Sur les crédits figurant au titre IV, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je n'ai pas obtenu de réponses aux questions que j'ai posées.
A propos de la querelle de l'héritage, vous m'obligez à dire que ce legs provient essentiellement du gouvernement Balladur. (Protestation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Votre legs était nettement plus lourd !
M. Gérard Delfau. J'ai eu quelque élégance, mais, puisque vous souhaitez que je mette les choses au clair, je le fais ! De toute façon, la question n'est pas là.
M. Jean Chérioux. L'impudence a ses limites !
M. Gérard Delfau. N'abusez pas des mots, mon cher collègue !
Le problème reste entier ! Nous réitérons notre demande ferme, monsieur le ministre, pour qu'il soit mis fin à cette situation préjudiciable au code du travail et à l'image du ministère.
Si j'ai demandé à intervenir sur ce titre IV, c'est parce que, hier soir, à la suite de l'organisation de ce débat décidée par la conférence des présidents, je n'ai pas eu le temps d'exposer le second point de mon intervention, notamment l'élément le plus prospectif, le plus positif. Pour résumer, le débat d'hier soir a mis en évidence une grande insatisfaction sur l'ensemble des travées, même si quelques approbations de principe ont pu être relevées. Il s'agit donc d'une mise en cause assez largement partagée de ce que j'appelle le « tout entreprise », c'est-à-dire d'une concentration de plus en plus grande des crédits sur des subventions, des primes et des exonérations de charges aux entreprises.
Les conclusions de la commission Péricard-Novelli de l'Assemblée nationale ont montré à quel point l'efficacité de ces dispositions était sans commune mesure avec les sommes engagées.
Partant de ce constat qui, je le rappelle, n'est pas seulement le mien, je souhaiterais demander à M. le ministre et, au-delà lui, à M. Barrot, quelques précisions sur l'annonce qui a été faite par M. Juppé, Premier ministre, devant le congrès des maires : il a indiqué qu'une déconcentration des crédits d'intervention du ministère du travail pourrait intervenir de façon expérimentale auprès des préfets.
Quel serait le calendrier d'application de cette mesure ? Quels seraient le montant des crédits déconcentrés les modalités d'attribution et l'échelon territorial retenu ?
Pour être clair, s'agit-il de subsituer les services de la préfecture aux services départementaux du travail - dans ce cas, l'intérêt serait mince - ou bien s'agit-il de revenir à une politique massive de soutien du développement local, comme cela fut fait dans les années 1988-1992 ? Voyez que j'ai, moi aussi, quelques repères historiques ! Dans ce cas, allez-vous associer les acteurs de terrain et déconcentrer les crédits jusqu'au niveau du sous-préfet, c'est-à-dire du bassin d'emploi ?
Au passage, vous pourrez réinventer les sous-préfets développeurs, qui ont laissé plutôt un bon souvenir. Je sais qu'un certain nombre des membres de cette assemblée, qui ne partagent pas par ailleurs nos convictions politiques, ont la même opinion.
Les maires et les conseillers généraux sont las de se trouver en première ligne face au drame du chômage, sans avoir les moyens financiers pour intervenir efficacement.
Les chefs d'entreprise responsables - il en est, bien sûr ! - et les représentants des salariés accepteraient plus volontiers de se mobiliser s'ils avaient prise sur les aides publiques à l'emploi.
Cette évolution est, d'une certaine façon, inéluctable. Elle a d'ailleurs été réclamée, sous des formes diverses - mais l'esprit est le même - à la fois par notre collègue M. Jourdain et par M. Fourcade, président de la commission des affaires sociales.
Au fond, ce que je demande au ministère du travail, c'est s'il a l'intention, sous des formes adaptées, de soutenir beaucoup plus fortement qu'il ne le fait aujourd'hui - je lui donne acte de l'action qu'il mène actuellement - la démarche des comités de bassin d'emploi, qui, localement, font travailler ensemble, en obtenant des résultats non négligeables, des élus, des chefs d'entreprise, des syndicalistes et, évidemment, des militants associatifs. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Par amendement n° II-9 rectifié bis, MM. Carle, Bordas et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent de réduire les crédits du titre IV de 200 000 000 francs.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Comme l'a indiqué hier un collègue dans la discussion générale, cet amendement n'altère en rien l'effort de solidarité qui caractérise votre budget, monsieur le ministre. Au contraire, il tend à rendre plus préventive, plus durable votre action.
