M. le président. « Art. 2. - L'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications est ainsi rédigé :
« Art. L. 32-1 . - I. - Dans les conditions prévues par les dispositions du présent code :
« 1° Les activités de télécommunications s'exercent librement, dans le respect des autorisations et déclarations prévues au chapitre II, qui sont délivrées ou vérifiées dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées aux objectifs pousuivis ;
« 2° Le maintien et le développement du service public des télécommunications défini au chapitre III, qui comprend notamment le droit de chacun au bénéfice du service universel des télécommunications, sont garantis ;
« 3° La fonction de régulation du secteur des télécommunications est indépendante de l'exploitation des réseaux et de la fourniture des services de télécommunications. Elle est exercée au nom de l'Etat dans les conditions prévues au chapitre IV par le ministre chargé des télécommunications et par l'Autorité de régulation des télécommunications.
« II. - Le ministre chargé des télécommunications et l'Autorité de régulation des télécommunications veillent, dans le cadre de leurs attributions respectives :
« 1° A la fourniture et au financement de l'ensemble des composantes du service public des télécommunications ;
« 2° A l'exercice, entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de télécommunications, d'une concurrence effective, loyale et bénéfique aux utilisateurs ;
« 3° Au développement de l'emploi, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des télécommunications ;
« 4° A la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;
« 5° Au respect par les opérateurs de télécommunications du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis ;
« 6° Au respect, par les exploitants de réseaux et les fournisseurs de services de télécommunications, des obligations de défense et de sécurité publique. »
Sur cet article, la parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'article 1er qui tendait à modifier certaines définitions sur lesquelles s'appuie la réglementation, nous entrons, avec l'article 2, au coeur du dispositif de déréglementation que nous propose le Gouvernement.
En effet, l'article 2 tend à fixer le cadre général en modifiant de fond en comble l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications.
Alors que dans son texte actuel l'article L. 32-1 affirme d'entrée l'autorité de l'Etat sur le secteur des télécommunications, ce qui signifie donc que c'est de l'autorité de l'Etat que procède l'ensemble de l'organisation du secteur, la nouvelle rédaction de l'article L. 32-1 opère un renversement total de cette logique, le principe premier étant désormais que « les activités de télécommunications s'exercent librement » même si c'est « dans le respect des autorisations et déclarations prévues au chapitre II ».
Certes, l'objectif de maintien et de développement du service public est ensuite affirmé dans le 2° de l'article L. 32-1, mais il est subordonné à la libéralisation des marchés ; on est ramené au « droit de chacun au service universel », c'est-à-dire à un service minimum pour tous, avec une domination de la logique privée sur les grands services modernes. En bonne logique libérale, l'intervention de l'autorité publique est réduite au rôle de simple régulateur du marché.
C'est la définition de cette régulation qui est prévue par le 3° du nouvel article L. 32-1 ; il prévoit que cette activité de régulation soit confiée non seulement au ministre chargé des télécommunications, mais, aussi, et c'est la nouveauté, à une « autorité de régulation des télécommunications », l'ART.
Cette autorité qui, malgré ce qui a été affirmé, ne sera ni indépendante ni transparente, ne défendra ni l'intérêt national, ni celui des consommateurs, mais celui des opérateurs, en particulier privé.
Composé de trois personnes nommées de manière irrévocable par le Gouvernement, cette autorité, entièrement indépendante de la puissance publique, risque, dans un contexte de déréglementation généralisée, de pousser toujours plus loin le feu de la privatisation, de l'ouverture internationale et de la guerre économique.
S'agissant des télécommunications, on passe d'une maîtrise nationale du secteur, - en l'occurrence ce rôle est exercé par l'Etat - à une maîtrise par le marché.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen propose de supprimer l'article 2.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi bouleverse un équilibre datant des années soixante et consistant à pratiquer pour les abonnements et les communications locales un tarif minoré par rapport aux prix des communications interurbaines et internationales.
Cette péréquation sociale a permis à notre pays de rendre le téléphone réellement accessible à tous en un laps de temps très court, de rattraper le retard pris et de réaliser l'un des réseaux les plus modernes du monde.
La péréquation géographique, quant à elle, recoupe un tarif identique de l'abonnement quel que soit le lieu dans lequel il est souscrit et une même taxe de base quelle que soit la zone. Mais c'est surtout le même tarif pour une distance équivalente. Cette égalité de traitement des usagers constitue indéniablement un élément essentiel d'une politique d'aménagement du territoire permettant une véritable cohésion nationale.
