AGRICULTURE

Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur l'agriculture.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Poncelet. (M. du Luart applaudit).
M. Christian Poncelet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, sur l'initiative de la commission des finances et sous l'impulsion du président du Sénat, M. René Monory, le Sénat doit tenir trois grands débats d'orientation préalables à la discussion budgétaire : après le débat sur la défense et celui sur la politique étrangère se déroule aujourd'hui le débat sur l'agriculture. Défense, politique étrangère, agriculture : trois débats qui, finalement, touchent à l'idée même que nous nous faisons de l'identité de notre nation, de son histoire et, surtout, de son rayonnement. C'est dire si, pour nous sénateurs, monsieur le ministre, l'agriculture occupe une place de premier rang.
Cette agriculture dynamique, ceux qui l'ont faite et ceux qui la poursuivent aujourd'hui ce sont des femmes et des hommes que nous devons respecter et auxquels nous devons donner les moyens d'exercer leur métier dans les meilleures conditions.
Formation, installation, motivation me semblent être les trois objectifs qui doivent fonder votre action - et la nôtre - en ce domaine.
S'agissant tout d'abord de la formation, nous sommes victimes - vous l'avez vous-même souligné ce matin, monsieur le ministre - de notre propre succès : le niveau des inscriptions dans l'enseignement agricole en témoigne, à l'évidence.
D'ailleurs, cela ne va pas sans susciter des problèmes auxquels certains représentants professionnels nous ont rendus attentifs.
S'il importe de préserver la spécificité de notre système à la française, deux écueils doivent, à mes yeux, être évités : d'une part, celui d'une régulation budgétaire « à la toise », qui limiterait les concours de l'Etat à une progression de 2 % ; d'autre part, celui d'une mise à l'écart relative des formations spécifiques telles que celles qui sont dispensées, par exemple, dans les maisons familiales rurales. Je sais que vous y êtes attentif, monsieur le ministre, et, sur ce point, j'attends de votre part une réponse très précise.
A l'évidence, nous devons ouvrir ensemble ce dossier de la formation, qui devra figurer en bonne place dans la future loi d'orientation agricole, annoncée et confirmée ce matin.
Pour ce qui est, ensuite, de l'installation, des progrès considérables ont été enregistrées en ce domaine, et je rends hommage à votre talent, monsieur le ministre : les crédits du projet de loi de finances pour 1997 ont été fixés, il faut objectivement et loyalement le reconnaître, à un bon niveau.
Je me souviens toutefois que, l'an dernier, à pareille époque, c'est au Sénat qu'ont été dégagés les moyens nécessaires à la mise en oeuvre du fonds spécifique consacré à l'installation des jeunes. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pouvons-nous être satisfaits des résultats obtenus grâce à ce fonds nouveau ? Je pose d'ailleurs cette question - pourquoi le dissimuler ? - avec une certaine inquiétude, car mon expérience m'enseigne que notre génie national est souvent plus prompt à créer les fonds d'intervention qu'à les alimenter de façon continue et adéquate. Mais je ne voudrais pas faire de procès d'intention à quiconque. J'attends avec beaucoup d'intérêt les précisions que vous apporterez sur ce point.
Pour l'installation des jeunes, l'oeuvre à accomplir est bien délicate, car il faut concilier l'entrée dans le métier du plus grand nombre possible de candidats avec l'adaptation de la taille des exploitations aux nécessités de compétitivité. C'est une équation particulièrement difficile à résoudre. Pourtant, et avec bien des précautions, je me demande si nous n'allons pas trop vite et trop loin dans la course à la taille.
L'an dernier, monsieur le ministre, vous avez mis en place des conseils départementaux d'orientation agricole chargés d'harmoniser tous les aspects de la politique agricole nationale, auparavant éclatés en de multiples conseils spécialisés. Les informations issues de ces conseils sont-elles de nature à faire progresser la réflexion sur une nouvelle politique d'installation ? Quels enseignements tirez-vous de cette première expérience ? Quelles orientations allez-vous prendre ? Il s'agit d'un débat de fond sur lequel, après d'autres intervenants, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements.
Enfin, en ce qui concerne la motivation, j'ai constaté sur le terrain, monsieur le ministre, que cette motivation - elle est toujours forte chez nos agriculteurs, et nous pouvons nous en réjouir - était parfois mise à mal par notre incapacité à bien communiquer à tous nos concitoyens des messages essentiels sur le degré de performance de notre filière agricole.
Pour illustrer mon propos, je citerai trois exemples, parmi d'autres.
Alors que la France a réalisé des progrès considérables - et coûteux, soulignons-le - en matière génétique, sanitaire et vétérinaire, qui la placent au premier rang dans le monde, ces progrès ne sont pas bien connus et l'on peut lire des contrevérités flagrantes dans la presse non spécialisée. Cela tend à mal informer la population et à ne pas toujours lui faire bien appréhender tout l'intérêt qu'il y a à soutenir ce secteur économique de notre pays qu'est l'agriculture : l'agriculteur aurait pour seul objectif de solliciter des subventions, des concours ou des aménagements de prix.
Alors que les éleveurs se sont lancés avec détermination dans un programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, l'Etat - il faut le dire - n'a pas les moyens financiers de respecter ses engagements. Vraiment, monsieur le ministre, s'il y avait une critique à porter sur votre budget, ce serait cette insuffisance des crédits consacrés au programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole.
Toutefois, connaissant votre attachement au bicaméralisme et mesurant toutes les avancées que vous avez consenties - et nous nous en félicitons ! - à l'Assemblée nationale, je ne doute pas un instant que vous entendez annoncer une bonne nouvelle au Sénat.
Vous allez nous rassurer sur ce point et, à l'avance, je vous en remercie. (Sourires sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Alors que l'équarrissage est une compétence de puissance publique, on a parfois l'impression que les agriculteurs sont rendus responsables des difficultés de ce secteur et que ce serait à eux, et à eux seuls, de payer pour l'enlèvement des cadavres.
C'est inadmissible, comme serait intolérable le recours de principe aux finances des collectivités locales.
Monsieur le ministre, ce que je vais vous dire concerne le Gouvernement tout entier ; par conséquent, soyez notre interprète auprès des autres ministres en conseil des ministres : nos collectivités n'en peuvent plus de financer les conséquences des objectifs ambitieux fixés par d'autres en matière d'assainissement, de déchets, voire peut être demain de pollution de l'air. Maintenant, c'est l'équarrissage qui serait envisagé ! Bien entendu, tous ces mauvais coups nous rendent particulièrement méfiants. La coupe est pleine et les collectivités n'en peuvent plus ! En disant cela, je suis convaincu de traduire sinon l'unanimité, du moins une large majorité de la Haute Assemblée.
Pour en terminer sur le sujet général des normes européennes, je voudrais vous rendre attentif, monsieur le ministre, au rôle indispensable de ce que j'ai appelé « les abattoirs de proximité ». Tout ne doit pas conduire au gigantisme. Je suis prêt à vous le démontrer dès que vous en aurez le loisir.
Qu'il s'agisse de la qualité des produits ou de la préservation de l'environnement, nos concitoyens mesurent mal les progrès accomplis par les agriculteurs. Comme souvent, ils généralisent à partir de ce que j'appellerai des « bavures » ou à partir du comportement de certains, que l'on qualifie à juste titre de « brebis galeuses ». Nous avons là, vous et nous, un grand défi de communication à relever ensemble. Nous avons peut-être aussi à vous aider à faire sortir vos projets de loi sur la qualité alimentaire et sur l'équarrissage, que vous avez annoncés. Il faut discuter du projet de loi sur l'équarrissage avant la fin de l'année, et surtout ne touchez pas aux collectivités locales, et merci de l'engagement ! (Sourires.)
Le projet de loi d'orientation et le projet de loi sur l'équarrissage, où sont-ils ? J'ai tendance à dire qu'ils sont dans le congélateur ou dans le réfrigérateur de l'interministériel. Bien sûr, on est tenté de faire un effet d'annonce. Celui-ci apporte une première satisfaction, puis rien ne vient. On attend. On est déçu et désespéré. C'est une mauvaise démarche. Il faut la modifier.
S'agissant des produits, après les hommes, je souhaiterais aborder plus spécifiquement les problèmes du marché des produits laitiers.
Le solde de notre commerce extérieur en produits laitiers est important et les industries vosgiennes y contribuent largement, je dois le souligner au passage. Mais la concurrence est de plus en plus vive entre pays européens. Cela résulte de l'application des accords du GATT, puisque dès la première année les plafonds de volume de fromage exportés avec restitution ont été atteints. Les déséquilibres constatés sur les marchés des produits laitiers se traduisent par un recours plus fréquent des industriels à l'intervention. Au niveau des producteurs, cette situation entraîne tout naturellement une forte pression à la baisse des prix du lait, qui s'ajoute à la crise bovine - vous voyez le cercle infernal... La puissance de la grande distribution est, en outre, telle que le secteur de la transformation ne peut que répercuter ses baisses de marge sur le producteur qui, en début de parcours, se trouve pénalisé par une remontée des contraintes.
Au niveau européen, enfin, ces problèmes relancent le débat sur le resserrement des quotas, voire leur suppression.
Sur tous ces sujets, monsieur le ministre, j'attends avec impatience de connaître votre stratégie.
Je terminerai mon propos en évoquant la situation de notre filière bois. A cet égard, je vous poserai cinq questions très précises.
Premièrement, qu'allez-vous faire pour combattre les menées des partisans de l'écocertification ?
Deuxièmement, qu'allez-vous faire pour permettre aux forestiers de rester les maîtres chez eux en écartant définitivement les menaces insensées du plan européen baptisé « Natura 2000 » ?
Troisièmement, qu'allez-vous faire pour mettre en oeuvre le plan d'épargne forestière annoncé voilà quelque temps - encore un effet d'annonce - par M. le Premier ministre ?
Quatrièmement, qu'allez-vous faire pour réduire, dans toute la mesure possible, les charges pesant sur la filière en aval, je pense aux taux de la taxe forestière ?
Enfin, cinquièmement, qu'allez-vous faire - j'ai souvent posé la question - pour éviter les boisements anarchiques, notamment en fond de vallée ? Je n'insiste pas sur ce point car, tout à l'heure, mon collègue et ami Gérard Braun évoquera les conséquences néfastes de l'indiscipline dans ce domaine, qui appelle une réglementation.
M. Gérard Braun. Effectivement !
M. Christian Poncelet. Même si le mot « forêt » a disparu de l'intitulé de votre ministère, j'estime qu'il ne saurait y avoir une grande politique agricole sans une grande politique forestière.
Monsieur le ministre, vous le savez, vous avez notre confiance. En retour, nous attendons de vous votre soutien pour l'agriculture. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise profonde et structurelle que connaît l'élevage bovin a souligné les contraintes qui sont liées à sa nature même.
Plus largement, si elle nous a amenés à nous interroger sur le type d'agriculture que nous souhaitons pour la France, elle nous pose une question, plus brutale encore, sur l'avenir de l'agriculture et celui des agriculteurs.
On sait que leur mission dépasse largement une ambition trop restreinte de gains de parts de marché et de suffisance alimentaire.
Gestionnaires du patrimoine naturel, ils sont garants de la sauvegarde d'un environnement de qualité et du maintien de l'équilibre des territoires ruraux auxquels nous sommes tous attachés. Le succès des mesures agri-environnementales, lesquelles devraient d'ailleurs être pérennisées par la conclusion de contrats d'objectif à long terme, manifeste bien ce nouvel état d'esprit.
Quant au FGER, je crois qu'il a été rétabli, tout au moins en partie, et cela me semble être une bonne chose.
La crise agricole actuelle, qui est avant tout une crise due à la surproduction ou à la mauvaise orientation de la production, touche prioritairement et brutalement les éleveurs du bassin allaitant, qui tirent leur seul revenu de la production de viande.
Si près de la moitié de la viande bovine provient de ce bassin, ce sont les bovins femelles que nous mangeons, dont plus de 68 % sont des vaches de réforme laitières.
Sur ce marché européen, les gagnants sont surtout ceux qui mécanisent et rationalisent leur production, au détriment de la qualité.
Dans ces conditions, les éleveurs du bassin allaitant redoutent que la crise actuelle ne vienne renforcer une logique de filière au détriment d'une logique de territoire, compromettant ainsi leur avenir et mettant en danger toute une économie, un ensemble de professions et de services.
La France a la particularité de connaître des systèmes de production diversifiés, dont les intérêts s'opposent les uns aux autres.
L'objet de la réforme de la PAC était de favoriser les systèmes extensifs, pour des questions d'équilibre du territoire et de réduction de la production. Or, si des aides en faveur du système extensif ont été mises en place, on a néanmoins continué à soutenir l'intensification, qui favorise les systèmes laitiers intensifs, pour lesquels la viande représente une seconde production.
Par ailleurs, la réforme a été inefficace en matière de limitation de la progression du poids des carcasses.
Si l'on ajoute à ces difficultés la baisse de la consommation et la remise en cause des débouchés, on ne peut que constater que la régulation du marché se révèle problématique.
Le choix d'une politique de l'élevage n'a jamais vraiment été fait : la viande bovine est donc, comme je l'ai déjà dit, soit un sous-produit d'une production, soit une production spécialisée.
Mais souhaitons-nous favoriser le développement d'une agriculture hypercompétitive, concentrée sur quelques régions, ou bien une agriculture gestionnaire de patrimoine cherchant à se satisfaire des objectifs de qualité et rattachée à ses terroirs. Cela me conduit, monsieur le ministre, à poser la question suivante : qui demain produira la viande bovine française ? S'agit-il des tenants de l'élevage intensif ou de ceux qui pratiquent l'élevage extensif, qui nourrissent leurs bêtes à l'herbe, au foin et aux céréales, autant de gages de qualité.
La réorientation du soutien au profit des systèmes allaitants qui valorisent l'herbe s'impose. Il était indispensable que ces producteurs, éleveurs de broutards, qui vivent une crise dans la crise, bénéficient d'une aide complémentaire. Ainsi, 770 millions de francs viennent de leur être attribués, comme vous l'avez dit ce matin, monsieur le ministre, répartis suivant une clé qui sera, je l'espère, bien acceptée et juste.
C'est une première reconnaissance de leur légitime demande, car on peut mesurer leurs impératifs et leurs handicaps en soulignant leur rôle dans le maintien d'une activité agricole dans les zones où il n'existe pas d'autre alternative, et l'effort qu'ils consentent souvent pour maîtriser la production par la limite des chargements à l'hectare. On peut aussi souligner que leur revenu est déjà à la traîne des revenus agricoles et qu'il existe une attente du consommateur quant aux produits de qualité.
La nécessité de maîtriser la production à long terme s'avère évidente, d'autant qu'elle n'a jamais été assurée. Le quota des droits à prime n'empêche pas de détenir des vaches non primées, soit plus de 300 000 en Europe, dont les trois quarts en France.
La maîtrise du cheptel ne peut concerner le cheptel laitier, le nombre de vaches étant déterminé par l'évolution des quotas laitiers. Elle concerne donc le cheptel allaitant et peut être instituée par un quota de primes plus contraignant se rapprochant d'un quota de production, par une action sur le montant des droits à prime, par la maîtrise du nombre de veaux engraissés en gros bovins et par un retour à un poids des animaux plus compatible avec l'équilibre du marché.
Parallèlement, la possibilité d'abattre des veaux laitiers de huit jours, qui existait dans la PAC de 1992, doit être mise en oeuvre.
La relance de la consommation exige de restaurer la confiance - c'est un atout majeur - et, pour cela, il faut que les consommateurs connaissent la provenance de la viande et ce que l'animal a mangé. Il faut aussi limiter le poids des carcasses pour limiter le poids des portions au détail, sachant que le consommateur pense non pas en termes de prix au kilogramme de viande mais en termes de prix des portions. Or, une entrecôte provenant d'un animal lourd est forcément plus chère.
Cet objectif peut être atteint par l'organisation d'un système strict d'identification et de suivi des produits, apportant les garanties nécessaires quant à l'identification systématique des bovins et à la traçabilité de la viande, de l'exploitation au panier du consommateur.
Il y a urgence, monsieur le ministre. Si l'approche territoriale cède le pas à la logique mercantile productiviste, la manifestation « Massif central mort » aura exprimé des craintes claires.
Une agriculture durable, à dimension humaine, comme vous l'avez dit ce matin, dégageant une valeur ajoutée grâce à une fiscalité de l'entreprise aussi faible que possible, s'intéressant aux filières, maintenant les territoires ruraux, tenant compte du choix des consommateurs et ayant une politique d'installation ambitieuse, voilà ce qui paraît souhaitable.
Il y a, monsieur le ministre, vous n'en doutez pas, une attente très forte du milieu agricole allaitant, qui s'interroge sur sa survie. Des mesures conjoncturelles sont donc nécessaires et urgentes ; des modifications structurelles sont attendues avec impatience et une certaine inquiétude. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui sur la politique agricole de notre pays s'inscrit dans le cadre des débats thématiques voulus par M. le président du Sénat, la majorité RPR-UDF de notre assemblée et le Gouvernement, afin d'écourter par la suite la durée de la discussion budgétaire pour 1997 qui aura lieu à la fin de ce mois.
M. Fernand Tardy. Personne ne l'avait dit ! Très bien !
M. Félix Leyzour. Comme ce fut le cas ces dernières semaines pour la politique extérieure et pour la politique de défense, il s'agit d'un débat sans vote, destiné à permettre à chacun de s'exprimer sur les différents aspects de notre politique agricole sans que cela porte directement à conséquence sur le financement des mesures qui seront ainsi avancées.
M. Fernand Tardy. Très bien !
M. Félix Leyzour. Chacun pourra ainsi dire tout l'intérêt qu'il porte à l'agriculture, à la défense des intérêts de telle ou telle catégorie d'agriculteurs, et nos collègues qui soutiennent le Gouvernement pourront ensuite, dans quelques semaines, voter un budget insuffisant pour faire prendre en compte concrètement, par des mesures financières appropriées, les besoins du monde agricole.
C'est donc un moyen pour certains de faire entendre à peu de frais leurs nuances par rapport à une politique gouvernementale de plus en plus impopulaire, comme l'attestent désormais la montée du mouvement social et tous les instituts d'opinion.
Nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, mais je crois qu'il est encore nécessaire de le répéter : cette procédure, qui tend à déconnecter la discussion de fond de la réalité des votes de chacun, contribue non pas à renforcer le pouvoir législatif du Parlement, mais à cantonner ce dernier dans le rôle d'une simple instance consultative.
M. Fernand Tardy. Effectivement !
M. Félix Leyzour. La réduction de la durée globale du débat portant sur le budget agricole pour 1997 se traduira par une limitation considérable du temps de parole pour parler concrètement du budget.
En tout cas, ce n'est pas la conception que nous avons du rôle des assemblées parlementaires et de l'exercice de la démocratie dont nous souhaitons, au contraire, le développement.
M. Ivan Renar. Il fallait le dire !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Félix Leyzour. Cette procédure de réduction de la place de la discussion budgétaire s'explique sans doute par la volonté de minorer l'importance de la discussion d'un budget du ministère de l'agriculture qui, l'an prochain, non seulement ne devrait pas suivre le rythme de l'inflation, mais est revu à la baisse par rapport à celui de 1996.
Evidemment, monsieur le ministre, comme vous l'avez fait à l'Assemblée nationale, vous justifierez votre budget, le moment venu, en indiquant qu'il a été élaboré dans un contexte de redressement budgétaire fondé sur la limitation des dépenses et la baisse des prélèvements fiscaux, cet objectif, selon le Gouvernement, étant nécessaire au redressement de la France.
Je ferai observer que la politique du Gouvernement ne limite pas la baisse des prélèvements fiscaux pour tout le monde. Si les revenus financiers sont faiblement mis à contribution, les prélèvements tombent de partout sur les salariés, les familles, les personnes disposant de faibles revenus.
