ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'UNIVERSITÉ

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les états généraux de l'université.
La parole est à M. le ministre. M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est au Sénat que s'achève la phase préparatoire des états généraux de l'université. Rien n'est plus conforme à nos institutions que de voir le Sénat, assemblée du long terme, intervenir en clé de voûte d'un grand débat national.
C'est pourquoi, d'emblée, je remercie les sénateurs de leur participation à ce débat. Je veux également remercier M. Monory d'avoir tenu à le présider personnellement, lui dont je n'oublie pas qu'il eut, deux années durant, la charge de ce si difficile dossier.
Dossier difficile, en effet : s'il est une seule certitude touchant à l'éducation en général et à l'université en particulier, c'est celle-là. Gouvernement après gouvernement, majorité après majorité, alternance après alternance, la France a découvert qu'elle ne savait pas répondre aux questions de son enseignement supérieur. Election après élection, sitôt proclamés le désir ardent et l'impérieuse nécessité de réforme universitaire, la politique universitaire retrouvait une ornière creusée par plusieurs décennies d'échecs politiques successifs. Sitôt présenté le projet de réforme, ou son idée seulement - parfois son fantasme suffisait - un mouvement étudiant se formait pour le contester ; le projet de réforme était retiré, et les problèmes de l'université retrouvaient leur calendrier habituel, celui des calendes grecques !
Je n'ai pas l'intention d'être animé, à cette tribune, d'un esprit partisan. Il est vrai qu'il y a eu des périodes plus fastes sur le plan budgétaire. Il faut en rendre hommage à ceux qui ont su conduire cet effort, et, pour ma part, je ne discuterai pas cet hommage qu'il convient de leur rendre.
Des moyens ont été accordés, mais les problèmes des étudiants et de l'université n'ont pas trouvé de réponse susceptible de rassurer les intéressés et la nation dans son ensemble. Au contraire, la succession des crises a braqué le projecteur sur un Himalaya de difficultés qui ont fini par donner l'impression qu'il y avait là, pour la société française, un lieu de résignation et d'incapacité politique.
Cette impression est désastreuse. Elle l'est pour ceux, universitaires et personnels, qui font vivre notre enseignement supérieur. Elle l'est aussi pour les étudiants, spécialement pour ceux qui font le choix de la formation universitaire et qui sont victimes de cette mauvaise image en même temps qu'ils souffrent des difficultés d'organisation et d'accueil constatées dans notre système d'enseignement supérieur.
C'est pourquoi il n'était pas imaginable de laisser cette question sans réponse. Dès que M. le Premier ministre, il y a un an exactement, m'a confié la responsabilité de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment nous avons examiné ensemble le calendrier de l'action indispensable en ce domaine. C'est ainsi que, dans son discours de politique générale, M. Alain Juppé a indiqué que le Gouvernement était déterminé à agir vite dans les domaines touchant à l'enseignement supérieur, en particulier l'orientation et le premier cycle universitaire.
Agir vite, c'était, et c'est toujours agir avec méthode, tant le danger de confondre vitesse et précipitation s'est déjà révélé pernicieux. Ce n'est pas seulement une question de rythme. C'est une conception de l'action qui s'impose chaque fois que l'on touche à des sujets de société, à ceux qui font la trame de la vie de nos compatriotes, à ceux qui ont pour enjeu leur destin, à ceux dans lesquels ils placent leurs espoirs, pour eux et pour leurs enfants.
Ma conviction est que, dans ces domaines, les politiques ne détiennent pas de chèque en blanc. Un peuple à haut niveau de formation et d'information ne se gouverne pas par blanc-seing. Le débat ne sert pas seulement à l'information des gouvernants, il sert d'abord à former la décision.
D'une manière certaine, les citoyens doivent être partie prenante à l'orientation et à la décision. Ils ne sont pas des sujets, même d'une monarchie éclairée ; ils ont leur mot à dire avant que la décision ne se noue. C'est même la condition pour qu'ils comprennent la portée et le sens, pour qu'ils l'acceptent, ou acceptent, en tout cas, de la considérer comme fondée. Je crois que c'est ce que le général de Gaulle avait à l'esprit lorsqu'il fit de la participation, à la fin de sa vie publique, la pierre angulaire de sa conception de la société.
La participation est un mode de gouvernement encore à explorer, tant il comporte de remises en cause, dont la moindre n'est pas celle du temps médiatique, ce temps de la précipitation et de l'obsolescence immédiate des faits et de leurs causes. En effet, la construction d'une conscience commune, le mûrissement d'une volonté commune demandent que l'on respecte le temps qui commande aux décisions profondes. Les politiques devraient méditer l'organisation du panthéon grec, qui voyait le dieu Cronos dévorer ses enfants.
Si nous voulons retrouver l'équilibre et l'harmonie de nos sociétés et réconcilier celles-ci avec la démocratie, il importe que nous apprenions à maîtriser le temps, en sachant deviner ses logiques secrètes aussi bien que les plus apparentes.
Vaclav Havel l'a dit d'une autre manière, évoquant l'impatience de ceux qui croient que l'action publique peut porter ses fruits du jour au lendemain : « Ils sont comme ces enfants qui, pour faire pousser les arbres plus vite, leur tirent sur les feuilles. »
Il convenait donc de prendre le temps nécessaire, au moins une année universitaire, pour conduire ce projet à son terme. C'est pourquoi j'annonçais dès la rentrée de l'enseignement supérieur, le 21 octobre dernier, à Cergy, le projet de cette année de réforme et le plan de ces états généraux en trois phases : la phase des questions, celle de l'élaboration des principes qui commanderaient à la réforme et, enfin, celle de l'entrée en vigueur, nécessairement progressive, des décisions, des textes, des changements à prévoir et à construire. Nous sommes au terme de la deuxième phase : celle des principes.
Comme chacun s'en souvient, les mois de novembre et de décembre ont été marqués, dans les universités comme dans le pays tout entier, par une période de tension peu propice à la réflexion organisée. C'est donc en janvier que j'ai commencé à recevoir toutes les organisations rassemblant les acteurs de l'université et de l'enseignement supérieur, quelle que soit leur nature : syndicats d'universitaires ou d'étudiants, associations de parents d'élèves, conférences des présidents, des directeurs, mutuelles ou conseils nationaux de l'université.
Plus de cent rencontres approfondies ont ainsi été organisées, sans compter des dizaines de rencontres informelles avec les acteurs individuels.
Je n'ai bien entendu pas non plus négligé, comme c'était mon devoir, la consultation du Parlement, en particulier du Sénat ; elle s'est déroulée lors d'une réunion spéciale des commissions compétentes des assemblées.
Pendant cette période, la conférence des présidents d'université - instance légitime puisqu'elle est entièrement formée d'élus de l'ensemble des acteurs locaux - a été mon interlocuteur constant au long de débats souvent passionnés, dont je veux la remercier publiquement, comme je remercie les trois présidents successifs qui ont accepté la charge de l'animer.
A l'issue de cette première phase, il m'a semblé que les problèmes de l'université française pouvaient être résumés en dix questions principales. J'ai vérifié auprès de mes interlocuteurs que ces dix questions leur paraissaient pertinentes et qu'elles recouvraient toutes leurs interrogations. Nous avons publié ces questions en livre de poche : dix dossiers de réflexion pour dix questions, rappelant des faits établis, vérifiables par tous, ainsi que l'ensemble des interrogations de nos interlocuteurs. Ce livre de poche a été tiré à 500 000 exemplaires et distribué gratuitement dans les universités.
Le débat s'est ensuite organisé localement dans toutes les universités françaises. Les conseils se sont réunis, élargis le plus souvent à des forums de réflexion. On m'a dit que les étudiants de base n'avaient pas été assez nombreux à participer à ces forums. C'est sans doute vrai. Pour qui est-ce une surprise ? Surtout pas pour ceux qui, comme moi, considèrent que l'absence de participation des étudiants dans les universités depuis des décennies doit être considérée comme le véritable symptôme de la crise endémique que connaît l'université française.
Toutefois, j'ai été encouragé par les débats dans nombre d'universités et je n'ai pas été découragé par les difficultés rencontrées ailleurs. Les universitaires et les personnels IATOS - ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service - ont donné leur avis. C'est bien ! Les élus étudiants aussi. C'est donc un mouvement qui commence. Le jour viendra, si nous sommes assidus et de bonne foi, décidés à rechercher tous les moyens d'un engagement des étudiants dans l'université, où ces derniers vérifieront que leur avis est écouté sur des sujets qui les concernent au premier chef. Ce jour-là, la vie citoyenne sur les campus aura fait un pas décisif.
A ce jour, j'ai reçu, en réponse à cette consultation, la contribution écrite des trois quarts des universités françaises. Presque toutes les organisations nationales consultées m'ont adressé leurs réflexions. J'ai été invité - c'est une première - à participer aux bureaux nationaux de trois des principales organisations nationales d'étudiants, l'UNEF-ID, l'Union nationale des étudiants de France indépendante et démocratique, l'UNI, l'Union nationale interuniversitaire, et la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, qui m'ont présenté leurs travaux. Un débat a été organisé à la fin du mois de mai à l'Assemblée nationale, un débat a lieu aujourd'hui au Sénat.
Il reviendra au Gouvernement, dans quelques jours, de rassembler l'ensemble des attentes exprimées, de proposer les voies et les moyens, les principes qui organiseront cette réforme profonde et de longue haleine que les Français attendent.
Viendra, ensuite, le troisième acte : la mise en oeuvre. Je n'ai pas besoin de vous dire que cela ne se fera pas en un jour. Il faudra un calendrier d'application et une organisation méthodique pour conduire cette réforme jusqu'au détail de la réalité de son application, jusqu'au changement concret et perceptible par tous, évalué dans ses conséquences, défini par des textes et pris en compte dans l'organisation locale.
Je voudrais maintenant, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, reprendre devant vous les dix questions qui sont en résonance les unes avec les autres et qui décrivent l'ampleur de la tâche à accomplir.
Les deux premières questions sont commandées par l'observation, si souvent soulignée, de l'augmentation géométrique du nombre des étudiants au cours des dernières années.
Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'importance du nombre de nos étudiants. La plupart d'entre eux considèrent qu'il s'agit d'un phénomène irrépressible mais ils en regrettent l'ampleur, estimant qu'il eût été préférable qu'un certain nombre de ceux qui sont présents dans les universités eussent fait un autre choix. Tel n'est pas, selon moi, le bon angle d'approche.
Toutes les sociétés développées ont mis leur enseignement supérieur en question. Toutes observent que la demande d'éducation et de formation supérieure croît, et nombre d'entre elles concluent que, dans le contexte de très grande compétitivité où nous nous trouvons, ce sont les peuples les mieux formés qui seront le mieux armés pour remporter la bataille.
La question n'est donc pas tant celle du nombre des étudiants présents à l'université que celle du choix qu'ils ont fait et qui, le plus souvent, les place en situation de grande difficulté.
Ces jours derniers, malgré un effort d'information très important en direction des lycéens de terminale avant leur inscription dans l'enseignement supérieur - effort qui a donné des résultats satisfaisants à peu près pour toutes les voies de formation proposées - nous observons un effet de mode qui porte des dizaines de milliers de lycéens à choisir la voie de la formation en éducation physique et sportive. La vérité oblige à dire que ni les débouchés ni la place dans les universités n'existent pour ces jeunes qui croient trouver là un accomplissement pour leur future carrière.
Il est très important que nous sachions apporter aux jeunes des réponses concrètes, leur montrer de manière efficace, suffisamment tôt, où sont les voies de succès pour eux, où est leur intérêt. Il est très important que nous sachions, s'il le faut, établir des règles du jeu claires de façon que ces années de formation ne soient pas, pour la plupart d'entre eux, une impasse.
La question du nombre d'étudiants commande donc les deux questions qui ouvrent ce débat, c'est-à-dire celle de la transmission du savoir et celle de l'orientation.
J'examinerai d'abord la transmission du savoir.
C'est l'échec d'un très grand nombre d'étudiants, notamment dans le premier cycle, qui explique l'inquiétude d'une partie des observateurs et de nombreux jeunes inscrits à l'université. Dans certaines filières, cet échec s'élève à 60 p. 100, et on peut trouver jusqu'à moins de 20 p. 100 des étudiants qui obtiennent leur diplôme de premier cycle en deux ans. C'est là un sujet d'inquiétude réel pour nous tous.
