Le Pari Indien


Jean François-Poncet, Louis Althapé, Bernard Dussaut, Jean-Paul Emin, Jean Huchon, Bernard Joly, Félix Leyzour, Daniel Percheron, Jean-Jacques Robert, Michel Souplet


Commission des Affaires économiques - Rapport 73 - 1996 / 1997

Table des matières






AVANT-PROPOS

La Commission des Affaires économiques du Sénat a envoyé en Inde, en février 1996, une mission d'information qu'elle a chargée d'étudier l'économie de ce pays, ainsi que ses relations économiques, commerciales et financières avec la France.

Lors de la présentation du rapport faisant suite à cette mission d'information, la Commission des Affaires économiques, sur proposition de son Président M. Jean François-Poncet qui conduisait la délégation en Inde, a souhaité, ainsi qu'elle l'avait fait l'année précédente pour la Chine, organiser au Sénat un Colloque consacré aux Investissements étrangers en Inde et aux enjeux qu'ils représentent pour la France.

Ce Colloque, placé sous le haut patronage de M. René Monory, Président du Sénat, s'est tenu au Palais du Luxembourg, le 2 juillet 1996, devant une assistance nombreuse composée d'hommes politiques, de chefs d'entreprises français et indiens, de responsables économiques, ainsi que de spécialistes de l'Inde et de journalistes.

Compte tenu de l'intérêt suscité par le Colloque, la Commission des Affaires économiques a estimé souhaitable qu'un large écho puisse lui être donné. Aussi a-t-elle décidé d'en publier les Actes. Tel est l'objet du présent rapport qui s'inscrit dans le prolongement des réflexions de la mission d'information.

I. ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

1. Allocution de M. René Monory, Président du Sénat

Je tiens à vous dire tout d'abord le plaisir que j'ai à voir se développer au Sénat des colloques de cette nature. Quand je suis arrivé à la présidence du Sénat, j'ai voulu ouvrir cette assemblée à la fois à la prospective et à l'international. Désormais, l'habitude est prise, en particulier sous l'impulsion de Jean Francois-Poncet. Ainsi, lorsqu'une commission du Sénat effectue une mission, elle la conforte et la prolonge par un colloque. Il est important, je crois, que le Sénat soit à l'avant-garde des relations que nous nouons avec d'autres pays.

Nous avons toujours un peu de difficultés, en France, à nous lancer sur les marchés extérieurs. Je dirai que nous ne sommes pas assez " aventuriers ", dans le bon sens du terme. Si en effet nous commençons à être beaucoup plus présents dans le sud-est asiatique ou en Chine, ce n'est pas encore le cas s'agissant de l'Inde qui, pourtant, recèle à la fois des trésors de civilisation, un extraordinaire potentiel de développement et des réserves considérables d'augmentation de la richesse.

Ce pays formidable que certains d'entre vous connaissent bien, est en pleine transformation. Il a maîtrisé son inflation au cours de ces dernières années, la démocratie y est en route depuis longtemps. Mais alors que d'évidence, les investissements étrangers et en particulier ceux des Etats-Unis, y ont été extrêmement nombreux ces derniers temps, les nôtres sont en baisse.

Je crois que des colloques comme celui d'aujourd'hui peuvent tracer la voie de la nouvelle conquête de l'Inde, à la fois pour les hommes politiques et les responsables économiques.

M. l'Ambassadeur de l'Inde en France, qui est avec nous aujourd'hui, est venu me voir bien souvent ; il me demande toujours : " Pourquoi n'êtes-vous pas plus présents dans notre pays ? ". Grâce à l'impulsion de la Commission des affaires économiques du Sénat et de son président, nous allons peu à peu - je l'espère - contribuer à inverser cette tendance.

Je me propose moi-même, sans doute en 1997, d'aller en visite officielle en Inde avec quelques collègues pour bien marquer l'intérêt de la France. Je le ferai en plein accord avec le président de la République française, qui souhaite, lui aussi, que nos entreprises soient plus nombreuses dans un pays qui ne demande qu'à nous accueillir.

J'espère que ce colloque témoignera de la conviction de notre démarche et apportera des idées sur la façon d'être plus présent et, surtout, d'accroître nos investissements.

L'Europe, c'est clair, traverse aujourd'hui une période de stagnation ou de stabilisation alors que pendant quarante ans, elle a connu une forte progression de sa croissance. Aujourd'hui, fort heureusement, beaucoup de pays dans le monde se développent, ce qui a entraîné une nouvelle répartition de la croissance mondiale. En conséquence, notre part de richesses - celle de la France, celle de l'étranger - est moins importante que par le passé.

Notre seule chance, pour nous Français, de régler nos problèmes d'emploi et de croissance, est donc d'être offensifs sur les nouveaux marchés qui sont demandeurs d'investissements, de richesses, de culture, de formation... Intensifier nos échanges avec ces pays nous permettra de maintenir une croissance plus soutenue et de créer des emplois, ce qui est une des préoccupations premières des gouvernements, comme des parlementaires.

Je n'en dirai pas plus pour ne pas retarder vos travaux qui promettent d'être intéressants. Je laisse la parole à notre Président de la Commission des affaires économiques, qui a eu l'idée et l'impulsion de ce colloque. Merci de votre attention.

2. Allocution de M. Jean François-Poncet,
Président de la Commission des Affaires économiques du Sénat

M. Jean-François-Poncet .- Monsieur le Président du Sénat, Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, mes premiers mots seront pour remercier le Président Monory de l'impulsion qu'il donne, depuis qu'il est Président, à la modernisation et à l'évolution du Sénat, et des initiatives qu'il prend de mettre la Haute Assemblée en rapport avec la société civile, et tout particulièrement avec les entreprises françaises.

Je le remercie aussi de sa présence. Comme vous le savez, la session parlementaire est terminée, et il a bien voulu revenir spécialement de son département pour être parmi nous aujourd'hui.

Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, je le remercie de son hospitalité, puisque tout à l'heure, comme vous le savez, vous êtes invités à déjeuner dans les salons de la présidence du Sénat. Par conséquent, je dois au Président du Sénat des remerciements et c'est par là que je voulais commencer.

Je remercie aussi, bien entendu, les deux ambassadeurs sous l'autorité tutélaire desquels nous siégons : Son Excellence l'Ambassadeur de l'Inde et Son Excellence l'Ambassadeur de France en Inde. Ils sont l'un et l'autre en poste depuis longtemps et ils connaissent admirablement les deux pays. Or c'est bien des relations entre les deux pays qu'il s'agit.

Ayant dit cela, j'encourage tous ceux qui vont intervenir, à la fois de cette tribune et de la salle, à s'exprimer librement. Il est bon que nos deux ambassadeurs entendent un certain nombre de critiques constructives, de façon à corriger le tir en tant que de besoin.

Si nous avons organisé ce colloque, comme le Président Monory vient de le dire, c'est à partir d'une idée très simple : faire partager aux dirigeants d'entreprises susceptibles de s'installer en Inde, ou éventuellement déjà installés, les conclusions qu'avec beaucoup de modestie, la Commission des affaires économiques du Sénat tire de la mission d'étude qu'elle a réalisée en Inde au mois de février de cette année, une mission d'étude intense qui a duré quinze jours au cours desquels nous avons à la fois visité les centres vitaux de l'économie indienne et rencontré un très grand nombre de ses responsables.

Nous en avions fait autant concernant la Chine voici deux ans et nous avions obtenu un succès comparable à celui d'aujourd'hui. Je veux remercier tous ceux qui ont répondu à notre appel pour débattre avec nous de l'Inde, et je voudrais préciser tout de suite que, comme pour la Chine, nous organisons ce colloque en liaison avec l'association " Asie ", que préside mon ami Paul Mentré. Cette association s'intéresse à la stratégie économique, notamment dans ses orientations internationales, en liaison avec le ministère de l'Industrie. C'est à ce titre que l'une des tables rondes de cet après-midi sera présidée par Paul Mentré, que je remercie d'apporter au Sénat le bénéfice de ses attaches avec le secteur privé.

Il y a donc eu la Chine hier. Il y a l'Inde, aujourd'hui. Le point de départ est la même constatation que nous faisons tous et que le monde entier fait partout : l'ascension économique de l'Asie qui caractérise cette fin de siècle, c'est l'un des principaux phénomènes que l'histoire retiendra de cette fin du XXème siècle.

Or que constate-t-on en Asie ? On y observe un retard de la présence française, non seulement par rapport à des pays comme les Etats-Unis, l'Allemagne ou le Japon (je dirai qu'on y est habitué ou préparé), mais même par rapport à des pays comme l'Italie, qui sont plus actifs que nous.

Comme le disait le Président Monory, la France est probablement en train de rattraper son retard en Chine, parce qu'il y a des effets de mode qui jouent en faveur de la Chine. Il n'en va pas de même en Inde.

Je suis de près, l'évolution du commerce extérieur de la France depuis l'époque où j'étais membre du gouvernement, à la fin des années 70. C'était une période où le commerce extérieur français était principalement fondé sur de grands contrats publics arrachés aux gouvernements, dans les pays arabes de préférence, mais aussi dans un grand nombre d'autre pays qui se sont avérés par la suite peu solvables.

A l'époque, l'objectif que le président M. Giscard d'Estaing fixait à ses ministres, était d'opérer une reconversion vers les pays occidentaux solvables. Or quand on regarde le commerce extérieur français, aujourd'hui on s'aperçoit que ce recentrage s'est effectué et notre commerce extérieur est principalement orienté vers l'Europe, vers des pays où la concurrence est dure, où l'appui des gouvernements ne compte guère. Nous y avons marqué des points comme le montre l'excédent très important de notre commerce extérieur.

Nous avons, en revanche, pris du retard dans nos échanges avec une catégorie nouvelle de pays : les pays émergents, comme la Chine ou l'Inde.

L'Inde est un pays sous-développé. C'est une évidence que les médias et l'action humanitaire nous rappellent constamment. Quand on pense à l'Inde en France, on pense à mère Theresa. Cette image a tendance à oblitérer d'autres aspects de la réalité indienne, et c'est évidemment sur ces aspects que nous allons mettre l'accent, ce qui ne veut pas dire que la réalité humanitaire est oubliée : elle existe et les sénateurs l'ont touchée du doigt au cours de leur voyage. Il n'en demeure pas moins que l'Inde est un des pays émergents, dont la caractéristique principale est qu'ils affichent un taux de croissance économique qui n'a rien à voir avec le nôtre.

Au cours de notre mission d'information, nous avons constamment eu à l'esprit la comparaison avec la Chine. Vous trouverez de nombreuses données permettant ce rapprochement dans le petit rapport que je me permets de vous recommander. Après le petit livre vert, il y a le petit livre rouge sans lequel vous aurez du mal à retrouver votre chemin dans le labyrinthe indien. C'est un fil d'Ariane que je vous recommande de ne pas lâcher !

Le taux de croissance indien ne se compare pas à celui de la Chine : il est de l'ordre de 7 %, celui de la Chine dépasse 10 %. Mais on aurait tort de s'arrêter à ce décalage. Songeons à ce que représente pour un pays de plus de 900 millions d'Indiens une croissance de 7 %, alors que les taux de croissance européens se situent entre 1 et 2 %. L'Inde, c'est un immense géant économique en train de s'éveiller, stimulé par un certain nombre de données qui seront rappelées au cours de ce colloque :

- le renversement de la politique économique depuis 1991 avec une ouverture aux investissements étrangers ;

- l'abandon de la planification et de la réglementation que l'Inde de Nehru avait mise en oeuvre ;

- une politique d'assainissement financier ;

- une inflation qui doit être de l'ordre de la moitié de l'inflation chinoise ;

- une élite de grande valeur, une des plus distinguée du tiers monde ;

- une classe moyenne qui émerge mais dont il n'est pas facile d'évaluer l'importance. Certains disent 200 millions et d'autres 300 millions, d'autres 50 millions !

Nous aurons à nous pencher sur ces données et sur l'ampleur des investissements étrangers qui commencent à affluer en Inde. On est loin des chiffres chinois, mais le processus a commencé.

La croissance de l'économie indienne saute aux yeux. Mais cela nous renvoie à une autre question dont nous aurons à débattre: quelles perspectives de stabilité offre l'Inde aussi bien sur le plan social que sur le plan politique ? Nos amis anglo-saxons parlent du " country risk " , le " risque pays ". C'est essentiel.

Si on investit en Inde, ce n'est pas pour quelques années mais pour plusieurs décennies. Il faut donc s'interroger. La société indienne présente les caractéristiques tout à fait particulières, avec son système des castes, avec sa structure pluri-religieuse, qui débouche périodiquement sur des affrontements, notamment, entre la communauté hindoue majoritaire et la communauté islamique. La vie politique a, elle aussi, ses spécificités. Elle est authentiquement démocratique avec ses avantages et ses incertitudes. Les dernières élections ont entraîné un renversement à la suite de l'échec du Parti du Congrès, qui a gouverné l'Inde depuis l'indépendance et qui, aujourd'hui, n'est plus représenté au gouvernement : il soutient la cohalition actuelle mais n'en fait pas partie.

Autant d'interrogations auxquelles nous nous sommes efforcés de répondre dans notre rapport. Je vous livre notre conclusion : on aurait le plus grand tort de ne voir l'Inde qu'à travers les affrontements, souvent sanglants qui, tous les cinq ou dix ans, font la une des journaux. La plus grande démocratie du monde parvient, à travers son système représentatif et grâce à l'esprit de tolérance qu'il fait régner, à réconcilier des contraires qui ailleurs -songeons à l'ex-Yougoslavie- se traduisent en conflits dramatiques.

Nous ne pouvions pas ne pas penser, quand nous étions là-bas, aux événements en Bosnie. S'il y avait dans les Balkans la même tradition de tolérance qu'en Inde, les tragédies qui les ont déchiré ne s'y seraient pas produites.

A long terme, la stabilité indienne pourrait l'emporter sur les tensions qu'on perçoit en Chine, mais qu'un régime autoritaire réprime temporairement.

En abordant ces questions, en analysant la situation politique de l'Inde, nous aurons à nous interroger sur l'avenir de la politique de libéralisation, sur le " consensus indien " qui nous a beaucoup frappés. Nous avons naturellement rencontré les partis d'opposition, qui ont aujourd'hui un pouvoir et qui nous ont convaincus qu'il n'y avait pas de bouleversement à attendre. Un accord très général existe sur l'accueil des capitaux étrangers, la déréglementation, sur le fait que l'Inde de demain sera amenée à miser de plus en plus sur les investissements privés. C'est essentiel pour ceux qui songent à investir en Inde.

Un mot du déroulement de notre colloque. Après que les deux ambassadeurs auront pris la parole, je leur ai recommandé d'être brefs, je préférerais les voir intervenir dans le cours des débats afin de " corriger le tir ". Nous entendrons ensuite le professeur Amado, à qui j'ai demandé de nous tracer l'image de la société indienne qu'il connaît mieux que personne.

Francis Doré, Président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne, traitera du thème des relations franco-indiennes. Il a passé dix ans de sa vie comme conseiller culturel à l'ambassade de France en Inde. Il est le témoin privilégié des relations entre les deux pays.

Nous traiterons ensuite du développement économique et des problèmes juridiques qu'il pose à ceux qui opèrent en Inde. Il est, en effet, essentiel, pour une entreprise qui veut s'installer en Inde, de savoir à quel type de difficultés juridiques elle s'expose.

La matinée se terminera par une conclusion de Mme Christine Chauvet, Directeur général du Centre français du commerce extérieur, après avoir été ministre du Commerce extérieur.

Je termine par une observation qui nous a frappés : le potentiel de sympathie réciproque qui existe entre la France et l'Inde. Il existe, nous a-t-il semblé, de nombreux points communs entre les cultures et les civilisations des deux pays. Cela tient à l'importance de la spiritualité en Inde. Il y a peut-être plus d'affinités intellectuelles et morales entre la France et l'Inde, qu'entre la France et la Chine. Il y a la démocratie, une presse pluraliste, qui ne se prive pas de critiquer le gouvernement, des tribunaux qui n'hésitent pas à mettre en accusation les membres du gouvernement ! Ce n'est pas évident dans un pays du tiers monde. Il y a la même attention portée aux problèmes du sous-développement dans le monde.

Ces affinités ne demandent qu'à s'inscrire dans la réalité économique. Comment y parvenir ? C'est le thème auquel nous allons consacrer nos délibérations de la journée. Merci d'être venus, merci de votre attention. Je donne la parole à Monsieur l'Ambassadeur de l'Inde en France.

3. Allocution de son Excellence M. Ranjit Sethi,
Ambassadeur de l'Inde en France

M. Ranjit Sethi .- Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Président Monory, Monsieur le Président Francois-Poncet, Président de la Commission des affaires économiques et du plan, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs, est-il encore besoin que je dise quelque chose, Monsieur le Président ? Je me le demande.

Vous nous avez mis devant la possibilité, et non pas l'obligation, d'être bref. Permettez-moi tout d'abord de présenter mes respects à M. Monory. Je me félicite que cette personnalité française de premier plan apporte un grand et précieux soutien au renforcement des relations entre la France et l'Inde et réserve aussi à notre pays une place dans son optique des " clefs pour le futur ". J'ai été très heureux de voir, dans cette optique, même si cela anticipe un peu le voyage qu'il doit effectuer en Inde, d'entendre les allusions qu'il a faites à notre pays. Je suis très sensible au fait que M. le Président Monory se propose d'effectuer un voyage en Inde.

Cela dit, M. Jean Francois-Poncet a mené deux importantes missions en Inde ces derniers mois et si nous sommes réunis aujourd'hui devant le " pari indien ", c'est grâce à la mission, dirigée par lui, d'un groupe de sénateurs de la Commission des affaires économiques qui s'est rendue en Inde au mois de février. Cette mission fut le plus récent témoignage de l'action que mène le Sénat en direction de l'Inde. Cette action, par missions successives, à raison d'une par an (nous le constatons et c'est un rythme élevé), s'inscrit dans la continuité et s'attache à une évaluation de l'Inde dans le contexte de sa propre évolution et dans celui de la région. C'est une évaluation qui a été largement évoquée par le Président Francois-Poncet et je ne peux, à ce stade, que me rallier aux considérations qu'il a évoquées et qui constituent un tableau très complet, d'une part, des conditions qu'il a découvertes en Inde et, d'autre part, des possibilités qui existent et qui ont été largement soulignées d'une coopération accrue dans tous les domaines, grâce à la sympathie qui existe entre les deux pays, et donc d'un avenir très fructueux entre l'Inde et la France.

A ce stade, je me permets tout simplement de dire qu'à l'égard de l'Inde, une analyse peut se faire en fonction de trois critères.

Tout d'abord, on peut relever dans l'ensemble de la situation indienne une stabilité d'institution. Quelle que soit la succession au pouvoir, la succession du parti que nous avons vue par exemple à la suite des dernières élections, il y a une stabilité qui existe en Inde grâce au cadre constitutionnel et juridique qui a été mis en place au lendemain de l'indépendance de notre pays.

Le deuxième critère est celui de l'adaptation de l'Inde et de sa mobilité. Certains ont estimé ces derniers temps que si on assiste à des changements politiques et autres en Inde, c'est en fonction des revendications, des fautes ou des erreurs, mais en réalité, en Inde, s'il y a aujourd'hui des changements qui interviennent, ils sont dus avant tout non pas tellement à une quelconque sclérose de la société mais à une prospérité grandissante dans le pays, à une évolution profonde, à une mutation qui est créatrice de richesses et qui fait naître des revendications nouvelles et des espoirs chez une plus large partie de la population.

Le troisième aspect à souligner, c'est celui de la continuité. Nous avons cherché, tant dans la gestion fiscale et financière que dans les aspects fonctionnels de la démocratie, une continuité qui donne de la confiance et de l'espoir, tout d'abord, dans le fonctionnement du pays et de ces institutions et, ensuite, dans l'avenir qui doit être partagé par toutes les couches de la population.

Ces thèmes peuvent être examinés et approfondis au cours du débat. Je pense que certains aspects de la situation en Inde aujourd'hui peuvent être déchiffrés grâce à la volonté que nous avons d'imprimer cette stabilité à notre pays.

Un mot pour conclure, parce que je dois me contenter d'une intervention brève et liminaire, sur les relations entre la France et l'Inde.

Quand je suis arrivé en France, il y a deux ans et demi, on avait beaucoup tendance à dire que les relations franco-indiennes n'étaient pas ce qu'elles devaient être, mais il me semble aujourd'hui que ce stade est largement dépassé. Il y a un nouvel essor, un nouveau dynamisme dans les relations franco-indiennes ; il y a d'abord un grand intérêt qui se manifeste : en témoigne votre présence à ce colloque aujourd'hui.

Certaines réticences ont été levées. Les entreprises françaises semblent aujourd'hui beaucoup plus confiantes lorsqu'elles regardent vers l'Inde quant aux possibilités d'intervenir dans ce pays.

Les investissements français s'accroissent de façon significative, le commerce augmente et de façon générale, une nouvelle attitude apparaît, imprégnée de confiance, sur les possibilités d'une plus vaste collaboration, notamment dans le domaine économique.

Sans doute cet aspect a été largement examiné dans le rapport qui a été établi par la mission sénatoriale et qui vient de paraître. Je n'ai pas eu le temps de le regarder en détail, mais c'est avec un très grand intérêt que je pense l'étudier.

Je remercie la mission sénatoriale et le Sénat de l'initiative qu'ils ont prise d'entreprendre cette mission en Inde. Je vous remercie, Monsieur le Président.

M. le Président .- La parole est à M. l'Ambassadeur Petit.

4. Allocution de son Excellence M. Philippe Petit,
Ambassadeur de France en Inde

M. Philippe Petit .- Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de la Commission des affaires économiques, mon cher collègue Ambassadeur de l'Inde, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs, il y a maintenant un peu plus de cinq ans que j'ai l'honneur de représenter la France en Inde. Ma mission va bientôt se terminer et, pendant ces cinq années, j'ai vu l'Inde évoluer et se transformer plus peut-être qu'elle ne s'était transformée dans les vingt années précédentes. J'ai eu la chance d'être le témoin de cette évolution.

Le colloque auquel nous participons aujourd'hui est une excellente occasion de communiquer, d'échanger nos expériences et de compléter la perception, malheureusement souvent lacunaire, qu'ont nos compatriotes de l'Inde. Je remercie les organisateurs de ce colloque et je les remercie de m'avoir invité à y participer. Je suis venu de Delhi exprès et je repars aussitôt.

Pratiquement tous mes visiteurs français en Inde - et ils sont heureusement de plus en plus nombreux - ont le même mot à la bouche au cours de nos entretiens : " Monsieur l'Ambassadeur, quelle surprise ! L'Inde n'est pas ce que je croyais ".

Ce colloque va donc servir à éviter que nos compatriotes soient aussi surpris lorsqu'ils arrivent en Inde. Ils s'attendent à trouver des mendiants et des bidonvilles (certes il y en a, mais il n'y a pas que cela, très loin de là) et ils voient en fait des files de camions lourdement chargés, une activité intense, des gens qui travaillent, qui produisent et qui consomment, une classe moyenne qui s'accroit à vue d'oeil.

On pourrait dire, très approximativement, que dans la population indienne, il y a peut-être un tiers de très pauvres et un tiers de pauvres décents, mais il ne faut pas oublier qu'il y a aussi un tiers de personnes qui ont un certain niveau de vie et des moyens d'achat qui se développent rapidement, qui peuvent acquérir des télévisions, des scooters, etc. On peut toujours discuter sur les chiffres, mais un tiers de la population indienne, cela fait quand même 310  millions de personnes. Il faut toujours avoir cela à l'esprit.

Sur ces masses, le marché automobile augmente actuellement de 25 % par an. Il n'y a pas beaucoup de pays du monde où le marché automobile augmente dans de telles proportions. Et le marché de l'activité du logiciel informatique a augmenté de 35 % l'année passée.

Tout ceci explique que nos compatriotes, se fondant beaucoup sur l'information donnée par les médias, ont tendance à commettre un contresens, que nous percevons, nous qui les accueillons et essayons de les conseiller et de les orienter en Inde, sur ce que l'on peut attendre de l'Inde. Ce contresens consisterait à dire : " l'Inde est un pays misérable, donc il faut l'aider. Nos moyens d'aide sont limités, nous avons déjà une lourde charge en Afrique. Donc que d'autres que nous s'occupent de l'Inde ".

C'est un contresens beaucoup plus dangereux pour nous que pour l'Inde elle-même, qui a d'autres partenaires et d'autres perspectives. C'est en effet nous qui avons une chance à saisir en Inde. Nous risquons de passer à côté de cette chance.

En ce qui concerne les perspectives de croissance en Inde, nous aurons l'occasion de voir comment le mouvement de transformation, de libéralisation et d'ouverture qui est lancé a des chances de se maintenir sur la base de ce consensus dont parlait M. Francois-Poncet.

On constate que cette activité a commencé à la suite de la période 1990-1991 (je suis arrivé en Inde en mars 1991), où la situation économique était difficile : il y avait une crise économique et financière et certains problèmes de société n'étaient pas résolus à ce moment-là. La période était difficile et nos entreprises, dont certaines étaient implantées auparavant en Inde, en ont conçu une certaine réticence, et en tout cas une grande prudence à l'égard de l'Inde. On a assisté à un phénomène surprenant qui a consisté en la fermeture d'un certain nombre de représentations d'entreprises françaises qui, ayant constaté une période difficile entre 1989 et 1991, ont fermé en 1991 au moment où les autres ouvraient, puisqu'une nouvelle politique commençait et que la libéralisation était lancée.

Mais je crois que, maintenant, le mouvement est bien perçu. Le redressement de l'économie indienne depuis 1991 a été spectaculaire. Vous savez qu'il y a maintenant 17 milliards de dollars de réserve et que le taux de croissance approche 7 %. Cela signifie, étant donné le poids de l'agriculture, que la croissance industrielle est de l'ordre de 10 à 12 %. L'agriculture elle-même continue à progresser plus rapidement que la population. L'Inde devient exportatrice de produits agricoles : elle a été le premier exportateur de riz l'an passé.

Il ne servirait à rien de chercher à se protéger de cette croissance et de ce développement, car c'est un développement que l'on n'arrêtera pas. A la différence de ce qui se produit dans d'autres pays émergeants, cette croissance et ce développement concernent l'ensemble du pays, et non pas seulement certaines zones économiques privilégiées ou certaines catégories spécifiques. La croissance est mieux répartie pour plusieurs raisons, et tout d'abord parce qu'il existe en Inde une vraie culture d'entreprise. Contrairement à d'autres pays comme la Russie, la Chine et le Vietnam où, une fois effondrée la structure communiste, il n'y a plus aucune structure et il faut tout reconstruire, en Inde, même s'il y a eu une période où l'économie était étroitement dirigée par l'Etat, l'économie libérale préexistait et a continué d'exister. A partir du moment où le poids des structures dirigistes s'allège, on voit refleurir immédiatement tout ce qui existait comme structures libérales antérieures et comme culture d'entreprise, avec des chefs d'entreprise compétents, formés et de haut niveau, avec la Bourse de Bombay qui est plus ancienne que celle de Tokyo (on l'oublie souvent) et des structures qui existaient déjà, qui produisent et refleurissent.

La deuxième raison de la bonne répartition de la croissance et du développement et de cette absence de tensions graves liée au développement, c'est que l'Inde est une vraie démocratie. M. Francois-Poncet l'a indiqué et je n'y reviens pas. C'est une démocratie si libre qu'elle donne parfois l'impression d'être agitée. Elle est agitée en surface, mais la société indienne est stable en profondeur. Elle a une grande capacité à absorber les tensions et les chocs et on a constaté cette stabilité, paradoxalement, lors des dernières élections. Malgré les bons résultats du gouvernement qui a exercé le pouvoir entre 1991 et 1996, qui a redressé l'économie du pays et qui a lancé ce mouvement de croissance qui ne devrait pas s'interrompre, on a assisté à la fin de la prééminence du Parti du Congrès et les élections n'ont pas dégagé une majorité claire.

Dans beaucoup d'autres pays en développement, dans des conditions un peu comparables à celles de l'Inde, on aurait risqué de voir des tentatives de prise de pouvoir par un groupe, par l'armée, que sais-je... En Inde, il n'est pas question de cela ; il n'en a pas été question un instant, et le système démocratique a parfaitement fonctionné. Le gouvernement formé par le BJP a cherché à obtenir la confiance du Parlement, il n'a pas réuni la majorité des votes et un autre gouvernement a été désigné. Tout cela est parfaitement dans l'ordre démocratique et il n'y a pas eu le moindre incident ni la moindre tension à ce sujet.

En outre, les grandes orientations, qu'elles soient économiques ou de politique étrangère, sont restées pratiquement constantes entre le gouvernement congressiste qui a exercé le pouvoir pendant cinq ans, la brève tentative de formation d'un gouvernement nationaliste BJP, qui a maintenu les orientations précédentes avec des nuances très faibles, et le gouvernement actuel, gouvernement de coalition qui, lui aussi, apporte naturellement quelques nuances dans l'expression. Les orientations de fond restent les mêmes et sont stables.

Je donnerai à ce stade seulement un exemple. Il y a deux ou trois jours, le gouvernement indien a décidé d'ouvrir plus largement la construction des routes au secteur privé et aux investisseurs étrangers. Constamment, pendant les cinq dernières années, le gouvernement indien a procédé ainsi par petites touches. On n'a jamais eu de grandes décisions spectaculaires, de grands programmes de privatisation, mais chaque semaine, pratiquement, une décision d'ouverture et de libéralisation est prise. On évite ainsi de grands remous, on évite des chocs politiques et sociaux, mais le mouvement de libéralisation et d'ouverture se poursuit et s'est constamment poursuivi.

En politique étrangère, de même, les orientations n'ont guère varié. Les Indiens (on l'a dit et M. le Président Monory l'a rappelé) souhaitent la présence de la France et des Français en Inde. Constamment, non seulement à Delhi mais dans les Etats, quand je vais voir les ministres en chef des Etats, on me dit : " Monsieur l'Ambassadeur, pourquoi la France n'est-elle pas plus présente, pourquoi les Français ne viennent-ils pas plus ? Nous ne comprenons pas. Les Américains et les Allemands sont là et nous ne voyons pas assez les Français ".

Il y a une demande de France et de Français. Les Indiens ne souhaitent pas (c'est ce qu'ils me disent) se trouver en tête-à-tête uniquement avec les Américains, qui sont actuellement très présents, qui sont les premiers investisseurs et qui sont très actifs en Inde. Comme nous, les Indiens sont partisans d'un monde multipolaire, et c'est une tendance qui se poursuit.

