courant de l'harmonisation des politiques économiques en Europe et de l'élaboration progressive de structures fiscales homogènes entre des pays qui, demain, seront appelés à appartenir à la zone euro.
Mais, au-delà, nous voyons que le Gouvernement veut corseter les entreprises, quelles que soient leur taille et leur nature : disant cela, j'évoque l'affaire des trente-cinq heures, qui n'est que la mise en oeuvre d'une promesse électorale dangereuse et illusoire se traduisant par toutes les contradictions qui s'étalent à présent sous nos yeux.
Nous savons très bien que des groupes importants d'entreprises, des groupes implantés sur différents territoires, ont la possibilité de négocier avec les représentants des partenaires sociaux un assouplissement de l'organisation du travail, des évolutions dans la politique des rémunérations, et d'intégrer à cela des dispositions concernant le temps de travail et la création d'emplois.
Nous savons aussi que beaucoup de petites et moyennes entreprises, notamment dans les différents secteurs des services, ne disposent pas de ces marges de manoeuvre permettant de globaliser ainsi une négociation avec les partenaires sociaux.
Là où la précédente majorité avait mis en place un dispositif incitatif que l'on a appelé « la loi Robien », le Gouvernement, par la voix de M. le Premier ministre, au terme de la tragi-comédie qui s'est déroulée sous les yeux de la France entière, propose un carcan, une limite arbitraire dans le temps - le 1er janvier 2000 - pour toutes les entreprises quelles qu'elles soient et quelle que soit la capacité de leurs représentants - représentants des salariés et des dirigeants - à se mettre d'accord pour faire progresser ces entreprises, pour améliorer leur organisation et pour leur permettre de créer un nouveau dynamisme. Ce sont bien des approches voisines : d'un côté, plus d'impôt sur les sociétés ; de l'autre, le carcan en matière d'organisation du travail. C'est une vision extérieure à l'Europe,...
M. Raymond Courrière. Une vision cauchemardesque !
M. Philippe Marini. ... une vision d'un autre temps, ce dont nous ne tarderons pas, hélas ! à nous apercevoir dans les chiffres mensuels du chômage de ce pays.
Telle est la conviction que je veux exprimer tout à fait fermement. En effet, le cap qui est tracé est un mauvais cap.
Nous avons à examiner aujourd'hui la première mesure concrète issue de cette mauvaise politique. Il faut assurément la rejeter, et il importe de dire aux chefs d'entreprise que le gouvernement actuel n'est pas réaliste. Ce n'est pas le gouvernement de la période 1988-1993, ...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a eu le mois de juin !
M. Philippe Marini. ... au cours de laquelle certains sujets avaient pu avancer grâce à une réflexion commune entre les milieux de l'entreprise et de la majorité d'alors. Le gouvernement actuel est mu par des considérations beaucoup plus idéologiques et nous offre le spectacle d'une vraie gauche au pouvoir, ce dont ses adversaires ne peuvent assurément que se réjouir : en effet, d'ici à quelques mois, voire quelques années, la démonstration sera faite, monsieur le ministre, que votre politique était assurément la plus mauvaise qui soit !
M. le président. Par amendement n° 2, M. Lambert, au nom de la commission, propose de supprimer l'article 1er.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Cluzel, rapporteur. La suppression de l'article 1er se justifie par les analyses que j'ai présentées tout à l'heure. Je n'insisterai donc pas.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je voudrais profiter de cet amendement tendant à la suppression de l'article 1er pour répondre à M. le rapporteur et à Mme Beaudeau, qui sont intervenus tout à l'heure à la tribune. Leurs remarques, qui portaient évidemment sur l'ensemble du texte, visaient néanmoins principalement les trois premiers articles, dont la logique est bien reprise par l'article 1er, ainsi que l'a montré l'intervention de M. Marini.
M. Cluzel a dit que nous partagions un point de vue, à savoir la nécessité de respecter le déficit prévu. Très bien ! Alors, faisons-le ! Il ne suffit pas de vouloir le respecter, monsieur le rapporteur, il faut s'y employer. Or, force est de constater - l'audit l'a montré, mais M. Alain Juppé l'avait dit à M. Lionel Jospin lors de la transmission des pouvoirs, et cela ne peut donc être contesté par personne aujourd'hui - que, au début du mois de juin, le déficit de notre pays était compris entre 3,5 % et 3,7 %.