Cette inquiétude touche en particulier aux questions de méthodologie. Elle commande l'élaboration d'un programme raisonné afin de montrer aux étudiants que l'édification du savoir n'est pas de même nature dans l'enseignement supérieur et dans le deuxième cycle. Il existe une différence profonde entre la démarche autonome qui doit être celle des étudiants et la démarche davantage assistée qui concerne les lycéens. Nous devons conduire les étudiants à cette adaptation. Aussi la charnière, l'articulation entre l'université et le lycée doit-elle faire l'objet de tous nos soins.
La question de la transmission du savoir va évidemment de pair avec celle de la conception même des diplômes de premier cycle. Quelle est leur vocation, quelle est leur architecture ? Quelles compétences souhaite-t-on que les étudiants acquièrent au cours de ces deux premières années ? Quelle est la relation entre les diplômes de premier cycle et les diplômes de deuxième et de troisième cycle ? Quelle est l'architecture de la certification dans l'université française ?
La deuxième question est celle de l'orientation. C'est là, bien sûr, que les débats sur la sélection ont pris place.
La sélection me semble un faux problème. L'idée selon laquelle nous aurions comme objectif d'interdire à un très grand nombre d'étudiants de tenter leur chance, alors qu'ils ont su faire la preuve au baccalauréat de leur capacité à atteindre la fin des études du lycée, est absurde.
Cette question ne peut pas être posée en termes d'exclusion. En revanche, elle doit l'être en termes d'éducation, de choix que le jeune doit faire...
Mme Hélène Luc. Et de réussite !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... pour s'inscrire à l'université. Cette politique d'orientation doit donc être conçue très en amont, au lycée, peut-être même au collège. Elle doit commander l'organisation du premier cycle, de manière qu'il y ait là un continuum permettant de répondre clairement aux questions que se posent les étudiants, et que ceux-ci puissent exercer leur liberté de manière responsable.
Cette politique d'orientation est naturellement la condition même de la réforme que nous avons à construire pour notre université. J'ai été très heureux de constater, à l'Assemblée nationale - je serais très heureux si c'était également le cas aujourd'hui au Sénat - que tous les groupes se sont exprimés dans le même sens, classant, d'une certaine manière, au nombre des débats du passé, ceux qui ont tellement agité la société universitaire française et l'opinion publique sur ces sujets.
C'est un très grand pas en avant que toutes les sensibilités aient pu se rencontrer pour observer, les unes que l'exclusion n'était plus à l'ordre du jour, qu'elle n'était pas possible et qu'elle n'était pas souhaitable, les autres qu'il convenait, en effet, de traiter ce problème d'éducation pour que les choix prononcés par l'étudiant soient en cohérence avec son intérêt propre.
La troisième question, très vaste, a trait au statut des étudiants à l'université.
Je veux rappeler devant vous - je l'ai dit à l'Assemblée nationale - que je ne prends pas le mot « statut » au sens de protection contre tous les risques de la vie. Il ne s'agit pas de placer les étudiants dans une situation de fonctionnaire avant l'heure. Ce serait d'ailleurs une très grande et très profonde injustice à l'égard de ceux qui, n'étant pas à l'université, se trouveraient eux-mêmes dans une situation d'exclusion par rapport à des avantages dont les étudiants bénéficieraient.
En revanche, se pose la question de l'équité et de l'efficacité des aides que nous apportons.
Une observation simple de la distribution de ces aides permet de conclure qu'il existe deux catégories d'étudiants qui sont particulièrement aidés par la nation : d'une part, les étudiants issus des milieux les moins favorisés, les plus pauvres, d'autre part, les étudiants issus des milieux les plus favorisés, les plus riches. On aide autant les plus riches que les plus pauvres, ce qui constitue naturellement une injustice.
En théorie, on pourrait défendre l'idée - certains l'ont défendue par le passé, mais telle n'est pas ma position - qu'il faut aider également l'ensemble des étudiants, que l'Etat n'a pas à juger de leur position d'origine. Ce n'est pas, je le répète, mon avis, et même je ne crois pas qu'il s'agisse d'une position de bon sens. Mais, à la limite, on pourrait défendre cette idée.
Toutefois, aider de façon préférentielle les plus pauvres et les plus riches, et non pas ceux qui se trouvent entre les deux, entraîne une situation d'injustice.
Il convient de réfléchir non seulement à la question de l'équité des aides que l'on apporte, mais également au canal par lequel ces aides sont accordées, à leur transparence et à leur efficacité.
Mais cette réflexion n'épuise pas celle qui concerne le statut de l'étudiant. En effet, la place, la reconnaissance due aux étudiants au sein de l'université et de la société française dépasse de beaucoup la simple question des aides sociales.
Il y a une réflexion à conduire sur la participation des étudiants, il y a une réflexion à conduire sur les aspects pédagogiques, il y a une réflexion à conduire, sur la vie des campus, sur la manière dont ils sont animés, enfin, il y a une réflexion à conduire sur l'accueil et le rôle qui sont réservés aux étudiants à leur sortie de l'université.
Je suis de ceux qui croient que l'on peut imaginer une nouvelle distribution des rôles et une tout autre reconnaissance de l'étudiant au sein de la société française.
La quatrième question concerne l'équilibre entre les filières que l'université propose aux étudiants.
Un vieil héritage de l'histoire intellectuelle française nous a conduits à privilégier, au travers du temps, les voies de formation les plus intellectuelles et les plus abstraites, et nous avons considéré que le seul savoir intellectuel suffisait à épuiser l'ensemble des préoccupations de la société française. En raison de cette espèce d'esprit de caste, la France a négligé les sujets d'application pratique et la filière technologique. Elle n'a pas su construire des voies de formation susceptibles de montrer aux lycéens et aux familles qu'on pouvait autant valoriser les aptitudes au concret que les aptitudes à l'abstrait.
Aujourd'hui, il faut corriger ce défaut de notre système d'enseignement et essayer d'apporter une réponse nouvelle par la construction d'une voie technologie cohérente qui irait jusqu'au sommet des formations universitaires et qui pourrait présenter aux étudiants, de manière efficace, très tôt, la perspective d'une réalisation dans des domaines de connaissance et d'affirmation personnelle où, jusqu'alors, ils ne rencontraient pas le succès.
La cinquième question est celle de la voie professionnelle.
J'ai distingué la question de la filière technologique de celle de la voie professionnelle. C'est la première fois que cela est fait. Jusqu'à présent, en France, on disait communément « techniques professionnelles », comme si - c'est toujours ce vieil héritage d'un esprit de caste ! - l'impératif de professionnalisation ne s'adressait qu'à ceux qui ne pouvaient pas « suivre », comme l'on dit, dans les voies les plus abstraites.
Or l'observation de bon sens conduit, au contraire, à penser que l'exigence de formation professionnelle s'adresse à tous, et sans doute spécialement à ceux qui ont choisi les voies de formation les plus conceptuelles.
Je ne crois pas qu'il faille professionnaliser davantage en matière de mécanique appliquée que dans le domaine de la sociologie. C'est aux étudiants qui choisissent les filières les plus générales qu'il faut montrer et prouver, dès le début de leur entrée à l'université, qu'ils devront un jour rechercher la voie de la professionnalisation.
Cet impératif nouveau, qui n'était pas reconnu dans l'histoire de l'université parce qu'il semblait évident à tous que le diplôme valait emploi, doit aujourd'hui être mis au premier plan.
J'en viens à ma sixième question, la recherche universitaire.
Cette question, très importante, est souvent mal connue. Si l'on interrogeait la société française, au sens large - pour moi, la société française va de l'opinion publique à la direction du budget ! - sur les missions de l'université, bien évidemment, c'est la mission d'enseignement supérieur qu'elle placerait au premier plan. La mission de recherche est très largement ignorée par les décideurs.
Il convient de rappeler à cette tribune que, nulle part dans le monde, il n'y a d'université sans recherche...
M. Jean-Louis Carrère. Et il n'y a pas de recherche sans argent !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... et que tous les systèmes qui ont essayé de construire une université coupée de la recherche ont très largement échoué. Il n'y a pas de transmission du savoir sans création du savoir. Il n'y a pas de maintien d'un haut niveau de connnaissances sans mise à jour de ces connaissances. C'est pourquoi la recherche universitaire doit être présentée - c'est la loi, mais c'est également la réalité - comme l'une des missions majeures de notre organisation universitaire.
Cependant, il existe un problème spécifiquement français : nous avons fait le choix, voilà des décennies, de construire de grands organismes dont la recherche est la vocation unique. Ces organismes, qui, me semble-t-il, ont réussi dans leur ensemble, ont monopolisé la mission de recherche dans l'esprit de l'opinion publique.
Il y a donc un problème de réglage, toujours difficile à résoudre, entre l'organisation et la direction de la recherche dans les grands organismes, et l'organisation et la direction de la recherche au sein des universités. C'est cette question de l'organisation de la recherche universitaire, de ses relations avec les grands organismes, que nous avons voulu traiter ici.
La septième question, que je présenterai de manière succincte tant elle me paraît évidente, concerne l'ouverture internationale des universités.
Il n'y a pas d'université sans ouverture internationale, comme il n'y a pas d'université sans recherche. Il n'y a pas de recherche sans ouverture internationale et, désormais, il n'y aura plus de formation supérieure sans ouverture internationale.
C'est sur cette notion, sur cette exigence qu'il convient de s'interroger. Comment définir les principes qui assureront à tous les étudiants et à tous les universitaires l'ouverture internationale indispensable au rayonnement de leur université en même temps qu'à leur formation personnelle ?
La huitième question, celle des personnels, est, elle aussi, très difficile à traiter.
Je voudrais revenir au quiproquo que j'ai évoqué à l'occasion de la sixième question et qui portait sur la mission d'enseignement supérieur et la mission de recherche.
L'opinion publique dans son ensemble, depuis les décideurs majeurs jusqu'aux citoyens, confie à l'université une mission d'enseignement supérieur. Profondément surpris seraient les citoyens, ainsi que les décideurs majeurs, s'ils savaient que les carrières universitaires ne sont organisées que selon un seul critère d'évaluation, celui de la recherche.
Voilà donc une société moderne qui assigne une mission majeure à l'université, la mission pédagogique, et qui organise les carrières de ceux qui sont chargés de cette mission selon un seul critère, celui des publications des recherches.
Il y a là, me semble-t-il, des sources de dysfonctionnements majeurs qui expliquent que les universitaires les mieux disposés mais qui ont le désir légitime de faire carrière, formulent des choix quant à l'organisation de leur métier qui les conduisent, en réalité, à s'intéresser moins à l'animation des universités ou aux charges d'enseignement qu'à leurs publications.
Il s'agit de problèmes qu'il convient de traiter enfin, en y apportant des réponses cohérentes et homogènes.
De la même manière, je rappelle que, pour la première fois cette année, le nombre des emplois créés dans les universités françaises pour les personnels IATOS, qui sont si précieux, s'est situé au même niveau que pour les personnels enseignants : ce nombre s'élève, de part et d'autre, à 2 000. C'est la première fois qu'est recherché l'équilibre entre ces deux types de personnels qui font vivre nos universités.
Cependant, parmi les personnels IATOS - qui remplissent pourtant les mêmes missions - coexistent toujours des corps différents de gestion, de recrutement et de carrières. Il est très difficile de les homogénéiser, et c'est ce qui explique les débats très nombreux et parfois très agressifs que suscite la question du temps de travail des personnels IATOS et de leur engagement dans les universités.
Tout cela résulte, en réalité, d'une très grande incompréhension, qui s'explique par le maquis des carrières et des corps régissant les personnels IATOS.
Les neuvième et dixième questions concernent la gestion des universités.
Quel type d'organisation ? Quelles relations avec les partenaires ? Quelles relations avec l'Etat ? Quelles normes de répartition et quelle programmation dans le temps des moyens des universités ou de l'effort de l'Etat ? Quel type de relation entre la programmation nationale et la programmation régionale ? Quelle organisation de la décision à l'intérieur des universités ? Quel type de conseils ? Quel type de présidence ?
Toutes ces questions ont été versées au débat. Elles sont, naturellement, en très étroite relation avec une interrogation majeure que le Sénat a si souvent reprise : quel aménagement du territoire universitaire ?
Vous savez que la question des contrats entre l'université et l'Etat a dominé la réflexion ces dernières années. Il ne vous surprendra donc pas que je me range au nombre de ceux qui considèrent que le contrat doit être la clé de voûte des relations entre la puissance publique et les établissements d'enseignement supérieur et qu'il doit y être envisagé l'attribution des moyens à travers des critères transparents pour que cette attribution ne soit pas discutée.
Telles sont les dix questions qui sont soulevées. Aurait-on pu les poser autrement ? Sans doute, mais les réalités traitées auraient été les mêmes.
