Travaux de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session ordinaire 1999 de cette Assemblée

DURRIEU (Josette)

RAPPORT D'INFORMATION 430 TOME II (1999-2000) - délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

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Table des matières




N° 430

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès verbal de la séance du 21 juin 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom des délégués élus par le Sénat (1) sur les travaux de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session ordinaire 1999 de cette Assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,

Par Mme Josette DURRIEU,

Sénateur.

TOME II

Actes du colloque :

" Le Conseil de l'Europe : naissance d'une conscience européenne ",


organisé par la délégation française à
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
pour le cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe


Paris - Palais du Luxembourg - 1 er décembre 1999

(1) Cette délégation était composée en 1999 de : MM. Nicolas About, Marcel Debarge , Mme Josette Durrieu, MM. Daniel Hoeffel, Jean-François Le Grand, Lucien Neuwirth, membres titulaires ; MM. James Bordas, Jean-Guy Branger, Michel Dreyfus-Schmidt, Daniel Goulet, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, membres suppléants .


Conseil de l'Europe.

 

DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN AUX NOUVELLES CRISES RÉGIONALES : UNE GRANDE EUROPE DÉMOCRATIQUE À CONSTRUIRE

Ouverture

M. Christian PONCELET

Président du Sénat

Un anniversaire, c'est l'occasion de rappeler des souvenirs et aussi d'envisager l'avenir. Reportons-nous il y a cinquante ans et mesurons le courage visionnaire de ceux qui créèrent le Conseil de l'Europe, afin d'y trouver à notre tour l'optimisme des bâtisseurs d'unité.

Mai 1949, nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale. En trente ans, l'Europe s'est par deux fois embrasée. Des générations entières ont été fauchées dans leur jeunesse, des villes historiques ont été réduites en cendres et notre civilisation a pu pressentir qu'elle était, selon le mot de Paul Valéry, mortelle.

Mais les plus clairvoyants refusèrent de se résigner au suicide de l'Europe et ont appelé à la réconciliation et d'abord à la réconciliation entre la France et l'Allemagne.

Tel était le voeu de Winston Churchill.

Tel était l'idéal des « Etats-Unis d'Europe » déjà évoqué par Victor Hugo.

Tel était le principe de l'organisation de coopération dont nous fêtons le cinquantième anniversaire.

C'est dans ce climat qu'est né le Conseil de l'Europe. La volonté de paix par la démocratie s'est manifestée par la signature du Traité, le 5 mai 1949. Elle s'est encore affirmée par l'élaboration de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée le 5 novembre 1950.

Mais déjà la guerre froide a divisé les anciens alliés qui avaient vaincu le nazisme.

Séparée de sa moitié orientale, l'Europe occidentale a jeté toutes ses forces dans la reconstruction, permettant l'épanouissement des solidarités économiques et de la souveraineté partagée au sein de l'Union européenne.

La démocratie s'y est enracinée, en Grèce comme au Portugal et en Espagne.

Est-ce à dire que le Conseil de l'Europe avait accompli sa mission ? Evidemment non, comme l'a montré l'évolution de notre continent depuis 1989.

Aussi visionnaires que leurs prédécesseurs de 1949, des responsables d'Europe occidentale ont pressenti le besoin de liberté qui montait inéluctablement en Europe centrale et orientale.

Six mois avant la chute du mur de Berlin, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a accueilli des délégués des Parlements de quatre Etats d'Europe centrale et orientale, selon le voeu du Président Louis Jung, et sous la présidence de M. Miguel Angel Martinez.

Ce pari audacieux sur l'avenir, ou plutôt sur les hommes et leur soif de liberté, a été gagné.

Quarante et un Etats, c'est-à-dire à peu près toutes les nations de notre continent, sont aujourd'hui membres du Conseil de l'Europe. Tous souscrivent aux dispositions du statut en faveur de la démocratie et des libertés fondamentales. Tous sont signataires de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ce texte m'apparaît essentiel pour forger la conscience européenne en ce qu'il pose de véritables engagements normatifs, qui obligent les Etats membres à se dépasser en matière de droits de l'homme. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe, loin d'être une simple antichambre de l'Union européenne comme certains le considèrent, représente pour moi une véritable communauté de valeurs .

En plus d'un accélérateur du progrès démocratique, le Conseil de l'Europe est aussi un laboratoire de prospective sur de nombreux sujets de société : il a ainsi réfléchi et légiféré dans des secteurs aussi fondamentaux et divers que la bioéthique, ou l'autonomie des collectivités locales qui constitue le soubassement et le fondement de la démocratie.

Les élus des Parlements des quarante-et-un Etats du Conseil de l'Europe débattent ainsi des grandes questions de notre temps et dessinent, à l'Assemblée de Strasbourg, l'avenir du « modèle européen ».

L'acquis est donc immense et l'espoir ne nous est certainement pas moins permis qu'aux fondateurs du Conseil de l'Europe dans une Europe en ruine.

Pourtant, ceux qui prophétisaient il y a peu « la fin de l'histoire » sont cruellement démentis.

Des conflits se sont rallumés dans les Balkans, dans le Caucase et sur le territoire de l'immense Russie.

Ce n'est pas un échec de la coopération européenne. C'est un défi et je suis sûr que nous y ferons face.

Le Général de Gaulle nous a enseigné que la vie est un combat et la liberté également et qu'en fait, la vie est un combat pour la liberté .

Je forme le voeu que les Etats déjà membres à part entière du Conseil de l'Europe et qui sont proches des foyers de conflit -je pense à l'Albanie dont je salue le Président du Parlement parmi nous, à la Bulgarie, à la Croatie, à l'ex-République yougoslave de Macédoine, à la Géorgie- montrent à leurs voisins le chemin de la paix.

Certains Etats non encore membres participent déjà aux travaux de l'Assemblée parlementaire comme « invités spéciaux ». Je sais que tous les représentants de ces Etats, qui participent aujourd'hui à notre colloque, partagent déjà l'idéal européen, et j'espère qu'ils pourront porter votre message commun à ceux qui s'obstinent dans l'impasse de haines ancestrales.

L'adhésion au Conseil de l'Europe, comme à la Convention européenne des droits de l'homme, exclut radicalement le fantasme de nations « ethniquement pures ». Dès lors, il n'y a pas d'autre voie pour la résolution des conflits que la démocratie, le suffrage universel libre et secret, la liberté de la presse et des partis, la sanction de la violence.

En conclusion, je voudrais remercier mon amie Mme Josette DURRIEU, Présidente de la délégation parlementaire française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, d'avoir pris l'initiative de cette journée de commémoration, de réflexion et de projection dans l'avenir.

Je forme des voeux pour que les travaux de votre colloque fassent progresser la conscience européenne, faite indissociablement de respect de l'autre et de respect égal des disciplines collectives sans lesquelles il n'est pas de liberté individuelle.

Vers une identité européenne

Mme Josette DURRIEU

Présidente de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe

Le Conseil de l'Europe a 50 ans. Qui le sait en France ?

Cette institution, née d'un acte fondateur signé à Londres en 1949 par Churchill et Edouard Herriot, a pour mission de promouvoir la paix par la démocratie et les droits de l'Homme.

Aujourd'hui, 41 Etats en sont membres, de l'Atlantique à l'Oural et au Caucase... Le dernier pays qui ait adhéré en avril 1999 est la Géorgie. Il reste cinq pays candidats. Et l'Europe achevée compterait donc 46 Etats.

Depuis la création du Conseil de l'Europe, le 5 mai 1949, cinquante ans de paix relative ont passé dans cette Europe qui a été le théâtre de tous les conflits et qui ne doit pas le redevenir. Il y a un siècle, un sénateur de la Seine, entre 1875 et 1885, Victor Hugo, disait : " UN jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Espagne, vous Angleterre, Allemagne, vous, toutes les autres nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et constituerez la fraternité européenne. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autre champ de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées ". Mikhaïl Gorbatchev a cité Victor Hugo le 6 juillet 1989 dans son discours attendu de Strasbourg, devant une assemblée à la fois surprise et attentive. Il répondait à une invitation de Louis Jung, alors Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

De 1949 à 1999, avec l'étape décisive de 1989, cinquante années de l'histoire de l'Europe se sont écoulées : la chute du Mur, le vent de l'Est qui balaie tout, le concept nouveau de la Maison commune européenne, une nouvelle ruée vers l'Ouest, marquée par une très grande ambition et par un immense espoir, histoire d'une réconciliation et d'une construction collective toujours en devenir. " Comme un fleuve rentre dans son lit, l'Europe est rentrée dans son histoire et dans sa géographie " , dira François Mitterrand. Au cours des dix dernières années, l'histoire a basculé en soldant à la fois les comptes de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale. Nombre de forces verrouillées ont été libérées depuis Versailles et Yalta. IL nous faut non seulement rêver, mais surtout imaginer, travailler et construire. Lech Walesa disait à Strasbourg : " Europe, je fais appel à ton imagination ". Je voudrais saluer l'impulsion décisive donnée par Catherine Lalumière, secrétaire générale de l'Assemblée parlementaire de 1989 à 1994, accompagnée entre 1992 et 1996 par Miguel Angel Martinez, alors Président. Catherine Lalumière a dit -et ses mots ont été déterminants : " Je revendique le choix de l'audace pour la démocratie. Il faut savoir choisir entre les risques. Le véritable risque serait de laisser ces pays dehors. Ayons l'audace de les faire entrer ". Ce sont plus de vingt acteurs nouveaux qui évolueront sur la scène européenne. Nombre d'espoirs, de promesses, de crises et d'urgences jalonneront le passage d'un certain ordre européen à un autre.

Après la chute du Mur de Berlin en 1989 et depuis dix ans, les pays de l'ex-bloc soviétique ont engagé leur longue marche vers la démocratie...

Etre admis au Conseil de l'Europe était la consécration de la rupture. C'était, aussi, la reconnaissance et la perspective d'une intégration à plus ou moins long terme à l'Union européenne.

L'Europe est une référence absolue pour ces nouveaux Etats. Sa construction est, également, nécessaire à la stabilisation de notre espace européen.

Le Conseil de l'Europe est ainsi devenu le forum au sein duquel les notions de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'Homme ont façonné les esprits et les mentalités des élites politiques de ces nouveaux Etats.

Bien sûr les pays membres n'étaient pas encore des démocraties achevées au moment de leur adhésion... je pense à la Russie, à la Croatie, à l'Ukraine, qui ont pourtant adhéré. Je pense à la Bosnie-Herzégovine qui est candidate ou à la République Fédérale de Yougoslavie qui l'est aussi... Et cependant ces pays évoluent rapidement sous le regard des parlementaires des démocraties anciennes et des experts qui les observent et visitent ces pays. Adhésion qui peut être remise en cause, par exemple pour la Biélorussie dont le statut d'invité spécial a été suspendu.

Le Conseil de l'Europe est devenu cette enceinte unique où pouvait se nouer le dialogue permanent et organisé dans des conditions d'égale dignité.

Le Conseil de l'Europe est devenu ce creuset où se forge l'identité européenne et, peut-être, ce destin commun qu'évoque Edgar Morin. Le Conseil de l'Europe façonne les mentalités, tant il est vrai que tout est question d'esprit et de disposition volontariste. Le Conseil de l'Europe est le lieu d'apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté.

Tous ces pays ont besoin d'une Europe unie, pacifique, démocratique, tolérante et prospère. Le risque majeur aujourd'hui est celui d'une Europe fragmentée. L'enjeu du troisième millénaire est l'adhésion des peuples à une identité européenne complémentaire des identités nationales. Le message officiel du Conseil de l'Europe pour le cinquantième anniversaire se terminait ainsi : " Au seuil du nouveau siècle, le Conseil de l'Europe est résolu à saisir pleinement les chances offertes par cette grande Europe de la démocratie. Il s'emploiera résolument à construire une Europe des citoyens un véritable Conseil des Européens ". Au nom de la Délégation française, je salue fraternellement les 800 millions de femmes et d'hommes qui forment cette grande Europe.

L'évolution du Conseil de l'Europe

M. Keith VAZ
Ministre délégué aux Affaires européennes de Grande-Bretagne

C'est pour moi un grand honneur d'avoir été invité à contribuer à ce symposium, qui me donne l'occasion de rassembler mes idées sur le rôle actuel et futur du Conseil de l'Europe après mon arrivée relativement récente au poste de Ministre aux Affaires européennes en Grande-Bretagne.

Aujourd'hui, nous rendons hommage à une organisation qui n'a pas seulement survécu pendant 50 ans, mais qui s'est développée et s'est épanouie. Au cours des dix ans qui viennent de s'écouler, le Conseil de l'Europe a vécu une transformation étonnante : le nombre de ses Etats membres est passé de 23 à quarante et un et elle représente aujourd'hui plus de 800 millions de personnes. Qui plus est, le Conseil s'est réinventé. Il est devenu un modèle pour toutes les organisations internationales, ayant eu le courage d'accepter un nouveau rôle pour être plus efficace. La Grande-Bretagne est fière que la création du Conseil de l'Europe ait été entérinée à Londres, le 5 mai 1949. La France doit également être fière d'accueillir ce Conseil depuis 50 ans.

Des origines au présent
Une collaboration large

Le Conseil de l'Europe a été créé pour protéger et préserver les valeurs et les idées que ses membres fondateurs ont jugées caractéristiques de leur identité. Il est devenu un symbole d'engagement envers la démocratie pluraliste, le respect des droits de l'homme et l'Etat de droit. Son statut prévoyait en outre bien d'autres sortes de coopération, que ce soit en matière de culture, d'éducation, d'affaires sociales, d'actions pour la jeunesse ou de sport. Seule la défense ne faisait pas partie de ses attributions. Le Conseil de l'Europe a codifié les valeurs morales de nos sociétés en élaborant une législation internationale applicable, en cas de besoin, par le biais de sanctions.

Dès le milieu des années 80, on pouvait croire que la mission du Conseil de l'Europe était achevée car le Conseil était devenu une assemblée d'Etats ayant exactement les mêmes idées. D'une certaine manière, il avait été remplacé par la Communauté européenne, instrument préféré de la coopération européenne. Les membres du Conseil ont vu, sans doute avec des sentiments mitigés, la Communauté prendre en main la construction de l'Europe, faisant siens les drapeaux, hymne et jour de fête du Conseil. Comme l'a affirmé Charles de Gaulle, le Conseil de l'Europe était devenu « la belle au bois dormant du Rhin ».

L'unification politique

Puis, survinrent les événements de 1989. La chute du Mur de Berlin rendit au Conseil de l'Europe le rôle central qui avait été le sien dans l'unification de l'Europe. Il avait pour mission d'accueillir, d'encourager et de consolider les nouvelles démocraties qui souhaitaient vigoureusement s'engager dans une nouvelle voie. Un dilemme apparut aussitôt. Comment le Conseil, conçu pour défendre des valeurs et de veiller à ce que ses Etats Membres respectent leurs engagements, devait-il traiter les demandes des Etats qui ne remplissaient pas les conditions d'entrée ?

Ses dirigeants décidèrent d'accueillir malgré tout les nouvelles démocraties, en leur faisant confiance pour l'adaptation postérieure de leurs dispositifs politiques. Les Etats qui souhaitaient devenir membres devaient s'engager à mettre en oeuvre les conventions fondamentales de l'Europe et accepter le suivi et la surveillance du Conseil à cet endroit. Aujourd'hui, cette surveillance est assurée par le Comité des Ministres et par l'Assemblée parlementaire. L'objectif est non de critiquer les Etats, mais de les aider. Cependant, si besoin est, le Conseil peut user de sanctions, dont la suspension, voire l'expulsion.

Les innovations

La mission du Conseil de l'Europe ne se limite pas à l'intégration de nouveaux Etats membres. Il doit également veiller à ce que les membres en place continuent de faire respecter les idées de l'Europe. C'est pour répondre à cette attente que le gouvernement travailliste de la Grande-Bretagne a, dès 1997, adopté une loi pour intégrer la Convention européenne des Droits de l'Homme à la législation britannique. La loi sur les droits de l'homme, votée en 1998, entrera en vigueur en 2000. Elle joue un rôle essentiel dans la création d'une culture des droits et des devoirs, qui constitue un des objectifs du gouvernement britannique. Cette initiative entraînera des changements fondamentaux dans notre système législatif et touchera toutes les sphères du travail de l'Etat.

L'avenir
Une nécessaire coopération

De même que les autres Etats membres, la Grande-Bretagne s'engage à veiller à ce que le Conseil de l'Europe progresse constamment, en adaptant ses politiques et ses objectifs aux défis nouveaux et urgents qui surgissent. A la suite du deuxième Sommet du Conseil de l'Europe en 1997, les Etats ont entrepris un travail considérable pour décider des adaptations futures. Lors de la réunion ministérielle à Budapest au mois de mai, les Ministres ont approuvé un programme de réforme du Conseil, qui portera sur les méthodes de travail et la redistribution des ressources en fonction des missions jugées prioritaires pour les années à venir.

Aussi unique qu'ait été sa contribution, le Conseil n'est pas la seule organisation dont dépend l'avenir de l'Europe. Il devra travailler de concert avec les institutions déjà en relation que sont l'Union européenne, l'OTAN, l'OSCE et l'OCDE. Nous voyons avec bonheur s'engager un dialogue entre ces acteurs. L'expérience du Conseil de l'Europe est unique et lui permettra d'apporter une contribution irremplaçable à l'OSCE, dans son action au Kosovo comme à l'élaboration du Pacte pour la Stabilité en Europe du Sud-Est.

Pour la dignité humaine

Quant à l'Assemblée parlementaire, elle est la conscience du Conseil de l'Europe. Ses membres veillent à la conformité des engagements et des actions menées par les Etats membres et préparent des rapports sur les Etats qui demandent à être admis.

Il va sans dire que la surveillance et le suivi ne suffisent pas. Un des défis principaux pour la communauté internationale sera de mettre fin à la violation des droits de l'homme et de punir les coupables selon la loi. Tous les Etats membres du Conseil de l'Europe doivent adopter la Convention européenne des Droits de l'Homme. Ils acceptent donc la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme et reconnaissent celle-ci comme étant l'unique autorité en la matière. La Cour garantit la punition de tout Etat violant les droits de l'homme des individus.

Le Conseil de l'Europe a joué un rôle novateur dans bien d'autres domaines. Ses membres se réunissent, entre autres, pour élaborer des stratégies pour lutter contre la toxicomanie, pour élaborer des codes d'éthique médicale, pour protéger les droits des minorités, pour promouvoir le patrimoine culturel de l'Europe et pour empêcher la corruption.

Des principes durables

Si les valeurs fondatrices du Conseil restent essentiellement identiques, les actions lancées à ce jour seront revues et remaniées pour être le plus efficace possible. Le Conseil doit notamment tirer le meilleur profit possible des ressources dont il dispose, qui ne seront naturellement jamais suffisantes pour mener toutes ses actions à bien. La souplesse et la capacité à s'adapter devront donc être les maîtres mots. Le Secrétariat du Conseil doit être salué pour la réforme déjà amorcée.

Le Conseil de l'Europe de l'avenir s'attaquera aux défis avec enthousiasme sans jamais se défaire de ses principes fondamentaux. Il aidera ses Membres à tenir leurs engagements tout en insistant pour qu'ils fassent le maximum d'eux-mêmes. Il affirmera l'unité de l'Europe à travers les valeurs communes à nous tous.

C'est dans l'unité que nous trouverons les solutions aux nouveaux problèmes qu'affronte notre continent. La Grande-Bretagne, la France, leurs partenaires européens et leurs amis au sein des autres organisations européennes se sont engagés à travailler de concert pour leur bien commun. Nous avons l'espoir que l'heure viendra rapidement où tous les pays européens pourront remplir les critères d'entrée pour enfin faire partie de cette famille européenne qu'est le Conseil de l'Europe.

L'Europe de la démocratie et de la jeunesse

Pierre MAUROY
Ancien Premier Ministre, Sénateur, Président de la Fondation Jean Jaurès

Je suis très heureux d'être associé à cette manifestation qui marque le cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe et je vous remercie très vivement d'avoir convié la fondation Jean Jaurès à partager votre réflexion. Je félicite Madame Josette Durrieu et ses collègues qui ont pris l'initiative de cette manifestation.

Les témoignages que nous avons entendus étaient très importants. Je n'ai moi-même pas participé directement au Conseil de l'Europe. Mais je vais néanmoins vous faire part de mon point de vue sur son rôle dans le monde de demain.

Le Conseil de l'Europe occupera-t-il à l'avenir une place aussi importante que celle qu'il a eue jusqu'à présent ? Je crois que oui. Il a joué un rôle essentiel dans la construction européenne, moins connu peut-être que celui de l'Union européenne, qui a construit un espace économique et politique intégré, mais crucial pour la promotion de la démocratie et de l'Etat de droit. Il a eu un rôle de précurseur et ce rôle reste essentiel pour rapprocher des pays de cultures et de traditions différentes. Il permet de développer une conscience européenne.

Le marché n'est pas le seul élément qui compte. Le plus important pour l'Europe est peut-être de sauvegarder ses valeurs de démocratie, de liberté, de respect de la personne humaine. C'est d'autant plus nécessaire que bien des pays européens connaissent aujourd'hui une résurgence des forces nationalistes et xénophobes. Ceci est vrai dans les démocraties des pays de l'Est où après près d'un demi-siècle d'oppression, les peuples tentent de retrouver leur identité nationale et, parfois, basculent dans les travers les plus négatifs de l'affirmation nationaliste. Mais ceci est également vrai dans les pays de l'Europe de l'Ouest, qui ont pourtant une forte tradition démocratique. Les résultats électoraux des Le Pen, Haider et bien d'autres nous interpellent, nous démocrates, ainsi que tous ceux qui veulent construire une Europe nouvelle, forte, démocratique et respectueuse des droits de l'homme.

La conscience européenne que nous voulons bâtir est à l'opposé de ces nationalismes et nous devons tout mettre en oeuvre pour les combattre. Je pense que nous devons le faire avec le Conseil de l'Europe. Le racisme, la haine de l'autre, la violence ne doivent plus avoir leur place dans les sociétés européennes. Il est de notre devoir à tous de leur mener une lutte sans merci. Des initiatives sont prises dans ce sens par les associations et les pouvoirs publics : il faut les encourager. C'est ce qu'a fait le Conseil de l'Europe à travers sa campagne contre le racisme et la xénophobie, l'antisémitisme, l'intolérance, « Tous différents, tous égaux ». Je crois qu'il faut l'en féliciter. Le Conseil de l'Europe a également une politique très active envers les jeunes générations. Grâce aux deux centres européens de la jeunesse situés à Strasbourg et à Budapest et au Fonds européen de la jeunesse, le Conseil de l'Europe peut aider les jeunes de toute l'Europe à apprendre à se connaître, à travailler et à vivre ensemble afin de faire tomber les barrières culturelles et de développer la conscience européenne. Les activités internationales pour la jeunesse cherchent toutes à promouvoir la citoyenneté, la mobilité, la démocratie et le pluralisme culturel.

Il y a quelques années a été institué un Office de la jeunesse entre la France et l'Allemagne. Il a été doté de moyens importants. J'ai siégé au premier Conseil d'administration de cet organisme et j'ai participé aux échanges qu'il a suscités. Ils ont eu une importance primordiale. Ils ont sans doute contribué à l'amitié actuelle entre la France et l'Allemagne et à la construction de l'Europe. Je crois qu'un effort particulier pour la jeunesse européenne permettrait de bâtir, dans des conditions encore meilleures, l'Europe que nous souhaitons. Il y a là un investissement à faire.