Donc, malgré les petits problèmes qu'il a pu y avoir dans les relations franco-indiennes, les problèmes de contentieux qui ont eu beaucoup d'importance dans nos relations pendant un temps et qui sont largement surmontés, même s'ils ne sont pas tout à fait dépassés, malgré les préoccupations de sécurité qui méritent d'être prises en considération, on peut dire que les relations ont vraiment bien démarré, et je suis heureux d'avoir entendu l'ambassadeur Ranjit SETHI faire ce constat positif. Nous avons maintenant des investissements importants qui sont en cours de discussion ou de réalisation dans les domaines de l'énergie, de l'acier, du verre, de l'automobile, des lubrifiants (quand on se promène au Kérala ou ailleurs, on voit ELF et Total partout, alors que c'était presque impensable il y a cinq ans), ce qui est assez satisfaisant pour les représentants de la France. Il y a également des demandes dans les secteurs de l'eau et de la production agro-industrielle.

L'Inde attend notre présence et je crois qu'il est de notre intérêt d'être plus présents dans ce pays, de mettre fin à cette sorte de parenthèse imaginaire, pour les Français, entre l'Asie du sud-est, d'un côté, connue pour son développement rapide, et le Moyen-Orient, de l'autre, parenthèse imaginaire qui serait une espèce de terra incognita.

Je crois donc - et ce colloque y servira beaucoup - qu'on va mettre fin à cette parenthèse imaginaire et assurer la continuité entre l'Asie en développement et le sous-continent indien qui en fait partie. C'est un monde qui se développe, et il vaudrait mieux qu'il se développât avec nous que sans nous.

M. le Président .- Je remercie M. l'Ambassadeur Petit d'être venu exprès de Delhi pour participer au colloque, et non pas seulement pour l'introduire, ainsi que M. l'Ambassadeur Sethi. Ils interviendront quand ils le jugeront nécessaire au cours des débats.

Je vais donc donner la parole au Professeur Pierre Amado, directeur de recherche au CNRS. Professeur de philosophie, il est l'auteur d'un très grand nombre d'articles. Il est aussi l'auteur de la partie introductive du Guide Bleu, et je dois dire que c'est par le Guide Bleu que j'ai fait d'abord connaissance avec lui et que j'ai apprécié la clarté lumineuse qu'il projette sur toute une série d'aspects de la civilisation, de la société et de la religion indiennes qu'il est nécessaire de connaître si on veut s'orienter en Inde.

Je lui ai demandé de commencer par un exposé, et je sais qu'il les fait de façon extraordinairement vivante et claire. Il va donc nous parler de la civilisation, et en particulier des aspects de cette civilisation face aux exigences du développement. Est-ce que c'est un obstacle ? Est-ce qu'au contraire, c'est un atout quand il s'agit d'évoluer dans le monde d'aujourd'hui ? Nous savons nous-mêmes, pour en faire les frais, à quel point cette évolution est rapide et traumatisante. Qu'en est-il, Monsieur le Professeur de l'Inde ? Vous avez la parole.

II. LE CADRE ÉCONOMIQUE, POLITIQUE ET JURIDIQUE

A. UNE CIVILISATION TRADITIONNELLE FACE AUX EXIGENCES DU DÉVELOPPEMENT

Intervention de M. Pierre Amado, directeur de recherche au CNRS, professeur à l'Ecole pratique des Hautes Etudes

M. Pierre Amado .- Je crois que tous les intervenants ont déjà parlé fort bien de l'Inde contemporaine, et ce que je vais dire est donc tout à fait inutile, puisque je voulais m'attacher à montrer ou à savoir si les traditions en Inde, ou la tradition, étaient un obstacle au développement.

La civilisation indienne est une civilisation traditionnelle, mais d'abord, qu'est-ce qu'est une civilisation traditionnelle ? On peut la définir comme une civilisation où la vérité est donnée de façon globale et où elle passe de génération en génération parce qu'elle a été donnée par une incarnation, par des prophètes, par des héros, et donc qu'il est naturel qu'elle passe ne varietur.

Dans les civilisations opposées qui sont les nôtres et que nous pourrions appeler " civilisations rationnelles ", rien de la tradition n'existe sans qu'elle passe au crible de la raison. Je peux même dire que la tradition, chez nous, c'est de refuser la tradition.

La conséquence, c'est que dans les civilisations traditionnelles, l'homme s'éprouve comme une parcelle de l'univers, qu'il ne ressent pas le besoin de se distinguer, de se singulariser, de s'individualiser. Il préfère se fondre dans le groupe, dans l'environnement naturel et surnaturel dont il se sent partie intégrante.

Les civilisations traditionnelles sont donc extrêmement rassurantes, puisque leurs traditions paraissent intangibles à ceux qui les vivent du fait que leurs lois et leurs coutumes ont été fixées par des mythes fondés sur une révélation.

Je me suis souvent posé une question (et M. le Président Francois-Poncet a parlé d'une longue carrière indienne) : existe-t-il une formule ou une maxime qui permette de comprendre d'un seul coup la civilisation indienne ? J'ai passé beaucoup d'années de ma vie à tâcher de trouver cette formule et au fond, elle est toute simple. Le problème, c'est que je m'y suis attaché il y a plusieurs années et que, depuis, je n'ai pas changé d'avis, ce qui est la preuve que je ne progresse guère.

Je pense donc que le noyau, le coeur, la maxime de la civilisation indienne peut s'énoncer de la façon suivante : l'univers n'est pas chaotique, il y a un ordre du monde, il y a une disposition naturelle des choses, il y a une norme universelle. Cette formule s'exprime dans un mot sanskrit (j'en citerai peut-être deux ou trois au cours de ce petit laïus) : le " dharma ". Le " dharma ", c'est ce qui fonde l'univers et ce qui le maintient. En français, le mot " forme " et le mot " ferme " remontent à la même racine, et si l'on comprend à la fois " forme " et " ferme " ( forma et firmus en latin), on comprend quel est le sens de ce terme " dharma ".

Le dharma, c'est donc ce qui fonde l'univers, ce qui lui donne une cohésion et c'est la règle de l'harmonie cosmique. Si, durant votre vie présente, vous agissez dans le sens de cette harmonie et de cet équilibre, alors vous serez réincarné à une meilleure place, mieux intégré à l'univers dans votre prochaine incarnation. Si, au contraire, vous faites des " entorses " à la disposition naturelle des choses, si vous vous écartez de cette loi du bon ordre, si vous faites un faux pas, alors votre prochaine incarnation sera plus lourde à porter : elle aura une tare, si je puis dire.

Ainsi, pour l'hindou, la vie présente et la naissance sont conditionnées et déterminées par la conduite suivie par les actes accomplis au cours de dizaine, de centaines, de milliers, de millions de vies antérieures et qui constituent une hérédité aussi inéluctable que l'hérédité génétique que nous comprenons bien aujourd'hui. La vie présente, pour l'hindou, n'est pas le drame angoissant de Pascal, qui est pris au piège dans l'insaisissable mystère des deux infinis ; la vie présente est un instant de bien moindre importance, pris dans un enchaînement sans limite de renaissances, la résultante éphémère d'un passé insondable et d'un non moins insondable avenir.

Ainsi donc, dans la tradition de l'Inde, l'échelle sociale apparaît comme une échelle de valeur morale. L'inégalité des naissances apparaît comme la manifestation même de la justice. Il faut bien reconnaître que c'est tout à fait opposé à ce que nous pensons dans nos sociétés égalitaires. Mais puisque l'inégalité des naissances est la manifestation même de la justice, comment pourrait-on la mettre en question ? Or l'inégalité des naissances, c'est ce que nous appelons l'inégalité des castes.

Manifestation de l'ordre cosmique dans la société, l'inégalité sociale apparaît donc comme moralement juste, et je dirai même métaphysiquement fondée pour l'hindou. Pour respecter l'ordre cosmique, la notion de bien et de mal n'existe pas en Inde de la même manière que chez nous. Chez nous, faire le bien, c'est agir en obéissant à la parole de Dieu et faire le mal, c'est désobéir à la parole de Dieu. En Inde, cette notion ne se conçoit pas de cette manière : si j'agis dans le sens de l'ordre du monde, " ça colle ". Si je n'agis pas dans le sens de l'ordre du monde, dans le sens de l'harmonie universelle, dans le sens de cette loi de la disposition naturelle des choses, alors " ça ne colle pas ".

Pour respecter l'ordre socio-cosmique, pour se sentir intégré à l'univers, il n'est que d'agir en accord avec sa naissance. Mais dans notre façon de parler, cela ne veut rien dire. Le fait de suivre le code de conduite de sa famille et des siens justifie une aliénation proprement intolérable qui est l'asservissement aux règles imposées par le système des castes. Mais si vous considérez que cette expression est intolérable, c'est parce que vous transposez dans notre façon d'envisager les rapports de l'homme et de la société une notion qui est totalement étrangère à l'hindou.

Dans la société qui est la sienne, l'hindou ne se sent pas exploité, contraint et aliéné, mais au contraire protégé et (c'est le mot le plus important) intégré. C'est la preuve, direz vous, qu'il est si bien conditionné par la perfidie du système des castes qu'il s'endort exploité, battu et content, dans une acceptation béate de son asservissement. Loin de moi l'idée de dire qu'il n'en est jamais ainsi.

Bien entendu, partout dans le monde et depuis toujours, les classes supérieures tâchent d'exploiter ceux qui sont en dessous. Mais en agissant ainsi, l'hindou transgresse justement la loi du bon ordre de l'univers, car en vérité, ce n'est pas à une société de profit fondée sur l'exploitation de l'homme que l'hindou se sent intégré par sa naissance. Il se sent intégré à l'univers tout entier, à l'univers global. Sa vision du monde n'est pas limitée à l'ordre économique et social. Elle s'étend à l'univers global qui est la manifestation de l'absolu dont lui-même est également la manifestation.

Le but final des renaissances et de toute cette série de réincarnations, c'est la délivrance de toute naissance, c'est-à-dire la dissolution dans l'absolu qui est l'unique réalité. Donc observer les règles de la naissance, suivre le code de conduite de sa caste, c'est une manière d'être dans l'univers qui témoigne qu'il est plus important d'être que d'avoir.

Bien sûr, cela n'implique pas que tous les hindous soient des philosophes, mais cela implique que chacun, consciemment ou non, agit en accord avec une certaine manière d'envisager les rapports de l'homme et du monde, exactement comme, que nous le voulions ou non, chacun d'entre nous pense et agit selon notre civilisation judéo-chrétienne d'occident.

Si donc je ne veux considérer que l'aspect social du problème (on considère souvent que le système des castes est un système social puisque ce sont les sociologues qui l'ont étudié, mais les sociologues n'ont étudié que l'aspect social du système alors que c'est un système socio-cosmique), je peux dire que notre société maintient un idéal égalitaire qui met l'accent sur l'importance, l'indépendance et la responsabilité de l'individu alors que la société hindoue se fonde sur un modèle hiérarchisé, et non égalitaire, où la prééminence appartient aux groupes fermés, complémentaires et interdépendants et non pas à l'individu. Chaque groupe, chaque caste se caractérise en accord avec sa place dans la hiérarchie par un ensemble de règles spécifiques, héréditaires d'ailleurs, qui entraînent un comportement particulier dans la société. Par exemple : mariage endogame, pratiques religieuses particulières, coutumes alimentaires, interdits, privilèges, spécialisations professionnelles...

On peut dire que l'histoire sociale de l'Inde, plus enchevêtrée encore que son histoire politique, consiste essentiellement dans la concurrence de ces innombrables groupes, les uns ambitieux de s'assurer un rang plus élevé dans la hiérarchie, les autres jaloux d'y maintenir leur position privilégiée contre leurs rivaux, preuve donc que ce prétendu système n'est pas statique mais a des capacités d'adaptation qu'il n'a cessé de manifester au cours des âges, de sorte que la société indienne, malgré tous les changements économiques et politiques qui ont pu se produire, a conservé ses caractères propres et sa structure unique.

Nous connaissons très bien tout cela. C'est un état de fait que l'on ne peut pas nier.

Il reste à s'avoir si ce que nous appelons " système des castes ", cette hiérarchie complémentaire, constitue un obstacle au développement économique. Il faut dire que dès sa naissance et de par sa naissance, l'hindou se sent, comme je le disais, en sûreté et protégé au sein de son groupe où la compétition individuelle n'existe pas. Il n'éprouvera jamais l'impression d'isolement dont nous souffrons dans notre société et il ressent d'autant moins les frustrations que celles-ci sont partagées.

Ce tableau idyllique que je vous trace de la société indienne a son revers. D'abord, c'est une organisation qui maintient une idéologie conservatrice. On ne peut nier en effet que la frustration puisse être une motivation au changement. Dans la mesure où elle n'est pas excessive, la frustration est effectivement une motivation au changement.

Par ailleurs, le sens des responsabilités, dans une société comme la société de castes, se dilue. Or bien entendu, quand il se dilue, quand il se partage, il diminue.

Enfin, l'absence de compétition individuelle, puisque dans sa caste, il n'y a pas de compétition (je suis né coiffeur, mais personne d'autre que des coiffeurs ne viendra s'installer dans ma caste, dans le village ou dans la société où je vis), contrarie sans doute l'esprit d'entreprise, l'esprit d'aventure et l'esprit de productivité. En conséquence, le développement économique de l'Inde souffre de cet état de chose.

On peut dire aussi, à l'opposé, que l'esprit de groupe est très efficace dans la connaissance des besoins de tous et dans l'organisation des tâches de chacun. De plus - on le sait bien - on acquiert dans sa caste, en même temps qu'une qualification professionnelle qui est d'autant mieux adaptée qu'elle est transmise de génération en génération, une disposition à accomplir le mieux possible son travail, quel qu'il soit.

Cette société est-elle bloquée par le système des castes ? Il se trouve qu'elle a toujours été dynamique, comme je vous le disais, ne serait-ce d'ailleurs que grâce à la concurrence des castes. Mais en plus, cette tradition dont je vous parlais est vivante. Il faudrait distinguer (Nehru le faisait très bien) entre la tradition et le traditionalisme. Le traditionalisme est un obstacle au développement, c'est un boulet que l'on traîne à ses pieds. Au contraire, la tradition véritable est une tradition vivante qui est capable d'adaptation.

Par exemple, les interdits, que nous connaissons tellement dans la civilisation de l'Inde, n'ont pas cessé d'évoluer. Contrairement à une opinion répandue, le végétarianisme est une création récente. A une époque ancienne, on sacrifiait des vaches et on donnait la viande de vache à manger au peuple à qui on la distribuait. Il y a quelques siècles, on pouvait librement manger de la viande de vache. Je me rappelle un texte du XIIIème siècle qui dit : " notre vache est bien vieille, elle ne donne plus de lait ; nous allons la donner à un pauvre brahmane pour qu'il puisse la manger ". Aujourd'hui, les cheveux de certains hindous chauves que je vois ici se dresseraient sur leur tête à cette idée.

De même, l'hérédité des métiers, à laquelle on réduit trop souvent certaines images simplistes du système des castes, est loin d'être aussi rigoureuse qu'on le dit. Par exemple, parmi les brahmanes, on trouve des hommes d'affaire opulents comme de pauvres cultivateurs et de modestes cuisiniers. Car enfin, seul un brahmane peut cuisiner pour un brahmane, et le cuisinier d'un brahmane qui est professeur quelque part ou employé de bureau n'est pas payé comme les cuisiniers de nos grands restaurants. Donc le pauvre brahmane cuisinier est plus pauvre encore que son pauvre maître petit fonctionnaire.

Cela n'empêche pas d'ailleurs ni les uns, ni les autres, d'observer les règles de leur naissance et, en particulier, d'apprendre et d'enseigner le sanskrit dès leur enfance.

Dans une forte proportion, aujourd'hui encore, les médecins sont brahmanes. Or les médecins touchent des malades qui sont intouchables. Ils touchent le sang, ils touchent le pus. Il devraient perdre de ce fait leur pureté et donc leur caste. Or pas du tout : non seulement ils ne la perdent pas mais les médecins jouissent du prestige de leur naissance augmentée par le fait qu'ils se dévouent pour les autres.

Un autre exemple : imaginons le fils d'un potier de village qui ne peut faire concurrence à la céramique industrielle, au plastique ou à l'aluminium. Il travaillera aux champs ou en usine ; s'il en a la capacité, il fera des études. L'aide de la caste, qui est plus accessible que celle de l'Etat, spécialement réservée à ceux qu'on appelait les intouchables, est à sa disposition, en ville comme dans les villages. La caste organise des écoles, des bourses d'université, des dispensaires et des fonds d'aide contre les calamités. En fait, l'aide de la caste est un peu l'aide sociale ou même la Sécurité Sociale.

Imaginons que notre fils de potier du village soit devenu ingénieur de haut niveau dans une usine d'électronique de Bangalore. Notre fils de potier aura-t-il pour autant changé de caste ? On peut changer son nom, on peut changer la couleur de ses cheveux, on peut même maintenant changer la couleur de ses yeux, mais on ne peut pas changer ses parents. On ne peut pas changer de naissance, c'est-à-dire qu'on ne peut pas changer de caste. Si, au lieu d'employer le terme " caste ", on nous enseignait que la caste est la naissance, on comprendrait bien qu'on ne peut pas changer sa caste, puisqu'on ne peut pas changer sa naissance : nous ne pouvons pas changer nos parents ; nous ne pouvons pas changer notre hérédité génétique. De la même manière, en Inde, on ne peut pas changer son hérédité kharmique, le kharma étant le poids des actes.

Le développement économique de l'Inde a fait croître de façon considérable la classe moyenne urbaine (l'ambassadeur de l'Inde nous le disait tout à l'heure). La riche bourgeoisie commerçante et industrielle a augmenté de même. Il n'en est pas moins vrai que si la conscience de classe a augmenté parallèlement à ce développement commercial et industriel, la conscience de caste n'a pas disparu, loin de là, même chez les 200 ou 300 millions d'Indiens (selon les deux citations que nous avons eues tout à l'heure) qui appartiennent à une nouvelle société de consommation. Par ailleurs, tous les mouvements d'émancipation des basses castes qui ne se développent pas seulement dans le monde ouvrier (qui représente plus de 30 millions d'actifs), témoignent précisément que la conscience de caste est bien vivante.

Il est un autre caractère de la civilisation traditionnelle de l'Inde qui risque de faire difficulté au développement économique, c'est la permanence de son idéal de détachement. Certes, l'opposition quelque peu simpliste que l'on fait entre l'Inde, pays des valeurs spirituelles, et l'Occident, dont la civilisation serait fondée sur les valeurs matérielles, n'est plus guère de mise, même si ce refrain est encore entonné par quelques-uns, plus encore en Inde qu'en Occident, je dois le dire. Mais ce refrain n'empêche pas de reconnaître que le renoncement aux biens de ce monde est tout de même l'un des préceptes de base du christianisme.

Il n'en est pas moins vrai que tous les sages et philosophes de l'Inde l'ont prôné au cours des siècles, conscients que les plaisirs et les possessions sont essentiellement passagers, sont sans valeur non seulement à cause de la brièveté de cette vie par rapport au flot indéfini des réincarnations, mais encore du regard de l'expérience absolue à laquelle ces sages aspirent. Les sages ne considèrent les plaisirs et les possessions que comme des servitudes et des obstacles à la volonté de transcender tout conditionnement, y compris l'humaine condition.

Le non-attachement (je préfère dire " le non-attachement " que le " renoncement " ou le " détachement ") demeure aujourd'hui même l'une des valeurs les plus haut placées spirituellement et on est fier, en Inde, que son grand-père ait abandonné tous ses biens pour vivre en ascète dans un ashram de la montagne, de même que chez nous, on est fier d'un grand-père qui a acquis une grosse fortune et qui dirige sa propre usine, étant parti de rien. Est-ce à dire que l'on doive tenir la société indienne pour une société d'ascètes ? Bien sûr que non.

La question qui se pose, c'est de savoir si, vraiment, le système des castes, d'une part, et la notion de détachement, d'autre part, c'est-à-dire l'idéal de non-attachement, qui sont tellement ancrés à l'intérieur de la civilisation indienne, qui sont précisément la manifestation de cette tradition dont je vous parle et qui font que l'Inde est une civilisation traditionnelle (il faut distinguer tradition et traditionalisme, et je vous ai dit que la tradition, en Inde, pouvait se résumer dans la formule " il y a un ordre de l'univers ") sont un obstacle au développement. Nous avons vu que non.

On pourrait même dire, en se référant à ce que disait Max Weber en parlant de la société industrielle au XVIIème et au XVIIIème siècles, que l'idéal de non-attachement s'accompagne souvent en Inde d'une certaine austérité de vie chez ceux mêmes qui sont les plus riches. Ils continuent à pratiquer leur industrie, leur commerce, à amasser de l'argent, mais l'argent, dans les castes commerçantes, se trouve justifié et valorisé grâce à des dons. Effectivement, nombreux sont ceux qui donnent des legs et des sommes importantes à des institutions religieuses, culturelles ou charitables, lesquels investissements prennent place souvent dans des fondations qui favorisent le développement, tels que dispensaires, écoles ou universités.

Donc ni le système des castes, ni le non-attachement ne me paraissent être un obstacle au développement, et les faits semblent le prouver. Pourtant, on lit dans les ouvrages sérieux que le revenu par habitant en Inde est de 330 dollars, c'est-à-dire de 150 francs par mois, ou 5 francs par jour. On a tout lieu d'être effrayé par un tel niveau de pauvreté, pour ne pas dire de misère.

Heureusement, aujourd'hui le Fonds monétaire international et la Banque mondiale utilisent, pour traduire ces chiffres, le pouvoir d'achat de la monnaie locale. On arrive ainsi à des résultats qui sont plus proches de la réalité. Ainsi, aujourd'hui, selon le FMI, l'Inde est un des six Etats du monde dont le PNB dépasse mille milliards de dollars, c'est-à-dire que le revenu par habitant est de 1 150 dollars, soit environ 17,60 francs par jour. 17,60 francs, ce n'est pas beaucoup pour nous. Néanmoins, nous sommes un certain nombre ici qui allons fréquemment en Inde, qui allons dans des petites villes et qui déjeunons dans des petits restaurants (et je garantis les chiffres que je donne pour les avoir encore vérifié il y a quelques mois) où on peut avoir un plat de riz accompagné de légumes en sauce cary (que les anglais écrivent " curry " et que nous prononçons " curi ") plus un yogourt et une banane pour 12 roupies, c'est-à-dire pour moins de 2 francs.

Donc 17,60 francs par jour, c'est quand même un peu mieux que les 5 francs par jour auxquels les statistiques précédentes se référaient.

Que l'Inde soit sortie d'une économie coloniale pour arriver à ces résultats, ce n'est pas une petite affaire. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'en Inde, qui a atteint son auto-suffisance alimentaire et qui conserve constamment des stocks (nous l'avons appris encore tout à l'heure), tout le monde mange à sa faim. Beaucoup n'ont pas d'argent pour acheter de la nourriture. Il n'empêche que l'Inde s'en est bien sortie, que la pauvreté est avant tout (on l'oublie trop souvent) une question d'emploi (c'est une question brûlante chez nous aussi) et qu'en matière démographique, l'abaissement du taux de mortalité est la cause heureuse de l'augmentation de la population et non pas l'augmentation de la natalité. Le taux de natalité n'a pas cessé de baisser depuis le début du siècle mais le taux de mortalité a baissé beaucoup plus vite, ce qui fait que grâce à son développement, la population de l'Inde a augmenté, mais c'est l'un des taux d'augmentation les plus faible du tiers monde.

J'ajoute, comme on nous l'a déjà dit tout à l'heure, que de tous les pays qui ont accédé à l'indépendance après la Seconde Guerre Mondiale, l'Inde est le seul qui n'ait pas connu de coup d'Etat ou de dictature militaire et que son évolution s'est déroulée dans le cadre d'une démocratie, ce qui fait qu'elle est effectivement la plus grande démocratie du monde.

Par conséquent, le fait d'avoir une tradition vivante et non pas d'être attaché au traditionalisme n'a pas empêché l'Inde de se développer très convenablement, comme nous ne cesserons de le voir toute cette journée.

M. le Président .- Monsieur le Professeur, je vous remercie. Je crois que tout le monde a suivi votre exposé avec une attention religieuse. Nous avons le sentiment d'avoir trouvé notre place dans l'univers en vous écoutant. Je crois qu'il était indispensable de commencer notre journée en nous plongeant dans quelque chose qu'en général, on simplifie à l'extrême et qui ne nous permet pas ou nous permet mal de comprendre. Vous avez été particulièrement clair et particulièrement vivant.

Cela me rappelle l'initiation que, dans l'avion, vous m'aviez donnée quand nous voyagions ensemble, avec mes collègues sénateurs qui sont ici et que je suis heureux de saluer. Il y a ainsi une petite école foraine qui s'est organisée dans l'avion et le professeur a instruit les sénateurs.

Je vous en remercie, et je passe tout de suite la parole à M. le Président Doré.

B. LES RELATIONS FRANCO-INDIENNES

Intervention de M. Francis Doré,
Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-indienne

M. Francis Doré .- Monsieur le Président de la Commission des affaires économiques, Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, nous sommes ici pour étudier ou faire un " pari indien " : c'est le titre même de cette rencontre.

Si on fait des paris, on fait des pronostics, et grâce à Marek Halter, qui est allé les chercher hier pour la Russie, je peux vous donner les derniers pronostics de la Baring Securities, qui sont confortés par ceux de l'Exim Bank américaine : l'Inde serait, en 2010, le septième pays le plus riche du monde avant la France, qui serait, elle, le neuvième. Je laisse à la Baring Securities la responsabilité de ses pronostics, mais je vous les donne, puisque nous sommes en train de faire un pari.

J'ai été très frappé par les interventions remarquables que nous venons d'entendre. L'Ambassadeur Petit a parlé de surprise ; ce sera sur le thème de la surprise que je vais broder mon introduction, si vous le permettez. La surprise, c'est aussi le pari, parce que lorsque le pari réussit, on est agréablement surpris.

Effectivement nous avons une sorte d'imagination ou d'image collective de l'Inde qui explique - il faut bien le dire -, malgré les progrès remarquables qui ont été évoqués tout à l'heure et le fait même que ce séminaire ait lieu, un certain oubli de l'Inde et même un oubli certain dans la presse et dans les médias. Vous le savez et vous le voyez.

En fait, l'imagination collective porte avec elle l'Inde des contrastes et l'Inde des mystères. Il n'y a pas un ouvrage sur l'Inde aujourd'hui qui ne commence en parlant des " contrastes de l'Inde " qu'on met sur tous les plans : esthétique, éthique, social, politique et tout ce que vous voudrez. Le plus grand contraste, la maxima divisio serait alors le contraste entre l'Inde des grandes richesses et l'Inde des grandes pauvretés. C'est un thème qui court.

L'autre thème, c'est l'Inde des mystères. Il faut bien savoir que toute une littérature, qui continue d'ailleurs de se manifester, insiste beaucoup sur l'Inde mystérieuse. Beaucoup d'ouvrages des années 30, 40 et 50 que nos parents ont lus et que nous avons lus également parce que nous les avons trouvés dans les bibliothèques parentales, parlent de " l'Inde mystérieuse ", de " l'Inde des mystères ", de " l'Inde profonde ", de " l'Inde des tombeaux ".

J'ai été très frappé, il y a quelque temps, de voir combien on parlait du " tombeau mystérieux ", dans lequel on va retrouver bien sûr les dieux de l'Inde, dont nous parlait avec beaucoup de talent le Professeur Amado tout à l'heure. Cette Inde mystérieuse a frappé nos imaginations.

On parle donc de l'Inde des contrastes et de l'Inde des mystères, et de ces deux caractéristiques, va sortir une trilogie qui court encore les rues, une trilogie collective et imaginaire qui se fonde sur les intouchables, la vache sacrée et les maharadjahs. Au sujet des intouchables, nous savons qu'il n'y a pas si longtemps, quelque Français ingénieux s'est habillé en intouchable, est allé faire le tour de l'Inde et a publié un livre qui a eu un énorme succès, qui a été en tête des différentes listes au cours des dernières années et qui décrit la vie horrible et terrible d'un intouchable.

Quant aux vaches sacrées, il y a trois semaines ou un mois, juste avant les élections, une radio me téléphone pour me dire : " il paraît que le programme du BJP inclut l'accueil des vaches folles en Inde "... . Je leur ai répondu : " cela ne me paraît pas être dans le programme du BJP, mais il est possible en effet qu'il y ait quelques Indiens très proches des vaches sacrées qui seraient heureux de les accueillir ". Ils m'ont donc dit : " ah bon, ce n'est pas dans le programme du BJP. " J'ai alors ajouté : " mais je peux vous parler de la campagne électorale " et ils ont répondu : " non, cela ne nous intéresse pas. La seule chose qui nous intéresse, c'est l'accueil officiel par le BJP des vaches sacrées ".

Enfin, concernant les maharadjahs, pour faire savant, on parle des " nouveaux maharadjahs " de l'Inde aujourd'hui, pour montrer qu'on est à la page, des nouveaux grands industriels et de la grande bourgeoisie indienne qui s'est développée avec beaucoup de succès au cours des quarante dernières années.

On a la trilogie : les intouchables, les vaches sacrées et les maharadjahs.

Tout cela contribue en fait à l'oubli de l'Inde, parce qu'au fond, cela ne correspond pas à la vision que nous avons en Occident ; cela ne correspond ni à la modernité, ni même à la contemporanéité. Or cet oubli ne s'est pas manifesté (c'est le propre de l'oubli) à travers les médias, qui restent très silencieux sur l'Inde, qu'il s'agisse des médias de la télévision, de la radio et de la grande presse écrite. C'est ce qui explique la surprise, dont nous parlait tout à l'heure l'Ambassadeur Petit, de ces industriels qui arrivent en Inde et qui la découvrent.

L'Inde est encore à découvrir et elle sort difficilement de la captation à la fois extraordinairement créatrice mais très exclusive des spécialistes et des amateurs d'art.

Quelle est l'image de la France en Inde ? Je ne vais pas m'étendre. Nous avons un excellent caricaturiste indien qui s'appelle Mario, qui est originaire de Goa et qui représente les Français très exactement comme les Anglais représentaient les Français il y a quarante ou cinquante ans, c'est-à-dire l'homme au béret, la baguette sous le bras, qui aime à la fois le vin et les jolies filles... J'exagère un peu, bien sûr mais à peine.

Il faut dire d'ailleurs que cette image a été assez fortement contrecarrée (on peut le regretter d'ailleurs à certains égards) par les efforts tout à fait remarquables de la grande industrie française et de la finance française au cours des dernières années.

C'est donc dans ce contexte imaginaire et ces images fortes (qui ne s'effacent que lentement et auxquelles personne n'échappe : ni les dirigeants politiques, ni les dirigeants économiques) que se sont développées les relations entre les deux pays.

Je vais vous parler rapidement, puisque le temps est compté, des relations politiques, et je vous dirai aussi quelques mots des relations culturelles (pour lesquelles cela va plutôt bien) et des relations économiques (pour lesquelles cela va plutôt moins bien).

Je vois trois grandes raisons qui fondent heureusement les relations politiques entre la France et l'Inde. La première, c'est que la décolonisation s'est faite dans de très bonnes conditions. Nous avons, à l'époque de Pierre Mendès-France, négocié le retour à l'Inde des comptoirs français, que nous chantions quand nous avions 20 ans. Ce retour s'est fait à la suite d'un référendum pour Chandernagor et à la suite de traités pour Pondichéry et les autres territoires. Les choses se sont donc très bien passées et même le Pandit Nehru, à l'époque, avait envisagé que Pondichéry devienne une " fenêtre de la France sur l'Inde ".