S'il diminue le nombre des CES, dont chacun reconnaît les effets positifs, mais dont on mesure aussi les effets pervers, il transfère les crédits y afférents vers des actions à destination des jeunes, en leur permettant d'accéder à une formation professionnelle et, pour nombre d'entre eux, de trouver un emploi.
En effet, vous connaissez, monsieur le ministre, les excellents résultats obtenus dans ce domaine par l'enseignement agricole. Cet enseignement est aujourd'hui victime de ses bons résultats : les contraintes budgétaires ont obligé le ministre de l'agriculture à limiter la croissance des effectifs à 2 % et M. Vasseur, par différentes notes, nous le rappelle depuis un certain nombre de semaines.
Certes, l'enseignement agricole est et doit demeurer un enseignement de filière. Mais, en plus de cette fonction, qu'il assume parfaitement, il joue aussi un rôle de rattrapage important : il constitue - le rapport Rémond en atteste - une seconde chance pour de nombreux jeunes qui sont en situation d'échec dans la voie classique. Combien de jeunes filles et de jeunes garçons lui doivent aujourd'hui, une qualification, un métier !
Or, la maîtrise brutale des effectifs ne laisse aujourd'hui à ces jeunes qu'une alternative : l'ANPE ou la rue !
Le coût social pour la collectivité sera infiniment supérieur aux quelque 200 millions de francs nécessaires pour faire face à l'accroissement des effectifs et donner ainsi une chance à de nombreux jeunes.
J'ajoute que nous ne comprendrions pas l'attitude du Gouvernement, qui, d'un côté, augmenterait de 6,5 milliards de francs le budget de l'éducation nationale et de la recherche - je m'en réjouis, tout en tenant à rappeler mes propos précédents : jamais la durée des études n'a été aussi longue et, par ailleurs, la part des surdiplômés atteint 23 % - et qui, de l'autre côté, refuserait 200 millions de francs à un enseignement dont le rôle dans l'insertion professionnelle est supérieur - je dis bien « supérieur » ! - à tout autre et dont la durée des études est sans commune mesure avec celle du cycle classique.
Tels sont l'objectif et la logique de cet amendement.
Je vous prie de m'excuser d'intervenir sur une ligne de votre budget, monsieur le ministre, dont je reconnais la nécessité et qui est gérée avec responsabilité et courage.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Hamel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Mon cher collègue, je comprends la force avec laquelle vous soutenez l'amendement de notre collègue M. Carle, qui était parmi nous cette nuit. Nous connaissons tous, en effet, le rôle éminent que joue l'enseignement agricole, notamment pour l'insertion des jeunes en situation d'échec.
Cependant, faut-il financer le développement de l'enseignement agricole et répondre à son attente - on comprend qu'elle s'exprime par votre voix - par une réduction aussi importante des crédits du budget du ministère du travail ?
La commission des finances, si grands que soient son estime et son intérêt pour l'enseignement agricole, facteur d'insertion des jeunes qui sont en situation d'échec dans la voie « classique », pour reprendre votre expression, est opposée, et elle le regrette, à cet amendement qui tend à réduire de 200 millions de francs les crédits d'intervention du budget du ministère du travail.
En effet, ces crédits ne sont pas surdimensionnés, loin de là, notamment en ce qui concerne les contrats emploi-solidarité.
Je souhaite qu'à l'occasion, par exemple, de l'examen du projet de budget du ministère de l'agriculture, nous apprenions de M. Vasseur que, reconnaissant l'importance de l'enseignement agricole, il a pu répondre à son attente et développer ses moyens au service des jeunes en difficulté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur Jean Boyer, le ministre du travail et des affaires sociales, qui est en charge de la formation professionnelle, comprend très bien vos préoccupations, ainsi que celles de M. Carle.