Personne ne peut changer la géographie ou le cours de l'histoire. L'Europe s'élargira donc. Cela posera sans doute des problèmes politiques et cela posera également la question de la sauvegarde de nos valeurs. En effet, nous ne voulons pas seulement une Europe économique ou politique : nous voulons une Europe qui reste dans la meilleure tradition européenne, celle de la liberté, de la démocratie et des droits de l'homme. Voilà pourquoi je salue l'action du Conseil de l'Europe qui a contribué à la réconciliation du continent et à l'émergence d'une conscience européenne. C'est grâce à votre travail que nous pourrons aborder en toute sérénité l'élargissement de l'Union européenne. Le rapprochement économique est bien sûr nécessaire, mais la grande Europe que nous voulons n'est possible que si les peuples partagent les mêmes objectifs communs de démocratie et de paix. Le Conseil de l'Europe peut apporter une contribution décisive dans ce sens.

Mme Josette DURRIEU :

Je vous remercie. Il a été dit que le plus grand péril qui menace l'Europe est la lassitude. Mais la jeunesse est là. L'an dernier, le Conseil de l'Europe des jeunes, organisé à l'initiative de la délégation française, a été un grand succès. Il a été présidé par Michel Miaskiewicz, qui a déclaré : " l'Europe, moi, j'y crois ". Aujourd'hui, l'Europe est devenue une évidence pour nos enfants. Que ce soit sous le pont Charles à Prague, au pied de la Tour Eiffel à Paris, à Picadilly à Londres, sur les escaliers de la Piazza di Spagna à Rome ou dans la vallée du Rhin, on rencontre des milliers de jeunes venant de toute l'Europe et dont la façon de penser, de ressentir les choses, dont le comportement sont bien plus évolués que les nôtres. C'est leur manière de nous lancer un avertissement.

L'Europe de la paix

M. Louis JUNG
Sénateur honoraire - Ancien Président de l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe
Président de la Fondation Robert Schuman

La rencontre d'aujourd'hui est la deuxième manifestation majeure, consacrée spécialement à notre organisation, se déroulant cette année au Sénat. En effet, un colloque, animé par le Sénateur Hoeffel, célébrait en mai dernier le 25 e anniversaire de la ratification par la France de la CEDH. Je remercie la Délégation française auprès de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et félicite sa Présidente.

Les bâtisseurs du Conseil de l'Europe

Il est bon qu'à certains moments, l'Europe qui fait continuellement des avancées majeures replonge dans son aspiration. Il me semble utile de vous présenter quelques considérations sur la dimension paneuropéenne du Conseil et son élargissement à l'origine de la modernisation de notre organisation. Les discours des bâtisseurs de l'Europe - Winston Churchill, Ernest Bevin, Edouard Herriot, Robert Schuman, Konrad Adenauer, etc. - témoignent de la volonté de ne pas limiter le Conseil de l'Europe à la partie occidentale du continent. La déclaration de Robert Schuman, prônant le pardon et de nouvelles relations entre pays autrefois antagonistes, a donné, avec les droits de l'homme, la base spirituelle des missions du Conseil de l'Europe. Je suis heureux que la Fondation Schuman, que j'ai l'honneur de présider, permette de la conforter, tant par la coopération franco-allemande que par les missions dans les pays de l'Europe de l'Est. Ce n'est qu'à cause d'un enchaînement malheureux des événements et de la tombée du rideau de fer que le Conseil de l'Europe est resté confiné à l'Europe occidentale pendant quarante ans. Les travaux préparatoires aux statuts du Conseil de l'Europe avaient commencé en 1948 en pleine crise de Berlin. Il serait pour le moins erroné de penser que durant quarante ans, notre organisation aurait peu fait pour développer les relations Est-Ouest.

Dès 1954-1955, l'Assemblée, alors sans concurrence en Europe, organisait des débats sur la politique européenne commune lors des futures conférences Est-Ouest. Lorsqu'en juillet 1955, Harold Macmillan, alors Ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, rendit une visite à l'Assemblée parlementaire, il posait déjà les questions suivantes : « notre groupe de membres est-il trop fermé ? Notre statut, qui dit à quelles conditions de nouveaux membres ou de nouveaux observateurs peuvent être accueillis parmi nous est-il trop sévère ? » A la même époque, François de Menthon, Président de l'Assemblée de 1952 à 1954, s'exprimait en ces termes : « nous voulions la création d'une Europe unifiée, quelle que soit l'évolution des activités du Conseil et indépendamment de toute considération relative à la tension ou à la détente entre l'Est et l'Ouest. Nous devons souligner que la réalisation de l'union européenne est une exigence première de toutes les nations groupées au sein du Conseil de l'Europe et devrait être une contribution fondamentale à la paix internationale ». Après la crise de Cuba et pendant que Pierre Pflimlin présidait l'Assemblée, une nouvelle stratégie fut développée concernant le rôle du Conseil en matière de relations Est-Ouest. En avril 1985, le Comité des Ministres a adopté une résolution importante sur l'identité culturelle de l'Europe, faisant fi des frontières du Conseil de l'Europe et des barrières idéologiques. Ce texte constituait la base des initiatives ciblées du Secrétaire général visant à une coopération concrète avec les pays les plus avancés d'Europe de l'Est.

L'accueil des démocraties naissantes de l'Est

Le renouveau du Conseil ne s'est pas limité alors aux relations Est-Ouest. De nouvelles pistes ont été explorées pour les activités de l'organisation. Le nombre des conférences des Ministres spécialisés augmentaient. De nouveaux accords partiels furent conclus. En coopération avec la Communauté européenne, l'Année européenne de la musique fut organisée. Une commission des sages - la commission Colombo - était chargée d'élaborer des recommandations pour la coopération européenne au-delà de la décennie en cours. La Commission européenne s'apprêtait alors à réaliser la première réforme substantielle des traités : l'Acte unique européen.

C'est dans cet environnement que j'ai entamé en avril 1986 mon mandat de Président de l'Assemblée. L'adhésion en octobre 1987 de la Yougoslavie, comme premier PECO, à la Convention culturelle européenne représenté une percée majeure. Cette adhésion permettait la participation, sur un pied d'égalité, aux activités intergouvernementales dans les domaines de la culture, de l'éducation, du sport et de la jeunesse. Le Secrétaire général et moi-même avons effectué des visites officielles en Hongrie, en Pologne et en Yougoslavie dès 1987-1988. A ces occasions, le souhait d'une adhésion au Conseil de l'Europe fut plus ou moins clairement exprimé par nos interlocuteurs. C'est en 1988 que s'établirent enfin les relations officielles entre l'Assemblée parlementaire et le Soviet suprême. En outre, une réflexion s'engagea à propos d'un statut spécial pour les parlements des PECO remplissant certaines conditions. Je tiens à souligner le soutien efficace de notre ancien collègue suisse, Peter Sägger, qui préconisait avec moi le statut d'invité spécial. L'invitation faite à Mikhaïl Gorbatchev de prononcer une allocution devant l'Assemblée parlementaire n'a pas suscité l'enthousiasme du Comité des Ministres. La première visite du Pape à l'Assemblée parlementaire et l'organisation à Varsovie de la première conférence paneuropéenne des présidents des assemblées parlementaires des Etats-Unis et du Canada ont également marqué cette année 1988. Par ailleurs, l'admission de la Finlande au Conseil de l'Europe permit de faire coïncider la composition de ce dernier et l'espace démocratique. Le Conseil de l'Europe était ainsi prêt à assumer sa mission de structure d'accueil pour les démocraties d'Europe centrale et orientale. Les pays réformateurs aspiraient à une structure leur permettant de consolider leurs progrès démocratiques et cherchaient à devenir les partenaires des pays de l'Europe occidentale. A cet égard, le Ministre polonais des Affaires étrangères a dit le 5 mai 1998 devant le Comité des Ministres : « pour nous, hommes de Solidarité, l'acquis du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits de l'homme était un important point de référence dans notre lutte ».

Le Conseil de l'Europe est la seule organisation ayant pour vocation d'accueillir à terme et sur un pied d'égalité les 47 pays du continent. Les structures souples qui caractérisent l'organisation ménagent les souverainetés nationales hormis en matière de droits de l'homme. Le Conseil de l'Europe a su faire face aux événements de 1989 étant donné qu'il les a souvent anticipés et que les gouvernements réagissaient avec un certain décalage. Le Conseil a donc entendu l'appel de l'Histoire qui nous a demandé de rapprocher les peuples partageant une culture et un patrimoine historique communs. Malgré le grand optimisme exprimé en 1989, certains se montraient réticents, arguant que la lutte n'était pas achevée et qu'il fallait défendre le Conseil de l'Europe. Il restait alors de nombreuses inconnues tel que le succès ou non de la perestroïka.

La situation et les perspectives du Conseil de l'Europe

Ce n'est pas à un retraité qu'il revient de présenter la situation et les perspectives de l'organisation. Lord Russell Johnston, Président de l'Assemblée parlementaire, et son Secrétaire général, Bruno Haller, sont mieux placés que moi pour ce faire. Cependant, ayant eu l'honneur de représenter le Sénat auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pendant plus de 27 ans, je voudrais suggérer quelques réflexions.

Le Conseil de l'Europe traite un trop grand nombre de sujets. En effet, outre les activités de l'Assemblée parlementaire, l'organisation s'occupe du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de favoriser une coopération internationale structurée. L'insuffisance des moyens au regard de l'ampleur de la tâche est problématique. Il est anormal que le financement, qui incombe aux Etats membres, ne fasse toujours pas l'objet, dans de nombreux pays, d'une ligne budgétaire spécifique et soit supporté par le budget des Affaires étrangères. Cela ne facilite pas l'adéquation des moyens aux besoins. Les déplacements que j'ai effectués dans des Etats non-membres du Conseil de l'Europe - comme Président de l'Assemblée du Conseil de l'Europe ou comme Président de la Fondation Schuman - m'ont permis de mesurer l'importance de notre Organisation pour ces pays et son rôle pendant la période d'attente pour leurs populations. C'est pourquoi je défends depuis des années une coopération plus intense entre le Parlement européen, la Commission européenne et les instances du Conseil de l'Europe. Cela permettrait d'éviter certains gaspillages et un recentrage sur la finalité des missions réciproques. Bien que cela soit difficile, la nouvelle Conférence intergouvernementale de l'Union européenne, l'année prochaine, et la conférence des présidents des assemblées parlementaires européennes apporteront, je le souhaite, une contribution essentielle.

Permettez à l'ancien combattant de Dunkerque en 1940, au blessé de Zuydcoote et au prisonnier de guerre de Dresde de dire ses remerciements à toutes celles et à tous ceux qui ont lutté pour le même idéal : l'Europe de la paix.

Une conscience européenne forte et exigeante

Mme Catherine LALUMIERE
Députée au Parlement européen, Ancien Ministre des Affaires européennes,
Ancien Secrétaire général du Conseil de l'Europe

Permettez-moi tout d'abord de saluer l'initiative prise par Madame Josette Durrieu, Présidente de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Organiser un colloque sur le Conseil de l'Europe, et notamment en France, est relativement rare... sauf au Sénat. La France et les Français semblent parfois bien indifférents envers cette organisation qui, selon le mot cruel du Général de Gaulle, « dort au bord du Rhin ».

Or, elle mérite beaucoup mieux et je suis infiniment reconnaissante envers ceux et celles qui contribuent à la faire mieux connaître.

Pour ma part, (excusez-moi si je parle à la première personne de souvenirs personnels) mais je crois que beaucoup d'autres personnes que moi ont fait la même expérience - il suffisait d'écouter le Président Jung - le Conseil de l'Europe m'a apporté deux cadeaux d'une inestimable valeur.

Comme beaucoup, j'ai abordé l'Europe et les dossiers européens par le biais de l'économie et du marché commun. Dans les années 70-80, on ne parlait que de cela. Et même le dossier de l'élargissement de la Communauté à l'Espagne et au Portugal, auquel je fus étroitement associée en tant que membre du gouvernement chargé des affaires européennes, portait essentiellement sur des questions économiques : agriculture, viticulture, pêche, sidérurgie, aciéries, etc.

C'est à partir de 1987, lorsque je devins membre de l'Assemblée parlementaire et plus encore à partir de 1989, lorsque je devins secrétaire général du Conseil de l'Europe, que je découvris une tout autre dimension de l'Europe : la dimension philosophique, la dimension culturelle, la dimension humaniste. Naïvement peut-être, je ressentis cela comme une révélation.

La construction européenne, celle que les pionniers avaient entreprise juste après la guerre, dans les années 45-50, prenait sa vraie signification. La création du Conseil de l'Europe dès 1949, l'adoption de son statut marquant clairement que sa mission était de construire la paix par la démocratie et le respect des droits de l'homme, l'adoption, dès 1950, de la fameuse Convention européenne des droits de l'homme, tout cela montrait que les Pères fondateurs avaient fort bien compris que la réconciliation et la paix passaient d'abord par le respect de certaines valeurs, de certaines idées, de certains comportements.

Quelques temps après, Jean Monnet s'attelait à une autre tâche : la reconstruction économique. Tâche ô combien importante et qui devait aboutir en 1957 au Traité de Rome. Mais on doit regretter que la création de la Communauté et son succès aient occulté le travail du Conseil de l'Europe. Dommage ! En fait, l'Europe avait, a et aura besoin des deux.

Secrétaire général du Conseil de l'Europe, je découvris la richesse de ses travaux ; les droits de l'homme bien sûr, mais aussi les droits spécifiques des femmes et la parité hommes-femmes, les droits des enfants, la Convention contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, les droits économiques et sociaux, les enquêtes sur les prisons, les droits des personnes appartenant à des minorités, etc. S'agissant des droits de l'homme, je ne voudrais pas que l'Union européenne, en prenant des initiatives un peu maladroites, n'affaiblisse l'édifice du Conseil de l'Europe ; c'est le danger lié au projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union qui occupe à présent le Conseil et le Parlement européen.

Dans un autre domaine, le Conseil de l'Europe a fait une oeuvre considérable et utile ; le rapprochement des droits des différents pays membres, qu'il s'agisse du droit civil ou du droit pénal. Travail technique de haut niveau qui a tracé le chemin pour les harmonisations auxquelles l'Union européenne a désormais le pouvoir de procéder.

Dans un troisième domaine, celui de l'éducation et de la culture, le Conseil de l'Europe a permis plus que quiconque que l'on prenne conscience de nos différences culturelles, mais aussi de ce qui nous est commun, à nous Européens. Plus que quiconque, il a fait prendre conscience de l'enrichissement mutuel résultant de la pluralité des cultures en Europe ; mais aussi il a bien montré les difficultés que l'on rencontre dans les sociétés multiculturelles, pour vivre ensemble dans un esprit de tolérance et de respect de l'autre.

Le Conseil de l'Europe c'est aussi le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, dont je salue ici son Président Alain Chenard ; c'est le Centre européen de la jeunesse, etc.

Le Conseil de l'Europe m'a aussi apporté un deuxième cadeau, une seconde joie. Mais là encore, cette joie concerna beaucoup de monde : l'ouverture sur l'Europe centrale et orientale, à partir de 1989, de la perestroïka et de la chute du Mur de Berlin.

Nous avons vécu ensemble des moments vraiment extraordinaires. Certes nous savions que le chemin serait long et plein d'obstacles pour les pays qui décidaient de changer de voie, de révolutionner leur système politique et de bouleverser leur système économique et social. Il aurait fallu être inconscient pour croire que les transformations seraient faciles.

Mais dans les années 1989, 1990, 1991, 1992, nous connaissions une véritable exaltation car on pouvait agir et agir avec espoir.

Au Conseil de l'Europe, nous étions conscients d'être dans une position exceptionnelle. Organisation assez légère et finalement assez flexible, nous pouvions bien nous adapter à la nouvelle donne au point de nous élargir à de nouveaux membres sans que ces élargissements ne paralysent notre fonctionnement.

Notre spécialité - la démocratie, les droits de l'homme et l'Etat de droit - correspondait à des besoins évidents et urgents dans les pays post-communistes. Ils nous sollicitaient spontanément pour que nous les aidions dans leurs réformes juridiques et politiques et pour construire ce que l'on appela « la sécurité démocratique ».

Bref, tout le Conseil de l'Europe, à cette époque, s'est mobilisé. D'abord l'Assemblée parlementaire qui fit oeuvre de pionnier (je pense à l'impulsion donnée par des parlementaires tels que Messieurs Steiner ou Sager) ; le Secrétariat qui voyait clairement l'utilité, le caractère indispensable de ses travaux ; le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le Centre de la jeunesse, même le Comité des ministres (et cela mérite d'être marqué d'une pierre blanche), tout le monde s'y est mis. Nous savions que l'Europe amorçait un virage gigantesque. Comme le disait François Mitterrand, cité par Madame Durrieu, l'Europe se réconciliait avec sa géographie et son histoire.

Il fallait aller vite. Le Conseil de l'Europe alla vite, aussi vite que la raison le permettait. Il y a des occasions qu'il faut savoir saisir. Il y a des mains qu'il faut savoir tendre au bon moment. Nous redoutions qu'en hésitant, nous laissions partir l'occasion irremplaçable de réunir tous les peuples de l'Europe.

Le Conseil de l'Europe a beaucoup donné, m'a beaucoup donné.

Mais il travaille dans des domaines sensibles, ultra-sensibles et difficiles. Le respect des droits de l'homme est tout sauf évident. La raison d'Etat, les traditions de souveraineté si fortes dans nos pays, constituent parfois d'infranchissables barrières.

La démocratie repose sur des mécanismes subtils qui ne peuvent fonctionner que si la population est composée de citoyens responsables et respectueux de la Loi.

Les valeurs de tolérance se heurtent aux nationalismes si fréquents et si redoutables en Europe.

Le Conseil de l'Europe semble parfois bien seul dans la tempête. Sa voix est faible dans les Balkans, elle est faible en Tchétchénie.

Bien sûr, d'autres organisations internationales, d'autres Etats ne se font pas davantage entendre.

Mais il est vrai que l'on attend beaucoup du Conseil de l'Europe. Car, dans le monde très dur qui nous entoure, dans ce contexte de mondialisation, nous avons besoin de nous raccrocher à des croyances, à des valeurs qui nous élèvent un peu au-dessus de nous-mêmes.

Madame la Présidente, vous avez choisi un très beau titre pour ce colloque : « Naissance d'une conscience européenne ». Ce faisant vous tracez l'avenir du Conseil de l'Europe. Nous continuerons d'avoir besoin d'une conscience européenne, mais une conscience aussi forte et exigeante que possible. La tâche est loin d'être achevée.

Un engagement au service du Conseil de l'Europe

M. Miguel Angel MARTINEZ
Ancien Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
Député au Parlement européen

C'est avec beaucoup d'émotion, avec beaucoup de joie, que je participe à cette rencontre, certes importante. J'en profite d'ailleurs pour féliciter les organisateurs -et en particulier mon amie Josette Durrieu-, pour les remercier aussi de m'avoir invité, en me donnant ainsi la chance de revoir tant de vieux et d'excellents amis ; l'occasion aussi de porter témoignage -fût-il télégraphique- de moments vécus au tout premier rang dans l'Histoire du Conseil de l'Europe...

Télégraphique donc, mon intervention pour vous dire que mon expérience personnelle au sein du Conseil de l'Europe est une longue histoire. Quand j'ai quitté la Présidence de l'Assemblée Parlementaire, j'ai même dit qu'il s'agissait d'une longue histoire d'amour : sans doute, c'était là une formule quelque peu lyrique car je me demande s'il y a bien des histoires d'amour qui durent autant. En tout cas, et comme pour les vraies histoires d'amour, la mienne auprès du Conseil de l'Europe fut surtout celle d'un long apprentissage. Une histoire que l'on peut raconter en quatre chapitres parfaitement liés et cohérents, se déroulant le long de quatre décennies.

Aux années 60, militant résistant antifasciste espagnol, responsable des organisations clandestines de jeunesse, socialiste et syndicale, emprisonnée et puis exilé, nous avons trouvé auprès du Conseil de l'Europe l'oreille attentive, le soutien nécessaire, l'encouragement indispensable pour aller de l'avant. C'est de ce temps là que vient mon amitié avec Bruno Haller, avec qui on s'est battu pour instituer le Centre Européen de la Jeunesse. Laissez-moi ajouter que l'oreille attentive dont je vous parle était aussi parfois une oreille embarrassée, car tout cela se passait bien avant que l'Espagne ne devienne membre du Conseil de l'Europe, et notre présence gênait parfois tel ou tel Ambassadeur plus soucieux de " la raison d'État " que des valeurs représentées par le Conseil de l'Europe.

Plus tard, aux années 70, député élu aux premières élections libres qui s'étaient tenues dans mon pays depuis 1936, et confrontés à la tâche de la restauration démocratique, nous fûmes de ceux qui négocièrent l'adhésion de l'Espagne au Conseil de l'Europe. Nous y aurons trouvé surtout des amis qui nous ont fait confiance, et beaucoup d'inspiration pour raccourcir notre transition et pour consolider notre démocratie et l'état de droit, irréversiblement, en Espagne.

Aux années 80, nous sommes venus participer pleinement aux travaux de l'Assemblée Parlementaire. Encore une fois ce fut l'occasion d'apprendre, ce coup-ci, la pratique de la tolérance, du respect de l'adversaire politique pouvant devenir l'ami. Je pense par exemple à des gens comme Louis Jung, Jaques Baumel ou Philippe Séguin, des gens venant d'autres bords, d'autres familles politiques que la mienne, moi qui venais d'un contexte où l'on ne parlait - où l'on n'écoutait surtout -qu'à l'intérieur de sa famille. C'est donc là que j'ai appris l'importance du dialogue, du consensus... Ce fut d'ailleurs aussi l'occasion d'assumer l'Europe comme un ensemble de réalités et non plus seulement comme un ensemble de rêves ; et cela fut d'autant plus utile qu'à ce moment-là, nous négociions justement l'entrée de l'Espagne dans les Communautés Européennes.

Et puis il y eut un quatrième chapitre dans mon expérience du Conseil de l'Europe : celui des années 90 ; la Présidence de l'Assemblée Parlementaire, la complicité avec Catherine Lalumière qui était le Secrétaire Général ; l'élargissement.

La chance que j'avais connue pour l'Espagne, pour les citoyens et pour les citoyennes d'Espagne, de devenir cela même : des citoyens en même temps que l'on devenait des européens pour de bon, j'allais pouvoir contribuer à la rendre, cette chance, à des millions et des millions d'autres hommes et femmes d'Europe, mais qui pourtant, jusqu'à ce jour n'avaient pas pu vivre comme vivaient les européens à part entière. Ainsi j'ai pris la Présidence de l'Assemblée Parlementaire d'un Conseil de l'Europe à 26 États membres et je l'ai quitté à 39, avec un enfant posthume - et quel enfant, la Russie, qui a adhéré formellement la semaine même de mon départ.

A l'heure qu'il est, je voudrais partager avec vous à peine trois réflexions.

La première, c'est que l'élargissement a constitué un pari, un défi extraordinaire de courage, de générosité - voire de solidarité - et de cohérence de la part du Conseil de l'Europe : un pari dont nous devons être fiers. Ce fut probablement l'action la plus remarquable, la plus " historique " de son Histoire ; celle par laquelle l'Institution a le plus influencé le cours de l'Histoire, le plus contribué à ce que ce cours aille dans le sens de la liberté, du respect des droits de l'homme, de l'état de droit, du progrès, en somme, de tout ce qui est la raison d'être du Conseil de l'Europe.

