M. le président. « Art. 9 bis. - Après le quatrième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
Dans une zone comprise entre soit les frontières terrestres, soit le littoral du département de la Guyane et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà, l'identité de toute personne peut être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi. Le fait que le contrôle d'identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations précitées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »
Sur l'article, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si nous ne parlons pas pour nos collègues, nous parlerons au moins pour le Conseil constitutionnel !
Il était déjà fait référence à la Guyane dans l'article 3, sur lequel nous ne nous sommes pas étendus parce qu'il y a tant de choses à dire que l'on ne peut tout dire.
Des règles particulières ont été arrêtées sur une zone de vingt kilomètres le long des frontières des Etats liés par la convention de Schengen. Les frontières ayant été supprimées, il paraissait en effet normal et logique de prévoir une surveillance plus particulière dans de telles zones de part et d'autre de ce que j'allais appeler les anciennes frontières.
Toutefois, en Guyane, la situation est différente : il s'agit d'un département français, et aucun des Etats qui l'entourent n'est lié à la France par la convention de Schengen. On ne peut donc appliquer à la Guyane les dispositions qui sont prévues dans les anciennes frontières métropolitaines.
Cela nous paraîtrait d'ailleurs absolument contraire à la Constitution.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 75 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 209 est déposé par Mme Dusseau.
Tous deux tendent à supprimer l'article 9 bis .
Par amendement n° 34, M. Masson, au nom de la commission, propose de remplacer le premier alinéa et le début du deuxième alinéa de l'article 9 bis par les dispositions suivantes :
« L'article 78-2 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral... »
Par amendement n° 35, M. Masson, au nom de la commission, propose de supprimer la dernière phrase du texte présenté par l'article 9 bis pour compléter l'article 78-2 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Ralite, pour défendre l'amendement n° 75.
M. Jack Ralite. Je reprendrai exactement les arguments que vient de développer notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt : effectivement, les accords de Schengen ne sont pas applicables aux Etats qui entourent la Guyane.
Je tiens à souligner que ce département se trouve au milieu du tiers monde, que ses habitants subissent une situation dramatique, avec un fort taux de chômage et une précarité résultant de l'organisation néo-coloniale de son économie.
M. Jean Chérioux. Ce serait plutôt l'inverse !
M. Jack Ralite. Quand on y va - j'y suis allé ! - c'est pénible à constater.
M. Alain Gournac. Pourquoi les gens viennent-ils chez nous, alors ?
M. Jean Chérioux. Les gens y viennent parce qu'on y est plus heureux !
M. Jack Ralite. Les mouvements récents qui s'y sont déroulés et qui ont obligé le ministre de l'éducation à se rendre sur place prouvent bien que je dis la vérité, et votre trouble tient sans doute au fait que je dis la vérité.
M. Jean Chérioux. C'est une contrevérité !
M. Jack Ralite. En tout cas, il sera plus facile de poursuivre là-bas des immigrés que d'assurer une vie décente à cette région qui ne connaît pas un développement économique équilibré !
C'est une sorte de mur que l'on met autour de la Guyane, avec une précarisation encore plus grande pour les habitants et les immigrés. Je crois qu'il vaudrait mieux, au contraire, travailler à son développement, grâce à des coopérations mutuellement avantageuses.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de supprimer l'article 9 bis.
M. le président. L'amendement n° 209 est-il soutenu ?...
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les amendements n°s 34 et 35 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 75.
M. Paul Masson, rapporteur. Les amendements n°s 34 et 35 sont d'ordre rédactionnel.
Pour ce qui est de l'amendement n° 75, il faut en effet parler un peu de la Guyane.
C'est un département français...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est ce que j'ai dit !
M. Paul Masson, rapporteur. ... qui se trouve dans une situation géographique exposée par sa nature même. De l'autre côté de la frontière - et non pas dans ce département - il y a la misère, et il est tout à fait explicable que l'on aille de la misère vers un peu d'espoir, vers un peu de liberté.
Pour cette raison, la moitié des étrangers, soit un quart des habitants de la Guyane, sont en situation irrégulière. Or il s'agit d'un département français et je ne vois pas pourquoi on ferait une différence entre la Guyane et la Corrèze, par exemple.
M. Jean-Luc Mélenchon. Justement : parce qu'il n'y a personne !
M. Paul Masson, rapporteur. Exactement ! Seulement, la Corrèze n'est pas environnée par la pauvreté !
M. Jean Chérioux. Voilà !
Mme Hélène Luc. Mais il y a beaucoup de pauvreté, en Corrèze ! Connaissez-vous ce département ?
