M. le président. « Art. 8. _ L'article L. 362-4 et le premier alinéa de l'article L. 364-8 du code du travail sont complétés par un 5° ainsi rédigé :
« 5° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal, des droits civiques et civils. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 19 rectifié est présenté par M. Souvet, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 54 est déposé par M. Masson, au nom de la commission des lois.
Tous deux tendent à rédiger comme suit l'article 8 :
« I. - L'article L. 362-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 5° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article L. 131-26 du code pénal, des droits civiques, civils et de famille. »
« II. - Après le cinquième alinéa (4°) de l'article L. 364-8 dudit code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 5° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article L. 131-26 du code pénal, des droits civiques, civils et de famille. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 19 rectifié.
M. Louis Souvet, rapporteur. L'Assemblée nationale a supprimé la mention des droits de famille, ce qui ouvre à des auteurs des infractions visées la possibilité d'exercer une tutelle ou une curatelle. Nous proposons de rétablir cette mention.
Ces droits correspondant à un mandat de justice, il paraît bien peu opportun de les confier à une personne condamnée pour infraction au travail dissimulé. L'amendement rétablit donc la possibilité, pour le juge, de priver le contrevenant du droit d'être tuteur ou curateur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 54.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis. Je voudrais éviter toute redondance avec les propos de M. le rapporteur, mais je rappelle que le projet de loi, dans sa rédaction initiale, tendait à ajouter aux peines prévues par le code du travail pour les infractions de travail clandestin et d'emploi de main-d'oeuvre étrangère dans des conditions irrégulières l'interdiction des droits civiques, civils et de famille.
L'Assemblée nationale a supprimé l'interdiction des droits de famille. Mais rappelons tout de même que l'article 131-26 du code pénal, auquel il est fait référence, forme un tout.
Alors, de deux choses l'une : ou bien on ne s'y réfère pas, et donc on n'ajoute l'interdiction ni des droits civiques, ni des droits civils, ni des droits de famille, ou bien on s'y réfère, et dans ces conditions il faut prendre en compte toutes les conséquences qu'il emporte, notamment l'interdiction des droits de famille.
J'observe également que l'application de ces peines supplémentaires est laissée à l'appréciation du juge et que, bien entendu, elle n'est donc pas automatique et peut être modulée.
Je suggère donc, en accord avec la commission des affaires sociales, de rétablir la mention de l'interdictioin des droits de famille qui a été supprimée par l'Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. L'amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale ne manquait pas de pertinence, car il est vrai qu'il ne faut pas tout mélanger.
Cela étant, comme vient de très bien le dire M. Masson, il faut laisser au juge une certaine latitude, car celui-ci est vraisemblablement mieux à même d'apprécier des situations complexes sur les plans personnel et familial, et la loi ne peut tout régenter.
Une situation familiale peut en effet exiger que le juge module ses décisions. C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat surces amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements n°s 19 rectifié et 54.
M. Jacques Habert. Je demande la parole contre les amendements.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. J'espérais que le Gouvernement adopterait ici la même attitude qu'à l'Assemblée nationale, où il avait donné un avis favorable à un amendement tendant à supprimer l'interdiction des droits de famille.
En effet, je trouve absolument extraordinaire la lourdeur des peines que l'on prévoit pour des personnes, certes délinquantes, mais qui peuvent déjà être condamnées à de longues années de prison et à des amendes dont nous avons augmenté le montant. L'application de ces peines très sévères place à elle seule ces personnes - et c'est justice - dans des situations réellement terribles et lamentables. Et, en plus, on veut les priver de leurs droits de famille. Ainsi, ils n'auront par exemple plus le droit d'être tuteurs ou curateurs.
Telle personne condamnée devra être autorisée, après avis conforme du juge des tutelles et du conseil de famille, à être tuteur ou curateur de ses propres enfants. C'est tout de même un peu fort ! Songez aux familles qui seront brisées ! Le chef de famille est coupable, certes, il passera des années en prison, mais qu'advient-il de ses enfants ? N'aura-t-il plus même le droit de s'en occuper ?
L'Assemblée nationale, de façon tout à fait opportune, avait décidé de supprimer l'interdiction des droits de famille. Que les coupables soient privés pour longtemps de tous leurs droits civiques et de tous leurs droits civils constitue déjà une punition énorme, y ajouter la privation des droits de famille serait excessif, et l'Assemblée nationale a eu tout à fait raison de supprimer cette disposition.
