M. le président. « Art. 10. _ Il est inséré, au chapitre III du titre II du livre premier du code de procédure pénale, après l'article 78-2, un article 78-2-1 ainsi rédigé :
« Art. 78-2-1 . _ Sur réquisitions du procureur de la République, les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre ou la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1° ) sont habilités à entrer dans les lieux à usage professionnel, ainsi que dans leurs annexes et dépendances, sauf s'ils constituent un domicile, où sont en cours des activités de construction, de production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou de commercialisation, en vue :
« _ de s'assurer que ces activités ont donné lieu à l'immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce ou des sociétés lorsqu'elle est obligatoire, ainsi qu'aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et l'administration fiscale ;
« _ de se faire présenter le registre unique du personnel et les documents attestant que les déclarations préalables à l'embauche ont été effectuées ;
« _ de contrôler l'identité des personnes occupées, dans le seul but de vérifier qu'elles figurent sur le registre ou qu'elles ont fait l'objet des déclarations mentionnées à l'alinéa précédent.
« Les réquisitions du procureur de la République sont écrites et précisent les infractions, parmi celles visées aux articles L. 324-9 et L. 341-6 du code du travail, qu'il entend faire rechercher et poursuivre, ainsi que les lieux dans lesquels l'opération de contrôle se déroulera. Ces réquisitions sont prises pour une durée maximum d'un mois et sont présentées à la personne disposant des lieux ou à celle qui la représente.
« Les mêmes dispositions sont applicables, sur réquisitions du procureur de la République spécialement motivées, aux locaux principalement à usage professionnel. »
Sur l'article, la parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. L'article 10 reprend pratiquement mot pour mot les termes de l'article L. 611-13 du code du travail, que je lis :
« Dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées pour la recherche et la constatation des infractions de travail clandestin et d'emploi d'étrangers sans titre prévues aux articles L. 324-9 et au premier alinéa de l'article L. 341-6 du code du travail, les officiers de police judiciaire assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire, peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de travail mentionnés aux articles L. 231-1 du code du travail et 1144 du code rural... »
L'article 10 tend donc à transférer ces dispositions du code du travail dans le code de procédure pénale et à en confier l'initiative au parquet plutôt qu'au siège.
De notre point de vue, la détection et la répression du travail irrégulier relèvent du code du travail, et l'exécution doit en être confiée, pour l'essentiel, à l'inspection du travail.
Or, que constatons-nous ?
Cet article a d'abord été retiré du projet de loi sur le travail dit « clandestin », actuellement en navette. Même si nous désapprouvons l'article sur le fond, nous estimons qu'il était là à sa place, alors que, dans le projet qui nous occupe, il est déplacé.
En effet, que les coupables soient étrangers ou français ne change rien à la nature ni à la gravité du délit.
En fait, si l'on insère ici ledit article, ce n'est pas innocent. C'est pour désigner les étrangers comme les principaux coupables en matière de travail qualifié de « clandestin ».
Après tout, le Français qui travaille en situation irrégulière, cela peut être pardonnable ; l'employeur français qui emploie des gens en situation irrégulière c'est à peu près pardonnable. Mais, si ce sont des étrangers qui travaillent en situation irrégulière, là, cela devient criminel. Mention en est faite dans le code de procédure pénale ! C'est gravissime !
Tout comme la commission consultative des droits de l'homme, nous estimons que les opérations de vérification menées dans les locaux des entreprises par les officiers de police judiciaire doivent l'être en présence d'inspecteurs du travail, car ce sont eux qui ont la compétence nécessaire aux vérifications prévues dans l'article.
Voilà pourquoi nous nous opposons à cet article.
M. le président. Je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 76 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 148 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 210 est présenté par Mme Dusseau.
Tous trois tendent à supprimer l'article 10.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 36 est présenté par M. Masson, au nom de la commission.
L'amendement n° 149 est présenté par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer le dernier alinéa du texte présenté par l'article 10 pour l'article 78-2-1 du code de procédure pénale.
Par amendement n° 150, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter in fine le texte présenté par l'article 10 pour l'article 78-2-1 du code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures prises en application des dispositions prévues au présent article font l'objet d'un procès-verbal remis à l'intéressé. »
La parole est à M. Billard, pour défendre l'amendement n° 76.
M. Claude Billard. Cet amendement vise à supprimer l'autorisation donnée aux officiers de police judiciaire d'entrer dans les entreprises pour y faire des contrôles d'identité afin, soi-disant, de lutter contre le travail illégal.
Prévue à l'origine dans le projet de loi sur le travail illégal, cette disposition a finalement été introduite dans le présent texte à la suite de l'avis du Conseil d'Etat.