Les chiffres sont là pour le prouver : l'abonnement et les communications locales représentent près de 90 p. 100 de la facture moyenne d'un abonné résidentiel ; le pourcentage des lignes numérisées est de 86 p. 100 en France, contre 75 p. 100 en Grande-Bretagne et 66 p. 100 aux Etats-Unis.
La privatisation envisagée et la libéralisation du secteur des télécommunications accéléreront la politique tarifaire commencée en 1994 et se traduiront incontestablement par une hausse de la dépense de téléphone pour les revenus modestes. Au-delà, l'accès aux nouvelles technologies de télécommunications sera réglé par des critères financiers, alors que l'on devrait, au contraire, essayer d'enrichir la péréquation sociale.
Votre projet de loi, en effet, en acceptant l'idée d'un service public découpé en trois niveaux, tourne le dos à cet objectif, qui tend à faire partager dans les meilleures conditions possibles, sans discrimination liée au revenu, les nouveaux moyens de communication, à offrir la possibilité au plus grand nombre d'accéder et de maîtriser les nouvelles technologies qui feront la communication de demain.
Il entérine la logique maastrichtienne qui privilégie le droit de la concurrence et néglige presque complètement la notion de service public.
De fait, le secteur des télécommunications, comme celui des services postaux ou celui des réseaux ferroviaires, est un exemple édifiant de la conception ultralibérale qui prévaut en matière de construction communautaire.
Alors que le traité de Rome excluait le secteur des télécommunications des compétences de la Communauté économique européenne, la Communauté s'est progressivement intéressée à ce domaine en se référant à l'objectif défini par l'Acte unique et visant à construire un grand marché intérieur.
Poursuivant ce processus, le traité signé à Maastricht le 7 février 1992 a donné compétence à la Communauté pour établir et développer les réseaux transeuropéens dans le secteur des télécommunications.
Dans le même temps, la Commission européenne s'est saisie du dossier de manière contestable et contestée. L'article 90-3 du même traité lui permet, en effet, d'adresser aux Etats membres des directives ou décisions afin de faire appliquer les règles communautaires en matière de concurrence.
C'est sur le fondement de cette prérogative législative qu'ont été prises les principales directives du secteur des télécommunications. C'est également l'article 90-3 que la Commission européenne envisage, à intervalles réguliers, d'appliquer afin de faire adopter les directives sur le marché intérieur de l'électricité et du gaz.
C'est pourquoi nous demandons au Gouvernement d'intervenir pour la suppression de cet article à l'occasion de la conférence intergouvernementale qui se déroule en ce moment. M. Borotra était d'ailleurs favorable à cette abrogation. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Dans ce cadre européen, comment la péréquation géographique, comme la péréquation sociale, sera-t-elle assurée alors que le texte que vous nous proposez stipule, en termes très vagues, qu'il faudrait « éviter une discrimination fondée sur la localisation géographique » et n'évoque que de façon très générale la nécessité et l'urgence de « l'accès de tous » en le fondant sur l'impératif vague de pratiquer un « prix abordable » permettant de résorber « les déséquilibres tarifaires au regard du fonctionnement réel du marché » ?
Cela signifiera concrètement - à plus ou moins long terme, monsieur le ministre, lorsque seront passés les effets de conquête du public - une augmentation des tarifs à la charge des ménages et des petits professionnels.
C'est cela que nous contestons, cette logique destructrice, porteuse d'inégalités et d'exclusion.
M. le président. Sur l'article 2, je suis saisi d'un certain nombre d'amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune ; mais, pour la clarté du débat, je les appellerai les uns après les autres.
Par amendement n° 84, MM. Billard, Leyzour, Minetti et Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer cet article.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement vise à la suppression d'un des principaux articles de ce texte qui prévoit et organise la déréglementation du secteur des télécommunications et met gravement en cause l'exercice des missions de services publics.
L'opérateur historique France Télécom serait ainsi privé de l'essentiel de ses capacités de développement et devrait non seulement permettre, mais également organiser l'utilisation de ses réseaux, qui, je le rappelle, ont été financés par les usagers et par les contribuables.
Contrairement aux affirmations du Gouvernement et de sa majorité, nous sommes bien confrontés à une entreprise de démembrement du service public à la française et de déstabilisation de l'entreprise publique qui devra, sous l'effet des dispositions, se replier sur les activités les moins rentables financièrement et renoncer, par conséquent, à toute politique audacieuse de développement.