Nous n'avons esquivé aucun des problèmes principaux apparus lors des consultations et il a été très encourageant pour moi de vérifier que les questions n'étaient, dans leur formulation, discutées par personne ; c'est suffisamment rare pour qu'on le note.
Je voudrais, avant d'écouter le Sénat, faire deux réflexions complémentaires pour répondre à des remarques entendues ici ou là.
La première concerne le but des états généraux, qui est quelquefois mal compris.
Certains imaginent qu'il s'agit d'une recherche du consensus à tout prix. Ce n'est pas le but que je me propose : si je jugeais que, sur tel ou tel des sujets que nous traitons, le consensus ne pouvait être atteint qu'en sacrifiant le changement nécessaire, je le dis au Sénat, je choisirais le changement contre le consensus. C'est le devoir des gouvernants de choisir lorsqu'il le faut. Nous ne sommes pas ces notaires emmanchés de lustrine chargés de noter aussi scrupuleusement que possible ce qu'exposent les interlocuteurs. Ma conviction est précisément que seul ce vaste effort de consultation, de concertation, de participation, de respect des acteurs peut rendre le changement possible.
Pardonnez-moi de reprendre les métaphores agricoles qui sont celles de mes origines : c'est parce que nous aurons suffisamment labouré, hersé, fertilisé, parce que nous aurons soigneusement semé, sarclé, désherbé, que nous pourrons espérer, comme dit Charles Le Quintrec, « de belles moissons bleues » . Car ces moissons ne demandent qu'à pousser !
Contrairement à ce que nous avons cru pendant trente ans, le changement est possible à l'université, c'est ma conviction.
De la gauche à la droite de l'échiquier universitaire en passant par le centre, les zones de rencontre se sont élargies, les esprits ont bougé. Ce que j'appelle la politique du triple respect - respect des acteurs, respect du temps nécessaire au travail en profondeur, respect des réalités - a porté ses fruits, comme l'ont montré les débats de la semaine dernière à l'Assemblée nationale et comme, je l'espère, le montreront aujourd'hui ceux du Sénat.
La recherche de la conciliation et, s'il le faut, de la réconciliation, ce n'est pas l'immobilisme, c'est la condition même du mouvement.
Ma seconde réflexion complémentaire concerne les moyens. Il ne serait pas honnête de ne pas traiter de cette question, car le problème de la dépense publique se pose désormais en termes identiques dans tous les pays du monde, quelle que soit leur majorité. Vous aurez ainsi observé que, dans deux grands pays latins voisins, l'Italie et l'Espagne, des élections générales ont été organisées en même temps, à quelques jours près, et qu'elles ont vu la victoire de deux majorités antagonistes : une majorité de gauche et de centre gauche en Italie, une majorité de droite et de centre droit en Espagne. Et quelle a été la première déclaration publique des chefs des deux gouvernements qui sont issus de ces élections, dont l'un est assez à droite et l'autre très à gauche, puisque les anciens communistes italiens ont obtenu neuf sièges sur vingt dans le gouvernement italien ? MM. Aznar et Prodi ont annoncé qu'ils allaient baisser la dépense publique dans leur pays ! Cette conjonction de deux démarches politiques en principe opposées mais dont la première ligne directrice se rejoint sur le même choix politique doit, me semble-t-il, nous conduire à nous poser des questions.
Nous sommes, d'un bord à l'autre de cet hémicycle, suffisamment familiers des débats politiques en Europe et dans les pays développés pour savoir qu'il n'est pas un seul pays développé dans le monde qui n'ait procédé aujourd'hui au même choix.
Cette exigence s'impose à la France et s'imposera à elle, quelles que soient les majorités qui, dans les années qui viennent, la gouverneront.
Cela ne m'empêchera pas de défendre l'idée qu'en temps de difficultés budgétaires plus qu'à toute autre époque il faut répondre à trois impératifs.
En premier lieu, lorsque l'argent est rare, il faut choisir ses priorités, il faut le dépenser pour l'essentiel. Or, comme vous l'avez souvent dit dans d'autres enceintes, monsieur le président du Sénat, l'éducation, c'est de l'investissement ; c'est par l'éducation que l'on peut éviter des dérives ultérieures, celles qui coûteront très cher un jour ; c'est par l'éducation que se prépare la compétitivité de demain.
Ensuite, lorsque l'argent est rare, il faut savoir programmer l'effort dans le temps. C'est pourquoi je crois à la politique des contrats que la nation se donne à elle-même et des contrats que l'Etat négocie avec ses partenaires, en particulier les universités.
Enfin, lorsque l'argent est rare - et précisément à ce moment-là - il faut savoir entreprendre les réformes en profondeur permettant de donner au pays les fondamentaux sains qui feront ses succès.
C'est au moment des difficultés qu'il est le plus malaisé de réformer, c'est vrai, mais c'est au moment des difficultés qu'il est le plus urgent et le plus important de le faire. L'expérience montre même qu'il n'y a qu'à ce moment-là qu'on le fait.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la démarche et son objet. Cette démarche est de bonne foi. Elle ne vise pas à préparer la victoire d'un camp sur un autre, d'un clan sur un autre, d'une idéologie sur une autre. Le temps des camps, des clans et des idéologies fermées sur elles-mêmes, ce temps, j'en ai la conviction - et je servirai cette conviction - est derrière nous.
Je sais que, si la réforme apparaissait comme marquée d'esprit partisan, elle échouerait. Or je crois que cette réforme est indispensable et qu'après six mois de préparation elle est devenue possible. Je sais qu'elle ne marquera pas un aboutissement. Elle sera le point de départ d'une étape nouvelle pour l'université et pour l'enseignement supérieur français.
Je suis heureux que le Sénat ait accepté de participer à chacun des actes qui l'ont préparée. J'ai la conviction qu'en le faisant, en mettant ce que nous avons de volonté au service de cette entreprise, nous préparons l'avenir, nous construisons une société généreuse et efficace, nous agissons en citoyens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie. Si je ne présidais pas la séance, ce qui m'impose un devoir de neutralité, je vous aurais félicité ! (Sourires.)
M. Ivan Renar. C'est fait ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure qu'il ne fallait plus que l'université soit un lieu de résignation et d'incapacité politique. Vous savez bien que nous partageons cet objectif et cette volonté.
Vous avez décrit une démarche que nous ne pouvons qu'approuver dans ses fondements et ses justifications. En effet, s'il a existé, le temps où le ministre décidait seul est, nous en sommes tout à fait conscients, sans doute définitivement révolu. Cette attitude ne correspondait ni à l'exigence de participation - j'ai relevé, comme d'autres, que vous aviez insisté sur le mot - ni à la complexité des problèmes posés et à leur évolution dans le temps.
Nous approuvons assez largement la démarche sur ces travées. Nous pouvons approuver aussi la solennisation que vous avez recherchée en choisissant l'expression d'« états généraux » pour marquer l'importance du sujet traité et l'incidence sur notre société des évolutions qui seront engagées.
Vous l'avez dit, la préparation a été méticuleuse.
Les questions sont claires. Je ne sais pas si elles résument tout le sujet, mais elles sont claires. Elles peuvent donc recevoir, espérons-le, des réponses précises et claires.
Je ferai maintenant part d'une légère insatisfaction, que vous-même n'avez d'ailleurs pas cachée tout à l'heure. Elle a trait au fait que ces états généraux ont donné lieu à des débats qui n'ont pas été suivis par beaucoup d'étudiants. Sans doute l'époque y est-elle pour quelque chose ! Y a-t-il des raisons plus profondes ? J'ai cru comprendre que c'était votre avis.
Par ailleurs, je regrette un peu que la consultation soit restée à l'intérieur des murs de l'université. L'évolution de l'université, son avenir, c'est l'affaire de la nation tout entière.
Bien sûr, le Parlement est consulté, notamment aujourd'hui, et je pense que nous ne sommes pas au bout du processus, comme vous l'avez vous-même laissé entendre.
Sur ce point, je crois que l'on peut attendre beaucoup. Le face-à-face entre le ministre et les organisations syndicales, ce face-à-face fait d'esquives, de tactiques, ne correspond pas à la noblesse du sujet et à son importance, vous l'avez parfaitement compris. On peut souhaiter que la nation soit largement associée à cette réflexion.
J'examine maintenant le fond du sujet pour m'arrêter à quelques points seulement.
Après beaucoup d'autres, je veux rappeler le paradoxe français de l'enseignement supérieur, qui est caractérisé par l'existence de deux secteurs : un secteur protégé, si je puis dire, en tout cas sélectif, celui des grandes écoles, des IUT, des BTS et de certaines écoles d'ingénieurs, et un secteur beaucoup plus ouvert, le secteur universitaire. Paradoxalement, c'est dans ce second secteur que se trouvent les maîtres les plus titrés, ceux dont la mission - vous l'avez rappelé en y insistant - est non seulement de transmettre le savoir, mais de l'élaborer, de le « fabriquer », ce qui est évidemment une difficulté supplémentaire.
Pourtant, le secteur sélectif croît. Son importance augmente en valeur absolue, ainsi qu'en pourcentage, d'après les indications qui me sont données. Cette opposition, toutefois, ne suffit pas à rendre compte de la réalité, beaucoup plus bigarrée : les BTS évoluent. Le nombre des étudiants qui suivent cette filière augmente de façon très sensible, mais ces brevets sont de moins en moins sélectifs, à l'instar me dit-on, des IUT, du moins de certains d'entre eux.
Faut-il mettre fin à une situation marquée par cette opposition ? Dans la mesure où elle correspond à une tradition forte dans notre pays et où elle permet certains ajustements et une certaine souplesse, je ne pense pas qu'il soit possible de la modifier.
En revanche, il faudrait sans doute en corriger certains effets pervers.
On ne peut pas ne pas observer que les étudiants relevant du secteur le plus protégé sont ceux qui bénéficient des crédits les plus importants, que le coût d'un élève ou d'un étudiant de ce secteur est beaucoup plus élevé que celui d'un étudiant du secteur universitaire proprement dit.
Il y a là une anomalie, un déséquilibre, qu'il conviendrait de corriger.
Je signalerai une autre « bizarrerie » : lorsqu'un bon élève devenu étudiant d'IUT a l'ambition légitime de continuer son cursus, il revient à l'université, mais pas toujours dans de très bonnes conditions, ce qui en fait un insatisfait de plus.
Je voudrais maintenant parler du défi de l'échec, de ce défi lancé à la société française.
Ainsi que vous l'avez rappelé tout à l'heure, la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Une réponse par la sélection ne conviendrait pas. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, et je tiens à vous dire que nous partageons largement votre opinion.
On ne peut pas réduire les effets des échecs en anticipant leur constat. Ce n'est pas la solution. Il faut simplement essayer de corriger les échecs.
Parler de sélection, ce serait oublier l'extraordinaire demande sociale. Ce serait aussi oublier que le taux d'entrée dans les universités n'est pas, dans notre pays, supérieur à ce qu'il est dans les autres grands pays, qu'il est même parfois légèrement inférieur.
J'en viens aux solutions. Vous en avez évoqué plusieurs, et certaines d'entre elles sont tout à fait essentielles. Je voudrais y revenir, si vous le permettez, monsieur le ministre.
Parlons d'abord de l'orientation. Il s'agit de donner enfin un contenu à ce mot.
Il convient sans doute de commencer très tôt, beaucoup plus tôt que la classe terminale, car il est déjà bien tard et les projets se sont souvent figés. Il importe donc de regarder bien avant comment se forment les projets des futurs étudiants.
Une remarque me paraît refléter la difficulté dans ce domaine. L'orientation, elle existe dans le second degré, elle est même parfois assez autoritaire. Certaines procédures ont été mises en place à la fin de la quatrième et à la fin de la seconde. Un élève scolarisé au lycée ou au collège ne fait pas tout ce qu'il veut, il ne va pas là où il veut, ou même là où ses parents voudraient qu'il aille.
Le baccalauréat efface tout : le baccalauréat donne liberté à l'étudiant d'entrer dans quelque filière que ce soit de l'enseignement universitaire.
Cette situation exige une analyse approfondie, non pas pour introduire la contrainte, mais pour aider les lycéens à bâtir leurs projets et à élaborer leurs choix.
La commission des affaires culturelles, vous le savez, monsieur le ministre, a constitué une mission qui vous transmettra ses propositions, sans doute après l'énoncé des principes que vous annoncerez bientôt. J'espère toutefois que les propositions de la commission vous seront utiles et qu'elles seront prises en compte.
S'agissant encore de l'orientation, il faut également éviter la fracture entre le lycée et l'université.