Une telle mesure, monsieur le ministre, est aussi scandaleuse ici que dans le texte sur le travail illégal.
Cette intrusion des forces de police, en dehors des contrôles juridiaires normaux et alors même qu'aucun délit n'a été commis et qu'il s'agit d'un domicile privé, est extrêmement choquante.
Le véritable objet de cette disposition est de renforcer la traque aux immigrés irréguliers, qui sont certes en infraction avec les lois sur l'entrée et le séjour, mais en aucun cas auteurs du délit de travail dissimulé, dont ils sont des victimes au même titre que les autres salariés travaillant au noir.
Car, s'il existe des salariés non déclarés, je vous rappelle, monsieur le ministre, que c'est parce qu'il existe des employeurs peu respectueux des obligations légales du code du travail.
Ce sont ces patrons, ces employeurs et, plus encore, les donneurs d'ordre qu'il faut sanctionner très sévèrement.
Ce sont eux les responsables, car, croyez-moi, ce n'est jamais de plein gré que l'on accepte de travailler dans des ateliers clandestins, où les normes de sécurité et d'hygiène sont inexistantes, au mieux déplorables, où l'on reçoit un salaire de misère, qui, au surplus, n'ouvre aucun droit à une couverture sociale, qu'il s'agisse de l'assurance maladie ou de l'assurance vieillesse.
Au lieu de cela, vous préférez vous attaquer aux travailleurs étrangers en situation irrégulière.
Vous entretenez l'amalgame selon lequel immigration clandestine et travail illégal sont une seule et même chose. Vous alimentez la xénophobie en faisant croire que les étrangers sont responsables du chômage.
Je vous rappelle, monsieur le ministre, que les statistiques prouvent que cette confusion est dénuée de tout fondement. En 1994, l'emploi irrégulier d'étrangers représentait 6 % des verbalisations pour travail dissimulé.
S'il s'agit de lutter contre le travail illégal, cette mesure se trompe donc de cible.
Et s'il s'agit de traquer les étrangers dépourvus de titre de séjour, votre manoeuvre est illégale.
Aucun contrôle d'identité ne peut être toléré dans un domicile privé quand aucun délit n'a été commis.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne saurait cautionner une mesure qui prévoit l'accès de la police dans les lieux de travail sur simple réquisition du parquet et qui traduit donc une extension considérable du pouvoir policier.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 148.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai sous les yeux une décision du Conseil constitutionnel, saisi notamment par MM. Jacques Chirac, Alain Juppé, Jacques Toubon, Bernard Pons, Mme Suzanne Sauvaigo, etc., qui soutenaient que les dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 40 du code des postes et télécommunications étaient attentatoires aux libertés individuelles et au droit de propriété.
Je donne lecture de certains des considérants.
« Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la procédure pénale ; qu'au nombre de ces règles figurent, notamment, la détermination des catégories de personnes compétentes pour constater les infractions aux dispositions pénalement sanctionnées, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs, ainsi que les modalités suivant lesquelles elles exécutent leurs missions ;
« Considérant que dans l'exercice de cette compétence, le législateur doit assurer la garantie des droits et libertés de valeur constitutionnelle ; qu'il lui incombe notamment de préserver l'exercice des droits de la défense, de veiller au respect dû au droit de propriété et de placer sour le contrôle de l'autorité judiciaire, conformément à l'article 66 de la Constitution, toute mesure affectant, au sens dudit article, la liberté individuelle ; qu'en particulier, la protection de cette liberté rend nécessaire l'intervention de l'autorité judiciaire lorsque peut être mise en cause l'inviolabilité du domicile ;
« Considérant que "ces pouvoirs sont attribués dans le but de rechercher des infractions..., qu'ils ne sont assujettis à aucune exigence procédurale autre que l'obligation faite aux officiers et agents de police judicaire ainsi qu'aux fonctionnaires habilités et assermentés de transmettre dans les cinq jours les procès-verbaux qu'ils établissent au procureur de la République ; que n'est prévue ni l'information préalable de ce magistrat ni la communication d'une copie du procès-verbal à la personne concernée" - ici non plus - "qu'il n'est pas fait mention d'une limitation dans le temps de l'accès aux locaux visés au 2e alinéa ;" - ici non plus - "que n'est pas non plus prise en considération l'hypothèse dans laquelle les locaux susceptibles d'être visités serviraient, pour partie, de domicile aux intéressés ;" » ici non plus, puisque les locaux mixtes pourraient être visités.
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a un amendement de la commission sur ce sujet !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne parle pas de l'amendement de la commission ; je suis en train de demander la suppression du texte tel que l'a adopté l'Assemblée nationale.
M. le président. L'amendement n° 210 est-il soutenu ?
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 36.