Que nos deux rapporteurs veulent bien excuser mes propos, mais j'ai été sidéré de découvrir tout à coup que les deux commissions avaient décidé de la rétablir par souci de conformité ou, en ce qui concerne M. Masson, afin de respecter la teneur de l'article 131-26 du code pénal.
Pour des raisons juridiques, on place les personnes concernées dans une situation familiale impossible. Je pense que nous allons beaucoup trop loin, et je suggère donc à nos deux rapporteurs de retirer ces amendements ou de les rectifier en supprimant toute référence aux droits de famille. Sinon, de quelle sévérité extraordinaire ferions-nous preuve !
Je demande instamment au Sénat de réfléchir. Je ne vois pas pourquoi, tout à coup, nous voudrions nous comporter en féroces justiciers. Il faut penser aux familles, et adopter la même attitude que l'Assemblée nationale.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je voudrais lever toute équivoque. En effet, je m'en suis remis à la sagesse du Sénat, et je n'ai donc pas pris position.
Cependant, je reconnais que les arguments de M. Masson m'ont paru intéressants, et il ne faudrait quand même pas se tromper de débat : il s'agit non pas de remettre en cause les liens qui unissent un père et ses enfants, mais de savoir si l'on peut confier à la personne condamnée la curatelle ou la tutelle des enfants d'un autre. Cette disposition ne concerne donc pas la famille naturelle.
Pour ma part, je laisse les deux assemblées se mettre d'accord sur un texte. Soit on défend au juge de prononcer l'interdiction des droits de famille, soit, dans des cas en nombre à mon avis limité, si vraiment un employeur a abusé de personnes en les faisant travailler clandestinement dans des conditions souvent attentatoires à leur dignité de travailleurs, on décide que le juge - cela ne me paraîtrait pas choquant - pourra lui refuser d'assurer la curatelle ou la tutelle d'enfants qui ne sont pas les siens.
Par conséquent, ce débat doit être ramené à de justes proportions. Ma formation d'avocat m'incite à faire confiance au pouvoir judiciaire pour apprécier au cas par cas des situations toujours particulières.
Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse du Sénat, car il ne veut pas se déjuger dans cette affaire, il laisse au Parlement le soin de choisir la meilleure option.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis. Je crois, mes chers collègues, que ce débat n'est pas inutile, car il permet à chacun de préciser ses positions, et je remercie notre collègue Jacques Habert d'avoir attiré notre attention sur le point qu'il a soulevé.
Je viens de relire l'article 131-26 du code pénal, car c'est à ce texte dans son ensemble qu'il est fait référence et non simplement à l'une ou l'autre de ses dispositions.
Il faut d'abord avoir bien présent à l'esprit que cette peine ne peut concerner que les employeurs, et en aucun cas les salariés.
M. Jacques Habert. Effectivement.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis. Le 5° de l'article 131-26 du code pénal, qui nous intéresse ici, concerne le droit d'être tuteur ou curateur. Mais il est précisé que « cette interdiction n'exclut pas le droit, après avis conforme du juge des tutelles, le conseil des familles entendu, d'être tuteur ou curateur de ses propres enfants. »
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Voilà !
M. Paul Masson, rapporteur pour avis. Le cas que vous avez évoqué à juste titre, monsieur Habert, trouve donc sa solution dans le texte. Le juge, dans sa sagesse, peut condamner ou non à cette peine complémentaire. Même s'il prononce cette condamnation, il peut faire une exception pour tenir compte de la situation familiale du prévenu.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Jacques Habert. Je demande la parole.
M. le président. A titre exceptionnel, je vous donne de nouveau la parole, monsieur Habert !
M. Jacques Habert. Je soulignerai simplement que, dans le cas où l'intéressé est tuteur ou curateur d'un ou de plusieurs enfants, il en perd automatiquement le droit après sa condamnation. Cette interdiction ne l'empêche pas, après avis conforme du juge des tutelles et le conseil de famille une fois entendu, d'être tuteur ou curateur de ses propres enfants, mais il n'aura plus le droit de jouer le même rôle vis-à-vis d'autres enfants.
En tout état de cause, une décision du juge, après avis du juge des tutelles et du conseil de famille, sera nécessaire pour qu'il conserve la tutelle ou la curatelle de ses propres enfants. Cela va donc très loin !
M. Jean Delaneau. Oui !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 19 rectifié et 54, pour lesquels le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 8 est ainsi rédigé.

Article additionnel avant l'article 9