Cette fracture tient à l'extrême et brutale spécialisation. Elle tient aussi à la présence, théoriquement du moins, de maîtres qui ont comme charge principale l'enseignement, bien sûr, mais aussi le progrès du savoir dans leur discipline. La fracture tient par ailleurs à des modes de vie différents, ainsi que, sans doute, à l'organisation même de l'année universitaire.
Sans doute y a-t-il des formules à rechercher. Elles sont variées et diverses. Je suis persuadé que des progrès sensibles peuvent être faits dans ce domaine.
Je traiterai enfin de l'insertion professionnelle, je terminerai sur ce point, mais il y aurait encore beaucoup à dire.
Vous avez, à très juste titre, évoqué la professionnalisation. Cette professionnalisation est nécessaire dans toutes les filières, à condition, évidemment, qu'on ne la conçoive pas de manière trop étroite. Elle est nécessaire, mais elle exige sans doute un autre mode de fonctionnement, d'organisation des universités, peut-être même une autre distribution des pouvoirs dans les universités. C'est un vaste sujet, celui de l'autonomie des universités.
Comment faire pour affirmer la pérennité des diplômes nationaux dans un pays comme le nôtre et l'adaptation aux besoins et aux réalités ? C'est un beau « challenge », c'est en tout cas un vaste sujet de réflexion.
Je suis persuadé, pour ma part, qu'on n'y parviendra qu'en donnant aux universités une capacité d'agir qu'elles n'ont pas peut-être suffisamment aujourd'hui, en contractualisant leurs relations aussi - vous l'avez recommandé tout à l'heure - et, bien entendu, d'abord leurs relations financières avec le ministère dont elles dépendent.
Monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure parlé du calendrier. Je terminerai mon propos en traitant brièvement de ce sujet.
Alain disait : « Un calendrier est un avenir divisé en cases où je vais pouvoir distribuer mes projets et mes espérances. » Nous aurons besoin de savoir comment vous répartissez vos projets dans les cases que nous laisse le calendrier de la politique, puisque personne ne peut méconnaître cette nécessité.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà ! C'est comme pour la réforme de la fiscalité : avant les législatives et avant la présidentielle !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Je me demande, monsieur le ministre, si l'un des sujets que vous avez à traiter en priorité, et sur lequel vous avez tout à l'heure justement insisté, ne serait pas celui de l'aide aux étudiants et du statut de l'étudiant.
Il me semble qu'il y a des choses à accomplir rapidement dans ce domaine, et qu'on peut y parvenir à condition d'avoir, bien entendu, du courage. Mais nous savons que vous en avez et que le Gouvernement a la volonté politique d'avancer.
Victor Hugo campe, dans une scène assez étonnante de Choses vues, je crois, Louis XV. Il le montre recevant un projet de réforme et le jetant dans un tiroir en disant : « Voilà pour mon successeur ! ». Certes, Louis XV n'est pas votre personnage historique préféré...
M. Ivan Renar. Louis XVI non plus !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. ... vous en aimez mieux un autre ! (Sourires.)
Eh bien, monsieur le ministre, inspirez-vous de la détermination et du panache de votre préféré. Nous vous faisons confiance, lucidement, mais nous vous faisons confiance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Camoin.
M. Jean-Pierre Camoin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est aujourd'hui appelé à débattre sur les états généraux de l'université qui ont été initiés par le Gouvernement pour préparer l'avenir et les nécessaires réformes de notre enseignement supérieur.
Comme vous le savez, cette concertation s'inscrit dans une floraison d'initiatives et d'instances de réflexion créées sur le même thème, dont les calendriers ne coïncident pas nécessairement, ce qui risque de provoquer une certaine perplexité dans l'opinion.
Sans reprendre la totalité des problèmes qui doivent être abordés au cours des états généraux, je voudrais évoquer quelques thèmes qui me paraissent essentiels pour l'avenir de l'enseignement supérieur : l'image de l'université dans l'opinion, l'orientation dans les premiers cycles, le nécessaire développement de la recherche universitaire, auxquels j'ajouterai quelques réflexions relatives à l'opportunité de légitimer par la voie référendaire les réformes qui seront proposées.
S'agissant du premier point, tout le monde peut constater que l'université ne bénéficie pas d'une image flatteuse dans l'opinion. On souligne souvent l'inadaptation de ses formations aux besoins des entreprises ; on dénonce un enseignement trop académique ; on la tient pour responsable des taux d'échec constatés dans les premiers cycles et du chômage ou de la déqualification de ses diplômés.
Je voudrais, à cet égard, souligner que notre système universitaire a été confronté depuis une dizaine d'années à un défi considérable, celui de la « massification », et l'on peut considérer que l'université y a répondu d'une manière aussi satisfaisante que possible, compte tenu des moyens qui lui sont accordés.
Je rappellerai à ce propos que 10 p. 100 d'une génération obtenait le baccalauréat en 1960, que ce pourcentage est passé à 30 p. 100 en 1985 et à 60 p. 100 en 1995, l'objectif de conduire 80 p. 100 d'une classe d'âge au baccalauréat étant ainsi en passe d'être réalisé, et que 2,2 millions d'étudiants sont aujourd'hui accueillis par le système universitaire, soit un doublement des effectifs étudiants au cours des dix dernières années.
L'université a donc, contrairement à une opinion trop répandue, surmonté dans des conditions convenables le choc démographique des dernières décennies et elle a sans doute plus évolué que la société française au cours des mêmes années, notamment que le secteur de la protection sociale.
Il convient également de remarquer qu'une partie très importante de notre enseignement supérieur fonctionne d'une manière satisfaisante : c'est le cas des filières sélectives à finalité technologique et professionnelle - classes préparatoires et grandes écoles, instituts universitaires de technologie, sections de techniciens supérieurs, instituts universitaires professionnalisés - mais aussi des cycles supérieurs, même si les deuxièmes cycles risquent, dans les années à venir, de connaître comme les premiers cycles des difficultés.
J'ajouterai, contrairement à ce qu'on peut en dire, que le diplôme universitaire reste un atout pour la recherche d'un emploi et que le chômage touche dans des proportions bien supérieures les jeunes dépourvus de qualification.
Il reste que les premiers cycles qui accueillent, sans sélection, l'ensemble des bacheliers concentrent l'essentiel des difficultés rencontrées par l'université et enregistrent un échec universitaire trop important qui est source de gaspillages humains et financiers inacceptables.
Encore convient-il de ne pas dramatiser et exagérer le discours tenu sur l'échec dans les premiers cycles puisque 57 p. 100 des étudiants inscrits en DEUG passent en licence, soit un taux non négligeable qui peut être rapporté à celui des classes préparatoires scientifiques - 60 p. 100 - que de nombreux étudiants se réorientent vers d'autres filières et que les autres auront retiré de toute façon de leur passage à l'université un bénéfice qui pourra être valorisé lors de leur embauche.
La situation apparaît, certes, plus préoccupante pour les bacheliers technologiques, dont 75 p. 100 ne passent pas en licence et, surtout, pour les bacheliers professionnels qui se présentent en nombre de plus en plus grand dans les premiers cycles généraux avec des chances de réussite excessivement faibles.
C'est donc en priorité pour ces deux types de bacheliers qu'il importe, d'une part, de développer un véritable dispositif d'information et d'orientation, dès l'enseignement secondaire, et de prévoir, d'autre part, des formations adaptées, afin de réduire la fréquence de leur échec à l'université.
J'en terminerai avec ce premier point en notant que l'enseignement supérieur apparaît, à bien des égards, comme le parent pauvre de notre système éducatif et que la dépense que nous consacrons à chaque étudiant reste inférieure de moitié à celle de pays comparables, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis : il conviendra, à cet égard, sans doute, de réexaminer la part des crédits consacrés à chaque degré d'enseignement et d'envisager un certain transfert des moyens du primaire, voire du secondaire, vers le supérieur, ainsi que de revoir la répartition des crédits entre les filières sélectives, notamment les grandes écoles et les filières générales universitaires.
J'aborderai ensuite le deuxième thème de mon intervention, déjà rapidement évoqué, celui de l'orientation des lycéens et des étudiants, qui constitue un moyen privilégié pour réduire l'échec dans les premiers cycles.
Comme vous le savez, la commission des affaires culturelles a pris l'initiative de créer une mission d'information sur l'information et l'orientation des étudiants des permiers cycles. Cette mission a pu constater, tout au long de ses auditions, que le système actuel ne fonctionnait pas d'une manière satisfaisante, du fait, en particulier, d'un manque de moyens - 4 500 conseillers d'orientation pour 6 millions d'élèves et 2,2 millions d'étudiants - mais aussi d'une mauvaise organisation n'assurant pas une articulation convenable entre le lycée et l'université et ne prenant pas suffisamment en compte les réalités des entreprises et les besoins de l'économie.
L'information dispensée aux lycéens et aux étudiants en vue de leur orientation, en dépit d'expériences engagées dans de nombreux lycées et universités, présente en effet de graves lacunes concernant le contenu, les débouchés et le devenir des étudiants des diverses filières supérieures, et l'évaluation des universités apparaît à cet égard inexistante.
Ce constat est d'autant plus regrettable qu'une véritable rupture existe, notamment sur le plan méthodologique - vous avez insisté sur ce point tout à l'heure, monsieur le ministre -, sur le contenu des enseignements et sur les modalités d'encadrement entre le lycée et l'université.
La massification de notre enseignement supérieur ne sera une chance pour le pays que si les nouveaux étudiants ont la possibilité de s'orienter vers des filières correspondant à leurs capacités, après une information dispensée très en amont de leur entrée à l'université.
J'ajouterai que la « demande sociale » qui s'exprime en matière d'études supérieures commande de maintenir le principe du libre accès à l'université, en permettant à chaque bachelier de tenter sa chance dans les premiers cycles. La prise en compte de cette réalité conduit, en conséquence, à exclure toute idée de sélection après le baccalauréat, qui doit rester le premier des grades universitaires.
Afin de répondre à ce défi du grand nombre, une véritable politique d'orientation devra être développée. Quels pourraient en être les grands axes ?
Il faudrait d'abord sans doute rechercher une simplification des DEUG, qui apparaissent aujourd'hui trop spécialisés autour de quelques grands types de formation.
Il serait souhaitable ensuite de s'orienter vers une diversification et une professionnalisation des filières supérieures, soit en créant une grande voie technologique, soit en instillant une formation technologique dans l'ensemble des filières, même générales, qui s'accompagnerait d'un développement des stages en entreprises.
Il conviendrait également d'envisager une période d'observation et d'orientation au cours de la première année d'université, complétée, le cas échéant, par une remise à niveau, notamment pour les bacheliers technologiques et professionnels, un système de passerelles permettant des réorientations rapides entre les diverses filières et un renforcement de l'encadrement dans les premiers cycles.
Une politique efficace d'orientation constituerait ainsi l'une des principales réponses à la démocratisation de notre système universitaire et permettrait de réduire la fréquence des choix fantaisistes ou dictés par les modes qui contribuent à réduire la motivation des nouveaux étudiants et à alimenter l'échec universitaire dans les premiers cycles.
J'en viens maintenant au troisième volet de cette intervention : le nécessaire soutien qu'il convient d'apporter à la recherche universitaire.
Il convient d'abord de rappeler que le niveau de la recherche d'aujourd'hui commande notre prospérité de demain et que la recherche universitaire constitue un enjeu décisif tant pour la formation des étudiants que pour le développement scientifique du pays.
A cet égard, un débat s'est engagé sur la place des enseignants-chercheurs dans les premiers cycles et sur la part qu'il conviendrait d'accorder aux professeurs agrégés du secondaire dans le fonctionnement de ces derniers. Afin d'éviter une « secondarisation » des premiers cycles, de préparer les étudiants à la poursuite d'études et de garantir l'actualité des enseignements dispensés, il semble indispensable de conserver une part importante d'enseignants-chercheurs qui devraient sans doute, en sens inverse, accorder plus d'importance à l'animation pédagogique, à l'encadrement et à l'orientation des étudiants.
Cet objectif implique un aménagement de la carrière des enseignants-chercheurs, qui ne serait plus fondée exclusivement sur leur activité de recherche, et un recours plus large aux jeunes docteurs pour renforcer l'encadrement des premiers cycles.
Monsieur le ministre, la brillante démonstration que vous avez faites tout à l'heure montre que vous partagez tout à fait cette opinion.
Il conviendrait également que la recherche universitaire développe une véritable synergie avec les entreprises, que l'université soit davantage associée à leurs projets et que les stages en entreprises des chercheurs et des étudiants se trouvent multipliés. Au total, alors que la « dualisation » de l'enseignement supérieur constitue une tentation permanente, il ne faudrait pas que l'affectation de toutes ses ressources à un enseignement de masse, sans orientation et sans finalité, aboutisse à sacrifier la recherche universitaire qui se réfugierait alors dans les grands établissements et les grands laboratoires.