Je ne jette pas la pierre au gouvernement précédent, même si d'autres que moi pourraient le faire ! Néanmoins, quand les choses ont dérapé, il faut à tout le moins les corriger, même si l'on ne tient pas à critiquer ceux qui ont laissé une telle situation se créer.
Pour ce faire, il n'y a pas trente-six manières : il faut faire des économies et opérer des prélèvements supplémentaires.
Les économies ont été engagées. S'agissant des prélèvements supplémentaires, ils ne conduiront pas à augmenter la totalité des prélèvements pour 1997 - chacun des membres de la Haute Assemblée l'a bien noté, je pense - puisqu'il s'agit simplement de compenser, ainsi que l'audit l'a montré, des recettes qui ne sont pas au rendez-vous.
Dans ces conditions, la question peut se poser de savoir si ce qui était vrai au mois de juillet l'est toujours au mois de septembre. C'est ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, laissant entendre que si, au mois de juillet, on pouvait penser qu'il fallait agir ainsi, au mois de septembre, ce n'était peut-être plus nécessaire.
Malheureusement, je suis obligé de vous détromper. L'analyse que vous faites des situations mensuelles publiées par mon ministère est trop rapide. En effet, vous avez raison de dire que la situation au mois de septembre est meilleure qu'elle ne l'était l'année dernière, ce qui pourrait donner à penser que vous avez raison et que, finalement, le nouveau gouvernement, par simple magie, a redressé la situation au cours des mois de juin, juillet et août.
J'ai regret à devoir vous dire qu'il n'en est rien !
Pourquoi ? Parce que, à la suite de l'allégement de l'impôt sur le revenu, auquel l'ancienne majorité avait donné ses suffrages, 25 milliards de francs ne tomberont pas dans les caisses de l'Etat au mois d'octobre, à l'occasion du dernier tiers provisionnel ! Par conséquent, la situation à la fin du mois de septembre n'est absolument pas significative de la situation de la fin de l'année. Il faudrait pour cela que la fin de l'année soit analogue à celle des années précédentes, ce qui ne sera pas le cas en raison de l'absence de ces 25 milliards de francs.
Nous sommes donc bien sur les rails indiqués par MM. Bonnet et Nasse : au bout du compte, si nous n'avions pas ces ressources nouvelles, grâce au projet de loi que le Gouvernement vous demande aujourd'hui de voter, nous serions bien au niveau de déficit constaté par les auditeurs.
C'est tellement vrai que, malgré ces recettes et malgré les dépenses qui seront très exactement celles que vous avez votées, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons, à la fin de l'année, un déficit de 3,1 %, c'est-à-dire légèrement supérieur à celui qui était prévu initialement. C'est d'ailleurs celui que j'ai signifié à la Commission de Bruxelles au début du mois de septembre et que vous avez sans doute vu publier dans la presse voilà quelques jours, corroboré par les analystes de la Commission.
Par conséquent, si les dépenses sont celles qui ont été prévues et si le déficit est plutôt supérieur à ce qui était escompté, c'est que les recettes sont plutôt inférieures à celles qui étaient attendues. Aussi, monsieur le rapporteur, ne pouvons-nous retenir votre thèse selon laquelle l'augmentation de l'impôt sur les sociétés ne serait pas nécessaire.
Je dirai juste un mot sur la rétroactivité. Ce débat est récurrent dans nos assemblées. Il me paraît très important, non seulement pour l'ensemble des parlementaires, mais aussi pour les Français qui s'intéressent à nos débats, d'avoir une opinion tranchée sur cette question.
Les mesures que propose le Gouvernement ne sont pas rétroactives. Elles ne le seront jamais d'ailleurs, car la non-rétroactivité de la loi fiscale est un principe sur lequel nous devons être vigilants et au respect duquel, de toute façon, le Conseil constitutionnel veille.
Sur le plan strictement juridique, je vous rappellerai que l'impôt sur les sociétés est déclenché par la clôture des comptes, qui intervient le 31 décembre. Par conséquent, une mesure adoptée au cours du mois de septembre ou d'octobre n'est en rien rétroactive.