J'ajouterai que sont de plus en plus rares ceux qui osent prétendre qu'il s'agit de redressement de la France. (Oh ! sur certaines travées du RPR.) Le Gouvernement parle, certes, de redressement, mais de plus en plus de Français constatent qu'il s'agit d'enfoncement, et si cela continue, on va droit dans le mur, pour employer une expression un peu triviale mais qui a cours actuellement.
Pour en revenir au projet de budget de l'agriculture, qui a déjà été examiné et adopté par l'Assemblée nationale et que nous aborderons plus en détail dans quelques semaines, si le temps nous le permet, il faut noter que le Gouvernement avait prévu de porter les préretraites de cinquante-cinq à cinquante-sept ans et de ne pas donner un centime au Fonds de gestion de l'espace rural, le FGER.
Conscient du mécontentement provoqué dans les campagnes par ces prévisions d'économie sur le dos de futurs retraités et sur le Fonds de gestion de l'espace rural, il a dû lâcher un peu de lest, mais en restant à l'intérieur de l'enveloppe budgétaire de 35 milliards de francs impartie au budget de l'agriculture, pourtant déjà en recul de 1 % sur celui de 1996.
Il va donc être débloqué de quoi garantir la continuité de la préretraite à cinquante-cinq ans, et 100 millions de francs seront attribués au FGER, alors que les engagements initiaux portaient sur 500 millions de francs ; nous en sommes loin !
Il semblerait que les sommes déplacées soient retirées de la dotation prévue pour le CNASEA, le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles.
En revanche, monsieur le ministre, vous n'avez pas concrétisé la promesse faite lors de la finale de labour, en septembre dernier, à savoir le déblocage de 150 millions de francs supplémentaires pour la réalisation du programme de maîtrise des pollutions dans les bâtiments d'élevage, dont a parlé tout à l'heure notre collègue M. Poncelet.
On sait cependant quels sont les besoins et l'attente des agriculteurs et de tous ceux qui sont attachés à l'amélioration de la qualité des eaux.
A cet égard, deux aspects des choses ne doivent pas être perdus de vue.
Tout d'abord, les besoins sont importants ; les agriculteurs, qui refusent de voir leur activité désignée comme la seule source de pollution, sont bien conscients de la nécessité pour eux de s'inscrire dans une démarche de réduction des pollutions, d'amélioration de l'environnement, de recherche de qualité.
Dans les conditions actuelles, en raison de la faiblesse des revenus d'un grand nombre d'entre eux, les objectifs fixés ne seront pas atteints sans une politique forte de subventionnement des travaux de mise aux normes, et il est illusoire de penser que les collectivités locales pourront se substituer à l'Etat dans ce domaine.
Par ailleurs, les exploitations les plus importantes ont été les premières, par nécessité et du fait de leurs possibilités, à s'engager dans la réalisation de travaux de mise aux normes. La réduction et la limitation des aides vont désormais pénaliser les exploitations moyennes et celles qui sont les plus modestes. C'est dire que, si l'on n'y prend garde, on mettra ces dernières en situation d'être éliminées, ce qui accentuera sans doute la concentration.
Sans prétendre que c'est voulu, je ne suis pas loin de penser que certains ne verront pas d'un mauvais oeil cette possibilité offerte à la concentration !
M. Alain Vasselle. A quel prix !
M. Félix Leyzour. En revanche, ce sera préjudiciable à l'ensemble de notre agriculture, au maintien d'une agriculture pouvant produire, occuper l'espace, aménager le territoire, être source d'activités et d'emplois.
En fait, le projet de budget présenté est étriqué. Il ne participe pas d'une réelle ambition pour l'essor de notre agriculture, dont on parle par ailleurs.
Il est en cela conforme à la politique agricole commune, telle qu'elle a été réformée en 1992 pour favoriser la conclusion des accords du GATT et telle qu'elle est depuis mise en oeuvre par la Commission européenne avec, au bout du compte, la bienveillance de tous les gouvernements des Quinze.
Comme ses partenaires de l'Union européenne, la France, en restreignant volontairement ses capacités productives, se plie à la volonté hégémonique des Etats-Unis et des multinationales américaines de l'agro-alimentaire, quitte à sacrifier des atouts de développement et de coopération.
Entre septembre 1994 et septembre 1995, l'excédent agricole des Etats-Unis a augmenté de 44 %, alors que la France connaît un déficit de 1,6 milliard de francs dans ses échanges de produits agricoles avec ce pays.
Alors que notre pays et les Etats membres de l'Union européenne corsètent leur agriculture dans d'étroits critères, les dirigeants américains, qui conçoivent la nouvelle Organisation mondiale du commerce comme l'instrument de leur politique commerciale, maintiennent leur arsenal protectionniste et viennent même de décider de créer les conditions pour augmenter leurs exportations de 50 % en dix ans.
Pendant que nous poursuivons notre politique de jachère, ils maintiennent leurs aides à l'exportation et mettent même en place un mécanisme d'aide fixe déconnectée de la production et des prix, qu'ils accompagnent de la remise en culture de vingt millions d'hectares de terres arables.
On peut dès lors s'interroger sur la validité de la notion de « prix mondial » sur laquelle est bâtie toute la réglementation de la nouvelle Organisation mondiale du commerce issue des accords du GATT signés à Marrakech en 1993 et qui sert à culpabiliser les agriculteurs français et européens.
C'est d'ailleurs sur cette notion de « prix mondial » que les industries laitières s'appuient depuis quelques semaines pour exiger une baisse de 2 à 3 centimes par litre de lait payé aux producteurs.
A ce propos, monsieur le ministre, on sait que l'association de la transformation laitière a réaffirmé ses préférences pour l'installation d'un double quota, avec prix différenciés en production laitière. Elle souhaite que l'organisation des marchés soit modifiée en conséquence avant l'an 2000 : « Un système de prix différenciés doit être mis en place afin que les exportations aient accès à une matière première laitière européenne à un prix compatible avec l'exportation non aidée de produits laitiers », explique-t-elle.
Si cette orientation prévalait, quand le double prix serait établi, il se trouverait alors de beaux exprits - nous savons qu'il y en a ! - pour demander rapidement que le prix le plus élevé se rapproche de plus en plus du cours mondial, avec toutes les conséquences que l'on devine pour la grande masse des producteurs.
Avec cette pression sur le prix du lait au départ de la ferme, les producteurs de lait pâtissent aussi de la baisse des prix des vaches de réforme et de l'effondrement des cours des veaux.
Evidemment, la situation confine au drame pour les éleveurs spécialisés en viande. Des tentatives sont faites - vous l'avez noté ce matin, monsieur le ministre - pour diviser les producteurs de lait et les éleveurs de troupeaux allaitants. Les uns et les autres sont sur le même bateau, avec ceci de particulier que les éleveurs de troupeaux allaitants sont encore plus touchés que les autres.
L'un des aspects essentiels de la crise actuelle - vous l'avez longuement évoquée ce matin, monsieur le ministre - tient à la diminution progressive de la consommation de viande bovine due à la réduction du pouvoir d'achat des familles, diminution que la maladie dite de la « vache folle » est venue accentuer. Des compensations ont été obtenues, voire arrachées suite à de larges mouvements de protestations,...
M. Alain Vasselle. Grâce à M. le ministre !
M. Félix Leyzour. ... dans des formes parfois inédites qui ont mobilisé les producteurs et qui ont entraîné la sympathie de la population.
Vous nous avez présenté les dernières mesures entrant dans le dispositif d'aide. Nous saluons toujours...
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Alain Vasselle. Il faut saluer M. le ministre !
M. Félix Leyzour. Nous saluons toujours, dis-je, ce qui peut être obtenu pour alléger le poids des difficultés des producteurs. Il reste maintenant à voir comment ces dispositions vont s'appliquer sur le terrain. Nous y serons attentifs, monsieur le ministre, car - vous le savez d'ailleurs mieux que quiconque - la traduction des aides aux éleveurs dépend souvent de conditions qui conduisent à des inégalités, à certaines injustices et à des mécontentements.
Jusqu'à ce dernier train de mesures annoncées, on estimait que les compensations représentaient globalement le quart des pertes. C'est dire si la situation était grave et si elle va demeurer préoccupante.
Puisque nous sommes dans un débat d'orientation, il est permis de se demander si, du côté de l'Union européenne et à divers échelons français, on ne tente pas d'utiliser cette crise pour obtenir, comme le prévoyait la réforme de la PAC, une réduction sensible de notre troupeau allaitant. Une telle solution laisserait finalement plus de place aux importations en provenance des Etats-Unis et des pays d'Europe centrale.
J'ai appris ces jours derniers que, alors que l'Union européenne va subventionner l'abattage des veaux de moins de vingt jours, il n'est nullement envisagé de faire jouer la clause de sauvegarde au sujet du contingent d'importation de jeunes bovins en provenance des pays d'Europe centrale, fixé à 500 000 têtes en 1996. Monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre sentiment sur ce sujet qui concerne l'avenir de notre élevage.
A notre avis, les moyens de sauver le secteur de l'élevage et les emplois s'y rattachant existent.
Il est notamment urgent de compenser les pertes subies par les éleveurs. On a dit, monsieur le ministre, que vous aviez fait le forcing à Bruxelles. Nous enregistrons les résultats obtenus. Nous savons que le budget européen est porteur d'excédents qu'il faut s'attacher à employer opportunément en situation de crise.
En outre, il n'est pas interdit de penser, compte tenu de la situation, qu'un fonds d'intervention en faveur de l'élevage pourrait être créé dans notre pays. Il serait constitué grâce aux contributions de secteurs qui, telles les grandes firmes du négoce de l'alimentation animale dans le secteur agroalimentaire, ne s'en sont pas mal sortis ces derniers temps.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Félix Leyzour. De son côté, le Crédit agricole pourrait aussi y contribuer : à situation exceptionnelle, dispositions exceptionnelles !
Et puisque les problèmes posés par l'équarrissage sont liés à cet ensemble de questions, nous avons là une piste à explorer pour le financement de cette opération.
M. Ivan Renar. Intéressant, cela !
M. Félix Leyzour. Il est déjà acquis - vous l'avez dit ce matin, monsieur le ministre - qu'il s'agira d'un service public relevant de la compétence de l'Etat. Il reste à décider maintenant des modalités de financement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Par les communes !
M. Félix Leyzour. Cela étant, pour rétablir la confiance des consommateurs et garantir à ces derniers des produits de qualité, que l'on commence par appliquer à tous les pays de l'Union européenne les normes sanitaires française qui sont - il faut le reconnaître et le dire - les plus sérieuses et les mieux contrôlées !
MM. Christian Poncelet, Alain Vasselle et Georges Gruillot. Très bien !
M. Roland du Luart. Vous avez raison !
M. Félix Leyzour. Il serait tout de même paradoxal que, au niveau européen, on soit capable de mettre en place des réglementations tatillonnes fixant la longueur du poisson à pêcher ici et là ou les normes à respecter par le plus petit restaurant, alors que l'on n'a pourtant pas tellement à craindre la rupture de la chaîne du froid, et que l'on soit incapable d'interdire le trafic des farines animales mettant en cause la santé humaine !
C'est une grande question à laquelle nous devons réfléchir.
Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Georges Gruillot et Roland du Luart. Très bien !
M. Alain Vasselle. Nous sommes d'accord avec vous !
M. Félix Leyzour. S'agissant de l'élevage, qui est aujourd'hui au centre de nos préoccupations, il faut mettre en place une politique permettant aux éleveurs de vivre de leur métier, dans le respect de l'environnement et des exigences de qualité pour les consommateurs. Ce ne sera possible qu'avec une juste rémunération de leur travail. Quel que soit l'angle sous lequel on aborde les problèmes, on en vient toujours à cette question centrale du revenu des agriculteurs.
Monsieur le ministre, vous avez aussi évoqué ce matin le deuxième grand secteur, qui est celui des fruits et légumes et qui, d'habitude, est traité par Louis Minetti. Mon excellent ami et collègue est retenu dans son département en raison du voyage dans le sud de la France de la plus haute personnalité de l'Etat. Il reviendra donc sur cette question lors de la discussion du projet de budget.
Je dirai néanmoins que, dans tous les bassins de production, les agriculteurs sont confrontés à la même situation : une pression insoutenable sur les prix due aux importations abusives. On retrouve ici une constante des problèmes que nous rencontrons pour les productions agricoles, comme nous l'avons vu hier pour les produits des pêches marines.
Il faudra bien que cette évolution de l'Europe vers un ultralibéralisme toujours plus accentué soit remise en cause par la construction d'une nouvelle politique européenne. La France peut jouer un rôle essentiel dans ce sens.
S'agissant du débat d'aujourd'hui, une vision à moyen et à long terme de l'agriculture est indispensable ; mais celle-ci est inséparable de décisions immédiates qui relèvent chaque année du budget. C'est aussi à cela que se traduit la volonté d'un gouvernement en matière de politique agricole comme dans les autres domaines. Or, un budget étriqué, même bien présenté, n'a jamais fait une grande politique agricole ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Soucaret.
M. Raymond Soucaret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité douloureuse de ces derniers mois, avec l'affaire de la vache folle, avec la crise à la fois structurelle et conjoncturelle qui a secoué la filière fruits et légumes cet été, a considérablement assombri le ciel de nos campagnes et le moral de nos agriculteurs.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous féliciter chaleureusement pour le combat talentueux et victorieux que vous avez mené à Bruxelles.
Nous savons les difficultés que vous avez rencontrées, nous saluons votre détermination, votre efficacité et votre ténacité, qui ont permis d'obtenir de nos partenaires des mesures adéquates d'intervention sur les marchés et le soutien des revenus. Grâce à vous, ce sont des millions de francs que les éleveurs vont pouvoir se partager.
Mais, au-delà des mesures conjoncturelles, n'oublions pas que cette crise pose la question plus globale de l'avenir de l'élevage bovin.
Un débat sur le seul budget de l'agriculture pour 1997 aurait paru modeste et décevant au regard de ces inquiétudes et des questions fondamentales que posent, pour l'agriculture française, l'élargissement européen, la négociation commerciale internationale, la nécessaire maîtrise des dépenses publiques, les crises sectorielles, les exigences nouvelles du consommateur, les dangers pour l'écosystème des pollutions diverses.
Je me félicite donc que notre assemblée ait pris l'initiative de ce débat avant la fin de cette année, débat qui se poursuivra avec la loi d'orientation annoncée pour le printemps 1997, comme vous l'avez encore confirmé ce matin, monsieur le ministre.
Il s'agit là de préciser nos enjeux, nos choix, nos stratégies.
Quelle force et quelle place pour notre agriculture dans le monde, quel rôle et quelle identité pour nos agriculteurs dans la société, quel lien entre la production et l'espace, quel système d'aides, comment résoudre les disparités dans les soutiens selon les régions et les productions, comment concilier les logiques propres au monde rural et les contraintes extérieures qui s'exercent sur lui ? Autant de questions, non exhaustives, qui appellent l'audace d'un vrai projet d'avenir qui définisse ce que l'on attend de l'agriculture, reconnaisse ses multiples fonctions et oriente son développement durable.
Avant de proposer quelques priorités, permettez-moi de faire un rapide diagnostic de la situation de l'agriculture française.
L'agriculture française tient une place singulière en Europe. Avec 12,7 % des exploitations européennes, la France demeure le premier producteur de l'Union à quinze, atteignant 21,3 % de la production totale.
Malgré cette place et celle qu'elle occupe sur le plan mondial - elle est la deuxième puissance exportatrice agricole - l'avenir de nos campagnes est aujourd'hui menacé.
La population active agricole est passée de 2 749 000 personnes, en 1970, à 1 148 000 en 1993.
Les jachères, qui occupaient 200 000 hectares dans les années quatre-vingt, couvraient 1 900 000 hectares en 1994.
En 1995, on dénombrait 734 800 exploitations, soit deux fois moins qu'en 1970, et, sur ce total, on a recensé, pour la même année, 289 000 exploitations dirigées par un actif ayant plus de cinquante-cinq ans.
De 1990 à 1993, on a enregistré la fermeture de 120 000 exploitations.
Cette évolution, certes largement due au vieillissement de la population agricole mais aussi à quatorze ans de gestion aléatoire, révèle un processus de marginalisation économique.
L'analyse des revenus fait apparaître qu'un tiers des exploitants agricoles, n'ayant d'autres ressources que celles de l'agriculture, ont un niveau de revenus que l'on peut qualifier de « subsistance ».
Là encore, quelques chiffres illustrent cette douloureuse réalité.
En 1981, 23 000 agriculteurs ont demandé à bénéficier des aides au rendement, alors que les organisations professionnelles agricoles et les administrations estimaient le nombre total d'agriculteurs en difficulté à 42 000.
Le Crédit agricole estimait, en 1988, le nombre d'exploitations fragiles à 54 600, contre 68 400 en 1989.
En 1988, les caisses de mutualité dénombraient 12 500 exploitants sans couverture sociale, avec plus d'un an de retard d'exploitation, et 48 000 en retard de paiement.
Des extrapolations à partir du réseau d'information comptable agricole font apparaître une augmentation constante, de 1984 à 1988, des exploitations à risque ; celles-ci passant de 44 000 à 82 000 dans la période considérée.
Voilà pour le diagnostic !
Je suis convaincu, monsieur le ministre, qu'il nous faut retrouver la politique agricole qui fut celle de la France sous la IIIe République et que reflétait le ministère de l'agriculture conçu par Gambetta.
Ce ministère - faut-il le rappeler ? - englobait la production, les échanges, l'éducation, la santé, l'aménagement.
Toutes les grandes questions contemporaines impliquent l'agriculture : la gestion de la mobilité et de la communication, la sauvegarde de la nature et de l'environnement, l'emploi et la santé, les loisirs, l'éducation, la formation et les nouveaux métiers, ainsi que vous l'avez souligné ce matin, monsieur le ministre.
Ce que Gambetta appelait « le ministère de l'intérieur des paysans » doit faire place aujourd'hui à un ministère où la politique agricole proprement dite soit non pas uniquement un dispositif technique mais un grand dessein.
L'agriculture n'est ni une pièce de musée à conserver sous verre pour satisfaire notre sens esthétique, ni l'enfant attardé de la modernité, mais un réservoir de valeurs dont nos sociétés incertaines devraient s'inspirer pour trouver plus de force dans la résolution de leurs problèmes.
Le problème agricole est un problème de société, voire de civilisation. C'est en affrontant le présent et en imaginant l'avenir que le monde agricole assumera son passé. Il faut instaurer un nouveau contrat entre la nation et ses agriculteurs ; l'identité paysanne, comme l'identité rurale, ne sont pas de vains mots.
La politique agricole doit donc s'insérer dans un vaste projet s'articulant autour de la gestion des espaces, de la régulation des productions, de la définition d'une politique alimentaire et de la construction d'un nouveau type de lien social.
Elle engage les politiques régionale, nationale et européenne à la fois sur le plan des structures, de l'aménagement du territoire, de la protection sociale et de la formation, de la santé et de l'hygiène, de l'environnement, de l'industrie et du commerce.
Les trois mots clés sur lesquels notre projet doit se fonder sont « qualité », « territoire » et « métier ». Un ministre du général de Gaulle, Edgard Pisani, l'avait bien compris, lui qui parlait de l'homme, du produit et de l'espace.
J'évoquerai d'abord la question de la qualité. Celle-ci est le pivot du changement économique et culturel à mettre en oeuvre. Elle se décline sur plusieurs registres : qualité gustative du produit, qualité nutritionnelle ou nutritive, qualité sanitaire, qualité de la présentation.
Ne mésestimons pas l'émotion de l'opinion publique, aussi bien dans l'affaire du veau aux hormones que dans celle de l'épidémie de la maladie dite de la vache folle !
Apaiser cette émotion implique une amélioration du produit, mais également une amélioration du processus de sa transformation et de sa distribution.
