M. le président. « Art. 88. - I. - Il est inséré, après l'article 173 du même code, un article 173-1 ainsi rédigé :
« Art. 173-1 . - Sous peine d'irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de sa première comparution, sauf dans le cas où elle n'aurait pu les connaître.
« Il en est de même pour la partie civile, à compter de sa première audition. »
« II. - Le premier alinéa de l'article 89-1 et le quatrième alinéa de l'article 116 du code de procédure pénale sont complétés par les mots : ", sous réserve des dispositions de l'article 173-1".
« III. - Il est inséré, au cinquième alinéa de l'article 173 du même code, après les mots : "du présent article, troisième ou quatrième alinéa", les mots : ", de l'article 173-1". »
Par amendement n° 116, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. L'article 88, qui impartit un délai de six mois pour invoquer la nullité des actes accomplis avant l'interrogatoire de première comparution, soulève une importante question qui mérite un large débat. Il est donc préférable de renvoyer ce débat, sans se prononcer sur le fond, au projet de loi portant diverses dispositions d'ordre judiciaire, ou à tout autre projet.
Evitons aujourd'hui, mes chers collègues, de sortir des chemins de la réforme de la procédure criminelle, les seuls que nous devions suivre en cet instant. Evitons de nous engager vers d'autres horizons, qui dépassent largement la procédure criminelle et qui méritent un examen approfondi.
C'est là un appel que je serai amené à lancer de nouveau, dans quelques instants, au sujet d'autres propositions.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. J'ai déjà eu l'occasion, lorsque je me suis exprimé dans la discussion générale, d'évoquer cette disposition importante, dont je ne peux accepter la suppression.
En effet, non seulement ce texte est tout à fait justifié sur le fond, mais il a bien sa place dans le présent projet de loi.
Quel est l'objet de cette disposition ? Il s'agit d'éviter des annulations tardives des actes de l'instruction en limitant à un délai de six mois à compter de l'entrée dans la procédure d'une partie, qu'il s'agisse d'une personne mise en examen ou d'une partie civile, la possibilité pour cette partie de demander la nullité des actes accomplis avant son entrée dans la procédure.
En pratique, cela concerne principalement les actes de l'enquête préalable à l'ouverture de l'information et à la mise en examen de la personne poursuivie.
Ce délai de six mois vise à éviter que l'on attende la fin de l'information pour soulever une nullité qui existe depuis le début de la procédure.
En effet, en la circonstance, seules deux hypothèses sont possibles.
Soit le grief de nullité est fondé, et il est alors souhaitable que les actes visés puissent être annulés le plus vite possible, tant dans l'intérêt de la défense, car cela signifie qu'une personne est poursuivie de manière irrégulière, que dans celui de la société, car plus vite l'annulation sera ordonnée plus vite il sera possible, le cas échéant, de reprendre la procédure sur des bases régulières.
Soit le grief de nullité est infondé. Dès lors, il n'y a aucune raison de permettre une manoeuvre dilatoire en fin d'information.
Il s'agit donc d'une disposition de bon sens, inspirée de celle qui concerne le cours du procès et selon laquelle les nullités doivent être invoquées in limine litis, avant toute défense au fond.
J'ajoute que cette disposition s'inscrit dans le droit-fil de la loi du 24 août 1993, qui, je l'ai déjà rappelé, est issue d'une proposition de loi de M. le président Larché et qui est venue préciser le régime de purge des nullités au cours de l'information institué par la loi du 4 janvier 1993.
Par ailleurs, cet article protège parfaitement les droits de la défense puisqu'il précise, comme le font les textes actuels, que pourront être soulevées les nullités dont la partie ne pouvait avoir connaissance, par exemple si l'on découvre après coup que l'enquête résulte d'une provocation policière.
Justifiée sur le fond, cette disposition s'inscrit, en outre, tout à fait dans le cadre de ce texte, car la réforme de la procédure criminelle, en instituant l'appel, crée une deuxième procédure s'ajoutant à la procédure de première instance. La première procédure pourra intervenir beaucoup plus rapidement que l'examen par la cour d'assises actuelle. En revanche, il est certain que, s'il y a appel, il y aura nécessairement un allongement global de la procédure.