Je ne suis pas sûr, malheureusement, que cela ait été entièrement le cas, mais il y a là un potentiel qu'il serait peut-être heureux de développer et à cet égard, je prends note que l'Université de Nanterre est entrée tout récemment dans cette fenêtre en envisageant de susciter, de créer et de motiver la création d'un Centre de formation des cadres moyens de l'industrie et de la finance en Inde. Il y a, à Pondichéry (il faut le savoir et je le rappelle rapidement) un centre scientifique et un centre d'étude de la civilisation tamoul qui est probablement le meilleur centre d'étude de cette civilisation au monde. Au fond, la fenêtre que Nehru envisageait a été entrouverte largement et un certain nombre de choses s'y sont passées.

Le deuxième point, ce sont les relations Nord-Sud. On ne sait peut-être pas suffisamment que le dialogue Nord-Sud, auquel la France a été très attachée pendant de longues années, est en fait né à Delhi, à l'issue d'une conversation entre Indira Gandhi et Valéry Giscard d'Estaing, qui était alors ministre des Finances du Président Pompidou. Nous sommes en 1973, donc avant le décès du Président Pompidou ; le ministre Giscard d'Estaing revenait de Malaisie, où il avait été inaugurer une grande foire française, il s'est arrêté à Delhi, il a eu de très longs entretiens avec le Premier Ministre indien et c'est là qu'est née l'idée du dialogue Nord-Sud, qui est une idée à la fois d'ouverture et de concertation, qui n'a peut-être pas donné tous les résultats qu'on pouvait espérer d'elle mais qui a beaucoup rapproché l'Inde et la France dans cette démarche internationale.

La troisième démarche internationale, c'est le non-alignement. Vous savez bien que la France, depuis le général de Gaulle, s'est montrée très soucieuse d'éviter la domination, à deux ou à un, d'une grande puissance dans le monde et qu'elle s'est efforcée au contraire de susciter un monde multipolaire, plus varié et plus diversifié qui correspond à l'idée de la liberté que nous avons sur le plan international.

Ce non-alignement nous a rapprochés de l'Inde à de nombreux égards et à de nombreux moments. Les rapports entre Indira Gandhi et le général de Gaulle ont été fréquents et étroits. On disait même (d'ailleurs je m'en souviens), à l'époque où j'étais en poste en Inde, qu'Indira Gandhi avait une allure gaullienne.

Et puis sont venues les années postérieures. Le Président Giscard d'Estaing est allé en Inde en 1980 et il a signé là un communiqué commun avec les autorités indiennes dans lequel il disait la compréhension de la France du non-alignement.

Les années ont passé, et j'en veux pour preuve ce qui vient d'avoir lieu à Lyon à l'occasion du G 7, où les positions françaises ont été réaffirmées à travers le Président Chirac, où on ne parle plus du non-alignement, parce que le mot n'est plus tout à fait à la mode et ne correspond plus exactement à la situation actuelle. Mais la France reste très proche de cette volonté de consolider un monde divers, c'est-à-dire un monde de liberté. A cet égard, je vois bien que l'Inde peut retrouver, avec la France et aussi avec d'autres partenaires, bien sûr, une relation très étroite.

Voilà des raisons politiques qui font que l'Inde et la France se sont senties et se sentent très proches l'une de l'autre.

Il y a aussi, bien sûr, des raisons culturelles. Comme l'ont dit tout à l'heure les divers intervenants avec beaucoup de talent, l'indologie française est parmi les plus grandes et les meilleures du monde, même si elle est en effet parfois un peu exclusive. Nous avons depuis plusieurs siècles développé une connaissance extraordinaire de l'Inde et nous avons des savants de très grand niveau dans ce domaine.

Les manifestations culturelles avec les deux pays se sont multipliées au cours des deux dernières années. Je vous en donne au moins deux exemples : le festival de l'Inde en France, en 1985, au cours duquel Rajiv Gandhi s'est réuni ici avec les représentants français et qui lui a donné l'occasion, symboliquement, (ce qui est la marque de cette portée affective que vous évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président), de verser de l'eau du Gange dans la Seine (quand vous vous baignerez dans la Seine, vous vous baignerez un peu dans le Gange) ; et la grande année de la France en Inde, dont j'étais le Commissaire général.

Il y a eu également toute une série de manifestations qui se sont accumulées au cours de ces années : on ne compte plus les échanges, les alliances françaises qui se sont multipliées en Inde, les manifestations culturelles en France qui ont crû grandement au cours des dernières années. Un centre de recherche humaine s'est créé en Inde il y a quelques années seulement et un très grand centre (qu'il faut citer et auquel il faut rendre hommage), le Centre d'Etude Franco-Indien pour la Recherche Avancée, a été créé il y a une douzaine d'années à Delhi. Ce dernier permet à des savants des deux pays de se rencontrer afin de faire avancer la recherche dans des domaines scientifiques de très haut de gamme : physique des solides, électromécanique, etc.

Par conséquent, des relations politiques et culturelles très heureuses, très fécondes et très nombreuses ont été nouées.

J'en arrive au chapitre économique, où les choses vont un peu moins bien. Elles vont mieux, certes, mais elles pourraient encore aller mieux. On le dit, on le répète et pardonnez-moi de le répéter encore, mon cher Philippe Petit.

Nous étions le cinquième partenaire de l'Inde jusque dans les années 1990-1991. Nous sommes devenus le quinzième, le seizième, le dix-septième ou même le dix-huitième. Cela veut dire qu'un grand nombre de pays sont passés devant nous : les concurrents traditionnels et les concurrents non traditionnels. Je ne vais pas tous les citer car ce serait lassant.

Même si les chiffres absolus sont en légère progression (et on doit s'en féliciter), il y a une régression relative incontestable. Donc sur le plan des investissements et sur le plan commercial, où les choses vont un peu mieux, il est vrai, nous ne sommes plus parmi les premiers.

Il faut essayer de chercher les raisons de ces relations qui sont insuffisantes, quels que soient les efforts très remarquables qui sont faits de part et d'autre (je me plais à le dire), à la fois sur le plan politique, sur le plan de l'administration et sur le plan des industriels. Tout à l'heure, je vous parlais de l'année de la France en Inde, et je vous signale au passage que sur ce plan, on n'a jamais réuni un mécénat aussi abondant en France de la part des industriels français, qui ont donc largement contribué au succès de l'année de la France en Inde.

Alors pourquoi ne réussit-on pas mieux ? Il y a plusieurs raisons et je voudrais simplement en citer quelques-unes rapidement.

La première, c'est que, probablement, nous sommes plus à l'aise dans une économie administrée que dans une économie libérale, que les choses nous paraissent parfois plus faciles, car nous avons été et nous sommes encore largement administrés et que l'économie libérale ne nous paraît pas toujours très facile à manier et les contacts très faciles à établir.

La deuxième raison, c'est que nous sommes peut-être moins bons maintenant parce que nous véhiculons avec nous non seulement un certain nombre d'images passéistes que j'évoquais tout à l'heure, mais des images passéistes récentes. La libéralisation est récente en Inde ; elle n'a que quelques années. Nous restons donc marqués par les images que nous avons reçues lorsque nous étions dans les tout premiers avec l'Inde et que les choses étaient beaucoup plus difficiles.

La troisième raison, c'est que nous faisons peut-être un peu trop d'expectative et pas suffisamment d'investissements. Ce terme de " pari " qui figure aujourd'hui en tête de notre réunion me paraît bien caractéristique à cet égard.

Par ailleurs, nous avons peut-être les mêmes qualités et les mêmes défauts que les Indiens. Or je me demande si, dans un mariage, il ne vaut pas mieux être complémentaire que semblable. C'est une réflexion que je vous laisse.

Enfin, puisqu'il faut bien attribuer aux Indiens quelques responsabilités dans tout cela, je me demande parfois si l'image de l'Inde en France ne mériterait pas un peu plus d'efforts de la part de nos grands amis et partenaires.

Je voudrais maintenant conclure sur quelques notes d'espoir, parce qu'il faut bien espérer. Je fais le pari, avec les pronostics de la Baring, mais aussi avec les analyses que nous pouvons tous faire les uns et les autres, forts de ce que nous savons et de ce que nous ressentons. Il y a, au fond trois prises de conscience importantes de la France aujourd'hui et que la France mène particulièrement bien.

Il y a d'abord une prise de conscience de l'image de l'Inde moderne. L'Inde de 1996 n'est plus celle de 1990 et, a fortiori, de 1960. Les développements de ce séminaire devraient en témoigner. C'est très important.

La deuxième image est celle d'un très grand marché. Je parle là d'une image d'intérêt, en quelque sorte. On nous a dit tout à l'heure que l'Inde comptait une classe moyenne qui s'est développée et qui s'inscrit en faux de plus en plus contre les contrastes que j'évoquais tout à l'heure et qui font partie des images véhiculées et passéistes. Cette Inde de la classe moyenne qui se développe, qu'on chiffre à 100, 150 ou 200 millions et parfois plus, est composée de gens qui ont un pouvoir d'achat, comme le disait très bien le Professeur Amado, sans commune mesure avec le taux de change.

La troisième prise en compte, c'est celle de l'importance stratégique de l'Inde par sa masse économique, par son devenir, par sa masse démographique, par sa place en Asie. Comment peut-on négliger l'Inde ? Comment peut-on oublier l'Inde ? Ce n'est plus possible si la France veut jouer un rôle dans ce monde.

Il me reste deux réflexions à faire, après quoi j'en aurai terminé.

Je crois que la libéralisation est heureuse pour de multiples raisons.

L'une de ces raisons, c'est qu'elle marginalise dans une certaine mesure les heurts politiques qui peuvent se manifester entre les pays, les Etats et les pouvoirs publics. La presse en a parlé et on peut donc l'évoquer une demi-seconde : les nécessités ou les impératifs de certains carnets de commandes risquent en effet de poser des problèmes. Par ailleurs, nous avons quelques différences de point de vue dans le domaine de la politique nucléaire avec l'Inde et dans l'évolution (à l'heure actuelle, nous sommes en plein dedans) du Traité d'interdiction définitive des essais nucléaires.

Mais ce que je veux dire, c'est que la libéralisation fait que les affaires continuent en dehors de ces frictions qui peuvent se manifester. J'en veux pour preuve le fait que les Etats-Unis aient été le premier partenaire de l'Inde depuis 1947. Or nous savons tous que les relations politiques entre les Etats-Unis et l'Inde n'ont pas toujours été parfaites, et j'utilise là une litote. Les Etats-Unis sont un grand pays libéral, et on peut attribuer au le fait que les échanges aient pu se développer comme ils se sont développés, sans être heurtés par les divergences d'appréciation politique ou les rapports parfois difficiles entre Etats.

Enfin, je terminerai (et ceci ne vous surprendra pas, Monsieur le Président) par le partage de la liberté. Je crois en effet que le partage de la liberté doit déterminer nos choix à la fois dans nos relations internationales et dans nos relations bilatérales entre la France et l'Inde.

M. le Président .- Je remercie le Président Doré qui a réussi à résumer et à animer, à rendre extrêmement vivante cette introduction dans les rapports franco-indiens. Je crois qu'il est juste de dire que ces rapports sont en pleine évolution et dans une évolution positive.

Nous en arrivons à notre première plage de débat. Qui souhaite intervenir ?

M. Jean-Paul Virapoulle .- Monsieur le Président, je suis député de la Réunion, président du Groupe d'amitié franco-indien à l'Assemblée Nationale et je vous remercie de cette initiative.

En lisant votre rapport, je me suis aperçu (nous le savions déjà pour un certain nombre) qu'il n'y a pas une Inde mais divers Etats et que chaque Etat représente une capacité de contribution et de partenariat avec la France.

L'idée que j'essaie de développer à l'Assemblée Nationale et qu'on pourrait peut-être mettre en accord avec vous si vous l'acceptiez, c'est de faire connaître l'Inde à la France. La France ne connaît pas l'Inde, et cela ressort de tous les exposés. Or la méthode que nous pourrions utiliser, si nous en étions d'accord (et cela pourrait faire l'objet d'un débat), pour atteindre cet objectif consisterait à régionaliser l'information.

La France comporte 22 régions dynamiques qui rassemblent des chefs d'entreprise et de PME PMI qui représentent une technicité et un savoir-faire. L'idée que nous avons essayé de mettre en oeuvre (et le fait que je sois député d'un département d'outremer ne me permet pas d'être aussi souvent que je le souhaite à Paris) serait de joindre nos efforts avec les vôtres, vous qui êtes un expert, pour aller dans certaines régions françaises en compagnie de l'ambassadeur afin de développer les exposés que nous entendons aujourd'hui, de faire connaître l'Inde, de rassembler un certain nombre d'initiatives prises par les industriels de ces régions et de les mettre en partenariat avec les industriels des Etats (logiciels pour Bangalore, industrie pour Madras, etc.), dans une approche ciblée et efficace de l'Inde.

Voilà, Monsieur le Président, le sens de ma contribution et en même temps de ma question et de ma proposition.

M. le Président .- Monsieur le Député, je vous remercie de votre intervention et je voudrais tout de suite vous donner mon accord. Il est en effet tout à fait important de porter le message de l'Inde, si j'ose dire, dans nos différentes régions et, dans toute la mesure du possible, de faire en sorte que ces diversités indiennes soient perçues par les Français et les chefs d'entreprise de l'ensemble de la France.

La seule chose que je voudrais ajouter, c'est que ce que vous dites est, me semble-t-il, déjà en cours, et comme l'ambassadeur me le disait, on peut peut-être très rapidement faire le tour des initiatives. Je peux vous dire que, moi même, il n'y a pas longtemps, à Bordeaux, j'ai animé une réunion sur l'Inde qui était d'ailleurs souhaitée par les animateurs du port de Bordeaux, qui ont été choisis pour faire les opérations de dragage du port de Calcutta, qui conçoivent beaucoup d'espoirs à ce sujet mais qui sont en négociation à Calcutta depuis un bon nombre d'années. Ils nous ont permis de toucher du doigt les difficultés, les pesanteurs et les lenteurs de ce dialogue à la fois avec l'Etat et le pouvoir fédéral, mais je crois qu'ils sont en train de sortir de leur tunnel administrativo-politique.

Il est certain que c'est cette démarche, qui consiste à aller à la rencontre des acteurs sur le terrain, qu'il faut suivre, et ce n'est pas le sénateur du Lot-et-Garonne qui sera en désaccord avec vous.

Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pouvez nous dire ce qui se fait de ce point de vue ?

M. Ranjit Sethi .- Je ne ferai que quelques brèves remarques.

Tout d'abord, je suis heureux de vous annoncer que l'accord qui était en négociation entre le port de Bordeaux et les autorités de Calcutta a abouti, comme cela a été annoncé il y a quelques jours. Donc une collaboration régionale s'est déjà tissée.

En outre, la Région Aquitaine a pris l'initiative de faire non pas un jumelage mais un partenariat avec une région en Inde, le Karnataka, dont vient notre actuel Premier ministre.

Cet effort régional se poursuit dans les domaines où les intérêts sont susceptibles de se manifester. Moi-même, j'ai été à la Réunion ainsi qu'à la Guadeloupe et j'ai pu le faire grâce à votre initiative et au soutien que vous m'avez apporté, de même que grâce aux autres députés qui ont souhaité créer cette ambiance qui peut mettre à contribution nos diverses communautés d'origine indienne ou française pour améliorer et augmenter le niveau des relations entre l'Inde et la France.

Par ailleurs, nous revenons de Lyon, où nous avons eu une rencontre très importante, parrainée par le CNPF, avec les entreprises indiennes qui ont monté une mission, qui va elle-même se rendre à Bordeaux.

Il y a donc une initiative à base régionale qui est prise actuellement. Du reste (et le Président Doré va vous en dire un peu plus), le noyau qui existe autour de la Chambre de commerce franco-indienne à Paris se ramifie dans les collaborations, afin de mettre en valeur les possibilités qui existent dans les régions et les intérêts que manifestent à la fois les chefs d'entreprise et les administrations locales pour améliorer et augmenter la collaboration à base régionale avec l'Inde.

M. le Président .- Monsieur le Président Doré a la parole.

M. Francis Doré .- Un mot seulement. On assiste à l'heure actuelle à une prise de conscience régionale tout à fait étonnante sur l'Inde, et tout ce qui vous a été dit tout à l'heure à la fois par M. Francois-Poncet et l'ambassadeur de l'Inde correspond à la réalité.

Pour ce qui concerne la Chambre de commerce franco-indienne, nous avons signé récemment des accords avec des régions comme Midi-Pyrénées et les Pays de la Loire (et nous envisageons d'en signer quelques-uns encore, bien sûr), dans le cadre desquels l'action que vous envisagez, Monsieur le Député, pourrait se mener.

Donc je suis certain que les organisations régionales qui regroupent quatre, cinq ou six départements, comme vous le savez, seraient très heureuses d'accueillir des représentants français du Parlement et ceux qui connaissent un peu l'Inde pour venir s'adresser à eux et faciliter les relations industrielles.

Sur ce plan, il y a d'ailleurs un développement très remarquable des relations industrielles régionales. Je viens de parler de Midi-Pyrénées et des Pays de la Loire, mais l'Aquitaine a été citée tout à l'heure et il y a aussi les régions de l'est, du nord et du centre qui ont mené récemment un certain nombre de missions en Inde.

Je crois donc que votre idée est très bonne. Essayons de l'appliquer dans le cadre de ce qui existe à l'heure actuelle.

M. le Président .- Je ferai une observation complémentaire. Pendant notre voyage, nous avons eu l'occasion de rencontrer un grand nombre d'industriels français (c'était d'ailleurs l'un des objectifs) et parmi ceux-ci, il y avait quelques chefs de petites entreprises.

Cet après-midi, nous aurons une table ronde avec le président de Danone et les présidents de grandes sociétés comme EDF et Saint-Gobain Pont-à-Mousson. On n'est pas étonné qu'elles aient les moyens de s'installer, mais on s'interroge toujours sur le fait de savoir si des petites et moyennes entreprises peuvent le faire, si le pari indien est réservé aux plus grandes ou s'il est ouvert à des entreprises d'une autre dimension.

Je peux vous dire que nous avons rencontré quelques tout petits chefs d'entreprise qui étaient très heureux de leur installation. Evidemment, ils sont associés avec des Indiens, mais c'est la conclusion sur laquelle tout le monde se retrouve : il faut avoir des associés indiens.

Je voulais soumettre cette constatation à votre réflexion, qui vaut particulièrement quand on parle de contacts dans la province française, où on rencontre souvent des chefs de petites ou de moyennes entreprises qui se demandent s'il est raisonnable de faire le pari indien. La réponse est oui, à condition de prendre les précautions nécessaires et à condition de se placer sous la protection de notre ambassade là-bas. Je vois le conseiller commercial qui me regarde et qui sourit. M. de Ricaud est tout à fait conscient de l'intérêt qui tient à favoriser des rapports entre cette catégorie d'entreprises.

Une autre intervention ?

M. Robert Holtz - Je représente l'Association mondiale des petites et moyennes entreprises, qui est une initiative indienne, dont le siège est à New Delhi, et qui regroupe des délégations dans 104 pays-membres, 93 pays du tiers-monde et 11 de l'OCDE.

Si des actions peuvent être menées pour accroître les relations entre l'Inde et la France, c'est peut-être à travers les PME. Etant moi-même représentant de cette association auprès de l'UNESCO et de l'OCDE, je constate que des organisations internationales s'appuient de plus en plus sur les PME en matière d'emploi et de développement économique.

Cette association mondiale des PME dispose de moyens relativement importants en Inde. Elle publie tous les mois des bulletins de recherche de partenariat entre des entreprises indiennes et françaises. Malheureusement, je me sens bien seul ici, en France, pour organiser ces contacts.

Je suis également frappé du fait que les Indiens ont décidé d'ajouter une composante humaine à ces efforts de partenariat entre entreprises indiennes et mondiales. Nous voudrions lancer un mouvement de l'entreprise pour la paix qui permettrait d'introduire la composante humaine dans l'action qui pourrait être menée entre les deux pays.

Je voudrais savoir comment, avec l'aide des hautes instances ici présentes, nous pourrions entreprendre un véritable mouvement de partenariat entre les PME indiennes et les nôtres, notamment en France et dans les régions...

M. le Président - Je vais donner la parole à M. de Ricaud, car c'est un sujet que nous avions abordé là-bas. Je crois savoir qu'il y a en effet une grande demande de partenariat du côté indien...

M. Yves de Ricaud - Tout d'abord, je remercie M. le député d'avoir abordé le problème des missions des chambres de commerce ou des collectivités locales, si problème il y a.

Je dois dire -je parle sous le contrôle de l'ambassadeur- que nous ne sommes pas submergés de missions ! Il est vrai qu'il y en a plus qu'avant et qu'il s'en annonce un certain nombre, qui viennent de différentes régions, composées de responsables d'entreprises, mais nous sommes ouverts et prêts à participer à l'accueil et à l'organisation de ces missions.

Concernant les PME, je serais ravi de recevoir votre bulletin. Je ne manquerai pas de vous envoyer les publications des deux postes d'expansion économique de Bombay et de Delhi, en attendant celui de Bangalore, dans quelques mois.

Nous avons maintenant un programme de développement commercial en Inde extrêmement ambitieux qui s'adresse clairement aux PME. Nous aurons cette année six participations collectives à des expositions indiennes, aussi bien à Delhi qu'à Bombay, et même à Chandigarh, avec l'aide de la région Languedoc-Roussillon. Nous aurons également à peu près autant de séminaires, organisés en particulier avec l'aide de l'ACTIM. Toutes ces occasions de visites collectives et de rencontres avec les entreprises indiennes sont essentiellement dirigées vers les PME.

Non seulement il n'y a pas d'interdit en ce qui les concerne, bien que le marché indien ne soit pas un marché évident, mais il y a au contraire une véritable aspiration du côté des entreprises indiennes à coopérer avec leurs homologues françaises.

M. Pierre Amado - Un mot à ce sujet... Je dirige depuis un certain nombre d'années un programme de coopération franco-indienne sur l'énergie solaire dans les villages de l'Inde, et je travaille donc avec des PME et des PMI françaises, dont l'attitude est très significative.

Tout d'abord, ce sont des entreprises qui n'ont pas suffisamment de finances pour se permettre de travailler pendant trois ou quatre ans sans gagner d'argent. Elles ne peuvent pas non plus avoir de bureau en Inde ou de représentant sans savoir ce qui va se passer, car cela coûte cher.

Certains directeurs de PME, lorsqu'ils viennent en Inde pour prendre contact avec des industriels, doivent trouver un billet à prix réduit, loger dans un hôtel qui ne soit pas trop cher et s'en vont au bout de 4-5 jours car on les attend dans leur entreprise !

C'est une attitude inconciliable avec la manière dont les choses se passent en Inde, car il faut parfois attendre des semaines pour obtenir un rendez-vous, qui est déplacé ! Celui qui n'a pas possibilité de s'installer et de perdre de l'argent pendant quelques années ne peut réussir en Inde.

J'ajoute aussi, à la décharge des PME françaises, que beaucoup d'entre elles sont davantage tentées par des marchés captifs comme les DOM-TOM et les programmes en Afrique ou en Amérique latine. Or, l'Inde a un marché potentiel énorme et se développe très bien, mais c'est un pays difficile. " Ces gens-là " ne parlant même pas français, les responsables des PME-PMI considèrent l'Inde comme un marché réservé à d'autres...

M. Jean Bart - Je suis membre de l'Institut des langues orientales, et je voudrais appuyer avec force ce que Pierre Amado a dit sur le fait que les valeurs fondamentales de l'hindouisme ne sont pas un obstacle au développement économique.

J'ajouterai que le " dharma ", dont vous avez parlé -c'est-à-dire l'ordre socio-cosmique- n'est pas seul dans la hiérarchie des valeurs : il y a également l'" artha ", c'est-à-dire le profit, et le " karma ", c'est-à-dire la sensualité. C'est un système idéologique où il n'est pas honteux de faire du profit. Il s'agit d'une valeur reconnue par tout le monde, de même que la sensualité, si bien que c'est nous, davantage que les Indiens, qui pourrions passer pour des idéalistes !

Par ailleurs, vous avez bien dit qu'on ne peut changer de naissance mais, tout en gardant la même naissance, on peut changer de catégorie sociale, de " varna " ! Il y a donc vraiment une possibilité de mobilité sociale dans le système indien...

M. le président - Je préfère ne pas ouvrir un débat de spécialiste, quoi que ce soit très important. J'ai d'ailleurs tenu à cette introduction, et je vous remercie de votre intervention, qui confirme ce que le professeur Amado a dit. C'est une façon des dresser le décor. Faisons maintenant entrer les acteurs de la vie économique !

Un intervenant - Il ne faut pas négliger la réciprocité dans ce débat. Il y a aussi un pari français des Indiens, et pour le succès des relations franco-indiennes, je souhaiterais qu'on n'oublie pas la recherche de la pénétration indienne dans le marché français.

M. le président - Cela me paraît tout à fait judicieux ! Vous avez raison de dire que ceci doit être abordé. Cet après-midi, nous entendrons plusieurs interventions d'hommes d'affaires indiens, qui viendront donner la réplique -et peut-être apporter la contradiction- à leurs homologues français.

Beaucoup des Indiens qui animaient la réunion de Lyon, que nous évoquions, sont parmi nous, et nous aurons le bénéfice de leurs interventions.

Je suggère qu'au cours du déjeuner, des contacts bilatéraux soient établis, afin de savoir comment donner suite aux espoirs des uns ou aux projets des autres...

Nous allons maintenant passer au défi économique auquel le Gouvernement indien est confronté.

M. Philippe Petit - Le Gouvernement indien actuel, dirigé par M. Deve Gowda est un Gouvernement de coalition composé de nombreux partis.

Ceci lui impose un certain nombre de défis, d'abord de nature politique avant d'être de nature économique. Ces défis, ce sont d'abord la différence qui existe entre les tendances qui composent cette coalition, qui s'échelonnent du parti du Congrès, dont un certain nombre de dissidents sont membres du Gouvernement -le parti du Congrès proprement dit soutient le Gouvernement sans participation, mais compte 140 députés- jusqu'au parti communiste indien, qui participe au Gouvernement, et au parti communiste indien marxiste, qui le soutient sans participation. Entre les deux, on trouve une série de mouvements politiques et un certain nombre de partis régionaux...

Il existe bien évidemment des divergences ou des nuances entre les différentes composantes du Gouvernement actuel, et l'on pourrait avoir l'impression d'un Gouvernement assez disparate. Le lien qui les unit est leur attachement au sécularisme et la volonté d'éviter que le parti du BJP n'accède au Gouvernement. Cela ne signifie donc pas a priori qu'il y ait une commune orientation au sein de ce Gouvernement en matière de politique économique.

Le second défi réside dans le fait que, pour la première fois, ce Gouvernement est composé pour l'essentiel et dirigé par des politiciens qui ont peu d'expérience du Centre, originaires de castes moyennes ou basses, et qui n'ont que l'expérience de la politique locale. Quand on parle de politique locale en Inde, ce n'est pas à l'échelle départementale française, mais à l'échelle d'Etats qui comptent de 50 à 150 millions d'habitants !

Le troisième défi est naturellement le problème de la durée de ce Gouvernement. Il bénéficie de soutiens divers. Ceux-ci peuvent à un moment ou un autre se retirer, et personne n'est vraiment en mesure à l'heure actuelle de dire si ce Gouvernement pourra durer toute une législature. L'opinion indienne en doute. Des sondages montrent que l'opinion indienne considère que ce Gouvernement a des chances de durer entre un an et deux ans, mais pas forcément plus. Cela ne vaut évidemment que ce que vaut un sondage.

Il faut préciser que le soutien des 140 députés du parti du Congrès est vital, et que le Congrès continue à détenir la clef de la survie de ce Gouvernement pour une part très importante. Tant que le Congrès soutiendra ce Gouvernement, il a des chances de rester ; le jour où le Congrès lui retirera son soutien, il sera condamné ! Mais le parti du Congrès ayant connu l'échec que vous savez lors des dernières élections, il n'est certainement pas en mesure de préparer de nouvelles élections générales dans de bonnes conditions, et n'y a pas intérêt : il faut d'abord qu'il puisse reconstituer ses forces.

Personne n'étant en mesure de dire ce que sera la durée de ce Gouvernement, son rythme de travail est plus rapide -et peut-être plus efficace- que celui du Gouvernement dirigé par M. Narashima Rao, qui avait la durée pour lui, et qui pratiquait une très sage lenteur dans la prise des décisions.

Les dirigeants, souvent des politiciens locaux, sont plus proches des problèmes concrets, de la population et ont l'expérience pratique des difficultés que rencontre la population indienne dans chacun des Etats.

Qu'en est-il du défi concernant les différentes tendances et les différentes orientations portant notamment sur la politique économique ?

L'objectif affiché est de poursuivre la politique de libéralisation et d'ouverture. La preuve en est la désignation au poste de ministre des finances de M. Chidambaram.

En fait, l'arbitrage entre les tendances populistes ou gauchistes de certains participants au Gouvernement et la tendance libérale d'économie de marché et d'ouverture a été réalisée avant la composition du Gouvernement.

En effet, il a fallu que M. Deve Gowda tranche face à l'opposition des communistes et du Congrès à la nomination de M. Chidambaram -les communistes parce qu'ils le trouvaient trop libéral, le Congrès parce qu'il considérait avoir des comptes personnels à régler avec lui... Mais le Premier ministre a tenu bon et a imposé M. Chidambaram comme ministre des finances.

Or, M. Chidambaram est un libéral encore plus convaincu que son prédécesseur, M. Manmohan Singh. M. Chidambaram est un " libéral né ", si je puis dire, formé à Havard, avocat à succès qui a été ministre du commerce dans le Gouvernement de M. Narashima Rao, où il a été l'un des deux ou trois grands artisans de la politique de libéralisme et d'ouverture...

Il existe cependant des difficultés à surmonter. D'abord des réticences, de la part des syndicats essentiellement, et des partis communistes qui inspirent ou animent certains de ces syndicats. Ils s'opposent surtout à la réduction de l'emploi pléthorique dans les entreprises publiques et dans la fonction publique, ce qu'on appelle " exit policy " en Inde. Ceci pose un gros problème social, même si l'on est arrivé à créer l'année dernière 7 millions d'emplois nouveaux en Inde, alors que l'objectif du docteur Manmohan Singh était de créer chaque année 10 millions d'emplois nouveaux, ce qui donne à réfléchir...

Il faut pourtant garder à l'esprit des notions de relativité, et je n'en donnerai qu'un seul exemple. Le seul des Etats de l'Inde dans lequel il y ait eu des privatisations pendant les cinq années du Gouvernement Narashima Rao a été le Bengale occidental, dirigé depuis dix-neuf ans par les communistes.