J'affirme d'ailleurs ma conviction de ce que ce fut là un pari gagné, malgré certains puristes qui pensent qu'on y a laissé trop de plumes, trop de concessions, trop de valeurs sacrifiées à je ne sais plus quelle spéculation. Un pari gagné, vous dis-je, sans exception et sans marche arrière, même si beaucoup reste à faire, dans ce que l'on continue d'appeler - jusqu'à quand ? je me le demande - les " nouveaux états membres ", et chez les vétérans aussi.

En effet beaucoup reste à faire dans la construction d'une Europe de la liberté, mais aussi -et que cela fait plaisir de le dire ici - dans la construction d'une Europe de la fraternité et de l'égalité. En particulier de l'égalité du droit de tous les européens à vivre en européens, et à faire partie de l'Europe, sans que certains - du fait d'être arrivés les premiers - puissent se permettre d'exclure d'autres, puissent se permettre de leur refuser la chance de participer au projet qui nous appartient à tous.

Ma deuxième réflexion sera pour souligner le rôle de certains responsables politiques qui ont compris, qui ont poussé, qui ont cru au Conseil de l'Europe comme instrument de libération et de solidarité ; comme l'instrument capable d'intégrer des pays et des peuples en ayant le droit, dans le projet de l'Europe moderne. Une Europe définie autant par la carte que par une série de valeurs, universelles au demeurant, et pour autant pouvant nous lier à d'autres peuples, à d'autres continents, pour bâtir ensemble un monde meilleur.

Je n'en citerai que trois ou quatre de ces hommes : Mitterrand, Khol, Gonzàlez et Gorbatchev. Bien sûr, il y a là des omissions - pas des oublis - injustes, mais je pense sincèrement que ceux-là furent les principaux artisans de ce Conseil de l'Europe qui a pu beaucoup contribuer à ce que s'écroule le mur de Berlin qui n'est certainement pas tombé du fait du hasard ou du miracle. Mais qui ont aussi beaucoup contribué à ce que le mur ne tombe pas pour rien, mais bien pour que ce projet européen reprenne sa dimension naturelle, celle dont nous parlaient nos vieux livres d'Histoire et de Géographie. Laissez-moi tout de suite ajouter qu'à mon avis ce mur ne peut pas être non plus tombé pour qu'on en bâtisse d'autres en Europe, comme le voudraient certains, entre ceux qui font déjà partie du projet de l'Union et ceux qui n'en sont encore qu'à réclamer la place qui leur y est due.

Une deuxième remarque, un peu en guise de conclusion ; pour affirmer que le Conseil de l'Europe reste indispensable, aujourd'hui comme hier, pour que l'Europe se fasse, et en tout cas, comme l'a dit, je crois, Jacques Delors, pour que l'Europe puisse avoir un coeur, pour qu'on puisse l'aimer ; pour que les jeunes puissent y croire et se battre pour, à leur tour, comme ce fut le cas de la génération de Louis Jung et de la mienne.

Car c'est bien le Conseil de l'Europe qui continuera à définir, à mettre à jour les valeurs qui restent pour moi le signe d'identité de l'Europe et non pas un accessoire du marché que d'autres situent au tout premier plan de leur projet. Mais surtout c'est le Conseil de l'Europe qui peut mettre en avant l'évidence de ce que l'Europe ne peut pas exclure de sa construction des européens qui veulent en faire partie et qui s'engagent à jouer le jeu et à payer le péage, tout comme les autres : ni moins, ni plus ; ni plus, ni moins.

Très chers amis : je vous dis tout cela à l'heure où j'entame un nouveau chapitre de ma vie en tant que membre du Parlement Européen, où je me sens d'ailleurs bien réconforté par la compagnie de collègues comme Catherine Lalumière et d'autres, provenant comme moi même de la mouvance du Conseil de l'Europe.

Or, je m'aperçois que tout ce qui parait absolument clair pour nous, est loin d'être évident pour tout le monde. Que sont nombreux ceux qui se situent dans une autre perspective -les uns ignorants, oublieux les autres, ou tout simplement mécréants de l'Europe, de notre Europe, encore quelques-uns-. Nombreux en effet sont ceux qui, une fois bien installés dans le train, trouvent qu'on est déjà assez nombreux, sans doute même trop nombreux, à leur goût.

Face à ceux-là, il faudra continuer à se battre pour que reste en action le Conseil de l'Europe et ce que l'ose appeler " l'esprit, la dynamique Conseil de l'Europe ". Car sans le Conseil de l'Europe, sans que le Conseil de l'Europe y joue tout le rôle qui lui revient il n'y aura pas d'Europe qui vaille. Ou en tout cas, pas d'Europe qui vaille la peine. A nous de nous y prendre avec toutes nos forces.

Un jour, je discutais de cela même avec Helmut Khol dans son bureau de la Chancellerie à Bonn, devant la baie laissant voir le Rhin superbe à quelques dizaines de mètres. Je lui ai dit que le bateau " Conseil de l'Europe ", prévu pour une dizaine de passagers au départ, ne pouvait plus naviguer à quarante. Il m'a répondu " changeons de bateau, on y mettra les moyens, mais ne changeons pas de fleuve... ". Hélas, non, cette promesse ne fut pas tenue et ce fut là un espoir déçu : les moyens nécessaires, on ne les a pas trouvés. Je ne m'en plaindrai pas. Je dirai tout simplement que c'est une partie remise. Une partie qui reste essentielle et où il nous faut réussir.

Je finirai en disant ici ce que j'ai dit à François Mitterrand le jour où nous l'avons reçu dans notre Assemblée. Comme lui, j'ai voué toute ma vie à lutter contre les privilèges et à en chercher l'abolition. Pourtant, il est un privilège auquel je ne renoncerai pas : c'est celui de proclamer ma reconnaissance au Conseil de l'Europe et à la France, pour ce que je leur dois ; et c'est celui de réitérer mon engagement pour qu'aille de l'avant ce que la France et le Conseil de l'Europe nous ont appris.

La consolidation de la démocratie en Albanie

M. Skender GJINUSHI
Président du Parlement albanais

L'organisation de cette commémoration du cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe prouve que l'institution a bien justifié son existence. L'Europe d'avant la Deuxième Guerre mondiale, qui, selon Churchill, était remplie de fleuves de sang, avait compris déjà que sa géopolitique devait changer. Elle devait dorénavant être basée sur la coexistence et l'égalité entre les peuples et les individus. Les valeurs de l'Europe occidentale furent opprimées pendant plus de quarante ans à l'Est. La chute du Mur de Berlin fit naître l'espoir que la partie orientale pouvait suivre l'exemple occidental. Les Pays d'Europe Centrale et Orientale sont aujourd'hui proches de cette intégration.

Mais malheureusement, les pays de Balkans, en butte à une histoire de conflits interethniques, s'embrasèrent : de nouveaux Etats furent créés, résultant de la désintégration de l'ancienne Yougoslavie. Cette évolution est en contradiction avec le mouvement d'intégration européenne. Cependant, l'analyse des événements témoigne de l'attachement des peuples des Balkans à la coexistence et à la construction d'une Europe commune fondée sur l'égalité entre les peuples. La Yougoslavie repose sur des critères contraires à ceux du Conseil de l'Europe. Elle ne peut donc pas se rattacher à l'Europe sans passer par la désintégration. La désintégration des Etats artificiels fondés sur une idéologie nationaliste fut inévitable au même titre que celle du bloc de l'Est basée sur l'idéologie communiste. Cela fut réalisé grâce à la volonté, aux sacrifices et aux aspirations européennes de ces peuples. La paix en Bosnie et au Kosovo a marqué la fin de cette désintégration, créant pour la première fois les conditions réelles pour l'intégration des peuples des Balkans, y compris l'Albanie, en les traitant de manière égale. Cette réalité nouvelle marque l'arrêt de la désintégration balkanique en même temps que l'amorce du processus d'intégration européenne. La situation actuelle des Balkans est à plus d'un point similaire à celle dans laquelle se trouvait l'Europe occidentale à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. La région doit suivre la voie suivie par l'Europe occidentale et favoriser les initiatives bilatérales et multilatérales, en particulier par l'intermédiaire d'institutions telles que le Conseil de l'Europe, l'OSCE et l'Union européenne.

La voie de l'intégration est aujourd'hui plus claire car nous n'avons pas à la mettre en place comme ce fut le cas pour l'Europe occidentale. Nos pays sont membres du Conseil de l'Europe et de l'OSCE, acceptant d'appliquer des principes. Cependant, ils ne remplissent pas encore les conditions institutionnelles et économiques pour garantir leur respect. Le pacte de stabilité entend répondre à cette difficulté. Il constitue en effet l'unique moyen pour le développement ultérieur de la région. Cela explique le soutien que lui apporte la politique albanaise.

La démocratisation des pays de la région constitue un autre enjeu majeur. Cette démocratisation doit favoriser la stabilité interne, le respect des minorités, les politiques de bon voisinage et l'intégration. Pour sa part, l'Albanie avance vers une consolidation de sa démocratie. Après avoir surmonté les dernières crises et la situation au Kosovo, la situation est en voie de normalisation. Ainsi, une réforme institutionnelle, législative et économique a été menée afin de mettre en place la nouvelle constitution préparée en étroite collaboration avec la Commission de la Démocratie par le Droit, fondée par un Accord partiel du Conseil de l'Europe et qui siège à Venise. Cette initiative a pour but de respecter les engagements pris lors de la récente admission au Conseil de l'Europe. L'Albanie a récemment ratifié la convention sur la protection des minorités du Conseil de l'Europe ainsi que la convention européenne sur l'autonomie du pouvoir local. Le projet de loi sur les investissements est parmi les plus libéraux d'Europe. Ces avancées ont été rendues possibles par le soutien apporté par diverses institutions internationales : le Conseil de l'Europe, l'OSCE, la Banque mondiale, le FMI, etc. Je remercie le Conseil de l'Europe pour son soutien en vue de l'adoption d'une législation démocratique et du renforcement des institutions démocratiques en Albanie.

L'admission de l'Albanie au Conseil de l'Europe a été perçue comme un grand événement, comme le premier pas vers l'Europe de demain, comme la première porte qui s'ouvrait à nous. Cela se vérifie chaque jour.

La Moldavie face à la transition

M. Nicolae TABACARU
Ministre des Affaires étrangères de Moldavie

Je tiens à exprimer mon plaisir à intervenir aujourd'hui devant vous. Je suis heureux de m'exprimer sur un thème très sensible pour notre pays. La volonté des Européens d'unifier leurs efforts est née bien avant la création du Conseil de l'Europe. Les illustres représentants de l'élite française et anglaise ont essayé de concrétiser cette aspiration des peuples du Vieux Continent à l'unité. Mais il a fallu un siècle pour que certaines de ces idées aboutissent et pour que chacun prenne conscience de la nécessité de l'unité européenne.

La performance la plus remarquable du Conseil de l'Europe est peut-être son élargissement à tous les Etats européens. L'intégration dans diverses structures continentales, notamment dans l'Union européenne, est un objectif central de la politique étrangère de plusieurs Etats européens, dont la République de Moldavie. Le Conseil de l'Europe joue un rôle particulier dans l'évolution démocratique de notre pays. Ses exigences nous ont obligés à adapter notre législation aux normes en vigueur et à effectuer une réforme institutionnelle. Je tiens d'ailleurs ici à rendre hommage à M. Miguel Angel Martinez et à Mme Catherine Lalumière qui, il y a cinq ans, ont contribué de façon substantielle à l'octroi de mandats de confiance à notre pays.

La Moldavie est devenue le premier membre de la Communauté des Etats Indépendants à adhérer au Conseil de l'Europe. Je voudrais en remercier Mme Josette Durrieu, rapporteur pour la Moldavie auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'espère qu'elle confirmera la poursuite des réformes démocratiques dans notre pays, même si l'acceptation des principes démocratiques les plus avancés et des normes de l'économie de marché ne signifie pas qu'ils sont automatiquement atteints. Les problèmes économiques et sociaux ne nous permettent pas encore de bénéficier des succès attendus sur la voie de la transition. Nous sommes toujours à la recherche de notre identité moderne. S'il a fallu des siècles pour que les systèmes politiques occidentaux se constituent, notre société n'a eu que quelques années pour élaborer les siens.

Il y a quelques jours, j'ai participé à la réunion des Ministres des Affaires étrangères des pays francophones. Nous avons discuté de plusieurs problèmes, en particulier de problèmes touchant à la promotion de la démocratie dans les pays francophones. Le secrétaire général, M. Boutros Boutros Ghali, a dit que la démocratie ne pouvait être ni importée ni exportée. Cela me semble important. Il nous faut du temps. La démocratie doit s'enraciner dans la société, dans l'esprit des gens. Nous avons besoin de votre assistance et nous demandons votre patience. La majorité des problèmes que nous rencontrons sont inhérents à la période de transition. Plus vite les Etats européens surmonteront ces problèmes, plus vite on verra émerger une Europe élargie et prospère.

La conscience européenne ne peut être fondée que sur la sécurité et la stabilité de chaque Etat en particulier et du continent en général. La sécurité signifie d'abord l'intégrité territoriale des Etats. Il me semble que le séparatisme, qui génère des conflits, constitue un sérieux obstacle pour l'intégration européenne, pour l'affirmation de la conscience européenne. Nous avons beaucoup apprécié les résultats du sommet de l'OSCE d'Istanbul et nous sommes certains que la mise en oeuvre de ses décisions contribuera d'une manière directe à l'affirmation de la conscience et de l'esprit européens. Nous considérons également que l'expérience acquise au Kosovo est bonne, même si ses modalités sont aujourd'hui discutées. Le massacre a été arrêté et les bases nécessaires au retour de la stabilité dans la région et à la préservation de l'intégralité territoriale de la Yougoslavie ont été consolidés. Il est important de ne pas créer de précédents qui pourraient provoquer des réactions en chaîne.

Le pacte de stabilité pour le Sud de l'Europe est également une bonne initiative. Il est regrettable que la Moldavie y soit pour l'instant acceptée uniquement en qualité d'observateur. Nous ne cesserons pas de réclamer une participation à part entière. On ne peut pas parler d'une véritable stabilité dans toute la région sans tenir compte de l'intégralité de l'espace européen. La Moldavie est confrontée depuis sept ans à un conflit qui menace directement son intégrité territoriale. Sa participation au pacte de stabilité est donc plus que vitale.

Par ailleurs, la Moldavie souhaite participer à l'Union européenne et s'est toujours efforcée de répondre aux exigences de cette intégration. Dans le cadre du pacte de stabilité, des pays dont la situation est similaire à celle de la Moldavie bénéficient d'un feu vert de la part de l'Union européenne. Nous nous trouvons donc devant un dilemme : devons-nous poursuivre nos efforts pour une adhésion au pacte à part entière ou continuer dans la voie de l'association en répondant aux exigences économiques de l'Union européenne ? Je pense qu'une politique plus explicite s'impose.

Mesdames et Messieurs, la Moldavie est confrontée, comme les autres pays de la région, au problème de la transition. Les changements radicaux intervenus ces dernières années ainsi que les réformes économiques ont généré des difficultés inattendues pour toute la société. Nous vivons aujourd'hui certains effets paradoxaux de la réforme. Une catégorie de la population a vu sa mentalité modelée par un système politique totalitaire qui assurait un niveau de vie nettement supérieur à celui dont elle bénéficie aujourd'hui : gratuité des études, protection sociale élevée, etc.

L'expérience occidentale nous offre des modèles avancés d'organisation de la vie politique et économique dans les conditions d'un pluralisme véritable. La Moldavie a choisi le système démocratique, comme le montrent les dix dernières années. Mais les réformes ont conduit à une baisse dramatique du niveau de vie. Il est normal que nos citoyens se demandent si les sacrifices qu'ils doivent consentir en valent vraiment la peine. Nous avons donc besoin du soutien international, de signaux d'encouragement clairs de l'Occident et des organisations européennes pour nos réformes. Il devient difficile de maintenir la motivation de la population pour l'Europe, surtout depuis que nous avons affiché comme priorité l'intégration plénière dans l'Union européenne. La volonté de tout Etat, y compris la république de Moldavie, de se conformer aux exigences de la conscience européenne, doit être stimulée par des actions concrètes et non par de simples déclarations.

Il faut renoncer aux suspicions Est/Ouest. Nous n'avons rien à cacher. Nous avons adopté le principe de la transparence. L'Occident comme les pays de l'Est ont salué la disparition du bipolarisme. Nous procédons à la construction d'un espace commun animé par les valeurs suprêmes de la démocratie.

Le peuple moldave appartient à la famille européenne de par sa culture et son histoire. La grande majorité de nos citoyens acceptent l'idée de la diversité culturelle et de la modernité des institutions européennes. L'unité européenne ne peut être mise en oeuvre sans un système basé sur un respect de la vie et de la dignité humaine. Le Conseil de l'Europe permet à tout Etat européen d'identifier le rôle qu'il pourra jouer dans la prochaine architecture.

En conclusion, j'aimerais croire que le concept de l'unité européenne est aujourd'hui plus proche que jamais même si les processus politiques, économiques et sociaux sur lesquels il repose n'est pas exempt de nuages. Le Conseil de l'Europe devra identifier de nouvelles voies et des moyens viables pour répondre aux exigences et matérialiser les espoirs de tous les peuples européens comme il l'a fait pour les démocraties occidentales.

La Géorgie en Europe

Mme Lana GOGOBERIDZE
Ancienne présidente de la délégation du Parlement géorgien au Conseil de l'Europe, Ambassadeur,
Représentante permanente de la Géorgie au Conseil de l'Europe

Je tiens à remercier les organisateurs de ce colloque très intéressant, que je trouve très intéressant. J'ai entendu ici des paroles très émouvantes. Je veux également remercier Josette Durrieu, mon amie, qui s'est beaucoup impliquée dans l'organisation de ce colloque et se bat au Conseil de l'Europe, et pour la Géorgie, entre autres.

Je parle aujourd'hui au nom d'un petit pays, ancien par son histoire et tout jeune par son parcours démocratique. Notre président a largement contribué à la chute du Mur de Berlin et aux changements dans l'Europe. Je tiens à ce qu'on ne l'oublie pas. C'est important pour toute la région.

Au cours de notre histoire, pleine de dangers, d'invasions et de dévastations, nous avons plusieurs fois frappé à la porte de l'Europe. C'est la première fois qu'elle s'entrouvre. La découverte du Conseil de l'Europe a été pour nous une révélation. Nous souhaitons obtenir une petite place dans la grande et belle maison de l'Europe. Nous voudrions contribuer aux changements architecturaux de l'Europe pour que ses institutions soient plus efficaces et pour que les notions d'aide et d'interdépendance aient un contenu réel. Les peuples doivent percevoir les liens qui les unissent en une seule entité européenne.

Nos valeurs historiques correspondent à celles du Conseil de l'Europe : la tolérance, l'ouverture, l'attitude démocratique de nos rois qui se promenaient dans les rues et côtoyaient les paysans dans les villages. Le décret du XIIème siècle de la reine Tamara a aboli la peine de mort. L'égalité des hommes et des femmes était déjà affirmée. C'est peut-être pour cela que nos citoyens rêvent d'appartenir à l'Europe, tout en préservant bien sûr leur identité culturelle. Cette vision de la grande Europe, sans clivage, est si belle que l'on finit par se demander si elle pourra se réaliser vraiment.

C'est un objectif brillant mais difficile à atteindre. Je connais la force, mais aussi les faiblesses de la grande Europe. Rassembler des pays dont les cultures et les histoires sont différentes permet de renforcer les principes et les idéaux et d'acquérir un nouveau dynamisme. Nous avons su vaincre les chimères de l'idéologie, oublier la logique qui séparait le monde en deux blocs antagonistes et découvrir que nos similitudes sont plus fortes que nos différences. La force de la grande Europe réside aussi dans notre conscience commune. Demain, il sera impossible au nazisme, au racisme, à la xénophobie, à toute idéologie fondée sur la violence, la haine et le droit du plus fort de se répandre.

Les petits pays savent très bien ce qu'implique le droit du plus fort. Là où il s'exerce, la conscience se tait. J'ai malheureusement l'impression que c'est encore le cas dans cette grande et belle Europe. Il faut assurer l'égalité et le respect mutuels, refuser toute trace d'impérialisme, accorder de l'importance et du pouvoir aux petits pays, renforcer la dignité nationale de ces Etats qui ont trop souvent été malmenés au cours des siècles. Ces blessures sont des expériences pénibles. J'espère qu'il n'y en aura plus jamais puisque nous sommes tous sur un pied d'égalité, puisque nous éprouvons du respect les uns pour les autres. Le rêve se transformera en réalité.

Me référant à l'expérience de notre président, je confirme qu'il est plus facile de détruire un grand empire que de construire un petit Etat démocratique. Nous avons peut-être été trop naïfs. Nous pensions qu'il suffisait d'être indépendants, de donner la priorité à la démocratie et au libre marché, pour que tous les problèmes soient résolus. Nous n'avons pas vu venir les dangers, dont le plus grave est la résurgence des conflits internes qui freinent le développement, dévastent l'économie et favorisent la résurgence des nationalismes. Les résultats sont tragiques pour les réfugiés. Il est difficile de parler des droits de l'homme dans un pays où les citoyens sont privés de tous leurs droits. Nous voudrions que le Conseil de l'Europe et l'Europe en général nous aident et aient un sens plus aigu de l'importance de l'espace. Nous souhaitons qu'ils considèrent le séparatisme agressif comme une menace pour mon pays, mais également pour toute la communauté européenne.

Nous sommes heureux de la candidature de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan au Conseil de l'Europe. Sans eux, la sécurité en Europe est une chimère.

Le philosophe Géorgien Merab Mamardashvili, dont Jean-Pierre Merman a écrit qu'il était le Socrate de Géorgie, a dit : « si tu crois que le martyr du Christ a eu lieu il y a 2000 ans, ton âme est perdue ; pense plutôt qu'il souffre toujours, à côté de toi, et agis. » C'est là je pense la mission la plus sublime du Conseil de l'Europe.

Mme Josette DURRIEU :

L'un des pays où j'ai ressenti avec le plus de force et de vérité le sens du mot « tolérance » est la Géorgie. Je pense que ce pays sera le moteur d'une démarche que nous engageons vers plus de démocratie basée sur plus de tolérance.

Débat

M. Michal MIASKIEWICZ, Représentant de l'Assemblée européenne des Jeunes :

Au temps de Victor Hugo, le prince Czartoryski, leader politique polonais, vivait en exil à Paris. Il avait fait la même proposition : créer les nations unies d'Europe. Cela lui semblait être la solution aux problèmes politiques du continent.

La victoire en 1989 de Solidarnosc dans mon pays, quatre mois avant la destruction du mur de Berlin, était une victoire commune contre le communisme. Il ne s'agissait pas d'un « miracle » isolé. Les résistances sociales très vives, dans mon pays et dans bien d'autres, au communisme se fondaient sur des principes présents dans la culture européenne depuis 2000 ans. Le christianisme nous a donné une base philosophique, anthropologique et ontologique pour la défense de la dignité de l'être humain : autonomie de la personne, propriété privée, liberté.