M. Paul Masson, rapporteur. J'y suis né, madame !
Mais je reviens à la Guyane.
Je considère qu'il y a là une situation anormale. Je ne dis pas que cette procédure est exceptionnelle et je ne me réfère pas aux accords de Schengen, contrairement à ce que l'on peut penser : je dis simplement qu'il y a similitude des formes.
Qu'a-t-on fait avec le dispositif de Schengen ? On a, d'une part, non pas supprimé les frontières, mais permis la libre circulation des personnes à la frontière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Paul Masson, rapporteur. Mais, d'autre part, en compensation de cette liberté de circuler sur la ligne frontière, on a dit que, dans une bande de vingt kilomètres, des dispositions dérogatoires permettraient les contrôles d'identité...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà !
M. Paul Masson, rapporteur. ... et, depuis ce soir - si le texte est définitivement adopté - la visite sommaire des véhicules utilitaires.
En l'occurrence, comme il n'y a pas, si je puis dire, de frontière parce qu'on ne peut pas contrôler la frontière entre la Guyane et les pays voisins, il faut, là aussi, qu'il y ait une espèce de compensation et donc, par similitude avec ce qui se fait sur le territoire métropolitain, que des dispositions exceptionnelles soient prises dans une bande de vingt kilomètres.
Tel est l'objet de l'amendement qui a été présenté à l'Assemblée nationale, et c'est pourquoi la commission invite le Sénat à repousser l'amendement n° 75.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 75, 34 et 35.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. La différence de développement économique entre la Guyane et les deux Etats les plus proches, le Brésil et le Surinam, fait peser une forte pression migratoire sur ce département, où le quart de la population serait composée d'étrangers en situation irrégulière.
Ce département français présente donc bien des risques particuliers d'infraction et d'atteinte à l'ordre publique liés à la circulation internationale des personnes. Ce constat constitue un motif d'intervention du législateur, comme le montre la décision du Conseil constitutionnel du 9 août 1993, dans laquelle sont reconnus, en général, comme motif d'intervention pour des contrôles d'identité les risques particuliers.
Nier ces risques particuliers, en l'espèce, serait un défi au bon sens. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 75.
En revanche, il est favorable aux amendements n°s 34 et 35.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 75.
M. Jack Ralite. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. J'entends bien ce que nous dit M. le rapporteur : en Guyane, le quart de la population serait en situation irrégulière. Voilà un jugement terrible sur la situation d'un pays !
Le quart de la population ! Et l'on veut régler cela par des mesures de gendarmerie et de police ? C'est impossible !
Une initiative intéressante serait la convocation d'une conférence régionale, où la France, le Surinam et le Brésil pourraient essayer de voir comment on peut régler ce grave problème.
Je suis allé à Maripasoula. Il y a là sept ou huit gendarmes, d'ailleurs magnifiques de dévouement. Mais que peuvent-ils faire ?
On a vu les événements auxquels ont donné lieu les problèmes à l'université. On va créer dans ce département une situation explosive.
Vous voulez régler une situation difficile ; en fait, loin de la régler, vous allez l'aggraver.
Encore une fois, il faut une initiative de caractère international, à laquelle participerait la France. La question est importante, je ne la sous-estime pas. En l'état, c'est vers un mur que l'on précipite la population !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je veux rappeler en cet instant que, dans la discussion générale, nous avons entendu notre collègue Georges Othily demander que l'ordonnance du 2 novembre 1945 ne s'applique plus en Guyane et qu'il y ait un texte spécifique.
Pourquoi ? Parce que, a-t-il expliqué : « De nombreux Guyanais vivent en concubinage avec des étrangers irréguliers, originaires d'Haïti, du Surinam, du Guyana ou du Brésil, qui ne pourront être expulsés puisque leurs enfants sont français. » C'est là un extrait de l'analytique.
Et de poursuivre : « Comment la police et la gendarmerie, sur place, devront-elles gérer ces situations nouvelles, qui, loin d'être marginales, se multiplient au fil des mois ?... S'il n'y a chez nous aucune difficulté à repérer et à expulser les clandestins, c'est qu'ils sont légion. »
Vous le voyez, l'arme que vous lui proposez, il n'en veut pas lui-même.
Nous non plus !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 75, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 34, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 35, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 9 bis, modifié.

(L'article 9 bis est adopté.)
(M. Jean Delaneau remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

Article 10