Ce parti communiste, comme l'hindouisme qui ne s'oppose pas à la notion de profit, ne s'oppose pas non plus, en Inde, à la notion de profit. Il est en cela proche des partis communistes chinois ou vietnamien d'aujourd'hui.

M. Jyoti Basu, le grand dirigeant communiste de Calcutta, dit n'avoir absolument rien contre l'entreprise privée ni contre les investissements étrangers, et souhaite au contraire des investissements étrangers et plus d'investissements français. Il faut donc prendre toute cette notion d'opposition avec un grand esprit de relativité.

En revanche, une nécessité s'impose à ce Gouvernement, au vu des difficultés électorales rencontrées par le Gouvernement précédent, bien qu'il ait parfaitement réussi sur le plan économique : il s'agit de programmes efficaces de lutte contre la pauvreté. Ces programmes sont naturellement une charge pour le budget de l'Etat. C'est là que se situe le vrai défi économique, avec le risque d'accroissement du déficit du budget de l'Etat, qui est lourd.

Il faut que ce déficit soit contrôlé et limité pour poursuivre la politique de croissance et d'inflation contrôlée, qui constitue le succès de la politique économique indienne actuelle.

Il faut avoir à l'esprit que le développement de l'activité économique a pour effet d'accroître les recettes de l'Etat, et donc de permettre le développement de ces programmes de lutte contre la pauvreté.

On ne pourra faire indéfiniment l'économie d'une réforme fiscale profonde. Le système indien est très archaïque et aurait besoin d'être modernisé, mais, en Inde, comme dans tous les pays, il est très difficile d'entreprendre une réforme fiscale, surtout pour un Gouvernement qui n'est pas assuré d'une grande durée.

Ce Gouvernement va donc certainement mettre l'accent sur des mesures très concrètes. La campagne électorale a montré ce qu'était la demande prioritaire des électeurs : de l'eau, de l'électricité et des routes. On peut penser que ce Gouvernement va s'attacher en priorité à satisfaire ces besoins essentiels tels qu'ils ont été exprimés par la population.

Les nouveaux ministres que j'ai rencontrés m'ont frappé par leur attitude très concrète. Ils ne se paient pas de grands mots ni de grandes phrases, mais cherchent à résoudre les problèmes concrets immédiats et souhaitent, eux aussi, comme leurs prédécesseurs, que la France et les entreprises françaises y participent. C'est vrai aussi bien pour le ministre des télécommunications que pour celui des chemins de fer. Je vais d'ailleurs voir le Premier ministre dans quelque jour...

D'éventuelles nouvelles élections à l'échéance de deux ans ne mettent pas en cause la stabilité générale du pays ni du système, puisque le mécanisme démocratique est très solidement établi. S'il y a une alternance de Gouvernement, cela n'entraîne aucun bouleversement et ne met pas en cause la stabilité véritable de la société ou du pays, ni même des orientations économiques.

On a d'ailleurs vu, avec le bref intermède de la tentative de formation d'un Gouvernement BJP, que les orientations exprimées par M. Vajpayee n'étaient pas bien différentes de celles du Gouvernement congressiste d'auparavant, ni de celles de l'actuelle coalition.

Je voudrais insister en terminant sur un aspect important qui est celui d'une accélération du mouvement de décentralisation. Celui-ci a déjà été amorcé sous M. Narashima Rao, par rapport à la tendance antérieure, qui était centralisatrice surtout du temps de Mme Gandhi. Le mouvement va certainement s'accélérer, dans la mesure où les dirigeants actuels sont issus de la politique locale et restent très attachés à leurs Etats. Les partis régionaux jouant un rôle important dans le Gouvernement actuel, ces Etats vont peser davantage dans la prise de décisions et dans la réalisation des projets économiques.

Pour nous, Français, il est très important d'avoir cela à l'esprit et de savoir qu'il ne suffit pas de se rendre à Delhi, auprès du Gouvernement central. Il faut aller dans les Etats, rencontrer les ministres en chef, les ministres des gouvernements des Etats, car beaucoup de décisions importantes seront prises à ce niveau, et simplement approuvées au niveau du centre. L'élément moteur va donc de plus en plus se trouver dans les Etats.

Pour conclure, je crois qu'on peut dire qu'il ne faut pas trop craindre l'instabilité, même si ce Gouvernement ne dure pas et si de nouvelles élections peuvent avoir lieu. Tout indique, suivant la façon dont les dernières se sont déroulées, qu'elles se passent sans remous, sans heurts et sans troubles, et qu'il y a une grande continuité dans les orientations.

M. le Président - Les observations de l'ambassadeur se résument en deux mots : le premier est la démocratie. L'Inde vient en effet de traverser des élections qui représentent le plus grand bouleversement politique depuis l'indépendance, et la démocratie fonctionne sans histoire, comme elle fonctionnerait chez nous, sinon un peu mieux !

Par ailleurs, la politique économique modifiée -cette politique reconvertie à l'image de ce qui se passe dans le reste de l'Asie- est marquée au sceau de la continuité. Nous avons été nous aussi frappés, en allant à Calcutta, d'entendre les représentants du Gouvernement communiste, avec lesquels nous avons dialogué, tenir le langage du marché, du libéralisme et de la recherche d'investissements privés.

La parole est maintenant à Maître Frilet, qui est avocat, juriste, associé au bureau Francis Lefebvre, et qui est spécialisé dans les problèmes que posent les relations avec le tiers-monde et en particulier avec l'Inde.

C'est un problème majeur, car en Chine, par exemple, comme dans tous les pays communistes, il n'existe pas encore de système juridique vraiment constitué, si bien que les négociations peuvent poser toutes sortes de problèmes et réserver toutes sortes de surprises dans la mise en oeuvre des accords qui ont été conclus.

Telle n'est pas la situation en Inde, où il y a au contraire un passé juridique, un ensemble de règles et de lois impressionnant, et des tribunaux qui, à tous les niveaux, sont marqués par l'indépendance.

S'il existe des recours de droit, cette situation très positive, qui n'existe que dans un petit nombre de pays du tiers-monde, comporte aussi son revers. Le système est si bien établi, il est si développé, qu'on y rencontre des difficultés qui me font parfois penser à celles du système juridique français : d'appel en appel, on peut attendre dix ans pour qu'un différend soit tranché, et les partenaires indiens sont habiles à utiliser ces complexités du système juridique.

Entre les avantages et les problèmes que cela comporte, je voudrais qu'un juriste qui connaît la situation indienne nous dise ce qu'il y a lieu d'en penser, et les conclusions que des chefs d'entreprise français seraient bien inspirés d'en tirer...

C. LE CADRE JURIDIQUE DE LA LIBÉRALISATION
DE L'ÉCONOMIE INDIENNE

1. Intervention de M. Marc Frilet,
Avocat associé au Bureau Francis Lefebvre

M. Marc Frilet - Le titre qui m'a été attribué est le cadre juridique de la libéralisation de l'économie indienne. Cela révèle tout à fait la problématique que je vais devoir aborder, qui est certes de savoir comment traiter les questions juridiques, comment préparer une négociation, comment verrouiller un contrat, mais le tout dans un cadre spécifique, celui de l'évolution de l'économie indienne dans le sens de la libéralisation...

Pour bien comprendre ce nouveau cadre juridique, il est essentiel d'avoir une connaissance suffisante du cadre juridique traditionnel indien et de sa pratique, car il reste encore très présent.

Ce n'est qu'ensuite qu'on pourra utilement évoquer l'ampleur des changements intervenus en matière de libéralisation, à travers un rappel des principales mesures.

Enfin, je m'attacherai à analyser les conséquences pratiques de cette libéralisation sur l'approche juridique du marché indien, en mettant en relief à la fois les contraintes qui demeurent et les perspectives à mon avis fort prometteuses pour nos entreprises dans certains secteurs.

Dans un monde aussi élaboré que le monde indien, le cadre juridique dépasse largement la simple connaissance du droit des affaires mis en oeuvre par les tribunaux. Il doit également englober, si l'on veut bien comprendre ce pays, toute une superstructure réglementaire complexe, traitant d'une part des relations des sociétés indiennes entre elles et, d'autre part, des relations entre les sociétés indiennes et étrangères.

Pour brosser à grands traits le cadre juridique traditionnel et sa pratique, il faut faire un certain nombre de rappels.

L'Inde a été pendant vingt ans, et jusqu'au début de cette décennie, une des économies les plus dirigistes du monde, et très fermée aux étrangers. L'exportation de produits étrangers vers l'Inde était quasiment impossible ; un système très complexe de licences d'importation préalable à toute transaction interdisait notamment l'exportation vers l'Inde des produits de consommation et des produits manufacturés, à l'exception des biens de production, dont il fallait justifier, à travers un système de licences toujours complexes à obtenir, la nécessité impérative pour l'économie indienne.

Même dans ce cas, on hésitait souvent à conclure une transaction face à l'ampleur des droits de douanes, qui ne permettaient pas toujours aux clients indiens de payer le prix.

La principale alternative était constituée par la production en Inde à travers une filialisation. Mais cette alternative était également très difficile à mettre en oeuvre, car il existait en Inde un système de licences industrielles très rigoureux, imposant aux entreprises productrices toute une série d'obligations de multiple nature quant aux quantités à produire, aux lieux dans lesquelles elles pouvaient produire, aux limites de consommation en électricité et en eau, etc.

D'autre part, cette réglementation ne permettait pas aux étrangers de constituer des filiales à 100 %, et en pratique, dans la plupart des cas, à condition d'avoir des autorisations, on ne pouvait posséder que 40 % dans ces filiales.

Enfin, toute constitution de société commune était subordonnée à un engagement de transfert de technologie.

Quelques solutions intermédiaires pouvaient être trouvées, surtout pour les grandes entreprises, en particulier dans le secteur militaire et les grands projets d'infrastructure. Sur ce plan, les Français ont réussi un certain nombre de contrats. Tout n'a pas été facile, mais il faut dire que la période avant 1991 était assez délicate à cet égard...

Pour finir, l'Inde avait un contrôle des changes extrêmement rigoureux et tatillon, qui posait beaucoup de problèmes lorsqu'on cherchait à développer des échanges avec ce pays.

Ce dirigisme économique omniprésent a engendré, au-delà du simple droit des sociétés, une superstructure réglementaire incroyablement complexe et il fallait passer énormément de temps à déterminer cas par cas et projet par projet le type de réglementation administrative applicable.

De plus, l'Inde est un état fédéral, et si le rôle du Centre est très important dans l'approbation générale d'un projet, il faut également obtenir une série d'autorisations de l'Etat local. Les praticiens de l'Inde connaissent bien les imprimés administratifs qui établissent, sur des vingtaines de pages, la façon dont on doit élaborer un plan d'entreprise, ou le " non objection certificate " dans lequel on demande à l'administration qu'elle ne s'oppose pas à un projet...

Cette superstructure réglementaire a été mise en oeuvre par une administration très tatillonne, très compétente, et qui n'est pas toujours bien payée. Pour ce qui est de la compétence, l'administration fiscale indienne n'a par exemple rien à envier à la compétence de l'administration fiscale française : on trouve des personnes très spécialisées localement et d'autres absolument remarquables au niveau central !

Cette administration avait un rôle d'autant plus important que la multiplicité des textes et leur interprétation officielle s'entrechoquaient souvent. En fait, cette administration était passée maîtresse -pour employer un euphémisme lourd de sens- dans l'art d'" opérer des distinctions ", au sens juridique et anglo-saxon du terme, entre telle ou telle situation paraissant pourtant totalement identique a priori, surtout pour un Français...

Cette situation est d'autant plus déroutante pour nous, Français, que cette superstructure réglementaire est baignée dans une culture juridique de type " common law ", qui n'a jamais réussi, nulle part dans le monde, à bien formuler ni à bien positionner la règle de droit écrite dans les raisonnements juridiques.

Au risque de caricaturer, on peut dire que tout ce qui n'est pas expressément écrit en termes clairs, positifs et détaillés, peut être considéré comme étant a priori interdit. De plus, il existe rarement une règle suprême et incontestable permettant de recadrer la question en invoquant des principes simples, comme dans les pays de droit civil, à tel point que le sport préféré des juristes de la " common law " consistant en permanence à opérer des distinctions entre telle ou telle situation de fait identique a priori était devenu un sport national en Inde du fait de l'abondance de la règle écrite.

Celui qui souhaite développer un projet doit donc passer beaucoup de temps à identifier la ou les règles applicables, à rechercher la contre-règle ou la contre-interprétation, de façon à avoir un projet le plus adapté possible.

Quant à celui qui, de l'autre côté, est chargé de mettre les règles en oeuvre, et qui est souvent une autorité administrative dont l'autorisation est requise, il s'ingénie le plus souvent à ne jamais considérer deux situations de la même façon, afin à ne pas être lié par la fameuse règle du précédent !

Ce système a généré une armée de juristes et autres consultants réglementaires et fiscaux extraordinairement compétents, très procéduriers. Ceci aboutit à une paralysie relative des tribunaux, qui n'est pas profondément choquante pour la mentalité indienne traditionnelle, mais qui est difficilement acceptable dans les relations commerciales internationales.

Il faut également prendre en compte le fait qu'il demeure dans la culture indienne une certaine philosophie tiers-mondiste, largement relayée dans les médias. L'étranger reste aujourd'hui encore plutôt une personne dont il faut se méfier dans les relations commerciales -il est quelque peu retors-, plutôt que comme une personne qui ne fait qu'apporter son aide à bras ouverts -les articles de presse sur les compagnies multinationales sont d'ailleurs là pour en attester.

Par ailleurs, le bon niveau de formation de la plupart des partenaires indiens en contact avec les étrangers nous déroute beaucoup, et la pratique de ce cadre juridico-réglementaire -l'une des plus complexe du monde- est fort déroutante, en particulier pour un Français.

Cela explique aussi que ceux qui ont su investir le système ont pu assez facilement -après avoir fait ce long travail de compréhension et d'approfondissement- retourner la situation à leur profit, possédant ainsi un avantage compétitif par rapport aux concurrents.

Les conditions du succès pour réussir dans un tel cadre sont dès lors assez faciles à cadrer -il suffit de voir comment travaillent nos concurrents étrangers en Inde-. La première règle est d'avoir recours à des hommes de valeur, ayant l'esprit pionnier, réellement bilingues et rompus à la " common law ".

Il faut que ces hommes sachent de surcroît identifier les règles applicables pour les contourner le cas échéant, en se rattachant à d'autres ou en jouant sur la distinction et l'absence de précédent. Rien n'est jamais figé en Inde, et pour un problème réel, on dit toujours qu'il existe toujours au moins deux solutions pratiques.

Ces pionniers savent également que, pour être efficace, il faut énormément écrire, ne pas se contenter de promesses verbales et consacrer du temps à des opérations de lobbying, afin d'adapter tel ou tel aspect de la réglementation au meilleur intérêt du projet.

En fait, le meilleur des hommes ayant ses limites, une des plus grandes qualités de ces pionniers a toujours été d'identifier les compétences spécialisées, de former des réseaux et de contrôler en permanence les conclusions des spécialistes qu'ils ont choisis.

La plupart des entreprises étrangères qui ont travaillé en Inde avec une approche juridico-réglementaire de cette nature ont raisonnablement réussi, y compris des entreprises françaises.

Ce cadre juridico-réglementaire avait encore cours pour l'essentiel en 1990. Il avait commencé à évoluer sous Gandhi, et a énormément changé avec la vague de libéralisation intervenue depuis.

Pour le juriste praticien de l'Inde et pour celui qui a pu faire des comparaisons avec d'autres pays, on peut dire que cette vague de libéralisation a abouti à une grande simplification, mais n'a pas encore atteint tous les secteurs.

Les licences d'importation ont été quasiment supprimées partout, sauf pour les produits de consommation. Les droits de douane, quant à eux, ont été considérablement réduits. Les licences industrielles qui enserraient les producteurs indiens dans un carcan ont été supprimées à peu près partout.

L'investissement étranger en Inde a été favorisé grâce à un système d'approbation automatique jusqu'à 51 % sous certaines conditions. Une approbation automatique a également été mise en place pour certains contrats de transfert de technologie en deçà de certains seuils.

Il a par ailleurs été mis en place des systèmes facilitant le processus d'approbation, en particulier à travers le " Foreign investissement promotion board ", le FIPB, qui est encore en train d'évoluer.

L'emploi des techniciens étrangers a été grandement facilité. La simplification de la réglementation des changes a été spectaculaire. On peut, depuis quelques années, utiliser largement les marques étrangères en Inde.

Des avantages fiscaux multiples ont été octroyés, en particulier pour les entreprises tournées vers l'exportation et dans les secteurs prioritaires. Une grande politique facilitant le développement du secteur des infrastructures a été ébauchée.

Aujourd'hui, il est ainsi possible d'envisager les fameux BOT, dont l'Inde aura désespérément besoin dans le secteur des infrastructures dans les années à venir -encore que tout ne soit pas encore parfaitement finalisé... Le BOT représente un système de concessions dans lequel l'entrepreneur privé est chargé de construire, de gérer, de se payer sur les ressources générées par le projet lui-même, puis de transférer à terme, sous certaines conditions, l'ensemble de l'investissement à l'Etat. Dans des pays qui n'ont pas suffisamment de ressources, cette formule présente un grand intérêt...

Par ailleurs, la promulgation d'un ensemble réglementaire très attractif pour des secteurs prioritaires, comme l'énergie, a donné lieu à la conclusion de contrats spectaculaires.

Enfin et surtout, vous permettrez au juriste que je suis de signaler la promulgation d'une ordonnance sur l'arbitrage et la conciliation. Ce texte récent, qui a été longuement mûri en Inde, basé sur les modèles de l'ONU, s'il est intelligemment utilisé, va radicalement changer les procédures de règlement des litiges. Tout ceci est très vivement encouragé par les différents gouvernements indiens. Grâce à ce texte, on pourra mettre en place des systèmes efficaces de résolution des litiges avec l'Inde.

Pour vérifier les conséquences de cette ouverture, j'invite chacun à aller visiter Bombay ou Delhi, où les choses ont en effet radicalement changé...

Il ne faut pas pour autant tomber dans un optimisme béat, car il existe encore un immobilisme réel dans de nombreux secteurs et un certain nombre de limites.

Enfin, de nombreuses réformes restent à parachever pour permettre aux projets de se développer réellement. Le BOT prendra encore du temps avant d'être réalisé, en particulier pour les infrastructures publiques. Il reste encore à répondre, dans une grande mesure, aux questions relatives à la propriété, à la fixation des tarifs, au rapatriement des profits, à l'équilibre des clauses contractuelles de ce type de projet, à la façon dont on résoudra les litiges dans dix ou vingt ans. D'ailleurs, la partie indienne le reconnaît volontiers...

Dans le secteur de l'énergie, prioritaire parmi les priorités, tout n'est pas si simple non plus. Qui n'a pas entendu parler du problème de cette entreprise américaine qui avait été autorisée à réaliser en Inde un grand projet de 2.000 mégawatts, et dont le contrat à été résilié... A mon avis, l'entreprise américaine détient d'ailleurs sa part de torts. Tout cela -comme toujours en Inde- finira par se régler un jour prochain !

Je pourrais citer divers autres freins qui existent aujourd'hui en matière juridique de façon plus spécifique, comme un droit du travail encore très protecteur, une " exit policy " qui a de la peine à se développer, et une fiscalité indirecte d'une complexité exceptionnelle...

En conclusion, je dirai que les entreprises qui vivent en Inde au jour le jour aujourd'hui font le plus souvent encore un bilan contrasté. En effet, si la libéralisation est réelle, en particulier dans les grandes villes, on demeure encore confronté à un monde juridico-administratif encore très lourd.

Faut-il alors s'arrêter là et attendre le parachèvement des réformes pour s'intéresser à ce marché ? Non, compte tenu à la fois de l'importance du marché et des multiples autres facteurs positifs ! Beaucoup d'entreprises françaises possèdent des atouts très précieux par rapport à leurs concurrents étrangers, qui réussissent bien en Inde aujourd'hui.

Je me bornerai à citer la haute technologie française à tous les niveaux -y compris celle des PME- et la très précieuse expérience française en matière de financement privé des infrastructures.

Toutefois, ces atouts essentiels ne sont pas à mon avis suffisants, et les entreprises françaises doivent, comme leurs concurrentes, posséder les pionniers aux multiples qualités dont j'ai parlé. Ceux-ci doivent s'investir dans plusieurs domaines, et tirer le meilleur profit d'un système juridico-réglementaire extrêmement riche, d'où l'arbitraire peut être aujourd'hui largement gommé.

Au lieu d'avoir peur du cadre réglementaire, ces pionniers n'hésiteront pas à jouer avec lui, à aller à la source de la règle, le cas échéant à débattre avec ses auteurs des conditions d'application et de sa modification. Les Indiens sont en effet très réceptifs à ce genre d'approche !

Les pionniers n'hésiteront pas non plus, enfin, à tirer profit de l'approche contractuelle anglo-saxonne. Sous ces conditions, à mon avis incontournables dans la problématique juridique indienne actuelle, le pari indien dont on parle aujourd'hui aura alors de grandes chances de réussir !

M. le Président - C'est l'une des conclusions à laquelle nous sommes arrivés au cours de notre mission en Inde : ces problèmes juridiques sont fondamentaux et doivent être totalement maîtrisés !

La parole est maintenant à l'assistance...

M. Michel Boulat - J'ai trente-cinq ans d'expérience en Inde, et j'aimerais évoquer deux problèmes...

Le premier est celui des outils d'accompagnement à l'échelon local. Je pense que la France ne dispose pas de suffisamment de structures techniques d'ingénierie ou de conception de projets avec les Indiens pour détenir une connaissance suffisante de ce dont l'Inde a besoin, et mieux formuler la demande indienne. Celle-ci s'adresse en effet à une série de sociétés qu'il faut arriver à fédérer, pour les positionner et parvenir à un résultat.

Le deuxième problème est celui des coûts promotionnels, que les groupes industriels et beaucoup de moyennes entreprises françaises ne peuvent assumer. Ce n'est pas qu'un problème d'argent, mais aussi d'utilisation des moyens dont on dispose en France.

Dans tout l'est de l'Inde, il n'y a pas un Français pour faire du promotionnel ! A une époque où il existe 3 millions de chômeurs en France, dont certains cadres qui sortent des écoles de commerce ou d'ingénieur, on pourrait placer au sein des " chapters " de la chambre indienne des jeunes cadres qui feraient de l'identification de projets et faciliteraient la tâche des moyennes entreprises souhaitant s'intéresser à des activités indiennes !

M. Yves de Ricaud - La proposition de M. Boulat est intéressante... Une trentaine de CSN travaille déjà dans les entreprises françaises en Inde. Leur nombre a d'ailleurs beaucoup augmenté récemment. Avec une surveillance suffisante, c'est un excellent moyen de former les jeunes, qui apportent une aide précieuse aux entreprises, y compris les PME. C'est une façon d'aborder le marché indien qui me paraît excellente...

Quant au renforcement des structures des organismes consulaires, en particulier des chambres de commerce indo-française et franco-indienne, qui travaillent de plus en plus ensemble, je crois qu'il y a effectivement des choses à faire...

On est en train de redynamiser les différents conseils régionaux de la chambre de commerce indo-française. Toutes les participations, en particulier celle de jeunes expatriés volontaires, sont naturellement les bienvenues !

M. le Président - Je voudrais saluer M. Deepak Banker, président de la fédération des chambres de commerce indienne, qui arrive à la tête d'une impressionnante délégation...

S'agissant de l'accompagnement des entreprises françaises, qui est probablement indispensable dans le contexte indien, peut-être M. Doré a-t-il un rapide commentaire à faire...

M. Francis Doré - Les chambres de commerce indo-française et franco-indienne ont décidé de passer un accord de coopération qui devrait être signé courant août, et permettra de mieux servir les intérêts des industriels des deux pays.

Par ailleurs, le problème des sociétés de moyenne ou de petite importance est un vrai problème. Il est d'ailleurs assez remarquable qu'une grande partie du commerce extérieur des deux pays soit assurée par des sociétés de moyenne et de petite importance... Elles ont effectivement de grandes difficultés à pénétrer sur le marché indien, et on peut espérer que les chambres pourront les aider mieux encore que jusqu'à présent...

Néanmoins -c'est un propos qui a été mené il y a quelques mois au sein de l'administration française- je me tourne vers les grandes sociétés installées en Inde, qui ont ouvert ce pays à la France et qui ont fait connaître la France en Inde, afin qu'elles servent de relais et de lieu d'introduction aux petites sociétés !

Un intervenant - Je suis à Paris délégué de l'Inde aux Nations-Unies pour le développement industriel, et je suis indien.

Ce qu'a dit M. Frilet à propos du système juridique en Inde est peut-être vrai, mais cela n'a pas empêché les investissements européens !

On se demande donc ce qui empêche les Français d'aller en Inde, les organisations comme l'ambassade de l'Inde ou la chambre franco-indienne essayant de tout faire pour favoriser les PME et les PMI françaises...

M. Bernard Livry - Je suis magistrat au tribunal de commerce et j'aimerais connaître la part et l'influence des populations musulmanes en Inde sur le plan de la structure économique, sachant que l'un des voisins est un pays de 185 millions d'habitant, qui devient l'un des dragons du sud-est.

M. le Président - Selon M. Doré, Mme Graff est experte sur ce sujet...

Mme Violette Graff - Il est très difficile de répondre à cette question, car les Musulmans indiens sont passés par des décennies de très grandes difficultés : difficultés d'ordre personnel, d'ordre politique, d'ajustement à l'Inde contemporaine indépendante. Pendant longtemps, le citoyen indien moyen ne leur a pas pardonné l'affaire du Pakistan.

Les Musulmans de l'Inde, qui représentent une population considérable -plus de 100 millions d'habitants- ont donc longtemps rencontré de grandes difficultés et ont été appelés à s'intégrer, alors qu'ils le sont parfaitement ! J'ai souvent eu l'occasion de dire à quel point les Musulmans de l'Inde sont de bons citoyens, parfaitement intégrés et nullement des agents de l'extérieur, comme on les dépeint quelquefois !

Il n'empêche que, sur le plan économique, les Musulmans ont beaucoup souffert de cette situation. Ils en sortent néanmoins. Un tournant important a eu lieu au moment de l'ouverture vers le Golfe et les nombreux travailleurs musulmans qui envoient maintenant des sommes importantes chez eux participent à cette montée des classes moyennes si impressionnante aujourd'hui.

Ce n'est pas encore très visible, mais c'est un mouvement très important qu'il faut prendre en compte : ces Musulmans d'origine modeste se transforment et évoluent. Il est certain qu'ils participent peu aux responsabilités industrielles et que l'on compte peu d'hommes d'affaires parmi eux, mais cela peut venir. Ce n'est toutefois pas encore très visible aujourd'hui.

M. Ranjit Sethi - Le fait même de poser cette question peut étonner. Nous avons un système laïque, et chaque population est assurée de ses pleins droits.

Vous dites que les musulmans sont de bons citoyens et qu'ils sont bien intégrés. En fait, ce sont des citoyens à part entière. Il n'y a pas de distinction entre les musulmans et les autres communautés, car nous en avons plusieurs. Même au sein d'une communauté, il y a des tendances différentes. C'est d'ailleurs le cas de l'hindouisme...

Or, on peut mesurer le statut de l'une ou l'autre des communautés en fonction des lois et du cadre constitutionnel qui assurent l'égalité de tous les citoyens.

La partie musulmane de l'électorat a toujours été très importante pour les partis politiques et a fait l'objet d'une forte sollicitation.

Dans chaque circonscription existent dans l'électorat des éléments religieux et communautaires. Les recensements de population en Inde ne comportant pas de volets économiques et autres, il n'est pas possible de déterminer les catégories selon les revenus par tête d'habitant, mais, selon les hommes politiques, l'élément musulman est déterminant dans au moins 400 circonscriptions électorales.

Cela donne une idée de l'influence musulmane et de sa participation au processus politique -comme tout autre groupe social...

Afin de respecter la place qui leur revient en raison de leur spécificité, la Constitution indienne a d'ailleurs conservé la possibilité d'un code civil musulman. Ils ne sont donc pas tenus de renoncer à certaines des pratiques traditionnelles qui appartiennent au monde musulman.

En fait, l'élément musulman est profondément ancré dans tous les aspects de la culture indienne : musique, poésie, histoire moderne...

Enfin, aucun Musulman ne quitte l'Inde pour d'autres pays, y compris ceux de notre voisinage !

M. le Président - ... A l'inverse, les Musulmans du Bangladesh qui arrivent en Inde posent des problèmes aux provinces qui les reçoivent.

M. Pierre Amado - Il y a même eu un Président de la République indien qui était Musulman.

M. Ranjit Sethi - ... Deux présidents...

M. Pierre Amado - ... Monsieur le Président, vous avez eu l'honneur de dîner avec le vice-président de l'Inde lorsque vous étiez à New-Delhi : c'était un intouchable !

M. le Président - Nous n'avons pas dîné avec lui mais il nous a consacré une bonne heure et demie, et cela a figuré parmi les entretiens les plus intéressants, car il nous a fait toucher du doigt ces contradictions qu'il peut exister en Inde, entre ces explosions de violence auxquelles on assiste -et qui sont souvent ce que l'opinion publique mondiale retient- et d'autre part ce fonds de tolérance, qui est un véritable exemple pour le monde !

Entre ces deux pôles de la réalité sociale indienne, on doit établir un équilibre, et c'est cet équilibre auquel je faisais allusion.

C'est à mon avis ce qui caractérise ce que j'appellerai la " stabilité profonde de l'Inde ", contrairement à ce que de nombreux observateurs étrangers disent souvent, de façon inexacte !

Je donne maintenant la parole à Mme Chauvet, directeur du Centre français du commerce extérieur, qui est également ancien ministre du commerce.

2. Intervention de Mme Christine Chauvet, ancien secrétaire d'Etat au commerce extérieur, directeur général du CFCE et du CFME

Mme Christine Chauvet - L'Inde occupe une place à part dans le monde économique, entre Occident et Japon.

Suite à la crise des paiements extérieurs, en 1991, l'Inde a engagé un vaste programme de réformes économiques, sous l'impulsion du Gouvernement Rao. L'Inde entre dans l'économie de marché, d'où toutes les questions que vous avez dû soulever ce matin...

En fait, l'Inde mène la révolution. C'est pour cela qu'on a parfois du mal à suivre et à comprendre.

Ce programme d'ajustement structurel est basé sur l'ouverture extérieure, la déréglementation, la libéralisation de l'économie et sur un rétablissement des équilibres extérieurs, avec un fort développement des exportations et un afflux de capitaux étrangers, qui témoignent déjà de la confiance de la communauté internationale. C'est aussi -il faut le rappeler- la fin du partenariat privilégié avec l'Union soviétique...

L'Inde, dont le PIB est de 280 milliards de dollars, représente environ l'équivalent d'un pays comme l'Argentine, ou la moitié du PIB chinois. L'Inde a connu entre 1994 et 1995 une croissance de 5,3 %. Déjà, en 1995-1996, l'accélération porte ses fruits, avec une croissance de 6,4 %. On prévoit 6 % pour 1996-1997.