J'en terminerai par quelques remarques relatives à la nécessité de légitimer la réforme de notre enseignement supérieur, ce qui soulève la question de l'organisation éventuelle d'un référendum sur le système éducatif.
A titre personnel, je ne peux qu'être favorable au principe d'une légitimation référendaire, à la condition que cette procédure réponde à certaines exigences.
D'abord, un référendum sur l'organisation de notre enseignement supérieur ne saurait être utilisé pour permettre à une majorité, même parlementaire, d'imposer une réforme contre le monde universitaire et sans aucune concertation préalable.
M. Claude Saunier. Très bien !
M. Jean-Pierre Camoin. Il ne saurait s'agir, en l'espèce, de faire passer en force une série de mesures contre les principaux acteurs de l'université, qu'ils soient enseignants ou étudiants.
J'apprécie l'approbation de M. Rocard à sa juste valeur !
M. Michel Rocard. Il s'agissait de M. Saunier !
M. Jean-Louis Carrère. Nous n'avons pas tous approuvé !
M. Jean-Pierre Camoin. A cet égard, la méthode de concertation engagée par le ministre avec l'ensemble des organisations représentant le monde universitaire, les présidents d'université, les étudiants et les enseignants au sein de chaque établissement doit être saluée, ce que je fais à cette tribune.
Il importe cependant de remarquer que, pour des raisons tenant à l'organisation de l'année universitaire, cette concertation se déroule dans les établissements, à un moment peu propice à la participation directe des étudiants et que la consultation de la centaine d'organisations entendues par le ministre, si elle présente un intérêt évident, ne peut masquer une réalité, celle d'une faible représentativité des organisations enseignantes et étudiantes, qui est traditionnelle dans l'enseignement supérieur.
Je tiens à vous remercier, ensuite, monsieur le ministre, d'avoir associé le Parlement à cette concertation. Vous l'avez fait voilà quelques semaines en venant devant notre commission des affaires culturelles et en organisant un débat à l'Assemblée nationale ; vous le faites aujourd'hui devant le Sénat tout entier. J'ose espérer que ces débats permettront de lever une certaine incompréhension, voire une certaine méfiance, qui subsistent entre les parlementaires et le monde universitaire.
A titre personnel, je souhaite porter témoignage en indiquant que les nombreuses auditions qui se sont déroulées au sein de notre mission d'information sur les premiers cycles ont permis de réduire notablement cette incompréhension, que j'éprouvais d'ailleurs moi-même sans m'en rendre bien compte.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. C'est tout à fait vrai. Très bien !
M. Jean-Pierre Camoin. Je crois qu'une attitude didactique doit être adoptée vis-à-vis des parlementaires pour leur apprendre l'université. Certes, ils l'ont connue pour la plupart mais elle a tellement évolué depuis quelques dizaines d'années que certains d'entre nous ont besoin de la réapprendre.
La représentation nationale a ainsi naturellement vocation à participer à cette réflextion sur l'avenir de notre enseignement supérieur, qui ne doit pas être laissée à la seule compétence des spécialistes et des acteurs universitaires. Le Parlement sera éventuellement conduit à examiner les modifications législatives, voire la programmation budgétaire que vous lui proposerez.
Il reste que la logique de votre démarche commande de prolonger cette concertation par une consultation des citoyens et que, à l'issue d'un débat approfondi dans le cadre des états généraux, tous les Français soient invités à se prononcer par voie référendaire pour légitimer une réforme qui commande l'avenir de notre jeunesse.
Si le pays doit être appelé à se prononcer par référendum sur une réforme de société essentielle, celle du service national, pourquoi ne pas l'inviter à se prononcer, selon la même procédure, sur un dossier aussi important, celui du nécessaire aménagement de notre système universitaire ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, permettez-moi, au nom de mon groupe, de saluer votre volonté, d'une part, d'engager la réforme de notre système universitaire, domaine considéré comme impossible à traiter, d'autre part, d'avoir voulu qu'un sujet aussi important fasse l'objet d'un débat avec les représentants de la nation. Soyez-en remercié, car vous avez raison sur le fond et sur la forme.
Sur la forme, vous avez choisi la concertation, la participation. Vous avez raison car, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, les corporatismes sont forts et retardent, ralentisssent, voire interdisent souvent les réformes pourtant jugées nécessaires.
La seule méthode est bien celle du dialogue et du partenariat : en effet, ce n'est pas en dressant les uns contre les autres que nous avancerons.
Il est vrai qu'au terme de cette phase de concertation il nous faudra faire preuve de volonté, de courage et, si besoin, de fermeté, tant sur les choix, sur les orientations, que sur le calendrier.
Sur le fond, cette réforme est indispensable et urgente tant au niveau économique qu'au niveau social.
Le contexte social nous l'impose. Malgré les efforts conjugués de l'Etat, des collectivités locales, des professions, un jeune sur quatre, à l'issue de son cursus, est conduit à pousser la porte de l'ANPE. Cela n'est pas acceptable. On estime à 40 p. 100 le nombre d'étudiants en situation d'échec au terme de leur première année d'université, et, parmi eux, 60 p. 100 sont issus des bacs professionnels ou technologiques.
Certes, les titulaires d'un diplôme délivré à l'issue d'études longues trouvent plus facilement un emploi. Mais à quel prix, car nous sommes dans cette logique infernale de « qui peut le plus peut le moins » !
Nous formons chaque année 160 000 étudiants de niveau I et II pour seulement 65 000 offres d'emploi. Le risque social est là : nous sommes en train de faire une génération de frustrés et d'aigris, qui, tôt ou tard, nous réclamera des comptes.
Cette réforme est également urgente au niveau économique en raison du formidable « gâchis » humain d'abord, financier, ensuite auquel nous assistons. En effet, depuis vingt ans, face aux difficultés, aux corporatismes, les gouvernements successifs, quelle que soit d'ailleurs leur couleur politique, ont répondu par l'inflation budgétaire. Pour quels résultats ? Ceux que je viens d'énoncer.
Aujourd'hui, la situation financière du pays, la charge de la dette, le poids énorme de secteur public nous mettent le dos au mur et nous interdisent une nouvelle dérive budgétaire. Mais, même si nos moyens financiers étaient meilleurs, je ne suis pas convaincu que la situation s'en trouverait améliorée. En effet, le problème est plus profond ; il s'agit d'un problème culturel, d'un problème de société presque inscrit dans nos gènes.
Depuis des décennies, notre société ne reconnaît qu'une forme d'intelligence : l'intelligence abstraite. Notre société tout entière est atteinte par le « syndrome de la diplômite », qui a dévoyé notre système éducatif.
Des décisions qui a l'origine sont bonnes et adaptées engendrent souvent des résultats à l'opposé de ceux qui sont recherchés.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de prendre l'exemple des bacs professionnels. Cette voie répondait à la fois aux besoins de notre économie et aux aspirations de jeunes qui souhaitaient une scolarité courte. Leur diplôme en poche, la grande majorité d'entre eux devait normalement intégrer la vie professionnelle ; quelques-uns, bien sûr, pensaient poursuivre par un BTS.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
La plupart de ces jeunes sont obligés soit de pousser la porte de l'ANPE, soit d'entrer à l'université, filière pour laquelle ils sont le moins bien préparés.
Pourquoi sont-ils confrontés à une telle situation ? Pour deux raisons au moins.
Le manque d'analyse des besoins de l'économie et le phénomène de mode ont fait orienter la moitié des bacs professionnels vers le secteur tertiaire, où les débouchés sont limités et où, aujourd'hui, les titulaires d'un bac sont concurrencés par leurs camarades détenteurs d'un BTS ou d'un DUT, n'ayant plus comme seul recours que l'université.
Quelles conclusions peut-on tirer de tout cela ?
Une décision qui était a priori justifiée se solde aujourd'hui par un double échec : pour le titulaire d'un bac professionnel, mais aussi pour le titulaire d'un bac général, qui, après le BTS ou le DUT, décidera sans doute de poursuivre son cursus en université.
Notre système est à la fois très sélectif au niveau des grandes écoles, des BTS et des DUT - même si c'est dans une moindre mesure dans ces derniers cas - et très ouvert pour les autres filières.
Considérée sur le plan de l'éthique, la sélection n'est peut-être pas souhaitable. Mais la réalité est souvent tout autre. La sélection est là. Elle s'opère par l'échec et très souvent par défaut.
En fait, nous oublions trop souvent la triple réponse que doit apporter tout système éducatif : une réponse d'ordre économique, une réponse sociale, une réponse d'aménagement du territoire. C'est parce que nous avons en permanence oublié ce triptyque que le système s'est dévoyé.
Pendant les « trente glorieuses », le contexte économique nous a fait privilégier la réponse sociale. La crise économique actuelle nous inciterait, aujourd'hui à privilégier une réponse strictement utilitaire, certes nécessaire, mais dangeureuse, car les besoins évoluent très vite. Je n'insisterai pas sur la réponse en matière d'aménagement du territoire : vous savez comme moi que l'inégalité du domicile est sans doute, après celle de l'emploi, l'une des plus flagrantes ; mais il est vrai que les délocalisations universitaires trouvent leurs limites.
Cette triple réponse est bien sûr sélective, mais au sens noble du terme, car elle doit être ou devrait être, la résultante d'une action qui, aujourd'hui, fait terriblement défaut : l'orientation.
Aujourd'hui, l'orientation est vécue comme un échec par le jeune à qui l'on dit : « On va t'orienter. Tu vas aller voir le conseiller d'orientation ».
Monsieur le ministre, le déficit d'orientation est sûrement la raison majeure de nos difficultés. S'il est un domaine où notre action doit se porter en urgence, c'est bien celui-ci.
Pour réussir, elle doit être le fait des trois partenaires du système éducatif : la communauté éducative, le monde économique, le jeune et sa famille.
S'agissant de la communauté éducative, il faut réduire le gué, pour ne pas dire le fossé, qui existe entre le lycée et l'université. Les liens ne sont pas assez forts entre l'orientation au lycée et celle qui est faite à l'université. Construisons un véritable dispositif d'information entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, mais aussi entre le monde universitaire et le monde économique, qui trop souvent se rejettent les responsabilités. Ce dernier devrait s'impliquer d'avantage, comme il le fait pour les filières professionnelles.
Le jeune et sa famille sont les premiers acteurs de l'orientation. Ce n'est pas facile, le parcours est complexe.
La plupart des parents souhaitent que leurs enfants soient étudiants. Pour beaucoup d'étudiants, c'est la première fois qu'un membre de la famille arrive en université.
Par ailleurs, la carrière des enseignants-chercheurs se fait plus sur les publications que sur les actions pédagogiques. Ils sont donc de ce fait peu incités à faire du soutien. C'est la raison pour laquelle le témoignage, voire le parrainage d'étudiants auprès des élèves de terminale, doit être encouragé.
Il est pourtant un corps dont ce devrait être la mission : celui des conseillers d'orientation. Force est de reconnaître que les résultats ne sont pas satisfaisants. Et pourtant ces conseillers sont le point de contact privilégié entre le jeune, l'établissement et le monde économique. Mais leur nombre est insuffisant : 4 500 pour 8 millions d'élèves. Le temps qu'ils peuvent passer par élève ne dépasse pas en moyenne trois quarts d'heure à une heure. C'est surréaliste lorsque l'on sait que l'orientation, avant d'être un problème de logiciel, de plaquette ou d'information, est d'abord un problème d'hommes.
Il est clair que la situation budgétaire nous interdit d'en augmenter considérablement le nombre. Alors améliorons d'abord leur connaissance de l'entreprise - ils le souhaitent - et ensuite confions-leur la mission de chef d'orchestre autour d'un réseau constitué par des compétences disponibles : celles des retraités du monde économique et industriel et celles des étudiants capables, plus que quiconque, de témoigner de leur expérience auprès des lycéens.
Un tel dispositif permettrait d'améliorer l'orientation des jeunes, qui aujourd'hui relève pour beaucoup du hasard et de la méconnaissance des filières, et qui souvent intervient de façon tardive : en effet, un tiers seulement des lycéens arrêtent leur choix avant la terminale, tandis que la moitié d'entre eux prennent une décision pendant l'année du baccalauréat et un quart après celui-ci.
Par ailleurs, un étudiant sur quatre, au terme de la première année d'université, dit regretter son choix et prendrait une autre orientation si c'était à refaire.
