M. le président. Par amendement n° 164 rectifié, MM. Jacques Larché et Jean-Michel Girault, au nom de la commission, proposent d'insérer, après l'article 141, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les arrêts des cours d'assises rendus sur le fond et devenus définitifs, aux termes des dispositions du code de procédure pénale dans leur rédaction antérieure à la présente loi, entre la date de promulgation de celle-ci et la date de son entrée en vigueur, sont, par dérogation à ces dispositions, susceptibles d'appel dans le délai de dix jours. La déclaration d'appel doit être faite au greffe de la Cour de cassation si celle-ci s'est prononcée sur un pourvoi contre l'arrêt en cause ou, dans les autres cas, au greffe de la cour d'assises qui a rendu la décision attaquée.
« Les appels interjetés en application du précédent alinéa ne seront jugés qu'à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, par les cours d'assises compétentes et selon les règles qu'elle prévoit. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Il s'agit de l'amendement suprême !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. La cerise sur la gâteau ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L' ultima !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Nous sommes confrontés à une situation à laquelle il fallait s'attendre puisque la loi n'est pas applicable immédiatement : il s'agit de permettre un appel contre les décisions des cours d'assises devenues définitives pendant la période intermédiaire, c'est-à-dire entre la promulgation et l'entrée en vigueur de la loi.
Trois hypothèses doivent être distinguées.
La première est la suivante : l'arrêt devient définitif avant la promulgation de la loi. Il est alors normal que l'on en reste au dispositif antérieur. Si, demain, un arrêt de cour d'assises est rendu et n'est pas frappé d'un pourvoi, on s'en tiendra au droit actuel, puisque la promulgation de la loi, compte tenu de la navette, n'interviendra pas avant plusieurs mois.
J'en viens à la deuxième hypothèse : l'arrêt doit intervenir après l'entrée en vigueur de la loi. La nouvelle loi est alors applicable, comme le prévoient le projet de loi et les principes généraux du code pénal.
La troisième hypothèse est la suivante : la décision intervient durant la période intermédiaire. Dans le silence de la loi, ces affaires ne seront pas concernées par le double degré. Dans ce cas, un risque d'iniquité est à craindre : deux infractions commises le même jour pourraient obéir à des règles différentes suivant qu'elles seraient jugées avant ou après le 1er janvier 1999, et ce alors même que le législateur aurait estimé nécessaire de retenir le double degré de juridiction.
Pour remédier à ce traitement différencié, l'amendement permet d'interjeter appel des arrêts devenus définitifs pendant la période intermédiaire. L'appel devrait être interjeté dans les dix jours.
La rédaction de l'amendement n'était pas facile à mettre au point, et il n'est pas exclu que la navette puisse encore l'améliorer. Nous avons en tout cas le devoir de traiter les cas de la période intermédiaire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. La proposition de M. Jacques Larché, que vient de nous présenter M. Jean-Marie Girault, peut paraître de bon sens.
Je comprends parfaitement que l'on s'interroge : à partir du moment où l'on vote une loi que l'on peut appeler une loi de progrès et à partir du moment où ladite loi est promulguée, il paraît inéquitable qu'on ne l'applique qu'à compter de la date prévue pour son entrée en vigueur, car cela écarterait ceux dont le jugement est devenu définitif avant le 1er janvier 1999 mais après la date de promulgation de la loi.
Ce raisonnement apparaît parfaitement inéluctable et incontournable. Le seul problème est qu'il ne correspond malheureusement, j'ai déjà eu l'occasion de le dire à M. Jacques Larché, à aucun principe ni à aucune possibilité pratique.
C'est l'une des difficultés de ce type de texte, comme d'ailleurs de tous les textes du même genre : ou bien on l'applique en s'en donnant les moyens - nous venons d'ailleurs de voter un amendement, sur la suggestion de la commission, qui prévoit que la date d'entrée en vigueur dépendra du moment où la machine judiciaire sera en place pour pouvoir l'appliquer, et c'est certainement de bonne politique - ou bien l'on considère que, la loi étant promulguée et apparaissant comme un avantage, il faut que puissent instantanément en bénéficier tous les « consommateurs » de droit et de justice, sans se préoccuper de savoir quelles conséquences il peut en découler et si la machine judiciaire peut y faire face. C'est ce que nous proposent MM. Jacques Larché et Jean-Marie Girault.