Pour nous, l'Inde constitue un marché d'environ 950 millions d'habitants, dont un tiers est déjà au stade de consommateurs.

Ces bons résultats sont dus à la fois à la vigueur de la croissance industrielle, qui est la base de ces chiffres, mais aussi à de très bonnes récoltes. En effet, l'agriculture représente 32 % du PIB indien.

L'Inde a une classe moyenne, avec des cadres et des groupes industriels avec qui l'on peut travailler et établir des partenariats.

Toutefois, l'inflation demeure assez élevée -et c'est un handicap. Par ailleurs, l'Inde mène depuis la seconde moitié de l'année fiscale 1994-1995 une politique monétaire restrictive, afin de maîtriser la hausse des prix. Néanmoins, les pressions inflationnistes demeurent, avec un déficit budgétaire structurel pour l'instant sans réforme de fiscalité, un manque de restructuration du secteur public, un accroissement de la masse monétaire et un accès massif de capitaux étrangers. Le principal sujet de préoccupation est le poids de l'endettement, aussi bien externe qu'interne.

Sur le plan politique, les changements intervenus au niveau du Gouvernement lors des dernières élections posent évidemment la question de la poursuite des réformes. Trois forces distinctes sont sorties des urnes sans qu'aucune obtienne la majorité. Il faut donc des alliances. Le BJP, parti national hindou, est le gagnant, mais ne pourra entraîner l'action politique. Le parti du Congrès, qui a gouverné quasiment sans interruption depuis l'indépendance, a quand même subi une cuisante défaite et n'intervient qu'en position d'arbitre.

Il faut donc s'interroger sur ce que fera la troisième force, l'" United Front ", avec 14 partis de gauche et régionalistes. Le Premier ministre qui nous est encore inconnu : M. Deve Gowda s'est forgé une réputation à Bangalore, auprès des Occidentaux, mais il n'est pas suffisamment connu de nos milieux d'entreprise.

Cette apparente absence de stabilité peut inquiéter parfois. De plus, le discours électoral un peu protectionniste inquiète les milieux d'entreprise. Cependant, on peut affirmer que la remise en cause de l'ouverture n'est pas à redouter, car celle-ci est vitale pour le développement de l'Inde, dont on estime les besoins en infrastructures à 100 milliards de dollars.

Cela ne pourra se faire sans financements extérieurs. Le nouveau Premier ministre, qui a dirigé l'Etat du Karnataka, est l'artisan du succès dans sa région, sorte de " Sillicon Valley ", ce qui peut nous rassurer, puisqu'il a su attirer les investisseurs et les entreprises étrangères.

Il évalue lui-même les besoins en investissements étrangers à 10 milliards de dollars par an sur les dix prochaines années, alors qu'ils n'ont atteint que 2 milliards en 1995.

En revanche, certains émettent quelques craintes sur le rythme de la poursuite des réformes, notamment concernant les privatisations et la libéralisation des marchés.

L'" United Front " a en effet promis de limiter les impacts négatifs de la libéralisation sur les classes les moins favorisées, dans un pays où 37 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté.

La nécessaire restructuration du secteur public et les licenciements qui en découleront pourraient par conséquent sensiblement marquer le pas pour l'économie indienne.

Par ailleurs, le discours relativement protectionniste pourrait obtenir un écho favorable auprès des industriels indiens. Certains souhaitent en effet limiter autant que possible la concurrence étrangère.

Le nouveau Gouvernement est bien accueilli dans ces milieux industriels et plusieurs facteurs permettent d'espérer une continuité dans les réformes.

Tout d'abord, le parti du Congrès, artisan de l'ouverture, conditionne son soutien à la poursuite des réformes ; en outre, M. Deve Gowda s'efforce de multiplier les signes de sa volonté réformisme et s'engage certainement lui-même.

Par ailleurs, il a nommé comme ministre des finances M. Chidambaram, ministre expérimenté, libéral, réformateur zélé, brillant, qui a d'ailleurs à mon avis beaucoup d'avenir et qui saura maintenir le cap de l'économie.

Le Gouvernement a d'ailleurs réaffirmé la nécessité de favoriser les investissements étrangers, et votre présence l'atteste, ainsi que vos nombreux échanges. Des branches prioritaires restent à déterminer ensemble, mais le combat en la matière continue.

Il faut cependant attendre la présentation du budget 1996-1997, qui aura lieu le 16 juillet, pour être davantage fixé sur la volonté du Gouvernement.

Quoi qu'il en soit, la croissance de ce pays ouvre de grandes perspectives : les besoins en infrastructures sont considérables et, pour la France, des secteurs-clefs, tels les télécommunications ou l'énergie, qui ont été déréglementés, sont des champs d'action très larges.

Avec la hausse du niveau de vie, la classe moyenne a accès aux produits de consommation, et nous espérons que les biens de consommations français pourront accéder à ce marché.

Face à l'importance de cet enjeu, nos concurrents redoublent d'efforts pour asseoir la présence de leurs entreprises. L'Inde fait ainsi partie -bien que les Américains n'aient pas pour l'Inde la même tendresse que les Français- des dix grands pays émergents qui font l'objet d'un suivi spécifique de l'administration Kantor.

D'importantes délégations de chefs d'entreprise anglais, italiens, allemands très souvent, se sont rendues en Inde en 1995 avec leur ministre respectif. La France n'est pas en reste, mais elle pourrait faire beaucoup plus !

En 1994, le ministre des affaires étrangères de l'époque, Alain Juppé, avait relancé les relations économiques entre nos deux pays, la France ayant repris sa coopération financière. M. Rao est également venu en France avec une grande délégation de chefs d'entreprise. Plus modestement, je me suis rendue en Inde en 1995 pour y préparer la commission mixte. Aujourd'hui, l'Inde fait partie des huit pays prioritaires définis par Yves Galland, mon successeur.

Tous ces efforts ne sont pas superflus, puisque la France a de surcroît en Inde un crédit de sympathie qui n'est peut-être pas suffisamment exploité.

Les entreprises de grande taille qui sont implantées pourraient faire du portage et entraîner des PME. De leur côté, les PME, sous la houlette d'organisations structurées, comme les vôtres, pourraient s'engager dans des partenariats. Il existe en Inde des groupes industriels organisés, avec des moyens financiers. Ce sont là des garanties pour nos PME et nos PMI. Il est également possible de travailler avec les régions, et c'est encore un moyen de se protéger.

Il ne faut pas que les entreprises françaises restent sur de mauvaises impressions, venues parfois des contentieux qu'ont connu certaines grandes entreprises travaillant avec des Etats, pour lesquelles les choses ont mis beaucoup de temps à se régler.

Il ne faut pas non plus que les Français restent sur l'image d'une Inde telle qu'on peut la voir au cinéma. Je me suis efforcée, au cours de mon passage au ministère, de convaincre les chefs d'entreprise des très grosses entreprises françaises de retourner en Inde. Ils avaient parfois eu des expériences qui ne s'étaient pas bien terminées, et nous avons beaucoup d'efforts à faire pour qu'ils reprennent confiance et qu'ils ne le fassent pas trop tard, car pendant ce temps-là, nos concurrents s'activent !

Aujourd'hui, nos importations atteignent 5,5 milliards et nous exportons 5,3 milliards de francs. Il faut donc rééquilibrer la balance avec l'Inde...

Je pense également qu'il faut aborder l'Inde avec modestie. C'est un pays où les valeurs sont parfois différentes. La notion du temps est différente, peut-être même la notion de l'argent. Il faut voir à beaucoup plus long terne et ne pas s'arrêter au quotidien, en profitant d'une culture souvent plus proche de la nôtre qu'on ne le pense, afin d'établir des relations qui ne sont pas toujours professionnelles. L'ambassadeur Doré en est la preuve : il est nécessaire de travailler pendant de nombreuses années en Inde pour comprendre et être compris, pour organiser les échanges...

Il est réjouissant de constater le nombre de personnes qui assistent à une réunion d'information comme celle-ci. Je suis certaine qu'il faut les multiplier. Sachez que le CFCE, dont je prends la tête, va s'intéresser à ce pays prioritaire peut-être davantage qui ne l'a fait jusqu'à présent.

Une campagne conjointe de la France et du Japon dit que " le Japon, c'est possible ". Plutôt que de parler de pari à propos de l'Inde -ce terme comprenant une notion de jeu, d'incertitudes, un manque de base d'informations, un quitte ou double- je dirai qu'il faut travailler plus, s'informer davantage, mieux connaître le terrain des deux côtés, ainsi que les hommes. Je dirais donc que l'Inde, c'est maintenant, et c'est possible !

M. le Président - Je constate que vous connaissez parfaitement la situation en Inde, et je m'en réjouis !

Vous avez fort bien tiré les leçons de la matinée, bien que vous n'y ayez pas assisté, ce qui est la preuve qu'un ancien membre du Gouvernement, directeur général du CFCE, n'a pas besoin d'assister aux réunions pour savoir ce qu'il s'y dit !

III. ENJEUX ET RISQUES POUR LES INVESTISSEMENTS FRANÇAIS EN INDE

A. EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES DES RESPONSABLES D'ENTREPRISES, TABLE RONDE PRÉSIDÉE PAR M. JEAN FRANÇOIS-PONCET

M. le Président . - Mesdames, Messieurs, nous allons, si vous le voulez bien, démarrer notre table ronde. C'est une table ronde qui, comme vous le savez, est consacrée aux expériences et aux opinions des industriels français installés en Inde.

J'ai à mes côtés M. Beffa, Président de Saint-Gobain, à sa droite, M. Riboud, Président de Danone, et à ma gauche, M. Ailleret, Directeur Général d'EDF. Je les remercie d'être venus.

Je n'ai pas besoin de vous dire qu'ils sont tous très pris et qu'ils nous font un sacrifice de leur temps, dont je voudrais leur dire qu'il est hautement apprécié. Mais nous avons absolument besoin, pour nous éclairer, de savoir comment, concrètement, ces grands industriels vivent leur implantation en Inde. Quels sont les projets qu'ils peuvent avoir sur l'Inde. Quelles conclusions tirent-ils ? Comment voient-ils l'Inde ? Je crois pouvoir dire qu'ils sont tous les trois installés aussi en Chine. Ce n'est pas sans intérêt car cela a été le thème de notre propre rapport, dont le fil conducteur était de chercher à comparer l'Inde et la Chine. Comment peut-on réagir à l'égard de ces deux pays.

Naturellement, M. Banker, Président de la Fédération des chambres de commerce d'Inde prendra part à nos travaux. Nous formons ce que les Anglais appellent un " high powered comity " réuni ici, qui, je l'espère, va nous éclairer. Nous avons d'autres hôtes indiens extrêmement distingués qui sont ici et je voudrais à nouveau les saluer, ainsi que les ambassadeurs, sous l'égide desquels nous délibérons.

Nous allons commencer par M. Beffa qui je crois part en Asie. Il nous quitte pour sauter dans un avion, ou presque. Nous continuerons ensuite avec M. Riboud et M. Ailleret. Nous pourrons ensuite écouter les commentaires de M. Banker et ouvrir le dialogue. Vous avez la parole.

1. Intervention de M. Jean-Louis Beffa,
président-directeur général de Saint-Gobain

M. Jean-Louis Beffa . - Monsieur le Président, merci de me donner l'occasion de présenter, non pas l'histoire d'un groupe présent depuis longtemps, de façon importante, en Inde, mais l'évolution d'un groupe qui a, si les circonstances s'y prêtent, et si tel est le souhait du gouvernement indien, la volonté de s'y installer sérieusement.

Voilà ce que je vais expliquer, en indiquant pourquoi nous ne l'avons pas fait jusqu'à présent, ce que nous avons tout de même déjà fait, et ce que nous souhaiterions faire si le climat politique, économique, réglementaire, s'y prête, et la façon dont nous souhaitons le faire, si ceci convient également à l'Inde.

Je dirai tout d'abord que Saint-Gobain, aujourd'hui, n'est présent que de façon modeste en Inde, mais tout de même réelle. Ce qui a l'immense avantage, par rapport à qui ignore tout de l'Inde, de pouvoir disposer d'une certaine base de connaissance, de compréhension, et d'un noyau de responsables indiens qui peuvent guider l'action d'un groupe comme le nôtre. Ma première recommandation serait qu'il est très important d'avoir cette base, même si au départ, elle est petite, car il est évident que pour comprendre ce qui se passe en Inde, et pour un groupe comme le nôtre pour s'y implanter, le fait de ne pas avoir que l'expérience de non Indiens et, surtout, à la limite, l'expérience de Français connaissant parfois moins certaines réalités internationales comme l'Asie, au sens large, et l'Inde, en particulier, est bien utile.

Je voudrais rappeler rapidement pourquoi nous ne sommes pas, au fond, encore suffisamment présents en Inde. La première raison tient au contexte général. Pendant un temps, l'Inde a été moins que, me semble-t-il maintenant, ouverte à des implantations sur son territoire pour servir son marché et, pour une part, pour exporter à partir de l'Inde, à une implantation de capital étranger, ce capital étranger jouant véritablement le rôle d'opérateur industriel. Un groupe comme Saint-Gobain n'a pas pour stratégie de transférer des technologies ou de vendre des licences. Nous ne l'avons pas fait, mais nous sommes disposés à investir dans ce pays, si un certain nombre de conditions sont remplies. Nous pensons qu'il y a de plus en plus de pays sur la planète qui remplissent ou cherchent à remplir ces conditions : une économie de marché, une propriété privée des entreprises, et la possibilité, pour des entreprises étrangères, de disposer et d'apporter de façon transparente leur meilleure technologie, tout en étant majoritaire, au moins, dans le capital des entreprises.

Pendant tout un temps, ce contexte n'existait pas autant, nous semble-t-il, que maintenant, en Inde, et c'est une des raisons pour lesquelles notre groupe ne s'y était pas encore implanté, de la même façon dont il est, le cas échéant, prêt à le faire maintenant.

La deuxième raison ressortit à notre groupe. Dans le cadre de son internationalisation, nous avions placé deux priorités avant, non seulement l'Inde, mais même l'Asie au sens général. Les Etats-Unis, d'abord. Il nous paraît fondamental d'être très présents aux Etats-Unis parce que, pour être en Inde, il est important pour un groupe d'avoir une expérience américaine. Nous réalisons aujourd'hui 25 % de notre chiffre d'affaires sur le territoire américain.

Deuxièmement, nous étions pour des raisons historiques, en Amérique Latine, au Brésil notamment, et nous avons donné une certaine priorité au développement de cette activité brésilienne qui représente aujourd'hui 10 % du chiffre d'affaires de notre groupe, soit 1,5 milliard de dollars. Ces priorités ont inscrit historiquement, l'Asie, et en particulier l'Inde, dans un certain calendrier, avec un poids qui pour l'instant n'était que faible.

Comment avons-nous abordé l'Inde ? Cela a été la conjonction d'un changement de volonté politique et de stratégie de développement qui relèvent des autorités politiques indiennes, mais également d'une nouvelle attitude de la communauté des affaires indiennes, qui est prête, aujourd'hui, à un partenariat d'une nature un peu différente de ce qu'elle envisageait auparavant ; et enfin, de la volonté de profiter du développement des zones dans lesquelles nos types de marchés se développent. Il y avait la détermination, pour notre entreprise d'être désormais aussi globale que possible dans un certain nombre de ses métiers.

Il ne s'agit pas d'une stratégie de la délocalisation, mais d'une démarche qui consiste à être présents en Inde avec les meilleures technologies pour les besoins du marché indien et, pour une part raisonnable, pour l'exportation qui, de facto, se trouvera en concurrence avec la même politique que nous mènerons en Chine, mais qui ne sera peut-être pas, vis-à-vis des exportations, vers les mêmes zones géographiques. Nous voyons une implantation chinoise, non pas comme opposée à une implantation indienne, mais comme totalement complémentaire. Il ne nous paraît pas raisonnable de mettre tous nos investissements de développement dans la zone asiatique, de façon excessive, dans un seul pays comme la Chine. Il s'agit de répartir nos investissements au sein de pays qui offriront des opportunités différentes. Nous avons donc une stratégie qui souhaite distribuer nos investissements en paquets raisonnablement équilibrés entre la Chine, la Thaïlande, l'Indonésie, la Corée, et bien entendu, l'Inde.

A l'inverse, l'Inde, si elle le souhaite, nous paraît devoir être une partie indispensable de notre dispositif. Nous avons obtenu cette expérience indienne, réelle, de terrain, d'une façon indirecte quand nous avons acquis la société Norton en 1990. Celle-ci, contrairement à nous-mêmes, avait eu la sagesse de s'implanter en Inde, depuis de nombreuses années, au sein de la société Grindwell Norton, cotée en bourse, et dans laquelle la société Norton, c'est-à-dire Saint-Gobain, se partageait le capital avec un famille d'industriels indiens.

Notre première démarche a été de développer cette société. Nous avons étendu ses activités, nous avons investi, nous avons apporté au sein de cette société de nouvelles technologies. En même temps, nous avons acquis, en accord avec la famille partenaire industrielle indienne, une partie importante du capital en pleine amitié.

Cette société avait l'immense avantage d'avoir une équipe de gestion de nationalité indienne qui nous est apparue comme particulièrement compétente. Nous avons renforcé notre relation avec le leader de cette équipe en lui donnant une responsabilité pour l'ensemble de notre groupe, car nous pensions qu'il pouvait nous éviter beaucoup d'erreurs, de bêtises, et d'incompréhensions. Nous avons fait ensuite une étude des marchés qui se développaient en Inde et qui correspondaient à nos technologies.

Nous avons donc cette implantation qui est aujourd'hui modeste : cette société réalise environ 200 millions de francs de chiffre d'affaires avec une rentabilité très acceptable. Grâce à l'appui que nous a donné ce management indien, nous avons pris une deuxième participation dans une unité de transformation, avec une autre famille, pour développer du verre automobile. Nous venons maintenant de franchir une troisième étape : nous sommes prêts, si le gouvernement indien en est d'accord, à investir 120 millions de dollars pour réaliser une grande usine de verre " float ", à destination du marché indien et de l'exportation, dans les Etats du sud de l'Inde, puisque cette région ne dispose pas aujourd'hui d'une telle unité, alors que deux usines, américaine et japonaise, existent dans d'autres zones géographiques.

Nous sommes en train de bâtir un partenariat au capital, pour cela, en souhaitant une majorité. Nous associerons les intérêts familiaux indiens, déjà présents dans la société que nous avons en commun avec eux. Nous sommes prêts à jouer notre rôle d'industriel en transférant nos meilleures technologies. Nous regardons aujourd'hui d'autres projets, dans d'autres métiers du groupe, qui nous permettraient de bâtir progressivement un pôle de Saint-Gobain, apportant les meilleures technologies disponibles au service du développement de l'emploi indien, de la production indienne, avec une volonté exportatrice, si l'on nous accueille positivement. Nous sommes prêt à nous engager et, en tout cas, à risquer 120 millions de dollars sous la responsabilité totale de notre groupe, dans ce pari, si, concrètement, nous sommes les bienvenus. Il est certain que nous regardons ces projets en complément avec des projets de développement en Chine, en Thaïlande, au Mexique, en Pologne, et dans d'autres pays.

Notre vocation est d'être global et d'aller dans les pays émergeants. Nous le ferons en Inde avec un management indien. Le responsable, M. Anand Mahajan vient d'être nommé délégué du groupe pour l'ensemble de l'Inde et c'est lui qui va gérer nos affaires dans ce pays. Nous pensons qu'un Indien est beaucoup plus qualifié pour cela que nous-mêmes.

Voilà, Monsieur le Président, une expérience courte avec une ambition importante, à la hauteur de cet immense pays, qui a commencé petit, et qui, je l'espère, fera boule de neige, comme nous l'avons fait dans d'autres parties de la planète.

M. le Président . - C'est récent, mais c'est prometteur et très encourageant.

Monsieur Riboud, je vous donne la parole.

2. Intervention de M. Antoine Riboud, ancien président-directeur général de Danone SA

M. Antoine Riboud . - Mesdames, Messieurs, ne croyez pas que je sois un spécialiste de l'Inde, mais nous y sommes implantés depuis bientôt 7 ou 8 ans. De plus, j'ai eu des contacts avec l'Inde, de tous temps, car j'ai un frère qui avait épousé une Indienne.

Nous sommes industriels en Inde dans l'industrie alimentaire, particulièrement les biscuits. Nous produisons 200.000 tonnes par an de biscuits en Inde, nous avons 5 usines réparties sur toute l'Inde, et nous employons à peu près 9.000 personnes, tout compris.

Je ne vous parlerai pas beaucoup du développement de Danone en Inde, en dehors des biscuits, tout d'abord parce que je suis très discret sur ces projets car nous avons beaucoup de concurrents dans le monde. Je ne tiens pas à ce que l'on sache où nous allons et ce que nous allons faire.

Mais il vient de se passer un événement très important en Inde : les élections. L'Inde vient de voter. Que s'est-il passé et qu'est-ce qui peut changer ? Voilà la clef de ce qui m'intéresse.

Les élections étaient globalement démocratiques, elles se sont déroulées dans le calme, pas de contestation majeure du verdict des urnes, pas de corruption.

En revanche, la répartition politique des élections mérite d'être examinée car les résultats sont assez surprenants. Il se dégage maintenant en Inde, en politique, trois grandes forces. Le fameux parti du Congrès a eu 30 % des voix. Il est toujours dirigée par M. Rao, l'ex-Premier Ministre. Ce parti a cependant perdu la majorité qu'il détenait depuis des années. C'est un grand événement.

35 % des suffrages vont au BJP, parti des hindouistes, s'appuyant sur des valeurs traditionnelles. Le BJP est plutôt un parti de droite, il avait même fait alliance avec l'extrême-droite. Le chef du BJP, M. Vajpayee, n'a pas réussi à créer une majorité au Parlement.

Troisième force, 30 %, comprenant un grand nombre de petit partis politiques, dont 5% au parti communiste. La grande innovation est que ces petits partis se sont fédérés en constituant le United Front. Le fédérateur a été M. Gowda, qui a reçu l'appui au Parlement du parti du Congrès, qui lui a permis d'accéder au poste de Premier Ministre. Auparavant, M. Vajpayee avait échoué dans une telle tentative et n'a pas pu accéder au poste de Premier Ministre. Aujourd'hui, il est le chef de l'opposition dans le Parlement.

Nous sommes en présence d'une situation politique délicate et peu transparente. Le gouvernement Gowda va devoir appliquer un programme de compromis. Personne n'ose aujourd'hui faire de pronostic sur la durée du gouvernement. C'est le parti du Congrès qui reste le maître du jeu politique, puisqu'il a voté pour le nouveau Premier Ministre.

Le gouvernement se situe plus à gauche que le précédent. La tâche du nouveau gouvernement va être difficile. Cinq problèmes vont se poser.

La libéralisation entreprise depuis près de 5 ans par M. Rao va-t-elle pouvoir se poursuivre ? Il paraît évident que les étrangers auront plus de difficultés à poursuivre leur programme d'investissements en Inde, notamment dans l'industrie des biens de consommation, qui est l'industrie dans laquelle je travaille.

En revanche, les pouvoirs publics devraient encourager les étrangers à investir dans des programmes d'infrastructures, dans des entreprises de technologie de pointe, et de l'industrie lourde. Les industriels indiens regroupés par les chambres de commerce sont des lobbies très puissants qui seront favorables à des restrictions, particulièrement dans les biens de consommation, afin de protéger les producteurs nationaux, limitée la concurrence internationale, et dissuader les multinationales de s'établir localement. Je fais partie de ceux-là.

Les importations seront peut-être de nouveau contrôlées, et certainement plus lourdement taxées car les balances commerciales et des paiements présentent des déficits en croissance dangereuse pour les équilibres fondamentaux de l'économie indienne et de la politique monétaire de l'Inde.

Troisième difficulté, la réforme fiscale, pourtant indispensable, risque de ne pas voir le jour, face à la puissance des intérêts du monde agricole, dont M. Gowda, Premier Ministre, est issu. Le monde rural représente 80 % des activités économiques de l'Inde, les agriculteurs n'ont jamais payé d'impôts.

Quatrième question, la révision du secteur public s'impose devant un déficit qui représente 8, 5 % du PNB de l'Inde. L'absence de compétitivité et de productivité ne seront pas réduites, les privatisations envisagées par l'ancien Ministre des Finances, en particulier les assurances, les banques, l'énergie, les infrastructures, les transports, risquent d'être fortement ralenties.

Enfin, la lourdeur administrative ne sera ni diminuée ni réformée. La corruption dramatique des fonctionnaires continuera à faire rage.

En revanche, la corruption des politiciens aura tendance à diminuer car chacun a compris que l'échec du parti du Congrès aux élections est dû, pour une grande part, aux scandales financiers qui ont même atteint le gouvernement du Premier Ministre, M. Rao.

Permettez-moi de revenir sur les investissements d'infrastructures. La vie quotidienne, domestique ou professionnelle, est très dure en Inde. En permanence, des maillons sautent : des coupures d'électricité fréquentes, des coupures d'eau. Il faut souvent attendre 15 à 20 jours dans les ports pour charger ou décharger les navires. Sur les routes, on ne peut guère dépasser une moyenne de 30 km/h ; sur les chemins de fer, on ne dépasse pas 20 à 25 km/h. Toutes nos usines sont équipées de générateurs pour faire face aux coupures de courant électrique. Le stockage des produits agricoles n'est pas assuré, entraînant des pertes de la production agricole indienne, estimées de 25 à 30 % par an. Toutefois, malgré toutes ces difficultés liées, pour une grande part, à l'insuffisance des infrastructures, l'industrie, le commerce, les services progressent. Certes, il faut s'adapter aux situations locales... Mais nous devons reconnaître que nous parvenons à produire -tout comme nos confrères indiens- et à délivrer au consommateur des produits de qualité. Nous commençons même à exporter certains de nos produits au départ de l'Inde. C'est donc difficile. Ce n'est pas dramatique.

Je voudrais vous dire encore un mot sur la croissance. Le PNB s'est accru de 6,6 % dans les années 1994, 1995. L'Inde aurait besoin d'une croissance de 8 à 9 % par an. Aujourd'hui, on estime que la croissance moyenne se situera plutôt aux environ de 7 % par an ces prochaines années. L'importance donnée aux infrastructures me paraît donc nécessaire pour que l'Inde parviennent à ces taux de croissance de 8 ou 9 %. Je pense qu'elle peut atteindre ces chiffres, et je le souhaite ardemment.

Donc, contrairement à ce que vous pourriez croire, toutes ces constatations ne me rendent pas pessimiste sur l'Inde, ce pays a des atouts incontestables.

Première chose, l'Inde est une vraie démocratie. Elle est peut-être un peu chaotique, mais elle est authentique. Le peuple a beaucoup de bons sens et de sens civique. La presse est totalement libre. Les syndicats sont actifs et puissants. La liberté existe vraiment, la sécurité est bonne dans les grandes villes, telles que Bombay et Calcutta. Ce sont des personnalités telles que le pandit Nehru, Gandhi et Indira Gandhi qui ont installé la démocratie en Inde. De ce fait, l'Inde a échappé au marxisme, c'est la grande différence que l'on oublie toujours, aujourd'hui, entre l'Inde et la Chine.

L'Inde, avec près d'un milliard d'habitants, représente 1/6ème à 1/7ème de la population mondiale. L'Inde est un continent inscrit dans l'avenir du monde et, pendant longtemps encore, ce continent représentera pour nous, européens, un monde mystérieux mais en même temps plein de promesses.

En tous les cas, Danone va continuer à investir en Inde, partant d'un principe économique simple : il y a un milliard de bouches à nourrir.

L'intelligence indienne est une grande réalité. Les savants et les intellectuels sont très formés et en nombre important. Il y a des hommes de sciences dans la médecine, la biologie, les mathématiques, l'informatique, tout cela constitue une immense richesse. Les Indiens sont de très bons commerçants, l'encadrement est bon et bien formé, les techniciens sont nombreux, créatifs et courageux. Danone continuera donc à développer ses activités en Inde.

M. le Président . - Si je résume : tout va mal, sauf Danone ! Cela ne m'étonne pas ! C'était particulièrement intéressant, me semble-t-il, et si j'en juge d'après les réactions que j'ai observées chez nos amis hindous. Il va y avoir un débat. C'est ce que nous souhaitons. Je pense que l'on vous donnera un certain nombre de réponses, et notamment sur l'orientation politique de l'actuel gouvernement que vous avez, m'a-t-il semblé, décrit dans des termes qui ne sont pas tout à fait ceux que nous avons entendus ce matin, ni ceux qui sont d'ailleurs en général ceux de la presse. Mais après tout, vous avez les pieds en Inde.

Il faut ajouter que la société dont Danone est je crois maintenant le seul actionnaire a un nom providentiel, puisqu'elle s'appelle Britannia. Vous y voyez le symbole d'une relève qui me paraît en effet d'une meilleure augure.

Monsieur Ailleret, vous avez la parole.

3. Intervention de M. François Ailleret, Directeur général d'EDF

M. François Ailleret . - Mesdames, Messieurs, peut-être certains d'entre vous sont-ils étonnés de voir EDF, entreprise publique nationale qui a une image fortement hexagonale, s'exprimer dans une réunion internationale. Depuis des années, EDF a une stratégie de développement international en Europe, mais aussi dans de nombreux pays en cours de développement économique. Quoi de plus naturel, lorsque l'on sait que les grands investissements électriques des 25 ans à venir se situeront à 80 % dans l'ensemble constitué par l'Asie et l'Amérique Latine. La voie est toute tracée pour les pays qui veulent garder une industrie électrique, dans le peloton de tête, au niveau mondial.

Pour l'électricité, l'Inde est le deuxième marché potentiel mondial après la Chine. Ce pays a pris conscience, au début des années 90, de l'inadéquation de ses structures pour engager un développement économique soutenu. Le pays s'est donc engagé dans une politique d'ouverture, associée à un programme de restructuration de son secteur public, en particulier, du secteur de l'électricité.

Quelques années après le lancement de cette politique d'ouverture, les résultats sont mitigés dans le domaine électrique. Un intérêt certain du monde des investisseurs s'est exprimé, mais sur plus de 200 accords de principe signés pour des projets de production d'électricité, un seul a été jusqu'au bout de la course d'obstacles, avec beaucoup de difficultés.

Incontestablement, l'administration indienne a tiré des leçons de l'expérience de ces quelques années et on peut aborder l'avenir avec une certaine dose d'optimisme sur la réalité du marché indien du secteur électrique.

Le contexte général est plutôt favorable avec une croissance de la demande soutenue ; une inflation qui n'est pas très loin d'une inflation à un chiffre, ce qui, au niveau mondial, n'est pas mal ; un secteur privé dynamique, en pleine expansion, et qui s'intéresse aux évolutions du secteur électrique ; une politique économique confirmée pas le gouvernement nouvellement élu ; et une priorité donnée aux infrastructures -M. Riboud vient de le souligner- et cela concerne l'électricité.