Je me réjouis que cette politique de l'hygiène et de la qualité ait fait l'objet d'une priorité réaffirmée dans le projet de budget pour 1997. Mais il reste beaucoup à faire pour impliquer la profession agricole, pour rassurer nos concitoyens et pour les convaincre que cette exigence n'est pas incompatible avec le progrès et la technologie.
A ces enjeux, s'ajoutent ceux concernant la qualité du support de production, c'est-à-dire la terre, ce qui me conduit à parler du territoire.
Outre son rôle économique, l'agriculture contribue à l'aménagement du territoire, à la structuration des paysages et à la préservation de l'environnement.
On doit chercher, à cet égard, le meilleur équilibre possible entre la production et l'occupation de l'espace. Cela suppose que les agriculteurs soient motivés et qu'ils partagent le souci commun de mieux gérer cet espace. Or, qu'il s'agisse du fonds de gestion de l'espace rural, de la mise aux normes des bâtiments d'élevage ou des mesures dites « agri-environnementales », les dotations prévues ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.
J'appelle de mes voeux la mise en oeuvre de la politique souhaitée par Charles Pasqua et relayée par Jean François-Poncet : la revitalisation de nos communes rurales et le développement du tourisme vert, branche du tourisme qui a connu le plus fort succès depuis une dizaine d'années.
En ce qui concerne le métier, enfin, il s'agit non de réinventer le paysan ou l'agriculteur, mais de réaffirmer le caractère fondamental et essentiel de l'activité agricole.
Cette reconnaissance passe par le renouvellement de la solidarité nationale, la redéfinition du statut socioprofessionnel de l'agriculteur et le soutien à l'installation des jeunes - vous l'avez dit ce matin, monsieur le ministre.
S'agissant de ce dernier point, enjeu majeur au vu de la démographie agricole et de l'évolution du nombre des exploitations, le Gouvernement a affiché sa priorité, dans le projet de budget pour 1997, conformément à la charte nationale pour l'installation des jeunes, signée le 6 novembre 1995. J'en suis heureux et je souhaite que ces efforts budgétaires soient poursuivis dans les années à venir. Par ailleurs, l'atténuation du coût de la transmission des exploitations, notamment par le biais fiscal, reste un dossier ouvert.
J'ai également noté votre décision de ne pas modifier le régime de préretraite jusqu'à son terme du 15 octobre 1997 prévu par la loi de modernisation de 1995.
Vous me permettrez néanmoins d'insister, en souhaitant que soient très rapidement dégagés les moyens budgétaires d'une augmentation des taux des préretraites comme des retraites, leurs niveaux étant très insuffisants, pour ne pas dire indécents.
Les anciens ont droit à la reconnaissance de la nation ; ils ont contribué, depuis quarante ans et plus, à faire de la France la deuxième puissance exportatrice mondiale sur le plan agricole et agro-alimentaire. Cette solidarité doit s'exprimer à travers les retraites.
Je compte sur vous, monsieur le ministre, ainsi que tous les élus nationaux et locaux de la France rurale, pour améliorer la vie quotidienne de nos anciens.
J'ajouterai un mot sur l'idée, en vogue aujourd'hui, d'une réduction du temps de travail. Cette mesure, je ne crains pas de l'affirmer, serait une calamité supplémentaire pour l'agriculture, car l'ensemble de nos concitoyens connaîtraient alors une substantielle baisse de leur pouvoir d'achat.
Telles sont les quelques pistes de réflexion que je souhaitais vous soumettre. Les défis que doit relever le monde rural sont majeurs non seulement pour lui-même, mais aussi pour l'ensemble de la société. L'agriculture française a vocation à assumer le changement et la métamorphose qui affectent aujourd'hui l'ensemble des activités économiques.
Monsieur le ministre, le temps qui m'est accordé au cours de ce débat ne me permet pas de commenter point par point vos propos de ce matin. Je m'efforcerai de le faire lors de la discussion du budget de l'agriculture, le 5 décembre prochain.
Permettez-moi, toutefois, en quelques mots, de vous remercier au sujet de quelques points que vous avez évoqués et qui ont une relation avec les propos que je viens de tenir.
Je vous félicite d'avoir eu le souci d'une répartition équitable des aides apportées aux éleveurs.
Je vous remercie pour vos idées d'amélioration des retraites ou préretraites des agriculteurs.
Je me félicite de votre intention d'être vigilant sur l'enseignement agricole et je souscris à vos projets d'installation des jeunes, de soutien à la forêt et au souci d'un meilleur traitement des animaux de compagnie.
Enfin, je vous remercie vivement pour le grand, le très grand projet de loi d'orientation agricole que, si vous me le permettez, j'appellerai : « loi d'adaptation de l'agriculture et du milieu rural au monde d'aujourd'hui et de demain. »
Pour tout cela, je vous dis merci, monsieur le ministre.
Une fois de plus, j'ai la conviction que la société paysanne donnera l'exemple, parce que, comme le disait Montesquieu, « les paysans ne sont pas assez savants pour raisonner de travers ». (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. du Luart. M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les contraintes de l'actualité aussi bien que mon mandat de président du groupe sénatorial de l'élevage me conduisent, bien évidemment, à centrer mon intervention sur la crise dite de la vache folle.
Il me paraît nécessaire, tout d'abord, d'essayer de résumer les connaissances scientifiques dont nous disposons sur cette maladie animale. L'encéphalopathie spongiforme bovine ou ESB constitue une maladie dégénérative du système nerveux central, à l'instar de la tremblante du mouton, connue dès le xviiie siècle. Trois maladies humaines présentent une pathologie comparable, parmi lesquelles la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
L'ESB est associée à la présence d'un agent de transmission non conventionnel, le prion, qui n'est ni une simple protéine, ni un virus. Les études effectuées par des chercheurs anglais ont mis en évidence une certaine parenté génétique entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, cette proximité permettant d'émettre l'hypothèse d'une grande probabilité de franchissement de la barrière des espèces.
Les animaux atteints, dont l'âge est compris entre trois et six ans, présentent de graves troubles du comportement, des troubles locomoteurs et une dégradation de leur état général, ce qui aboutit en quelques semaines ou en quelques mois à une mort inéluctable. La maladie fut observée pour la première fois en 1985, dans le Kent ; 163 000 cas ont été recensés à ce jour au Royaume-Uni, dans 33 000 exploitations, contre seulement vingt-quatre cas en France, heureusement.
Les recherches effectuées par la communauté scientifique imputent avec un grand degré de fiabilité les farines de viandes et d'os consommées par les bovins au cours de la décennie quatre-vingt. En effet, pendant cette période les équarisseurs anglais avaient cessé l'utilisation d'un solvant et abaissé les températures de cuisson des viandes destinées à être transformées en farines. Bien qu'apparue en 1985, le premier cas officiel d'ESB a été enregistré au cours de l'été 1986. Les farines en cause contenaient des sous-produits ovins et bovins. Il semble donc évident que l'allégement des contraintes physiques imposées pour la préparation des farines animales est à l'origine de l'épizootie. Ce constat est confirmé par la diminution rapide de l'ESB à partir de 1994, lorsque le Royaume-Uni a interdit l'utilisation de ces farines.
Je rappelle que, dans notre pays, lorsqu'un animal est reconnu atteint de l'ESB, le troupeau entier est euthanasié et incinéré.
Jusqu'en 1996, ni la communauté scientifique, ni les autorités sanitaires nationales, ni les instances communautaires ne se sont réellement préoccupées de l'ESB. C'est le ministre britannique de la santé publique, M. Stephen Dorrell, qui, dans une déclaration du 19 mars 1996, a ému la communauté internationale en émettant l'hypothèse d'une transmissibilité de l'ESB à l'être humain sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, cette transmissibilité étant imputable à l'alimentation animale. Cette déclaration se fondait sur l'identification de dix cas atypiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob affectant des personnes jeunes.
Dès lors, le doute s'est insinué aussi bien parmi les autorités publiques que chez les consommateurs et les éleveurs.
Le professeur Dominique Dormont, chef du service de neurovirologie du service de santé des armées et du Commissariat à l'énergie atomique, a remis au début de l'été le rapport de la mission qui lui avait été confiée par le Gouvernement. Il conclut, notamment, que, si l'immense majorité des cas d'ESB est due à la contamination par l'alimentation, les résultats actuels ne permettent pas de conclure à l'absence totale de transmission périnatale.
Il y a lieu de souligner que, pour la quasi-totalité des élevages de bovins-viande traditionnels, les farines animales n'ont jamais été utilisées et que cette pratique s'est limitée à quelques exploitations laitières intensives. Cette évidence doit être constamment réaffirmée par les pouvoirs publics et par les élus aux consommateurs afin de pallier une certaine désinformation conduite par les médias, qui, à la recherche du sensationnel, voire du morbide, ont affolé les consommateurs.
De nouvelles études britanniques du professeur John Collinge, publiées en octobre 1996 dans la revue Nature, renforcent la crédibilité des hypothèses quant à la transmission de l'ESB à l'homme sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Si la transmission de la maladie par ingestion de farines de viande d'animaux contaminés ne semble plus faire de doute, aucune infectuosité n'a pu être mise en évidence, fort heureusement, dans le lait. Le comité Dormont ne préconise pas l'interdiction pure et simple des farines de viandes et d'os dans l'alimentation d'autres espèces que les ruminants. Il est en effet observé que les porcs n'ont jamais pu être contaminés par voie orale, pas plus que les volailles, qui semblent insensibles à des tentatives d'infection expérimentale.
Il y a lieu de rappeler qu'en France les farines animales ont été interdites aux ovins et aux caprins en 1994.
Il importe à présent de rappeler les mesures sanitaires engagées.
En 1986, le Royaume-Uni reconnaît officiellement l'épizootie d'ESB.
En 1988, l'ESB devient une maladie à déclaration obligatoire, au lendemain de sa notification officielle à l'Organisation internationale des épizooties.
Le 22 mars 1996, dès l'annonce par le ministre de la santé britannique de l'éventuelle transmission à l'homme de l'ESB sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, la France interdit l'importation de bovins britanniques. Elle est suivie dans cet embargo par l'Union européenne.
Le 28 mars, monsieur le ministre, vous prescrivez la consignation de 76 000 veaux d'origine britannique en cours d'élevage sur notre territoire. Ces veaux ont ensuite été abattus et incinérés.
Le 4 avril, le conseil agricole de l'Union européenne confirme l'embargo et impose au Royaume-Uni le retrait des bovins de plus de trente mois des chaînes alimentaires humaines et animales. Cette mesure implique l'incinération de 2,5 millions d'animaux sur trois ans. Elle est confirmée au sommet européen de Florence, le 21 juin, sommet au cours duquel les Quinze mettent au point un plan d'éradication dont la réalisation par la Grande-Bretagne conditionnera un assouplissement de l'embargo par étape.
Ce plan prévoit l'abattage sélectif des bovins britanniques nés entre 1989 et 1993, et susceptibles d'avoir ingérés des farines animales, soit environ 150 000 animaux.
On doit déplorer que le Premier ministre britannique ait récemment remis en cause les mesures de retrait des bovins de plus de trente mois, alléguant que leur consommation ne faisait courir aucun risque à la population.
Plusieurs autres pays, l'Allemagne, notamment, ont suivi une politique analogue à celle de la France, politique tendant à instituer un embargo sur les animaux et les viandes britanniques.
En ce qui concerne les farines animales, leur utilisation avait été interdite dès le mois de juillet 1988 au Royaume-Uni ; leur importation avait été proscrite en France en août 1989. Le 24 juillet 1990, la France interdisait l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation des bovins. En avril 1996, l'Union européenne imposait de nouvelles conditions technologiques de fabrication des farines animales permettant d'inactiver les agents de l'ESB et de la tremblante du mouton, à savoir une cuisson à 133 °C pendant vingt minutes sous une pression de trois bars.
La France a complété ces dispositions le 29 juin, en interdisant l'incorporation dans les farines animales des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et du système nerveux central des ruminants. Pour ce qui concerne la gélatine, l'embargo demeure en vigueur.
Bien entendu, les éleveurs spécialisés ont été directement touchés par les conséquences de l'épizootie d'ESB. Depuis dix ans, on déplore, certes, une diminution lente mais régulière de la consommation de viande bovine. Toutefois, l'année 1995 se caractérise par un retournement de tendance, puisque les achats de viande de boeuf par les ménages ont augmenté de 2,1 %, puis à nouveau de 2 % au premier trimestre de 1996.
Au cours de la première vague de la crise, en avril et en mai 1996, les achats des ménages ont diminué respectivement de 16 % et de 17 %, puis ils se sont stabilisés en juin à moins 15 %. Les achats d'abats ont fortement diminué dès le début de la crise, chutant de 35 % par rapport à la même période de l'année 1995.
Lors de la seconde vague de la crise provoquée par l'annonce, d'une part, de la transmissibilité de l'ESB aux macaques, d'autre part, de la circulation en France de farines anglaises, la consommation s'est à nouveau dégradée, accusant une baisse de 25 % pour les achats de viande bovine au mois de juillet et de 45 % pour les achats d'abats.
La mise en place du logo « viande bovine française » a contribué, je le crois, à rassurer les consommateurs, en particulier vis-à-vis de la boucherie traditionnelle. Ainsi, une forte demande de produits bénéficiant d'un label s'est exprimée tant auprès des bouchers que dans les grandes surfaces, cependant que les consommateurs reportaient leurs achats de viande rouge sur d'autres produits, à savoir les poulets sous label - plus 25 % - la viande de cheval - plus 30 % - et les pintades - plus 33 %.
M. Alain Vasselle. Et le poisson !
M. Roland du Luart. Effectivement, sans compter le poisson. Les cours des viandes à la production ont été évidemment fortement affectés par cette diminution du volume des achats, la diminution des prix à la présentation étant de l'ordre de 20 % à 30 %.
Le recours à l'intervention a porté sur 300 000 tonnes. Les règles afférentes au poids et à la qualité des carcasses ont été assouplies, à titre temporaire, pour permettre aux broutards de faire l'objet d'achats publics.
Face à la crise, les pouvoirs publics français ont réagi extrêmement rapidement. Dès le lendemain de la déclaration du ministre de la santé britannique, vous avez prescrit, monsieur le ministre, la fermeture des frontières et la mise en place d'un important dispositif pour identifier les viandes d'origine française. C'est le 25 mars que vous avez annoncé la mise en place du dispositif d'identification de l'origine des bovins que je citais précédemment et qui est géré par l'interprofession Interbev. Le centre d'information des viandes a mené une politique de sensibilisation du public afin, si l'on peut dire, de « dédiaboliser » la viande bovine.
Des mesures ont été engagées dès le mois de juin pour soutenir le revenu des éleveurs, au sommet européen de Florence, les 20 et 21 juin. Les Quinze ont débloqué 850 millions d'écus, 581 millions d'écus étant destinés, d'une part, à relever de 27 écus le montant des primes à la vache allaitante et, d'autre part, à augmenter la prime au bovin mâle de 23 écus.
La France a consacré 66,5 millions d'écus à des aides nationales en faveur des éleveurs les plus sinistrés. Au total, la France ayant obtenu 1,44 milliard de francs de l'Union européenne et utilisé la possibilité d'abonder cette dotation par des crédits nationaux, ce sont en définitive 2,9 milliards de francs qui ont été consacrés au soutien du revenu des éleveurs.
A la fin du mois de juin, monsieur le ministre, vous avez adopté un dispositif tendant à ce que la prime au bovin mâle de 1 000 francs par tête et la prime au maintien du troupeau allaitant de 1 575 francs soient versées dès le 1er août. Le 15 septembre, 600 millions de francs ont été répartis entre les départements au profit des éleveurs les plus en difficulté. Je n'ignore pas, monsieur le ministre, qu'une certaine controverse est née sur l'origine de la moitié de cette dotation de 600 millions de francs, controverse alimentée, en particulier, par l'éventualité de la mobilisation de crédits provenant des secteurs de la production végétale.
Par ailleurs, les producteurs spécialisés bénéficient d'un report de 50 % des cotisations sociales dues pour 1996, et ce jusqu'en 1999. Cela représente, selon vos services, un allégement de 7 500 francs par exploitation, en moyenne. De plus, les éleveurs spécialisés bénéficient d'une prise en charge des intérêts correspondant aux annuités d'emprunt sur la période allant de juin 1996 à juin 1997, l'échéance correspondante étant estimée, globalement, à 2,5 milliards de francs.
Grâce à votre ténacité, monsieur le ministre, et malgré la position réservée de certains de nos partenaires, vous avez obtenu, le 30 octobre dernier, à Luxembourg, la mise en oeuvre d'une mesure additionnelle de soutien aux éleveurs de viande bovine, gravement affectés par la crise. Cette mesure porte sur un montant global de 500 millions d'écus pour l'ensemble de l'Union européenne, dont 23,8 %, soit 770 millions de francs, pour l'élevage français. Cette somme, vous l'avez annoncé ce matin, a été portée à un milliard de francs par le conseil des ministres. Bravo ! monsieur le ministre, pour votre efficacité. Bravo ! pour le service rendu aux éleveurs, aujourd'hui si durement touchés.
En outre, l'Union européenne s'est assigné pour objectif de diminuer d'un million de têtes le cheptel de veaux, afin de contribuer à réguler le marché.
La prime spéciale aux bovins mâles a été augmentée de 24 % pour les animaux ayant atteint dix mois, le versement de la seconde tranche de cette prime pour les taureaux de plus de vingt et un mois étant supprimé afin d'inciter à la production d'animaux plus légers.
La prime à l'encouragement des élevages extensifs a été, sur votre initiative, monsieur le ministre, portée à 345 francs, soit une augmentation de 44 %, cette mesure correspondant à la demande des consommateurs concernant les conditions d'élevage des animaux et la qualité de leur viande.
S'agissant de la gestion des marchés, l'intervention communautaire sur les broutards a été mise en oeuvre dès le 16 septembre, cependant que le retrait des petits veaux a commencé le 11 octobre. A ce jour, plus de 8 000 de ces animaux ont été retirés du marché.
Les entreprises de la filière ont bénéficié de prêts et d'aides spécifiques permettant de pallier les conséquences sur leur trésorerie de la diminution de leurs activités industrielles ou commerciales. Toutefois, certaines de ces entreprises, qu'il s'agisse d'abattoirs ou d'ateliers de transformation, voient leur existence mise en péril par la crise, et l'on peut estimer de 10 000 à 15 000 le nombre des emplois perdus ou menacés.
Cette crise a eu des retentissements sur l'ensemble des agents de la filière, en particulier sur l'industrie de l'équarrissage. La non-valorisation des cadavres et des saisies pourrait représenter un coût de 350 millions à 400 millions de francs par an pour les entreprises d'équarrissage. Les pouvoirs publics ont, dans un premier temps, annoncé qu'ils prenaient à leur charge 50 % de la collecte et de la transformation des cadavres enlevés dans les exploitations. Les compléments financiers ont été apportés à l'échelon des départements. Mais des disparités sont constatées entre les départements, ce qui est malsain. Cette situation rend indispensable une réforme de la loi de 1975 sur l'équarrissage, mais vous vous y êtes engagé ce matin.
Face à la crise liée à l'inquiétude des consommateurs après l'annonce de la poursuite, après 1989, d'importations de farines de viandes britanniques, les administrations concernées - les douanes et la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes - ont effectué de très nombreux contrôles qui ont permis de conclure à un très faible niveau d'infractions.
La crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine a constitué, en l'aggravant, le révélateur d'une crise structurelle de l'élevage bovin. Il est, hélas ! vraisemblable que la consommation des viandes bovines ne retrouvera pas son niveau d'avant la crise. Certains consommateurs ont modifié durablement leurs habitudes alimentaires. Leur exigence de qualité requiert des disciplines renforcées dans les techniques d'élevage, notamment l'abandon définitif de l'utilisation des farines de viande et d'os au profit de farines végétales fabriquées, notamment, avec des oléo-protéagineux. La profession doit intensifier l'action de sensibilisation sur les vertus hygiéniques et gustatives de la viande, en particulier de la viande bovine. Telle est du reste la mission du centre d'information des viandes, que préside M. Marcel Bruel.