C'est une mesure urgente qui peut être mise en place sans conséquences financières importantes.
Une autre mesure à court terme consiste à favoriser la réorientation des jeunes en situation d'échec au terme du premier trimestre à l'université en les dirigeant vers des classes de BTS.
Des expériences existent ; elles donnent de bons résultats, et je crois qu'il convient de les encourager.
Voilà quelques pistes pour le court terme, mais, monsieur le ministre, notre action doit aussi s'inscrire dans la durée, car il s'agit d'un problème de société.
Dans cette optique, permettez-moi de formuler trois propositions.
En premier lieu, je pense que l'orientation doit faire partie intégrante des programmes scolaires et universitaires, et ce le plus en amont possible : au collège, et j'oserai même dire à l'école primaire, à destination non pas des enfants, mais des enseignants. Pour cela, développons les conventions entre le monde économique local et les IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres. En effet, les futurs maîtres ont souvent une image très négative du secteur industriel et de l'entreprise, qui fait souvent référence à Zola.
Or c'est cette image qu'ils transmettront à nos jeunes. Comment s'étonner dès lors qu'aujourd'hui à peine 14 p. 100 d'entre eux soient attirés par les secteurs de l'industrie ou de l'artisanat, qu'ils jugent sales, bruyants, « ringards » ? En revanche, un tiers des jeunes veulent être fonctionnaires, alors que le secteur productif est sûrement aussi indispensable au développement économique d'une grande nation que la fonction publique.
Il faudrait aussi modifier les rythmes scolaires, non pas au sens du calendrier ou de l'horloge, fût-elle biologique, mais en vue de donner une place à d'autres acteurs de l'orientation, de l'emploi et de l'économie au sein de nos collèges, de nos lycées et de nos universités.
En deuxième lieu, il faudrait que la première année d'université présente des filières plus larges, au moins au cours du premier semestre, afin de favoriser une préorientation permettant au jeune de choisir véritablement sa spécialité. L'alternance, qui devrait être une partie intégrante de tout cursus universitaire, doit, bien sûr, être développée.
En troisième lieu, il conviendrait de proposer aux jeunes un parcours plus itératif et une insertion plus précoce dans la vie professionnelle, en leur donnant unticket de retour vers la formation s'ils le souhaitent.
Ce ne sont, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que quelques mesures parmi tant d'autres, car s'il est une solution qu'il nous faut bannir à jamais, c'est la solution unique.
Elle a été enfantée par les corporatismes, les beaux discours, les idéologies et les dogmes. Elle a toujours nié les réalités, qui, il est vrai, sont parfois dures à accepter. Ainsi, on sait par exemple qu'un enfant qui redouble le cours préparatoire n'a que 5 p. 100 de chance de réussir au baccalauréat !
C'est de l'avenir de nos enfants qu'il s'agit, et, comme vous l'avez dit à juste titre, monsieur le ministre, « c'est un peu de la France qui est en jeu ». Sachons donc créer le cadre favorable à l'expérimentation autour de la triple réponse dont j'ai parlé.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants est et sera à vos côtés pour donner à nos jeunes une autre espérance que la fatalité du chômage, en leur offrant le meilleur investissement qui soit, celui de la connaissance, afin de leur permettre de réussir au mieux leur vie. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons longtemps vécu dans l'idée que rien ne pouvait faire fondre le glacis universitaire français.
Quelle loi, quel règlement, quelle circulaire, quel rapport - oserai-je dire « quelle rumeur » ? - n'a pas provoqué sur l'épiderme sensible des étudiants un prurit, un urticaire douloureux et parfois dramatique ? Etudiants, personnels enseignants ou administratifs ont en effet souvent montré une forte réticence à tous changements profonds dès lors qu'ils n'en maîtrisaient ni les tenants ni les aboutissants.
Il est cependant vrai que l'Etat n'a jamais pu ou su rénover en profondeur la citadelle universitaire, se heurtant tour à tour à une forte capacité de résistance et aux difficultés budgétaires. Il n'a pas réussi les réformes qui pourtant s'imposaient, malgré les attentes des étudiants, des enseignants et de l'opinion publique en général. N'est-ce pas là un étrange paradoxe s'agissant d'un enjeu d'ordre national, voire européen ?
Il serait donc inexact de dire que l'université n'a pas évolué depuis vingt ans. L'offre de formation s'est accrue de façon importante, les facultés se sont ouvertes sur l'extérieur, des expériences pédagogiques ont été menées avec succès. Mais elle n'a pas pu faire face au flot toujours croissant des jeunes frappant à sa porte et s'adapter au marché de l'emploi. Elle n'a pas su, non plus, faire suffisamment preuve de pragmatisme et de créativité pour suivre les mutations de notre société.
Je tiens en cet instant, monsieur le ministre, à saluer, au nom du groupe de l'Union centriste, votre courage et votre détermination. Alors que les problèmes de l'université ont depuis longtemps été cernés, il méritaient d'être affinés. Il est temps, aujourd'hui, de mettre en place les moyens de les résoudre ou tout au moins de tenter de le faire.
Les états généraux que vous avez lancés en octobre dernier témoignent du fait que l'université n'est pas une bastille imprenable. En effet, tous les partenaires concernés ont adhéré totalement à la méthode que vous avez choisie. Ils ont participé visiblement sans tabou ni arrière-pensée à la consultation débouchant sur une sorte de « nouveau contrat pour l'université ».
Cette méthode, à laquelle nous apportons tout notre soutien, est importante ; elle a l'avantage d'éviter l'immobilisme, cet immobilisme que l'on rencontre souvent dès lors qu'un consensus est difficle à trouver.
Sur les dix questions autour desquelles s'est organisée la réflexion, je retiendrai cinq points qui me tiennent particulièrement à coeur : les premiers cycles, la création d'une vraie filière technologique, la vie des étudiants, l'affirmation d'une recherche universitaire plus proche des réalités économiques et un aménagement du territoire réfléchi.
En ce qui concerne les premiers cycles, monsieur le ministre, vous n'avez pas choisi la facilité. Vous avez affirmé que le grand principe républicain de l'égalité d'accès de tous à l'université ne devait pas être remis en cause.
Pour autant, la dure réalité à laquelle sont confrontées les universités, à chaque rentrée et tout au long de l'année, impose une refonte totale des premiers cycles.
Il est clair que le premier cycle conditionne quasi totalement le destin universitaire des étudiants. Initialement cycle d'initiation et d'apprentissage, il ne remplit plus son rôle intégrateur et perd de plus en plus son caractère généraliste primordial.
La confusion s'est introduite à travers un empilage systématique des premiers cycles, et cela pour le malheur des étudiants. Si la sélection n'existe pas à l'entrée de l'université, il faut bien le reconnaître, elle s'installe au grand jour au cours et à l'issue des deux années de DEUG.
Toute la difficulté est d'offrir aux étudiants tout juste sortis du lycée une période d'adaptation et d'éducation. Améliorer la scolarité des premiers cycles passe vraisemblablement par une restructuration des programmes proposés, laissant une place plus importante à la méthode et à la culture générale. Il est également essentiel d'informer les étudiants sur les ressources disponibles dans leur propre université.
Demeure le problème de la mauvaise orientation : orientation par défaut ou, le plus souvent, orientation par hasard. Elle résulte certainement d'une carence en matière d'information, une information qui devrait être prodiguée dès le lycée.
Les actions que vous avez menées cette année dans les classes témoignent de l'importance que vous accordez à cette information. Plus les choix sont larges, plus la décision est difficile. Il est donc essentiel que les futurs étudiants puissent appréhender concrètement toutes les implications de leur décision. Plus l'effort d'information sera grand, plus le taux d'échec sera susceptible de diminuer.
L'enjeu des premiers cycles est surtout de bien orienter les étudiants vers un métier qu'ils pourront exercer dès la fin de leurs études. Il s'agit de trouver un équilibre entre les aspirations de chacun et les possibilités offertes par le marché de l'emploi.
La création d'une vraie filière technologique universitaire est un objectif majeur. Serpent de mer, Arlésienne de tout ministre, elle n'a jamais pu voir le jour, malgré l'impérieuse nécessité que chacun s'accorde à lui reconnaître.
Longtemps dévalorisée, cette filière, à laquelle vous avez le grand mérite de vouloir donner des lettres de noblesse, monsieur le ministre, correspond à une forte attente des acteurs économiques. Sa création permettrait d'établir le lien qui n'a jamais véritablement existé entre l'université et l'entreprise.
L'effort à accomplir à cet égard ne doit surtout pas négliger la formation professionnelle. Celle-ci doit même en être l'aiguillon.
Telles sont les conditions d'une valorisation de tous les acteurs concernés, dont l'attente légitime l'ensemble de la démarche.
Il faut donner à cette filière technologique à fort potentiel professionnel les attributs de l'excellence, c'est-à-dire le sérieux, la qualité et l'efficacité, gages de débouchés.
Le souci de bien orienter et celui de bien former sont au centre d'une réforme que nous appelons de nos voeux.
Si une réforme de cette ampleur ne s'accompagnait pas d'une amélioraiton de la vie des étudiants à l'intérieur des universités, elle serait un échec.
Nombre d'étudiants souffrent d'un mal-être dès leur arrivée en première année. Juste sortis du lycée, ils ont parfois du mal à trouver les repères qui les guideront à l'intérieur d'un milieu nouveau. Amphithéâtres et salles de travaux dirigés surchargés, emplois du temps compliqués, collecte d'informations souvent hasardeuse sont autant d'éléments qui ne favorisent guère l'épanouissement de chacun.
Le statut social de l'étudiant doit permettre d'aplanir ces difficultés, autant qu'introduire plus de clarté, de transparence et surtout de justice dans l'attribution des aides.
J'en viens au thème de la recherche.
L'université constitue, selon moi, le milieu naturel de cette activité, de son développement, de sa transmission. Mais la recherche universitaire souffre d'un trop grand cloisonnement. Afin de conserver son troisième rang mondial, la recherche française doit miser sur l'université, quitte à privilégier l'application par rapport à l'abstraction.
Les enseignants-chercheurs doivent pouvoir partager équitablement leur temps entre l'enseignement et la recherche. Ils doivent également pouvoir bénéficier non seulement des réseaux établis entre les universités, mais aussi de l'association nécessaire aux grands organismes de recherche comme le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, l'INRA, l'Institut national de la recherche agronomique, l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, etc.
La recherche universitaire doit avoir les moyens humains, matériels et financiers de son ambition nationale. Cette ambition doit être en adéquation avec les besoins de notre société et servir le développement des entreprises innovantes.
La recherche est le poumon de l'université. Elle doit être en mesure de la mettre en contact avec les réalités économiques et sociales, et nous espérons, monsieur le ministre, que votre action permettra de traduire concrètement cet impératif.
J'évoquerai enfin l'aménagement du territoire, thème cher au Sénat puisque c'est sur l'initiative de notre assemblée que les schémas de l'enseignement supérieur et de la recherche ont été inscrits dans la loi.
Dans ce domaine, les relations entre l'université et l'Etat concernent la localisation des structures. Le foisonnement des sites de formation et de recherche n'est pas forcément souhaitable, dans la mesure où une dissémination trop large peut poser des problèmes aux universités, notamment en matière de gestion, mais aussi en matière pédagogique. En 1960, il n'existait que seize sites universitaires ; aujourd'hui, il y en a près de quatre-vingts. Quelle agglomération de 100 000 habitants n'a pas accédé au rang très envié de ville universitaire ?
Afin d'éviter un éclatement trop brutal de la collectivité des étudiants, il faut maîtriser l'implantation des sites. Nous devons trouver le juste équilibre entre un nécessaire aménagement du territoire et une université efficace. L'université doit non pas subir l'aménagement du territoire, mais devenir un élément de structuration du territoire.
Dans cette perspective, les schémas régionaux de l'enseignement supérieur et de la recherche peuvent constituer un outil précieux, car ils permettent de procéder de façon cohérente au niveau académique, voire inter-académique.
Il semble par ailleurs essentiel de tenir compte des phénomènes de proximité non seulement à l'intérieur du territoire national mais aussi dans un cadre européen.
La proximité d'établissements universitaires étrangers permet, à moindre coût, l'ouverture à l'international, notamment pour les étudiants. Le principe des universités en réseau, auquel je vous sais très attaché, monsieur le ministre, prendra ainsi tout son sens.
Je crois souhaitable de développer la spécificité des établissements frontaliers capables de jouer le jeu de l'intégration grâce à des contacts de proximité avec leurs partenaires étrangers.
Dans ce cadre, il convient de définir clairement le rôle des collectivités locales. L'élaboration des schémas régionaux appelle quelques remarques, notamment sur la place qui leur sera dévolue.
