4. Le risque de la laideur par M. Bruno LETELLIER, directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du Maine-et-Loire

Je me suis posé la question de savoir ce qu'il fallait entendre par beau et laid. Dans la zone périurbaine, c'est une question d'interprétation. On peut avoir des références un peu imaginaires, relatives à la vie américaine etc. Dans l'entrée des villes européennes c'est une espèce de chaos ponctué de publicités. Donc largement affaire d'interprétation. Soit on considère l'entrée de la ville par rapport à des références qui la situent comme ville en mouvement, donc de ce fait comprise comme séduisante et belle, soit on la considère comme salie par tous les excès de population, de consommation, de circulation, etc. M. Poirier n'a pas répondu à la question du beau, je ne me risque pas à répondre à la question du laid.

Il y a aussi le risque de la laideur. Il n'est jamais sûr, il participe de l'aléa, et peut participer d'un risque calculé avec tout l'arsenal réglementaire et les outils juridiques qui existent pour en prévenir l'épanouissement. Aujourd'hui il y a un arsenal juridique pour prévenir le risque de la laideur dans les zones périurbaines comme dans les autres zones de la ville, ce qui est important.

Je voudrais rappeler que l'IFA, un haut lieu de la culture architecturale urbaine, situait dans une exposition récente les entrées de villes comme emblématiques des nouvelles tendances de la modernité et de l'aboutissement esthétique. Un nouvel ordre urbain ne serait-il pas en train de naître ?

Je voudrais situer trois lieux de risque de la laideur : il y a l'entrée de ville, l'envers de la ville mais aussi l'entre-deux qui est un espace intermédiaire.

A propos des entrées de villes, il a été dit tellement de choses que je ne vais pas en rajouter beaucoup, c'est l'illustration la plus visible du désordre apparent de la périurbanité. D'un paysage identifié, très référent, on passe à un autre paysage approprié et patrimonial qui est celui du centre ville. Entre les deux, il y a un sas où dominent le lacis des voiries et la surabondance des messages promotionnels. Cette notion de passage induit le sentiment d'inconfort et affirme le ressentiment de ce qui pourrait être compris comme de la laideur. Il s'agit plus d'un risque de rejet collectif, pas vraiment conscient, que celui d'une laideur objective.

L'entrée de ville participe aussi du contournement de la ville. Dans le contournement qui est établi dans un souci de fluidité routière et de rationalisation des flux inter-régionaux, le risque de la laideur se situe dans l'approche nouvelle de l'envers du décor. La façade urbaine habituelle, celle de la rue traversante, est remplacée aujourd'hui par la déviation, le contournement, la rocade, le périphérique. La lecture du paysage urbain de ce fait et la perception de la ville se font non plus par rapport à l'ordonnancement classique de la ville mais par rapport à un paysage de fond de parcelles, de fond de quartiers tournant le dos à l'ordonnancement classique de la rue ou du boulevard qui participe d'une hiérarchisation bien lisible. Il s'agit d'une inversion radicale de la lecture urbaine. La façade sur rue tourne le dos au lecteur qui perçoit de public ce que traditionnellement on réservait à l'usage privatif.

L'espace périurbain n'est plus traversé mais fréquenté transversalement, c'est l'espace intermédiaire qui devient l'espace principal et qui ne se charge pour autant de repères particuliers mais qui s'agrémente des « signes de l'entrée de ville » c'est-à-dire que tout cet urbanisme commercial vient d'une façon transversale accompagner la séquence tangentielle qui participe au contournement de la ville. Approche frontale de l'agglomération avec les entrées de ville ou approche tangentielle avec son envers, sont deux lieux de risque de la laideur.

Il y en a un troisième qui est aussi un espace de déshérence, c'est celui de l'entre-deux : c'est l'espace intermédiaire de la périurbanité, celui qui n'est inscrit dans aucun projet, qui se situe entre deux cohérences. La périphérie des villes est ponctuée de ce type d'espaces qui participe de l'interpénétration de la ville et de la campagne sans qu'on y voit très clair en l'absence de lisibilité des usages.