Les consommateurs exigent de pouvoir identifier la viande qu'ils achètent. A cet égard, nos compatriotes établissent fréquemment la comparaison avec des vins ou des fromages, qui bénéficient d'une indication géographique de provenance. Il est donc indispensable, monsieur le ministre, de promouvoir la traçabilité des viandes.
L'extensification, qui est déjà largement pratiquée dans les zones de production traditionnelle du troupeau allaitant, peut présenter le double avantage de renforcer les critères de qualité des viandes et de diminuer le cheptel bovin.
L'extensification doit cependant être également appréciée au regard de son objectif - favoriser l'installation du plus grand nombre de jeunes exploitants - ainsi que de ses répercussions sur les conditions d'occupation et d'aménagement du territoire. L'extensification ne doit pas conduire à accroître le dépeuplement des zones d'élevage spécialisé.
La situation structurellement excédentaire de l'Union européenne en viande bovine impose une réforme de l'organisation commune du marché. En effet, le recours massif à l'intervention, le retrait des veaux de huit jours ne sont que des palliatifs face à l'ampleur de la crise. Il est de surcroît illusoire de penser que l'on puisse exporter de la viande bovine sans le versement de restitutions.
La crise de la vache folle a du reste diminué dans des proportions importantes les débouchés à l'exportation.
On peut, en outre, redouter la concurrence de pays où le cheptel n'est pas atteint par l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Argentine, par exemple.
S'agissant des Etats-Unis, il est essentiel que l'Union européenne refuse des exportations de viande provenant d'animaux ayant subi l'implantation d'anabolisants. Si de telles exportations parvenaient en Europe, il n'est pas douteux que l'on assisterait à une campagne de boycottage de la part des consommateurs, campagne qui plongerait la filière bovine dans une nouvelle crise.
M. Christian Poncelet. Très juste !
M. Roland du Luart. Il semble donc que l'Europe doive engager une réforme de l'organisation commune du marché, une réforme visant à diminuer le volume du troupeau européen. A cet effet, il pourrait être envisagé de diminuer les contingents nationaux de droits à prime, voire d'instituer un système de quotas, dans des conditions inspirées mutatis mutandis de la réforme laitière de 1984.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la filière bovine traverse la plus grave crise de son histoire. Des exploitations sont menacées de disparition en amont de la filière, des exploitants subissent des préjudices, d'autres sont victimes de faillites.
Je sais, monsieur le ministre, l'énergie que vous avez déployée depuis le début de la crise, tant au plan national qu'à l'échelon européen. Votre action, comme celle du Gouvernement, a été inspirée par le principe de précaution face à des risques potentiels pour la santé publique et par la volonté de préserver le revenu des éleveurs et la pérennité de leurs exploitations.
Vous avez d'ailleurs donné une priorité, dans votre budget, à la sécurité sanitaire et à l'hygiène alimentaire.
Vos efforts doivent être poursuivis, en liaison avec la profession, en particulier avec la Fédération nationale bovine que préside M. Joseph Daul.
Nous tous, élus, devons nous mobiliser. Je rappelle à ce propos qu'une mission d'information a été constituée à l'Assemblée nationale et qu'elle est présidée par Mme Evelyne Guilhem.
Par ailleurs, une commission d'enquête a été mise en place au Parlement européen pour identifier, plus spécifiquement, la responsabilité des instances communautaires.
Tout doit être mis en oeuvre pour sauver la filière bovine et redonner espoir aux éleveurs. C'est à cette mission que nous ont appelés les éleveurs de Charroux.
Monsieur le ministre, je vous renouvelle pleinement ma confiance et, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je vous exprime notre gratitude pour votre combativité et votre efficacité dans l'action que vous menez en faveur des éleveurs français. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le ministre, mon premier propos sera pour vous dire combien j'ai apprécié l'énergie que vous avez déployée et la manière dont vous avez géré la crise de la filière bovine, et pour vous féliciter de la célérité des réponses que vous avez apportées, qu'elles soient réglementaires ou financières. Soyez assuré de mon admiration pour ce succès obtenu, par vous-même et vos services.
Avant de vous faire brièvement part des réflexions que m'inspire la préparation de la future loi d'orientation, je voudrais centrer mon intervention sur l'un des secteurs les plus prometteurs de notre économie, l'industrie agroalimentaire, sans laquelle il ne peut y avoir de bonne formation du revenu agricole.
L'industrie agroalimentaire française est, à bien des égards, un géant ignoré. Première branche industrielle de la France, avec un chiffre d'affaires de 650 milliards de francs si l'on prend en compte la partie production et de 670 milliards de francs si l'on prend la partie consommation, elle peut être considérée comme l'un des pôles d'excellence de notre pays, puisqu'elle représente 44 milliards de francs de soldes excédentaires dans la balance des paiements, sur les 53 milliards de la balance agroalimentaire.
Au total, ce sont près de 540 000 emplois, dont 72 % situés en milieu rural, et une valeur ajoutée de la branche agroalimentaire plus importante que celle de l'agriculture de production qui font de ce secteur d'activité l'un des premiers à l'exportation à côté de l'aéronautique et de l'industrie automobile.
En outre, c'est une branche dont la croissance ne s'est pas démentie au cours des dernières années : 1,8 % par an. Elle n'a pas été touchée par la crise et par la réforme de la politique agricole commune à part dans deux secteurs : les huiles et le travail du grain. Cette branche a connu une croissance continue.
Toutefois, cette approche favorable n'est pas exempte de contrastes et de carences inquiétantes. La mondialisation des échanges et les désordres monétaires internationaux exacerbent la concurrence. Celle-ci s'aiguise, que ce soit entre pays industriels, ou entre ces derniers et les pays en développement.
De plus, l'innovation étant devenue une arme concurrentielle fondamentale, les entreprises sont contraintes à des adaptations constantes qui peuvent remettre en cause leurs compétences et leur organisation.
La taille insuffisante des entreprises, les lacunes de la seconde transformation, parfois les difficultés du secteur coopératif, nos pratiques culturelles de cloisonnement, notamment dans la gestion de l'information, fragilisent les entreprises agroalimentaires.
Au-delà de ces aspects, il convient de souligner l'absence d'image de ce secteur d'activité au regard de son rôle dans notre économie. Elle existe certes, mais elle est parcellaire, limitée à quelques grandes entreprises, sans effet dynamique réel sur l'ensemble du secteur et sur nos concitoyens.
Il est donc absolument nécessaire, monsieur le ministre, au moment où l'économie mondiale connaît de profondes mutations, de mettre en place une véritable stratégie de consolidation et de conquête pour notre industrie agroalimentaire, afin de la conserver, de la développer, afin de convaincre nos producteurs de l'importance du rôle qu'ils ont à jouer en amont de cette filière.
Pour ma part, je voudrais vous suggérer cinq pistes de réflexion, citer cinq défis essentiels à relever pour répondre aux enjeux qu'affronte cette industrie. Ils devront guider l'action politique de votre ministère, à la fois sur le plan budgétaire et dans le domaine international.
La première de ces pistes concerne bien entendu la sécurité alimentaire. Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit là de l'une de vos préoccupations - vous nous l'avez rappelé - notamment depuis la survenue de cette terrible crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Mais si celle-ci a constitué un révélateur, elle est aussi l'illustration d'un souci structurel : celui de la préservation de la santé publique, que rien, absolument rien, ne doit menacer.
Je souhaite donc que la portée du prochain projet de loi sur la sécurité alimentaire, que vous vous apprêtez à présenter devant le Parlement, dépasse celle des conflits entre administrations et permette de lever les doutes de nos concitoyens en la matière.
La deuxième piste que je veux évoquer devant vous tient à la capacité à exporter de nos entreprises et aux relations avec nos partenaires dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
L'avenir de notre industrie agroalimentaire passe bien entendu par le maintien de ses parts de marché en France et dans l'Union européenne, mais surtout par sa capacité à conquérir de nouveaux débouchés hors d'Europe.
Les entreprises doivent s'y préparer, et elles le font. Nous devons les accompagner par le biais d'une réglementation des échanges cohérente et sans faiblesse.
Ainsi, la restructuration en cours du CFCE, le Centre français du commerce extérieur et des organismes spécialisés à l'export ne doit pas provoquer des perturbations qui rendraient le remède pire que le mal. Je pense notamment à la direction des échanges agricoles du CFCE, qui doit être maintenue, voire renforcée.
En ce qui concerne les négociations multilatérales internationales, l'objectif est de ne pas baisser la garde. Les accords décidés dans le cadre du GATT doivent être respectés jusqu'à la date prévue, c'est-à-dire 1999. Nous ne devons pas céder aux sirènes de la renégociation avant terme qui conduirait inéluctablement à la remise en cause de notre système de restitution, lequel doit être maintenu. A Singapour, dans quelques semaines, il faudra montrer, monsieur le ministre, une fermeté sans faille.
La troisième piste concerne l'innovation et les investissements qui doivent être favorisés.
Les entreprises sont, certes, exportatrices, mais elles doivent être aussi innovantes, car c'est l'innovation qui est la clé de voûte de l'industrie agroalimentaire de demain. Le CIAT auquel vous avez participé la semaine dernière l'a bien montré.
A cet égard, la part de recherche-développement dans cette industrie, rapportée au chiffre d'affaires, n'est pas toujours à la hauteur des enjeux. La recherche publique accomplit un travail remarquable grâce notamment, à l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA ; il conviendrait cependant d'orienter encore davantage cette recherche vers la transformation des productions par l'industrie agroalimentaire.
Je dirai un mot sur l'importance des investissements et de la prime d'orientation agricole, la POA. Il convient de ne pas laisser s'amoindrir cette ligne dans votre budget, ni de la confier totalement aux régions. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la POA est la contrepartie nationale nécessaire pour mobiliser les concours du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, le FEGOA et de l'instrument financier d'orientation de la pêche, l'IFOP, dont le montant, sur cinq années, s'élève à 1 823 millions de francs pour 10 milliards de francs d'investissements éligibles.
La quatrième piste a trait aux relations avec la grande distribution.
Nous avons voté récemment une loi visant à modifier l'ordonnance de 1986 et à rééquilibrer les relations commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs.
Force est de constater que la mise en place de nouvelles pratiques tarde à s'effectuer. L'attentisme est de rigueur et les méthodes visant à détourner la loi sont à l'oeuvre. Nous devons être vigilants, et sans doute plus attentifs à l'application des dispositions législatives, tout en poursuivant les négociations avec les distributeurs, notamment pour ce qui relève de l'identification des produits et de la sécurité alimentaire.
Je terminerai ce rapide panorama par une cinquième piste, à savoir la nécessité absolue de renforcer la puissance de nos entreprises agroalimentaires nationales en favorisant l'émergence de groupes aptes à affronter la concurrence internationale.
Nous reviendrons plus en détail très prochainement sur le budget de l'agriculture, mais je tiens à vous remercier dès aujourd'hui d'avoir accepté les amendements de l'Assemblée nationale sur la prime d'orientation agricole, sur le fonds de gestion de l'espace rural et sur le régime des préretraites agricoles. Je tiens cependant à vous dire, monsieur le ministre, que, pour ce qui est de la mise aux normes des bâtiments d'élevage, il n'est pas possible d'arrêter les programmes en se fondant sur la seule impossibilité de trouver des moyens financiers dans les caisses de l'Etat.
Un mot encore pour évoquer le conflit qui, dans plusieurs départements de grande culture, dont le mien, la Somme, oppose les professionnels agricoles et les pouvoirs publics sur l'application de la circulaire européenne sur les nitrates. Il est indispensable d'aller vers une solution tenant compte de la position des agronomes, qui oeuvrent depuis plus de dix ans pour la sauvegarde d'un environnement qui est le leur et qu'ils ont su respecter. Il faut favoriser l'adoption de chartes départementales de l'environnement élaborées par tous les partenaires et les engageant tous.
Après ce que vous avez dit ce matin, monsieur le ministre, je souhaite revenir rapidement sur le projet de loi d'orientation agricole.
M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Deneux, mais vous avez dépassé votre temps de parole et vous utilisez celui des autres orateurs de votre groupe.
M. Marcel Deneux. Je termine, monsieur le président.
M. le Président de la République a souhaité mettre en oeuvre une loi d'orientation agricole. Monsieur le ministre, vous avez mis en place des groupes de travail qui ont déposé leurs conclusions ; toutes sont intéressantes et celles du groupe « Prospective » le sont particulièrement. Il vous reste maintenant à préparer un texte en vue de le soumettre au Parlement.
L'agriculture française est très diversifiée : les différents territoires, les différentes filières et les hommes qui contribuent à la production ne relèvent pas tous du même traitement.
Il vous faudra faire preuve de beaucoup d'imagination, parfois de courage, pour apporter les bonnes réponses dans le temps et dans l'espace. Il faut concilier la compétitivité internationale de certaines filières et la capacité d'autres productions à occuper le territoire tout en étant économiquement viables.
Il faut faire preuve d'imagination, juridique et fiscale, en matière de diversification de l'activité des agriculteurs. Il vous faudra proposer un juste équilibre entre un système favorisant l'agrandissement des exploitations existantes et un système plus favorable à l'installation des jeunes agriculteurs.
Il vous faudra imaginer un système favorisant les techniques herbagères tout en restant compétitif.
Ce ne sont là que quelques réflexions. Il y a bien sûr d'autres points à évoquer à l'occasion de ce texte.
Lorsque nous aurons ainsi esquissé le profil de l'agriculture française pour les décennies qui viennent, il vous appartiendra, avec les capacités de conviction et de négociation que nous vous connaissons, de faire prévaloir notre conception de l'agriculture dans l'Europe qui se construit.
La France est le premier pays agricole de l'Union européenne ; c'est à elle de donner l'orientation pour un modèle européen de l'agriculture.
Ne craignez pas d'être un innovateur, monsieur le ministre, soyez ambitieux. Vous trouverez, au Sénat, à vos côtés des hommes pleins de convictions si, en liaison avec les organisations agricoles, vous faites preuve de beaucoup d'audace et de détermination pour conduire notre agriculture sur les voies d'une prospérité retrouvée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. de Menou.
M. Jacques de Menou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année agricole qui vient de s'écouler a été dominée par de véritables séismes, depuis la crise de la vache folle jusqu'à la crise légumière. Je veux à ce titre, monsieur le ministre, rendre hommage au courage dont vous avez fait preuve dans la gestion de ces crises pour faire valoir les intérêts des agriculteurs français.
Particulièrement dans l'affaire de l'ESB, que ce soit sur le front européen ou mondial, vous avez défendu avec vigueur et dans une totale transparence le double objectif de la défense économique des agriculteurs et de la protection sanitaire du consommateur. Le Gouvernement a su imposer un embargo sur les bovins vivants, sur les viandes et les produits, tout en accompagnant financièrement et socialement les éleveurs par des aides sectorielles. La politique de qualité que vous avez lancée a le grand mérite de rassurer le consommateur, qui veut connaître désormais l'origine et le mode de fabrication des produits, tout en préservant notre compétitivité. Je vous approuve tout à fait dans cette démarche, qui, selon moi, doit être une source de progrès pour demain. Je considère que la traçabilité de nos produits est la meilleure garantie contre les importations incontrôlées.
Toutefois, je me permets d'exprimer mon inquiétude vis-à-vis de nos partenaires qui ne suivent pas forcément le même code de bonne conduite, et dont les produits à risque continuent de pénétrer notre marché.
Aux Etats-Unis, 5 000 décès par intoxication alimentaire sont recensés chaque année. Au même prorata, on devrait en enregistrer 1 000 environ en France ; il n'y en a que trois par an ! Ces statistiques me paraissent troublantes et révèlent que nos efforts ne sont pas partagés.
Alors, oui à une politique de qualité, qui représente au demeurant un coût financier important, mais à la condition de la faire respecter par nos partenaires commerciaux !
Le problème de l'équarrissage illustre bien cette inégalité. Vous interdisez l'utilisation des cadavres et des saisies d'abattoirs pour la fabrication des farines destinées à l'alimentation animale. Ces farines devront être désormais brûlées pour un coût évalué entre 500 et 600 millions de francs.
Je suis le premier à reconnaître le bien-fondé de cette mesure destinée à écarter toute farine suspecte de l'alimentation dans nos élevages. Toutefois, outre son coût très important, environ 15 centimes du kilo de viande, soit pratiquement la marge bénéficiaire de certaines filières - la filière avicole notamment - cette mesure ne peut être efficace qu'à l'échelle européenne ! Or nos partenaires européens s'orientent vers un dispositif de chauffage obligatoire de leurs farines, ce qui va leur coûter beaucoup moins cher, sans pour autant assurer au consommateur une protection absolue.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, peut-on faire cavalier seul ? Nos éleveurs se trouvent pénalisés par rapport à leurs homologues européens, sans pour autant être rassurés sur la qualité de l'alimentation de leurs animaux, car le marché des farines de viande reste très ouvert dans toute l'Europe. Je tiens à rappeler combien la taxe à l'abattage reste une pénalité très forte, même si elle est demandée par le consommateur, alors qu'une éventuelle taxe à la consommation porterait sur les viandes consommées et laisserait notre industrie compétitive.
Comment va-t-on supporter ce coût considérable de 600 millions de francs pour une protection illusoire de nos consommateurs ? Dans un tel contexte, les contraintes imposées aux grands groupes vont s'avérer peu opérantes dans le marché si ouvert qu'est le marché européen !
Vous l'avez rappelé à l'Assemblée nationale, le problème de l'équarrissage recevra une solution législative qui devra entrer en application dès le 1er janvier prochain. Je souhaite que le texte de loi tienne compte des observations que je viens d'évoquer et qui traduisent l'inquiétude des éleveurs et du secteur de la transformation de la viande, préoccupés de leur compétitivité sur le marché des pays européens et, bien sûr, des pays tiers.
Je demeure aussi préoccupé par la politique européenne de production de viande bovine, qui doit aboutir à un contrôle des quantités. J'en citerai un seul exemple : une décision très récente - elle est intervenue la semaine dernière - qui concerne la production des veaux de boucherie.
La Communauté économique européenne a maintenu sa décision sur les « veaux transformés » - huit jours - et octroie une prime de commercialisation précoce des veaux. Je m'en réjouis : cela me paraît aller dans le bon sens. Cette prime est malheureusement calculée sur la base de la réduction de 15 % du poids moyen des veaux de chaque Etat membre, ce qui avantage considérablement nos concurrents hollandais : ils abattent - paraît-il - des veaux beaucoup plus lourds que les nôtres, puisque leur poids moyen est de 30 kilos supérieur. Il faut absolument obtenir un poids moyen européen, sauf à créer une distorsion de concurrence assez considérable dans ce domaine spécifique.
Dans cette actualité agricole orageuse qui ne vous a pas ménagé, je tenais, monsieur le ministre, à vous féliciter des efforts consentis en faveur de l'installation, de l'enseignement restitué dans sa vocation pleinement agricole et rurale - vous l'avez rappelé ce matin - et des crédits d'intervention des offices. Ces mesures méritent d'être saluées, car nous savons tous ici que l'installation et la formation sont les clés du futur pour le monde rural.
Il est aussi important d'exercer notre solidarité à l'égard des retraités, ces acteurs économiques qui ont façonné le visage de notre agriculture moderne. A ce titre, je me réjouis de la revalorisation des pensions de retraite, notamment des plus modestes.
Cependant, j'attirerai votre attention sur les veuves d'agriculteurs, dont le niveau de ressources n'est pas encore décent. Certes, en 1997 entre en vigueur le dernier volet de la loi de modernisation, qui permet aux veufs et aux veuves de cumuler leur retraite avec la pension de réversion. La levée du cumul devrait être complète le 1er janvier 1997, mais cette mesure ne concerne que le sort des personnes veuves depuis 1995.