Le temps du nazisme et du communisme a été un temps de confrontations. Seule une connaissance des deux revers de cette même médaille nous permettra de chasser définitivement ces démons de notre histoire. Nous voulons défendre l'avenir de l'Europe, en faire une maison pacifique, rejeter les démons de la haine, de l'intolérance, de la discrimination et des traitements inhumains. Quand les pays de l'Est de l'Europe étaient sous le joug de régimes communistes, les projets politiques provenaient surtout des institutions européennes occidentales. Construire une nouvelle Europe pacifique est aujourd'hui notre priorité. Les leçons des cinquante dernières années nous ont appris que l'élaboration d'un projet de société ne doit pas être confiée à la bureaucratie. Nous avons avant tous besoin d'un dialogue européen qui permette l'expression harmonieuse de toutes les identités.

M. Jean BRIANE, député, membre de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

Il y a cinquante ans que je milite pour l'Europe, trente ans que je fais de la politique active et six ans que je siège au Conseil de l'Europe. J'ai découvert que le Conseil de l'Europe donnait du sens au combat pour les droits de l'homme, pour la démocratie et pour le développement durable. Il joue un rôle éminent pour la protection de l'environnement.

Les néo-européens de l'Union européenne qui passent par pertes et profits le Conseil de l'Europe ont tort. L'Europe a besoin du Conseil de l'Europe, de sa présence, de sa réflexion. Il faudrait envisager de la façon dont pourraient s'exercer les complémentarités entre l'Union européenne, qui compte 15 pays, et le Conseil de l'Europe, qui en compte quarante et un . L'Union européenne aura toujours besoin du sens et de la conscience qu'apporte le Conseil de l'Europe.

Mme Eleonora HUSSEINOVA, Ambassadeur d'Azerbaïdjan :

L'Azerbaïdjan attend dans l'antichambre du Conseil de l'Europe. Je tiens à présenter toutes nos félicitations et tous nos voeux de continuation à cette institution, qui est guidée par une noble ambition. Je souhaite exprimer le souhait de l'Azerbaïdjan d'en franchir très bientôt la porte et d'entrer dans la grande famille européenne.

M. Georges LEMOINE, député, membre de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, ancien Ministre :

Nous attendons nous aussi avec impatience votre entrée dans le Conseil de l'Europe.

M. Christian TER-STEPANIAN, Représentant permanent de l'Arménie auprès du Conseil de l'Europe :

Je remercie la Délégation française et sa Présidente, Mme Josette Durrieu, d'avoir organisé cette réunion. Beaucoup d'intervenants ont insisté sur la nécessité de promouvoir le Conseil de l'Europe. Je tiens à souligner l'importance des programmes de coopération dans la phase d'accession au Conseil de l'Europe. Les contacts qui peuvent se nouer au niveau parlementaire entre les responsables gouvernementaux dans toute une série de rencontres sont essentiels. Il y a là tout un apprentissage. Sept ministères en Arménie sont en contact avec le Conseil de l'Europe. Cela permet des échanges fructueux. L'Europe, la démocratie sont aussi un combat. Ces échanges propagent les idées de démocratie, d'Etat de droit, de droits de l'homme. C'est le ferment de nos réformes, ô combien utile !

Le rôle des collectivités locales

M. Alain CHENARD
Président du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe
Conseiller municipal à la Mairie de Nantes

C'est avec émotion que je vous présente aujourd'hui les actions du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux. Nous bénéficions de nombreuses coopérations entre l'Assemblée Parlementaire et le C.P.L.R.E., même si elles restent insuffisantes. L'action du Conseil de l'Europe est globale : nous devons avoir le plus de contacts possible pour que notre action soit efficace. Si l'Assemblée parlementaire a ses missions propres, auprès des Etats en particulier, nous sommes ici dans une maison, le Sénat, où beaucoup d'élus locaux siègent. Un Etat ne devient nation que si les collectivités locales sont actives, vivantes et inscrites dans le quotidien des citoyens. L'action que mène le Conseil de l'Europe auprès des collectivités locales est désormais reconnue et c'est justifié.

Souvenez-vous de l'importance des jumelages. Nous sortions d'un conflit difficile, meurtrier. Nous nous étions entre-tués. Il fallait oublier, effacer et reconstruire. Mais il fallait surtout se découvrir, se reconnaître. Les jumelages ont joué un rôle fondamental dans ce sens. Aujourd'hui plus personne n'imagine possible un conflit entre la France et l'Allemagne. A l'occasion de notre célébration du cinquantième anniversaire, nous avons reçu deux associations d'élus, l'une de République Sberka, l'autre de Bosnie Herzégovine. Ces associations étaient nées dans des contextes difficiles. Elles ont décidé symboliquement de fusionner en une seule association. Cela m'a rappelé les premières collectivités locales qui, quatre ans après la fin de la guerre, prenaient le risque de se faire insulter avec les premiers jumelages. Les collectivités locales ont aidé à créer une nouvelle Europe qui ne se pense plus en termes de conflits.

Nous avons le même chemin à parcourir pour qu'au-delà du Mur déchu en 1989, nous puissions construire un espace homogène de connaissances et de reconnaissance de valeurs mutuelles. C'est possible, même si les formes seront peut-être nouvelles. Compte tenu des difficultés économiques justement soulignées par le représentant de la Moldavie ce matin, les jumelages doivent sans doute proposer de la chaleur humaine, mais également une coopération beaucoup plus concrète et technique. Lorsque, il y a 20 ans, avec Oskar Lafontaine, nous décidions de jumeler nos villes avec Tbilissi, nous savions qu'un jour peut-être, nous pourrions construire ensemble quelque chose de nouveau. Je suis retourné en Géorgie récemment : je l'ai retrouvée toujours aussi fière, mais profondément meurtrie.

Il sera donc nécessaire, au niveau des collectivités locales, de donner un contenu à nos jumelages qu'il faudrait d'ailleurs sans doute appeler « partenariats » plutôt que « jumelages ». C'est une rude tâche de rétablir la démocratie là où elle a souvent été ignorée. L'Assemblée parlementaire, le Secrétariat général, ont largement participé à la période post-1989 de la vie du Conseil de l'Europe au niveau législatif en aidant à élaborer les lois fondamentales. Nous sommes pour notre part heureux d'avoir pu coopérer avec eux pour tout ce qui concerne le volet collectivités locales. Je tiens à remercier M. Martinez, qui présidait l'Assemblée parlementaire, et Mme Lalumière, alors Secrétaire général, de leur compréhension du rôle de ces dernières sans lesquelles la concrétisation de la démocratie n'est pas possible.

Le Conseil de l'Europe doit veiller à ce que ces valeurs sur lesquelles nous construisons ce nouvel espace soient toujours présentes à notre esprit. C'est l'objectif de notre rapport de monitorage. Tous les ans, nous inscrivons à l'ordre du jour 5 ou 6 pays qui peuvent être des démocraties émergentes ou même installées de plus longue date. L'année dernière, nous avons examiné (entre autres) l'Allemagne et la Hollande. Cette année, nous étudierons la France, dont l'élan de décentralisation devrait peut-être être réactivé.

Nous sommes présents sur le terrain. Dernier exemple, nous avions des contacts au Kosovo avant que le conflit n'éclate. Des maires nous avaient fait part de leurs difficultés. Nous avions pu établir des propositions dont on sait qu'elles ont été utiles au moment de Rambouillet et dans la déclaration de l'ONU. L'ONU nous a demandé d'aller au Kosovo dès juillet pour pouvoir faire des propositions. J'ai vécu là-bas des jours difficiles mais passionnants. Mais nous savons bien que ce qui est en train de se résoudre aux Balkans peut rester problématique dans d'autres lieux. Rien n'est jamais résolu en ce domaine. Madame Lalumière citait le Général de Gaulle, qui a dit du Conseil de l'Europe qu'il était une institution qui dort au bord du Rhin. Quand j'entendais sous ma fenêtre, à Pristina, pendant la nuit, les compresseurs de l'ONU nous fournissant de l'électricité, je n'avais pas l'impression que c'était le doux chant de Lorelei qui montait jusqu'à moi...

Pour une Union véritable

M. Michal MIASKIEWICZ
Représentant de l'Assemblée européenne des Jeunes

Le danger des murs
Les murs du passé

Le Mur de Berlin, qui est évoqué dans l'intitulé de la séance de ce matin, est un de symboles les plus manifestes et les plus mornes de l'histoire. Cependant, il n'est pas seul à représenter le totalitarisme, la domination. Le Rideau de fer, que Churchill décrivit à Fulton (Missouri, USA) en 1946 et la barrière du chantier naval de Gdansk, que Lech Walesa escalada en 1980 pour sonner le début de la dissolution du communisme, sont autant d'incarnations de ce fameux Mur, qui tomba à Berlin en 1989.

Lorsque je suis né il y a 18 ans, Gdansk, ville hanséatique qui avait vu naître Hevelius, Fahrenheit et Schopenhauer, figurait encore parmi ces villes situées « de l'autre côté du Mur », où la liberté était une invention bourgeoise, où l'égalité obéissait à la règle d'Orwell, « Nous sommes tous égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres », où la fraternité n'avait de sens que dans le contexte de « Big Brother ». Mon côté du Mur n'était pas bardé de graffitis bariolés mais gris et menaçant. Si je suis devant vous aujourd'hui, c'est grâce non seulement à l'invitation que j'ai reçue, dont je suis sincèrement reconnaissant, mais également grâce à un heureux jugement de l'histoire.

Les spectres de l'avenir

Il est peut-être surprenant d'entendre ces mots de la bouche d'un jeune homme dont la seule expérience vécue du communisme se résume, je l'avoue, à plusieurs heures passées dans des files d'attente pour obtenir du sucre. Mais mes propos trouvent leur justification dans deux faits. Tout d'abord, je suis un Européen d'Europe centrale et, de même que mes concitoyens, j'apporte à la nouvelle Europe la conscience de l'histoire et l'expérience du totalitarisme. Ayant réussi à abattre ce mur qui a divisé l'Europe pendant 45 ans, nous, Européens, ne devons pas laisser s'ériger de nouveaux murs. Certains diront que le modèle bipolaire est révolu, qu'il est inconcevable que se bâtisse un nouveau mur.

Je leur répondrai que les murs n'ont pas besoin d'être des structures physiques à deux dimensions pour créer l'oppression et être à l'origine de l'exclusion. Aujourd'hui, il est légitime de craindre qu'un nouveau mur s'érige entre les bénéficiaires d'une part et les victimes d'autre part de la transformation qui s'est opérée dans certains pays post-communistes. Si la modernisation de l'Ukraine continue d'être aussi lente, si les principes des accords de Schengen sont appliqués en Pologne avec autant d'intransigeance que dans d'autres pays, la séparation autrefois dessinée par l'Elbe se déplacera vers la Bug, qui dessine la frontière orientale de la Pologne. J'aimerais me concentrer sur le deuxième danger, le danger économique. Faut-il reculer devant l'élargissement sous prétexte que la suppression des frontières économiques et politiques entre Etats membres entraîne fatalement le renforcement des frontières de l'Union européenne et, donc, d'un nouvel enfermement ? Ce serait absurde. Le seul élément nécessaire pour empêcher la naissance de nouvelles divisions en Europe est celui qui joue un si grand rôle dans l'histoire politique et intellectuelle de mon pays depuis vingt ans : la solidarité. L'Europe occidentale ne peut se permettre de rester une île où règne la légalité, la sécurité et la prospérité au milieu de l'océan de l'instabilité, de la pauvreté et du désespoir, même si je n'ai la prétention de lui indiquer comment elle doit faire pour éviter cette réalité.

Le rôle du Conseil de l'Europe

Le Conseil de l'Europe doit être fondé sur le principe de la solidarité. Si l'Union européenne parvient à devenir synonyme de parfaite intégration des Etats, elle s'imposera d'elle-même. Il ne fait aucun doute que je suis conquis par l'idée d'une intégration européenne à la fois économique, politique et militaire. Je soutiens ardemment cette Europe, qui saura se tailler une place sur le marché international, qui sera fondé sur le respect des cultures qui la constituent, qui s'appuiera à la fois sur le passé et le présent. Il n'en reste pas moins que l'Europe ne pourra pas accueillir tous les pays dont les citoyens se sentent pourtant membres de la famille européenne. Ce sentiment d'appartenance est particulièrement manifeste dans plusieurs pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est.

L'identité européenne

Norman Davies en donne un témoignage dans son ouvrage L'Europe : une histoire . En 1923, un des premiers bâtiments de la Ligue pan-européenne, idée du comte Richard Coudenhove-Kalergi, s'ouvrait à Tallinn, la capitale de la Lettonie. Une plaque en bronze fut accrochée à la porte principale portant la mention suivante : PANEUROPA UNION ESTONIA. Dix-sept ans plus tard, lorsque l'Armée Rouge envahit la Lettonie, les membres de la Ligue cachèrent la plaque. En 1992, lorsque Otto von Habsburg, membre du Parlement européen, vint en visite en Lettonie, ses hôtes sortirent la plaque de sa cachette et la lui présentèrent. Symbole des aspirations secrètes des Lettons, elle avait été dissimulée pendant 50 ans.

Lorsque l'on demanda à l'évêque Tadeusz Pieronek, membre de l'épiscopat de Pologne, pourquoi il était favorable à l'Europe, il répondit : « Parce que l'Europe est ma terre. Elle est dépositaire de mes croyances, qu'on a voulu m'arracher. Elle est ma civilisation ». A ma grande joie, la Pologne et la Lettonie doivent devenir membres de l'Union européenne d'ici quelques années. Néanmoins, même si tous les pays candidats à l'heure actuelle étaient intégrés à l'Union, elle ne compterait toujours que 22 membres. Le Conseil de l'Europe compte deux fois plus de membres, la seule condition d'entrée étant le respect des droits de l'homme et de la démocratie.

Une mission humaine

De toute évidence, le Conseil de l'Europe joue un rôle primordial. Il permet à ses membres de participer à une communauté européenne basée sur la civilisation et ses valeurs fondamentales. De même qu'il est à juste raison impossible de définir l'Europe en une seule formule, il est impossible de décrire les valeurs fondatrices de cette Europe. Il suffit de rappeler qu'elles représentent tout ce pourquoi le Conseil de l'Europe a lutté pendant 50 ans : les droits de l'homme, l'Etat de droit, la diversité culturelle, le droit à sa terre natale, en sont les exemples les plus importants. Malgré ses nombreuses réussites, le Conseil a été accusé de céder à la bureaucratie, d'être trop lent à prendre des décisions et de manquer de volonté dans l'application de ses décisions. Le président de la République française a contredit ces critiques en disant : «Entre un sommet inutile et un sommet utile, il y a une révolution ». Je partage cet avis.

Je crois que le Conseil de l'Europe mérite le titre de conscience de l'Europe. Or on ne peut avoir la conscience nette que si on n'admet aucune exception. Conscients de cela, les membres du Conseil sont en train d'élaborer des instruments qui pourraient définir les normes législatives pour toute l'Europe, non pas de l'Atlantique à l'Oder, mais de l'Atlantique à l'Oural. Les défis nouveaux continuent de surgir. Les Balkans et le Caucase ont été divisés par la construction de nouveaux murs faits de peur et de haine. Tant que le Conseil de l'Europe se donnera pour mission d'oeuvrer pour la destruction de ces murs en Europe, son existence sera justifiée et ses actions dignes d'éloges.

La contribution de la jeunesse

En tant que jeune homme, il est normal que je m'interroge et que je sois interrogé sur le rôle de la jeunesse européenne dans la création de ce continent qui se veut sans murs. Avant de pouvoir répondre à cette question, il faut s'entendre sur ce que nous entendons par « Europe-Unie ». Aucune affirmation ne me paraît plus vraie et plus poignante que celle de Jean Monnet lorsqu'il fut questionné sur les objectifs de l'Europe. Il répondit : « Il ne s'agit pas de créer une coalition d'Etats, mais d'unir des individus ». La communauté européenne n'aura pas de légitimité tant qu'elle restera le fruit des résolutions du Conseil de l'Europe ou des directives de la Commission européenne. Elle doit être proclamée par les Européens eux-mêmes, une fois que ceux-ci auront décidé d'en devenir les patriotes. Non seulement ce type de patriotisme européen n'empêche pas les appartenances régionales ou nationales, mais il en dépend.

Les sociologues affirment que, plus l'on est jeune, plus il est facile d'accepter ce patriotisme stratifié. Pour toucher les jeunes d'aujourd'hui, il faut faire en sorte que l'Europe ne reste pas un ensemble d'institutions bureaucratiques, dont les initiatives, aussi louables qu'elles soient, restent inaccessibles pour l'individu moyen. Le Conseil de l'Europe est conscient de cet impératif et se mobilise, à travers sa Direction de la Jeunesse et ses Centres pour la Jeunesse à Strasbourg et à Budapest, pour former la prochaine génération de dirigeants politiques, dont la mission sera de continuer à « unir les Européens ».

Il a par ailleurs adopté la résolution 1152 (1998), qui indique que : « Les jeunes sont l'avenir de l'Europe et constitue un moteur de changement positif. Aussi sont-ils des partenaires essentiels pour le Conseil de l'Europe ". La première Assemblée des Jeunes, qui s'est tenue au Palais de l'Europe à Strasbourg en avril a donné une confirmation éclatante de la volonté du Conseil de l'Europe d'associer les jeunes à sa mission. Cette assemblée, qui réunissait 286 jeunes issus de quarante et un pays européens, avait été conçue selon le modèle de l'Assemblée parlementaire. Elle a traité trois questions choisies au préalable par les membres, mais a également manifesté son indépendance, son sens de la solidarité et sa volonté d'agir en organisant un débat improvisé sur la situation au Kosovo et en adoptant des propositions de résolutions, préparées sur place par les membres. L'Assemblée fut un succès retentissant. Cette assemblée supranationale est la seule constituée par des jeunes à posséder ce caractère pan-européen, à donner l'occasion de manier les outils de la démocratie et à cultiver tant de nouvelles amitiés, basées non pas sur une coïncidence de naissance dans un lieu géographique, mais sur le partage des passions et des convictions.

Mesdames et Messieurs, depuis la clôture de cette Assemblée des jeunes, moi-même et plusieurs autres membres de l'Assemblée tentons de faire connaître son principe ainsi que la mission du Conseil de l'Europe. La force de notre engagement n'est pas difficile à comprendre à l'heure où 83 % des membres de l'Assemblée des Jeunes affirment que les jeunes d'aujourd'hui ne font plus confiance aux hommes politiques ni aux institutions. Le rôle positif que nous avons joué et que nous continuerons de jouer est la preuve que l'Europe a besoin de ses jeunes. Si le Conseil de l'Europe décidait de reconduire cette initiative sous quelque forme que ce soit, il rassemblerait et contribuerait à former près de 300 jeunes convaincus de l'importance de l'Europe. Je suis convaincu que cela embellirait l'image du Conseil de l'Europe et, qui plus est, favoriserait la construction de cette Europe sans murs, que nous nous sommes engagés à créer.

Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :

Merci de cette excellente initiative. Vous nous avez fait part de votre enthousiasme. Vous avez exprimé un certain scepticisme vis-à-vis de la politique. Je crois que vous avez tort, mais vous avez le temps de changer d'avis ! Vous avez exprimé tout votre patriotisme européen. Vous avez eu une très belle formule : « Nous voulons unir les peuples et non pas seulement les pays ».

Allocution de M. Pierre MOSCOVICI
Ministre délégué aux Affaires européennes

Je suis honoré et heureux d'avoir été invité à clôturer la première partie de ce colloque. Je tiens à saluer tout particulièrement Josette Durrieu pour cette initiative tout à fait opportune.

Cette année est celle du cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe. Elle a fait l'objet de célébrations organisées à Strasbourg, à Londres et à Budapest il y a quelques mois, à la date anniversaire de la création, le 5 mai 1949, du Conseil de l'Europe. J'étais moi-même à Budapest à cette occasion pour signer la Charte des langues et cultures régionales dont on sait le succès relatif qu'elle a connu dans notre pays. J'ai pu constater à Budapest la volonté unanime des dirigeants européens de participer activement à cette deuxième jeunesse de l'Europe. La délégation française a souhaité à son tour commémorer le cinquantième anniversaire de cette organisation pour en dresser un bilan, mais surtout pour dégager des pistes de réflexion pour l'avenir. De même, c'est l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui avait pris l'initiative de proposer à la France, en 1997, d'organiser un deuxième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement au moment où notre pays exerçait la présidence de l'Organisation. Il lui avait paru opportun de donner un nouvel élan à l'action du Conseil de l'Europe alors que la fin de la guerre froide, marquée par l'élargissement de votre Organisation, lui conférait une dimension paneuropéenne nouvelle et qu'il convenait de redéfinir ses objectifs.

Le Conseil de l'Europe a été conçu au lendemain de la seconde guerre mondiale pour ancrer la démocratie en Europe sur des bases solides. L'élargissement de son assise géographique après 1989 a renouvelé pour le Conseil de l'Europe l'obligation de relever le défi de la démocratisation. C'est dans ce contexte que le sommet de Strasbourg a donné l'occasion d'en rappeler les principes et les valeurs : renforcement de la démocratie, respect des droits de l'homme, de l'Etat de droit, cohésion sociale et culturelle... Il convient de s'appuyer sur ces principes, qui font la cohésion européenne, pour construire l'avenir du continent. Demain comme aujourd'hui, le Conseil de l'Europe apportera une contribution déterminante au grand projet que constitue la réunification de notre continent dans la démocratie et dans la paix. Le Conseil peut participer à la naissance d'une conscience européenne dont il est lui-même la manifestation.

Vous le savez, les interrogations sur le sens de la construction européenne, et donc sur notre identité, se multiplient. Elles tiennent aux ruptures qui sont intervenues au cours de la dernière décennie, ruptures créatrices, en particulier la chute du Mur de Berlin qui a rendu possible la perspective de l'Europe réunifiée. L'avènement de l'euro marque pour sa part l'aboutissement d'une phase de la construction européenne démarrée dans les années 50, mais également la nécessité de passer à une phase plus politique. Nous avons besoin, dans cette période charnière, de tout ce qui peut nous faire passer d'une simple identité européenne commune à une véritable conscience européenne, c'est-à-dire la nécessité ressentie par chacun d'entre nous de faire l'Europe.

Cette conscience est au confluent de deux notions qui sont au coeur du Conseil de l'Europe : la volonté de paix sur le continent, apparue après la première guerre mondiale, et l'exigence démocratique qui domine les lendemains de la seconde guerre mondiale. C'est bien sur ces deux piliers que nous souhaitons construire l'Europe de demain, dans laquelle les citoyens élisent - et je souhaiterais qu'ils le fassent avec plus d'enthousiasme - leurs députés européens, acceptent ou refusent par référendum les traités. Cette Europe ne peut se faire sans le consentement et l'adhésion des peuples.

Nous avons le devoir, nous responsables politiques, de faire vivre et de renforcer encore la conscience européenne de nos concitoyens. C'est en ce sens que nous avons voulu réorienter la construction européenne. Il s'agit d'abord de réussir la réunification du continent. La France a toujours considéré que la vocation des institutions européennes était de rassembler l'ensemble des pays et des peuples du continent. La construction européenne n'était jusqu'à ces dernières années que la résultante de la division de l'Europe engendrée par la guerre froide. Elle n'a jamais été le produit conscient de je ne sais quelle conception élitiste réservée à la moitié occidentale de notre continent. Le Conseil de l'Europe, en accueillant dès le début des années 90 nos voisins de l'Europe centrale et orientale, a montré la voie : celle qui nous conduira d'ici une dizaine d'années à une nouvelle Union européenne, qui pourrait compter une trentaine d'Etat, voire plus. Je n'irais pour ma part pas jusqu'à la quarantaine, mais c'est là un autre débat.