Le risque de la laideur serait lié, dans ces espaces, à rien de spectaculaire, mais à une quantité de micro-altérations de l'espace avec des ponctuations anodines qui transforment ici un siège d'exploitation en résidence principale donc avec la modification que cela induit de l'environnement du siège d'exploitation, qui transforme un chemin rural en voirie de desserte secondaire, etc. On ne voit pas de changements majeurs dans ce processus et encore moins des évolutions irrémédiables. On est dans des espaces essentiellement inqualifiables. Cette évolution insidieuse des espaces entre-deux de la périurbanité pose des problèmes. C'est un espace mutant de la périphérie urbaine. Une mutation nourrie d'opportunités foncières, d'accidents architecturaux ou, aussi, de vrais laxismes. C'est l'extraordinaire capacité des zones «NC»  à s'accommoder d'une urbanisation diffuse et à digérer, dérogation après dérogation, l'avancée désordonnée de la ville et le développement sur ses franges d'une forme urbaine spécifique, distendue mais très présente et dont la seule conséquence est d'induire une révision du plan d'occupation des sols qui ne fait qu'entériner la situation. Ces zones sont mal maîtrisées, elles ne sont pas au coeur de la réflexion actuelle sur la périurbanité et sur la question du rapport ville/campagne.

Au-delà de ces constats, puisqu'il faut parler du risque de la laideur, et qu'il est convenu de penser que le risque n'est jamais sûr, je voudrais conclure en disant que l'essentiel de mon point de vue c'est l'importance de la réflexion préalable, c'est le recul par rapport à la pression des événements ou à la pression des offres, c'est la resituation permanente des problématiques ponctuelles du territoire périurbain dans la cohérence du projet urbain global. Actuellement, on est en phase, dans bien des villes, de révision du schéma directeur. C'est l'occasion pour réintégrer ces problématiques ponctuelles dans des considérations générales.

C'est un élément qui est renforcé par l'amendement du sénateur Dupont.

Le chemin continue avec le plan de développement durable et tout ce qui va en découler en matière d'implications des habitants et des agriculteurs dans les processus d'aménagement. Pallier le risque de la laideur ne peut se faire que sur le terrain de l'urbanisme, c'est une affaire d'élus et de professionnels.

Questions - réponses :

Mme Lucie de FRAMOND, association Silva -
Messieurs Calamme et Larcher, je pense qu'un bon constat est nécessaire pour passer à de bonnes décisions et il me semble qu'il y a un grand espace oublié, c'est la forêt périurbaine. Faut-il que la forêt soit considérée comme la part d'espace périurbain dédié aux loisirs, sans possibilité de production et de rentabilité des activités qui peuvent s'y exercer ? Si il a été rappelé le droit légitime des agriculteurs à tirer un revenu de leurs terres, la forêt semble comme le grand espace sauvage dans lequel on n'aurait pas besoin d'avoir de production ni de rentabilité. En fait, c'est un espace dans lequel il est nécessaire d'inventer des emplois nouveaux et je pense que c'est en relation avec la ville que ces emplois nouveaux peuvent se créer.

Quelle place est faite aux forestiers dans la réflexion actuelle sur le lien entre la ville et la campagne ? Je n'ai pas vu beaucoup de forestiers dans la salle, ils sont moins bien organisés que les agriculteurs mais il ne faut pas les oublier.

M. Hugues de la PERRIÈRE, Société des agriculteurs de France et agriculteur dans le Val-de-Marne - J'étais très intéressé par le projet de M. Calamme car je suis chargé par le département du Val de Marne, sur une ferme que j'exploite, d'étudier un tel projet. Je voulais connaître le contrat juridique qu'il avait avec son propriétaire car en agriculture la mise à disposition des terres est d'ordre public, le statut du fermage est d'ordre public et n'autorise pas d'ouvrir la ferme et de faire d'autres activités que l'activité de production ou celle qui est la continuation de ses activités. Il y a une nouvelle loi d'orientation et cela n'a pas été pris en compte, que pensez-vous faire ?

M. Bernard FAURE, Office National des Forêts - Je remercie Mme de Framond d'avoir rappelé que la forêt était présente dans le milieu rural et périurbain. L'Office des Forêts est présent dans ces milieux, le rapport de M. Jean-Louis Bianco est tout à fait d'actualité. Je voulais savoir, Monsieur Larcher, quelles suites seront données à ce rapport qui prévoit un certain nombre d'emplois dans la filière bois et qui peut apporter des solutions dans le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.

Quelles sont les suites envisagées sur les délocalisations d'administrations ou d'entreprises ?

M. Gérard LARCHER - Je vais répondre sur la partie interrogations. Les interventions seront publiées car nous avons abordé un certain nombre de sujets très importants.