Or je pense à toutes celles qui, veuves depuis une date antérieure, restent exclues du bénéfice du cumul. La somme forfaitaire de 2 000 francs qui leur a été allouée pour l'année 1995 va progressivement augmenter pour plafonner à 6 000 francs au titre de l'année 1997. Cela les condamne à une existence précaire avec des revenus trop modestes, surtout lorsqu'elles ont encore des enfants à charge. Je parle en connaissance de cause pour avoir reçu à ma permanence nombre de ces femmes courageuses qui, aujourd'hui, s'interrogent sur cette injustice qui leur paraît anormale de la part de l'Etat français. Près de 400 000 personnes sont actuellement dans cette situation de revenus nettement insuffisants.
Je souhaite évoquer, enfin, le problème de l'environnement. La Bretagne est une zone particulièrement sensible du point de vue environnemental, très concernée par le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA. Elle doit, en outre, appliquer le plan de résorption des excédents en zones d'excédents structurels, les ZES, dans nos nombreux cantons : vingt dans le seul département du Finistère.
La dernière contrainte qui touche cette région est l'application de la directive « nitrates ». On le voit, nos agriculteurs doivent se plier à nombreuses contraintes.
Je voudrais à ce titre souligner le remarquable effort de sensibilisation et de responsabilisation des éleveurs à l'égard des enjeux de l'environnement. Cette prise de conscience se traduit sur le terrain par des investissements importants pour adapter les méthodes de production.
Je regrette de constater que les subventions du PMPOA inscrites dans le projet de budget pour 1997 ne correspondent pas aux besoins réels des agriculteurs. La dotation agri-environnementale prévue est de 210 millions de francs, alors qu'une enveloppe d'au moins 350 millions de francs serait nécessaire. Ce qui reste à la charge des éleveurs demeure considérable - je tiens à insister sur l'importance de leur effort personnel - puisqu'ils devront assumer 40 % du montant des travaux, soit 400 millions de francs pour la Bretagne et près de 150 millions de francs pour le Finistère sur les cinq années à venir
Vous aviez annoncé à la rentrée, monsieur le ministre, une « rallonge » budgétaire de 150 millions de francs au titre de 1996. Je n'en retrouve, hélas ! pas trace dans le projet de budget pour 1997.
Je le sais, vous avez vous-même reconnu à l'Assemblée nationale cette insuffisance et vous avez pris l'engagement de trouver « plus de moyens ». Je vous en remercie et j'espère que vous y parviendrez.
En attendant, je souhaite qu'une réflexion puisse s'engager sur les délais accordés aux éleveurs, et sans doute à l'Etat, pour régulariser leur situation financière. Les éleveurs ne ménagent pas leur peine pour s'adapter. En Bretagne, les éleveurs hors-sol se sont déjà mobilisés et des centres de traitement de lisier ont été mis en place. Le procédé SIRVEN d'évaporation du lisier a notamment fait l'objet d'investissements de grande ampleur. J'ai moi-même pris l'initiative d'un grand projet d'usine d'incinération de fientes de volailles destiné à produire de l'électricité. Il devrait bientôt voir le jour, du moins je l'espère. Il permettrait de traiter environ 300 000 tonnes de fientes par an, ce qui soulagerait bon nombre d'aviculteurs.
Des usines de ce type ont déjà fait la preuve de leur efficacité en Grande-Bretagne et des projets existent en Italie et en Allemagne. On le voit, les modes de traitement sont en cours de banalisation, mais il est impossible de régulariser dans l'immédiat les nombreuses exploitations concernées.
Il est clair que ce sont d'abord les gros élevages qui peuvent agir en premier. Mais je pense qu'il faut également encourager les efforts des exploitations de taille moyenne ou modeste.
A ce titre, je m'interroge sur la pertinence des critères actuels pour mesurer le seuil de pollution des exploitations. Le contrôle de la production de l'élevage fondé sur le nombre d'animaux par catégorie me paraît très inadapté. Aujourd'hui, en effet, l'alimentation des bêtes très différenciée peut produire des écarts de rejet azoté de 20 à 30 % !
Il me paraît beaucoup plus rationnel d'asseoir les contrôles sur le calcul du rejet d'azote. Mesurer la production d'azote de l'élevage en fonction, notamment, du mode d'alimentation permettrait de porter un regard plus juste et plus vrai sur le phénomène de la pollution agricole et inciterait les éleveurs à mieux contrôler l'alimentation de l'élevage. Ils doivent aussi conserver la possibilité d'adapter leurs élevages aux besoins du marché - rapport truies/porcelets - tout en restant dans les normes prescrites.
Il y a une réelle volonté chez les éleveurs de respecter l'environnement, monsieur le ministre, mais ils n'ont pas encore tous les moyens pour agir. L'application brutale des contraintes va se traduire par une baisse de la production et des effectifs, soit l'effet inverse de celui qui est attendu ! En Europe, un seuil de 210 unités d'azote à l'hectare a été retenu jusqu'en 1999 ; il sera réduit à 170 à partir de 2002. En France, la réglementation nous oblige, dès maintenant, à respecter ces 170 unités ! Pourquoi aller si vite, si ce n'est pour étrangler la production et décourager nos éleveurs ?
Des élevages qui rejettent moins de 170 unités d'azote à l'hectare vont se trouver devant les tribunaux pour cause de surnombre d'animaux, alors que les Néerlandais, monsieur le ministre, demandent actuellement une dérogation jusqu'en 2010 pour l'application de la directive « nitrates ».
Ces situations extrêmes ne devraient pas exister tant elles me paraissent injustes !
Je voudrais rappeler, monsieur le ministre, la place essentielle que tient l'industrie agroalimentaire en Bretagne avec 40 p. 100 des emplois industriels en Finistère. Pour la maintenir, il faut assurer une production animale importante et de qualité, et non contraindre les exploitants à la réduire. Notre région doit faire face à de graves difficultés économiques. Elle ne peut se permettre de perdre sur tous les tableaux. Nous devons continuer à travailler et à aider les jeunes.
Monsieur le ministre, face à la bonne volonté générale des éleveurs, ne pourrait-on envisager de prolonger un moratoire comme celui qui avait été prévu en 1994 ? Ce délai pourrait être mis à profit par les agriculteurs pour arrêter des solutions économiques à la fois efficaces et durables, sans pour autant que ces derniers soient obligés de réduire brutalement leur production.
J'insiste à cet égard sur l'appui apporté par les collectivités locales dans ce domaine, notamment pour le traitement du lisier, traitement industriel car il ne saurait être question de perdre notre potentiel de production. La performance de notre agriculture sous-tend en effet nombre d'emplois industriels qui jouent un rôle stabilisateur dans l'économie régionale.
C'est pourquoi j'aimerais que l'Etat prenne conscience du fait que les contraintes nécessaires imposées par le respect de l'environnement et auxquelles nos éleveurs sont prêts à se plier ne doivent pas devenir des entraves à la production et au maintien des emplois agricoles et agro-alimentaires, car il y a encore un gisement d'emplois dans l'agro-alimentaire, et nous continuerons à en créer.
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous me donniez quelques assurances quant à l'assouplissement des délais ; c'est à ce prix seulement que l'objectif du PMPOA pourra être atteint.
Telles sont les préoccupations dont je voulais vous faire part. Elles reflètent les doutes et les inquiétudes que je rencontre sur le terrain. Il me paraît essentiel de rassurer le monde agricole par le dialogue - je sais conbien vous pratiquez la concertation, monsieur le ministre - mais aussi par une certaine souplesse dans l'application des mesures.
Au nom du RPR, je vous assure de tout mon soutien et de ma confiance pour la tâche que vous avez à mener. Le budget que vous allez nous présenter est, à bien des égards, révélateur du fait que vous avez voulu préserver l'essentiel afin de conserver à notre agriculture sa compétitivité et de lui donner la place qui lui revient sur le marché européen et mondial. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde en pleine mutation, dans une économie mondialisée qui conduit à l'uniformisation des produits et à la banalisation de l'homme, dans une concentration urbaine toujours plus accure, le tout géré par cette « bulle » internationale où l'homme politique semble ne plus avoir de pouvoir réel sur l'orientation des choses, ce qui aboutit à l'exploitation de l'homme dans des pays opprimés et concentre nos populations dans des banlieues toujours plus volumineuses, engendrant un coût social toujours plus lourd, « la place d'une agriculture de qualité et d'un monde rural vivant » a de plus en plus de sens.
Dès lors, il faut se poser la question suivante : dans ce domaine, nos politiques vont-elle réellement dans le bon sens ?
J'aborderai essentiellement deux aspects de la question en liant l'actualité aux choix budgétaires que vous nous proposez. Je laisserai à mes collègues le soin de traiter d'autres sujets en regrettant que le débat budgétaire soit écourté, comme si l'on voulait faire oublier la baisse des crédits du budget de l'agriculture.
Mon propos portera tout d'abord sur la solidarité pratiquée par le secteur social agricole à travers le BAPSA et les retraites agricoles.
L'année 1996 aura marqué l'achèvement de la réforme engagée depuis 1990 avec le basculement définitif des cotisations, qui ne reposent plus désormais que sur les revenus agricoles, et le démantèlement de toutes les taxes spécifiques.
Je note une quasi-stabilité du BAPSA, qui s'élève à près de 87 milliards de francs, dans une période où la solidarité avec les professions concernées, par une augmentation plus franche de ce budget, est devenue une nécessité.
Et ce n'est pas en prévoyant des hausses de cotisations et des diminutions de prestations que vous trouverez la solution à ce problème fondamental, monsieur le ministre !
On ne peut analyser le BAPSA sans faire explicitement référence à la problématique d'ensemble dans laquelle il s'inscrit : celle de la réforme du financement de la protection sociale, réforme à propos de laquelle nous sommes en droit de nous interroger puisque, un an après son lancement, le déficit reste près de trois fois supérieur à celui qui était affiché initialement.
Le BAPSA semble bien, aujourd'hui, marqué du même sceau, même si la CSG est un instrument plus juste, pour un niveau de prestation insuffisant.
Je tiens à vous faire part, monsieur le ministre, du manque réel de lisibilité de votre budget du fait de changements astucieux de nomenclatures !
Il serait souhaitable qu'apparaisse la contribution sociale généralisée acquittée par les agriculteurs, dont le produit - 1,4 milliard de francs - ne figure pas dans le BAPSA ; cette CSG finance, pour partie, les allocations familiales - elle se trouve, de ce fait, incluse dans la contribution réservée par la Caisse nationale d'allocations familiales au BAPSA - et, pour une autre partie, le fonds de solidarité vieillesse.
La nouvelle contribution au remboursement de la dette sociale - CRDS - n'est pas non plus mentionnée.
Il manque tout de même bien des éléments dans ce budget annexe !
Parlant de lisibilité, je me dois d'évoquer le volumineux chapitre que le rapport de la Cour des comptes consacre, cette année, au BAPSA, ainsi que les propositions de mise en cohérence de ce budget avec la réforme sociale qu'elle formule, propositions visant à l'utilisation de procédures plus vigoureuses et à l'instauration d'une véritable transparence comptable.
Par ailleurs, j'ai relevé - ce que nous réclamons depuis plusieurs années - l'amorce d'une revalorisation des plus faibles retraites. Elle nous semble toutefois insuffisante et inacceptable car elle devrait relever de la solidarité nationale et non être à la charge de la profession agricole.
Quelques jours après l'adoption d'un projet de loi tendant à instituer une prestation dépendance pour les personnes âgées, dans un contexte de solidarité nationale, il convient d'examiner la situation de ceux qui constituent parfois l'essentiel des habitants de nos communes rurales, je veux parler des retraités de l'agriculture.
Cette génération a exercé souvent sur de petites exploitations et pendant une période transitoire, avant et après 1952 ; elle se trouve de ce fait très pénalisée en matière de points de retraite. Le montant moyen des retraites agricoles est aujourd'hui de l'ordre de 2 400 francs par mois, ce qui paraît indécent. Dès 1993, un groupe de députés de la majorité actuelle avait déposé une proposition de loi traitant de cette question.
Le Président de la République, alors candidat, s'était clairement prononcé pour la fixation d'un taux minimum de retraite agricole à 75 % du SMIC.
En septembre 1995, le Premier ministre confirmait cette volonté.
Vous-même, monsieur le ministre, avez récemment adhéré à cette idée d'un rattrapage effectué entre 1996 et 1998 sans hausse de cotisation.
Nous sommes donc au milieu du gué ; qu'en est-il aujourd'hui de ces propositions ?
Je ne vois rien apparaître de sérieux et de rassurant dans le projet de budget pour 1997.
Quelle est la position du Gouvernement sur cette péréquation nécessaire et sur les engagements pris ? Vous pouvez en mesurer l'importance pour nos zones rurales.
Dans un autre ordre d'idée, je souhaiterais évoquer un deuxième volet lié, lui aussi, à la notion d'aménagement du territoire. « Les hommes, l'espace, le territoire » - ce sont des propos que j'ai entendus tout à l'heure - font partie du discours général sur l'agriculture. Il est tout à fait justifié de vouloir préserver un bon équilibre entre la vocation de production de l'agriculture et sa vocation d'occupation de l'espace. Il faut pour cela parvenir à une réelle motivation de l'agriculture, encouragé dans cette mission.
Or, je suis obligé de constater que, sur le projet de budget, la ligne réservée à la gestion de l'espace rural est certes maintenue, mais non abondée.
Il aura fallu une vive réaction de l'Assemblée nationale pour qu'un rattrapage soit opéré, ce qui est heureux.
Je note aussi que, dans un élan généreux, en 1996, vous avez su l'utiliser pour participer à la prise en charge des effets de la crise de la vache folle sur l'équarrissage.
Près du tiers de notre territoire est consacré à l'élevage, plus particulièrement à l'élevage bovin.
Le problème de la vache folle, lié à la sécurité alimentaire, est clairement posé aujourd'hui dans notre pays. Nous sommes confrontés à une véritable suspicion de la part du consommateur, et nous avons à gérer une filière en crise, connaissant un déséquilibre structurel dû à l'augmentation de la production et à une diminution de la consommation.
Alors que les prix à la production s'effondrent, les prix à la consommation se maintiennent à un trop haut niveau.
Aux consommateurs qui réclament une information sur l'origine des viandes, de l'étable à l'étalage, c'est-à-dire une véritable traçabilité, on n'apporte pas les bonnes réponses en altérant de ce fait à la fois la confiance et la relance de la consommation.
Dans cette perspective, que penser de la diminution de 6 % des crédits destinés aux offices dont c'est l'une des vocations premières ? Avec mes collègues de la zone Massif central, MM. Chervy, Moreigne, Bony, Signé et quelques autres, pressés par une profession aux abois et dans le cadre de consultations fréquentes avec les éleveurs, je peux confirmer ce souhait d'une traçabilité qui devrait rassurer les consommateurs, mais aussi apaiser leur désarroi face à l'inorganisation, tant de la profession que de l'administration. Devant ce grave problème, l'Etat ne peut trouver de solution que sur le moyen terme, par la reconnaissance de l'origine de la viande.
En France, environ 40 % de la viande consommée provient de races à viande d'une qualité exceptionnelle ; il est urgent de préciser cette origine sur l'étalage afin, je l'ai dit, de rassurer le consommateur et surtout d'éviter un amalgame de toutes les viandes au prétexte qu'elles proviennent de France. Seule la viande de race bovin-viande est, aujourd'hui encore, épargnée par la maladie de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Il faut rassurer le consommateur et l'éduquer à la consommation d'une « vraie viande », provenant d'élevages extensifs et traditionnels comme c'est le cas sur la totalité des zones difficiles de montagne ou de piémont, notamment dans notre Massif central, royaume de la vache allaitante élevée à l'herbe et à la farine de l'exploitation. Il s'agit d'un produit de qualité supérieure que le lobby de la viande, pour ne pas dire la « mafia » de la viande, a trop souvent banalisé et mélangé avec d'autres viandes.
Cette première démarche serait de nature à sauver de façon durable une partie de notre élevage et, par là même, à contribuer directement à l'aménagement du territoire par le maintien des petits éleveurs qui continuent à assurer l'occupation de notre espace.
Mais, outre cette impérative nécessité de clarification d'origine et de contrôle et au-delà des marques et labels qui ne concernent que 2 % du marché, il y a cette mission de maintien sur place des hommes et des femmes, mission d'intérêt national pour l'équilibre de notre société.
Pour l'assurer, entre autres mesures, il faudrait prévoir le doublement de la prime à l'herbe à la fois pour des partenaires qui assurent un produit de qualité, mais aussi pour des partenaires qui demeurent dans ces zones souvent difficiles en entretenant l'espace, donc en jouant indirectement un rôle social pour la nation.
Filière économique ou aménagement du territoire, peu importe ! En tout cas, monsieur le ministre, malgré vos efforts notables au niveau européen, je crains malheureusement qu'un choix trop libéral ne fasse son oeuvre destructrice sur ce pan de notre ruralité.
Cela nous inquiète très fortement, et j'attends avec beaucoup d'intérêt vos réponses en espérant que le Gouvernement a malgré tout conscience de l'importance des enjeux. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos concernera les productions agricoles rapidement périssables qui, de ce fait, posent des problèmes spécifiques.
Qu'englobe cette terminologie ? Il s'agit de la culture des fruits et des primeurs, appelés aussi légumes de saison, et de l'horticulture. La mise sur le marché de ces produits est particulièrement limitée dans le temps, en raison de leur manque de longévité. Or, avec la vigne, qui connaît de multiples problèmes, ces cultures représentent une part importante des activités agricoles du midi de notre pays, et je me permets de les évoquer plus spécialement, sans pour autant oublier les autres difficultés que rencontre notre agriculture en différentes régions.
La production de fruits et de primeurs, étant donné la brièveté de la période de récolte, est très dépendante des vicissitudes du climat et peut connaître des creux répétés, alors que, paradoxalement, les années favorables conduisent à des surplus et à des méventes, car tout stockage similaire à celui des céréales est, dans la pratique, impossible.
Ce secteur, qui a oeuvré pour se libérer des contraintes climatiques, en particulier par l'utilisation de serres qui augmentent les frais d'exploitation, est actuellement soumis à une concurrence des pays en voie de développement qui pratiquent des coûts salariaux très bas, concurrence qui a été renforcée par une certaine remise en cause de la préférence communautaire par les accords de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, malgré la mise en place des certificats d'importation et la clause de sauvegarde spéciale volume.
La filière des fruits et légumes est aussi victime des différentiels de coûts salariaux avec les pays du sud de l'Union européenne.
Elle est touchée, en outre, par les dévaluations dites « compétitives » que pratiquent certains pays.
Par ailleurs, le secteur des fruits et légumes est fortement employeur de main-d'oeuvre et la lourdeur des charges joue chez nous en sa défaveur. Il représente 40 % de la main-d'oeuvre salariée agricole pour seulement 14 % du produit agricole français.
Toutes ces raisons empêchent les exploitants d'écouler normalement leur production, les invendus entraînant une fausse surproduction chronique.
De nombreuses exploitations surendettées disparaissent, car les agriculteurs âgés, lorsqu'ils ont la possibilité de prendre leur retraite, ne trouvent pas de repreneur. Nos paysages sont de plus en plus « mités » par des terrains laissés à l'abandon.
Maintiendrez-vous, monsieur le ministre, la préretraite à cinquante-cinq ans pour les agriculteurs en difficulté ?
Confitureries et conserveries, qui sont susceptibles de compenser les difficultés d'écoulement direct des produits auprès des consommateurs, disposent de leurs propres circuits, de même que la surgélation.