Le délai que je propose est précisément de nature à éviter un allongement excessif de la procédure d'instruction, ce qui sera le cas si, en fin d'instruction, l'enquête est annulée et si la procédure doit repartir à zéro ou si, en fin d'information, un contentieux dilatoire sur des nullités peut être engagé.
Il s'agit bien ici de remédier à l'une des plaies de la procédure pénale française actuelle.
Voilà quelques jours, un journal du matin a révélé qu'à Marseille un détenu s'était volontairement mutilé pour attirer l'attention sur le fait que, alors que l'instruction est terminée depuis plusieurs années et que l'arrêt de renvoi est intervenu voilà plus d'un an, la cour d'assises ne s'était toujours pas réunie.
Nous devons donc tout faire pour que la période d'instruction, en particulier en matière criminelle, soit la plus réduite possible et que l'on ne puisse pas reprendre la procédure alors que celle-ci est près d'arriver à son terme, et cela que l'invocation de la nullité relève de manoeuvres dilatoires ou qu'elle soit justifiée, car, alors, les annulations doivent avoir lieu le plus vite possible.
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, je me permets de vous suggérer, fort amicalement, de retirer l'amendement n° 116, car ce qui est en fait recherché à travers cet article, c'est le rapprochement entre la date de la commission des faits et celle du jugement.
Je pense que, sur le fond, nous sommes d'accord et je veux vous convaincre que cette disposition fait perdre à l'instruction criminelle un de ses défauts traditionnels, à savoir une longueur qui est souvent inutile.
M. le président. Monsieur le rapporteur, maintenez-vous l'amendement ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. J'ai écouté avec beaucoup d'attention les propos de M. le garde des sceaux. Je n'ai pas d'objection à formuler sur les arguments de fond qu'il a évoqués, mais je répète que, avec une telle disposition, nous nous engageons dans une voie qui s'écarte de l'objet du projet de loi.
Tout à l'heure, nous allons être amenés à examiner d'autres propositions qui se situent hors du champ du projet de loi et, par cohérence avec le parti que j'ai pris d'éviter toute discussion ne concernant pas directement la réforme de la procédure criminelle, tout en comprenant fort bien la position de M. le garde des sceaux, je ne peux que maintenir cet amendement, laissant au Sénat le soin de trancher.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'auriez-vous retiré que nous l'eussions aussitôt repris !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 116.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit là d'une question complexe, qui mérite qu'on s'y attarde.
Je comprends l'argument de M. le garde des sceaux quant à la nécessité d'aller aussi vite que possible, dans la mesure où l'instruction le permet, vers la clôture de celle-ci, mais ce n'est pas du tout le problème qui est ici soulevé, et qui doit être posé juridiquement en termes différents.
Ce que M. le garde des sceaux nous propose, c'est de prévoir que l'on ne pourra plus soulever les nullités tenant, par exemple, à l'enquête de police, enquête préliminaire éventuellement longue, si, dans un délai de six mois à dater de la mise en examen, on n'a pas demandé la nullité de tel ou tel procès-verbal ou de telle ou telle formalité. Cela signifie que ce procès-verbal nul demeurera, et il demeurera nécessairement à charge : on ne pourra plus soulever le moyen. La forclusion sera opposée !
Mais n'oublions pas qu'il s'agit d'une disposition générale : elle ne vise pas seulement le cas d'une personne mise en examen qui serait détenue et serait, de ce fait, amenée régulièrement devant le juge d'instruction. Il existe aujourd'hui des affaires d'une très grande complexité, qui se déroulent sur une période fort longue, avec des enquêtes préliminaires complexes et des mises en examen successives.
La mise en examen est notifiée, mais l'avocat va éventuellement attendre la prochaine audition de son client pour reprendre le dossier et réexaminer la procédure d'enquête préliminaire. Or, il peut très bien advenir, pour des raisons qui tiennent à la complexité de l'affaire, que plus de six mois s'écoulent avant que le juge d'instruction souhaite entendre la personne mise en examen. Dans un tel cas, presque par la force des choses, le moyen tenant à la nullité ou à l'irrégularité entraînant la nullité d'un procès-verbal de l'enquête préliminaire, voire de l'enquête préliminaire en son entier, ne pourra plus être soulevé.