Nous ne pouvons donc en aucune manière accepter le dispositif de cet article 2, qui sera préjudiciable tant à l'emploi qu'aux consommateurs de communications locales.
Rares sont en effet ceux de nos concitoyens qui ont à téléphoner pour leurs besoins personnels à New York, à Los Angeles, à Tokyo, ou, plus près de nous, à Londres, à Berlin ou à Stockholm.
Or ce sont précisément ces communications longues distances que l'on prétend vouloir favoriser le plus par ce texte, et ce au détriment des communications de proximité que nos compatriotes sont amenés à utiliser fréquemment pour téléphoner pour des raisons personnelles ou professionnelles.
Nous refusons une telle orientation.
C'est donc pour l'ensemble de ces raisons que nous demandons la suppression de l'article 2. (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Par amendement n° 85, MM. Billard, Leyzour, Minetti et Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le deuxième alinéa (1°) du paragraphe I du texte présenté par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement tend à supprimer le deuxième alinéa du paragraphe I du texte proposé pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications.
En effet, ce paragraphe introduit pour la première fois dans le texte du projet de loi le principe de déréglementation du secteur des télécommunications. Permettez-moi de citer l'alinéa dont nous proposons la suppression :
« Les activités de télécommunications s'exercent librement, dans le respect des autorisations et déclarations prévues au chapitre II, qui sont délivrées ou vérifiées dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées aux objectifs poursuivis. »
Cet alinéa pose donc le principe du libre exercice des activités de télécommunications. Il rappelle les principes imposés par les directives européennes.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe communiste républicain et citoyen s'oppose à un tel texte qui pose juridiquement le principe du libre exercice des activités de télécommunications pour les entreprises privées et entérine en fait la suppression du monopole de service public détenu par France Télécom.
Une telle disposition serait à terme lourde de conséquences pour les usagers, pour l'emploi et pour le développement des télécommunications dans notre pays.
Ce jugement se fonde notamment sur les conséquences de la privatisation des télécommunications dans d'autres pays.
Prenons, par exemple, le bilan de cette privatisation au Royaume-Uni : BT est aujourd'hui la plus grande société privée en Grande-Bretagne ; les énormes bénéfices réalisés le sont au profit beaucoup plus des directeurs et des actionnaires que des petits consommateurs.
Pendant que sir Jan Vallance, le président de la société, s'octroie, en 1995, un salaire astronomique de plusieurs millions de francs,...
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Guy Fischer. ... BT a supprimé des dizaines de milliers d'emplois.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Guy Fischer. Dans son rapport sur les services publics, l'ancien député Franck Borotra chiffrait d'ailleurs à 150 000 la perte d'emplois.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Guy Fischer. De 230 000 personnes employées en 1990, BT prévoit de n'en garder bientôt que 100 000 !
Des rapports internes de plusieurs années ont révélé une baisse du moral des salariés de l'entreprise.
Enfin, parmi les clients, ce sont essentiellement les grandes entreprises qui sont favorisées par le tarif.
La politique suivie par BT est en effet de faire payer davantage les sept millions d'abonnés qui ont le téléphone chez eux et d'accorder des rabais aux grands usagers.
Notons au passage que l'expérience de la concurrence est largement artificielle. Après plus de dix ans, BT possède environ 90 p. 100 de parts du marché. Voilà la vérité !
Mais, en fait, l'objectif prioritaire semble moins l'instauration d'une concurrence interne que l'internationalisation des opérateurs nationaux sur le modèle d'ATT démembré aux Etats-Unis, dont l'objectif est d'atteindre 50 p. 100 de son chiffre d'affaires à l'extérieur des Etats-Unis, ou de BT, qui vise 10 p. 100 du marché européen.
Il n'y a rien d'étonnant à constater que la Grande-Bretagne, une fois de plus, a servi de « cheval de Troie » à une politique dérégulatrice.
On a privatisé BT en même temps qu'ATT, mais c'est le Sud - l'Italie et l'Espagne - qui a accueilli ATT.
L'Europe va-t-elle devenir un champ de bataille entre opérateurs nationaux de télécommunications au bénéfice de pays comme les Etats-Unis ou le Japon qui ont dérégulé en fermant leurs marchés à la pénétration européenne ? Poser la question, c'est évidemment y répondre !