A l'évidence, l'enseignement agricole est irremplaçable, aux yeux du Gouvernement. La formation vaut toujours mieux qu'un CES.
Malheureusement, les crédits affectés aux contrats emploi-solidarité ont été calculés au plus juste. L'estimation intègre, en effet, une diminution de 70 000 CES. Elle intègre aussi l'institution d'un ticket modérateur.
N'oubliez pas, monsieur le sénateur, que, voilà encore un an, 700 000 CES étaient conclus.
Nous avons accepté que leur nombre soit limité à 500 000 en 1997, mais, très sincèrement, nous ne pouvons aller plus loin.
Il ne faudrait pas - je suis persuadé que vous approuverez le Gouvernement - que les hôpitaux, mais aussi les établissements d'enseignement, auxquels vous êtes attaché, connaissent des difficultés de fonctionnement parce que nous aurions voulu aller trop vite dans la réduction du nombre de CES.
Je tiens par ailleurs à vous rappeler, monsieur le sénateur, que les crédits consacrés au seul enseignement agricole ont augmenté de 2,6 % en 1996.
Cette évolution confirme donc la priorité que le Gouvernement accorde à l'enseignement agricole puisque, dans le même temps, le budget de l'agriculture, hors subvention d'équilibre au BAPSA, baisse malheureusement de 3,9 % en 1997 par rapport à 1996.
Je tiens à rappeler devant la Haute Assemblée que l'enseignement public agricole bénéficie, dans le projet de budget pour 1997, de la création de 87 emplois budgétaires - 70 dans l'enseignement technique, 10 dans l'enseignement supérieur, 5 conseillers principaux d'éducation et 2 infirmières - alors que le total des effectifs du ministère de l'agriculture baisse de 60 emplois.
Cela signifie que M. Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, veille à supprimer des emplois dans ses services centraux pour gager des ouvertures dans l'enseignement public auquel vous tenez beaucoup.
Pour toutes ces raisons, monsieur le sénateur, et sachant que M. Vasseur vous donnera des apaisements lors de la discussion du projet de budget de l'agriculture, je vous demande de bien vouloir retirer l'amendement n° II-9 rectifié bis.
M. le président. Monsieur Boyer, l'amendement n° II-9 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, je vous remercie des explications que vous avez bien voulu me donner.
J'ai noté que tout serait mis en oeuvre pour qu'il soit procédé à un nouveau rattrapage pour l'agriculture.
Je dis « nouveau » parce que nous ne ferons jamais assez pour les enfants de nos agriculteurs si nous voulons que la France continue d'avoir des racines et d'être nourrie dans tous les sens du terme.
Tenant compte de vos observations, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° II-9 rectifié bis est retiré.
Par l'amendement n° II-12, Mmes Demessine et Fraysse-Cazalis, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de réduire les crédits du titre IV de 815 400 000 francs.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Cet amendement vise à supprimer les crédits affectés à la mise en place de loi de réduction du temps de travail dite « loi Robien ».
J'ai déjà évoqué les dangers de cette loi lors de mon intervention sur le budget du ministère du travail.
Cette loi offre aux employeurs des dispositions particulièrement généreuses puisque les entreprises qui réduisent de 10 % leur temps de travail en échange de l'embauche de 10 % d'effectif supplémentaires voient leurs charges réduites de 40 % la première année, puis de 30 % les six années suivantes.
Toutefois, si les exonérations courent bien sur sept ans, l'obligation de création nette d'emplois, elle, ne court que sur deux ans ! Si bien qu'au bout de deux ans l'employeur pourra licencier à nouveau tout en continuant à bénéficier de ces exonérations !
En outre, cette loi permet de nombreuses dérives puisqu'elle peut être utilisée non pas pour créer des emplois, mais pour éviter leur suppression.
C'est le cas très douloureux de l'entreprise Moulinex, qui annonce vouloir sauver sept cent cinquante emplois en ramenant le temps de travail à trente-trois heures.