Selon la procédure retenue par l'Etat, celui-ci confie la responsabilité de cette élaboration aux autorités déconcentrées, qui reçoivent un pouvoir d'arbitrage, et à un comité national de pilotage. Elle donne donc lieu à une procédure déconcentrée et non décentralisée.
Concernant les implications financières, il conviendrait, me semble-t-il, de clarifier la question des engagements susceptibles de résulter de ces schémas. Se traduiront-ils, par exemple, par une programmation des investissements impliquant financièrement les collectivités locales ?
Restructuration des premiers cycles, meilleure orientation, meilleure formation technique, mise en place d'une vraie filière technologique, épanouissement plus grand des étudiants, renforcement de la recherche universitaire, souci de l'aménagement du territoire : voilà autant d'objectifs répondant à une logique de réforme, que nous nous devons de transformer en logique du succès.
Nous sommes conscients que cette réforme ne pourra pas se faire en un seul jour, compte tenu, notamment, de l'impératif de maîtrise des dépenses publiques. Elle doit s'inscrire dans la durée. Pour exister, elle doit être programmée.
Certes, il est toujours difficile de différer des mesures qui font l'objet d'une très forte attente. Il vous faudra expliquer pour convaincre, monsieur le ministre, avec toute la pédagogie dont vous avez déjà su faire preuve.
Sachez que le groupe de l'Union centriste dans son ensemble apportera tout son soutien à la politique courageuse et ambitieuse que vous avez définie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, bien peu de temps se sera écoulé entre l'annonce des états généraux de l'enseignement supérieur et de l'université et la présentation de leurs conclusions, qui devrait être faite à la presse dans quelques jours.
Le débat se précipite, comme en témoigne la période choisie pour associer le Parlement, alors que la majorité des étudiants et des enseignants sont occupés, en ce moment même, à préparer et à passer ou à faire passer des examens, et ne peuvent donc participer à ces travaux, comme il conviendrait qu'ils puissent le faire.
La hâte mise à clore la réflexion entamée sur notre enseignement supérieur est le reflet d'une concertation étriquée. Cette concertation, nous l'aurions voulue plus large, plus ouverte, plus démocratique, de manière que chacun des acteurs de la communauté éducative - les étudiants, les enseignants, les familles - puisse s'exprimer.
Cette précipitation est peu propice au recul nécessaire pour aborder du dedans et du dehors les problèmes de l'université et de son devenir.
Débattre de l'université et de son avenir, évoquer ce qui est le symbole de l'ensemble de la communauté éducative, de la connaissance et, plus largement, du savoir, ne peut se faire sans un grand dessein : dessein pour l'institution elle-même et, à travers elle, pour notre pays ; dessein ambitieux pour des millions de jeunes qui attendent tant, et même le plus souvent tout, de notre système éducatif.
L'ambition nécessaire à notre débat est-elle au rendez-vous ? On peut, hélas ! en douter.
Il est des questions essentielles auxquelles votre majorité ne répond pas, monsieur le ministre : le chômage, la casse du service public, l'affaiblissement de la place de la France au sein de l'Europe, le libéralisme sauvage. Ce sont là autant de maux qui broient l'individu et que la politique menée actuellement dans notre pays accentue.
Comment ne pas voir qu'une chape de plomb pèse sur la jeunesse de notre pays : l'hypothèque de l'emploi ?
Dès lors, il peut paraître vain de s'attaquer à la question de notre enseignement sans avoir, au prélable, manifesté quelque volonté de s'attaquer aux différents maux qui rongent la société française.
L'université, nous dit-on, doit s'adapter. L'université doit se préparer au siècle qui s'annonce. Adaptation à quoi et, serais-je tenté de dire, à quel type de siècle ? Celui qui verra augmenter les revenus du capital, ou les revenus du travail ?
Ces questions, approchées timidement durant la campagne de l'élection présidentielle, sont à présent prudemment contournées.
Mais je voudrais en revenir à l'université, même si je n'ai jamais véritablement quitté ce sujet.
L'université, qui accueillait 1 200 000 étudiants en 1981, en accueille aujourd'hui près de 2 200 000, soit un doublement du nombre d'étudiants en quinze ans.
Dans la tranche d'âge des dix-neuf à vingt et un ans, désormais, 30 p. 100 des garçons et 38 p. 100 des filles suivent des études dans l'enseignement supérieur, et cela concerne une famille sur deux.
Il s'agit là d'un développement quantitatif sans précédent. Dois-je rappeler que ce développement, nous l'avons défendu, promu ? Nous continuons à le faire.
Les raisons de cette demande croissante d'enseignement sont multiples, et nous les avons très souvent abordées ici même : volonté de maîtriser son avenir, transformation des modes de production, perte de repères structurant le pourquoi d'un « ici » et « maintenant », - absence de cohérence apparente de notre monde actuel. A ces facteurs, il convient d'ajouter la pression de la crise et du chômage.
A tout cela, l'université tente de répondre. On peut même dire, et je veux rendre hommage aux immenses efforts accomplis par les personnels, qu'à tout cela l'université répond bien, au-delà même des moyens dont elle dispose.
Mais les confusions sont grandes, les attentes démesurées, et parfois contradictoires, proportionnelles aux aspirations massives de notre jeunesse. Mais, à ces aspirations, nous nous devons de répondre.
Le désir d'apprendre, le désir d'enseigner, le désir de chercher, désirs résolus, accompagnés parfois d'une grande souffrance, constituent la clef de voûte de notre édifice universitaire ; ils lui ont permis de se maintenir debout et en bonne place au niveau international.
Pourtant, aujourd'hui, les interrogations se font plus pressantes, et il faut chercher des réponses nouvelles.
Le glissement de sens qui s'est opéré entre les « états généraux de l'université » et les « états généraux de l'enseignement supérieur » est-il une amorce de réponse ?
En effet, la mission de l'université ne s'arrête pas à la simple fonction de transmission du savoir, aussi noble soit-elle.
Aujourd'hui, trop peu de nos compatriotes ont une claire vision de la spécifité de notre université, qui associe de manière étroite enseignement supérieur et recherche. Le glissement qui s'opère dans les discussions autour des états généraux de l'enseignement supérieur n'est-il pas de nature à faire oublier que l'enseignement et la recherche devraient faire l'objet d'un même traitement attentif ?
Nous ne sommes pas des défenseurs absolus du statu quo, encore moins quand il s'agit de répondre à l'enjeu de civilisation que constitue la modernisation de notre université. Mais nous nous devons d'agir avec prudence, discernement et responsabilité, mus par la volonté d'ouvrir à tous les portes de la connaissance et de l'épanouissement individuel et collectif.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. Les révélations qui nous sont faites, ici ou là, concernant les travaux de la commission Fauroux, par exemple, ne vont pas dans ce sens, et si des propositions devaient malheureusement en résulter, nous nous y opposerions avec détermination.
Chaque gouvernement apporte son lot de réformes de l'université, mais quand se creusent les difficultés, alors que les choix économiques commandés par la seule recherche du profit immédiat laissent sur le bord de la route un nombre toujours plus grand de nos concitoyens, soyons attentifs à doter notre pays de l'enseignement et de la recherche qui lui permettront de préparer l'avenir.
Deux millions d'étudiants, c'est une chance pour notre pays, une chance pour l'ensemble de nos concitoyens et un formidable moyen de création de richesses.
Mesure-t-on suffisamment l'impact de l'ouverture de l'université sur notre vie quotidienne ? J'en veux pour preuve les pratiques culturelles qui se diversifient et s'enrichissent. Mais je pense aussi aux gains de productivité qui découlent très largement d'une formation plus approfondie de nos compatriotes.
L'université doit être modernisée, mais est-ce bien de réforme qu'elle a besoin ?
La loi du 20 janvier 1984 rappelait les principes humanistes et citoyens qui n'ont rien perdu de leur qualité pour l'université de demain. Ainsi, ce texte indiquait que l'enseignement supérieur participe « au développement de la culture et à la diffusion de la connaissance. Il favorise l'innovation, la création individuelle et collective dans le domaine des arts, des lettres, des sciences et techniques... l'enseignement supérieur et la recherche contribuent à promouvoir l'acquisition, le progrès et le transfert du savoir et constituent une richesse culturelle et scientifique exceptionnelle ». Cette pétition de principe est toujours valable.
Les réformes passées ont souffert non pas d'un excès d'application, mais d'une insuffisante prise en compte de ces principes. En particulier, de très nombreuses universités qui avaient amorcé l'application des réformes ont vu leurs efforts annihilés par un manque absolu de moyens leur permettant de les mener à terme. Ce n'est pas le fond qui a manqué : ce sont les fonds !
Dans le même temps, la modernisation dans le sens du progrès s'est révélée incompatible avec le démantèlement du service public.
Afin que nos deux millions d'étudiants soient une réelle chance pour notre pays, nous avons besoin d'un service public d'éducation et de recherche efficace, moderne. Voilà qui appelle d'autres moyens financiers que ceux qui sont consacrés par un budget de l'éducation nationale en régression pour la troisième année consécutive. Cette question reste incontournable. Monsieur le ministre, vous avez fait état de votre estime et de votre considération pour l'université, mais sans assortir vos propos de propositions quant aux moyens. Vous le savez, le poète Jean Cocteau disait que, en amour, ce ne sont pas les déclarations qui comptent, ce sont les preuves.
M. Jean-Louis Carrère. Et les actes !
M. Ivan Renar. Il y a quelques mois, de la même façon, je vous rappelais les propos de Prévert à la femme aimée : « Tu dis que tu aimes les fleurs, et tu leur coupes la queue ; alors, quand tu dis que tu m'aimes, j'ai un peu peur ! » (Sourires.) Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, la méfiance des étudiants, des enseignants et des chercheurs.
Mme Hélène-Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. L'avenir de notre pays, sa capacité à inventer, à produire de nouvelles formes de démocratie, de citoyenneté, un mieux être économique, social, culturel, voilà qui appelle une ouverture toujours plus grande de notre enseignement supérieur.
C'est vrai, l'université s'est ouverte et un nombre toujours plus grand de jeunes accèdent à l'enseignement supérieur. Néanmoins, l'enseignement universitaire reste marqué par une sélection sociale elle aussi toujours forte. Ainsi, en 1992, il y avait 41 enfants de cadres pour 100 enfants d'ouvriers scolarisés ; chez les bacheliers, ce chiffre s'inverse et l'on passe à 142 enfants de cadres pour 100 enfants d'ouvriers.
Les mouvements de décembre ont porté haut et fort la question du statut de l'étudiant, passage obligé et incontournable de l'ouverture et de l'accueil à l'université du plus grand nombre. A ce titre, le préambule de la Constitution instituant la gratuité de l'enseignement doit être respecté et les droits d'inscription, y compris en thèse, doivent être remplacés par des dotations de l'Etat.
Non seulement il convient d'augmenter le nombre des boursiers mais encore il faut élever impérativement le montant des bourses.
Les problèmes de logement sont au premier rang des difficultés rencontrées par les étudiants. En effet, notre pays ne compte que 150 000 logements universitaires. Les étudiants, appelés à une mobilité toujours plus grande, devraient pouvoir bénéficier, en Ile-de-France, de la gratuité des transports et de réductions importantes dans les autres régions.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Ivan Renar. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je vous écoute avec attention, monsieur Renar, et une question me brûle les lèvres : avez-vous bien conscience que chacune des mesures que vous déclinez vaut augmentation des impôts pour nos concitoyens ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça dépend lesquels !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il n'y a pas de miracle : soit nous considérons que la pression fiscale a atteint des seuils qu'il est difficile de dépasser, soit nous décidons de reporter la charge sur le futur, et nous augmentons sans mesure l'endettement de la France, dont vous savez qu'il est d'ores et déjà limite pour nombre d'observateurs. Quel est votre choix ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous avons une autre politique à vous proposer.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En vous écoutant, je faisais marcher le compteur : au point de votre intervention où je vous ai interrompu, vous en étiez déjà à une vingtaine de milliards de francs de dépenses supplémentaires !
M. Ivan Renar. Un peu plus, monsieur le ministre !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je sais bien qu'il y a des jeux de rôle. Je sais bien que les discours ne feront qu'illustrer les sensibilités qui s'expriment habituellement sur les différentes travées de cette assemblée. C'est légitime, et je ne ferai pas de polémique sur ce point. Simplement, il faut que nous sachions les uns et les autres que, les marges ayant toutes été absorbées, chaque mesure nouvelle augmente directement la pression fiscale sur nos concitoyens.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et le plan de sauvetage du Crédit Lyonnais ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. On ne peut pas plaider à la fois pour la baisse de l'impôt et pour l'augmentation de la dépense publique.