Il s'agit ensuite de bâtir une véritable Europe citoyenne à laquelle chacun puisse s'identifier et dont chacun puisse se sentir acteur. L'indifférence constatées lors des dernières élections du Parlement européen, même si ses causes sont complexes et différentes pour chaque pays, a montré l'ampleur du sentiment d'étrangeté que ressentent encore nombre de citoyens face au phénomène européen. Nous avons le devoir absolu d'y répondre. La construction européenne ne doit plus être l'oeuvre de quelques uns pour quelques autres. Elle doit s'appuyer sur le sentiment partagé entre tous les citoyens d'un progrès possible grâce à l'Europe. Aucune avancée ne se fera en Europe sans l'adhésion des peuples.

C'est pourquoi les énergies de tous seront nécessaires si on veut faire progresser l'Europe dans ce sens. Le Conseil de l'Europe, par son rôle de laboratoire de l'Europe unie et démocratique, par la force intégratrice que représente la Cour européenne des droits de l'homme, par son souci d'associer les pouvoirs locaux à son action, doit prendre une part active à cette construction.

Le sommet de Strasbourg a tracé des axes d'action prioritaires dans le domaine des droits de l'Homme, de la cohésion démocratique et de la sécurité du citoyen, de la cohésion sociale, de la qualité de la vie et enfin de la cohésion culturelle et du pluralisme des cultures. Le Conseil doit maintenant se concentrer sur ces actions car il ne peut être question de faire tout et partout, ne serait-ce que pour des raisons de moyens. Ensuite, il faut s'en tenir à la vocation propre du Conseil de l'Europe et respecter l'architecture articulant l'action de plusieurs institutions européennes.

Je connais les demandes, en termes de moyens, dont vous vous faites régulièrement l'écho et je les comprends. Mais les orientations fixées par le sommet ne consistent pas à augmenter le budget parallèlement à la progression des activités. Vous n'ignorez pas qu'une augmentation considérable du budget a eu lieu ces dernières années : il est passé de quatre cent trente-deux millions de francs à plus d'un milliard pour l'année 2000 : c'est une belle augmentation que peu de budgets ont connue. Elle est due à l'arrivée de nouvelles démocraties. Mais puisque la quasi totalité des démocraties du continent ont rejoint l'organisation, il n'y a plus aujourd'hui de raison de poursuivre l'accroissement du budget à ce rythme. Aucun de nos principaux partenaires, figurant comme nous parmi les grands contributeurs de l'organisation (la contribution de la France représente 13 % du budget ordinaire), n'est disposé à enfreindre la règle de la croissance zéro que nous avons décidé d'adopter. C'est en restant à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire constante que le Conseil doit recentrer son activité autour des axes budgétaires qu'il a lui-même définis. La réforme qui se mettra éventuellement en place doit être comprise et appliquée, s'attacher à rationaliser les activités, à restructurer le dispositif, à redéployer les moyens, y compris humains, dans les directions indiquées par le sommet. C'est je crois la condition de l'efficacité de votre institution.

Je sais que ce travail est difficile car il exige rigueur et discipline. Il faudra faire des choix et se résigner à supprimer certaines activités pour en dynamiser d'autres. C'est indispensable si l'on ne veut pas que l'action du Conseil de l'Europe se banalise dans un espace où existent de nombreuses institutions complémentaires. Je suis aussi convaincu qu'une fois son rôle et sa place précisément délimités, c'est-à-dire confortés, le Conseil de l'Europe devra encore renforcer ses relations avec les autres institutions, à savoir l'Union européenne et l'OSCE. La mise en oeuvre de programmes communs combinant l'expertise du Conseil de l'Europe et les moyens de l'Union européenne a facilité le développement global et harmonieux du continent et notamment celui des nouvelles démocraties appelées à rejoindre l'Union. J'ai bon espoir que dans quelques jours, à Helsinki, l'Union européenne décide l'ouverture de négociations avec six nouveaux pays : les cinq qui n'avaient pas pu ouvrir les négociations à Luxembourg ainsi que Malte. Je salue l'arrivée prochaine dans ces négociations de la Bulgarie et de la Roumanie, à laquelle la France est particulièrement attachée. Le statut de candidat devrait également être reconnu à la Turquie. Nous le souhaitons, tout en restant très exigeants sur les conditions d'une adhésion éventuelle de ce pays.

Le rapprochement est aussi souhaitable avec l'OSCE car la paix et la sécurité ne sauraient être décrétées en Europe sans les fondements démocratiques qu'il appartient au Conseil de l'Europe de fortifier. Cette action en profondeur du Conseil de l'Europe présente sans doute l'inconvénient de ne pas être très médiatique. On ne lui prête pas souvent une attention suffisante ; C'est pourquoi il nous incombe à nous, gouvernements des Etats membres, mais aussi à vous, de veiller ensemble au respect des règles du jeu que je viens de rappeler de façon à ce que le Conseil de l'Europe puisse aborder le XXIème siècle avec toute l'efficacité nécessaire.

L'universitaire Paul Hazard a écrit en conclusion de son ouvrage sur la conscience européenne : « Qu'est-ce que l'Europe ? C'est une pensée qui ne se contente jamais. » Je souhaite, en renouvelant toute mon estime pour l'oeuvre accomplie au Conseil de l'Europe, qu'il poursuive son ambition pour le siècle prochain, sans jamais s'en contenter, pour le bien de l'Europe.

Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :

Nous avons le sentiment qu'un problème majeur se pose. L'Europe se fait, c'est évident. Mais si nous avons tous réclamé, y compris les jeunes, que l'adhésion des peuples se fasse envers une identité européenne fortement voulue, en complémentarité avec les identités nationales, nous avons le sentiment qu'aujourd'hui, les identités locales et régionales s'affirment plus vite que l'appartenance à une identité européenne. Nous pensons qu'il y a là un danger. C'est le coeur du débat que nous voulons engager cet après-midi.

IDENTITÉS RÉGIONALES ET CITOYENNETÉ EUROPÉENNE :
LES DÉFIS D'UNE GRANDE EUROPE
DÉMOCRATIQUE ET PACIFIQUE

L'exemple espagnol

M. Jordi SOLE TURA
Député au Congrès espagnol et à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, ancien Ministre, ancien membre de la Commission de rédaction de la Constitution espagnole

La fin de la centralisation

J'ai eu l'honneur de participer aux grands changements qui se sont produits en Espagne à la fin du franquisme, dont j'ai été une des victimes. Le franquisme a duré 40 ans et a été le point final d'un processus visant à construire un Etat très centralisateur. Si la France a construit un système centralisé dans la démocratie, l'Espagne l'a fait dans la dictature.

Lorsque Franco est mort, le franquisme n'est pas mort avec lui. L'armée, la police, l'administration n'avaient pas changé. Avec ces institutions, nous devions pourtant construire une démocratie et un modèle d'Etat tout à fait différent. En Espagne, il y a une pluralité de langues : l'espagnol, le catalan, le basque... Ces diversités étaient masquées par la dictature qui a essayé de détruire ces différences et d'établir une langue unique. Ma langue, le catalan, était interdite. Nous ne pouvions l'utiliser à l'école ou dans les services publics. Nous nous sommes donc demandés, après la fin du franquisme, comment gérer ces différences.

Nous avons discuté du modèle d'Etat à définir. Nous pouvions poursuivre dans la voie du centralisme. Nous pouvions également maintenir l'Etat centralisé avec trois exceptions : la Catalogne, le Pays Basque et l'Andalousie. Nous avons rejeté ces deux possibilités. Nous devions en effet créer une situation nouvelle, qui se libère du passé. Le maintien du centralisme avec trois exceptions n'était pas possible : cela avait déjà été tenté pendant la République, sans succès. Cette option aurait provoqué une confrontation constante entre l'Etat centralisateur et les nationalismes.

Nous avons donc décidé de changer toutes les structures de l'Etat, de créer un système d'autonomie générale. Pour ce faire, nous avons créé un système fédéral. En Espagne, il y a aujourd'hui dix-sept communautés autonomes disposant d'un parlement, d'un gouvernement et d'élections propres. Elles ne sont pas identiques ni du point de vue des structures, ni du fonctionnement. La Catalogne, qui a une langue propre et une situation économique solide est très différente du centre de l'Espagne. Nous avons construit un Etat fédéral qui ne fonctionne pas comme tel. La redistribution des ressources génère toujours des problèmes. Les langues différentes peuvent devenir un facteur de séparation.

Pays Basque et Catalogne : deux points de vue sur l'identité régionale

La différence entre la Catalogne et le Pays Basque illustre bien ces difficultés. Un des problèmes que nous avons essayé de résoudre avec la décentralisation a été celui des inégalités. Sous Franco, il y avait des régions riches et des régions très pauvres, des migrations internes et externes. Des milliers d'Espagnols devaient chercher un emploi dans une autre ville ou un autre pays. Il nous a semblé qu'il était impossible de maintenir la démocratie avec ces inégalités. Nous avons donc voulu retrouver un certain équilibre.

Aujourd'hui, il n'y a plus d'émigration. La redistribution des ressources publiques a permis un développement plus équilibré que par le passé. Mais en Catalogne et au Pays Basque, les mouvements de population constatés sous le franquisme se sont traduits par une grande pluralité de la population. Il y a 6 millions d'habitants en Catalogne dont plus de la moitié sont venus d'Andalousie, de Castille, du Sud de l'Espagne... Au Pays Basque, la situation est la même : toute la classe ouvrière est issue de l'immigration du sud.

Il a donc fallu, lors de la décentralisation, dire ce que signifiait être Catalan ou Basque. Pour certains, ceux qui ne parlaient pas la langue et n'étaient pas nés dans la région n'étaient pas catalans ou basques. Mais pour la gauche, on ne pouvait faire de la langue une frontière séparant une communauté. Nous savions que si nous voulions rendre son autonomie à la Catalogne, il fallait changer tout l'Etat, toutes les structures de l'Espagne. Pour cela, nous avions besoin de l'aide de toute la population, y compris de ceux qui ne parlaient pas notre langue. Nous avons beaucoup lutté pour trouver une solution qui perdure. Chez nous, il est clair aujourd'hui qu'est catalan celui qui habite et travaille en Catalogne. Sa langue ou son origine ne sont pas des critères. Nous avons établi le bilinguisme. Bien sûr, il y a encore des gens qui n'acceptent pas cela. Mais je crois que la situation s'est stabilisée.

La situation est différente au Pays Basque. La ligne de séparation reste dure. Beaucoup considèrent que quiconque ne parle pas basque n'est pas basque. Les nationalistes estiment que la langue basque est leur identité et que la ligne de séparation est totale. Cette différence d'approche explique qu'il y ait du terrorisme au Pays Basque alors qu'il n'y en a pas en Catalogne.

Aujourd'hui, nous devons faire fonctionner l'Etat fédéral et décider de notre avenir. L'avenir immédiat est l'Union européenne. Quand les terroristes basques disent qu'ils veulent construire un Etat nouveau, indépendant, qui regroupera les pays basques espagnols et français, ils nous mettent dans une situation impossible. Ils veulent instaurer des frontières nouvelles au moment où nous voulons les effacer, établir une souveraineté supplémentaire quand la souveraineté disparaît, créer un Etat avec une monnaie propre alors que l'on passe à la monnaie unique. Ils veulent une armée propre au moment où nous construisons l'armée européenne.

Les trois niveaux de la construction européenne

L'autonomie n'est pas seulement une solution aux problèmes du passé mais une façon de voir l'avenir. Je suis convaincu que la construction de l'Europe se fera sur trois niveaux : l'Etat, les régions et les cités.

Il y a aujourd'hui plus de relations entre les villes qu'auparavant. Ce phénomène s'accentuera avec l'accélération des moyens de communication. Les régions qui survivront seront celles capables de créer des espaces, de coopérer avec leurs voisins, de lancer des initiatives communes, de trouver de nouvelles associations au-delà des frontières actuelles. Chez nous, quelques communautés autonomes s'adaptent déjà à la situation. Ceux qui pensent pouvoir se développer en s'appuyant sur une identité fermée commettent une grossière erreur.

La France dispose un grand Etat centralisé, qui fonctionne bien mais fait figure d'exception en Europe. Partout, on régionalise. Je pense que vous devez faire la même chose. Je ne sais pas comment vous devez le faire, mais je crois que l'avenir passe par l'Etat, les régions et les villes.

Chez nous, on commence à se préparer à cette nouvelle situation. Mais nous sommes ralentis par ce terrible poids que constitue le terrorisme basque. C'est une situation que nous n'acceptons pas. A l'extrémisme terroriste répond un extrémisme centraliste. Trouver une solution moyenne et voir ce que nous devons faire avec sérénité, sans tomber dans la logique des extrémismes, est le défi que nous devons relever. Je crois que la structure d'Etat que nous avons aujourd'hui peut fonctionner dans l'avenir. J'espère que ce débat sera celui des prochaines années dans le Conseil de l'Europe, dans l'Union européenne et dans toutes les institutions actuelles.

Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :

Je souhaiterais que vous nous décriviez la façon dont s'est mis en place votre régime au niveau constitutionnel. Comment êtes-vous arrivés à un régime fédéral ? Pour les pays qui traversent une crise profonde, votre expérience peut être précieuse. Nous avons proposé les formules qui nous semblaient les meilleures aux républiques des Balkans. Mais vous avez construit vous-mêmes une formule adaptée à votre pays.

M. Jordi SOLE TURA :

J'ai été un des rédacteurs de la constitution espagnole, qui a été élaborée par sept députés, élus par le parlement, parmi lesquels tous les partis étaient représentés. Un de mes co-rédacteurs était le Ministre du gouvernement franquiste qui m'a mis en prison. Anciens franquistes et anciens résistants, monarchistes et républicains de gauche, ont tous décidé de suivre la voix de la raison et de travailler ensemble. Nous voulions tous construire une démocratie stable, qui rompe avec les démocraties précédentes qui se terminaient au bout de 3 ou 5 ans par des coups d'Etat militaires.

Nous avons donc dépassé nos clivages. Nous étions confrontés à un grand nombre de défis. Que faire avec l'armée ? Quelles seraient les relations de l'Etat avec l'Eglise catholique ? Comment régler la question de la centralisation, de l'autonomie et des langues ? Nous nous sommes assis autour d'une table et nous avons discuté non pour oublier le passé mais pour en finir avec lui. Nous avons pris nos décisions à la majorité et non à l'unanimité. Mais nous nous sommes tous mis d'accord pour faire sortir notre pays de l'ornière et le faire avancer. C'est indispensable pour construire une démocratie et c'est le message que j'essaie de transmettre aux pays d'Europe de l'Est.

Pour une vision individualiste des droits de l'homme

M. Robert BADINTER
Sénateur, Président de la Cour de conciliation et d'arbitrage de l'OSCE
Ancien Garde des Sceaux, Ancien Président du Conseil constitutionnel

C'est toujours un plaisir d'entendre Jordi Sole Tura. Vous m'avez fait toucher du doigt la différence entre l'Espagne et la France. Notre pays détient le record des rédactions de constitutions. Mais en France, les constituants se mettent d'abord autour d'une table avant que les uns mettent les autres en prison... Le fait que vous ayez fait le contraire marque un progrès de la démocratie.

Je voudrais formuler aujourd'hui un avertissement. Nous sommes à un tournant de la construction européenne. Construire, c'est rechercher la dimension commune plutôt que souligner les différences. On n'y pense pas assez aujourd'hui : pour vivre ensemble, il vaut mieux mettre l'accent sur ce qui vous rapproche que sur ce qui vous sépare. Pourquoi le Conseil de l'Europe a-t-il remporté un succès historique ? Pourquoi l'Europe a-t-elle évolué de façon positive au cours du dernier demi-siècle ? Parce que nous sommes allés à la recherche de la commune dimension européenne. Cette dimension n'est pas tant la culture que les droits de l'homme. Je les revendique comme une spécificité européenne tout à fait essentielle. Cela ne signifie pas qu'ils ne soient pas applicables ailleurs. Mais ils sont intégrés dans la culture européenne et fondent l'espace européen. Sur quoi s'est fondé le Conseil de l'Europe sinon sur l'affirmation d'un espace européen des droits de l'homme face à un autre espace européen, qui suivait un modèle « rival » dont la vision était différente ? Je persiste à penser que la vision du Conseil de l'Europe était la bonne pour le bonheur de l'être humain.

Nous sommes dans un espace de liberté et de démocratie. Le fondement de cet espace est les droits de l'homme. L'originalité de cette construction, l'extraordinaire singularité de la création du Conseil de l'Europe sont la convention européenne des droits de l'homme et le mécanisme de garantie. Je crois qu'il y a là un phénomène prométhéen : le résultat est allé au-delà de ce que les fondateurs du Conseil de l'Europe pouvaient imaginer.

Pour tous les pays d'Europe, et j'insiste sur le « tous », les droits de l'homme tels qu'ils sont définis par les textes fondateurs sont garantis au profit de tous les habitants de tous les Etats européens pris individuellement. A travers le Conseil de l'Europe et l'espace européen constitué par l'ensemble des pays adhérents à la convention européenne et donc soumis à la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme, vous avez fait naître pour la première fois dans l'histoire, des droits protégés par une juridiction qui n'était fondée sur aucune souveraineté. C'est un modèle nouveau. Le droit a échappé à la souveraineté et une supra-souveraineté s'est imposée aux Etats. J'entends encore les clameurs des juges des cours suprêmes en Europe se rebellant à l'idée d'avoir à plier le genou devant des juges qui venaient pour la plupart de leur corps mais se trouvaient « internationalisés » par leur fonction. Je n'ai pas besoin de vous dire ce qu'a représenté pour la France de Louis XIV, de Napoléon 1 er et des Jacobins le fait d'accepter la censure de décisions de sa juridiction, basées sur des textes votés par son parlement.

S'est constituée en Europe une commune dimension qui n'a pas seulement une valeur proclamatoire, mais une valeur obligatoire, garantie par un contrôle juridictionnel autonome. C'est une innovation saisissante et bénéfique. Dans les 20 dernières années, les progrès essentiels enregistrés par les droits de l'homme, pour chaque habitant de l'Europe, sont dus pour une bonne part au contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l'homme sur les juridictions. En France, en matière d'écoutes téléphoniques, c'est la Cour européenne des droits de l'homme qui a poussé à adopter une loi. De même, la situation honteuse de détention et de rétention dans notre pays a conduit à sa condamnation. La future loi qui prévoit l'assistance d'un avocat dès la première heure de garde-à-vue ne constitue pas seulement l'innovation méritante d'un gouvernement que je soutiens, mais était devenue nécessaire au regard de la récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme.

Je tiens donc à souligner que ce qui nous arrive, à nous, vieille nation pétrie de droit, est complètement nouveau. Il faut avoir entendu Madame Thatcher se récrier contre la Cour européenne des droits de l'homme qui venait de condamner le pays de l'habeas corpus , de la magna carta , pour violation des droits fondamentaux des terroristes irlandais, pour mesurer tout ce que l'Europe doit à la censure juridictionnelle de la cette institution.

Notre conception des droits de l'homme repose sur l'idée qu'ils sont avant tout les droits de l'être humain. Ils demeurent une construction éminemment individualiste. M. Sole Tura a évoqué différents cercles d'approche et des strates successives dans la composition de l'ensemble européen : nations, régions, cités, bassins... Barcelone entretient avec des régions de l'autre côté des Pyrénées des relations riches, le bassin Rhône-Alpes ou le bassin Danubien ont des échanges poussés avec leurs voisins... Mais nous sommes à l'heure du choix. Allons-nous passer de l'Europe des droits de l'homme, « l'homme » désignant un être humain dans sa singularité, à une autre dimension dite « collective » des droits de l'homme dans laquelle les droits collectifs de telle ou telle communauté à l'intérieur des Etats permettraient de protéger sa singularité, sa spécificité culturelle, linguistique, voire religieuse ? En tant que laïc, je me refuse à considérer qu'on puisse assurer cette dernière liberté autrement que par la défense de la liberté de conscience de chaque individu et du droit de chacun à choisir comme il l'entend sa religion dans une société laïque.

Vous êtes à un tournant majeur. Je constate une hésitation dans un certain nombre d'Etats et de communautés. J'entends ça et là, en Europe centrale et orientale, contester la vision individualiste des droits de l'homme, qui est au coeur de la construction européenne et à laquelle nous devons tant. Considérerons-nous désormais que les droits de l'homme sont ceux d'un être humain saisi dans sa communauté ? Ce n'est pas une mince question pour l'avenir de l'Europe. Si on considère que s'ajoutent au droit individuel des droits collectifs et si la revendication des droits de l'individu doit se réaliser à travers une protection collective, on change la nature de la construction européenne. J'attire votre attention sur ce point.

Pour ma part, je ne penche pas du côté des droits collectifs. Mais j'écoute toujours avec beaucoup d'attention et je suppose qu'il n'y aurait pas de revendication de droits collectifs sans raison puissante. Depuis que l'autre modèle, celui de la réalisation des droits de l'homme à travers la libération de l'oppression de classe, a disparu, on assiste à l'émergence d'une nouvelle problématique : les droits individuels conçus comme ceux de l'être humain bénéficiaire des droits collectifs d'appartenance à une communauté, voire à un peuple. Il faut bien peser ce choix car c'est aussi de lui que dépend l'avenir européen.

La perception des différentes appartenances,
conflit ou complémentarité ?

Mme Dominique SCHNAPPER
Directeur de recherche au CNRS

" Robert Badinter a commencé son exposé en disant qu'il allait présenter une mise en garde et un avertissement alors je vais poursuivre dans le même sens, d'un point de vue un petit peu différent du sien mais peut-être complémentaire.

Je voudrais d'abord poser le problème de la citoyenneté nationale et la citoyenneté européenne et de leur combinaison et puis soulever aussi le problème qui se pose dans l'alliance objective entre les institutions européennes et les régions d'un côté contre l'Etat national de l'autre ; enfin, finir sur ce problème des droits collectifs pour faire écho à ce qu'a dit Robert Badinter.

Sur le premier point, je voudrais rappeler deux ou trois faits historiques à savoir que le projet européen a été, dans son origine, un projet spécifiquement politique.

Ceux qui l'ont conçu avaient comme ambition que les combats qui pouvaient apparaître fratricides de l'Europe, on devait pour une bonne fois y mettre fin.

De ce point de vue-là, il ne faut jamais oublier à quel point l'Europe telle que nous l'avons construite est un succès puisque nos petits enfants riraient à l'idée que les armées allemandes pourraient traverser le Rhin et débarquer dans notre pays. Alors que pendant plus d'un siècle, c'est en ces termes que l'on a pensé le danger pour la France.

Donc le projet européen, d'une certaine façon, est presque victime de son succès parce qu'il a fait apparaître comme une évidence l'alliance politique des Européens.

Reste que l'échec de la CED a conduit à un infléchissement du projet original c'est-à-dire que le refus d'accepter une armée commune en 1954 a amené les militants européens et les hommes politiques à construire une Europe économique et sociale, parallèlement à cette Europe des Droits de l'Homme qui est l'oeuvre du Conseil de l'Europe.