Sur le plan plus politique, si vous m'y autorisez, je vous rappellerai que cette mesure est exactement de même nature et qu'elle est adoptée à la même période de l'année que la surtaxe de 10 % proposée par M. Juppé à l'automne 1995. Or, autant qu'il m'en souvienne, l'ensemble de la majorité de cette assemblée avait voté cette surtaxe ! Ce qui était vrai hier reste vrai aujourd'hui : ce n'était pas rétroactif à l'époque, cela ne l'est pas plus aujourd'hui, monsieur le rapporteur !
Mme Beaudeau a posé beaucoup de bonnes questions sur l'avenir de notre fiscalité. Une partie des réponses se trouvera dans le projet de loi de finances pour 1998, qui sera bientôt examiné par le Sénat, et une autre partie sera reportée à l'année prochaine. En effet, comme vous le savez, madame le sénateur, M. le Premier ministre a souhaité que la réforme fiscale soit étalée sur plusieurs années, de façon que nous prenions le temps d'y réfléchir ensemble.
J'aurai l'occasion, lorsque je viendrai avec Christian Sautter vous présenter le projet de loi de finances pour 1998, de proposer au Sénat de s'associer à une réflexion du Gouvernement et de l'Assemblée nationale sur la fiscalité locale et sur la fiscalité du patrimoine, lesquelles doivent donner lieu, pour l'année prochaine, à des éléments de réforme. Pour la fiscalité locale, cela concerne principalement la taxe d'habitation et la taxe professionnelle. Pour la fiscalité du patrimoine, à prélèvement constant, cela vise l'ensemble des éléments qui, dans notre pays, concourent à cette fiscalité et qui méritent d'être revus.
Vous avez évoqué le problème des caisses d'épargne, point sur lequel je reviendrai tout à l'heure, lors de l'examen de l'article 8.
Je partage votre sentiment sur le taux aujourd'hui trop élevé des prêts que la mécanique des caisses d'épargne conduit à proposer au secteur du logement social. Nous devons donc trouver une solution. Vous en avez proposé une par une bonification d'Etat. D'autres - certains doivent d'ailleurs siéger dans cet hémicycle - considèrent bien sûr qu'il serait utile de baisser le taux du livret A. En tout cas, le problème est clair.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Quel est votre sentiment ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous en parlerons le moment venu, monsieur le président ! Mais il est clair que les prêts que nous sommes conduits à faire au logement social sont aujourd'hui à un coût paradoxalement supérieur à ce que le marché peut proposer. Nous sommes bien dans un système qui marche sur la tête ! Il nous faut apporter une solution à ce problème ; mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
Monsieur Marini, vous êtes intervenu sur l'article 1er, pour en demander la suppression. Vous avez dit, reprenant les arguments de M. le rapporteur, que les dispositions qu'il contenait n'étaient pas nécessaires. Je n'y reviens pas, car j'ai déjà répondu sur ce point.
Par ailleurs, vous avez évoqué un autre sujet un peu éloigné du projet de loi, même s'il est intéressant, à savoir le débat relatif aux trente-cinq heures, qui est aujourd'hui ouvert dans notre pays.
Sur ce point, vous avez dit un certain nombre de choses qui m'ont fait plaisir et dont je tiens à vous remercier, et d'autres qui me paraissent erronées et que vous me permettrez donc de corriger.
Monsieur Marini, vous m'avez fait plaisir en disant qu'il s'agissait de la concrétisation d'une promesse électorale. Je tiens cela pour un compliment. En effet, dans ce pays, nous avons à ce point perdu l'habitude que les gouvernements nouvellement nommés tiennent leurs promesses électorales et leur parole que cela vous paraît étonnant, voire critiquable. Eh bien, oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis avec fierté : le Gouvernement tient les promesses électorales qu'il a faites.
Vous avez ensuite déclaré que cette mesure touchait les entreprises, quelle que soit leur taille. Cette phrase vous aura sans doute échappé, car vous avez bien sûr noté, dans les propos de M. le Premier ministre, que les petites entreprises de moins de dix salariés, voire celles de moins de vingt salariés - cela relèvera de la négociation - sont en dehors du dispositif qui a été proposé.