Mme Hélène Luc. Les choses ne se passent pas comme cela, monsieur le ministre !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les deux sont inconciliables.
Il me paraissait juste de le relever, pour que les positions soient claires.
Mme Danielle Bidard-Reydet. On peut toujours taxer les profits financiers, monsieur le ministre !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Renar.
M. Ivan Renar. Il s'agit effectivement d'un débat de fond, monsieur le ministre. Vous parliez tout à l'heure de l'Espagne et de l'Italie, mais la question qui est posée pour toute l'Europe, je le disais tout à l'heure, est de savoir si nous allons vers un système dans lequel les revenus du capital croîtront de façon exponentielle aux dépens de ceux du travail.
De surcroît, quand on mesure ce que coûte un porte-avions ou l'explosion d'une seule bombe nucléaire à Mururoa, on constate que notre pays a les moyens de financer un enseignement supérieur de qualité.
C'est une question de choix politique, j'en suis bien d'accord avec vous !
Mme Hélène Luc. L'enseignement doit être la priorité absolue !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le syndicat CGT des arsenaux est-il d'accord avec vous, monsieur Renar ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il ne s'agit pas des arsenaux. Il s'agit des essais nucléaires !
M. le président. Mes chers collègues, M. Renar a seul la parole !
M. Ivan Renar. J'évoquais les expérimentations nucléaires et le coût du porte-avions Charles-de-Gaulle, monsieur le ministre.
Mais je reprends le cours de mon propos, en espérant que je ne serai pas de nouveau interrompu, car j'ai encore des dépenses à vous proposer. (Sourires.)
Le droit à la santé, dont il est beaucoup question aujourd'hui, doit concerner aussi notre communauté étudiante. A cet égard, la médecine préventive et l'action sociale doivent être développées, c'est urgent alors que l'on ne compte qu'une infirmière pour trois mille étudiants et une assistante sociale pour dix-sept mille étudiants.
Tout manquement dans ces domaines contribue à accentuer l'échec.
Il est un autre sujet de préoccupation, je veux parler de l'orientation des étudiants.
Le taux d'échec dans les premiers cycles universitaires soulève nombre de problèmes.
Avant tout, sur le plan du principe, il n'est d'orientation acceptable que celle qui est librement acceptée et mise en oeuvre par l'étudiant lui-même. Autant dire qu'il s'agit d'un acte fondamental qui appelle la responsabilité de l'ensemble des acteurs de la communauté universitaire.
Certes, l'université doit apprendre à savoir faire, mais elle doit aussi apprendre à savoir être : être citoyen, être individu et pleinement acteur de sa vie.
Prenons garde à ne pas instrumentaliser l'université de demain dans le sens de la seule perspective professionnelle.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
M. Ivan Renar Ce serait toute l'activité universitaire, sa richesse, sa diversité, la recherce publique appliquée et fondamentale qui seraient menacées de disparition.
J'évoquais il y a un instant le désir des étudiants et des enseignants, mais peut-être convient-il de rajouter le plaisir, car sans désir ni plaisir il n'est pas de savoir humaniste et de connaissance universelle, voire pas de savoir du tout.
L'orientation des étudiants est au centre de cette problématique.
Une juste orientation impose une préparation aux méthodes de travail universitaire et une meilleure adéquation entre les contenus de l'enseignement des classes de terminale et de la première année de DEUG.
Cette orientation doit être individualisée au maximum. Cela suppose, bien entendu, le renforcement massif du nombre des conseillers d'orientation et de nouvelles coopérations entre professeurs du secondaire et universitaires.
Le premier cycle doit prendre en compte la diversité des acquis antérieurs et les attentes d'une population étudiante plus nombreuse.
Des passerelles et des offres de formation doivent être aménagées alors que les diplômes d'IUT, les DUT, les BTS, dont le caractère qualifiant est aujourd'hui reconnu par tous, rendent difficile, parfois impossible, la poursuite des études.
Au nom de l'équité, et pour le développement de la connaissance, nous sommes résolument hostiles à des solutions qui acculeraient les victimes de l'échec universitaire à modérer leurs ambitions pour se diriger vers des filières écourtées ou peu valorisantes.
L'orientation et la sélection existent d'ores et déjà dans l'enseignement supérieur. Les clauses de numerus clausus, les filières élitistes sont là pour nous le rappeler.
Cette façon de faire, de l'avis même d'un grand nombre de chercheurs, n'est pas le gage d'une meilleure efficacité sociale et économique, ni même d'une meilleure efficacité scientifique.
Un accès élargi à l'enseignement supérieur et à la recherche exige que soient traitées conjointement massification et qualité de l'enseignement.
Le renforcement de la qualité appelle des moyens nouveaux - on y revient toujours - notamment un renforcement des équipes pédagogiques.
Une meilleure pédagogie exige que la part des travaux pratiques et dirigés augmente : les enseignants évoquent une augmentation de 60 p. 100 de l'horaire total. Un nombre de quinze étudiants par travaux pratiques et de trente pour les travaux dirigés est avancé. Quant au nombre d'étudiants des cours en amphithéâtre, il ne devrait pas excéder deux cents.
Or quels sont aujourd'hui les moyens donnés aux enseignants pour aller dans le sens d'une nécessaire personnalisation de la relation enseignant-enseigné ?
La constante dégradation des taux d'encadrement étudiants-enseignants et étudiants-IATOS, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service, est dénoncée. Encore ces taux ne prennent-ils pas en compte l'ensemble des actes éducatifs qu'il conviendrait de renforcer pour parvenir à un enseignement de plus grande qualité et valorisant pour tous.
Il y a trop d'économies contre-productives. Les revendications de décembre exigeaient la création de 5 000 postes d'enseignants-chercheurs et de 5 000 postes IATOS, compte non tenu d'une amélioration des conditions d'études et du remplacement des emplois vacants. La titularisation des emplois précaires et la suppression des heures supplémentaires permettraient la création de 26 000 postes.
Toutes ces mesures montrent la place capitale que l'Etat doit prendre dans la modernisation de notre université : c'est une responsabilité publique nationale.
Si l'enseignement public est malade, il l'est des choix politiques qui ont cours dans notre pays.
Ainsi, ce n'est pas au système de formation d'assurer seul l'insertion professionnelle des diplômés ; cette tâche revient, au premier chef, au système économique, aux entreprises.
L'explosion du chômage frappe, depuis 1990, les emplois de cadres, de techniciens et d'agents de maîtrise.
Les emplois recrutés au niveau du BTS et du DUT, par exemple, ne se sont pas taris et chacun s'accorde à reconnaître l'efficacité de ces formations. Pour autant, les choix économiques et sociaux portent les diplômés de ces secteurs vers le chômage.
Nous pensons que, pour répondre aux besoins d'une croissance nouvelle à partir de l'ensemble des besoins humains, pour reconquérir enfin une présence dans nombre de secteurs économiques, l'ouverture d'une grande voie technologique en prise sur les changements techniques actuels et à venir est indispensable. Cela commence dès l'enseignement secondaire, et la meilleure façon d'y parvenir n'est pas de supprimer les lycées techniques.
Vous avez rappelé à l'instant, monsieur le ministre, qu'il n'y a point d'actualisation permanente des connaissances sans recherche dès la formation initiale. En cela, je vous rejoins pleinement. Il n'est pas possible d'assurer un véritable enseignement supérieur qui ne soit pas lié au mouvement du savoir, donc de la recherche. Cela était vrai au fondement même des institutions universitaires ; c'est dire combien ce principe, au regard de l'accumulation des savoirs, reste plus que jamais nécessaire.
La présidence de l'Académie des sciences a exprimé dernièrement son inquiétude devant la carence en chercheurs et enseignants-chercheurs. Dans le même temps, 50 p. 100 des docteurs formés sont au chômage, ne l'oublions pas.
Les réductions, annulations et gels de crédits pour la recherche pèsent sur notre université, comme sur le CEA, le CNRS et l'INSERM.
Au-delà, l'absence de réinvestissement des entreprises dans la recherche, alors même qu'elles profitent de crédits d'impôts recherche, ainsi que le désengagement de l'Etat menacent la recherche publique dans notre pays, alors que tout le monde en reconnaît l'excellence et le sérieux.
L'université, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est cet ensemble que je me suis efforcé de vous dépeindre. La connaissance et le savoir se nourrissent du doute scientifique, mais il nous faut avancer, pour que l'ensemble de notre jeunesse ne perde pas le désir que j'évoquais tout à l'heure.
Collaborer, avec l'ensemble de la population, à l'articulation entre les besoins du développement moderne et de qualification et le développement de notre système universitaire permettrait de redonner confiance à notre jeunesse, bien malmenée aujourd'hui.
Le savoir, la connaissance et la culture ignorent les frontières et participent à gommer des différences trop souvent sources de totalitarisme.
Notre enseignement supérieur joue un rôle important dans la coopération et les échanges, dans l'ouverture sur le monde et il paraît absurde, dès lors, de fermer à présent la porte à des milliers d'étudiants et de chercheurs.
Encore faut-il que notre pays s'accorde à donner à notre enseignement supérieur les moyens de jouer ce rôle.
Seul cet échange entre moyens financiers de la nation et savoirs permettra, comme il l'a permis par le passé, d'amener notre pays vers plus de développement et de richesses.
Monsieur le ministre, nous voulons débattre du système éducatif sans fuir les questions les plus difficiles. Mais, en même temps, je veux être clair. Le débat est pour nous l'occasion de dire à vous-même ainsi qu'à M. le Premier ministre et à M. le Président de la République que nous nous opposerons à tout rabougrissement du service public, à toute réforme qui conduirait, en fait, à ce que l'Etat prenne en charge une espèce de SMIC éducatif, le reste étant à la charge des collectivités et des familles.
Nous riposterons aussi aux insultes envers les fonctionnaires.
Le débat est également pour nous l'occasion de dire ses quatre vérités à la commission Fauroux,...
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. La pauvre ! Qu'a-t-elle fait ?
M. Ivan Renar. ...de lui préciser, en particulier, que ce qui semble l'effrayer, ce sont moins les échecs du système éducatif que ses réussites.
Cela étant, nous ne voulons pas d'un statu quo ou d'un développement à l'identique. Nous voulons plus d'égalité et plus d'atouts pour les jeunes. Nous voulons faire en sorte que les jeunes soient plus libres dans le monde où ils vivent, qu'ils en comprennent le fonctionnement, qu'ils en relèvent les défis, qu'ils en infléchissent le sens.
Cela appelle nécessairement un niveau d'exigences qui n'a plus grand-chose à voir avec le « certif » ou le « bachot » des années vingt.
Notre souci est de réfléchir à ces questions, dans une démarche qui refuse à la fois de noircir le tableau ou de s'installer dans l'existant, qui veut s'appuyer sur les potentialités réelles du système, sur ses dynamiques pour améliorer et pour innover, et qui exige, bien sûr, des moyens à la hauteur de ses ambitions.
Peut-on dire que le débat touche à sa fin ? Je ne le pense pas.
La question de la place de la recherche, de son lien avec le savoir vivant qui s'élabore et se transmet à l'université, la réflexion sur les personnels nécessaires pour encadrer les premiers cycles, sur leur qualification, leur complémentarité doivent être approfondies.
Plus au fond, il faut encore creuser l'enjeu de démocratisation des enseignements supérieurs. Il faut refuser clairement la sélection, qu'elle soit larvée ou sauvage. Il n'y a pas trop d'étudiants ; leur nombre se justifie non seulement pour des raisons de justice sociale, mais aussi pour le développement à venir de notre société sur le plan économique et social, pour l'épanouissement des individus et pour le développement des valeurs et de la citoyenneté.
Il faut donc accueillir et faire réussir tous ces jeunes dans leur diversité sociale et culturelle, dans l'hétérogénéité de leurs acquis. Cela pose le problème de l'articulation, notamment en termes de moyens, entre le lycée et l'université, des nécessaires continuités et ruptures, de la diversification positive des structures, de la mise en place de dispositifs à passerelles, de réorientations, etc.
Il faudra bien, pour en sortir, que ces propositions et réflexions soient entendues et prises en compte.
La réussite reste une idée neuve en France et en Europe. C'est pourquoi je ne saurais considérer que nous en sommes à la fin de la discussion. Quoi que vous décidiez, celle-ci ne fait que commencer.
Evoquant un printemps célèbre, monsieur le ministre, je dirai : ce n'est qu'un début, continuons le débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Claude Saunier applaudit également.)

Rappel au règlement