Notons au passage que la consommation annuelle de confiture par habitant est faible : elle oscille depuis 1990 aux environs de 2,5 kilogrammes seulement. De plus, on constate une augmentation des importations, passées de 7 431 tonnes en 1991 à 16 258 tonnes en 1995, alors que les exportations ont diminué entre ces mêmes dates, passant de 29 698 tonnes à 27 029 tonnes.
L'horticulture, très présente dans les départements du sud de la France, elle aussi souffre, d'autant qu'est envisagée la suppression du CREAT, subvention régionale d'expérimentation dans le domaine de l'horticulture allouée par l'ONIFLHOR, l'office national interprofessionnel des fruits et légumes et de l'horticulture, qui est chargé de la distribution et de la réglementation de la production. Mon collègue Pierre Laffitte se joint à moi pour exprimer ces inquiétudes.
Quant à la viticulture, nous n'en connaissons que trop les difficultés en certaines régions.
Le département des Bouches-du-Rhône, que, avec six de nos collègues, je représente au sein de la Haute Assemblée, est particulièrement intéressé puisque, sans compter les emplois induits, ce sont 18 000 emplois directs qui s'y trouvent concernés. Dans ce département, le revenu net agricole est en diminution. Le revenu national de la filière des fruits et légumes diminuera, selon les prévisions, de 7 % en 1996, alors que, pour la filière bovine, l'évolution sera positive, malgré la crise dite de la « vache folle ».
De plus, de nombreuses exploitations, essentiellement arboricoles, ont été victimes de la grêle qui a sévi en juin et septembre de cette année. Ces phénomènes météorologiques étant rares, les agriculteurs concernés n'étaient pas assurés et n'ont donc aucun recours possible.
Il convient de signaler aussi le fait que les agriculteurs sont soumis à la pression des grossistes et des centrales d'achat, qui imposent des prix très bas aux producteurs et se réservent des marges très importantes.
Monsieur le ministre, je sais que le débat sur la pêche a eu lieu hier, mais comment un élu des Bouches-du-Rhône pourrait-il passer ici sous silence les aléas de la pêche en Méditerranée et les problèmes d'emploi qui en découlent ?
J'évoquerai pour finir la protection de la forêt contre les incendies dans les quinze départements du Sud-Est méditerranéen. Je vous ai fait part dans plusieurs courriers, monsieur le ministre, des craintes de l'entente interdépartementale quant à la diminution des crédits du conservatoire de la forêt méditerranéenne.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert-Paul Vigouroux. Ces crédits s'élevaient en 1991 à 100 millions de francs. Dans vos prévisions pour 1997, ils sont ramenés à 62 millions de francs. Or, même si l'on tient compte d'une météorologie favorable, il est clair que les efforts de prévention et d'équipement qui sont menés depuis cinq ans ont abouti à une nette diminution des surfaces brûlées : 15 600 hectares en 1995 contre 55 000 hectares en 1990 ; il semble indispensable de poursuivre cet effort et, donc, de ne pas diminuer les crédits.
En une période où sévit le chômage, tout doit être entrepris pour conserver un potentiel agricole qui contribue à la vitalité d'un département, d'une région, d'un pays, le nôtre.
De tels problèmes nécessitent certes une réflexion, mais aussi des solutions. Nul abandon n'est permis et l'angoisse des uns appelle l'écoute des autres, en vue d'une réponse.
Monsieur le ministre, vous nous avez rassurés, ce matin, sur le projet de loi d'orientation que vous devez présenter au Parlement dans le courant du premier semestre de 1997. Je suis sûr que les débats auxquels il donnera lieu permettront à notre assemblée de s'exprimer à nouveau.
M. le président. La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le ministre, merci de nous permettre de débattre de l'avenir de notre agriculture en cette veille du xxie siècle et à quelques mois de l'examen du projet de loi d'orientation voulu par M. le Président de la République.
Je veux aussi d'emblée vous rendre hommage pour l'action que vous avez conduite cette année face à la crise de la viande bovine, action déterminante au regard de la santé publique. Vous avez, en outre, su faire en sorte que soient dégagés les moyens financiers nécessaires, tant à l'échelon national qu'à l'échelon de l'Union européenne. Soyez-en félicité.
Mon intervention portera essentiellement sur les perspectives que nous pouvons envisager pour notre agriculture.
Nous nous posons souvent cette question, en parcourant notre pays : quel est l'avenir de notre agriculture dans l'Union européenne et dans le cadre des échanges mondiaux ?
Il faut se souvenir que la ruralité est le lieu privilégié de notre histoire nationale et, pour les Français, un lieu de mémoire. C'est pourquoi il nous est difficile d'imaginer, pour demain, une France dont les deux tiers du territoire seraient vidés de leur seule population active, les agriculteurs, une France où les paysages, façonnés par le travail de nos ancêtres, retourneraient à la friche, une France faite de villages, autrefois si vivants, désertés de tous, hormis quelques estivants.
Fort heureusement, nous n'en sommes pas encore là !
Nous devons répondre aux attentes de tous ces hommes et de toutes ces femmes que leur destin a attachés à l'évolution de notre agriculture, qu'ils soient exploitants, salariés ou retraités. Tous réclament une politique agricole à la hauteur des enjeux et des défis auxquels ils sont confrontés. Ces attentes, mes chers collègues, nous sommes nombreux à les connaître et à les comprendre.
En 1994, les débats sur l'aménagement et le développement du territoire ont bien mis en lumière les liens profonds qui unissent nos concitoyens au monde rural. Et l'on peut mesurer chaque jour le poids grandissant qu'ont les activités agricoles et agro-alimentaires en termes d'équilibre de notre commerce extérieur, de maintien de l'emploi ou de préservation de l'environnement.
Quel secteur autre que l'agriculture occupe 80 % du territoire national, tout en représentant, avec ses activités d'amont et d'aval, 16 % des emplois et en dégageant un excédent commercial supérieur à 50 milliards de francs ? Existe-t-il un autre domaine d'activité qui symbolise tout à la fois les valeurs permanentes de notre société et les avancées de la construction européenne ?
L'agriculture française est confrontée aujourd'hui à une situation difficile. Elle doit s'adapter à la politique agricole commune et aux accords du GATT. Nos producteurs agricoles et nos industriels de l'agroalimentaire doivent impérativement augmenter leurs parts de marchés dans un monde où la concurrence se fait chaque jour plus vigoureuse. Tous éprouvent de multiples incertitudes, celles qu'entraîne le prochain élargissement de l'Union européenne, celles que ne peut manquer d'engendrer l'évolution des marchés agricoles mondiaux.
J'en suis profondément convaincu, notre secteur agricole et agroalimentaire dispose de ressources considérables, qui doivent l'aider à relever les défis de l'avenir. Sa principale richesse, ce sont ces hommes et ces femmes qui, par leur créativité et leur ténacité, ont permis à notre agriculture d'augmenter sa productivité et fait de notre pays le deuxième exportateur agroalimentaire mondial.
Votre détermination, monsieur le ministre, constitue un facteur d'espérance.
Nous devons, d'une part, accroître le niveau de performance et de qualité de notre agriculture et, d'autre part, contribuer au développement du territoire et à l'équilibre économique et social de nos espaces ruraux. Ce sont là, à mon sens, les deux priorités fondamentales.
Je soutiens l'ambition qu'a le Gouvernement de développer une agriculture exportatrice, compétitive, occupant l'espace et prenant en compte les contraintes environnementales.
Pour atteindre ces objectifs, il nous faut tout mettre en oeuvre pour adapter notre agriculture aux nouveaux enjeux européens ou mondiaux.
Nos agriculteurs ont à supporter des charges financières, sociales et fiscales souvent excessives, et les candidats à l'installation sont peu nombreux. Nos exploitations ne doivent pas supporter des charges fixes supérieures à celles qui sont constatées dans les pays qui nous entourent, faute de quoi ces charges constitueront un handicap majeur à l'adaptation de notre agriculture.
Je voudrais évoquer ici la part communale de la taxe sur le foncier non bâti, source d'une charge trop importante pour le propriétaire et le fermier. Nous pourrions aller vers sa suppression, ce qui rendrait nos exploitations plus compétitives. Néanmoins, il serait nécessaire que l'Etat compense la perte de recette pour les communes.
En ce qui concerne les droits à produire, il faut préserver la capacité de production de chaque département. Il faut rattacher ces droits à un territoire donné, celui du département, et concilier la localisation des productions avec une bonne gestion de l'espace. Il m'apparaît nécessaire que la gestion des droits à produire n'entraîne pas, pour les exploitants, des délocalisations de productions.
Le financement de l'entreprise agricole doit être adapté, car il nécessite des capitaux importants avec une faible rentabilité. Un fonds de garantie doit être mis en place, avec des fonds de l'Etat, des banques et une participation des jeunes qui s'installent.
Il s'agit avant tout de favoriser la mise en société des exploitations agricoles. Les exploitations en société représentent en effet une exploitation sur dix, soit le quart de la superficie agricole utilisée. La forme sociétaire est adoptée aujourd'hui par deux jeunes sur trois qui s'installent en agriculture. Il y a là une évolution essentielle de notre appareil productif. Logiquement, le principe de l'éligibilité aux aides économiques des exploitations sous forme sociétaire devrait être posé.
L'installation des jeunes doit être également une véritable priorité du Gouvernement, qui s'est assigné pour objectif de parvenir, dans les prochaines années, à 12 000 installations aidées par an. De nombreuses mesures ont été prises depuis près de deux ans dans ce domaine : institution d'un prêt global d'installation, élévation des plafonds des prêts, assouplissement des ratios d'endettement, augmentation de 20 % des montants de la dotation aux jeunes agriculteurs. Elles n'auront malheureusement pas empêché la diminution du nombre des installations.
Il faut réorienter le dispositif de la préretraite uniquement en direction des jeunes candidats à l'installation ou pour conforter les structures de ceux qui sont installés depuis moins de cinq ans.
La valeur ajoutée devra être apportée par les industries agroalimentaires. Mais il est indispensable d'identifier et de certifier nos productions animales en fonction des races, de la région d'élevage, et cela jusqu'aux produits transformés. Dans le cadre de la filière, le suivi doit être garanti à chaque instant, à la naissance de l'animal, dans son mode d'élevage, de l'unité de transformation jusqu'à la distribution. Ce n'est que par des productions de qualité et supposant beaucoup de rigueur que le consommateur reprendra confiance.
Notre pays, à travers ses régions, est riche d'histoire, de traditions et de savoir-faire. Les agriculteurs doivent pouvoir profiter au maximum du fruit de leur travail.
Je vous propose, monsieur le ministre, de prendre en compte, dans la future loi d'orientation, les principaux éléments qui permettraient d'adapter notre agriculture à l'horizon de l'an 2000 : le rôle et le statut de l'entreprise agricole, le statut des personnes, les aides à l'installation, les sociétés et les moyens de transmission et d'installation progressif, la fiscalité, la préretraite, la retraite et les cotisations, l'organisation économique et politique des filières, la recherche et le développement, la qualité et la valorisation des produits agricoles et alimentaires en France et, enfin, l'espace et l'environnement.
Dans cette perspective, le fonds de gestion de l'espace rural doit être pérennisé, grâce à une ressource propre.
Monsieur le ministre, je sais que vous avez beaucoup travaillé à la mise en oeuvre du projet de loi d'orientation en concertation avec les organisations professionnelles. Permettez-moi, en tant que parlementaire agriculteur et rapporteur de la loi de modernisation de l'agriculture, de vous faire part, dans un document, de suggestions personnelles plus détaillées. Je souhaite en toute modestie et avec beaucoup d'humilité que celles-ci puissent tout simplement mieux préparer l'avenir de notre agriculture, mais aussi assurer à nos agriculteurs la rémunération digne d'un si beau mais laborieux métier.
Notre agriculture doit rayonner dans le monde par la qualité de ses produits, mais aussi en assurant aux pays en voie de développement la nourriture de leurs populations.
Je terminerai, monsieur le ministre, par cette citation de Claude Michelet : « Nous avons la chance en France d'avoir les meilleurs agriculteurs du monde, et tout le monde a l'air de penser que c'est normal. » (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la Haute Assemblée est très attachée à l'enseignement agricole. Les lois de 1984 ont d'ailleurs reconnu qu'il était, dans sa spécificité, une composante du service public de l'enseignement et de la formation, auquel sont associés les établissements privés sous contrat.
Nous avons soutenu les efforts consentis en faveur de la rénovation et de la diversification de cet enseignement. Ces efforts ont été jusqu'à présent une remarquable constante de l'action gouvernementale et ont fait le succès de l'enseignement agricole.
Nous nous félicitons aujourd'hui, comme vous d'ailleurs, de ce succès. L'enseignement agricole a, en effet, administré la preuve que l'enseignement technologique et professionnel pouvait être une voie choisie et une voie de réussite.
Il a démontré sa capacité à offrir des formations adaptées aux exigences d'une production agricole et alimentaire de qualité, mais aussi aux nouveaux métiers qui contribueront à soutenir l'emploi et l'activité en milieu rural.
A ce titre, il apparaît comme le meilleur instrument de la politique d'aménagement du territoire et de revitalisation de l'espace rural.
Il constitue aussi un atout important pour la réussite de votre courageuse politique en faveur de l'installation des agriculteurs.
En effet, vous le savez bien, la désertification des campagnes, après avoir été la conséquence de l'exode rural, est aujourd'hui l'une des raisons pour lesquelles nombre d'agriculteurs ont du mal à trouver un successeur.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous le dis très franchement, nous ne comprenons pas votre volonté de limiter à 2 % la progression des effectifs et de « recentrer » l'enseignement agricole sur les seuls métiers de la production et de l'agroalimentaire.
M. Fernand Tardy. Très bien !
M. Albert Vecten. Nous craignons que le principal effet de ce rétrécissement quantitatif et qualitatif ne soit de compromettre les résultats positifs obtenus depuis plus de dix ans.
Et d'abord, monsieur le ministre, pourquoi 2 % ? Personne n'a pu nous expliquer le choix de ce chiffre. Il paraît d'ailleurs impossible à tenir, sauf à fermer les filières dès qu'on les ouvre. Du reste, en dépit de très nombreux refus d'inscription, aucune composante de l'enseignement agricole n'a pu tenir dans cette marge.
On nous dit que ce contingentement tiendrait au souci de ne pas compromettre les bons résultats de l'enseignement agricole en matière d'insertion professionnelle. Nous pouvons, certes, comprendre ce souci. Mais on ne nous dit pas sur quelles études repose cette analyse apparemment bien pessimiste de l'évolution de l'emploi dans l'agriculture et le monde rural.
On ne nous dit pas non plus, d'ailleurs, si les jeunes refusés par l'enseignement agricole trouveront ailleurs de meilleures chances d'insertion. Personnellement, j'en doute. J'ai interrogé vos services sur le devenir des élèves refusés par les lycées agricoles. On n'a pu me renseigner ni sur leur nombre ni sur leur sort, ce qui m'a d'ailleurs étonné.
Certains établissements privés ont été plus curieux. Ils ont constaté que les jeunes dont ils avaient dû refuser l'inscription se répartissaient en trois groupes. Un tiers environ renonce à poursuivre leur formation, ce qui n'améliorera sûrement pas leurs chances d'insertion. D'autres s'inscrivent dans des stages d'insertion ou de qualification qui, en termes budgétaires, coûtent souvent plus cher à la collectivité qu'une formation scolaire diplômante. Les autres, enfin, se résignent à une « orientation subie » vers une autre filière ou vers l'apprentissage dont les capacités d'accueil et les débouchés ne sont pas non plus illimités.
Beaucoup, en tout cas, vont renoncer, par force, à inscrire dans le milieu rural leur projet professionnel et nourrir cet exode scolaire qui est bien souvent le commencement de l'exode rural.
Monsieur le ministre, personne ne sait quelle sera demain l'évolution de l'emploi. Mais, comme tous ceux qui croient à l'avenir de l'agriculture et du monde rural, comme tous ceux qui constatent l'évolution de la démographie, comme tous ceux qui observent la montée des préoccupations en matière d'environnement, de qualité de l'alimentation, de qualité de la vie tout simplement, j'ai la faiblesse de croire que les formations agricoles et para-agricoles, que les métiers de l'aménagement du territoire et de l'environnement ainsi que les services en milieu rural sont des « créneaux » plus porteurs que bien d'autres.
Il serait paradoxal que ce soit le ministre de l'agriculture qui en soit le moins convaincu et qui veuille décourager les jeunes de s'engager dans les formations correspondantes.
Je vous le dis très clairement, monsieur le ministre, je ne crois pas qu'en limitant l'accès à l'enseignement agricole vous favoriserez l'insertion professionnelle des jeunes.
Je ne crois pas non plus qu'en restreignant les crédits accordés à l'enseignement agricole vous en obtiendrez davantage pour mener d'autres actions. Si certains le croient, ils risquent d'être fortement déçus.
Mais je crains, en revanche, que vous ne compromettiez le succès et l'exemplarité de l'enseignement agricole.
Si, cette année, vous n'avez pas été entendu par les familles et par les jeunes qui souhaitent entrer dans l'enseignement agricole, vous avez au moins été entendu par le ministère du budget, à moins, d'ailleurs, que ce ne soit vous qui ayez entendu ce dernier et souhaité devancer l'appel de la rigueur !
Vous enregistrez une augmentation de 4 à 7 % d'élèves, selon les types d'établissement, alors que les crédits ne progressent que de 2 %. La situation, déjà très tendue de l'enseignement agricole, va encore s'aggraver.
Dans le public, en particulier, les déficits en postes d'enseignants et de non-enseignants vont s'alourdir et la précarité des personnels persister (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Dans le privé, les engagements pris seront de nouveau reportés. De même, je ne vois pas comment la rénovation indispensable de l'enseignement supérieur et l'effort de recherche dont dépend l'avenir seront financés.
L'enseignement agricole n'a jamais été financé, comme certains voudraient le faire croire, « à guichets ouverts ». Il a toujours été beaucoup moins pourvu que l'éducation nationale, en dépit du principe de parité, et fonctionne depuis plusieurs années, malheureusement, à « flux tendus ».
Votre souci de limiter la croissance des effectifs ne pourra que conforter le ministère du budget dans la tentation de vous mesurer encore davantage vos crédits, menaçant ainsi la qualité que vous voulez préserver. Vous risquez aussi de compromettre la réussite de l'enseignement agricole en termes d'orientation positive et d'insertion scolaire et professionnelle.
Déjà, pour cause de « redéploiement de moyens », le service public ne participe plus à l'essor des formations de niveau V, qui ont démontré, dans l'enseignement agricole, qu'elles sont une véritable voie de réussite et d'insertion.
Mais s'il faut désormais sélectionner les candidats à tous les niveaux, sur quels critères va-t-on le faire ? L'enseignement agricole restera-t-il une voie de réussite ou deviendra-t-il une filière sélective réservée aux titulaires des meilleurs dossiers scolaires, qui ne sont d'ailleurs pas toujours ceux dont le projet professionnel est le mieux affirmé ?
L'enseignement agricole peut-il même rester une composante du service public de l'éducation, s'il refuse de respecter le principe de l'égalité d'accès et d'offrir une chance à tous ? Ou alors il faudrait, monsieur le ministre, que la limitation des effectifs soit justifiée par une garantie d'emploi, mais tel n'est pas, je crois, votre propos.
Pour conclure, monsieur le ministre, je citerai simplement votre discours de rentrée au lycée agricole de Douai : « L'agriculture du siècle prochain ne sera pas celle d'aujourd'hui ; elle sera plus compétitive, mais surtout elle conduira à prendre en compte d'autres notions : l'environnement, les besoins du consommateur. Pour toutes ces raisons, elle fera appel à des compétences de plus en plus pointues. Elle sera, je l'espère, présente sur tout notre territoire et emploiera des centaines de milliers de personnes. »
Je partage, et nous partageons tous, je crois, cet espoir et cette vision. Mais pourrons-nous réaliser ces légitimes ambitions en décourageant des jeunes de s'engager dans les métiers agricoles et para-agricoles ? Telle est l'une des questions que nous devons nous poser dès aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pluchet.