L'expérience britannique prouve, s'il en était besoin, combien est néfaste une ouverture à la concurrence d'un secteur qui exige au contraire une maîtrise publique, afin de répondre aux besoins de tous les citoyens.
C'est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, d'approuver cet amendement. (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Par amendement n° 140, Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Pastor et Saunier, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le deuxième alinéa (1°) du paragraphe I du texte présenté par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications, après le mot : « respect », d'insérer les mots : « des principes du service public et ».
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Cet amendement vise à rappeler que le principe du service public est de même valeur que celui de la libre concurrence.
Vous prétendez, monsieur le ministre, avoir voulu préserver le service public par ce projet de loi. Vous vous prévalez, si je vous ai bien entendu, du fait de l'avoir pour la première fois inscrit et défini dans un projet de loi. Le Gouvernement auquel vous appartenez entendait même, en décembre dernier, inscrire ce principe dans la Constitution, ainsi que dans le texte du traité sur l'Union européenne. L'amendement n° 140 devrait donc être adopté à l'unanimité par le Sénat ! (Sourires.)
M. le président. Par amendement n° 86, MM. Billard, Leyzour, Minetti et Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le troisième alinéa (2°) du paragraphe I du texte présenté par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications, de supprimer les mots : « défini au chapitre III, qui comprend notamment le droit de chacun au bénéfice du service universel des télécommunications, ».
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. L'article 2 du projet de loi vise à modifier le texte proposé pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications, qui définit le cadre général de la législation sur les télécommunications et les principes qui la sous-tendent.
Le texte tend ainsi à introduire une notion nouvelle dans le droit français, celle de « service universel ».
Permettez-moi, à propos du principe d'universalité, de faire la citation suivante, monsieur le ministre, mes chers collègues : « Il ne sert à rien de garantir une desserte universelle s'il y a éviction des usagers par les prix. Or, la commission entend manifestement remettre rapidement et totalement en cause la péréquation implicite entre les tarifs locaux et les tarifs longue distance.
« La commission souhaite notamment une augmentation très rapide et forte du coût des communications locales, afin d'accroître la concurrence, au détriment naturellement des consommateurs de base, qui ne passent pas majoritairement des appels internationaux. Les réactions hostiles à la dernière opération de "rééquilibrage" lancée par France Télécom en témoignent, si besoin était. La totale égalité entre la tarification et les coûts serait socialement encore plus douloureuse, puisque environ 60 p. 100 des ménages font perdre de l'argent à France Télécom ! »
Ce texte est extrait d'un paragraphe relatif au service public dans les télécommunications, dont le titre était pour le moins édifiant : en faisant référence aux propositions de directive de la Commission européenne, il parlait en effet de « l'accès de tous au téléphone menacé ».
Le paragraphe que j'ai lu est extrait d'un rapport d'information, éminemment intéressant, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 6 octobre 1995. Déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, son auteur n'était autre que l'actuel ministre de l'industrie, de La Poste et des télécommunications, M. Borotra, alors député.
Pouvez-vous m'expliquer, monsieur le ministre, en quoi le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui a levé les craintes et permettra d'éviter les graves dangers que vous évoquiez il y a moins d'un an ?
Je ferai une autre citation : « Si des adaptations sont impératives pour lutter contre l'exclusion sociale et territoriale, la société doit plus que jamais pouvoir s'appuyer sur des services publics qui répondent aux attentes des citoyens. Le service public, que certains estiment dépassé, est donc plus que jamais d'actualité. »
Partageant cette réflexion de M. Philippe Séguin, qui figure dans l'introduction du rapport précité,...
M. Gérard Braun. Très bonnes références !
M. Robert Pagès. ... nous proposons au Sénat de supprimer la référence à la notion britannique de « service universel ».
Cette notion, éminemment réductrice par rapport à la notion de service public, ne permettrait pas, si elle devait se substituer à la conception du service public « à la française », de garantir l'égalité de traitement des citoyens et la solidarité entre les différentes catégories d'usagers. Mais nous aurons l'occasion, au cours de l'examen de l'article 5 du projet de loi, de revenir sur ces questions essentielles.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, nous vous demandons d'adopter l'amendement n° 86, dont je ne doute pas qu'il aurait été voté, entre autres, par M. Borotra, à l'Assemblée nationale, et par la majorité des parlementaires membres de la délégation pour l'Union européenne en octobre dernier.