Toutefois, cet amendement pose un réel problème au regard de nos principes juridiques. Les lois de procédure étant d'application immédiate, cela signifie qu'au jour où elles entrent en vigueur elles s'appliquent aux affaires en cours, contrairement aux lois pénales qui, elles, ne s'appliquent qu'aux faits nouvellement commis sous l'empire du nouveau code pénal.
Le Conseil constitutionnel a pris à ce sujet, voilà quelques années, sous la présidence de M. Badinter, une décision aux termes de laquelle la loi la plus « douce » s'applique immédiatement. Le principe est donc que, à l'entrée en vigueur de la loi, le 1er janvier 1999, toutes les procédures en cours bénéficieront des dispositions du nouveau texte.
Mais, ce que prévoit l'amendement, c'est que les procédures qui étaient achevées avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi pourront elles aussi, de manière rétroactive, bénéficier des dispositions de celle-ci à partir du moment où elle est promulguée. Cela aboutit, en somme, à revenir rétroactivement sur la procédure qui a été menée sous l'empire de la loi actuelle et à laquelle on « accommoderait », en quelque sorte, la loi nouvelle à compter de sa promulgation.
Cela signifie - et cela figure d'ailleurs noir sur blanc dans le texte de l'amendement - qu'une décision définitive ne doit plus être considérée comme définitive. En effet, si une décision est prise aujourd'hui par une cour d'assises et que, après pourvoi en cassation, la Cour de cassation rejette ledit pourvoi, la décision en question devient définitive. La personne est donc condamnée et elle se trouve en prison, depuis peut-être déjà un certain temps. Si la nouvelle loi sur la procédure criminelle est alors promulguée, l'amendement prévoit que la décision, bien que devenue définitive, pourra faire l'objet, dans les dix jours, d'un appel.
En d'autres termes, alors que la décision est devenue définitive, notamment parce que la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire a décidé de rejeter le pourvoi, on pourrait, appliquant la nouvelle loi, rouvrir le dossier, ce qui, d'ailleurs, aurait des conséquences pratiques - c'est là où je voulais en venir - assez étonnantes. Par exemple, un condamné qui aurait commencé à exécuter sa peine, qui aurait ainsi commencé à comptabiliser des réductions de peine automatiques ou supplémentaires, se verrait redevenir détenu provisoire, puisque la décision de condamnation ne serait plus définitive. Il perdrait ainsi le bénéfice de toutes les réductions de peine dont il aurait bénéficié auparavant.
En somme, c'est une machine à fabriquer des détenus provisoires, ce qui n'est tout de même pas le but de la manoeuvre, pour autant que j'aie pu le comprendre, sachant, en particulier, ce que M. le président Larché pense de la détention provisoire. Et nous nous en sommes souvent entretenus, en public comme en privé.
De la même manière, des milliers de personnes pourraient réclamer le bénéfice de cette disposition et souhaiter faire appel de décisions qui les auraient condamnées sous l'empire de la loi actuelle en vertu de la nouvelle loi. Je ne vois pas comment on pourrait gérer une telle situation !
J'ajoute que la machine judiciaire, pour des raisons à la fois matérielles et juridiques, ne pourra, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, se mettre en place qu'à partir d'un texte devenu définitif et à la date de son entrée en vigueur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends parfaitement la volonté du président Larché ; je comprends parfaitement les arguments qui ont été avancés à l'appui de cette position par M. le rapporteur. Mon premier mouvement serait même de me déclarer favorable à une telle disposition. Mais, pour les raisons constitutionnelles, juridiques et pratiques que je viens de vous indiquer, il me paraît impossible de nous engager dans un tel système, car il contrevient à nos principes, il remet en cause ce qui est définitif - c'est écrit noir sur blanc ! - et, enfin, il présente pour la justice des situations pratiques que je crois parfaitement ingérables.
Il faut se résoudre à l'idée que, quelle que soit la date de promulgation du texte, il ne pourra être appliqué qu'au moment de son entrée en vigueur, mais qu'il s'appliquera alors immédiatement aux situations qui seront en cours.