M. Philippe Marini. Ce n'était pas clair !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si ce n'était pas clair pour vous, je suis content d'éclairer ce point ! Ainsi, dorénavant, vous ne pourrez plus reprendre cette erreur maintenant que la question a été tranchée. (Sourires.)
Ensuite, vous avez dit qu'il s'agissait d'un carcan arbitraire imposé aux entreprises.
Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le sénateur, que nous vivons sous l'empire de la législation des trente-neuf heures. Or je ne vois pas pourquoi trente-neuf heures seraient un carcan moins arbitraire que trente-cinq heures ! A la rigueur, vous pourriez dire que c'est un carcan plus serré, mais certainement pas plus arbitraire !
Si l'on vous écoutait, lorsque, en 1936, une majorité - comme par hasard de gauche, elle aussi ! - a voté les quarante heures, il aurait surtout fallu ne pas le faire parce que cela aurait constitué un carcan insupportable pour les entreprises !
Heureusement, décennie après décennie, il y a dans notre pays des majorités de progrès qui font avancer les choses. Chaque fois, évidemment, les minorités conservatrices s'y opposent ; mais, fort heureusement, il est des périodes où une majorité de gauche, dans ce domaine comme dans d'autres, permet que les choses évoluent. Sinon, nous serions sans doute encore dans la situation dont vous rêvez et qui était celle de nos pères, lorsqu'on travaillait soixante ou soixante-cinq heures par semaine.
Heureusement, en 1936, puis en 1982, puis, je l'espère en 1998, la France aura bougé.
« Vision d'un autre temps », avez-vous dit. Oui, vous avez tout à fait raison ! Il s'agit effectivement d'une vision d'un autre temps : il s'agit, monsieur le sénateur, d'une vision de l'avenir car l'avenir est, vous le savez comme moi, à un temps de travail moins long. C'est vrai dans tous les pays ! C'est vrai depuis un siècle ! Fort heureusement, nous ne travaillons plus soixante-dix ou quatre-vingts heures par semaine, comme c'était le cas voilà un siècle. Et j'espère que cela continuera ! Je suis en tout cas heureux que vous reconnaissiez avec moi que c'est une vision prospective que le Gouvernement vous propose.
Au demeurant, bien entendu, cette mesure ne touchera pas tout le monde. Elle concernera peu les cadres, car leur temps de travail est plus difficile à mesurer, et - je tiens à vous rassurer - elle ne touchera pas non plus les sénateurs, qui pourront continuer à travailler soixante ou de soixante-dix heures par semaine, comme c'est couramment le cas. (Sourires.)
M. Jean Cluzel, rapporteur. Nous vous remercions, monsieur le ministre ! (Nouveaux sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Enfin, monsieur Marini, vous avez terminé par ce qui, dans votre bouche, se voulait sans doute la critique suprême. Vous admettrez que, là aussi, je m'en délecte comme d'un compliment, car vous avez dit aux Français que le gouvernement actuel était un vrai gouvernement de gauche. Reconnaissez que l'on pouvait difficilement lui faire un compliment dont il se délecte autant !
Pour toutes ces raisons, je vais donc demander au Sénat de bien vouloir rejeter l'amendement n° 2, afin que le texte du projet de loi demeure celui qui a été voté par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Monsieur le ministre, vous allez certainement me dire que je suis hors sujet, mais, puisqu'elle a été abordée, je voudrais que vous nous éclairiez sur l'affaire des trente-cinq heures : je n'ai pas encore bien compris si les trente-cinq heures seraient, comme cela a été indiqué, payées trente-neuf heures ou si elles seraient payées trente-cinq.
Cette question me préoccupe et je voudrais pouvoir m'en expliquer devant les intéressés, qui se posent la même question que moi. Combien seront rémunérées ces trente-cinq heures ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai à coeur de répondre à M. Poncelet, même si, comme il l'a lui-même rappelé, sa question n'entre pas vraiment dans l'objet du débat de cet après-midi.