M. Gérard Braun. Nous sommes au Sénat, non à l'Assemblée nationale !
M. le président. Les deux amendements suivants sont présentés par Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Pastor et Saunier, les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 142 tend, dans l'avant-dernier alinéa (2°) du paragraphe I du texte proposé par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications, à supprimer les mots : « , qui comprend notamment le droit de chacun au bénéfice du service universel des télécommunications, ».
L'amendement n° 141 vise à insérer, après le troisième alinéa (2°) du paragraphe I du texte proposé par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications, un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Les droits des usagers sont garantis par l'accès à un abonnement de prix abordable, soumis à une péréquation en fonction de la situation sociale des usagers et dont l'augmentation suit l'évolution du pouvoir d'achat des ménages, la fourniture à un prix abordable de factures détaillées et l'obligation pour l'opérateur, en cas de non-paiement des factures de téléphone, de proposer avant toute interruption de fourniture une réduction des services offerts. »
La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre ces deux amendements.
Mme Danièle Pourtaud. L'amendement n° 142 a pour objet d'affirmer que la notion de service public se suffit à elle-même et ne nécessite nulle référence à un autre concept emprunté au droit européen, c'est-à-dire le service universel.
Quant à l'amendement n° 141, il donne sa juste place aux droits de l'usager. En effet, dans les termes où elle est proposée, la réforme de la réglementation des télécommunications ne fait aucune place à l'usager, alors que c'est en dernier ressort pour le bénéfice de ce dernier qu'elle doit être conçue.
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° 87, est présenté par MM. Billard, Leyzour, Minetti et Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Le second, n° 143, est déposé par Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Pastor et Saunier, les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent, dans la seconde phrase du dernier alinéa (3°) du paragraphe I du texte proposé par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications, à supprimer les mots : « et par l'Autorité de régulation des télécommunications ».
La parole est à Mme Luc, pour défendre l'amendement n° 87.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte proposé pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications nous permet d'appréhender l'existence d'une nouvelle instance de régulation, dénommée « autorité de régulation des télécommunications ».
A l'instar du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour les services de communication audiovisuelle, cette autorité serait donc en charge de faire respecter, pour le compte de l'Etat, les règles déontologiques en vigueur de par la loi et le code pour ce qui concerne les prestations de services de télécommunications.
Il arrive très souvent, s'agissant notamment des projets de loi les plus sensibles, que le Gouvernement estime nécessaire la création d'une instance de régulation afin de faire respecter des règles qui, dans les faits, sont amenées à être profondément modifiées au regard des dispositions existantes.
Pour autant, cette abondance croissante d'autorités de régulation pose un certain nombre de questions de fond.
La première, et non la moindre, est celle qui est posée par le principe même de l'existence d'une telle autorité, conseil supérieur ou je ne sais quel comité ou haut comité.
A chaque fois, l'Etat se dessaisit sur un organisme non élu, dont les membres sont non pas investis par le suffrage universel mais seulement désignés par les représentants de la nation, d'une part de ses responsablités.
En fait, ce processus ces réduit le pouvoir même des élus de la nation, étant entendu, par exemple, que les assemblées parlementaires n'ont pas d'autres droits, en matière d'instance de régulation, que de voir leurs présidents respectifs désigner une partie des membres de telle ou telle institution nouvelle.
En réalité, l'indépendance de cet organisme n'est qu'apparente.
La deuxième question posée par la création d'une telle autorité est celle de la régulation.
A la limite, on peut se demander pourquoi on a pu vivre, dans notre pays, depuis tant d'années, avec une administration des postes et télécommunications placée, d'abord, sous tutelle directe du Gouvernement, puis, depuis 1990, mise en situation d'exploitant public, sans que cela ne légitime la mise en place de la moindre autorité de régulation.
Et si cette situation provenait tout simplement du fait que France Télécom n'a rien fait d'autre, dans le passé, que de répondre aux exigences de la politique nationale de développement des infrastructures de communication ! Elle l'a d'ailleurs accompli dans un contexte financier particulier, à savoir le versement quasi intégral, dans un premier temps, des résultats d'exploitation au budget général de l'Etat, puis, depuis 1994, au travers d'une contribution à l'équilibre de ce budget particulièrement significative au titre de l'impôt sur les sociétés, de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la taxe professionnelle.