Cette extension de la loi encourage les entreprises à gonfler leurs plans de réduction d'effectifs afin de bénéficier d'exonérations massives au titre de licenciements dits « évités ». Ainsi, l'employeur pourra bénéficier d'une exonération et licencier quand même au bout de deux ans.
Il faut mettre un terme à ces dérives et avancer vers un réel contrôle des fonds publics destinés à l'emploi.
Si nous ne sommes pas opposés à l'octroi de certaines aides aux entreprises - nous ne sommes pas pour la politique du tout ou rien - nous considérons cependant que ces aides doivent être contrôlées, en particulier par les salariés, et qu'elles doivent aboutir à de véritables créations d'emplois.
En outre, nous proposons d'aller rapidement vers une réduction du temps de travail hebdomadaire à trente-cinq heures sans diminution de salaire, ce qui permettrait de créer plusieurs dizaines de milliers d'emplois.
C'est le sens de cet amendement que je vous demande d'approuver, mes chers collègues.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Hamel, rapporteur spécial. Monsieur le président, si la commission des finances comprend certes le souhait des membres du groupe communiste républicain et citoyen de voir augmenter les crédits des chapitres évoqués du ministère des affaires sociales, elle est cependant hostile à la réduction des crédits d'intervention du ministère du travail qui financent les aides à l'emploi, et donc défavorable à l'amendement n° II-12.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. L'amendement n° II-12 tend précisément à supprimer les crédits ouverts pour financer la loi Robien, qui résulte d'une initiative parlementaire et dont le Gouvernement et le Parlement ont estimé qu'elle permettrait de sauver ou de créer des emplois.
On ne peut juger ce texte avant son entrée en application. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° II-12, qui lui paraît inacceptable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-12.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais, par mon intervention, renforcer la position du Gouvernement.
Nous avons eu beaucoup de mal - souvenez-vous-en, mes chers collègues - lors de l'adoption de l'article 39 de la loi Giraud relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, à permettre l'expérimentation d'un certain nombre de mesures tendant à favoriser, en contrepartie de la réduction de la durée du travail, l'embauche de salariés supplémentaires.
Après quelques années d'application, nos collègues de l'Assemblée nationale ont déposé une proposition de loi dont nous avons longuement débattu et sur laquelle le Sénat est parvenu à un accord.
Il serait à mon avis tout à fait absurde et inconvenant, alors que le système se met en place, de supprimer les crédits prévus cette année.
Je rappellerai à M. Fischer que cette loi, dite « loi Robien », comporte deux parties : d'une part, une incitation positive pour des entreprises dynamiques qui, en contrepartie de la réduction et de l'annualisation de la durée du travail, créent des emplois supplémentaires et, d'autre part, une partie défensive pour des entreprises en difficulté qui, pour éviter des licenciements, entrent dans ce mécanisme et réduisent la durée du travail, d'une façon un peu comparable à ce qui s'est passé en Allemagne dans le cadre de l'accord Volkswagen.
Par conséquent, nous mènerions à mon avis une « politique de gribouille » si, quelques mois après avoir mis en place un dispositif, nous supprimions le financement de ce dernier.
C'est une affaire dont tout le monde parle. Chacun sait que, au sein des organisations syndicales et des organismes professionnels, ce dispositif a des adeptes et des adversaires. Je suis, pour ma part, beaucoup plus pragmatique que tous ces intellectuels au rabais...
M. Guy Fischer. Ne soyez pas méprisant, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... ou que tous ces dirigeants syndicaux qui, en matière de travail, se réfèrent au mythe et non pas à la réalité. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer. Cela ne vous ressemble pas !
M. Robert Pagès. Ne soyez pas un président au rabais !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Laissons l'expérience se dérouler et, d'ici à un ou deux ans, nous en tirerons les conclusions !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-12, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV, modifié par l'amendement n° II-21 du Gouvernement, précédemment adopté.
M. Guy Fischer. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(Ces crédits sont adoptés.)

ÉTAT C