J'ajoute - dernier point - que je ne vois pas comment on pourrait raccourcir le délai entre la date de promulgation de la loi, aux alentours de la fin de 1997, et la date de sa mise en vigueur au 1er janvier 1999. Nous en avons longuement discuté à l'Assemblée nationale, nous y sommes revenus devant le Sénat, notamment dans le cadre des auditions publiques.
Nous nous sommes posé la question : combien de temps faudra-t-il, une fois le texte voté, pour mettre le système en place ? Comme je l'ai indiqué, le recrutement exceptionnel de magistrats, que nous lancerons à partir du moment où la loi qui a été adoptée ce matin par le conseil des ministres sera votée par le Parlement, ne permettra de « livrer » - excusez-moi ce terme - les magistrats en question qu'au début de l'année 1999, et il en est de même pour les fonctionnaires. Par ailleurs, dans un certain nombre de juridictions, des travaux seront nécessaires et ils nécessiteront, en 1998, de neuf à dix mois. Nous serons alors au début de 1999.
Dans ces conditions, il est impossible de raccourcir le délai qui s'écoulera entre la promulgation et l'entrée en vigueur de la loi et c'est pourquoi - à regret, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que l'idée de M. Jacques Larché est à la fois généreuse et habile - je ne peux accepter de retenir l'amendement que M. le rapporteur a présenté avec le talent dont il a fait preuve tout au long d'une discussion qui, si elle a été scindée en deux, n'en a pas moins été fructueuse, de l'avis du Gouvernement.
Si j'étais un simple citoyen de base, sans responsabilités, je dirais : « Après moi le déluge » ; mais, en tant que garde des sceaux, je ne peux adopter une telle position. La justice ne peut, ni pour des raisons de principe, ni pour des raisons juridiques, ni pour des raisons pratiques, accepter de créer une telle brèche dans l'édifice législatif et judiciaire.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. J'ai bien entendu les réflexions formulées par M. le garde des sceaux. Je demande toutefois à la Haute Assemblée de voter l'amendement, car je souhaite que puissent être approfondies, au cours de la navette, les critiques exprimées par le Gouvernement vis-à-vis de l'idée généreuse et équitable qui a inspiré l'amendement de M. Jacques Larché.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 164 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je dois l'admettre, j'ai été convaincu par les explications de M. le garde des sceaux. (M. le garde des sceaux sourit.) J'étais en effet choqué qu'il reste dit dans le texte que les arrêts de la cour d'assises devenus définitifs pourraient être susceptibles d'appel. Il me semble qu'il eût été préférable et suffisant d'écrire : « Les arrêts de la cour d'assises qui seraient devenus définitifs,... » Mais là n'est pas véritablement le problème, je le conçois.
En premier lieu, si la date de promulgation est prochaine, cela signifie que tout un « stock » d'arrêts de cour d'assises rendus entre 1997 et le 1er janvier 1999 - c'est-à-dire tout au long de l'année 1998 - pourront faire l'objet d'appel, et ce suivant un système qui résultera de la loi à venir mais qui portera sur une décision rendue par un tribunal criminel composé de trois magistrats et de six jurés, et non par une cour d'assises composée de trois magistrats et de neuf jurés.
Par ailleurs, si, par votre amendement, monsieur le rapporteur, vous admettez que l'on puisse faire appel d'une décision rendue par une cour d'assises, c'est un tout autre système que celui qui résulte de la loi !
Telles sont les deux raisons qui prouvent que cette disposition n'est pas praticable.
Quant à l'argument, monsieur le garde des sceaux, consistant à dire que l'on augmenterait le nombre de détenus provisoires, il n'est pas sérieux : bien évidemment, le seul fait de rendre possible l'appel en matière criminelle va augmenter considérablement le nombre de détenus provisoires ! Cela nous a d'ailleurs été dit par le procureur général auprès de la Cour de cassation, lorsque nous l'avons entendu en audience publique.
En revanche, je le répète, il n'est pas pensable de mettre en réserve tous les arrêts qui seront rendus tout au long de l'année 1998 pour les rendre susceptibles d'appel alors qu'ils auront été rendus par la cour d'assises telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Telles sont les raisons pour lesquelles il ne me paraît pas utile d'alourdir la navette par un texte qui n'est pas applicable.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 164 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles 142 à 145