L'instance de régulation avait-elle une raison d'être lorsque, l'espace de deux secondes, un beau jour d'octobre 1986, France Télécom fut capable de procéder, de par son avance technologique, à la renumérotation de l'ensemble des lignes existantes par modification des zones de tarification ?
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Hélène Luc. Les citoyens sont-ils si peu satisfaits de la mission de service public accomplie par France Télécom qu'il y aurait matière à leur proposer la mise en place d'une autorité de contrôle susceptible de recevoir leurs doléances ? Cela n'est pas du tout notre avis, monsieur le ministre, et c'est pourquoi nous sommes contre.
La vraie question, c'est que le fait d'édicter de nouvelles règles en matière de télécommunications aura comme conséquence principale de les voir régulièrement transgressées par ceux qui guettent depuis de longues années le juteux et prometteur marché des télécommunications.
Il y a, en ce domaine, de l'argent à faire prospérer, et même beaucoup d'argent, ce qui implique que l'on décide, en fait, de procéder d'une façon relativement simple.
Dans un premier temps, l'Etat définit des règles, aussi générales qu'apparemment précises.
Dans un deuxième temps, il confie à une autorité non élue le soin de les faire respecter et la responsabilité, par ailleurs, de choisir les acteurs du nouveau marché ouvert.
Dans un troisième temps, la guerre commerciale fait rage, à grands coups d'investissements publicitaires coûteux, de basses manoeuvres diverses et variées, qui n'éveillent en général que des remontrances bien senties de l'autorité de régulation, sans autre conséquence sur la poursuite de la compétition ouverte.
En général, le perdant, dans ces cas-là - on peut dire dans tous les cas - c'est le service rendu à la population, l'usager ou le citoyen ne devenant qu'un client ou un segment de la part de marché qu'il faut conquérir.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, il ne nous semble pas nécessaire de confier le devenir de notre secteur des télécommunications à une autorité non élue, confisquant le droit de décider en la matière aux représentants légitimes de notre peuple. C'est pourquoi nous vous demandons d'adopter notre amendement.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud, pour présenter l'amendement n° 143.
Mme Danièle Pourtaud. Le motif de cet amendement, qui a pour objet de manifester une préférence pour la notion de régulation d'Etat sur celle d'autorité de régulation indépendante dans les télécommunications, a été exprimé avec justesse comme l'a indiqué un de mes collègues, sous la plume de M. Franck Borotra, député, dans le rapport qu'il avait remis dans le cadre de la délégation à l'Union européenne de l'Assemblée nationale le 6 octobre 1995.
Le titre de ce rapport, à l'époque provocateur, aujourd'hui, hélas ! prophétique était : « Faut-il défendre le service public ? » M. Borotra y écrivait : « Le système des régulateurs est un concept anglo-saxon étranger à notre culture. » On ne saurait mieux dire !
Mais, plus précisément, l'article L. 32-1 dont nous traitons pose le principe de l'indépendance de la régulation du secteur des télécommunications.
Or, bien qu'il pose ce principe, le projet de loi ne permet pas de le faire respecter : la création de l'Autorité de régulation des télécommunications en fournit la preuve.
En effet, assurer l'indépendance, c'est satisfaire aux principes de neutralité, de transparence et d'égalité. Or ces trois principes ne sont pas respectés. Il s'agit d'une fausse neutralité, puisque les membres de l'autorité sont nommés par le Gouvernement et puisque ce ne seront pas des fonctionnaires qui, par définition, sont tenus au respect de ce principe, qui en seront membres.
On constate également une absence de transparence, car les avis de l'Autorité de régulation des télécommunications sont rarement rendus publics.
Enfin, le principe d'égalité n'est pas observé, puisque l'objet de ce projet de loi est non pas de garantir un service public des télécommunications performant pour tous, mais de faire entrer sur ce marché de nouveaux opérateurs.
Neutralité, transparence, égalité, autant de principes dont la défense relève par essence, à nos yeux, des missions de l'Etat, mais que malheureusement il n'assurera plus. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Par amendement n° 88, MM. Billard, Leyzour, Minetti, Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du paragraphe II du texte présenté par l'article 2 pour l'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications :
« II. - Le ministre chargé des télécommunications veille : ».
La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Cet amendement tend à réserver au ministre chargé des télécommunications un certain nombre de fonctions qu'il ne doit pas partager avec une quelconque autre autorité.