M. Paul Masson, rapporteur. L'amendement de la commission a pour objet de supprimer du texte tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale la référence aux locaux mixtes. Dans notre esprit, il s'agit en effet uniquement de visiter des locaux professionnels en opérant sur réquisition du procureur. Il nous paraît peu approprié d'étendre ces visites à des lieux qui pourraient être, ne serait-ce que partiellement, des locaux servant de domicile.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 149.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'aurai aimé entendre M. le rapporteur dire que ce sont ses propres amis politiques qui avaient demandé au Conseil constitutionnel d'apporter cette précision, comme je viens de le rappeler.
M. Jean Chérioux. Vous l'avez dit tellement brillament !
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 150.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est défendu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 76, 148, 149 et 150.
M. Paul Masson, rapporteur. Sur les amendements identiques n°s 76 et 148, la commission a émis un avis défavorable.
L'amendement n° 149 me paraît satisfait par l'amendement identique n° 36 de la commission.
Quant à l'amendement n° 150, j'avoue que je n'ai pas d'avis ; je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 76, 148, 36, 149 et 150 ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Les amendements n°s 76 et 148 ont pour objet de supprimer l'article 10 du projet de loi, lequel permet d'étendre les procédures de contrôle d'identité sur réquisition du parquet dans les lieux de production et les chantiers.
Lors d'une enquête préliminaire en matière de travail clandestin, l'article L. 611-13 du code du travail confère aux officiers de police judiciaire d'importants pouvoirs puisque, sur autorisation du président du tribunal de grande instance, ils peuvent effectuer des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction sans avoir à recueillir l'assentiment de la personne, contrairement aux dispositions du droit commun.
Or, actuellement, la police nationale, la gendarmerie nationale et même les officiers de police judiciaire ne peuvent effectuer aucun contrôle d'identité dans les lieux à usage professionnel, c'est-à-dire ne constituant pas un domicile, en vue de vérifier la régularité des embauches de salariés.
Naturellement, cela empêche de mettre en oeuvre toute réelle politique préventive et ne contribue pas à dissuader le recours au travail clandestin.
Une étude récente effectuée sur 21 543 personnes impliquées dans une procédure de travail clandestin a montré que 43 % des personnes impliquées étaient d'origine étrangère. Cette étude a été jointe en annexe au rapport de M. Ruddy Salles, présenté à l'Assemblée nationale. Elle est connue et elle est à la disposition de tout le monde.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes trop bons avec vous !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Les dispositions proposées obéissent à toutes les exigences constitutionnelles. Elles visent simplement à permettre une efficace politique de prévention du travail clandestin et d'emploi d'étrangers sans titre de travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est paradoxal que certains élus, notamment ceux du parti communiste, qui dénoncent régulièrement la responsabilité des employeurs et du travail clandestin dans le problème de l'immigration illégale, s'opposent à l'adoption de cet article visant précisément à rendre plus efficace la lutte contre ce phénomène. Nous, nous ne nous contentons pas de mots, nous agissons ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
S'agissant de l'amendement n° 36, déposé par M. Masson, et de l 'amendement n° 149, je m'en remets à la sagesse du Sénat. Il y a, c'est vrai, un problème constitutionnel, et j'attends avec intérêt la décision de la Haute Assemblée.
S'agissant de l'amendement n° 150, cette disposition n'est probablement pas inutile,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes trop bon !
Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... bien que l'on ne puisse en méconnaître la lourdeur ; mais son caractère législatif est douteux. Pour ces raisons, je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
Vous voyez, monsieur Dreyfus-Schmidt, que je vous écoute de temps en temps.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 76 et 148.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, au Sénat, nous nous appelons « groupe communiste républicain et citoyen ».
S'agissant de la suppression de l'article 10, je ne crois pas qu'il s'agit, en l'occurrence, de poursuivre les employeurs qui ont recours au travail illégal ; cela se saurait ! En fait, il s'agit ici de porter une nouvelle fois atteinte aux droits des salariés ; c'est tout à fait différent !
M. Jean-Pierre Schosteck. Argutie !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 76 et 148, repoussés par la commission et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 36 et 149, pour lesquels le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 150.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Gouvernement s'en est remis à la sagesse du Sénat. Je disais de ma place à M. le ministre qu'il avait bien compris que nous étions bons avec le Gouvernement.
En effet, dans la décision dont j'ai lu quelques extraits tout à l'heure, le Conseil constitutionnel avait censuré le texte relatif aux télécommunications, à la demande de M. Chirac et de Mme Sauvaigo, notamment parce que n'était pas prévue la communication d'une copie du procès-verbal à la personne concernée.
Cela dit, vous faites comme vous voulez ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 150, pour lequel la commission et le Gouverneent s'en remettent à la sagesse du Sénat.