Il n'y a pas, monsieur Poncelet, de réponse à votre question (Sourires) car, dans notre pays - et je m'en félicite ! - les salaires sont librement déterminés entre les employeurs et les syndicats, et en aucun cas l'Etat ne voudrait s'en mêler. Je ne comprends d'ailleurs même pas qu'un libéral comme vous ait imaginé une seule seconde que j'allais apporter une réponse à une telle question ! (Nouveaux sourires.)
Ce que le Gouvernement souhaite, c'est que la durée légale du travail soit ramenée à trente-cinq heures. Cela étant, comme vous le savez, la durée légale a peu de chose à voir avec la durée effective, laquelle est négociée librement entre les employeurs et les salariés.
Le fait que la durée légale passe à trente-cinq heures aura pour effet, je l'espère, qu'un certain nombre d'entreprises trouveront avantage à réorganiser leurs structures de production et à passer d'elles-mêmes à trente-cinq heures, à trente-deux heures, voire à trente heures. Nous connaissons d'ailleurs beaucoup d'exemples en ce sens : récemment, un quotidien du matin ne rapportait-il pas qu'un industriel français, par ailleurs président d'une société belge oeuvrant dans la sidérurgie et qui, il y a peu, exerçait des responsabilités au sein du patronat, avait lui-même organisé dans son entreprise le passage en deçà des trente-cinq heures ? (Sourires.)
Pour ma part, je recevais voilà quelques jours le président de la commission sociale du CNPF, précisément pour parler de ces questions, et il m'a montré des tableaux faisant apparaître que, dans ses usines de Grenoble, qui fabriquent des transformateurs et autres appareillages électriques, les salariés étaient déjà à 30,8 heures à la suite d'une négociation.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Et combien sont-ils payés ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sans doute bien.
M. Philippe Marini. Encore une pirouette !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Certainement pas assez !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ils sont bien payés, rassurez-vous, monsieur Poncelet, mais Mme Beaudeau a raison : sans doute pas assez ! (Rires.) Cela étant, je ne vais pas entrer dans ce débat.
Ce qui est clair, c'est que la durée légale est une chose et que la durée effective en est une autre. Ce que définit la durée légale, c'est la durée à partir de laquelle on commence à payer des heures supplémentaires.
Permettez-moi, ainsi, de vous livrer l'arithmétique suivante : j'espère que beaucoup d'entreprises, lorsque la loi sera en vigueur, seront à trente-cinq heures, voire à moins, car cela créera beaucoup d'emplois pour ceux dont le sort, parce qu'ils en sont actuellement dépourvus, nous préoccupe. Je suis certain, d'ailleurs, que c'est un souci pour vous comme pour le Gouvernement.
Imaginons une entreprise dont les salariés travaillent aujourd'hui tente-neuf heures.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Payées quarante !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, trente-neuf heures payées trente-neuf !
Imaginons que la loi importe peu à son président, président réactionnaire qui en aucun cas ne veut voir la durée du travail diminuer, qui dit même que, s'il pouvait l'augmenter, il l'augmenterait.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est M. Marini !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, je sais qu'il y a très peu de présidents de cette nature dans les entreprises françaises, mais imaginons un instant qu'il y en ait un. Eh bien, il continuera à faire travailler ses salariés trente-neuf heures, et les quatre heures au-delà des trente-cinq heures, en deça des trente-neuf heures seront des heures supplémentaires.
M. Christian Poncelet, président de la commission. C'est clair !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous savez que, dans notre pays, les heures supplémentaires sont payées 25 % de plus. Quatre heures à 25 %, cela fait une heure de plus, et les salariés effectueront alors trente-neuf heures payées quarante. Cela représente 2,5 % d'augmentation, soit un taux bien inférieur aux gains de productivité que l'entreprise enregistrera.
Donc, même dans le cas de ce patron d'entreprise - dont je n'ose imaginer qu'il existe tant je considère une telle attitude répréhensible - vous pouvez constater que la mesure que le Gouvernement propose est d'une très grande souplesse et ne saurait porter atteinte à la compétitivité des entreprises.
J'espère, monsieur Poncelet, que vous voilà rassuré et que vous pourrez porter vers nos bonnes usines textiles de la région que vous représentez le message que je viens de vous passer.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Ce n'est pas celui que vous avez compris que je vais essayer de leur faire comprendre ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est supprimé.

Article 2