L'article L. 32-1 du code des postes et télécommunications dipose, dans la rédaction actuelle de son paragraphe II : « Le ministre chargé des télécommunications et l'Autorité de régulation des télécommunications veillent, dans le cadre de leurs attributions respectives :
« 1° A la fourniture et au financement de l'ensemble des composantes du service public des télécommunications ;
« 2° A l'exercice, entre les exploitants du réseau et les fournisseurs de services de télécommunications, d'une concurrence effective, loyale, et bénéfique aux utilisateurs ;
« 3° Au développement de l'emploi, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des télécommunications ;
« 4° A la définition des conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;
« 5° Au respect par les opérateurs de télécommunications du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis ;
« 6° Au respect, par les exploitants de réseaux et les fournisseurs de services de télécommunications, des obligations de défense et de sécurité publique. »
A y regarder de plus près, on en vient, en fait, à se poser une question de fond.
L'ensemble des missions et des principes définis par cet article a, en effet, de longue date et de manière permanente, été inscrit dans ce que l'on peut appeler le cahier des charges.
La démarche nationale de planification a, dans les faits, pleinement intégré, pour l'administration des postes et télécommunications, puis pour France Télécom, à compter de la réforme de 1990, les principes que prétend exposer l'article L. 32-1.
Le moins que l'on puisse dire est que l'objectif a été largement atteint, l'indice d'équipement des ménages étant désormais particulièrement élevé, tandis que l'on ne peut reprocher aux salariés de France Télécom de ne pas mettre en oeuvre l'ensemble de leurs compétences pour répondre, dans les délais les meilleurs, aux dysfonctionnements éventuels du réseau.
La meilleure preuve de ce processus ne nous est-elle pas fournie par la perspective très proche d'une nouvelle modification de la numérotation des abonnés, qui interviendra en fin d'année, et qui témoigne de la haute maîtrise technologique de l'exploitant public ?
A moins que l'un des objectifs de cette nouvelle numérotation ne soit d'offrir des lignes disponibles aux opérateurs du secteur privé habilités demain, par la loi, à intervenir sur les réseaux...
Tirons le fil jusqu'au bout et interrogeons-nous sur le fait que cette nouvelle numérotation ne soit qu'une « composante du service public de télécommunications » ou encore une condition de « l'exercice d'une concurrence effective, loyale et bénéfique aux utilisateurs » consistant à faire supporter au seul exploitant public la charge des investissements nécessaires à la mise en place de cette technologie nouvelle.
Nous ne le répéterons jamais assez : l'existence du monopole de France Télécom n'a jamais constitué un obstacle à l'innovation technologique et au développement de l'emploi.
La meilleure preuve en est fournie par le simple fait que France Télécom et, avant elle, l'administration des postes et télécommunications disposaient des moyens d'expérimentation des nouvelles technologies de par leur fonction sociale et économique même.
Sur les principes mêmes qui guident la rédaction de l'article L. 32-1, force est de constater que le projet de loi fait le choix du doublon.
Au pouvoir du ministre, ce qui est tout à fait concevable dans notre tradition nationale, s'ajoute celui de la nouvelle autorité prétendument indépendante qui va se nommer « autorité de régulation des télécommunications ».
Permettez-nous de nous interroger sur une autorité indépendante qui n'aura de compte à rendre à personne, et au premier chef aux salariés eux-mêmes du secteur des télécommunications ; elle pourra, au gré des changements de majorité politique, continuer de peser sur les choix nationaux susceptibles d'être effectués en matière de développement d'infrastructures de communication.
Depuis la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dont le rapporteur fut, pour une part, l'auteur, notre pays est doté d'un schéma national des télécommunications.
Ce schéma sera-t-il demain respecté par les opérateurs et sera-t-il opposable aux orientations fixées par tel ou tel opérateur dès lors que ses choix n'y répondront pas ?
En particulier, quel intérêt y aura-t-il pour un opérateur en téléphonie mobile à investir largement les zones rurales de notre pays ?
L'autorité de régulation des télécommunications ira-t-elle jusqu'à suspendre l'activité d'un opérateur s'il manque gravement aux obligations de son cahier de charges ?
Mais, surtout, pourquoi une autorité dite indépendante de plus ?
Et que fait-on de la simple consultation des premiers intéressés, personnels ou usagers ?
C'est la raison pour laquelle, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. Mes chers collègues, étant encore saisis de plusieurs amendements sur l'article 2, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)