Il faut maintenant se poser le problème de la citoyenneté parce que, désormais, nous construirons l'Europe autour de l'idée de citoyenneté, c'est-à-dire autour de l'idée que, par-delà toutes leurs caractéristiques, toutes leurs diversités, leurs inégalités, les citoyens forment une communauté qui est à la source de la légitimité politique et du lien social.

Or, cela pose un certain nombre de problèmes proprement politiques qu'on peut résumer de la façon suivante : jusqu'à présent les pratiques de la citoyenneté se sont toujours exercées au niveau national.

Certes, il n'y a pas de lien logique ou nécessaire entre la citoyenneté et le niveau national, c'est-à-dire que l'on peut parfaitement être citoyen au niveau infra-national ou au niveau supra-national.

Historiquement, c'est dans le cadre national que se sont construites les institutions de la citoyenneté et que se sont exercées les pratiques qui lui donnent un sens concret. Par conséquent, le problème se pose de savoir comment transférer au niveau européen des institutions, des pratiques et des convictions qui sont nécessaires pour que la citoyenneté ne soit pas une abstraction, qu'elle ne soit pas formelle, mais qu'elle soit concrètement incarnée dans des pratiques sociales. Cela n'est pas facile et ce n'est pas donné d'avance.

Les Français, on l'a vu au moment du débat sur le traité de Maastricht, ont eu le sentiment, et sans doute d'autres peuples européens l'ont éprouvé aussi qu'on avait construit une Europe politique sans leur en parler. Ils ont pris conscience de l'importance de l'Europe dans leur vie quotidienne, en ayant le sentiment que le débat proprement politique n'avait pas vraiment eu lieu.

Nous avons une réflexion à mener pour imaginer les moyens de transférer un certain nombre des dispositions régissant la citoyenneté nationale, au niveau européen. Cela soulève le problème du lieu du politique. Jusqu'à présent, le lieu du politique, c'est-à-dire le lieu de l'expression démocratique d'un côté et de la volonté d'affirmer un certain nombre de valeurs de l'autre s'est toujours situé au niveau national. Il est souhaitable qu'il passe désormais au niveau européen, mais comment les peuples, comment les citoyens peuvent-ils adhérer au mode selon lequel se construisent les institutions et -se prennent des décisions nécessaires ? Comment peuvent-ils s'en reconnaître partie prenante, avoir confiance dans ces institutions pour affirmer leurs valeurs et se défendre contre ceux qui ne les respectent pas, qui viendraient à les attaquer ? C'est le premier point, le passage de la citoyenneté nationale à la citoyenneté européenne et le déplacement du lieu du politique. Ce qui m'amène au deuxième point, ce que M. Sole Tura a décrit, c'est-à-dire l'alliance objective entre les institutions européennes et les régions, alliance contre l'Etat national.

Encore une fois, l'Etat national n'a pas de raison d'être le seul lieu de la volonté politique et cette organisation qu'on nous a décrite entre les institutions européennes, les villes et les régions, pourquoi pas ? mais à une condition, c'est qu'il y ait un lieu de véritable volonté politique. Or, les régions jusqu'à présent me semblent être plutôt des lieux de gestion collective, éventuellement démocratiques, mais ce ne sont pas les lieux où peuvent totalement s'opérer les arbitrages de l'intérêt général comme l'adhésion symbolique, fonctions du politique.

Cette situation objective implique que les institutions européennes se voient déléguer le lieu central du politique sinon nous risquons et c'est un risque des sociétés démocratiques qui sont des sociétés productivistes, des sociétés marchandes, des sociétés de l'immédiat et de l'instantané, nous risquons d'avoir une dépolitisation, au niveau des régions, au niveau de l'Europe et un affaiblissement du niveau politique qu'est l'Etat national. Autrement dit, nous risquons si nous n'y prenons pas garde, et c'est là où mon avertissement prolonge celui de Robert Badinter, nous risquons d'avoir une société européenne non politisée, non organisée, n'ayant plus la volonté de défendre ses valeurs, qu'il n'y ait plus de lieux du politique par lesquels nous faisons société. Nous risquons d'avoir affaibli l'Etat national avant que ses prérogatives et le sens de son action comme lieu de transcendance n'ait été transférés à l'Europe.

Nous risquons avec ce décalage, de voir l'affaiblissement de l'Etat national, des institutions de citoyenneté nationale avant que se soient affirmées des institutions, des pratiques et des valeurs au niveau européen.

Or, il y a un lien avec le problème des droits collectifs. L'Etat national s'est en effet établi, particulièrement en France, mais c'est vrai de tous les Etats nations, avec la garantie par l'Etat des droits individuels.

Il est clair que les droits collectifs sont justement l'intermédiaire entre l'Etat et les individus citoyens.

La question des droits collectifs est d'une certaine façon parallèle à cette perception d'une Europe comportant les institutions européennes à côté, des régions et des villes, une sorte de ligue hanséatique reformulée et redéveloppée. Je voudrais mentionner les arguments qui me conduisent à voir tous les dangers de la notion de droits collectifs. Tout d'abord, les droits collectifs sont contradictoires avec les droits de l'individu. Nécessairement, à partir du moment où des droits sont donnés à une collectivité, une opposition est possible entre les droits de l'individu et les droits du groupe auquel est assignée chaque personne.

Il me semble que c'est contradictoire avec l'évolution de la société démocratique qui laisse toujours à l'individu plus de droits et plus de liberté pour affirmer son identité et son authenticité. Cette contradiction est fondamentale, grosse de conflits avec le meilleur des valeurs démocratiques.

Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est que les groupes n'existent pas de façon éternelle, qu'ils sont le produit de la construction des hommes et qu'à partir du moment où on les cristallise par le droit, ce qu'on fait si on donne des droits collectifs, on tend à les pérenniser au lieu de laisser aux individus la liberté de constituer ou d'appartenir à des groupes différents selon leur liberté. Moins encore qu'une construction comprenant l'Europe d'un côté, les régions et les villes de l'autre, nous ne pouvons imaginer un système d'institutions européennes centrales avec des séries de droits collectifs.

Ce serait un retour à une forme d'ethnicité, c'est-à-dire à l'appartenance par la naissance à un groupe, et non pas par ce mélange d'hérédité et de choix qui est le propre des sociétés démocratiques et en particulier de ce qu'on appelle la civilisation européenne, faite de brassages, d'appartenances multiples et évolutives, voire de refus d'appartenance autre que la citoyenneté, selon une certaine conception de la laïcité.

C'est autour de l'aménagement et de l'institutionnalisation, à la fois des droits des individus et des institutions politiques collectives, que nous pouvons penser à construire une Europe ouverte à tous les peuples de l'Europe et à tous ses citoyens.

Débat

M. Georges CLERFAYT, Député belge, membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

L'intervention de Monsieur Badinter est sans doute la justification du refus du gouvernement français de signer la convention européenne de protection des minorités nationales. Je me demande si le problème n'est pas un peu factice et s'il ne provient pas d'une confusion entre ce que l'on appelle abusivement des « droits collectifs », que l'on oppose à des droits individuels, et des droits individuels appartenant à une catégorie de citoyens qui ont des caractéristiques propres et sont exposés à des discriminations de la part des citoyens majoritaires qui refusent d'admettre leur identité spécifique. Ne vaudrait-il pas mieux parler de droits des minoritaires plutôt que de droits collectifs ou de droits des minorités ? Il s'agit de droits appartenant à certaines personnes du fait des particularités les distinguant de la majorité de la population.

Au Moyen Age, les gens étaient obligés d'adopter la religion du souverain. Ils n'avaient pas droit à la dissidence ou à la liberté de conscience. Un des grands progrès de la démocratie a été de reconnaître la liberté de conscience et donc le droit pour des minoritaires de ne pas être persécutés pour leurs spécificités. Tous ceux qui ont signé la convention européenne de protection des minorités nationales ont souhaité protéger les peuples contre les discriminations particulières. Il faudrait donc éviter d'appeler droits collectifs ce qui n'en est pas. Tout le monde est d'accord pour dire que l'Europe doit être pluraliste et multiculturelle. Cela ne doit pas aboutir à une juxtaposition de bastions d'intolérances, avec la domination exclusive et intolérante d'une culture dans chaque bastion. Il faut que chaque citoyen d'Europe puisse jouir là où il vit de ses droits culturels et linguistiques.

Je comprends jusqu'à un certain point les juristes et les philosophes du droit qui, à l'instar de Monsieur Badinter, s'opposent à la notion de droits collectifs. Mais je me demande si la solution n'est pas d'approfondir l'article 14 des droits de l'homme sur la non-discrimination. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est assez faible dans ce domaine, qui touche à la souveraineté des Etats. Plusieurs cas plaidés sur la base de cette discrimination n'ont pas obtenu gain de cause. Aujourd'hui, les droits des minoritaires ne sont pas suffisamment protégés. Il faudrait approfondir la tentative actuelle d'élargir l'article 14. Le projet de protocole numéro 12, qui est en cours de rédaction, ne va pas assez loin dans la protection des droits individuels de ceux qui ont des caractéristiques culturelles et linguistiques propres. Des Etats membres leur dénient par nationalisme la reconnaissance et le respect.

M. Robert BADINTER :

Je sais les passions que soulèvent ces questions. Je crois qu'à cet égard, il faut faire preuve d'une extrême simplicité. De quoi parlons-nous ? Du droit à s'exprimer de la langue que l'on a reçue comme héritage par sa famille ? Du droit de créer une association pour promouvoir le théâtre qui s'exprime dans une langue régionale ? Du droit d'avoir une chaîne câblée pour s'exprimer en basque plutôt qu'en espagnol ? Ces droits ne posent aucun problème.

Je suis toujours perplexe quand j'entends parler de discrimination. J'ai eu l'occasion, au moment où on a évoqué la décision du Conseil constitutionnel sur la non conformité à la constitution française de quelques unes des dispositions du texte que vous avez évoqué, de voir le nombre de dispositions existantes prises en faveur de la culture régionale sous toutes ses formes. J'en suis très heureux. Mais qu'est-ce que cela à voir avec les droits de l'homme ? Que chaque être humain ait le droit de s'exprimer dans la langue de son choix ne me pose aucun problème. Par contre, que chaque communauté choisisse de s'exprimer dans la langue de son choix et non la langue nationale pose un problème majeur vis-à-vis de l'unité nationale. En Europe, il n'y a pas que je sache de langue européenne. L'espéranto, inventé par un juif Lithuanien au XIXème siècle pour pallier cette insuffisance, n'a guère prospéré. La seule langue pratiquée aujourd'hui par la plupart des jeunes Européens est l'américain, ce qui n'est pas le fondement le plus européen qui soit...

Bien évidemment, le respect du droit de l'identité culturelle de chacun est essentiel. Mais de là à transformer l'espace européen en une mosaïque de communautés particulières en accentuant leurs différences au lieu de mettre en relief ce qu'elles ont en commun... Je suis partisan du développement des langues régionales et de leurs instruments. Mais je ne suis pas pour les droits collectifs auxquels aspirent ceux qui à travers la reconnaissance de leurs droits culturels individuels ne rêvent que de celle de droits collectifs. C'est un choix qui, s'il doit être fait en France, exigera une révision de la constitution. Cette question ne peut être réglée que par un vote en Congrès. Si on décide de changer à ce point la tradition culturelle française, il faudra un référendum où l'on explique clairement ce que cela signifie pour notre unité nationale et notre diversité culturelle régionale. Elle s'exprime aujourd'hui dans notre unité nationale sans avoir besoin de passer par les droits collectifs.

M. Michel LENNUYEUX-COMNÈNE, Ambassadeur, Ancien Représentant Permanent de la France auprès du Conseil de l'Europe :

En tant qu'ancien représentant permanent de la France à Strasbourg, j'ai été le négociateur pour la France de cette fameuse convention des minorités nationales. Comme l'a rappelé ce matin Madame Lalumière, cette convention n'est pas une convention des minorités nationales mais une convention cadre des personnes appartenant à des minorités nationales. Le Conseil de l'Europe, et c'est sa gloire et sa spécificité, n'a jamais parlé qu'au nom des personnes et pas des Etats. Tout dans cette organisation laisse la primauté aux droits des personnes par delà les Etats. Le président Badinter a bien posé le problème. Il s'agit de savoir si le Conseil de l'Europe restera en tant que médiateur de la personne au collectif. Le Conseil de l'Europe n'a pas à garantir les frontières. C'est le rôle des organisations de sécurité. Il est là pour donner des garanties aux hommes qui vivent sur les territoires, personnellement. Il peut être une organisation de l'avenir devant la problématique qu'a posée Monsieur Badinter du droit individuel aux droits collectifs. C'est sa chance et c'est là-dessus que nous devons insister.

M. Robert TOULEMON, membre du mouvement européen, de l'association française d'étude pour l'union européenne et de l'association Jean Monnet :

En ce qui concerne le lieu du politique, je crains que vous n'ayez basé votre raisonnement sur la situation très particulière de la France. Pour un Ecossais, le lieu du politique est tout autant à Edimbourg qu'à Londres, surtout depuis que le parlement a été rétabli. En Allemagne, il se situe aussi bien à Munich qu'à Berlin, en Espagne à Barcelone qu'à Madrid. Ne croyez-vous pas que dans le monde complexe dans lequel nous vivons, il faudrait aller vers une démultiplication des lieux de délibération publique, donc vers une citoyenneté multiple ? L'accession à une citoyenneté européenne ne sera pas un affaiblissement de la citoyenneté nationale mais un complément et finalement un enrichissement de cette citoyenneté.

Monsieur Badinter, vous ne niez pas le droit collectif que constitue le droit des Etats, c'est-à-dire le droit pour chaque Français de participer à la vie internationale par le biais de leur Etat. C'est pour nous une évidence. Pour la Bosnie Herzégovine par exemple, l'attachement des citoyens à une communauté qui n'est même pas linguistique (puisque Serbes, Croates et Musulmans parlent la même langue) l'emporte de très loin sur l'attachement à un Etat très artificiel. Pouvons-nous faire l'économie de la reconnaissance de certains droits collectifs dès lors que nous ne renonçons pas aux droits collectifs des Etats ?

Mme Dominique SCHNAPPER :

Je ne crois pas que le cas français soit spécifique. C'est bien Tony Blair qui a décidé de rétablir le parlement écossais, tout comme c'est lui qui décide d'envoyer des avions au-dessus de l'Irak avec les Américains. En Bavière, la gestion quotidienne se fait peut-être sans l'intervention de Berlin, mais les grandes décisions politiques qui engagent la collectivité, comme la guerre, sont prises au niveau national. Les Etats nationaux gardent par rapport aux Etats régionaux et pour l'instant par rapport à l'Europe une dimension proprement politique qui leur est spécifique. L'Etat national n'a jamais empêché la naissance d'identités particulières, transnationales. Cette démultiplication des citoyennetés n'est pas critiquable en tant que telle. Mais aujourd'hui, la conception de la citoyenneté européenne reste faible. Je le regrette. Le fait que la volonté politique s'exprime au niveau national est une donnée historique. Je m'inquiète de voir ce niveau affaibli avant que soit construite une volonté politique au niveau européen.

En ce qui concerne votre deuxième question, il est certain que les Serbes se sentent plus serbes que membres de l'ex-Yougoslavie. Mais cela ne signifie pas que cela soit un idéal. Toute citoyenneté implique de faire vivre ensemble des personnes présentant des différences historiques et culturelles. Nous sommes dans une société ouverte et les pays « purs » n'existent pas. La Yougoslavie, qui a été créée en 1919, n'a pas eu les moyens historiques de construire des institutions permettant de dépasser les appartenances aux communautés particulières. Mais je ne vois pas d'autre solution, pour faire vivre ensemble les Serbes et les Croates, que de construire un lieu de citoyenneté allant au-delà de l'appartenance à la collectivité historique serbe ou croate.

M. Robert BADINTER :

Dans mon propos, j'étais parti de la notion de droits de l'homme comme étant l'élément fédérateur commun à tous les Européens. Le Conseil de l'Europe était le lieu par essence de la protection des droits de l'homme en Europe. Vous avez parlé du politique en parlant de l'Etat et des communautés. Je ne me suis pas situé sur ce plan-là. Je n'ai pas voulu dire qu'il n'existait pas de communautés régionales. Je voulais simplement demander qui était titulaire des droits de l'homme. Qui va en demander la protection devant la Cour européenne des droits de l'homme ? Nous voulons tous qu'elle continue, même si comme toutes les juridictions, elle ne peut donner satisfaction à tout le monde en même temps.

J'ai présidé la commission d'arbitrage dans la conférence sur la paix dans l'ex-Yougoslavie. Quand nous essayions de définir ce que pouvaient être les solutions, nous nous demandions comment nous pouvions protéger les droits de l'homme alors que nous étions au sein d'espaces où s'opposaient des communautés. Si vous protégez les droits des Serbes ou les droits des Croates, dans le nouvel ensemble, ceux qui étaient les minoritaires au sein de la totalité se trouvent être majoritaires au sein de fragments devenus indépendants et vice versa . C'est exactement ce qui s'est passé au Kosovo. La seule protection efficace des êtres humains ne passe donc pas par la protection de groupes dont la situation peut passer de majoritaire à minoritaire mais par le « noyau dur » que constitue la protection de l'individu.

Tout être humain a droit à la protection de ses droits fondamentaux. On peut discuter sur l'énoncé de ces droits ; mais en ce qui concerne le support, il n'y a pas d'ambiguïté. Par contre, si vous définissez un droit collectif à la protection dans un espace déterminé de la langue majoritaire, vous échouez à protéger comme il convient le droit des minoritaires au sein de cet espace collectif. Quelle que soit la façon dont on tourne le problème, on en revient aux droits de l'homme pris dans leur support individuel. Il ne faut exclure aucun être humain, qu'il participe à une majorité ou à une minorité. La difficulté extrême est l'intégration de cette protection de l'être humain dans un ensemble étatique et à plus forte raison supranational. Seuls les droits fondamentaux de la personne humaine ne peuvent nous trahir.

Renan a dit le 11 mars 1882 dans sa conférence intitulée « qu'est-ce qu'une nation » : « Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé ; elles finiront. La confédération européenne probablement les remplacera ». Ces paroles ont été prononcées dans le temple de la pensée républicaine, la Sorbonne.

M. Jordi SOLE TURA :

Le droit à l'autodétermination est un droit qui n'a pas de sujet. Qui va pouvoir s'autodéterminer ? Seule une décision politique peut répondre à cette question. Cette notion a été inventée en Europe après la première guerre mondiale pour définir une carte politique. Ce droit n'a été inclus que dans deux constitutions : celle de l'Union soviétique et celle de l'ex-Yougoslavie. Le résultat montre qu'il faut être très prudent.

Nous entrons dans un processus de plus en plus compliqué : la construction de l'espace européen. Cela pose le problème de la langue. Aujourd'hui, l'anglais est la langue dans laquelle s'expriment les Européens entre eux. La question de la langue pose des questions de pouvoir. Nous savons tous à qui profite la mondialisation. Tous les Etats membres réfléchissent à la meilleure façon de réagir face à un pouvoir économique, politique, militaire et linguistique beaucoup plus puissant. Quelle sera la langue européenne de demain ? Dans quel espace ? Si nous n'arrivons pas à trouver une solution, nous nous retrouverons dans une situation difficile.

Pour une intégration pleine et entière des Balkans à l'Europe

M. Skender GJINUSHI
Président du Parlement albanais

Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation parlementaire française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :

L'Albanie est au coeur du problème des Balkans. Sa démarche au moment du conflit a été louable. Nous avons tous mesuré le poids de ses efforts et de sa responsabilité. Nous sommes mal sortis du conflit. Nous sommes aujourd'hui dans la phase de gestion de ses suites. On parle aujourd'hui de reconstruction, de sécurité et d'élections. Si on reposait le problème du Kosovo en le mettant au centre du problème des Balkans, quel serait le positionnement de l'Albanais que vous êtes ? Doit-on accorder l'autonomie ou l'indépendance au Kosovo ? Que signifie la grande Albanie pour un Albanais ? Vous avez un discours très positif. Que signifie pour les Albanais de la région des Balkans l'intégration à l'Europe ?

M. Skender GJINUSHI :

La paix au Kosovo a pour la première fois créé les conditions de l'intégration européenne des peuples des Balkans. C'est important car il ne peut y avoir d'Europe de citoyens égaux sans égalité des peuples. L'intervention de l'OTAN a montré que l'Europe était prête à défendre ces valeurs, si besoin est en recourant à la force. L'expérience du Kosovo constitue un apport précieux au droit international en donnant un coût important à une souveraineté s'appuyant sur le génocide et l'épuration ethnique. Elle a confirmé que la souveraineté appartenait aux peuples et non aux régimes dictatoriaux.

Cette nouvelle réalité de la région est similaire à celle de l'Occident en 1945. Les Balkans viennent de sortir d'une longue guerre dont les protagonistes ont été les peuples de la région elle-même. Grâce à l'intervention de la puissante alliance mondiale, la paix a été rétablie. Le principal problème reste l'hostilité interethnique qui freine la nécessaire coopération. La région doit retrouver la paix.

C'est là l'objectif du Pacte de stabilité. Il est constitué de trois volets. Le premier concerne la garantie de la paix et de la sécurité dans la région. La pacification et l'avenir du Kosovo constituent le noeud du problème. Le retour de milliers d'Albanais de souche a été organisé dans des délais très courts. Cela a prouvé que ces personnes n'avaient pas abandonné leur maison mais qu'elles avaient été expulsées de leur foyer par des méthodes inhumaines avant le commencement des frappes aériennes. La reprise de la vie quotidienne en un temps record montre l'énergie et les possibilités de ce peuple. L'accueil enthousiaste réservé aux troupes de l'OTAN démontre ses aspirations européennes.

Certains comparent les incidents liés au départ des Serbes du Kosovo à l'épuration ethnique des mois précédents. Même Milosevic déclarait récemment que l'OTAN et les Albanais établissent le nazisme au Kosovo. Or c'est bien lui, sa politique et ses forces militaires qui ont fait du Kosovo un pays miné, rempli de tombeaux et de ruines, dominé par la haine et l'hostilité, sans pouvoir central ni local, sans gouvernement réel, sans police, sans tribunaux, livré à la vengeance et au crime ordinaires.

L'ordre et la paix publiques ne seront pas faciles à rétablir. Il faut rapidement recréer les institutions démocratiques à travers des élections libres. Avec la reconstruction rapide, cela doit être notre préoccupation principale. Nous devons encourager les politiques fondées sur la coexistence, la réconciliation et l'oubli. Le rôle de l'Albanie sera important. Nous coopérons avec la communauté internationale. Pendant la conférence de Rambouillet, nous avons accepté les accords de paix. Nous avons participé au désarmement de l'UCK et à la création du corps de protection du Kosovo tout en nous préparant à des élections libres.

Au Kosovo, il n'existe aucune politique albanaise d'épuration ethnique. Mais il fallait mettre un terme aux comportements qui entretiennent l'hostilité, comme la non-condamnation des criminels de guerre et la non-libération des prisonniers. Certains voient dans les développements récents au Kosovo les signes de la création d'une grande Albanie. Mais la crise du Kosovo est le produit de la désintégration de l'ancienne Yougoslavie. Les Albanais n'aspirent pas à la grande Albanie mais à la grande Europe. Nous étions pour l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Nous sommes pour le maintien de sa présence jusqu'à ce que l'intégration du Kosovo et de la région dans l'Europe soit réalisée. Les Albanais n'ont pas profité de la crise pour déstabiliser la Macédoine. Bien au contraire, leur rôle a été d'oeuvrer pour la stabilité de la région et c'est celui qu'ils entendent continuer à jouer.