Au regard des droits de la défense, c'est une question d'une extrême complexité, à laquelle je souhaiterais que l'on réfléchisse avec attention avant d'aller plus loin, car, s'il y a des mis en examen détenus avec comparution obligatoire, il y a aussi les cas, et ce sont les plus fréquents, de ceux qui sont mis en examen et qui, eu égard à la complexité de l'affaire, ne seront pas nécessairement entendus par le juge d'instruction dans le délai de six mois.
Certes, me rétorquera-t-on, le juge sera attentif à ce problème. Mais dans une affaire très complexe, notamment en matière financière, de construction ou d'urbanisme, les expertises ont pour effet de ralentir la procédure. Il faut donc être vigilant et bien réfléchir à toutes les conséquences du dispositif qui est proposé.
Je sais que M. le garde des sceaux va nous soumettre un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre judiciaire. Il serait préférable d'examiner attentivement cette question à ce moment-là plutôt qu'à l'occasion d'une réforme tendant à introduire dans notre droit le double degré de juridiction en matière criminelle, ce qui, permettez-moi de le dire, n'a rien à voir avec la régularité de la procédure d'enquête qui précède la mise en examen dans le cadre d'une instruction criminelle.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je tiens à donner des explications complémentaires à celles qui viennent d'être données par M. Badinter et que j'approuve pleinement.
Il existe tout de même un fil conducteur. Celui-ci se trouve dans le raisonnement de M. le garde des sceaux. Nous avons jadis appris à la faculté que la forme est, en matière de droit, indispensable et que les formalités sont semblables aux cerceaux de muid qui tiennent l'ensemble de l'édifice. Or, voilà que, depuis un certain temps, on fait la guerre aux nullités en disant que, fussent-elles substantielles, elles ne sont finalement que relatives !
Vous savez bien qu'une nullité ne peut être soulevée que lorsqu'elle porte atteinte aux intérêts de l'intéressé. Les seules nullités dont nous débattons sont donc des nullités substantielles.
Or, voilà qu'il est déjà décidé qu'à la fin de l'instruction les parties n'auront plus que vingt jours pour les soulever ! Si elles ne le sont pas pendant ce délai, elles ne pourront plus l'être.
M. le garde des sceaux nous avait proposé tout à l'heure que les nullités relatives à la procédure suivie devant la cour d'assises ne puissent plus être soulevées devant la cour de cassation si elles ne l'avaient pas été à l'audience. Telle était la disposition prévue au deuxième alinéa de l'article 46, que le Sénat, tout à l'heure, contre l'avis du Gouvernement, a supprimée.
Poursuivant son idée, M. le garde des sceaux voudrait maintenant que les nullités relatives à une détention soient couvertes par un silence de six mois sans même attendre les vingt jours suivant la clôture de l'instruction. Ce n'est pas possible. S'il y a des nullités, elles doivent être sanctionnées. Si nous voulons que la loi reste la loi, elle doit être respectée et les nullités doivent donc pouvoir être soulevées. On a beaucoup trop reculé en la matière ; il n'est pas question de reculer encore et donc d'adopter l'article 173-1.
C'est pourquoi nous voterons l'amendement n° 116, qui a été adopté par la commission, amendement que, bien évidemment, nous aurions repris s'il avait été retiré. Mais M. le rapporteur est trop conscient de ses responsabilités pour retirer un tel amendement !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je suis fort étonné des propos que j'ai entendus. Je comprends parfaitement - je n'en suis pas étonné - que les orateurs socialistes continuent à défendre une conception traditionnelle, c'est-à-dire immobile, de la procédure pénale. (M. Michel Dreyfus-Schmidt rit.) Voilà qui ne me surprend pas.
Je comprends aussi, le point de vue de ceux qui, éventuellement, souhaitent semer des embûches en matière d'informations judiciaires.
Mais les textes de procédure pénale - et celui qui vous est proposé est peut-être le plus important puisqu'il concerne les actes les plus graves et les condamnations les plus lourdes - sont d'abord inspirés par le souci de servir l'intérêt général, de protéger la société, d'assurer la sécurité publique et individuelle, et ce dans le respect des principes de l'état de droit.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah ! quand même !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Or, j'entends dire partout sur les bancs de l'opposition, mais aussi dans toutes les assemblées, dans tous les barreaux et dans tous les colloques, que l'une des plaies de la procédure française, c'est sa longueur.