La forêt fait partie de cet espace périurbain et si le rapport l'a moins abordée, il n'est pas éloigné de vos préoccupations car le problème c'est le partage d'usage dans la forêt. Depuis longtemps nous avons réfléchi à ce qu'était le partage d'usage sur Rambouillet. On oublie dans des visions " Disney " qu'un animal, qu'un arbre, cela naît et grandit, cela doit être récolté ou que cela meurt. On fait totalement fausse route et notre société est confortée aujourd'hui dans cette vision " aseptisée ". On ne voit que la naissance, la violence mais jamais la mort puisqu'en général on s'en débarrasse sur les élus locaux pour qu'ils gèrent les problèmes de vieillissement, de dépendance et de mort à leur niveau. Par rapport à cela, la forêt joue un rôle essentiel et si nous faisons disparaître de la forêt périurbaine, la fonction de production, la fonction de récolte y compris des animaux et si nous la laissons uniquement aux loisirs, nous aurons définitivement tué la forêt pour la transformer en autre chose qui ne naît plus, ne grandit plus et ne meurt plus. Nous en aurons fait un espace artificiel. Toute vision que nous pouvons avoir sur le plan de développement durable, c'est au contraire d'admettre que tous nos rythmes sont biologiques et que cette biologie est incontournable y compris dans les rythmes de repas des enfants d'Ile-Saint-Denis et même si Mars n'est plus une planète mais une barre chocolatée qui représenterait l'alimentation unique pour la croissance chez 20 % de la jeunesse française ; car c'est bien comme cela, qu'une partie des problématiques est perçue.

Concernant le rapport Bianco, j'ai présidé pendant un temps la Société des amis des forêts du Bassin Parisien. Ils tiennent à un mot qu'ils appellent la forêt-forêt et ce mot je vais le dédier à notre Vice-président qui vient de décéder, M. Toussaint, qui était un forestier et aussi un défenseur de l'espace périurbain de la forêt. Cet homme tout à fait remarquable avait su faire le rapprochement entre forêt domaine public et forêt privée. La forêt a son rôle à la condition qu'elle reste authentique sinon elle est d'une autre nature qui n'est pas la sienne. J'ai été auditionné par M. Bianco, il a bien voulu reprendre, y compris l'intitulé de l'audition dans son rapport que nous avions fait sur le partage d'usage. Je le dis aux urbains, si vous oubliez les exigences rurales de la gestion de la forêt comme de l'espace agricole, vous vous serez approprié un espace destiné à mourir dans son authenticité et nous n'aurons pas atteint les objectifs que Mme Bourgain fixait car la nature est authentique.

M. Christian MOREAU, urbaniste - La forêt assure bien cette triple fonction, c'est une fonction de protection, de production et de loisirs, mais c'est un tort de penser qu'il y a des forêts qui sont dévouées à la protection, à la production ou encore aux loisirs. Elle doit assumer cette triple fonctionnalité. C'est tellement vrai que cette idée de multifonctionnalité de la forêt est portée au niveau de l'ensemble de l'activité agricole.

M. Mathieu CALAMME - Une remarque qui a trait à ce qui se passe en Allemagne : quand j'ai fait ma dernière année d'étude en Allemagne, il y avait un document émanant de l'équivalent de l'ONF allemande qui disait que compte tenu de la densité de leur population, pour la moitié nord de l'Allemagne, le rôle des loisirs devenait le rôle principal. Le conflit de la forêt sur l'usage est plus un conflit entre chasseurs et promeneurs qu'entre promeneurs et forestiers puisque l'ONF sait très bien isoler une zone momentanément pour qu'il y ait des repousses naturelles ou une plantation artificielle qui ne soit pas pénétrée par les promeneurs. En Ile-de- France, le revenu généré par la chasse est énorme, la forêt nous la louions 240 000 F par an.

Les terres sont la propriété d'une SCEA dont la fondation est actionnaire majoritaire, nous n'avons pas de problème de fermage. Pour avoir travaillé avec M. Hervé Morize, le statut du fermage est de moins en moins adapté à la réalité de la société française et ira en disparaissant.

M. Etienne Lapèze , président de la FNSAFER - Je réagis parce qu'il ne faudrait pas qu'à cause de l'incapacité politique d'adapter le statut de fermage, qu'il faille dire qu'il doit disparaître.

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