La non-démocratisation de la Serbie demeure une source de tensions dans la région. Le régime de Belgrade a déclenché quatre guerres. Il est le principal obstacle à l'intégration naturelle des peuples de la Yougoslavie en Europe. La démocratisation de la Serbie ne suppose pas seulement l'éloignement de Milosevic ou la tenue d'élections libres. Le défaut majeur du régime de Belgrade n'est pas l'absence de démocratie pour le peuple serbe mais la violence, l'humiliation, la répression qu'il impose aux autres peuples. L'Etat serbe n'est pas compatible avec la réalité européenne, comme l'illustre sa demande d'union avec la Biélorussie. Ce pays continue d'agir en fonction de l'idéologie de la guerre froide qui faisait de l'OTAN une force d'agression.

La pression de la communauté internationale doit tenir compte de ces aspects. L'avenir du Monténégro est également en jeu. Il souhaite obtenir un statut d'égalité avec la Serbie. Il y a un risque de confrontation avec son armée.

Il ne peut pas y avoir de démocratisation et de stabilité réelle sans développement économique, comme le montre l'expérience européenne de l'après-guerre, lorsque le plan Marshall créa les conditions économiques nécessaires pour la consolidation de l'Etat de droit. Le coût du développement de la région est inférieur à celui de l'intervention pour arrêter la guerre. En renforçant l'économie, on affaiblit les tentations militaires. Le développement incontrôlé et inégal des Balkans a conduit à la balkanisation de l'Europe. Un développement concerté des Balkans mènera sans doute à son européanisation. Le Conseil de l'Europe a un rôle irremplaçable à jouer dans ce processus.

Souveraineté nationale
et développement de la construction européenne

M. Paul THIBAUD
Philosophe

Je souhaite protester contre l'idée qu'il y aurait une continuité entre tous les niveaux de responsabilité, du quartier à l'ONU en passant par les régions et l'Etat nation. Cela ne peut qu'introduire une confusion dans les esprits. Les gens ne savent plus où ils sont et qui ils sont. C'est une source de désordre moral et matériel considérable.

Un échelon me semble plus important que les autres : la nation. Un grand anthropologue anglais, Sir Henry Maine, disait qu'il y avait au départ deux représentations de l'entité politique. La première est la tribu, « moi et mes semblables », qui est un groupe ayant un sens immédiat de l'appartenance, de l'identité, de l'homogénéité et qui se situe par rapport à lui-même. La seconde est l'empire qui n'a ni limite, ni identité interne et qui pour cette raison vise l'extension mondiale. L'empire romain en est le prototype. L'Europe n'arrive pas aujourd'hui à se penser des frontières. Quand elle souhaite se donner des limites, ce sont des limites idéologiques et non géographiques, comme le montrent les interrogations actuelles sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

Mais l'Europe a inventé un troisième échelon : la nation. Il n'y a pas de nation en dehors de l'Europe. La nation est un concept mixte : c'est un particulier qui existe en fonction d'un universel. La nation est un point de vue sur le monde, une vocation. Elle est quelque chose à dire aux autres : on n'existe pas uniquement pour soi, mais aussi pour les autres et parmi les autres. En ce sens, ce sont les Juifs qui ont inventé la nation. Il n'y a en effet pas d'exemple précédent d'une élection, c'est-à-dire du sentiment que sa particularité a un sens universel. Cette notion nous a imprégnés à travers le christianisme. Ce n'est pas pour rien que les royautés françaises et anglaises se sont constamment référées aux Rois de Judée qui figure toujours sur la façade de Notre Dame de Paris.

La nation est artificielle. Ce n'est pas un peuple qui fait la nation, mais un but commun. Cette acception politique de la nation lui permet de comprendre des gens différents et de concevoir la notion de droits de l'homme, qui est née dans ce cadre. Les droits de l'homme ont d'abord été les droits des Anglais, puis ceux des Anglais révoltés d'Amérique, avant que les Français ne généralisent cette notion. S'il n'y avait pas eu l'artificialisation de l'appartenance particulière par le biais de la nation, les droits de l'homme seraient restés confinés au secteur religieux où ils existaient depuis longtemps dans la philosophie antique puis dans le christianisme. Ils n'auraient pas émergé dans le politique.

Cette considération historique sur le caractère européen de la nation devrait nous empêcher de renoncer à cette notion. Aujourd'hui, la réalité devient de plus en plus complexe. Mais les villes par exemple, qui ont un poids de plus en plus important, n'ont pas encore de réel pouvoir politique.

Dans ce cadre, les droits des minorités sont-ils possibles ? Bien entendu. Mais il faut préciser le cadre dans lequel on se situe. Il faut savoir s'ils sont compatibles avec la citoyenneté qui s'exerce dans le cadre national. Personne n'a jamais prétendu en France ou dans toute autre nation démocratique que l'on devait empêcher quelqu'un de parler une langue donnée avec ses enfants. Mais l'émergence d'une seconde langue dans le domaine politique est une question différente. Les droits de la Bavière, des départements, des communes et des régions ne sont pas incompatibles avec l'existence de la nation. Mais il faut que cette compatibilité avec la nation soit reconnue. Il faut que les gens sachent où ils se situent. M. Jordi Sole Tura a insisté sur la question linguistique et a souligné que le bilinguisme était un élément essentiel de l'autonomie catalane. C'est cela qui le rend compatible avec l'existence de l'Espagne. Les polylinguismes sont possibles. Mais un polylinguisme égalitaire est difficilement concevable. Seule la Suisse arrive à l'assurer au prix d'une suppression du politique au niveau national. Au Canada ou en Belgique, le polylinguisme égalitaire ne fonctionne pas. Toutes les pluralités ne sont pas possibles.

Le droit à l'indépendance, à l'autodétermination des peuples, est une autre possibilité. M. Jordi Sole Tura a souligné qu'il fallait, pour l'exercer, définir qui en était le sujet. Mais il est souvent clairement identifié. Si la Catalogne voulait être indépendante, elle le pourrait. Au XIXème siècle, la Norvège a acquis son indépendance de façon pacifique. L'entité norvégienne existait avant, elle a existé après sous une forme différente. Si le Québec votait en ce sens, il deviendrait indépendant. Le droit à l'autodétermination de la Corse existe. Mais seules ces personnes réclament son usage.

Si la prééminence de la nation est reconnue, il faut en tirer les conséquences. Il me semble que si on intériorisait ces notions de façon aussi claire, on aurait moins de difficultés à résoudre certains problèmes. En Corse, on assiste à une revendication de particularité qui ne connaît pas de limite, adressée à une nation française dont on ne conteste pas que la Corse fasse partie mais dont on ne veut pas tenir compte. L'usage de la violence montre la position intérieure et extérieure par rapport à la communauté française. Le droit à l'autodétermination corse est réel ; mais le droit au terrorisme corse, au chantage, n'existe pas.

En ce qui concerne l'échelon européen, l'Europe est en difficulté. Elle a contourné les nations et la vie politique nationale. On aboutit à une impasse. Le système européen a fonctionné tant que sa dynamique a été économique, c'est-à-dire tant qu'il s'est soucié de détruire du politique en supprimant l'interventionnisme étatique dans l'économie. Mais l'Europe ne parvient pas à créer du politique. On veut aujourd'hui avoir une politique étrangère commune. Pour cela, il faut prendre des décisions positives. Il faut donc une légitimité politique. C'est aujourd'hui la Commission qui a le monopole des propositions de directives. Les nations ont été marginalisées, réduites à un rôle de contrôle. Elles ne sont pas au centre. Ce système est un système de paralysie mutuelle, qui ne pourra pas fonctionner à 30 ni dans les domaines nouveaux que l'Europe veut aborder.

Il n'y a pas d'autre solution que de mettre la politique, c'est-à-dire les nations, au centre. L'institutionnalisation de l'Europe des nations est tout à fait possible. Mais la question qui a été posée sur la façon de faire basculer la légitimité d'un niveau à l'autre est insoluble. La souveraineté ne se délègue pas plus que l'identité. Jamais un roi ou un empereur ayant abdiqué n'a pu désigner son successeur, comme le montrent les exemples de Louis-Philippe et de Charles X. Si l'Europe veut exister comme souveraineté politique, elle devra prendre par ses propres forces la souveraineté aux nations. Les nations ne peuvent la lui transmettre. Mais les taux de participation aux élections européennes ont montré que la vie politique au niveau européen fonctionne mal.

L'expérience prouve que la souveraineté nationale est modulable. Hannah Arendt a dit : « une entière souveraineté nationale n'est possible qu'aussi longtemps que la fraternité de la nation existe car c'est cet esprit de solidarité et d'entente tacite qui empêche les gouvernements d'exercer totalement un pouvoir souverain ». Les nations, à la différence des empires, sont des entités qui se voient comme partielles. La souveraineté nationale est toujours limitée car elle s'inscrit dans une mutualité des nations. Cette famille des nations, selon l'expression de Jean-Jacques Rousseau, a été mise en forme par le Conseil de l'Europe. Robert Badinter a parlé d'une juridiction sans souveraineté à propos de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Il me semble qu'il n'y a pas de juridiction sans souveraineté. Il y a une juridiction à laquelle les souverainetés nationales signataires ont confié un rôle. L'exécution des jugements relève des nations. Une souveraineté peut être civilisée, s'autocontrôler, se limiter, entrer dans un cadre d'exercice commun.

Au lieu de vouloir surmonter les souverainetés, on peut les moduler. C'est ce qui est en train de se passer sous nos yeux et c'est une bonne chose. Si notre Europe continuait de fonctionner sans prendre en considération ces souverainetés nationales, c'est-à-dire la base de sa souveraineté politique, on irait vers l'extension des revendications de particularismes aveugles qui ruineraient la citoyenneté et l'appartenance nationale. Il y a là une aberration puisque cela provoquerait l'accroissement parallèle de droits individuels et de l'insécurité. L'Europe connaissait depuis des siècles une tendance continue à la baisse de la violence non militaire. Depuis 10 ans, ce phénomène s'est renversé. Nos sociétés de droits de l'homme, de droits individuels et collectifs, ont tendance à devenir plus violentes qu'avant. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans un système qui dépossède l'endroit de la plus forte légitimité politique. La souveraineté est modulable : plutôt que de poursuivre des objectifs inatteignables, générateurs de frustrations et donc de revendications destructrices du lien social, voire violente. C'est, je crois, vers l'exercice modulé des souverainetés nationales que l'Europe doit s'orienter.

Droit des minorités et principes d'égalité et d'universalité des droits de l'homme

M. Guy CARCASSONNE
Professeur des Universités

L'énoncé du sujet que je me propose de traiter susciterait le malaise chez tout Français. Nous partageons une culture commune fondée sur la révérence à l'égard de l'égalité et sur l'idée selon laquelle les différences existant au sein de la société ne peuvent découler que de ce que les gens font et non de ce qu'ils sont. La logique des droits des minorités est inverse. Nous avons donc toujours considéré que seuls les individus sont titulaires de droits et non les collectivités.

Cet acquis que beaucoup d'entre nous apprécions n'allait pas de soi. La France s'est bâtie sur l'oppression de ses minorités, régionales, linguistiques et religieuses. Cette oppression a réussi et a été théorisée pour produire un résultat étonnant et, à mes yeux, satisfaisants. Une fois que notre unité a été fabriquée, de façon très autoritaire, voire brutalement militaire, ceux qui y ont participé ont trouvé un intérêt plus grand à cette réussite fusionnelle de la constitution d'un peuple qu'à la revendication de droits minoritaires.

Mais la France n'est pas seule. D'autres nations ont connu des systèmes souvent tout aussi oppressifs, mais moins efficaces dans la réduction des différences. Elles n'ont pas pu créer un peuple unique de citoyens effectivement égaux. Cet échec a conduit les minorités à se penser et à se constituer comme telles. La revendication des droits des minorités, qui est a priori si contraire au dogme républicain français, est le produit d'un mécanisme et pose question. Le mécanisme est la victimisation. La question est : cette victimisation survivra-t-elle à l'oppression qui l'a causée ?

Face à un phénomène d'oppression de minorités, la réaction historique a été plus de lutter pour les minorités que de lutter contre l'oppression, un peu comme si on avait souhaité combattre la douleur davantage que le mal. On a considéré que la réponse efficace à une oppression dont une minorité pouvait être victime était d'entourer cette minorité d'un certain nombre de garanties plutôt que d'essayer de s'attaquer aux sources mêmes de l'oppression. Toute discrimination négative créait donc de façon artificielle, ou du moins entretenait, des particularismes qui à leur tour se renforçaient dans la revendication de droits, lesquels droits, au fur et à mesure qu'ils étaient accordés, aboutissaient à une multiplication des minorités. Le tout était aggravé par un esprit de revanche et par l'accumulation de contentieux séculaires. Ce processus conduit à l'enchaînement des membres des minorités à celles-ci. Ils sont enfermés dans un statut qui est aussi un statut de victime.

Avec les progrès de la démocratie, nombreux sont les pays dans lesquels les minorités sont suffisamment protégées pour que ni leur existence, ni leurs droits ne soient remis en cause. Mais je me demande si cette existence et ces droits doivent survivre à l'oppression. Quand l'oppression cesse, deux conceptions du système démocratique sont possibles. La première considère que les droits des minorités et leur reconnaissance sont consubstantielles à la démocratie elle-même et constituent une sophistication nécessaire de cette démocratie qui garantit à chacun qu'ils seront respectés. La deuxième considère que les droits des minorités peuvent être une étape, mais une étape vers l'extinction de leur nécessité. L'idée est que seule la réalisation de l'égalité au plan national, et un jour au plan universel, en matière de droits de l'homme parviendra effectivement à faire respecter comme il convient les droits de chacun. Par définition, une égalité dont le respect serait universellement assurée ferait s'éteindre la singularité des minorités.

Par habitude, par culture mais aussi par réflexion et par conviction, je me reconnais davantage dans la seconde conception que dans la première. Mais je les crois fondamentalement vouées à converger. En effet, avec l'enracinement de la démocratie, des minorités se sentent suffisamment respectées pour ne pas éprouver le besoin de réclamer des droits propres et d'autres, qui en ont obtenus, peuvent se sentir suffisamment respectées pour ne pas les faire valoir. Le seul moyen de réduire la contradiction entre droits des minorités et principes d'égalité et d'universalité des droits de l'homme est, comme toujours, la démocratie. Tout système démocratique parviendra, avec le temps, à unir les citoyens par delà leurs différences passagères. La question de savoir s'il faut dans l'intervalle doter telle ou telle minorité de droits est donc secondaire. Au contraire, tout système non démocratique ne peut qu'entretenir durablement les inégalités et les discriminations et par conséquent les revendications de minoritaires qui trouvent dans cette oppression leur légitimité.

Ma conclusion manquera donc totalement d'originalité : il n'y a pas mieux que la démocratie !

Débat

M. Guy CARCASSONNE , à une question portant sur les droits des Tsiganes et des Roms en France, a répondu que ce sont les mêmes que ceux des non-Tsiganes et des non-Roms.

L'intervenant a repris la parole pour souligner que ces personnes n'ont le droit de séjourner que quatre jours dans une même commune. Seules quelques communes ont accepté de créer des aires de passage qui leur sont destinées. Elles ne peuvent envoyer leurs enfants à l'école car ces derniers ne peuvent pas suivre les programmes scolaires en ne restant que 4 jours dans chaque établissement. A 20 ans, ils ne trouvent donc pas d'emploi et basculent dans la délinquance. Ils ne sont pas assimilés, personne ne veut les reconnaître. Ils sont chassés par tout le monde. Il faut faire comme les Israéliens et avoir un territoire, sinon on n'existe pas.

M. Guy CARCASSONNE lui a répondu en ces termes : « Je persiste à dire que les Tsiganes et les Roms ont les mêmes droits que les autres. Le fait que ceux qui pratiquent le nomadisme éprouvent plus de difficultés pratiques que ceux qui ont choisi d'être sédentaires relève de questions matérielles qui n'ont rien à voir avec la discrimination ».

M. Jordi SOLE TURA :

Monsieur Thibaud a dit que la Catalogne pouvait demander l'auto-détermination. Le problème est : qu'est-ce que la Catalogne ? Certains Catalans sont partisans de l'auto-détermination, d'autres pas. Au Québec, trois ou quatre référendums ont été menés sur l'auto-détermination. Le résultat a toujours été le même. Si au prochain référendum, les partisans de l'indépendance gagnent, cela signifie-t-il que l'indépendance sera accordée de façon irréversible, sans possibilité de retour en arrière ? Qui a le droit de décider de l'auto-détermination ?

La question de la langue pose un autre problème. Si on accepte d'isoler les langues, on est perdu. La situation de la Belgique en est une bonne illustration. Chaque communauté y parle uniquement sa langue. Les communautés sont donc séparées politiquement, économiquement et linguistiquement. Il est important d'assurer le bilinguisme intégral de la population au lieu d'isoler les communautés linguistiques. Il y a en Catalogne des émigrés d'Andalousie ou d'autres parties de l'Espagne. Les plus anciens parlent espagnol et comprennent le catalan. Mais la deuxième et la troisième génération sont bilingues. C'est important que tout le monde parle les deux langues, même et surtout si l'une d'elles est celle d'une minorité. Sinon, on fait le lit du séparatisme.

Un intervenant :

« Il me semble que nous avons en tant qu'Européens des responsabilités croissantes à l'égard de la démocratie. Nous vivons dans des sociétés de moins en moins homogènes. Nous sommes heureusement loin de la pureté ethnique et même de la pureté culturelle. Nous avons affaire à des sociétés dans lesquelles se sont intégrées des composantes extrêmement diverses qu'il faut faire vivre ensemble. Il n'y a pas que les Roms et les Tsiganes qui posent des problèmes d'intégration. La non-discrimination, l'intégration de différentes composantes linguistiques et culturelles dans un espace politique qui, comme l'a dit M. Paul Thibaud, ne peut être que la nation, vont poser des problèmes croissants. Plutôt que de nous demander comment protéger les minorités, il faut se pencher sur l'intégration sociale, diminuer la fracture sociale entre riches et pauvres, ceux qui parlent et ceux qui ne parlent pas, analphabètes et lettrés, immigrés et citoyens. Le Conseil de l'Europe peut nous aider à comprendre comment ce problème se pose chez chacun d'entre nous. Si nous n'arrivons pas à résoudre ces questions tous ensemble, entre Européens, nous allons au-devant de grandes difficultés. »

Mme Lana GOGOBERIDZE, Ambassadeur, Représentant permanent de la Géorgie auprès du Conseil de l'Europe :

Je souhaiterais que le Conseil de l'Europe réfléchisse aux actions à mener lorsqu'une grande puissance attise le séparatisme qui existe dans un petit pays. Vous avez évoqué des pays stables, comme l'Espagne et la France. Dans vos réflexions, n'oubliez pas nos situations, qui sont beaucoup plus difficiles que les vôtres.

Clôture

Lord RUSSELL JOHNSTON
Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Vous avez décidé de tenir un débat à l'occasion du 50 e anniversaire du Conseil de l'Europe.

A l'heure où je vous parle, les " modestes " cérémonies de Londres et de Budapest sont déjà loin derrière nous. Il me semble par conséquent plus opportun d'axer mon discours sur l'avenir de l'Organisation que sur son passé. Le Conseil vient en effet d'entrer dans les cinquante prochaines années de son existence.

Au mois de septembre, j'ai eu l'occasion d'entendre M. Halldór Ásgrimsson, ministre islandais des Affaires étrangères, s'exprimer en qualité de Président du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe devant notre Assemblée.

M. Ásgrimsson a été clair, précis et franc. Bref, il a montré qu'il avait su conserver toutes ses qualités d'ancien parlementaire, malgré les années passées au service de son gouvernement.

Evoquant le rôle futur du Conseil de l'Europe, M. Ásgrimsson s'est voulu critique à l'égard des Etats membres, qui préfèrent traiter de certaines questions dans le cadre d'autres forums tels que l'Union européenne ou l'OSCE, alors que notre Organisation possède une compétence et un savoir-faire incontestables en la matière.

A titre d'exemple, il a évoqué la bataille qu'il avait dû mener pour ajouter une phrase à la déclaration finale du sommet du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est en juillet dernier à Sarajevo.

Nous sommes reconnaissants à M. Ásgrimsson d'avoir pris cette position. La présidence du Comité des Ministres a souvent une valeur pédagogique pour ceux qui l'exercent. Elle leur donne en effet l'occasion de connaître en détail, peut-être pour la toute première fois, les réalisations passées de l'Organisation, son savoir-faire accumulé au fil des ans, ainsi que son potentiel unique en matière de développement démocratique et de protection des droits de l'homme.

Malheureusement, lorsqu'ils acquièrent enfin la conviction que le Conseil de l'Europe doit jouer un plus grand rôle dans la prévention des conflits, leur mandat de six mois arrive à son terme et il faut tout recommencer depuis le début.

Ne croyez pas qu'il s'agisse de doléances insignifiantes nées d'un prestige institutionnel blessé. Il existe un véritable sentiment de frustration, nourri par toutes ces occasions manquées où le Conseil de l'Europe aurait pu jouer pleinement son rôle et contribuer à éviter des situations comme celle du Kosovo ou panser les blessures de ces conflits avec plus d'efficacité et de cohérence.

Ce qu'il nous manque, c'est une "présence sur le terrain" puisque aujourd'hui, ce sont les autres qui diffusent nos messages.

Cette situation peut sembler satisfaisante aux yeux de nos gouvernements, mais les failles de ce système sont grandes et potentiellement dangereuses.

Lorsque l'acquis du Conseil de l'Europe, la richesse de notre expérience et de notre savoir-faire, nos instruments et mécanismes juridiques, nos programmes de coopération, nos usages établis, mais surtout nos réseaux humains, doivent passer dans un autre moule institutionnel, on petit facilement imaginer le produit final.

Il a peut-être une belle apparence, mais n'a plus la même saveur; dépourvu de toute sa substance, ses qualités s'en trouvent ainsi diminuées.

Il est donc nécessaire que nous soyons présents sur le terrain. Or, nous avons besoin pour cela de moyens financiers plus importants. Nous ne voulons certes pas faire concurrence à l'Onu, à l'OSCE ou à d'autres organisations, mais il faut que nous déployions des ressources humaines et techniques suffisantes pour que nous puissions mener nos activités avec efficacité.

Cette présence ne doit pas se limiter aux Balkans où le Conseil, qui possède déjà des bureaux à Pristina, à Sarajevo et à Mostar, devrait prochainement en ouvrir d'autres à Belgrade et à Podgorica, conformément à une recommandation de l'Assemblée. Nous devons également être présents, si besoin est, dans le Caucase, au Bélarus et ailleurs.

Je dois également préciser qu'il n'existe aucun différend entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, qui assume une mission importante, dans des conditions souvent très difficiles et dangereuses, de façon consciencieuse et responsable.

Nous avons en effet établi une coopération très étroite, qui présente des avantages réciproques, dans la plupart de nos domaines d'activité communs, notamment en Albanie et plus récemment au Kosovo.