Il y a cependant quelques problèmes majeurs qu'il ne faut pas sous-estimer et qui requièrent un engagement politique fort de la part de l'Inde : faible niveau de qualification -et l'électricité est un métier de plus en plus technique- ; un secteur public pléthorique, inefficace ; et une dualité du pouvoir fédéral et du pouvoir de l'Etat qui a pour effet de renforcer considérablement la bureaucratie, ce qui s'oppose au déroulement correct des projets.

Le secteur électrique indien, aujourd'hui, est public à 96 %. Dans chaque Etat, il y a un exploitant intégré production d'électricité, transport et distribution. Il y a quelques grandes corporations, au niveau fédéral, pour gérer des grands projets thermiques, hydroélectriques ou pour gérer le réseau de transports. Quelques électriciens privés réussissent bien, en particulier dans la distribution. Il y a d'énormes besoins : 50000 MW, en 10 ans. Cela ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais c'est à peu près la puissance du parc nucléaire français d'aujourd'hui. Il y a des ressources très abondantes en charbon, en hydroélectricité, mais qui demandent des investissements lourds.

Ceci étant, le secteur de l'électricité en Inde est frappé de trois défauts structurels fondamentaux.

Tout d'abord, un système tarifaire antiéconomique. Il est très difficile de faire du développent avec un système tarifaire qui conduit à des ventes à perte et à un décalage vis-à-vis de l'économie réelle des coûts. Une remise en ordre fondamentale s'impose. Il y a des réseaux anciens, très mal entretenus, et une gestion en général très inefficace des actifs industriels.

Tout cela se traduit par un déficit de puissance, de plus de 20 % en heures de pointe, et par conséquent, de très nombreuses coupures avec, dans certaines zones, 8 heures de coupure par jour. Il en résulte un préjudice économique considérable. Les électriciens ont comme ordre de grandeur que lorsque un client attend 1 kwh et que ce dernier n'est pas délivré, par déficit de production, le préjudice économique global qui s'en suit représente à peu près 20 fois le coût de livraison du Kwh.

La pénurie de l'électricité, et c'est vrai dans tous les pays du monde qui en souffrent, représente un préjudice économique fantastique.

La situation financière du secteur est catastrophique. J'ajoute que dans le domaine de la distribution, il y a ce que l'on appelle pudiquement les pertes techniques qui comprennent effectivement quelques pertes techniques, mais également une fraude, par des branchements clandestins sur les réseaux, qui peut dépasser 20 % et qui atteint 40 % dans certains endroits. Gérer une installation industrielle dans ces circonstances est toujours difficile.

Mais le gouvernement indien a lancé successivement deux grands chantiers. Le premier : ouverture de la production aux investisseurs privés pour à peu près 30000 MW, cela fait donc plus de 150 projets ouverts qui, jusqu'à présent, ne sont véritablement avancés que pour une dizaine d'entre eux, et un seul, le projet Dabhol avec Enron, a terminé l'exercice complet, mais le mouvement est engagé.

Deuxième grand chantier : une réforme institutionnelle et organisationnelle des " State Electricity Boards " pour générer des ressources financières permettant d'introduire le développement. Ce programme de réformes qui, pour l'instant, a encore très peu touché la structure tarifaire est soutenu activement par les grandes institutions financières internationales : la Banque Mondiale et la Banque Asiatique. C'est un appui essentiel.

L'Etat d'Orissa s'est engagé le premier dans ce processus. Il est maintenant suivi par 5 ou 6 autres qui sont donc maintenant en train d'assainir les fondements du système électrique. Le processus est bien évidemment lent et on ne verra de résultat significatif apparaître que dans un petit nombre d'années.

EDF est présente en Inde depuis plus de 15 ans, et cela nous a permis d'acquérir, à travers des contrats d'ingénierie, de consultance, une bonne connaissance du secteur public de l'électricité et une réputation de professionnalisme reconnue dans les milieux industriels indiens.

Percevant l'importance du marché indien, à terme, nous avons élargi considérablement notre politique, puisque au-delà de la consultance et de l'ingénierie, nous sommes entrés dans la voie de l'investissement industriel en Inde, en nous plaçant en position d'investisseurs minoritaires, en partenariat avec d'autres, et une première opération d'envergure est engagée. Nous sommes associés à un groupement conduit par le groupe indien industriel Ispat, nous sommes en partenariat avec le groupe industriel franco-anglais GEC-Alsthom pour réaliser une centrale thermique charbon de deux tranches de 500 MW à Bhadravati, dans l'Etat du Maharashtra.

On peut dire que pour l'avenir, il y a conjonction, pour Bhadravati, de plusieurs facteurs favorables. L'Etat du Maharashtra est riche et industriel. Il y a un engagement de contre-garantie du gouvernement fédéral et, à proximité immédiate, des ressources en charbon, donc une mine qui approvisionnera la centrale. Malgré cela, ne cachons pas que le développement du projet est un exercice qui demande du souffle et de la continuité. La bureaucratie est lourde : il faut obtenir 17 autorisations différentes d'organismes différents, au niveau local ou fédéral. Même vu d'un pays compliqué comme la France, c'est très lourd à obtenir et à gérer. Nos interlocuteurs indiens ont relativement peu d'expérience de grands projets industriels de ce type. Il pourrait y avoir des incertitudes politiques, encore que l'on doive constater que dans le Maharashtra, le changement de majorité n'a pas remis en cause le projet, tel qu'il était engagé.

Aujourd'hui, après 2 ans de travail continu, l'accord pour la vente d'électricité produite à la State Electricity Board (SEB) locale est paraphé, et on peut raisonnablement espérer que l'ensemble sera bouclé contractuellement et financièrement, d'ici à la fin de l'année, permettant une mise en service, vers l'an 2000, des tranches concernées.

Cette expérience du Bhadravati, nous cherchons à la capitaliser au mieux, elle nous permet de bien comprendre l'administration indienne et les industriels indiens. Elle nous a également montré comment négocier la vente d'électricité sur des contrats à long terme, en Inde. C'est donc une base précieuse pour notre développement futur dans le pays.

La production restera un marché majeur, c'est évident, avec sans doute des modifications de fonctionnement. Alors que jusqu'à présent, les accords étaient des accord de gré à gré, il semble que le Gouvernement veuille se lancer dans des procédures d'appel d'offres internationaux qui ont, certes, leurs vertus, mais qui risquent d'alourdir encore l'opération ; d'autant qu'un certain nombre de cahiers des charges ne sont pas bien adéquats à une exploitation industrielle.

Ceci étant, la difficulté majeure n'est ni technique ni même organisationnelle, elle est surtout financière : les SEB ont peu de crédibilité financière et sans garantie de l'Etat fédéral, il est difficile, aujourd'hui, de s'engager dans un grand projet industriel, dans ce pays. C'est pourquoi nous nous portons plutôt sur des projets de taille moyenne qui disposent de leurs propres ressources en combustibles, ce qui facilite beaucoup le fonctionnement industriel, et qui ont un utilisateur proche permettant une garantie sérieuse d'achat de l'électricité. Par exemple, des projets qui sont adossés, au moins partiellement, à des complexes industriels, pétroliers, ou de la production d'acier.

Nous nous intéressons aussi à l'évolution du secteur de la distribution et nos contacts avec les milieux indiens laissent penser que la formule de la concession ou de la gestion déléguée présente pour eux de l'intérêt. Nous sommes prêts à réfléchir, nous étudions avec eux quelques projets de distribution qui pourraient venir compléter les efforts menés en matière de production, et apporter au secteur électrique indien davantage de solidité et de qualité de fonctionnement.

Bien évidemment, il y a une condition financière préalable, mais on voit à quel point l'amélioration du secteur de l'électricité est une condition nécessaire pour le développement économique en Inde. Nous sommes tout prêts à nous y associer.

EDF, en Inde, c'est déjà un passé commun significatif dont la dominante a été la technique et même la recherche, à certains égards. Nous avons un bureau permanent à Delhi, dirigé par un Indien. Aujourd'hui, nous sommes enclenchés dans un grand projet industriel et, demain, je l'espère, la coopération entre EDF et l'Inde sera une grande réalité industrielle.

M. le Président . - Je remercie beaucoup M. François Ailleret et ceux qui l'ont précédé. Comme il a été convenu, je vais tout de suite donner la parole à M. Banker, le Président de la Fédération des Chambres de Commerce Indienne. Il a un certain nombre d'observations à faire : certaines portent sur la discussion de ce matin et les autres sur ce qu'il vient d'entendre. Vous avez la parole, Monsieur Banker.

4. Intervention de M. Deepak Banker, président de la Federation of indian chambers of Commerce and Industry

M. Deepak Banker . - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, malheureusement je ne peux pas continuer en Français, mais j'ai promis à mon ambassadeur, M. Philippe Petit, que dès que je ne serai plus Président de la Fédération, à partir du 1er janvier 1997, je vais me mettre à apprendre le Français. C'est important car je suis le consul de France à Madras.

J'étais très heureux d'écouter les propos de M. Riboud. Je vais y faire référence tout à l'heure, mais je crois qu'il a formulé ses observations afin de s'assurer que ses concurrents ne viennent pas en Inde, tout simplement.

Monsieur Riboud, méfiez-vous, vous êtes à Paris, il ne faut pas faire cela à Bombay parce qu'ils ne vont jamais manger vos biscuits !

C'est un grand plaisir et un honneur pour moi d'être avec vous, cet après-midi car l'objectif de ce colloque est de promouvoir l'amitié entre nos deux pays pour aider à la compréhension mutuelle et donc favoriser le commerce pour le bien de tous.

Je voudrais féliciter M. Francois-Poncet et sa délégation, ainsi que M. Saillard et sa délégation, qui sont tous venus en Inde. Depuis des années maintenant, le flux des affaires entre l'Inde et la France s'est toujours fait au niveau des gouvernements. A présent, c'est différent, il faut rencontrer les hommes d'affaires indiens eux-mêmes. Vu le niveau des personnalités qui sont déjà venues en Inde, il y a des très bonnes chances de se comprendre et de faire des affaires ensemble. Nous avons beaucoup de chose en commun : l'histoire et la culture. C'est l'occasion de mettre tout cela en commun.

Ce matin, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les problèmes des PME et PMI qui viennent en Inde. Je sais qu'en France, les PME contribuent pour plus de 50 % au PNB. Chez nous, ce n'est que 35 à 40 %, mais c'est historique car jusque en 1991, on avait le système de licence. Avec ce genre de système, on accordait une licence à quelqu'un pour fabriquer un produit, et lui tirait profit de cette licence pour fabriquer de A à Z. Il avait toujours son bénéfice en fin de parcours, même si ce n'était pas un produit de grande qualité ou fabriqué de manière efficace. Maintenant, cela a changé : il y a beaucoup de concurrence dans le secteur automobile et beaucoup de PME sont entrées en scène. Hier, nous étions à Lyon. Des sociétés vont fabriquer des composants automobiles en Inde, c'est la nouvelle ère de l'Inde : la concurrence va maintenant déterminer les fabrications industrielles, les coûts, les qualités. Les PME vont donc entrer en scène.

Je voudrais vous donner un exemple pour vous dire comment on a essayé de promouvoir les PME. Nous avons eu des liens avec le Japon, sous la forme du Joint Business Council et au bout de 26 ans d'existence de ce conseil, les Japonais sont arrivés à la conclusion qu'au mois de novembre, ils vont amener 75 PME en Inde. Ils vont à différents endroits. Après cela, nous ferons une grande réunion, à Delhi, pour partager les fruits de l'expérience.

Je vous invite vivement à faire le même genre d'exercice, du côté des Français. Nous pouvons nous arranger pour que vous rencontriez les PME en Inde car certaines sont de grandes entreprises. Il faut les amener en Inde. Nous allons organiser des réunions en face à face, pour vous, car c'est la meilleure façon de promouvoir les PME. Vous pouvez mettre beaucoup de gens dans l'antenne commerciale. Ils font un très bon travail. M. Philippe Petit et son équipe, tout le monde, à l'ambassade de France, en Inde, fait un bon travail. Vous vendez bien la France en Inde, mais des personnes seules ne peuvent pas le faire. Je vous propose d'amener vos PME chez nous.

L'autre aspect est la question qui brûle les lèvres de tous : l'affaire de l'islam. Il n'y a que 15 % de la population totale qui constituent la population musulmane. Même le parti hindou, qui domine dans les plus grand Etats industriels de l'Inde, là, la population musulmane a voté pour le BJP. Vous n'avez pas meilleure preuve du soutien apporté par les Musulmans à l'économie indienne. Ils ont voté massivement pour le BJP.

C'est un commentaire fait par quelqu'un qui a perdu les élections, pour la première fois, depuis l'indépendance. Les Musulmans ont voté massivement pour le BJP car c'est une économie qui permet aux Musulmans de travailler et de vivre plus paisiblement qu'avant. Ils sont beaucoup plus tranquilles. Malheureusement, la politique est une grande coupable : s'il n'y avait plus les questions politique, dans nos pays, on ferait des affaires que l'on fait déjà. Il y a des marchandises indiennes qui vont à Singapour et qui trouvent leur chemin, déjà, dans le flux des affaires, mais c'est la politique qui règne sur tout. S'il n'y avait pas la politique, le Cachemire serait encore un très beau pays.

C'est ma réponse sur les relations qui règnent entre les Hindous et les Musulmans chez nous. C'est un sujet important pour tout le monde.

L'Inde est gouvernée par une coalition de partis " arc en ciel " dirigée par M. Gowda. Or, c'est le même M. Gowda qui dirigeait l'Etat du Kamataka, dont la capitale, Bangalore, est qualifie de " Sillicon Valley " indienne, et qui est si accueillante aux investisseurs étrangers. Comment, dans ces conditions, M. Riboud peut-il se montrer si méfiant à l'égard du gouvernement indien ?

Il y a sept jours de cela, nous nous sommes réunis avec les industriels et le Premier Ministre. Il a dit : " Que ce soit Enron ou d'autres projets, je vais personnellement signer les accords et veiller à ce que les projets soient approuvés. Vous n'aurez pas à voir un secrétaire quelconque pour avoir les approbations nécessaires ". C'est le genre d'homme que l'on a en place, aujourd'hui. Quand il nous a invité, la toute première fois, il nous a souhaité la bienvenue et a dit : " Je veux entamer un dialogue continu entre l'industrie, les affaires, et la classe politique ". Chez nous, en Inde, nous avons un meeting. Il y a le gouvernement et les affaires, côte à côte. Même dans notre délégation, aujourd'hui, on a des représentants du gouvernement et des hommes d'affaires.

Monsieur Riboud, je peux vous assurer que vous aurez à traiter avec un gouvernement qui, je le crois fermement, aura des réformes à entreprendre, une grande libéralisation comme on ne l'a jamais connue. Il n'est pas difficile pour un gouvernement indien d'entamer ces réformes, actuellement, parce que nous avons arrêté les réformes à cause des élections. Partout dans le monde, dans la période préélectorale, même aux Etats-Unis, les choses ont tendance à s'arrêter avant les élections. C'est ce qui s'est passé en Inde. Il y avait les élections en vue et les réformes ont donc été arrêtées momentanément. Il n'est pas surprenant, maintenant, de savoir que les réformes vont aller bon train, après.

Monsieur Ailleret, vous avez soulevé un point très important en disant qu'il y avait beaucoup de pertes en distribution. C'est la question de subventionner l'électricité en Inde. C'est un problème. C'est une situation où il n'est pas économique pour l'Etat ou le gouvernement central d'exploiter des centrales électriques. Mais il y a une semaine, nous avons constaté que le coût de l'électricité en Inde a augmenté de 25 %. Pour la première fois, depuis longtemps, les paysans vont payer leur électricité. Vos prières sont exaucées.

L'infrastructure est le goulot d'étranglement chez nous. C'est une situation grave. On demande au gouvernement d'avoir une politique transparente avec un pouvoir quasi judiciaire pour assurer la transparence. S'il y a des litiges, que l'on puisse les résoudre.

Concernant les investissements étrangers, il y a 200 milliards de dollars américains de besoins d'infrastructures, en Inde, d'ici 5 ans. On ne peut pas dire : non, il n'y aura pas d'investissement direct des étrangers. Le gouvernement indien n'aurait pas parlé comme cela s'il ne voulait pas attirer les investissements étrangers. J'aborderai la question suivante tout à l'heure : comment regardons-nous cet investissement étranger ?

Mesdames, Messieurs, je voudrais déclarer ici, et je cite les paroles du Haut Commissaire britannique en Inde, il y a deux mois, ambassadeur de la Grande-Bretagne dans différent pays du Moyen-Orient avant de venir en Inde : " Il n'y a pas d'instabilité économique et politique en Inde, sinon, on n'aurait pas pu voir trois gouvernements se former en un mois de temps, sans incidents, sans émeutes, et sans incendies. C'était la vraie démocratie à l'oeuvre ".

A l'heure actuelle, comme a dit M. Riboud, il y a une incertitude, c'est une nouvelle donne. Pour la première fois, depuis 50 ans, il y a un nouveau gouvernement. Pendant 50 ans, on avait le parti du Congrès. Il est normal qu'il y ait de l'incertitude. C'est cependant la chose qui devait se passer en Inde. Pendant 50 ans, on a été contrôlé par un parti politique et on s'appelait démocratie, mais la vraie démocratie ne fait que démarrer maintenant, en Inde. La puissance d'un parti monolithique est à présent diluée, et c'est une bonne chose. Nous assistons à la réalité d'un système tripartite, à savoir la coalition actuelle des trois partis. Ce n'est pas une instabilité, mais une incertitude qui règne.

Comment peut-on parler d'instabilité si on a une croissance de 6,5 % du PNB et une croissance économique de 12 % ? Ce n'est pas une instabilité.

Monsieur Riboud, j'espère qu'à l'avenir, vous aurez davantage confiance en les Indiens.

Je voudrais vous expliquer ce que l'on veut dire quand on parle de politique d'investissement par les étrangers. On veut trois choses : un rôle dominant, un rôle de leadership, et un rôle de soutien. Quand je dis " dominant ", je veux dire que l'infrastructure doit être indienne. On parle de 200 milliards de dollars d'infrastructures, là, on accueille le rôle dominant des étrangers. Non, le gouvernement de l'Inde l'a dit clairement. Le gouvernement dit aussi que l'on va jouer un rôle de leadership. Que veut-on dire par là ? Je schématise : le rôle de leadership veut dire que tout le monde peut venir en Inde, utiliser les ressources naturelles, les transformer en produits finis, donc en valeur ajoutée, et les exporter en dehors du pays. Qu'a-t-on obtenu avec cela ? On a obtenu une valeur ajoutée à nos ressources naturelles, on a créé des emplois et gagné des devises. Non, cela ne nous dérange pas.

Cependant, il y a la zone critique : les biens de consommation non durables. Que veut-on dire par biens de consommation non durables ? Cela veut dire que pour certaines de ces marchandises qui ne sont pas d'une grande importance pour la croissance industrielle -il y a quand même des sociétés indiennes qui fonctionnent déjà dans le secteur-, on va prendre des mesures financières telles que tout le monde sera à égalité. Il faut accepter le fait que l'on a des taux d'intérêt de 20 ou 21 % de francs français, alors que ce sont 7 roupies et 35 pour un dollar américain. Quand on pense à cette disparité d'échange, quand on pense à 21% de taux d'intérêt, où se trouve l'homme d'affaires indien ? C'est cela, l'inégalité.

Ce n'est pas l'inégalité qui nous dérange, mais plutôt quand on constate qu'une joint venture qui existe depuis 40 ans, en Inde, avec un partenaire majoritaire indien, et que ce dernier dit : " Maintenant je veux la majorité. Si je ne l'ai pas, j'irai démarrer une autre filiale, j'amènerai de nouvelles technologies, et adieu ". Réfléchissez aux implications sociales. Ces gens de classe moyenne, les actionnaires qui ont soutenu la société depuis 40 ans, vont perdre leur placement. Est-ce un bon signal que l'on donne aux gens qui voudraient venir en Inde ? Non. Voulez-vous priver ces actionnaires qui ont soutenu cette société depuis 40 ans ? Vous ne voulez pas leur donner la chance de partager la prospérité. A court terme, c'est peut-être rentable, mais pas à long terme. C'est de cela dont on parle en Inde.

Je voudrais ajouter un exemple pour vous montrer comment le gouvernement de l'Inde traite l'industrie. Par exemple, Pepsi Cola est venu en Inde vendre des frites surgelées. On peut se dire que l'on n'a pas besoin de frites surgelées, mais le gouvernement a bien réfléchi à la chose. Que fait-on quand on fait des frites surgelées ? On fait d'abord pousser des pommes de terre ? Qui fait cela ? Les paysans. Le paysan, aujourd'hui, a un rendement 10 fois supérieur à celui qu'il avait dans le passé. Il gagne donc 10 fois plus parce que Pepsi Cola a amené la nouvelle technologie qui lui permet de faire pousser les pommes de terre. Vous avez également des technologies pour la récolte. Après la récolte, il y a la réfrigération, l'emballage, le conditionnement. Cela amène d'autres techniques, d'autre industries, et, finalement, cela devient des frites surgelées. C'est de la valeur ajoutée. Ensuite, on vend cela en créant un réseau de marketing. Le gouvernement de l'Inde a regardé le projet dans son ensemble et a trouvé cela formidable. Il n'a pas dit que c'était un produit de consommation que l'on interdirait. Il n'y a donc pas de règle exacte.

Je cite cet exemple car c'est la réalité, c'est un exemple vécu. Le gouvernement, dans le Bengale occidental, qui est actuellement marxiste, a mis à la disposition de Pepsi Cola un terrain pour un grand projet de frites surgelées. Il ne faut donc pas partir d'ici avec l'impression que concernant les biens de consommation sur de tels produits, le gouvernement ne veut pas investir. Je dirai que c'est un investissement sélectif qui est autorisé.

J'arrive au point de M. Riboud. J'accepte le fait que l'infrastructure est mauvaise. En tant qu'homme d'affaires indien, on a peur que cette infrastructure sonne le glas de l'Inde. On va pouvoir produire, mais pas vendre parce qu'on n'aura pas l'infrastructure nécessaire. On sera retardé sur le plan industriel et du point de vue de la croissance. Il existe des tracasseries administratives, on en convient. Monsieur Riboud, je peux vous amener personnellement voir le Premier Ministre et nous allons plaider notre cause ensemble. Mais il faut aussi être un peu charitable. Vous serez sûrement d'accord avec moi pour dire qu'entre ce qui existait, il y a 5 ans, et ce qui existe à l'heure actuelle, ce n'est pas la même Inde.

Il faut tenir compte du fait qu'en Inde, vous avez 920 millions de personnes, dont 300 millions de pauvres, et 250 millions de classe moyenne, avant de prendre des décisions. Il y a aussi le fait que, pendant 50 ans, la bureaucratie était programmée. Ce n'est pas facile de changer la mentalité des gens en 5 ans. Je crois cependant que vous allez trouver un changement, pour le mieux, depuis 5 ans. Si vous êtes d'accord avec moi, j'en serai heureux.

Je reviens maintenant sur vos cinq points.

Vous avez tout d'abord parlé des industries agro-alimentaires. 60 à 66 % de la population, en Inde, vivent de l'agriculture, ce sont des paysans. L'agriculture, en Inde, est très intensive. Les gens possèdent peu de terrains : ce ne sont pas des hectares et des hectares. La philosophie est donc toute autre. En tant qu'hommes d'affaires, nous demandons à notre gouvernement de déclarer que l'agriculture est une industrie Aujourd'hui, l'industrie est une industrie de haute technologie. C'est la raison pour laquelle nous avons ici, et dans notre délégation, des gens dans l'agro-alimentaire, y compris moi-même. En effet, j'ai commencé comme ingénieur en textile et j'ai essayé de devenir agriculteur. Toutes les terres dont on dispose sont la force de l'Inde. 900 millions de personnes, dont 300 millions de pauvres, disposées à travailler sur la terre avec un climat qui nous donne la neige dans le Nord et une Côte d'Azur dans le sud : on peut cultiver tout ce que l'on veut. L'agriculture sera le fleuron de l'industrie indienne. Cela va représenter 50 % de nos exportations totales.

Je peux vous citer l'étude réalisée par les Nations-Unies selon laquelle, si le gouvernement indien accorde toute l'attention que mérite l'agriculture indienne, on créera 100 millions d'emplois dans cette agriculture. C'est un pays qui cultive beaucoup de fruits et légumes mais qui, malheureusement, ne transforme que 1,5 % de ses fruits et légumes. Nous avons discuté avec les Français. Après Paris, nous allons à Bordeaux. J'espère que les vins vont commencer à couler en Inde. Nous avons de bonnes vignes, en Inde. Vous seriez surpris. Nous envisageons cette collaboration en agro-alimentaire avec la France.

L'autre point que vous avez soulevé concerne les mesures contraignantes sur les importations. Non, ce n'est pas cela. Les importations ont été complètement libéralisées. Aujourd'hui, on peut importer tout ce que l'on veut en Inde. Les droits douaniers, qui s'élevaient jusqu'à 35 %, il y a quelques années, sont aujourd'hui, en moyenne, de 28 % pour l'importation. Ce sont des faits. Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec vous, Monsieur Riboud.

Concernant les réformes fiscales, aujourd'hui, l'une des conditions posée par le gouvernement est d'augmenter les limites d'exonération pour l'impôt sur le revenu, pour tout le monde, ainsi que pour l'impôt sur les sociétés. C'est la politique affichée du gouvernement. L'Inde est partenaire dans l'OMC et doit amener ses droits de douane à l'importation en conformité avec les exigences de l'Organisation Mondiale du Commerce. Je ne sais pas si les Américains vont pouvoir tenir leurs promesses au sein de l'OMC. Nous verrons.

Le secteur public, en effet, me tient à coeur également. Si l'Inde doit contenir sa dette fiscale et son inflation, il faut privatiser, restructurer, réorganiser le secteur publique. Est-ce facile de faire cela en France ?

920 millions de personnes, sans emploi, et pas de sécurité sociale en Inde. Est-ce que vous voudriez jeter ces 300 millions de personnes sur le pavé ? Ce n'est pas facile ! Il existe une volonté. On espère arriver au bout de nos peines en formant les gens. Le maximum d'emplois peut être créé dans les infrastructures : la construction de bâtiments, les voies navigables, les barrages, l'hydroélectricité. C'est ce qu'envisage le gouvernement indien afin de créer des emplois viables pour tous ces gens. Même dans le secteur public, il y aura des changements, mais cela va demander du temps.

Il faut se rappeler que la responsabilisation sociale est une nécessité. J'entends par responsabilisation sociale l'éducation, la formation technique, professionnelle, et primaire. C'est également la protection sociale, la santé publique, la planification familiale, l'eau potable. La responsabilisation sociale est nécessaire, sinon le gouvernement ne va jamais survivre. Il faut avoir le soutien du peuple. Il faut que les réformes et la libéralisation passent par le peuple.

La question de la responsabilisation sociale fait partie intégrante de la restructuration du secteur public.

Dernier point : les tracasseries administrative. J'ai dit tout à l'heure que quand nous nous sommes rencontrés, avec le Premier Ministre, c'était l'assurance qu'il nous a donnée. Je ne peux pas vous en dire plus. J'admets qu'il y a des tracasseries administratives, mais il y en a beaucoup moins qu'auparavant. Ce n'est pas une vraie réponse, mais au moins, on fait des progrès.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c'est avec plaisir que j'ai accepté cette possibilité d'expliquer l'Inde. Je remercie les trois orateurs, ici présents, de leurs commentaires. J'ai entendu les commentaires de M. Riboud, je les prends comme des commentaires constructifs. Il faut que l'on dise ce que l'on a sur le coeur ! Il fait 200 millions de biscuits, en Inde, il faut qu'il aime l'Inde, après tout, pour faire 200 millions de gâteaux secs chez nous !

Je ne sais pas si c'est enrobé de sucre, mais cela doit être pas mal et il doit quand même aimer l'Inde !

M. le Président . - Je vais naturellement demander à M. Riboud s'il a des observations complémentaires à faire ?

M. Antoine Riboud . - Laissez-moi vous dire que je m'excuse pour tout ce que j'ai dit et je vous dirai pourquoi.

J'ai commencé en disant que je n'étais pas spécialiste de l'Inde, mais beaucoup d'employés, dans ma société, le sont. Je leur ai demandé un rapport, c'est ce que qu'ils m'ont donné. Je suis désolé, ce n'est pas moi le spécialiste c'est ce qu'ils m'ont rapporté.

M. Deepak Banker . - Nous allons les inviter à prendre un verre ce soir. Nous leur expliquerons les choses.

M. le Président . - Y a-t-il des questions que vous souhaitiez poser à nos deux intervenants ? M. Beffa est obligé de partir, il a une réunion.

Un Intervenant . - Ma question s'adresse à M. Banker.

Vous nous avez lancé, au début de votre exposé, un défi. Vous nous avez dit que 73 PME japonaises étaient venues en Inde. Ce qui m'a frappé, c'est que nous-mêmes, lorsqu'il y a quelques années, j'étais Directeur d'un organisme dans le cadre de la Confédération des PME, nous sommes parvenus à implanter en Australie, précisément, 73 PME françaises.

La correspondances de ces chiffres est telle que je vous pose la question, Monsieur Banker : comment pourrait-on faire ensemble pour que, effectivement, nous puissions emmener 73 PME en Inde ? Je suis le représentant, ici, de l'Assemblée Mondiale des PME. Nous avons peut-être tous les moyens nécessaires pour mener à bien cette opération. Avec l'aide des grandes entreprises, M. Ailleret, M. Beffa et M. Riboud, peut-être pouvons-nous ensemble relever le défi et amener en Inde soit 73 PME françaises.

M. Deepak Banker . - Merci beaucoup de votre réflexion. En fait, nous avons discuté de cette question des PME car toutes les multinationales connaissent le pays. Ils en savent souvent plus que nous-mêmes sur le pays. Les 73 PME du Japon viendront en Inde sous la bannière d'entreprises en partenariat japonais et français. Nous avons les chambres de commerce japonaise et indienne. Nous avons des chambres de commerce associées, ce sont les deux partenaires. Nous allons organiser des réunions pour ces 73 PME, lorsqu'elles viendront du Japon.

Si vous amenez ces 75 PME de France, nous organiserons ces réunions en Inde, avec l'aide des chambres de commerce. C'est la façon dont nous voulons opérer les choses pour promouvoir les PME en Inde. Ce serait magnifique que vous puissiez venir. Je suis moi-même une PME et je serais ravi de vous accueillir en Inde.