(L'épreuve à main levée est déclarée douteuse.)
M. le président. Mes chers collègues, il y a doute. Nous allons procéder par assis et levé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans ces conditions, je retire l'amendement, monsieur le président.
Après tout, s'il n'en veulent pas...
M. Emmanuel Hamel. Quelle sagesse que ce retrait !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, c'est votre droit de retirer l'amendement, mais il n'est pas absolument certain que le Sénat n'en veuille pas. Si vous tenez à ce texte, je peux le mettre aux voix par assis et levé. (M. Dreyfus-Schmidt fait un signe de dénégation.)
M. Alain Gournac. Non, puisqu'il l'a retiré !
M. le président. L'amendement n° 150 est donc retiré.
Je vais mettre aux voix l'article 10.
Mme Monique ben Guiga. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. La seule explication de vote possible a été rédigée voilà deux siècles et demi. Je veux parler de la fable Les animaux malades de la peste, dont je vais vous lire quelques passages. (Exclamations sur les travées du RPR.)

« Un mal qui répand la terreur,
« Mal que le Ciel en sa fureur
« Inventa pour punir les crimes de la terre,
« La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
« Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
« Faisait aux animaux la guerre.
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.


« Le Lion tint conseil, et dit : "Mes chers amis,
« Je crois que le Ciel a permis
« Pour nos péchés cette infortune ;
« Que le plus coupable de nous
« Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
« Peut-être il obtiendra la guérison commune.


Vous savez, mes chers collègues, que le renard déclare le lion non coupable, que, pour les crimes de l'ours et du tigre, on passe. Enfin, arrive l'âne. (« L'Ane vint à son tour... », sur les travées du RPR.)

« L'Ane vint à son tour et dit : "J'ai souvenance
« Qu'en un pré de Moines passant,
« La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
« Quelque diable aussi me poussant,
« Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
« Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net."
« A ces mots, on cria haro sur le baudet.
« Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
« Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
« Ce pelé, ce galeux, d'où venait leur mal.
« Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
« Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable !
« Rien que la mort n'était capable
« D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
« Selon que vous serez puissant ou misérable,
« Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »


(De nombreux sénateurs reprennent en choeur la morale de la fable.)
La société française est malade du chômage ! Cela fait trois jours que nous cherchons le pelé, le galeux, coupable du mal : c'est l'étranger ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10, modifié.

(L'article 10 est adopté.)

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