Les difficultés que nous rencontrons viennent principalement des gouvernements de nos Etats membres, qui semblent s'être accommodés du coût faramineux de la gestion des conflits dans le cadre de l'OSCE, de l'Onu ou même de l'Otan, mais renâclent à dépenser ne serait-ce qu'un centime pour la prévention des conflits à long terme.

Si vous me le permettez, je vous donnerai un seul exemple récent de ce que peuvent faire le Conseil de l'Europe et son Assemblée dans ce domaine.

Les 14 et 15 septembre s'est tenue à Tbilissi la première réunion trilatérale des Etats du sud du Caucase. Organisée sous l'égide de l'Assemblée, elle a réuni des délégations parlementaires de Géorgie, d'Arménie et d'Azerbaïdjan.

Cette initiative avait été prise par les présidents des trois parlements en question, réunis à mon invitation en mars de cette année à Strasbourg.

Pendant deux jours, les parlementaires d'Arménie et d'Azerbaïdjan -deux Etats qui, il y a quelques années encore, se livraient une guerre sans merci, qui s'est soldée par la mort de dizaines de milliers de personnes et par des centaines de milliers de réfugiés, et dont les relations sont aujourd'hui encore dominées par la méfiance et le ressentiment- se sont assis côte à côte, se sont parlés et même écoutés.

L'importance de cette réunion ne doit donc pas être sous-estimée. Toutes les personnes de cette région avec qui j'ai récemment eu l'occasion de m'entretenir, y compris les deux Présidents arménien et azerbaïdjanais -MM. Khocharian et Aliyev- m'ont assuré que les travaux de l'Assemblée parlementaire contribuaient dans une large mesure à améliorer progressivement les relations de ces deux pays. Espérons seulement que l'assassinat cruel et absurde du Premier ministre, du président du parlement et de six autres collègues ne mettra pas un terme au processus en cours.

En Moldova, où je me rendrai dans quelques jours, l'Assemblée du Conseil de l'Europe -mais également la Commission de Venise et ses spécialistes de droit constitutionnel- jouent un rôle crucial dans le désamorçage d'une crise politique potentiellement dangereuse, liée à la réforme constitutionnelle proposée par le président et approuvée par le parlement.

Je voudrais rendre tout particulièrement hommage à Josette Durrieux qui, en compagnie du corapporteur suisse Dumeni Columberg, a travaillé sans relâche à l'instauration d'un dialogue entre les différentes forces politiques en Moldova et à qui devrait en grande partie revenir le mérite, si les efforts de l'Assemblée pour maintenir une stabilité politique dans ce pays portent leurs fruits,

Notre approche, modérée et favorable au dialogue, est parfois difficile. Quel comportement adopter face à des gens comme Milosevic ?

Comment promouvoir nos valeurs dans le désordre total qui régnait à Grozny avant l'intervention russe ou dans l'état de chaos et de catastrophe humanitaire que celle-ci a provoqué ?

Pourtant, nous ne ménageons pas nos efforts. Nous maintenons le dialogue avec toutes les forces progressistes de la République fédérale de Yougoslavie et espérons pouvoir ouvrir prochainement des bureaux à Podgorica et à Belgrade.

En ce qui concerne la Tchétchénie, j'ai condamné à plusieurs reprises, au nom de l'Assemblée, l'usage aveugle et disproportionné de la force et demandé l'engagement immédiat de négociations.

Lors de l'adoption de la résolution de la Commission permanente de l'Assemblée il y a un mois, la Russie a pour la première fois accepté d'évoquer la question tchétchène dans le cadre d'un forum international.

Quant au texte de la résolution, il reprend toutes les exigences de la communauté internationale : arrêt des violences contre la population civile, ouverture des frontières avec l'Ingouchie, libre accès de l'aide humanitaire et engagement de négociations avec Maskhadov.

Pour la toute première fois, ces exigences ont été adoptées avec le consentement d'hommes politiques russes influents. Signe encourageant d'une reconnaissance accrue des préoccupations internationales, l'adoption de cette résolution a coïncidé avec l'ouverture des frontières avec l'Ingouchie.

Nous ignorons si nos efforts pour établir des contacts et soutenir ceux qui, en Russie, sont partisans d'une approche plus modérée de la question tchétchène porteront leurs fruits. Il est en tout cas de notre devoir d'essayer d'y parvenir et nous continuerons de le faire.

Adoptées à temps, des initiatives comme celles qui ont été prises dans le Caucase et en Moldova ont un rôle préventif, comme une assurance incendie. Leur coût est justifié et assurément moindre que celui de l'achat de nouveaux meubles chaque fois qu'une maison brûle quelque part en Europe ou ailleurs. La Tchétchénie et le Kosovo nous montrent ce qu'il en coûte d'attendre trop longtemps.

L'Assemblée ne cesse de rappeler cette logique très simple à nos gouvernements.

Nombre d'ambassadeurs de nos Etats membres à Strasbourg sont de notre avis, mais leur marge de manoeuvre est réduite, car les décisions du Comité des Ministres sont prises à l'unanimité.

Si nous voulons réussir à exploiter pleinement notre potentiel pour faire face aux défis de l'Europe au siècle prochain, nous avons besoin de l'aide des parlements nationaux.

L'occasion se présente aujourd'hui aux parlements d'exercer une influence et une pression sur les gouvernements pour accroître les moyens financiers et le rôle du Conseil de l'Europe, non pas dans l'intérêt de l'Organisation elle-même, mais dans celui de nos concitoyens.

C'est pour vous, mais également pour vos collègues parlementaires des quarante autres Etats membres, la plus belle façon de commémorer le 50 e anniversaire du Conseil de l'Europe, mais c'est aussi votre meilleur moyen de contribuer à fonder l'Europe de demain sur les valeurs défendues par notre Organisation.

ANNEXES


___

 

SERVICE
DES
AFFAIRES EUROPEENNES

Paris, le 17 novembre 1999

DELEGATION FRANCAISE AUX ASSEMBLEES

DU CONSEIL DE L'EUROPE ET DE L'UEO


Membres titulaires (12 députés - 6 sénateurs)

MM. ABOUT Nicolas Ap. RI SENAT Yvelines

BAUMEL Jacques (1) RPR AN Hauts-de-Seine

BRIANE Jean UDF AN Aveyron

DEBARGE Marcel (1) S SENAT Seine-Saint-Denis

DHAILLE Paul S AN Seine-Maritime

Mme DURRIEU Josette S SENAT Hautes-Pyrénées

MM. EVIN Claude (1) S AN Loire-Atlantique

GOLDBERG Pierre Com AN Allier

HOEFFEL Daniel (1) UC SENAT Bas-Rhin

JUNG Armand S AN Bas-Rhin

LE GRAND Jean-François RPR SENAT Manche

LENGAGNE Guy (1) RCV AN Pas-de-Calais

MATTEI Jean-François DL AN Bouches-du-Rhône

MITTERRAND Gilbert S AN Gironde

NEUWIRTH Lucien (2) RPR SENAT Loire

Mme ROUDY Yvette (1) S AN Calvados

MM. SCHREINER Bernard RPR AN Bas-Rhin

VALLEIX Jean RPR AN Gironde

Membres suppléants (12 députés - 6 sénateurs)

MM. BIRRAUX Claude UDF AN Haute-Savoie

BOCKEL Jean-Marie (1) S AN Haut-Rhin

BORDAS James RI SENAT Indre-et-Loire

BRANGER Jean-Guy UC SENAT Charente-Maritime

DREYFUS-SCHMIDT

Michel (3) S SENAT Territoire de Belfort

Mme DUMONT Laurence S AN Calvados

MM. EHRMANN Charles DL AN Alpes-Maritimes

GOULET Daniel RPR SENAT Orne

GREMETZ Maxime Com AN Somme

HUNAULT Michel RPR AN Loire-Atlantique

LEGENDRE Jacques (1) RPR SENAT Nord

LE GUEN Jean-Marie S AN Paris 9e

LEMOINE Georges (1) S AN Eure-et-Loir

MARIOT Jean-Paul S AN Haute-Saône

MICHEL Jean-Pierre RCV AN Haute-Saône

MIGNON Jean-Claude RPR AN Seine-et-Marne

Mme POURTAUD Danièle S SENAT Paris

M. SEGUIN Philippe (1) (4) RPR AN Vosges

(1) Ancien ministre

(2) Ancien questeur du Sénat

(3) Ancien Vice-président du Sénat

(4) Ancien Président de l'Assemblée nationale


 
 


___

 

DELEGATION FRANCAISE

AUX ASSEMBLEES PARLEMENTAIRES

DU CONSEIL DE L'EUROPE ET DE L'UNION

DE L'EUROPE OCCIDENTALE

____

Paris, le 20 janvier 1999

 
 

COMPOSITION DU BUREAU DE LA DELEGATION FRANCAISE

AUX ASSEMBLEES DU CONSEIL DE L'EUROPE

ET DE L'UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE

- Présidente :

Mme Josette DURRIEU

Sénateur

(Soc)

 
 
 
 

- Premier Vice-Président :

M. Bernard SCHREINER

Député

(RPR)

 
 
 
 

- Vice-Présidents :

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT

M. Georges LEMOINE

Sénateur

Député

(Soc)

(Soc)

 

M. Claude EVIN

Député

(Soc)

 

M. Marcel DEBARGE

Sénateur

(Soc)

 

M. Jean-François MATTEI

Député

(UDF)

 
 
 
 

- Secrétaire Général :

M. Daniel HOEFFEL

Sénateur

(UC)

 
 
 
 

- Secrétaire Général Adjoint :

Mme Yvette ROUDY

Députée

(Soc)

LES ACTIVITES DE LA DELEGATION FRANCAISE

A L'ASSEMBLEE DU CONSEIL DE L'EUROPE

Propositions de directive, recommandation, résolution, rapports et avis, ainsi qu'interventions dans les débats en séance plénière, sont consultables sur le site du Conseil de l'Europe :

http://stars.coe.fr/index_f.htm

ainsi que, en ce qui concerne les sénateurs, sur le site du Sénat :

http://www.senat.fr/europe/ceueo/index.html

Le Conseil de l'Europe en bref

11.05.2000

41 Membres Origine et composition

Le Conseil de l'Europe, la plus ancienne (1949) organisation politique du continent:

- regroupe 41 pays dont 17 Etats de l'Europe centrale et orientale, a reçu la

candidature de cinq autres pays (voir rubrique "dimension paneuropéenne"), et a

Albanie accordé le statut d'observateur à 5 autres Etats (*)

Allemagne - est distinct de l'Union européenne des 15", mais jamais aucun pays n'a adhéré à

Andorre l'Union sans appartenir d'abord au Conseil de l'Europe,

Autriche - a son siège à Strasbourg (France).

Belgique (*)Saint-Siège, Etats-Unis, Canada, Japon et Mexique

Bulgarie

Chypre Buts

Croatie Le Conseil a été créé afin:

Danemark - de défendre les droits de l'homme et la démocratie parlementaire et d'assurer la

Espagne primauté du Droit,

Estonie - de conclure des accords à l'échelle du continent pour harmoniser les pratiques

Finlande sociales et juridiques des Etats membres,

France - de favoriser la prise de conscience de l'identité européenne fondée sur des valeurs

Géorgie partagées et transcendant les différences de culture.

Grèce

Hongrie Depuis 1989, il a pour mission essentielle:

Irlande - d'être un point d'ancrage politique et le gardien des droits de l'homme pour les

Islande démocraties post-communistes de l'Europe,

Italie - d'aider les pays d'Europe centrale et orientale à mettre en oeuvre et à consolider les

Lettonie réformes politiques, législatives et constitutionnelles parallèlement aux réformes

"l'ex-République économiques,

yougoslave de - de fournir un savoir-faire dans des domaines tels que les droits de l'homme, la

Macédoine" démocratie locale, l'éducation, la culture, l'environnement.

Liechtenstein

Lituanie

Luxembourg Mandat politique

Malte Le nouveau mandat politique de l'Organisation a été défini lors du Sommet du Conseil

Moldova de l'Europe à Vienne en octobre 1993. Les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont

Norvège décidé que le Conseil de l'Europe serait le gardien de la sécurité démocratique fondée

Pays-Bas sur les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit. La sécurité démocratique est

Pologne un complément essentiel de la sécurité militaire, car elle est la condition de la stabilité

Portugal et de la paix sur le continent.

République Tchèque

Roumanie Lors du Sommet de Strasbourg, en octobre 1997, les Chefs d'Etat et de Gouvernement

Royaume Uni ont adopté un plan d'action pour renforcer le travail du Conseil de l'Europe dans quatre

Russie domaines: démocratie et droits de l'homme, cohésion sociale, sécurité des citoyens, et

Saint Marin valeurs démocratiques et diversité culturelle.

Slovaquie

Slovénie Aujourd'hui, l'Organisation poursuit son élargissement tout en renforçant le contrôle du

Suède respect, par tous les Etats membres, des obligations et des engagements acceptés

Suisse lors de leur adhésion.

Turquie

Ukraine Mode de fonctionnement

Le Conseil de l'Europe a pour principaux organes:

- un Comité des Ministres composé des 41 Ministres des Affaires étrangères ou de

leurs Délégués siégeant à Strasbourg (Ambassadeurs/Représentants Permanents),

organe de décision de l'Organisation (actuellement présidé par l'Italie),

- une Assemblée parlementaire regroupant 582 membres (291 titulaires et 291

CONSEIL DE L'EUROPE suppléants) issus des 41 parlements nationaux et les délégations d'invités spéciaux

SERVICE DE PRESSE des parlements de 3 Etats d'Europe orientale non membres. Le Président en exercice

F- 67075 Strasbourg est Lord RUSSELL JOHNSTON (libéral, Royaume-Uni),

Cedex - un Congrès des pouvoirs locaux et régionaux composé d'une Chambre des

Tel: +3313 88 4125 60 pouvoirs locaux et d'une Chambre des régions. Le Congrès est présidé par Alain

Fax:+3313 88 41 27 89 CHENARD (France),

Email: Pressunit@coe.fr - un Secrétariat Général composé de quelque 1300 fonctionnaires et dirigé par le

Internet : www.coe.fr Secrétaire Général, Walter SCHWIMMER (Autriche).

Budget

Environ 1,046 milliards de francs français pour 2000 (soit environ 159 500 000 Euros).

Réalisations concrètes

- 174 conventions ou traités européens ayant force de loi et dont beaucoup sont ouverts aux Etats non membres sur des questions allant des droits de l'homme à la lutte contre le crime organisé et de la prévention de la torture à la protection des données ou à la coopération culturelle.

- Des recommandations aux gouvernements définissant des principes directeurs en matière de droit, de santé, de médias, d'éducation, de culture, de sport.

Dimension paneuropéenne

- Depuis novembre 1990, dix sept pays de l'Europe centrale et orientale ont adhéré au Conseil de l'Europe: Hongrie (1990), Pologne (1991), Bulgarie (1992), Estonie, Lituanie, Slovénie, République Tchèque, Slovaquie, Roumanie (1993), Lettonie, Albanie, Moldova, "l'ex-République yougoslave de Macédoine", Ukraine (1995), Russie, Croatie (1996) et Géorgie (1999).

Sont candidats à l'adhésion : la Bosnie et Herzégovine (10.04.95), l'Arménie (7.3.96), l'Azerbaïdjan (13.07.96), la République Fédérale de Yougoslavie (19.03.98) et Monaco (21.10.98).

- En 1989, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a instauré le statut d'invité spécial afin de pouvoir accueillir, lors de ses sessions, des délégations de parlements des Etats d'Europe centrale et orientale qui s'orientent vers la démocratie et souscrivent aux engagements des Nations Unies et de l'OSCE en matière de droits de l'homme.

- En bénéficient aujourd'hui: la Bosnie et Herzégovine (28.01.94), l'Arménie (26.01.96) et l'Azerbaïdjan (28.6.96). Par ailleurs, le statut a été octroyé au Bélarus en septembre 92, puis suspendu le 13 janvier 1997.

- Le Conseil de l'Europe anime divers programmes d'assistance technique (12.600.000 Euros en 1998) afin de promouvoir les réformes démocratiques et législatives en Europe centrale et orientale. Ils couvrent également les administrations locale, de la justice et des prisons.

- Des Programmes communs d'assistance co-financés par le Conseil de l'Europe et la Communauté Européenne sont en cours en Albanie, Bosnie et Herzégovine, Russie, Ukraine et Moldova. La Lettonie, la Lituanie et l'Estonie en ont aussi bénéficié par le passé.

- Quelque 50 projets du programme intergouvernemental d'activités du Conseil de l'Europe sont conçus dans la perspective de la "Grande Europe" et peuvent être ouverts à des pays européens non-membres.

- Une commission spéciale pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe basée à Venise (Italie) fournit des conseils juridiques sur l'instauration et le fonctionnement des institutions démocratiques et du droit constitutionnel.

Droits de l'homme

- La Convention européenne des Droits de l'homme établit un système de contrôle et de protection des droits de l'homme confié à un organe unique et permanent : la Cour européenne des Droits de l'Homme. Toute personne s'estimant victime d'une violation des droits garantis par la Convention peut porter plainte, après avoir épuisé les voies de recours internes. La Cour décide si la requête est recevable puis, dans l'affirmative, procède à l'établissement des faits, tente de parvenir à un règlement amiable. Si cette tentative échoue, elle rend un arrêt définitif et contraignant. Un mandat de Commissaire européen aux droits de l'homme a été créé en mai 1999 suite à une décision du Sommet de 1997. L'élection de l'Espagnol Alvaro GIL-ROBLES à ce poste a eu lieu en septembre 1999.

- Le Comité pour la prévention de la torture (CPT) s'appuie sur la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitement inhumains ou dégradants pour examiner le traitement des personnes privées de liberté et formuler des recommandations en vue de renforcer la protection de ces personnes.

- La Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, ouverte à la signature en avril 1997, vise à préserver la dignité et l'intégrité de la personne, en plaçant l'intérêt de l'être humain au-dessus de celui de la science ou de la société. Depuis janvier 1998, le Protocole additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains complète la Convention.

Protection des minorités

- La Convention-cadre pour la Protection des Minorités Nationales est entrée en vigueur le ler février 1998. Elle énonce les principes que les Etats parties s'engagent à respecter, notamment l'égalité devant la loi, le développement de la culture et la préservation de l'identité, de la religion, de la langue et des traditions, l'accès aux médias, l'établissement de contacts libres et pacifiques au-delà des frontières avec des personnes résidant légalement dans d'autres Etats, l'établissement de panneaux et inscriptions dans la langue minoritaire.

La Convention comporte un mécanisme de mise en oeuvre de ces dispositions qui confie au Comité des Ministres, assisté d'un Comité consultatif, l'évaluation de la bonne application de la Convention. Les Parties contractantes sont tenues de présenter, dans un délai d'un an après l'entrée en vigueur de la Convention, les mesures législatives et autres qu'elles auront prises pour donner effet à la Convention.

- La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires vise à promouvoir l'usage de ces langues en Europe.

Intolérance

- Le Sommet de Strasbourg a décidé de renforcer les activités de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), qui est chargée d'examiner la façon dont les Etats membres gèrent la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme. Une campagne européenne auprès des jeunes, "Tous différents, tous égaux", avait été menée de décembre 1994 à mars 1996 par le Conseil de l'Europe.

Démocratie locale

- La Charte européenne de l'autonomie locale est considérée comme la "Constitution" de l'autonomie locale en Europe.

- La Convention européenne sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local doit encourager les Etats à étendre progressivement les droits politiques à l'échelon local aux résidents étrangers.

- La Convention-cadre sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales sert de cadre légal à la coopération dans des domaines tels que le développement régional, urbain et rural, la protection de l'environnement, l'amélioration des infrastructures et des services publics et les secours mutuels en cas de catastrophe.

Cohésion sociale

- La Charte sociale européenne garantit les normes sociales minimales: droit au travail et à la formation professionnelle, à des conditions de travail et une rémunération équitables, droit syndical, droit à l'assistance sociale et médicale, à la sécurité sociale, etc. La Charte révisée de 1996 renforce le principe de non-discrimination à l'égard des femmes et reconnaît le droit à un logement décent, entre autres dispositions.

- Le Fonds de Développement Social a pour objectif le financement de projets d'investissements sociaux (aide aux réfugiés et aux victimes de catastrophes naturelles, logements sociaux, création d'emplois dans des zones défavorisés, infrastructures sociales). Le Sommet de Strasbourg l'a invité à accroître ses efforts dans le domaine social et dans la création d'emplois.

- Le Comité des Ministres a créé en juin 1998 le Comité européen pour la cohésion sociale, qui coordonnera et stimulera la coopération des Etats membres dans ce domaine. Il a aussi lancé, en mai 1998, un programme pour l'enfance dans le but de promouvoir une société plus accueillante pour les enfants où l'on protège ceux-ci et où l'on aide les parents à mener à bien leur mission éducative.

Sécurité des citoyens

- La Convention européenne pour la répression du terrorisme vise à faciliter l'extradition des auteurs d'actes terroristes.

- Le projet Octopus, lancé en juin 1996 en coopération avec la Commission Européenne, a comme but la lutte contre la corruption et le crime organisé. Le Conseil de l'Europe a d'ailleurs élaboré une Convention pénale sur la corruption qui a été ouverte à la signature le 27 janvier 1999 et vient d'ouvrir à la signature une nouvelle convention civile sur la corruption.

- Dans la lutte contre la toxicomanie, le Groupe Pompidou est le principal forum au niveau européen pour le développement d'une approche globale et multidisciplinaire des conséquences du trafic et de l'usage des drogues illicites.

Diversité culturelle

- Convention culturelle européenne: Les 41 Etats membres ainsi que Monaco et le Saint-Siège sont liés par cette Convention. En Europe centrale et orientale, le Bélarus (18.10.93), la Bosnie et Herzégovine (29.12.94), l'Arménie, et l'Azerbaïdjan (25.04.97) l'ont également signée. Elle leur permet de participer aux activités du Conseil de l'Europe dans les domaines de l'éducation, de la culture, de la jeunesse et du sport.

- "L'Europe, un patrimoine commun" est le thème de la campagne qui aura lieu en 1999-2000 pour mettre en valeur le patrimoine européen.

- Le Prix Europa récompense les meilleurs programmes européens de télévision et de radio dans le but de les faire connaître dans toute l'Europe et d'en favoriser la diffusion.

Accords partiels

Par ailleurs, certaines activités du Conseil de l'Europe sont développées dans le cadre d'accords partiels ouverts aux Etats membres de l'organisation, parmi lesquels:

- Le Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité mondiales ("Centre Nord-Sud") a été créé en 1990 à Lisbonne à la suite de la Campagne européenne sur l'interdépendance et la solidarité nord-sud. Le Centre agit en faveur de la coopération entre l'Europe et le Sud. Une deuxième campagne - Campagne européenne pour la solidarité mondiale - a été lancée en septembre 1998.

- La Pharmacopée européenne a élaboré près de 2000 normes pour garantir une qualité commune aux médicaments offerts à la consommation de 470 millions d'Européens.

- Eurimages est le fonds européen de soutien à la coproduction, à la distribution et à l'exploitation de longs métrages et documentaires européens.

- L'Observatoire Européen de l'Audiovisuel diffuse de manière exhaustive et régulière les informations concernant le domaine audiovisuel dans ses 34 Etats membres.

- Le Centre européen pour les langues vivantes, basé à Graz (Autriche), a une mission générale de formation des formateurs d'enseignants, des auteurs de manuels et des experts en matière d'élaboration des programmes.




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