M. Pierre Amado . - Ma question rejoint celle qui vient d'être posée. Je pense à l'exposé de M. Ailleret. Je suis très heureux qu'il travaille en Inde et que l'EDF puisse aider, d'une certaine manière, l'électricité indienne. Il y a en Inde 1,5 million de villages. (Le recensement dit 600.000, mais il s'agit de 600.000 communes). Il est impossible, matériellement, de relier à un réseau central tous ces villages de l'Inde. Il me semble donc que l'énergie solaire est l'énergie idéale pour les villages de l'Inde. Or, dans ce pays où la ligne électrique coûte plus de 50.000 roupies par kilomètre, c'est-à-dire à peu près le prix d'un Kw photovoltaïque, dans ce pays où l'on compte entre 30 et 40 % de pertes en ligne, comment se fait-il que les industries françaises du solaire qui, il y a une quinzaine d'années, étaient parmi les premières du monde (du point de vue technique, elles n'ont guère été dépassées ; il y a 10 ans, la France était le troisième producteur mondial de cellules photovoltaïques, aujourd'hui, c'est l'Inde qui est le troisième producteur mondial) comment se fait-il que ces industries françaises n'aient pas été capables de prendre un marché aussi important et, surtout, illimité ?

La question, vous l'avez posée, Monsieur, et je dois dire que M. Frilet y a répondu, et ce, de deux manières. La vérité est que les grands industriels français n'ont pas fait ce que les Anglais appellent du " portage ", et c'est regrettable car une petite industrie française ne peut pas se permettre d'avoir un bureau et un représentant permanent en Inde et, surtout, de ne rien gagner pendant plusieurs années, dans l'idée qu'elle pourrait gagner par la suite. C'est regrettable.

C'est une question que, vous, les grands industriels, devez résoudre. Je suis frappé de voir que, dans ce colloque, nous avons affaire à de grands industriels -devant lesquels je tire mon chapeau- alors que les petites industries ne sont malheureusement pas représentées.

Une intervenante . - Pardonnez-moi, mais je vais jeter un pavé dans la mare !

J'enseigne, depuis 22 ans, en Prépa HEC, dans un lycée prestigieux, puisque c'est Janson de Sailly, où nous avons eu, parmi nos anciens élèves, Tata, l'un des grands leaders industriels indiens. Je dois dire que le grand drame - et M. Riboud, ancien de l'ESCP, ne me démentira pas-, est que nous avons un enseignement commercial qui forme des gestionnaires et qui ne forme pas des commerciaux. J'ai des anciens élèves -et j'en ai beaucoup, en 22 ans d'enseignement- qui vont tout le temps en stage en Asie de l'Est et du Sud-Est et qui ne vont pas en stage en Inde.

Le grand problème du système éducatif français est que nous formons des élites qui veulent faire de l'audit, qui seront directeurs financiers, mais qui ne seront pas suffisamment des commerciaux ou des commerçants. Nous ne sommes pas un pays de vendeurs.

Que peut-on faire, dans les chambres de commerce, pour former des vendeurs, des commerçants de haut niveau, et non pas des gestionnaires ? Je pense que les élus, les directeurs de sociétés ont un mot à dire, et là, je rejoins des préoccupations ; c'est-à-dire que des grandes firmes, comme Danone et EDF, auront toujours les moyens de s'implanter en Inde, mais que peut-on faire pour aider ces patrons de PME qui sont très dynamiques ? Il y a l'exemple célèbre d'un patron de PME qui vend au Japon des kimonos. Qu'attend-on pour vendre des saris aux Indiens ?

M. le Président . - Comme vous vous êtes adressée directement à M. Riboud, je vais lui donner la parole.

M. Antoine Riboud . - Madame, vous avez tout à fait raison.

L'intervenante . - Merci.

M. Antoine Riboud . - Il existe un moyen fantastique, que tout le monde oublie, pour apprendre aux jeunes à devenir des vendeur : le VSNE. Il faut obtenir de l'Etat français qu'il multiplie par 10 les VSNE. Nous avons une quantité fantastique de VSNE.

L'intervenante . - Les élus ont quelque chose à faire !

M. le Président . - J'étais à la recherche d'une mission, je l'ai trouvée.

Un Intervenant . - Je souhaiterai intervenir sur la question de l'investissement international. La question s'adresse à M. Banker.

L'Inde a donné un signal formidablement positif, vous l'avez dit, il y a quelques années, en ouvrant, en " délicençant " l'importation, les projets industriels, et l'investissement international. Ce fut un progrès extraordinaire. C'est ce qui a déterminé des grands groupes internationaux à faire des investissements importants dans votre pays.

Dernièrement, au cours d'un congrès de Herald Tribune que mon organisation a parrainé, à Singapour, en avril, nous avons entendu un haut dignitaire du gouvernement indien dire : " L'investissement international, c'est très bien, mais il faut tout de même que ce soit équilibré, que l'on puisse contrôler, qu'on puisse vérifier que notre propre industrie, etc ". Sur le fond, il n'a pas tort, mais le signal qu'il a donné là est une espèce, sinon de contre-signal, une espèce de signal d'amoindrissement du message antérieurement donné jusqu'à présent de M. Rao et que M. Gowda va certainement reprendre à son actif.

Je serai content d'avoir de vous, Monsieur Banker, des indications là-dessus car c'est un sujet qui intéresse beaucoup d'entreprises internationales que je connais, et auquel mon organisation est très personnellement attachée.

M. le Président . - Je vous remercie. Nous allons momentanément nous en tenir là pour les questions car nous devons poursuivre avec la table ronde que va présider, dans un instant, M. Mentré.

Je vais donner la parole, tout d'abord, à M. Ailleret, et ensuite, à nos amis indiens pour répondre. M. Banker aura le dernier mot.

M. François Ailleret . - L'appui aux PME/PMI est essentiel, nous sommes prêts à le faire, nous avons commencé à le faire, et c'est très difficile. C'est facile pour une maison comme EDF d'organiser un voyage à l'étranger pour 10 ou 15 PME, mais cela ne se sert à rien, s'il n'y a pas, après, toute une infrastructure de suivi et d'appui. Il ne faut pas déclencher un feu de paille, il faut engager un mouvement sérieux et en profondeur, et nous y travaillons, notamment avec des organisations professionnelles comme le Gimélec dans un petit nombre de pays.

S'il y avait une opération structurelle bien menée sur l'Inde, je dis ici qu'EDF pourrait s'y engager sans hésiter.

Le photovoltaïque sera la première apparition de l'électricité pour des millions de nos concitoyens du monde qui, aujourd'hui, ne connaissent pas l'électricité. Pour EDF, nous venons de prendre une participation dans Total Energie, filiale qui développe le photovoltaïque. Là aussi, si vous avez des projets ou quelque chose à nous demander, nous sommes prêts à collaborer sur ce projet d'intérêt général pour l'humanité, et qui peut, en même temps, avoir des retombées positives sur l'industrie française.

Enfin, EDF n'a pas du tout l'implantation internationale de M. Riboud et de sa pléiade de sociétés, mais dans le sens de ce que vous dites, Madame, dans tous nos bureaux à l'étranger, nous avons un ou plusieurs CSNE . Nous ne l'avons jamais regretté, cela les prépare bien à la suite et cela apporte une contribution à EDF. J'approuve donc totalement ce que vous avez dit.

M. le Président . - Si vous voulez faire un commentaire. Vous êtes le vice-président de la fédération.

M. Kasliwal . - Contrairement à ce qu'a dit M. Rouher, le représentant de l'Inde au Forum de Singapour, M. T. Khanna, s'est montré ouvert dans la discussion. Il a simplement demandé une légitime réciprocité des concessions entre pays développés et pays en voie de développement concernant notamment l'accueil des investissements étrangers.

En ce qui concerne M. Rouher, il est le Secrétaire Général de l'ICC dont j'ai été le Président de la section indienne.

M. le Président . - Merci beaucoup.

M. Deepak Banker . - Je voudrais parler un peu de cette question de l'énergie, avec votre permission.

L'énergie solaire, si je ne me trompe, coûte très cher. Ce n'est pas vraiment viable, commercialement, mais aujourd'hui, en Inde, parmi les énergies non conventionnelles, nous utilisons beaucoup d'énergie éolienne, et cela ne veut pas dire que l'énergie solaire ne va pas arriver en Inde. Ce sera possible, une fois que ce sera économique. Dans les énergies non conventionnelles, l'énergie éolienne joue un très grand rôle en Inde.

Vous avez dit qu'il était très difficile de connecter les villages en Inde. C'est vrai, mais dans l'Etat du Tamil Nadu, c'est-à-dire Madras, il n'y a pas un seul village qui n'ait pas d'électricité. C'est totalement électrifié. C'est l'une des raisons principales de la perte de distribution en électricité.

Je suis très heureux que vous ayez mentionné J.R.D. Tata qui a été éduqué ici. C'est probablement le plus grand industriel indien. Il a construit les lignes aériennes. C'est un grand homme très respecté et je suis très heureux que votre établissement l'ait éduqué. Dans toutes les institutions, aujourd'hui, à moins que l'industrie, l'institution, le gouvernement, ne se regroupent, on ne pourra jamais répondre au besoin du gouvernement, de l'industrie, et du peuple. Ce qui est basique, c'est qu'il n'y a pas de connexion entre ce que nécessite l'industrie et ce que les institutions produisent. Il faut peut-être examiner les choses.

Concernant la remarque qui a été faite par le secrétaire général du ministère du Commerce, M. Khanna, concernant l'investissement étranger, elle est probablement liée au fait que le coût de l'argent est bien plus élevé pour les entreprises indiennes que pour les étrangers. Ils n'avaient pas de bonnes conditions en Inde : la parité des taux du dollar, de la roupie, la question des taux d'intérêt de 6 à 8 % et, la capacité, pour toute société multinationale d'emprunter partout dans le monde. Comme vous le savez, les sociétés indiennes doivent suivre quelques conditions. Nous ne pouvons pas nous couvrir contre les fluctuations de change. C'est un grand désavantage. Nous devons emprunter de l'argent à 20 %, en plus.

Ce qui est plus important, c'est qu'aujourd'hui, si j'ai une société A et B, je ne peux pas utiliser les finances de ma société A pour soutenir la société B et ses investissements. Par conséquent, il y a eu des restrictions. Dans l'industrie indienne, nous en avons discuté avec le gouvernement. Nous avons dit : " Cela ne fait rien, du moment que vous investissiez. Mais si vous voulez le faire, vous ne pouvez pas investir au dépends des sociétés indiennes existantes. Il faut faire très attention aux domaines que vous choisissez ".

M. Khanna ne parlait pas de la politique du gouvernement indien, je peux vous l'assurer. C'est une personne très libérale qui travaillait sous l'autorité de M. Chidambaram, alors ministre du Commerce. Il n'y a pas de retournement de politique.

Je voudrais vous annoncer que les 10 et 11 septembre 1996, il y aura une conférence internationale qui s'appellera " Destination Inde ". Elle est promue par la Fédération des Chambres de Commerce et d'Industrie Indiennes Cette Fédération inclut 500 chambres de commerce en Inde qui ont toutes 120.000 différentes unités. Ces 120.000 emploient 10 millions de personnes. En collaboration, avec le ministère de l'Industrie, ils vont organiser cette conférence internationale appelée " Destination Inde ".

Quelle est la signification de cette conférence ? Elle sera inaugurée par le Premier Ministre, les conclusions seront tirées par notre ministre des Finances. Ce qui est important, c'est que 7 ou 8 domaines ont été sélectionnés pour discussion. Ils sont d'intérêt primordial pour la France : énergie, transformation des aliments, informatique, logiciels, tous ces sujets sont d'intérêt primordial pour les Français. La France a une technologie fantastique, il n'y a aucun doute là-dessus. Chaque ministère concerné par ce type de domaine, présentera les opinions du nouveau gouvernement. Vous, à votre tour, pourrez poser des questions, clarifier les choses, et rencontrer 1.000 PDG qui vont assister à cette conférence.

Nous avons reçu des réponses de partout dans le monde : Etats-Unis, Autriche, Allemagne... Nous serions heureux si vous pouviez venir à cette conférence. Nous vous enverrons les détails. Cela se déroulera donc les 10 et 11 septembre à New Delhi.

Il y a une chose que je voudrais ajouter. Je suis très heureux de voir que vous avez dit : " On ne veut pas construire un feu de paille, il faut faire les choses étape par étape ". Il faut créer une alliance entre la France et l'Inde. Il existe déjà une alliance entre les Etats-Unis et l'Inde, et entre le Japon et l'Inde, et dans cette alliance, on ne parle pas seulement de l'aspect des affaires, mais également de l'aspect social, culturel. Par exemple, Yves de Ricaud est là pour promouvoir les restaurants français en Inde, nous n'avons pas assez de restaurants français en Inde. En fait, il y a l'Inde avec une côte magnifique où vous pouvez avoir tous les poissons et crustacés que vous voulez. Amenez la Côte d'Azur en Inde ! C'est ce dont nous parlons, lorsque nous parlons de la collaboration commerciale entre la France et l'Inde.

A nouveau, je voudrais lancer un appel. Vous disposez d'une des plus grandes institutions en Inde, l'Alliance Française. Maintenant toutes les jeunes générations, en Inde, veulent apprendre le Français. Je peux vous dire qu'il y a un édifice en Inde, tellement populaire, les jeunes adorent cela. Il faut que vous souteniez cette institution parce que grâce à cette institution, vous pourrez promouvoir la réputation de la France, des générations les plus jeunes qui seront les leaders à l'avenir, en relation avec la France. C'est de cette façon que les choses fonctionnent avec les chambres de commerce indogermaniques.

Quel est le secret des chambres de commerce indogermaniques ? C'est la seule qui est acceptée partout en Allemagne car un homme et une femme se sont dévoués à construire cet édifice. Il est nécessaire d'avoir un établissement similaire indofrançais. Il y a déjà des chambres de commerce indofrançaises, mais il faut des personnes dévouées. Je n'ai aucun doute, je suis sûr que cela sera une réussite.

Enfin, comme le Consul honoraire de France, à Madras, je voudrais vous remercier de cette occasion qui m'a été donnée de vous adresser la parole.

B. OPPORTUNITES ET MÉTHODES D'APPROCHE, TABLE RONDE PRÉSIDÉE PAR M. PAUL MENTRÉ, PRÉSIDENT D'A.S.I.E.

1. Intervention de M. Paul Mentré, Président d'A.S.I.E.

M. Paul Mentré . - L'association ASIE, que je préside, est une association de groupes industriels français, au niveau des directeurs de la stratégie, fonctionnant notamment sous forme de contrats d'études avec le ministère de l'Industrie. Outre des sujets transversaux - par exemple, nous travaillons actuellement sur les problèmes de propriété industrielle-, nous avons comme ambition de mener des groupes de directeurs de stratégie réfléchissant aux tendances internationales dans certains grands pays. C'est ce que nous avons fait en Inde, en octobre 1995. Comme nous l'avions fait pour la Chine, nous avons été très heureux que le Président Francois-Poncet nous propose de faire part, dans le cadre du colloque organisé ici, des enseignements recueillis par certains des participants à cette mission.

Un mot sur cette mission. Nous sommes allés à Bombay, où nous avons parlé industrie, notamment énergie, pétrole, électricité, mais aussi, aspect qui n'a pas été totalement couvert aujourd'hui mais qui est important, le secteur financier, avec la bourse de Bombay qui joue un rôle croissant dans le développement de l'économie indienne et l'émergence d'intermédiaires financiers indiens structurés.

Par exemple, nous avons eu une réunion très intéressante avec une petite équipe bancaire indienne spécialisée dans les formes modernes de financement des infrastructures. A Delhi, nous avons vu les responsables politiques -finances, affaires étrangères, industrie, énergie- du développement indien. Dans les deux villes, nous avons eu aussi des entretiens collectif, notamment à la Fédération des chambres de commerce indienne.

Les participants à cette table ronde sont d'une part, trois personnes qui vous rendront compte de la façon, à la lueur notamment de cette mission mais plus généralement, au nom de leur groupe, dont elles voient les opportunités et les méthodes d'approche du marché indien. M. Gastaut est Délégué à la stratégie internationale de Renault. Vous savez que Peugeot est déjà présent en Inde dans un partenariat a avec un groupe indien. Il sera très intéressant de voir comment l'autre constructeur français voit le marché indien. M. Girault est Conseiller du Président-Directeur général d'ELF-Aquitaine, déjà présent sur le marché indien mais qui a également des ambitions pour l'avenir. M. SAAB, chef de la Mission Prospective au nom d'EDF, parlera en termes un peu plus généraux des problèmes de réalisation des infrastructures.

Enfin, nous aurons deux contributions de caractère global : celle de M. de Ricaud, Conseiller économique et commercial de France en Inde et celle de M. Kaslival, senior vice-président de la Fédération internationale des chambres de commerce indiennes.

Je donne donc la parole à M. Gastaut, au nom du groupe Renault.

2. Intervention de M. Gérard Gastaut,
délégué à la stratégie internationale de Renault SA

M. Gérard Gastaut . - Je vais vous parler tant à la suite de cette mission organisée par l'ASIE qu'en tant que représentant de la société Renault.

Renault, actuellement, n'est pas présent en Inde, à une exception près : nous avons un intérêt minoritaire dans une fabrique de roulements. Nous avons des expériences passées dans la période antérieure à 1991, soit directes soit par ce qui était, à l'époque, notre filiale américaine : American Motors. Nous avions des accords qui existent toujours et qui se terminent pour la fabrication des véhicules Jeep.

Je voudrais aborder trois points : la vision que nous avons de l'Inde ; les marchés automobiles en Inde ; et les risques et opportunités. Je dirai également quelques mots de notre stratégie internationale.

Quelle vision de l'Inde ? C'est effectivement la vision générale, c'est-à-dire une date clé avec une rupture de la politique économique de 1991, un modèle de développement très intéressant et très différent du modèle chinois, pays qui nous intéresse également, une tendance à la croissance du PNB forte, mais moins forte que celle de la Chine, puisque pour l'Inde, nos hypothèses sont de 6 à 7 % par an, ce qui, avec une croissance démographique encore très forte, conduit à 4 ou 5 % par an, pour la croissance par tête. Le niveau de vie de départ moyen est très bas : 300, 350 dollars réels par personne, bien qu'en matière automobile comme en matière de consommation, le niveau de vie ne doit pas être mesuré uniquement en dollars réels, mais en dollars mesurés selon la parité du pouvoir d'achat. Si l'on retient cet indicateur, le niveau moyen indien dépasse nettement les 1.000 dollars.

Enfin, la répartition des revenus, point important pour nous. Elle permet une classe aisée. Nous avons tendance, en automobile, à parler de classe aisée quand la richesse par tête, de cette classe, dépasse 10.000 dollars en parité de pouvoir d'achat. En Inde, il y a, pour nous, environ 10 millions de personnes qui ont un revenu, une richesse annuelle, supérieure à 10.000 dollars, en parité de pouvoir d'achat par an.

Par ailleurs, il y a émergence, derrière cela, d'une classe moyenne. Là, nous avons tendance à appeler classe moyenne la tranche de population qui a un PIB, un revenu par tête, supérieur à 5.000 dollars, en parité de pouvoir d'achat par an. En plus des 10 millions qui ont plus de 10.000 dollars, il y a 40 millions de personnes qui ont plus de 5.000 dollars.

Cette vision de l'Inde un peu particulière me mène au deuxième point qui est le marché automobile. En marché automobile, au niveau mondial, dans le cadre de tous les pays, tant pays développés que pays émergeants, on constate une corrélation très directe entre le marché automobile des véhicules particuliers et des véhicules utilitaires légers, et le nombre de personnes qui ont, dans un pays, un revenu supérieur à 10.000 dollars en parité de pouvoir d'achat par an. Cela veut dire que le marché indien, à ce jour, pour nous, en matière automobile, est un marché d'environ 10 millions de personnes.

Cela marche pas trop mal, lorsqu'on regarde les chiffres et que l'on compare avec la France. Vous allez le voir.

Avant 1991, le marché automobile indien était un marché d'environ 250000 véhicules particuliers et utilitaires légers, au-delà d'un marché très important des 2 et 3 roues qu'il faut souligner. Ce marché était alimenté par des véhicules de fabrication locale de technologies des années 50, 60.

Là, comme partout, 1991 marque un changement radical. En effet, la motorisation de la classe moyenne et de cette classe qui commence à pouvoir accéder à l'automobile se produit. Elle se produit notamment par des véhicules à des prix très bas - le véhicule national indien qui est le véhicule fabriqué par la joint venture qui existe entre le gouvernement indien et la compagnie japonaise Suzuki- avec des véhicules dans la zone des 5.000 à 6.000 dollars de prix d'achat.

Dans ces conditions, le marché actuel, en 1995, s'établit à 500.000 véhicules, véhicules particuliers, plus petits véhicules utilitaires. Je vous disais tout à l'heure que cela correspond à un marché de 10 millions de personnes ayant un revenu supérieur à 10.000 dollars. En France, nous avons environ 50 millions de personnes qui ont un revenu supérieur à 10.000 dollars, vous voyez que l'on est dans le ratio : le marché français total VP + VU étant de l'ordre de 25.000.000, un marché de 500000 représente en effet cette équation que j'indiquais tout à l'heure.

A long terme, avec des taux de croissance du revenu par tête de 5 % par an, vers 2010, les 40 millions de personnes qui, actuellement, ont un revenu de l'ordre de 5.000 dollars, auront doublé leur revenu. On aura, en 2010, un marché potentiel d'une population d'environ 50 millions de personnes, ce qui veut dire un marché potentiel VP + VU supérieur à 2 millions, si l'on prend différents modèles mondiaux.

Il faut souligner l'autre marché qui nous intéresse et qui est celui des véhicules industriels. C'est actuellement un marché de 50.000 véhicules -autocars, autobus, camions moyens-. Ce marché va encore se développer en volume, mais il se développera surtout en changeant de nature, c'est-à-dire en se transformant, petit à petit, d'un marché de camions moyens, d'autobus bâtis sur des châssis de camions, en un marché suivant le cours du développement du pays, avec des véhicules plus haut en gamme, plus lourds, et à condition que les infrastructures suivent car si on a des gros camions entre les villes, encore faut-il avoir des routes ou des voies rapides pour qu'ils puissent rouler dessus, et si possible avec peu d'octroi entre les régions, comme c'est le cas actuellement, aussi.

Quels risques et quelles opportunités ? Une remarque générale : attaquer le marché automobile indien, c'est s'installer industriellement sérieusement, c'est-à-dire s'intégrer fortement, du fait des barrières douanières, de la parité de la roupie, et de la politique du gouvernement indien. Faut-il le faire seul? Cela est maintenant possible, au moins théoriquement, avec des partenaires en étant ou non majoritaire.

La politique de Renault est, à l'international, d'aller toujours, quasiment toujours, avec des partenaires, et quand je dis des partenaires, je veux dire des partenaires du pays dans lequel nous nous installons, soit des partenaires ayant déjà une connaissance de l'automobile, soit des partenaires souhaitant venir dans l'automobile. Nous avons de tels partenaires, dans les pays où nous avons des activités très fortes. C'est le cas en Turquie, où nous avons comme partenaire les caisses de retraite de l'armée. C'est le cas en Argentine, où nous avons un partenaire industriel local. En Colombie également.

Le choix des partenaires est un point très important puisque l'on est amené à prendre un risque financier lourd qui dépend tant du risque politique que du risque industriel et de marché.

Chez Renault, nous avons une politique internationale dans laquelle nous avons donné une priorité, au niveau mondial, aux pays où nous avions déjà une position : Turquie, Europe de l'Est, Amérique Latine. Mais notre priorité, au-delà de ce développement de position, est bien sûr l'Asie.

Pour ce qui concerne l'Inde, nous avons beaucoup étudié et travaillé, depuis 18 mois, sur le marché automobile. Nous sommes arrivés à la conclusion que, pour nous, le rapport risque/intérêt était plus intéressant pour commencer en matière de véhicules industriels. Il y a là une opportunité qui vient de se placer en termes de produits dans le cadre de la modification de la demande des véhicules industriels vers des véhicules plus modernes. Il n'y a pas encore ce passage du " trop-vide " au " trop-plein " qui est en train de se produire en matière automobile. Cela nous a conduit à décider de privilégier en priorité l'approche du marché indien par notre filiale Renault Véhicules Industriels, l'automobile étant une étape d'observation active tant pour les véhicules particuliers que pour les véhicules utilitaire.

C'est une réflexion que nous avons assez globalement, non seulement sur l'Inde mais généralement sur l'Asie. Je reconnais que nous n'avons pas, dans le développement de notre présence en Inde, la vitesse des Formule 1 que nous motorisons, mais nous pensons et nous travaillons pour y faire quelque chose.

M. le Président . - Merci. Je passe la parole à M. Francis Girault, au nom du groupe Elf-Aquitaine.

3. Intervention de M. Francis Girault,
conseiller du président directeur général d'Elf-Aquitaine

M. Francis Girault - Vous m'avez demandé de parler de l'expérience de partenariat que le groupe Elf a développé en Inde. Je le ferai sous deux angles. Le premier concernera les leçons que nous pouvons tirer aujourd'hui de l'expérience acquise, et le second aura trait à la façon dont nous intégrons le partenariat dans notre stratégie de développement.

Le groupe Elf est présent en Inde depuis relativement peu de temps. En termes commerciaux, nous sommes présents depuis une dizaine d'année, en termes industriels, depuis trois ans.

La production d'hydrocarbures en Inde est faible. Elle est de l'ordre de 30 millions de tonnes, et nos géologues, comme ceux des grandes compagnies internationales, n'estiment pas que l'Inde puisse receler des ressources importantes en matière d'hydrocarbures.

C'est pourquoi le groupe a cherché à se développer sur d'autres marchés en Inde : produits pétroliers, chimie et pharmacie.

Aujourd'hui, nous menons cinq opérations en Inde, deux dans le domaine des dérivés du pétrole -lubrifiants et GPL- deux dans la chimie et une dans la pharmacie.

Au total, notre chiffre d'affaires est de l'ordre de 300 millions de francs pour un investissement inférieur au total à 100 millions de francs.

Au-delà de ces opérations, nous avons cinq projets en cours dans des domaines identiques à ceux que j'ai énoncés. Nous espérons, d'ici la fin du siècle, pouvoir atteindre le milliard de francs de chiffre d'affaires dans ce pays.

Quelles sont les leçons qu'Elf tire aujourd'hui de son expérience de partenariat en Inde ?

Dans les cinq opérations existantes, nous travaillons en partenariat. Il est intéressant de rapidement relater comment ceux-ci ont été noués.

Dans le domaine des lubrifiants, notre partenaire gérait une entreprise de câblerie, sans point commun direct avec notre activité. Séduits cependant par son goût de l'entreprise et l'excellente qualité de sa gestion, nous avons monté avec lui une opération dans laquelle nous détenons 51 %, et notre partenaire indien 49 %.

Celle-ci a débuté il y a trois ans, à Bombay. Ceux qui ont visité la ville depuis deux ans ont pu voir la diligence avec laquelle notre partenaire fait de la publicité, puisqu'on voit le nom d'Elf partout, notamment en venant de l'aéroport.

Ce partenariat nous a conduits à ouvrir une usine, inaugurée l'an dernier, de 20.000 tonnes de lubrifiants. En l'espace de dix-huit mois, nous sommes donc passés d'un partenaire commercial à un partenaire industriel et, aujourd'hui, nous envisageons une extension de cette usine.

Nous avons également noué des partenariats industriels avec d'anciens licenciés dans le domaine de la chimie et de la pharmacie.

Pour ce qui est de la chimie, nous menons une opération à Madras, dans le domaine des additifs plastiques. Notre partenaire nous a été révélé par la qualité de ses produits, que nous rencontrions fréquemment sur les marchés du Moyen-Orient. Cet industriel disposant de surcapacités, nous lui avons proposé de rentrer en joint venture. Là encore, nous avons monté une opération où Elf détient 51 % des parts et notre partenaire 49 %, pour l'aider à développer et à assurer l'homologation de ses produits, et à les vendre sur toute la partie asiatique, où nous avions déjà des implantations, ainsi qu'au Moyen-Orient...

C'est une opération qui marche fort bien et qui nous conduit à envisager d'étendre ce partenariat sur des opérations nouvelles que nous sommes en train de développer au Qatar dans le domaine du PVC.

C'est donc davantage les qualités entrepreneuriale et de gestion de nos partenaires que leur expérience antérieure ou leur taille qui nous ont conduit à les sélectionner et à privilégier la voie du partenariat.

Le partenariat tient une place dans la stratégie de développement de Elf en Inde.

Nous avons aujourd'hui en Inde des projets qui intéressent des secteurs en très fort développement : chimie de spécialité, lubrifiants, GPL.. Ces projets se situent généralement entre 10 et 20 millions de dollars. Ils ne nécessitent pas d'investissements capitalistiques très élevés. Nous n'avons donc pas besoin de rechercher des associations avec de gros industriels.

Nous continuons donc à rechercher des accords avec des entreprises plutôt moyennes, mais d'autres d'une grande volonté de développement et d'une forte expérience commerciale.

Nous sommes également conduits à favoriser une recherche élargie de partenariats puisque nos activités étant diversifiées, entrer dans un seul partenariat avec un grand groupe n'aurait pas grand sens, celui-ci ne couvrant pas nécessairement tous nos champs d'activités.

Enfin, le gap culturel est infiniment moins grand que celui que nous connaissons dans d'autres pays d'Asie. La compréhension avec nos partenaires se fait de manière rapide et aisée, ceci nous permet de ne pas à expatrier un trop grand nombre de personnes, puisque ces opérations sont souvent dirigées par nos partenaires. Elles peuvent inclure des expatriés au niveau technique et exportation, mais pas nécessairement au niveau gestion.

En conclusion, nous trouvons dans notre expérience indienne une source de particulière satisfaction, qui nous incite à développer nos activités en Inde. Nous disposons déjà au sein du groupe et d'un nombre d'Indiens suffisant pour constituer un vivier. Ceci constitue à nos yeux un des éléments essentiels de développement de nos atouts dans ce pays pour les années à venir.

M. le Président - La parole est maintenant à M. Saab, chef de la mission Prospective à EdF.

4. Intervention de M. Assaad Saab, chef de la mission Prospective à EDF

M. Assaad Saab - Je serai volontairement bref, d'autant que notre Directeur général, François Ailleret, a été très complet dans sa description de la situation du secteur électrique indien.

J'intégrerai quelques points forts de son message et je soulignerai surtout quelques points qui nous ont frappés lors de notre mission d'étude : tous les collègues Indiens, qu'ils interviennent dans le domaine de l'électricité ou qu'ils soient responsables politiques -nous avons eu des réunions avec les chambres de commerce de Bombay et de Delhi, et le patronat indien et la Banque Mondiale lors de la mission d'octobre 1995- portent une analyse très juste et très sereine sur le contexte électrique indien. Les compagnies électriques régionales connaissent en effet une situation financière très difficile. L'exploitant est intégré au niveau de l'Etat, mais le taux de retour sur investissement se situe en permanence entre - 12 et - 15 % par an, et les pertes annuelles globales sont de l'ordre de 1 % du PIB !

Ceci crée une condition de départ extrêmement difficile, qui explique les problèmes liés à l'entretien et aux pertes techniques.

D'autre part, la politique tarifaire " anti-économique " constitue un autre point noir. Celle-ci a toujours été utilisée comme outil politique, afin de fournir l'électricité aux plus pauvres au coût le plus bas. Cela se traduit globalement par des subventions très fortes au monde agricole et aux particuliers, qui dénaturent l'équilibre financier.