Tout le monde s'est extasié lorsque, par exemple, l'an dernier, l'assassin d'une jeune fille française a pu être jugé en un peu plus de six mois, et condamné d'ailleurs, sans que personne puisse mettre en cause la régularité de la procédure et l'authenticité du verdict. Mais cela se passait en Grande-Bretagne !
Nous ne proposons pas que les crimes puissent être jugés en six mois, malheureusement d'ailleurs pour l'efficacité de la justice pénale et, notamment, pour l'exemplarité du châtiment. Nous n'en sommes pas là !
Nous proposons simplement toute une série de dispositions permettant, au contraire, de mieux prendre en compte, dans la procédure criminelle, les points de vue liés à l'environnement ou à la personnalité de l'accusé.
Nous voulons notamment que l'audience soit davantage contradictoire. En instituant un second degré de juridiction, nous voulons très simplement que le jugement en matière criminelle soit le plus parfait et le moins contestable possible.
Mais nous essayons aussi de modifier ou de supprimer - et c'est ce que nous proposons à l'article 88 - tout ce qui peut indûment ralentir l'instruction.
A cet égard, j'ai rappelé le cas qui a été rapporté, voilà quarante-huit heures, par le quotidien Libération et qui me paraît assez exemplaire des situations humaines insupportables dans lesquelles la longueur de l'instruction dans notre pays peut plonger certaines personnes, notamment lorsqu'elles sont détenues.
Nous proposons une disposition qui, je le répète, n'enlève à la défense aucune de ses prérogatives, mais qui doit la rendre attentive à soulever dans un délai de six mois, ce qui est considérable, un certain nombre de nullités qui relèvent en particulier de la phase préalable, c'est-à-dire de l'enquête de police, comme l'a souligné M. Badinter.
Je suis étonné - c'est pourquoi j'ai commencé mon propos, monsieur le président, par ces mots - qu'on ne s'associe pas à cette proposition, s'agissant en particulier des crimes que l'on souhaite, bien entendu, instruire puis juger le plus rapidement possible, compte tenu des conséquences qu'ils provoquent dans la société, et qu'on ne veuille pas contribuer à cette amélioration que je qualifierai de marginale, mais qui aurait le mérite de la netteté. Elle nous permettrait en effet d'accélérer la procédure pénale et l'instruction ou, en tout cas, de supprimer un motif de frein et de lenteur.
Nous aurons l'occasion, lorsque nous débattrons, probablement l'année prochaine, d'une refonte d'ensemble du code de procédure pénale, de nous interroger sur l'ensemble des délais dans lesquels peuvent être enfermées les procédures,...
M. Michel Charasse. La prescription !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... mais aussi sur l'effectivité de certains d'entre eux.
Lorsque nous avons débattu, voilà quelques mois, du projet de loi relatif à la détention provisoire, une ou deux dispositions ont été adoptées en ce sens, notamment sur l'initiative de l'Assemblée nationale.
Le problème est, à mon sens, plus général, et chacun sait très bien que la question des expertises se pose et que, dans nos procédures et dans notre manière de rendre la justice, un certain nombre d'éléments s'opposent à une accélération du traitement des dossiers.
Dans une refonte d'ensemble de la procédure, il sera possible d'envisager l'ensemble du système et de s'interroger sur les points qui, aujourd'hui, risquent de ralentir la procédure et qui ne se produisent que trop fréquemment.
A cet égard, en parfaite cohérence avec le présent projet de loi, je souhaite que le Sénat suive le Gouvernement et n'adopte pas l'amendement n° 116 de la commission. Il s'agit là d'une question de bonne gestion judiciaire qui ne met nullement en cause les droits de qui que ce soit, et surtout pas ceux de la défense.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. Je regrette, monsieur Dreyfus-Schmidt, mais je ne puis vous la donner.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 116, repoussé par le Gouvernement.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, l'article 88 est supprimé.

Article 89