M. Alain Pluchet. Monsieur le ministre, j'abrégerai quelque peu mon propos car trois collègues de mon groupe doivent encore intervenir. Je n'évoquerai donc pas votre budget puisque nous aurons l'occasion d'en débattre dans quelque temps ni la crise bovine. Je rendrai simplement hommage à votre action, qui est conforme aux souhaits du Président de la République de voir se développer une agriculture forte au sein de notre économie.
Si j'interviens aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est pour vous faire part de certaines de mes interrogations et de mes inquiétudes.
Nous avons signé, voilà deux ans, à Marrakech les accords concluant le cycle d'Uruguay. Ce cycle a constitué la plus longue négociation commerciale multilatérale puisqu'il aura exigé sept ans et demi de négociations très difficiles et très controversées pour notre agriculture.
Au moment où les sept pays les plus industrialisés viennent de partager le souhait du Président de la République de maîtriser la mondialisation des échanges commerciaux et où l'Union européenne engage la réforme de ses institutions dans le cadre de la conférence intergouvernementale, ouverte à Turin le 29 mars 1996, il convient de ne pas négliger les questions fondamentales liées au commerce international et concernant directement l'avenir de notre agriculture.
Avec le temps, il apparaît de plus en plus aux Etats, de part et d'autre de l'Atlantique notamment, que les disciplines auxquelles ils ont souscrit voilà deux ans les privent désormais d'une partie des instruments commerciaux ou de soutiens internes dont ils pouvaient user auparavant. Il s'agit là d'une réalité à laquelle vous êtes le premier confronté, monsieur le ministre.
Ma première interrogation porte sur les effets de l'accord de Marrakech relatif aux mesures sanitaires qui dépendront de la façon dont fonctionneront les mécanismes renforcés de règlement des différends au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
L'Union européenne n'interdit-elle pas, en effet, depuis 1988, l'utilisation des hormones comme facteur de croissance dans l'élevage et, depuis 1989, l'importation des viandes issues d'animaux traités avec ces substances ? Les éleveurs américains utilisent, pour leur part, des stimulants de croissance et entendent, bien évidemment, exporter leurs produits vers l'Union européenne.
Permettez-moi également de rappeler que les Américains viennent de renforcer à concurrence de 5 milliards de dollars sur cinq ans leurs programmes d'exportation. Il s'agit d'une seconde réalité, même si je sais qu'elle est quelque peu faussée par une année de campagne électorale, moment traditionnel de surenchères outre-atlantique.
Les enjeux économiques et commerciaux des mesures sanitaires sont d'autant plus importants que les domaines d'application potentiels sont nombreux. Je pense, par exemple, à la question du taux de pesticides dans les céréales.
Ma seconde interrogation concerne le respect de la préférence communautaire et la mise en oeuvre des instruments juridiques permettant d'appliquer la clause de sauvegarde spéciale prévue pour l'agriculture.
A plusieurs reprises, la France, soutenue par plusieurs de ses partenaires européens, a demandé la mise en oeuvre de mesures propres à garantir la préférence communautaire. Je pense notamment au secteur des fruits et légumes. Vous avez d'ailleurs évoqué ce sujet dans votre intervention liminaire, monsieur le ministre.
Afin que cesse une certaine paralysie résultant des désaccords entre les Etats membres, selon qu'ils sont principalement importateurs ou producteurs dans ce secteur, n'appartient-il pas désormais à la Communauté européenne de prendre dans les plus brefs délais les mesures indispensables ?
S'agissant toujours de la préférence communautaire, je souhaite aussi attirer votre attention sur la concurrence qui s'exerce de plus en plus par la différentiation des produits. Que propose aujourd'hui la Commission européenne pour que soit reconnue la valeur juridique des indications géographiques de nos produits dans tous les Etats membres de l'Organisation mondiale du commerce ?
Le dernier point que je souhaite évoquer a trait à la nécessité pour l'Union européenne de définir une véritable stratégie agricole.
S'agissant, en particulier, des futurs élargissements de l'Union européenne, n'importe-il pas que les opérateurs européens et les autorités communautaires évitent de négliger les marchés des pays candidats ?
Je pense, en effet, que l'abandon de parts de marché aux opérateurs extérieurs permettra aux pays tiers de se constituer des références dont ils demanderont, le moment venu, et précisément à l'occasion des futures négociations de 1999, la valorisation en compte en application de l'accord de Marrakech.
En outre, je note que les pays engagés dans une démarche d'adhésion à l'Union européenne n'ont pas suffisamment pris en compte, s'agissant du soutien interne à leur agriculture, la limitation de leur marge de manoeuvre, une réalité accentuée par les importantes dépréciations de leur monnaie nationale. Les consultations engagées auprès de l'Organisation mondiale du commerce en ce qui concerne les subventions agricoles en Hongrie témoignent de cette situation.
Un autre signal qui nous démontre la nécessité de définir une véritable stratégie agricole européenne tient à l'attitude même des Etats-Unis. En effet, la nouvelle loi-cadre agricole signée le 4 avril 1996 par le président américain, le Fair Act, dont la mise en oeuvre couvrira les années 1996 à 2002, contient en particulier un volet commercial et un volet de réforme du dispositif de soutien aux grandes cultures. Cela participe d'une stratégie susceptible de déboucher, à terme, sur une nouvelle mise en cause de la politique agricole commune.
Le Fair Act prévoit, notamment, de poursuivre l'élimination des barrières tarifaires, de limiter, à terme, dans les pays concurrents, le soutien à l'agriculture, et d'éliminer les subventions à l'exportation et les organisations centralisées d'achat.
L'Union européenne ne doit-elle pas d'ores et déjà réfléchir à ses intérêts prioritaires, afin d'être en position de force lorsque s'ouvriront, à la date prévue, les négociations en vue de poursuivre le processus de réforme engagé par l'accord du cycle d'Uruguay ?
Tels sont, monsieur le ministre, les différents points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention. Ils concernent l'avenir de notre agriculture et celui de la politique agricole commune. Le grand débat agricole d'aujourd'hui nous donne l'occasion, me semble-t-il, de réfléchir à notre stratégie européenne, deux ans après la signature des accords du GATT et à la veille de nouvelles négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Aubert Garcia.
M. Aubert Garcia. Monsieur le ministre, je vous demande de ne voir en moi que le lecteur d'une intervention préparée par notre collègue M. Marcel Vidal, qui, alité, m'a demandé de lui rendre ce service, ce que je fais bien volontiers.
M. le président. Mon cher collègue, notre règlement ne permet pas à un membre de notre assemblée de lire la déclaration rédigée par l'un de ses collègues. Par conséquent, il serait préférable que vous preniez cette intervention à votre compte.
M. Aubert Garcia. Bien entendu, je la prends à mon compte, monsieur le président. Toutefois, compte tenu du sujet abordé et étant donné que l'on cultive peu les olives dans le département du Gers, je voulais en avertir M. le ministre, afin qu'il ne soit pas surpris de la teneur de mon propos. (Sourires.)
M. le président. Il y a bien un olivier en plaine !
M. Aubert Garcia. Il y en a quelques-uns, effectivement !
Secteur indispensable de notre économie et pivot de la politique d'aménagement du territoire, l'agriculture est au centre de toutes nos préoccupations et les crises survenues ces derniers mois ne font qu'accentuer la situation difficile dans laquelle se trouve le monde agricole.
Si les requêtes et les propositions des organisations agricoles se traduisent souvent en questions écrites ou orales, je voudrais utiliser le moment privilégié que constitue ce débat d'orientation sur l'agriculture pour attirer votre attention sur deux domaines : l'un a été à maintes reprises abordé durant la discussion bubgétaire à l'Assemblée nationale puisqu'il s'agit du fonds de gestion de l'espace rural - et, monsieur le ministre, je peux dire en mon nom personnel que je partage l'intérêt qu'il suscite - l'autre, plus rarement évoqué, a trait à l'oléïculture et à la réforme de son organisation commune de marché.
Vous savez, monsieur le ministre, combien la culture de l'olivier a constitué un pôle économique et culturel fort dans le midi de la France. Il est utile de rappeler, de temps à autre, que ce potentiel existe toujours et que, dans ce domaine, la société interprofessionnelle des oléagineux, protéagineux et cultures textiles, la SIDO, joue un rôle discret mais efficace en apportant tous les conseils nécessaires.
A ce titre, il me paraît important de souligner quelques chiffres évocateurs. En 1995, la France a produit 2 000 tonnes d'huile d'olive, soit 2 % de la production européenne. Elle en a consommé sur la même période plus de 60 000 tonnes. Je vous laisse apprécier l'extraordinaire déséquilibre entre une offre aujourd'hui très faible, et qui devrait dans le meilleur des cas doubler, et une demande qui ne cesse de croître. En effet, depuis quelques années, les débouchés de l'huile d'olive sont en progression sensible. Ce produit « typique » de qualité correspond tout à fait aux attentes des consommateurs : santé - un livre du professeur André Charbonnier a récemment démontré les bienfaits de l'huile d'olive dans ce domaine -, protection de l'environnement et appartenance au terroir.
Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour vous indiquer que, dans la seule région du Languedoc-Roussillon, 51 % du verger régional est à l'abandon ; certaines oliveraies pourraient être facilement remises en état.
Cependant, force est de constater que nous sommes soumis à des importations toujours plus importantes, comme l'atteste le quota annuel de 80 000 tonnes accordé récemment à la Tunisie sous un régime préférentiel. Il est à noter que ces importations ne sont pas toujours d'excellente qualité.
Qui plus est, la mise en place d'une politique de qualité, indispensable aujourd'hui pour faire face à la concurrence, est loin d'être évidente : en effet, il est hors de question pour les producteurs français de vouloir atteindre la quantité de production d'huile d'olive de l'Espagne, de l'Italie ou de la Grèce.
L'avenir du secteur oléicole français est dans la constitution d'un produit du terroir, épaulé par une appellation d'origine contrôlée. Mais le chemin à parcourir pour arriver à une reconnaissance de qualité semble si difficile, monsieur le ministre, qu'il en décourage plus d'un !
En outre, la réforme de l'organisation commune des marchés de l'huile d'olive, monsieur le ministre, met en péril cette production. Les propositions de la Commission européenne s'orientent vers un remplacement de l'aide à la production par une aide forfaitaire à l'arbre et la suppression du système d'intervention, afin de mettre fin aux fraudes. Or il est vital de maintenir le mécanisme d'intervention et du prix d'intervention afin d'assurer la stabilité des marchés et des prix dans un secteur où les fluctuations de production d'une année sur l'autre sont considérables.
D'ailleurs, on a pu assister à une diminution de la demande d'huile d'olive au cours de la dernière campagne de commercialisation, les prix élevés du marché ayant provoqué une baisse de 15 % à 35 % de la consommation dans l'Union européenne.
De plus, une telle réforme pourrait entraîner des effets néfastes sur la production, la stabilité des prix, la qualité, ou encore l'approvisionnement.
L'application du système d'aide à la production sur la base de la quantité d'huile d'olive réellement produite simplifierait considérablement les contrôles, alors que les orientations envisagées accroîtraient la complexité du système et nécessiteraient de nouveaux mécanismes de contrôle dont l'efficacité n'est pas prouvée.
En outre, les carences de cette organisation commune de marchés sont patentes en matière de politique globale de promotion de la qualité et d'interdiction de commercialisation de mélanges d'huile d'olive avec d'autres huiles.
Enfin, la commission a invoqué une prétendue « situation excédentaire structurelle de l'huile d'olive » en Europe. Cette affirmation me laisse songeur puisque, au même moment, le Conseil oléicole international a appelé les pays producteurs à la protection de « l'authenticité » de la qualité de l'huile d'olive, ce en dépit de la baisse de la production mondiale.
Ainsi, dans le cas où la Commission européenne devrait maintenir ses orientations, elle prendrait la lourde responsabilité de mettre en cause l'existence même d'un élément clé de la civilisation, du paysage, du tissu économique et de l'emploi des régions rurales méditerranéennes de l'Union européenne, et de la France en particulier.
Dans un contexte aussi préoccupant, je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître la position du Gouvernement sur cette réforme et les mesures qu'il entend prendre à l'échelon national, afin que l'arbre d'Athéna ne disparaisse pas et que nos enfants et petits-enfants puissent encore longtemps rêver à l'ombre d'un olivier méditerranéen.
Je voudrais, en dernier lieu, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l'absence de crédits budgétaires affectés au fonds de gestion de l'espace rural pour 1997 ; je ne suis pas le premier à le faire et ne serai sans doute pas le dernier.
Le FGER constituant le seul fonds spécifique à destination du monde rural prévu par la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire, sa disparition pourrait signifier la perte d'un précieux outil d'animation locale et la remise en cause du lien privilégié entre l'activité agricole et la gestion de l'espace.
En effet, le FGER est devenu, en un an, un excellent outil au service des agriculteurs et de la politique d'animation du milieu local, permettant une véritable valorisation de l'espace rural par les agriculteurs et la reconnaissance de leurs investissements, en temps et en labeur.
Les actions engagées dans le cadre du fonds sont essentielles : elles visent l'entretien et la réhabilitation de l'espace rural, notamment par la lutte contre la déprise agricole, par l'installation de jeunes agriculteurs, l'entretien des prairies et des alpages, ou encore la réhabilitation des vergers traditionnels.
Vous avez, monsieur le ministre, et je vous en sais gré, fait un premier pas lors de la discussion budgétaire sur les crédits de votre ministère à l'Assemblée nationale. Cependant, en raison de l'importance que revêt aujourd'hui la politique d'aménagement du territoire, je vous demanderai d'aller au-delà et de confirmer par un signe tangible l'attachement que le Gouvernement manifeste à l'aménagement de l'espace rural. (Applaudissementssur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, mon intervention portera uniquement sur l'enseignement agricole, mes deux collègues du groupe des Républicains et Indépendants ayant auparavant traité des autres aspects de la politique de votre ministère.
A une époque où l'on parle trop souvent de ce qui ne va pas, je voudrais commencer mon propos en saluant le succès de cet enseignement agricole, dont vous avez dit vous-même qu'il était « victime de son succès ».
Si vous le permettez, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais m'arrêter quelques instants sur les raisons de cette réussite et vous faire part de quelques inquiétudes.
Les raisons du succès découlent sans doute du fait que l'enseignement agricole a intégré mieux que d'autres la triple réponse que doit apporter tout système de formation : une réponse sociale, c'est-à-dire une réponse au besoin du jeune, à son projet ; une réponse économique, c'est-à-dire une réponse aux besoins de nos entreprises, qu'elles soient agricoles, forestières ou agroalimentaires ; une réponse en matière d'aménagement du territoire, ce que fait parfaitement l'enseignement agricole avec ses 220 lycées publics, ses 640 établissements privés, son réseau de 126 maisons familiales pionnières de l'alternance et de l'apprentissage.
L'enseignement agricole permet de répondre mieux que d'autres à la double inégalité de cette fin de siècle.
La première inégalité est celle de l'emploi : le taux d'insertion des jeunes dans le monde professionnel est, en effet, souvent supérieur à celui d'autres voies.
La seconde inégalité est celle du domicile : les chances ne sont pas les mêmes pour un jeune qui habite une grande agglomération et qui dispose de tout un éventail de formations et pour celui qui, vivant dans une zone rurale, est soumis à un certain nombre de contraintes ou de handicaps.
Grâce à un réseau de proximité, à des capacités d'accueil et d'hébergement, l'enseignement agricole réduit cette inégalité.
L'autre raison du succès est que l'enseignement qui relève de votre ministère a compris, mieux que d'autres et avant d'autres, les vertus d'initiatives partenariales, rassemblant les trois partenaires incontournables et indissociables de tout système de formation.
Le premier partenaire est la communauté éducative, gardienne de la pédagogie.
Le deuxième, ce sont les professionnels : l'une des premières finalités d'une formation professionnelle ou technologique est bien de donner aux jeunes les meilleures chances d'emploi. Permettez-moi de saluer l'attachement de l'ensemble de la profession à cet enseignement, qu'il soit public ou privé.
Le troisième de ces partenaires est la famille : c'est peut-être le plus important et celui que l'enseignement agricole a su le mieux mobiliser.
Le succès des maisons familiales et rurales, par exemple, tient peut-être à leur seule terminologie : le mot « maison » implique la sécurité d'un toit ; l'adjectif « familiale » rappelle que la famille est la cellule de base qui a traversé toute notre histoire ; c'est le premier cercle de décision.
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Jean-Claude Carle. Quant au terme « rurale », il évoque nos racines, le fondement de notre société.
Monsieur le ministre, j'en viens aux inquiétudes, car je ne voudrais en aucun cas que l'enseignement agricole soit réellement victime de son succès et que la cause première en soit le seul arbitrage budgétaire.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Ce sera l'éducation nationale !
M. Jean-Claude Carle. D'une part, je comprends et je partage tout à fait votre souci de maîtriser le développement et de faire porter votre effort tout particulièrement sur l'installation des jeunes agriculteurs, afin de faire face au défi numéro un que doit relever notre agriculture.
D'autre part, je suis convaincu que l'on ne mène pas, à terme, une politique sérieuse par la seule inflation budgétaire. Dans un autre secteur, de nombreux exemples le démontrent.
Cependant, monsieur le ministre, si la maîtrise des effectifs est la meilleure garantie de pérennité de l'enseignement agricole, limiter trop sévèrement la croissance présente deux risques majeurs.
Le premier, c'est d'empêcher des jeunes, pour qui cette voie est une deuxième chance, d'accéder à une formation et de leur offrir comme seule alternative la rue ou l'ANPE. Cette mission d'aide ne relève pas uniquement de l'enseignement agricole : c'est une responsabilité première de l'Etat, en partenariat avec les collectivités locales. D'ailleurs, socialement, elle peut peser moins sur les finances de la nation pour peu que nous sachions sortir d'une seule approche budgétaire verticale et cloisonnée.
Le second risque est de voir noyer l'enseignement agricole au sein de la première ligne budgétaire de la nation, donc, à terme, de le voir disparaître.
Cela serait dramatique et préjudiciable à l'ensemble de notre système éducatif, pour lequel il constitue un exemple de réactivité, de souplesse et d'innovation.
Il est, certes, indispensable de rechercher la complémentarité, plutôt que la concurrence ou l'uniformité.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez lever mes inquiétudes à l'égard d'un enseignement auquel, comme l'ensemble de mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants - et comme vous, j'en suis persuadé - je suis particulièrement attaché. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arzel.
M. Alphonse Arzel. Voilà un an, jour pour jour, a eu lieu la signature de la charte nationale pour l'installation des jeunes en agriculture, comme vous l'avez rappelé ce matin dans votre intervention, monsieur le ministre.
Cela a constitué un événement capital et décisif pour l'avenir, cette charte ayant représenté le point de départ d'un nouveau volontarisme en faveur de la politique d'installation.
L'application de la charte d'installation intervient dans un environnement extrêmement difficile. Le gel budgétaire de 15 % des crédits d'intervention qui affecte l'ensemble des ministères aurait pu avoir pour conséquence de réduire de 20 millions de francs les crédits affectés au Fonds pour l'installation et le développement des initiatives locales, le FIDIL. Malgré cette contrainte très forte, vous avez permis, monsieur le ministre, que les crédits du FIDIL en 1996 s'élèvent bien à 150 millions de francs, ainsi que le prévoyait la charte. Vous avez également reconduit la dotation aux jeunes agriculteurs, qui représente 645 millions de francs.
Comme l'an dernier, l'installation des jeunes reste pour vous, monsieur le ministre, l'une des priorités du budget. Nous vous rendons hommage pour cette persistance du soutien à l'installation des jeunes.
Compte tenu de la hausse des remboursements communautaires, la dotation aux jeunes agriculteurs, inscrite dans le projet de loi de finances pour 1997, permettra donc de financer 9 500 installations, au lieu des 8 500 attendues pour cette année.
En outre, la dotation allouée au financement des stages de préparation augmente de 31,7 %, ce qui signifie que les capacités d'accueil des stagiaires seront renforcées.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons ce choix, monsieur le ministre, et vous remercions d'avoir tenu vos engagements.
Ces crédits conditionnent de manière évidente, l'équilibre et l'avenir des zones rurales.
Face aux départs des exploitants âgés, il est essentiel que la relève soit assurée. C'est à ce prix que l'agriculture continuera à occuper, à gérer et à animer l'espace.
Encourager l'installation de jeunes agriculteurs, avec des projets viables, est essentiel pour l'avenir de notre agriculture et de notre pays, principalement dans la période que nous traversons. Il faut savoir inciter les jeunes à s'installer dans l'agriculture avec un message neuf. Cessons de semer le désespoir et la morosité. Lorsque cela va bien, il faut savoir le dire aussi.
M. Philippe de Bourgoing. Bravo !
M. Alphonse Arzel. Je ne parlerai pas du problème de la « vache folle ». Certains orateurs l'ont évoqué ; d'autres le feront peut-être après moi.
Je voudrais aborder le problème de la préretraite. C'est sans doute, en effet, le sujet le plus sensible sur le terrain.
Dans le projet de loi de finances pour 1997, vous avez proposé, monsieur le ministre, de modifier le régime de la préretraite agricole en créant un système complexe, maintenant l'âge de cinquante-cinq ans pour les éleveurs de bovins, alignant les autres exploitants sur le droit commun, c'est-à-dire cinquante-sept ans, mais créant une dérogation en faveur des agriculteurs en difficulté qui pourraient, pour leur part, partir à cinquante-six ans.
Ces dispositions remettaient en cause un grand nombre de projets. En effet, le changement en cours de programme du critère d'âge d'éligibilité à la préretraite aurait pénalisé de nombreux exploitants agricoles qui avaient commencé leurs démarches et, en conséquence, aurait paralysé un grand nombre d'installations.
Etant donné le nombre de dossiers déjà engagés mais qui n'auraient pas abouti l'an prochain, faute de répondre aux nouveaux critères d'âge, entre 1 000 et 2 000 installations auraient pu se trouver bloquées, sans parler des dossiers qui n'ont pas encore été engagés.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons, en conséquence, la suppression de l'article 83 du projet de loi de finances qui a été votée par nos collègues députés, ainsi qu'un abondement de 50 millions de francs sur la ligne budgétaire relative à la préretraite. Nous estimons que cette suppression de l'article 83 - qui prévoyait de porter l'âge normal de la préretraite de cinquante-cinq ans à cinquante-sept ans - est la bienvenue. Nous vous remercions, monsieur le ministre, de l'avoir acceptée, et nous rendons hommage à votre esprit d'ouverture.
La loi de modernisation de l'agriculture, adoptée en février 1995 avait prévu d'accorder le bénéfice de la préretraite agricole à cinquante-cinq ans, pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, tout en permettant à des exploitants fatigués par un travail éprouvant de prendre un repos bien mérité. Il convient donc de maintenir ce système.
Je n'évoquerai pas non plus la mise aux normes des bâtiments d'élevage. Toutefois, venant d'une région où l'élevage est très répandu et connaissant l'effort fait par les agriculteurs en ce domaine, je souhaite que l'on abonde les crédits prévus à cet égard car, en l'état actuel du projet de budget, ils ne permettent pas de répondre à l'attente de tous ceux qui ont engagé la mise aux normes de leurs bâtiments d'élevage.
Enfin, je ne parlerai pas du problème du Fonds de gestion de l'espace rural, pour lequel il semblerait que nous ne disposions pas des crédits nécessaires.
Je conclurai en disant simplement qu'il convient de redonner confiance aux agriculteurs. Il faut qu'ils croient en leur métier, car, comme on le dit, l'agriculture, c'est un beau métier, mais ce n'est pas toujours un bon métier parce qu'il n'apporte pas toujours à ceux qui l'exercent le bénéfice du travail qu'ils font. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'organisation de ce débat avant le vote du budget de l'agriculture et l'examen du projet de loi d'orientation nous permet d'approfondir un certain nombre de points qui font l'actualité agricole.
Tout d'abord, il m'appartient, monsieur le ministre, comme l'ont fait nombre de mes collègues, de vous féliciter de votre action pendant ces dix-huit mois à la tête du ministère, et ce dans un contexte budgétaire contraignant. Dans la crise de la viande bovine, vous avez été omniprésent.
M. Philippe de Bourgoing. Effectivement !
M. Gérard César. En tant que sénateur, je souligne que nous avons reçu régulièrement des informations qui nous ont permis de communiquer avec les professionnels. Mais vous avez surtout obtenu de Bruxelles et de Bercy les aides financières indispensables pour nos éleveurs et, dernièrement, grâce à votre persévérance, 773 millions de francs de l'Union européenne. Cet effort significatif reste, pourtant, insuffisant pour les éleveurs, plus particulièrement pour les jeunes qui se sont installés récemment, lesquels s'interrogent fortement sur leur avenir ! Faut-il rester ou partir ? Peut-on encore s'installer en tant qu'éleveur ?
Votre soutien leur est indispensable. A moyen terme, une grande campagne promotionnelle de la filière est obligatoire pour relancer la consommation de la viande bovine.
Cette campagne doit être fondée sur les produits de qualité, en provenance du terroir, avec des labels et des indications géographiques protégées, car les prix n'ont pas diminué, pas même chez le boucher du coin ! Ce message fort doit s'appuyer, contrairement à l'attitude de Bruxelles et du ministre de l'agriculture britannique, sur une communication scientifique sans faille qui permette au consommateur de trouver plaisir et santé en consommant de la viande bovine et en apporte une garantie d'avenir aux éleveurs.
Mon collègue M. Roger Rigaudière, sénateur du Cantal, développera plus longuement les aspects relatifs à la viande bovine.
Lors de votre audition devant la commission des affaires économiques et le jour du vote du budget de votre ministère, à l'Assemblée nationale, vous avez apporté des réponses à un certain nombre de questions qui nous préoccupaient. D'abord, vous avez accepté d'abonder de 100 millions de francs le FGER. Comme les crédits pour 1996, à savoir 483 millions de francs, n'ont pas été utilisés, ils feront l'objet d'un report sur 1997 pour un montant de l'ordre de 100 à 150 millions de francs. Le FGER verra ainsi ses ressources augmenter, ce qui lui permettra de financer les actions les plus intéressantes et sans doute plus ciblées.
Ensuite, 20 millions de francs supplémentaires ont été inscrits au titre de la prime d'orientation agricole. Selon moi, cette prime devrait être réservée aux petites entreprises de l'agroalimentaire, de préférence aux coopératives, qui contribuent à maintenir le tissu rural. Les grands groupes peuvent se passer de ces aides, partant du principe qu'il vaut mieux privilégier ceux qui en ont le plus besoin, en particulier en période d'austérité.
Enfin, s'agissant du dispositif de préretraite agricole, vous avez accepté, à l'Assemblée nationale, de ne pas le modifier jusqu'à son terme, à savoir le 15 octobre 1997, prévu par la loi de modernisation de l'agriculture, adoptée en 1995. Nous vous savons gré de cette décision, car la mesure initialement proposée aurait eu pour conséquence malheureuse de retarder l'installation de jeunes agriculteurs, indispensable au renouvellement des agriculteurs âgés.
Dans le cadre du partage du temps imparti à mon groupe, l'autre point important que je veux aborder est le schéma de réorganisation des services déconcentrés de l'Etat et plus particulièrement le rapprochement DDAF-DDE.
Ce projet de rapprochement résulte du rapport sur la déconcentration et la réorganisation de l'administration, qui a conclu à la nécessité d'un « rapprochement fonctionnel » entre les services déconcentrés. Il s'agit d'explorer les possibilités de coopération dans des domaines de compétences communs ou complémentaires. Parmi les termes retenus, on peut citer la gestion et le contrôle de la qualité des eaux, la planification et l'utilisation de l'espace, la prévention des risques naturels et le développement local.
Sans être frileux ni conservateur, il est bon de vérifier l'étude de faisabilité confiée par M. Perben aux préfets de région, d'assurer les expérimentations locales qui doivent être réalistes pour le futur.
Il paraît difficile, dans les grands départements géographiques ou très peuplés, d'envisager de regrouper la DDAF et la DDE en une direction unique, qui traiterait de l'ensemble des prérogatives qu'elles exercent.
Il est intéresssant d'étudier, dans les départements moins peuplés, ou très urbains, ou très ruraux, des simulations à titre expérimental. Rappelons-nous la loi de décentralisation de 1983, qui a confié aux départements un certain nombre de compétences. Souvenons-nous des transferts limités de personnels faits à l'époque par les DDAF ou les DDE vers les conseils généraux.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Certains départements ont énormément recruté et emploient plus de collaborateurs que la DDAF, laquelle a pourtant une mission plus large. Il est nécessaire de rappeler que la complexité des problèmes du développement rural rend indispensable le partenariat entre les collectivités territoriales et l'Etat. Il convient donc de clarifier à nouveau les compétences et de donner aux services de l'Etat les moyens de le représenter sans aucun complexe, donc de les rendre capables d'exercer correctement leurs missions régaliennes.
Il y va de la place de l'Etat dans notre monde de demain.
En ce qui concerne le rapprochement DDE-DDAF sur des problèmes très précis, évitons les chevauchements et utilisons les compétences, les contacts établis entre les uns et les autres, dans l'intérêt des agriculteurs et du monde rural.
S'agissant des directeurs régionaux qui exerceraient simultanément les fonctions de directeur départemental du chef-lieu de leur région, je ne suis pas sûr qu'ils puissent occuper les deux fonctions, surtout lorsque le département est important au point de vue agricole, sans courir le risque évident de manquer d'efficacité. De plus, quel serait l'avantage ?
En dehors du domaine de l'eau, dans lequel des missions interservices ont été mises en place sur l'initiative des préfets et dont le pilotage est assuré dans 85 % des cas par un chef de service ou le directeur de la DDAF, et en matière d'ingénierie où on peut estimer qu'une réponse unifiée de l'Etat est intéressante, j'estime que les compétences partagées entre DDE et DDAF doivent faire l'objet d'options locales à étudier cas par cas, et ce très sérieusement.
La psychologie des acteurs locaux, les partenariats habituels sont la base d'une bonne réussite, par exemple pour l'eau potable, l'assainissement, les déchets ménagers, toujours en utilisant les compétences qui sont grandes dans nos DDE et de nos DDAF.
La nécessité s'impose à tous de mener une réflexion approfondie dans chaque département. En attendant, il est urgent de ne rien faire ! Vous avez bien compris, monsieur le ministre, mon hostilité totale à ce projet.
Enfin, pour conclure mon propos, j'aborderai très brièvement un problème qui concerne toutes les régions et plus particulièrement mon département, la Gironde, qui est un département semi-urbain - semi-rural.
Sous l'égide de la chambre d'agriculture, a été signé, entre l'agence de bassin et la DDAF, un protocole relatif au traitement progressif des effluents viticoles, qui ne pose a priori qu'un problème : celui de l'épandage de cette matière organique avec le choix des terrains.
Plus grave est le problème des boues des stations d'épuration urbaines. A cause de leur composition incluant des métaux lourds, les conserveurs refusent de passer des contrats avec les agriculteurs pour les légumes provenant de leurs champs.
M. Paul Raoult. Très juste !
M. Gérard César. Les viticulteurs, les forestiers, les maïsiculteurs ne veulent pas ces boues. Que faut-il faire ? Les incinérer ? Cela paraît une certitude !
La mission de valorisation agricole des déchets - MVAD - est à un « stade clinique dépassé ». L'agriculture ne doit pas et ne veut pas être le dépotoir de l'urbanisation excessive. Elle veut continuer à préserver notre patrimoine, qui s'appelle l'espace rural et que nous voulons léguer en excellent état à nos enfants. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je souhaite tout d'abord attirer votre attention sur la situation de la viticulture, sujet qui, sauf erreur de ma part, n'a pas encore été évoqué.
Comme vous le savez, le secteur viti-vinicole représente un chiffre d'affaires de plus de 65 milliards de francs, dont 22,5 milliards de francs à l'exportation sur l'ensemble des filières.
Participent à ces filières 450 000 viticulteurs, 1 000 coopératives, 1 200 entreprises de négoce, 75 000 salariés directs et 300 000 emplois induits. C'est dire l'importance de cette activité sur le plan tant économique que social.
Pourtant - force est de le constater - le climat dans ce secteur n'est actuellement pas des meilleurs.
Quel est le constat ? Au niveau communautaire, la récolte est évaluée à 170 millions d'hectolitres, soit 21 millions d'hectolitres de plus qu'en 1995.
En revanche, en France, la situation dans le secteur « vin de table - vin de pays » est équilibrée : la hausse par rapport aux récoltes précédentes déjà très faibles est peu importante et le niveau des stocks est très bas. Dans ces conditions, le marché ne devrait pas craindre de variations sensibles.
Pourtant - je le répète encore - l'ambiance n'est pas des meilleures dans nos régions, notamment en Languedoc-Roussillon, où l'on note un tassement des cours préoccupant et une situation d'attente du marché, orienté à la baisse.
Certes, une distillation préventive vient d'être décidée à l'échelon européen, grâce à laquelle les viticulteurs seront rémunérés à hauteur de 16,7 francs le degré hecto ; mais cette mesure sera sans effet chez nous. Il est donc primordial que nos producteurs n'ayant pas atteint le seuil des 90 hectolitres à l'hectare puissent bénéficier d'un complément national à cette distillation préventive. Cette contribution de l'Etat français, qui a déjà été consentie par le passé, me paraît indispensable pour orienter un marché atone.
Comptez-vous aller dans ce sens, monsieur le ministre ? Il s'agit là d'une demande forte de la profession, qu'il est d'autant plus nécessaire de prendre en compte que le marché des vins de table est en quelque sorte tiré vers le bas en raison de pratiques pour le moins condamnables dans certaines régions françaises. Que penser en effet du déclassement, dans l'une de ces régions, de plus de 200 000 hectolitres de vin d'appellation d'origine contrôlée, enrichis évidemment au saccharose et finalement écoulés sur le marché des vins de table au prix de vingt francs le degré hecto, soit huit francs au-dessous de la moyenne de septembre en Languedoc-Roussillon ?
Que penser également du comportement de certains producteurs de vin blanc qui, en d'autres lieux, n'ont pas recouru à la distillation préventive décidée en août et qui ont de ce fait complètement déstabilisé le marché des vins blancs ?
Bref, le tassement des cours, l'atonie du marché et des pratiques inadmissibles constatées dans certaines régions ne sont pas sans provoquer de sérieux remous chez les viticulteurs. Sachez-le, monsieur le ministre, afin de prendre les mesures qui s'imposent.
Par ailleurs, nos producteurs ont mal vécu l'assujettissement des caves coopératives à la contribution sociale de solidarité des sociétés, la CSSS. Il s'agit là d'un précédent très fâcheux en matière de fiscalité des caves coopératives, et je ne regrette pas d'avoir provoqué un débat en décembre dernier en déposant, avec mon groupe, des amendements de suppression de la CSSS.
Le régime fiscal jusqu'à présent reconnu aux coopératives constitue la contrepartie de leurs obligations et de leur spécificité. Ce sont des sociétés d'hommes et non des sociétés de capitaux. Ces coopératives sont de formidables outils de développement collectif, exemplaires au niveau de la démocratie économique. Ils constituent bel et bien la base de l'économie sociale et remplissent à merveille un rôle socio-économique remarquable, en assurant le maintien du plus grand nombre de viticulteurs à plein temps ou à temps partiel. C'est dire combien il importe de ne modifier ni le statut des coopératives, ni leur spécificité, ni leur fiscalité. Sur ce point, les propos de M. Arthuis, ministre de l'économie et des finances, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 1996, avaient été jugés très inquiétants dans nos régions.
Monsieur le ministre, je vous avais entretenu ici même, le 28 mai 1996, d'un autre dossier important : je veux parler de la réforme de l'organisation commune du marché du vin, que certains appellent, sans rire, l'Arlésienne. Sachez, que le déroulement relativement satisfaisant des précédentes campagnes ne modifie en rien l'urgente nécessité de s'orienter vers une réforme de l'OCM dans les délais les plus brefs. Est-ce là votre intention, et pourquoi le retard est-il tel au niveau des instances européennes ?
Par ailleurs, nous avons noté les dispositions transitoires du Conseil des ministres et de l'Union européenne concernant le régime d'arrachage et l'autorisation de plantations nouvelles.
Si, en Languedoc-Roussillon, la profession viticole se félicite de la fin de l'arrachage primé avec abandon définitif, mesure ô combien dévastatrice pour notre région, elle s'insurge en revanche contre la diminution, de l'ordre de 400 millions de francs du budget européen, au titre du FEOGA.
J'avais demandé le 28 mai dernier, ici même, que, parallèlement aux dispositions limitant l'arrachage, soient mises en place des mesures d'accompagnement socio-structurelles financées sur des enveloppes budgétaires importantes allouées à la viticulture.
La nécessité de telles dispositions paraissait d'autant plus évidente que, au-delà du problème structurel qu'il constitue, l'arrachage était devenu une mesure sociale, une sorte de complément de retraite à des pensions notoirement insuffisantes.
Il convenait donc que les crédits dégagés du fait de la limitation de l'arrachage soient consacrés à l'aspect social que je viens d'évoquer et à des mesures positives et dynamiques. Je pensais notamment à un volet social permettant aux viticulteurs âgés de quitter leur métier dans de meilleures conditions avec, par exemple, l'instauration d'une aide à la transmission de l'exploitation et à l'installation des jeunes.
Or, rien n'a été obtenu dans ce sens, et le désengagement supplémentaire de Bruxelles est d'autant plus inacceptable que le budget viticole était déjà minime par rapport à d'autres productions.
Je rappellerai ici que la restructuration du vignoble est financée uniquement, depuis quelques années, par l'Etat français. Il convient - j'y insiste - que soit rétabli dans les meilleurs délais le dispositif communautaire d'aide au réencépagement. Où en est-on sur ce point précis, monsieur le ministre ?
Je ferai une autre remarque, concernant la répartition des droits de plantation et, plus généralement, du droit à produire. Sur ce point, la profession viticole de mon département souhaite en préalable que la possibilité de transfert entre régions soit supprimée, afin d'éviter « que notre potentiel de production ne soit davantage pillé ».
J'en viens à une dernière remarque : à toutes fins utiles, gardons-nous d'envisager tout transfert des droits de circulation vers le financement de la sécurité sociale, car cela modifierait totalement le fondement de ces droits, leur donnant un caractère d'accise, alors qu'ils ont été établis pour permettre à l'administration d'effectuer des contrôles statistiques.
Je souhaite terminer mon propos en évoquant le dossier du blé dur. Les régions méditerranéennes sont également des régions traditionnelles pour la culture de cette céréale. Le département de l'Aude est même devenu le premier département producteur de blé dur en France, avec 45 000 hectares.
Aujourd'hui, l'Union européenne propose une modification du règlement communautaire. Il y est fait état de l'instauration d'une surface maximale garantie pour chaque pays producteur. Or, la survie économique des céréaliers des départements concernés dépendra de la manière dont, dans notre pays, cette surface maximale garantie sera gérée et répartie.
Il importe donc d'assurer aux zones traditionnelles de production une surface maximale garantie égale aux droits à produire historiques, c'est-à-dire 230 000 hectares. Une telle position permettrait le maintien de ce type de culture dans des zones à faible potentiel de production mais à qualité de production élevée, et permettrait, par là même, de pérenniser les exploitations et l'occupation de l'espace dans les zones difficiles. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures.)