Les tarifs couvrent globalement 50 à 60 % des coûts marginaux à long terme. Le président Banker a mentionné tout à l'heure une augmentation de 25 % des tarifs. Il est vrai qu'il existe des Etats-pilotes, comme le Karnataka ou l'Orissa, qui ont pris en compte ce problème, mais le problème est général. D'autres Etats, moins riches et qui connaissent des facteurs encore moins favorables, ont encore davantage besoin de ce type de réforme tarifaire...

Tous nos interlocuteurs indiens ont par ailleurs insisté sur la complexité du cadre institutionnel et sur les problèmes entre le niveau fédéral et l'Etat. Etant donné la situation financière des Etats et des compagnies d'électricité, des comptes garantis sont indispensables au niveau fédéral. Ceci révèle un problème d'adaptation institutionnelle à une économie qui se libéralise, et qui a conservé un poids bureaucratique très important.

Ainsi, pour un projet d'infrastructure électrique, il faut dix-sept autorisations différentes au niveau local et fédéral ! Cela ne simplifie donc pas la tâche de l'opérateur...

Etant donné l'étendue et l'importance du contexte indien, des instances réglementaires sont donc indispensables. Il faut les encourager, et cela reste un des points-clefs de l'évolution de ce secteur.

Pour qu'un opérateur étranger puisse contribuer à aider l'Inde, il paraît nécessaire de procéder à la restructuration des compagnies électriques afin de leur donner une crédibilité financière et de leur assurer un assainissement financier satisfaisant, mais également de permettre des ouvertures de capital et de faire jouer la concurrence, sous forme de gestion déléguée à un distributeur local.

Une participation dans le secteur de la distribution, qui reste jusqu'à présent très fermé et entièrement public, donnera confiance au reste. Les représentants des chambres de commerce indiennes à Delhi nous ont eux-mêmes tenus ce discours, que l'on peut donc reprendre à notre compte.

Il est sûr que la réalité économique de l'Inde est très différente d'un Etat à un autre, et l'on ne pourra pas évoluer vers une politique électrique tarifaire unique. Il faut que celle-ci respecte les spécificités d'un certain nombre d'Etat, mais, globalement, une vérité des coûts est indispensable.

M. le Président - M. Kasliwal veut-il réagir ?

5. Intervention de M. A.S. Kasliwal, Vice-Président de la FICCI,
Président de S. Kumars

M. A. S. Kasliwal - Je vais essayer d'apporter quelques réponses...

Tout d'abord, lorsqu'on s'implante quelque part, c'est avec un certain investissement, et pour réaliser des bénéfices.

Par ailleurs, il est important qu'une centrale électrique fonctionne à sa pleine capacité ! Dans le cas contraire, on n'est pas payé !

En outre, un producteur d'électricité doit pouvoir sécuriser son investissement. Cependant, partout dans le monde -et pas seulement en Inde- des formules existent.

S'agissant de la création d'infrastructures pour la production d'électricité en Inde, 16 % de retour sur investissement avaient été garantis. Or, les coûts de production ont été malheureusement gonflés.

Il s'agit en fait de savoir si l'Inde est solvable, si l'argent investi peut être récupéré en fin de parcours ou à n'importe quel moment, si les dividendes peuvent être payés en temps voulu, et si la puissance produite sera consommée...

Il est certain que l'électricité sera consommée. Lorsque le pays est solvable, il n'y a pas de problèmes -et l'Inde est un pays solvable. Certains investisseurs n'ont d'ailleurs pas hésité.

C'est pourquoi je ne comprends pas certaines prises de position : les industriels n'ont pas à se préoccuper de savoir si les producteurs d'électricité perdent de l'argent, mais plutôt à réaliser des bénéfices !

M. le Président - Je remercie M. A.S. Kasliwal et je passe maintenant la parole à M. Yves de Ricaud, Conseiller économique et commercial.

6. Intervention de M. Yves de Ricaud,
conseiller économique et commercial de France en Inde

M. Yves de Ricaud - Je voudrais aborder les opportunités qui s'ouvrent sur le marché indien, en terminant par quelques conseils, fondés sur mon expérience à la tête du poste d'expansion.

Quelles opportunités, dans quels secteurs en Inde ? Fondamentalement, dans tous les secteurs, ou, plus exactement, dans tous les secteurs d'excellence de l'industrie française.

Aucune branche, aucune industrie, en Inde, n'est à exclure, d'abord parce que l'Inde constitue une économie très diversifiée, sinon équilibrée, dans toutes ses composantes.

A quelque chose malheur est bon : c'est en effet le résultat de la politique de développement auto-centré pratiquée depuis 1947, qui a eu pour objet, sous Nerhu et ses successeurs, de donner à l'Inde à la fois une industrie lourde, une industrie de transformation, mais également une industrie légère.

Aujourd'hui, toutes les entreprises qui s'intéressent à ce pays peuvent trouver des interlocuteurs, des opportunités d'investissements, des marchés dans la plupart des secteurs de l'économie indienne, alors qu'il n'en va pas exactement de même en Chine, par exemple, où il existe des secteurs sans réelle industrie développée...

Par ailleurs, l'Inde est une économie de marché, où la culture du marché est ancienne, où la classe capitaliste est nombreuse et dynamique - vous en avez des échantillons ici.

Cet après-midi, Deepak Banker nous beaucoup a parlé de l'Inde, sans nous dire qu'il est l'un des principaux industriels dans le secteur des équipements textiles ! Il souhaite d'ailleurs se diversifier dans le secteur de l'agro-alimentaire, et il faut que nous l'y aidions !

M. Kasliwal, quant à lui, est l'un des premiers industriels textiles en Inde. Il a également des projets majeurs dans le domaine de l'habillement et de la production d'électricité, comme vous avez pu vous en rendre compte. Lui-même et son groupe se présentent comme des capitalistes conservateurs...

L'Inde est un pays ouvert dans pratiquement tous les secteurs. Il est vrai que, dans le secteur des biens de consommation, l'importation reste difficile, pour ne pas dire impossible pour beaucoup de produits. Elle est néanmoins possible depuis plus d'un an, dans le domaine -stratégique pour nous- du textile, du fil, des tissus, de l'habillement, contrepartie que les Indiens ont acceptée en échange du démantèlement progressif de l'accord multifibres.

L'Inde est aussi un pays assoiffé de technologie et de coopération. Les Français sont positivement surpris de la qualité des contacts et de l'extrême curiosité des entrepreneurs indiens, qui cherchent des relations avec eux, à l'occasion des expositions ou des séminaires techniques que nous organisons en Inde.

Il n'y a donc pas d'interdits, et il ne devrait pas y avoir d'inhibition pour les entreprises françaises en Inde. Des PME bien organisées y ont toutes leurs chances, et toutes les formes d'investissement sont envisageables. De façon générale, on peut investir jusqu'à 51 % et contrôler son investissement sans autorisation préalable dans la plupart des secteurs qui nous intéressent. Au-delà, il est possible d'obtenir une autorisation...

Toutefois, on ne peut tout faire, et il faut peut-être savoir où porter notre effort. On peut le déterminer à partir de ce que nous faisons déjà : cela nous donnera des indications sur ce qu'on peut y développer.

Que vendons-nous en Inde ? ... Nous vendons à peu près pour 5,5 milliards de francs de produits chaque année. Cela nous place au seizième rang des fournisseurs de ce pays. Ces exportations représentent moins de 2,5 % des importations indiennes et consistent pour les trois-quarts en produits manufacturés, le reste étant constitué de produits intermédiaires.

Nous vendons très peu de biens de consommation. Ceci est lié à la fermeture traditionnelle de ce marché, qui n'est encore que très partiellement ouvert : 6 % seulement de nos exportations sont des exportations de produits de consommation, essentiellement dans le secteur pharmaceutique, qui est une priorité pour le Gouvernement indien. A titre d'exemple, nous vendons moins d'automobiles en Inde que les Indiens ne nous en vendent en France, ce qui donne la mesure des difficultés qui existent pour vendre des produits de cette nature !

Au-delà de ce que nous faisons, essayons de voir ce que nous pouvons faire et qu'on ne fait pas encore -ou pas assez...

Je distinguerai trois catégories de secteurs : les marchés porteurs, les marchés prometteurs et les marchés potentiels.

Les marchés porteurs sont ceux pour lesquels la demande est immédiate. C'est tout ce qui concourt à la modernisation de l'industrie indienne, en particulier exportatrice. Certes, l'Inde se développe de 6 ou 7 % par an, sa production industrielle augmente de 12 % par an, mais ses importations augmentent de 25 ou 30 % par an et ses exportations, qui ont besoin d'intrants et de techniques étrangères, se développent également de 25 à 30 % par an -et il semble que ce soit une tendance assez lourde.

Cette industrie exportatrice a besoin d'améliorer la qualité de ses produits et de ses procédés. Je ne dresserai pas la liste de tous les secteurs de modernisation de l'industrie indienne où l'on peut apporter quelque chose, mais, dans le secteur de l'emballage, du matériel électrique, du matériel textile, du matériel pour l'industrie de l'habillement, de la manutention, de la machine-outil, les importations et les besoins sont considérables.

Autres segments porteurs de l'industrie indienne : ceux qui bénéficient de l'effet d'entraînement des grands projets, ainsi que de nos financements. Notre programme de financement vise tout ce qui est service urbain, en particulier eau et assainissement. Il y a là un marché porteur, mais il y en a dans le secteur de l'automobile : aucun producteur de composants automobiles français ne peut se permettre le luxe d'ignorer l'Inde aujourd'hui, avec l'investissement Peugeot et les projets de Renault dont on vient de parler.

Il en est de même pour la chimie et la pharmacie pour les communications, en particulier dans le secteur du téléphone cellulaire, puisque l'Inde s'équipe à très grande vitesse. Les producteurs français d'équipement se battent contre leurs concurrents européens et américains.

De la même manière, Ugine a un programme majeur d'investissement en Inde pour fabriquer de l'inox avec un grand groupe privé indien. Il faut donc que tous les fournisseurs d'équipement de ce secteur suivent ce type de projet !

Il en va naturellement de même pour les projets très ambitieux que peut avoir Saint-Gobain, et dont parlait Jean-Louis Beffa.

La seconde catégorie de marchés pour lesquels les choses sont moins évidentes -mais la demande apparaît néanmoins intéressante- concerne des marchés prometteurs qui touchent l'infrastructure, comme les télécommunications -davantage le service téléphonique de base et les centraux publics, que le téléphone cellulaire.

Ce type de marché est plus difficile et plus long, et concerne également l'électricité. Les projets sont quelquefois difficiles, mais certains arrivent à maturité. Cela touche aussi les autres secteurs d'infrastructures, comme la construction de routes ou de logements, le chemin de fer, secteur dans lequel les besoins sont considérables, et sur lequel nous avons une coopération avec les chemins de fer indiens qui ne demande qu'à être réactivée.

Enfin, le troisième secteur est celui des marchés potentiels. Il s'agit pour l'essentiel de marchés qui viennent de s'ouvrir, ou qui vont s'ouvrir. J'ai parlé du textile, de l'habillement, des biens de consommation, je voudrais également parler de l'assurance...

Le nouveau Gouvernement indien vient d'annoncer que le secteur des assurances, fermé jusqu'à présent aux entreprises privées indiennes, mais aussi étrangères, sera ouvert aux entreprises étrangères et privées.

Encore un mot sur l'agro-alimentaire, qui réunit les trois caractéristiques que je viens d'exposer... Ce marché est effectivement encore fermé pour l'essentiel en ce qui concerne les produits. Il est en réalité ouvert aux investisseurs qui veulent produire -on l'a bien vu avec Danone- ainsi qu'aux producteurs d'équipements et aux bailleurs de procédés. Il est frappant de constater l'écart qui existe entre le potentiel que représente l'Inde dans ce secteur, du fait de la diversité de ses climats, de ses produits, de ses cultures, et la discrétion dont les entreprises françaises font preuves dans ce secteur, Danone naturellement mis à part !

Il est également frappant de constater l'agressivité d'Israël, des Etats-Unis, du Danemark ou de la Hollande, alors que les entreprises françaises montrent moins de présence et d'agressivité. Un effort considérable est donc à faire, et nous aiderons les entreprises françaises à le faire...

Je voudrais terminer par quelques conseils de nature commerciale : je voudrais d'abord dire que nous disposons maintenant en Inde, dans les deux postes d'expansion économique de Delhi et de Bombay -et j'espère bientôt dans celui de Bangalore- de tout un appareil d'information, également disponible au CFCE, qui permet d'approcher le marché indien en connaissance de causes.

Nous avons en effet une série de documents, dont je ne vous donnerai pas la liste, mais qui vous permettront à la fois de faire la connaissance des grands groupes indiens, qui sont extrêmement dynamiques et diversifiés, et de prospecter les Etats.

Il est indispensable de ne pas se limiter à Delhi et à Bombay : il faut aller dans les Etats, dans le sud, voir Deepak Banker à Madras, qui vous aidera, et M. Kasliwal à Bombay. Il a, lui aussi, beaucoup de projets, et vous aidera également !

M. le Président - Je salue l'arrivée de M. Yves Galland, ministre du commerce extérieur, et j'invite la salle à intervenir...

Un intervenant - Nous avons beaucoup parlé des difficultés des PME, et je voudrais poser une question à M. de Ricaud... Je suis président d'une société de conseil, Alliance stratégique internationale, qui a été fondée par des Français et des Indiens pour aider les PME.

Voyez-vous un rôle pour une entreprise comme la nôtre en Inde ou non ?

M. Yves de Ricaud - Non seulement je vois un rôle pour des entreprises comme la vôtre, mais, de plus, nous en avons besoin ! Il est vrai qu'il y a beaucoup de consultants en France et en Inde, mais nous manquons cruellement de relais.

Pratiquement aucune société de commerce française n'est présente en Inde -sauf exception marquante- à l'inverse de l'Asie, alors que nous avons besoin de ce véhicule pour développer notre présence.

Les sociétés industrielles pratiquent pour certaines le " piggy back " (représentation d'une société par une autre). On en parle beaucoup en ce moment... Il y a effectivement aussi des possibilités dans ce domaine.

Quant aux PME déjà présentes en Inde, une bonne façon d'équilibrer leurs comptes et de justifier l'existence d'une représentation serait de développer une forme de " piggy back ", qui aurait pour objet de compléter la gamme de leurs produits en vendant les produits des autres PME qu'elles représentent auprès d'un réseau de commercialisation qu'elles ont déjà constitué...

Vous êtes en tout état de cause le bienvenu chez nous, ainsi qu'en Inde, et tout ce qui nous permettra d'apporter une aide aux PME et à leurs transferts de technologie sera évidemment bien accueilli !

M. Paul Mentré - Je remercie les intervenants et rend maintenant la présidence à M. Jean François-Poncet...

M. Jean François-Poncet - J'accueille à présent M. Yves Galland, ministre délégué chargé des finances et du commerce extérieur, qui est évidemment plus qu'à sa place ici. Il connaît l'Inde et vient conclure notre journée de travail.

Je voudrais avant qu'il ne conclue lui dire que nous avons eu une journée bien remplie. J'ai le sentiment qu'un grand nombre des problèmes qui se posent aux chefs d'entreprise français ont été traités. Certes, on aurait pu entrer dans plus de détails, mais il me semble qu'on a à peu près abordé les interrogations, les promesses et les perspectives, tout en débattant sans concession des obstacles et des difficultés qu'on peut rencontrer.

C'est ce qu'il était souhaitable de faire, et non de dresser un tableau idyllique des perspectives qui peuvent attendre les entreprises françaises qui s'intéressent à l'Inde, Il faut en effet regarder les choses telles qu'elles sont, et nous l'avons fait, mais il vous appartient de tirer les leçons de l'avenir de nos relations avec l'Inde...

7. Intervention de M. Yves Galland,
ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur

M. Yves Galland - Monsieur le Président, merci de votre invitation. Je suis heureux de conclure les débats consacrés aux enjeux des investissements français en Inde.

Vous venez de rappeler que les débats ont été très riches. Je n'en suis pas surpris : le sujet est d'importance ! L'Inde est un pays formidable, qui offre de nombreuses opportunités d'investissement à nos entreprises, mais le sujet n'est pas simple.

Je sais que cela fait suite à la très importante mission que vous-même avez menée en Inde en février dernier. Vos interventions ont été aujourd'hui d'une grande qualité. Cela s'inscrit dans le cadre général d'un regain d'intérêt de nos entreprises pour ce pays et cette région.

Je voudrais vous dire pourquoi j'estime que l'Inde doit être une priorité de nos entreprises, et la place que nous devons y avoir, en particulier dans le secteur de l'investissement...

Comme vous le savez, le Président de la République a placé l'Asie au coeur de ses préoccupations internationales. Il a fixé un objectif ambitieux à notre commerce extérieur, qui est de tripler d'ici dix ans nos parts de marché dans cette région. Cette volonté a été fixée par Jacques Chirac, tant à Singapour qu'à Bangkok. Elle s'applique bien évidemment à l'Asie du sud-est, mais aussi à l'Inde.

J'ai moi même approfondi cette orientation et sélectionné des pays d'action prioritaires pour le Gouvernement, en Asie, mais également ailleurs. Ils sont au nombre de huit. Il s'agit de l'Afrique du sud, du Brésil, de la Chine, de la Corée, de l'Indonésie, du Mexique, de la Russie et, naturellement, de l'Inde ! Votre colloque s'inscrit donc pleinement dans cette perspective.

De cette réunion, ressortent deux éléments essentiels : les transformations profondes de l'économie indienne depuis 1991 et le potentiel de marchés très important pour nos entreprises.

J'ai eu le plaisir d'accueillir en France le Premier ministre Rao, lorsqu'il est venu en visite officielle, il y a quelques mois, et j'ai participé à certains des entretiens qu'il a eus au plus haut niveau. Depuis 1991, M. Rao a fort judicieusement réformé une économie dont il faut reconnaître qu'elle était peu libéralisée et ouverte au commerce extérieur. Il en résultait une croissance inférieure au potentiel de la croissance de l'Inde...

Je suis convaincu que le nouveau Gouvernement va avoir à coeur de continuer ces réformes, en procédant aux adaptations nécessaires, dont certaines ont sûrement été évoquées au cours de la journée.

Cette continuité des politiques économiques est indispensable. L'Inde constitue la plus grande démocratie du monde, qui connaît un système politique extrêmement satisfaisant. Je suis sûr que la nécessité des réformes économiques transcende les clivages normaux qui peuvent exister dans une démocratie.

D'importantes réformes ont favorisé l'investissement direct en Inde ces dernières années. L'économie indienne s'est ouverte, on a constaté une baisse considérable des droits de douane de 1991 à 1995, l'économie indienne a été déréglementée et l'investissement a progressé, le secteur financier a été modernisé et cette politique a porté ses fruits.

Les perspectives de marchés sont considérables. Dans le secteur des infrastructures, l'objectif du Gouvernement est de faire progresser l'investissement annuel dans le domaine des infrastructures de 3,5 à 6 % du PIB, dans des secteurs aussi divers que l'énergie, le pétrole, les télécommunications, les transports ferroviaires, les routes, les ports...

De ce fait, le besoin d'investissement est estimé à 500 milliards de francs pour les cinq prochaines années. Pour répondre à ce défi, le Gouvernement indien s'efforce de promouvoir depuis 1991 la réalisation et le financement de projets d'infrastructures par des concessions, notamment dans des secteurs comme la production d'électricité ou les télécommunications.

La Banque mondiale a appuyé ses efforts avec des lignes de crédits, pour inciter l'intervention du secteur privé dans le financement de la création et de la gestion de ces nouvelles infrastructures.

Mais, dans le domaine de l'équipement des ménages et des biens de consommation, le marché indien se développe considérablement. L'Inde compte un milliard d'habitants, et une classe moyenne s'est constituée, avec des besoins nouveaux. Il semblerait qu'elle s'élève à 80 millions d'habitants, avec un pouvoir d'achat et des besoins de consommation.

En dépit des contraintes administratives et douanières qui pénalisent les bien de consommation, il est clair que les entreprises étrangères présentes dans ce pays auront un avantage sur ce marché en pleine expansion !

Comment agir ? ... Je crois que l'investissement direct est l'un des vecteurs privilégiés de notre présence en Inde. Depuis le début de la décennie, l'Inde enregistre une croissance régulière des entrées d'investissements directs étrangers, qui sont passés de 750 millions de francs en 1991 à 4,750 milliards en 1994, et à 6,5 milliards l'an passé. Le cap des 10 milliards a été franchi en 1995-1996.

Malgré ces progrès, l'attractivité de l'Inde en matière d'investissements étrangers demeure modeste, si on la compare à celle de la Chine 170 milliards de francs 1994- ou des pays de l'ASEAN -entre 12 et 22,5 milliards de francs- pour l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande en 1994.

Je pense cependant que l'Inde devrait devenir l'un des premiers pays au monde pour l'accueil des investissements directs internationaux, pour deux raisons...

Tout d'abord, le Gouvernement indien a mis en place une politique orientée vers la libéralisation et la déréglementation des investissements étrangers -approbation automatique jusqu'à 51 % de participation dans 34 secteurs prioritaires, constitution d'un " foreign investment promotion board ", qui simplifie les démarches des entreprises...

En outre, l'Inde a besoin d'investissements pour assurer sa croissance. En effet, ce pays reste en retrait par rapport à l'Asie du sud-est, où les investissements directs étrangers représentent en moyenne 9 % de la formation de capital.

Depuis le début de la décennie, on observe en Inde une contribution croissante de l'investissement direct étranger à la formation brut de capital fixe, multipliée par 8 entre 1991 et 1995, et qui est passée de 0,3 % à 2,5 %.

Devons-nous renforcer la place de la France et comment faire face à cette croissance prévisible ? La France, en flux cumulé, se situe au huitième rang seulement des investisseurs étrangers, avec 1,5 % des opérations, loin derrière le Royaume-Uni -11 %- les Pays-Bas -5 %- et l'Allemagne -4 %... L'année dernière, pour être franc, n'a pas été très brillante, puisque nous ne figurions plus parmi les dix premiers investisseurs.

C'est une situation qui se révèle paradoxale lorsqu'on sait que, depuis le début de la décennie, nous sommes, nous, Français, au troisième rang des investisseurs internationaux, derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et au quatrième rang mondial pour le stock de capital investi à l'étranger !

Cette faible présence en Inde est d'autant plus regrettable que nous disposons d'atouts importants dans ce pays. La tradition de présence des entreprises françaises en Inde est ancienne, et il existe d'importants projets dans les biens d'équipement professionnels -d'autres ont d'ailleurs été annoncés ou mis en perspective aujourd'hui...

Un quart des entreprises françaises implantées en Inde sont des PME. Vous connaissez l'importance qu'attache le Gouvernement au développement des PME sur les marchés lointains émergents spécifiques. C'est ainsi que j'ai lancé, il y a six semaines, l'association " Partenariat France ", opération dans laquelle se sont engagés 57 groupes français internationaux, qui, en amont, facilitent l'implantation des PME et des PMI françaises.

Par ailleurs, un accord bilatéral d'encouragement et de protection des investissements, qui doit être prochainement conclu entre la France et l'Inde, manifeste notre volonté de rattraper ce retard.

D'autre part, un nouveau poste d'expansion économique substantiel doit être créé à Bangalore. L'ensemble du dispositif d'appui et de soutien à notre commerce extérieur est en outre mobilisé au profit de notre présence en Inde. Six actions d'envergure ont été programmées cette année par le CFME et cinq séminaires ACTIM, très spécifiques et pointus, concerneront l'Inde...

Enfin, l'année prochaine, une grande manifestation commerciale se tiendra en Inde pour la première fois depuis de nombreuses années, l'" India engineering trader ", début 1997.

Ma volonté est de donner un nouvel élan aux relations franco-indiennes. La dernière commission mixte entre nos deux pays a eu lieu en novembre 1991, dans un climat difficile, en raison de contentieux bilatéraux. J'étais prêt à venir à Delhi et à tenir une nouvelle commission mixte en novembre dernier, dans le cadre d'un voyage que nous avions soigneusement préparé et ouvert aux entreprises, comme aux Philippines, en Croatie ou en Turquie...

Malheureusement, certains " irritants " ont conduit nos partenaires à annuler cette commission. Je souhaite toutefois, si le Gouvernement indien le désire, pouvoir tenir le plus rapidement possible cette commission mixte, accompagné par de très nombreuses entreprises françaises, car je suis désireux de me rendre en Inde avec tous ceux qui m'ont fait part de leur désir de m'accompagner -et qui sont extrêmement nombreux !

C'est là un élément de confirmation parmi d'autres du très grand intérêt qui existe dans notre pays pour le développement des relations bilatérales, politiques et économiques, entre nos deux pays...

Il est temps de redynamiser les relations bilatérales avec l'Inde : en ma personne, et par votre intermédiaire, Monsieur le Président, le Gouvernement français y est déterminé, et je suis sûr que 1996 et 1997 verront fleurir de nouvelles relations franco-indiennes, que nous appelons de nos voeux !

IV. CONCLUSION ET SYNTHÈSE DES TRAVAUX

M. Jean François-Poncet - Monsieur le Ministre, Messieurs les Ambassadeurs, M. le président Mentré, nous arrivons à la fin de cette journée, que le ministre a conclue avec les accents d'un volontarisme qui aura fait sûrement plaisir à tous !

En effet, nous avons débattu très librement des problèmes qui se posent. Nous avons, au cours des vingt dernières années, gagné et perdu du terrain par rapport à un certain nombre d'autres pays. Ainsi, l'époque du dirigisme indien, de la planification économique, à l'époque où les contrats étaient des contrats d'Etat, nous occupions la cinquième position.

Or, depuis que la politique indienne a basculé vers le libéralisme et l'ouverture, nous n'avons pas perdu de positions en chiffres absolus, mais nous avons été rattrapés et dépassés par un certain nombre d'autres pays.

Vous avez bien fait de rappeler à nos amis indiens que ceci ne reflète en rien la situation de l'économie et de l'industrie française dans le monde, ni sur le plan des exportations, ni sur celui des investissements, car nous nous plaçons parmi les quatre ou cinq premiers dans le monde occupant, parfois la troisième, voire la deuxième place.

Il existe par conséquent un déficit spécifique aux relations franco-indiennes.

Nous avons passé en revue les différents aspects, dans la mesure où on peut le faire dans une journée. Avec M. Amado, nous avons exploré les spécificités de la civilisation indienne et constaté que, si ces spécificités sont fortes, elles ne constituent en rien un obstacle au développement, à l'évolution, aux changements économiques.

A l'inverse, elles constituent peut-être un élément de stabilité du corps social indien et, à ce titre, elles doivent nous encourager et non nous rebuter, contrairement à ce que certaines représentations un peu simplistes de la situation en Inde voudraient nous faire croire.

Nous avons aussi examiné le marché. Vous avez pu observer quelques sourire tout à l'heure dans la salle, et je vais vous dire pourquoi : en effet, nous savons que les 950 millions d'Indiens ne constituent pas le marché. Seule une fraction le compose. Le débat est ouvert sur ce point...

Selon les interlocuteurs -mais aussi selon les produits- ce marché est comme un accordéon. Les plus optimistes estiment qu'un tiers environ des Indiens forment ce marché. C'est l'avis de l'ambassadeur, mais il est au moins autant le représentant de l'Inde à Paris que le représentant de Paris à Delhi ! Ayant été moi-même diplomate -et de surcroît ministre des affaires étrangères- je sais qu'il doit en être ainsi...

Cependant, le chiffre de 300 millions constitue la fourchette la plus large. M. Gastaut, qui représente Renault, du point de vue des besoins en voitures particulières, a cité le chiffre de 10 millions, espérant être, en l'an 2010, à 40 millions ! C'est dire que l'objectif des 300 millions n'est pas pour le très proche avenir !

En Inde également, selon les interlocuteurs, les évaluations varient, mais elles diffèrent aussi en fonction des produits qu'on veut vendre.

Lors de notre mission, nous avons rencontré un certain nombre d'industriels français à Bombay, qui nous ont donné des évaluations variables. Bien que nous n'ayons pas de raisons de les mettre en doute, si le chiffre de 80 millions est le chiffre du ministre français du commerce extérieur, c'est évidemment celui que nous retiendrons dans l'immédiat.

L'autre observation, très importante, à propos de laquelle on a aussi entendu des jugements contradictoires -bien que je croie qu'il n'y a pas de doute quant à la réponse- concerne la continuité de la nouvelle politique économique en Inde.

Ainsi, à la lumière des dernières élections indiennes, les collaborateurs d'Antoine Riboud s'interrogent sur la pérennité de la nouvelle politique économique qui a démarré en 1991. C'est un point de vue que je ne partage pas personnellement ! Comme MM. les ambassadeurs, mais aussi comme le président de la chambre de commerce et d'industrie franco-indienne, M. Francis Doré, je crois que la politique économique indienne connaît un virage définitif et que l'on peut miser dessus.

Bien entendu, il peut exister des interrogations -et nous en avons entendues- de mauvaises informations, un mauvais jugement politique de la part des uns ou des autres...

Quant aux relations franco-indiennes, dont le président Doré a parlé de façon fort juste, elles ont sûrement un grand potentiel, mais il est sûrement nécessaire de s'en occuper. Vous avez dit que c'était l'une de vos priorités : c'est ce que nous souhaitions entendre de votre part !

Nous avons également été heureux d'entendre M. de Ricaud. Il existe à l'ambassade de France non seulement un ambassadeur, mais aussi tout un service commercial, à Bombay. Vous nous avez laissé espérer -et je pense que le ministre saura tenir les promesses du conseiller commercial à Delhi- une antenne à Bangalore, où nous avons sûrement besoin d'une représentation, car c'est un Etat qui est doté de technologies de pointe.

N'oublions pas le conseil du représentant d'Elf : dans les entreprises qu'on lance, la qualité des hommes et des partenaires constitue une donnée essentielle. C'est ce que nous avons entendu durant notre visite, et c'est par là que je terminerai...

Nous avons rencontré un grand nombre de chefs d'entreprise français, et nous avons tenu à Bombay, avant de partir, une table ronde avec une dizaine de chefs d'entreprises français.

Ils nous ont parlé des perspectives, des difficultés, des obstacles et des problèmes que l'on peut rencontrer avec cette admirable administration indienne à laquelle il faut tirer notre chapeau, car elle est d'une qualité supérieure ! Mais, s'agissant des administrations, j'observe depuis longtemps que les chefs d'entreprise préfèrent qu'il n'y ait pas d'administration du tout plutôt qu'une excellente administration ! C'est ce qu'ils pensent de l'administration française, et nous avons entendu autant de compliments sur l'administration indienne que j'en entends souvent à propos de l'administration française -dont nous nous plaisons à penser que c'est la première du monde : c'est pourquoi nous pestons contre elle !

Lors de cette table ronde, tous les industriels nous ont dit en conclusion que si c'était à refaire, ils le referaient, qu'ils étaient tous très heureux d'être installés en Inde. Une comparaison m'a frappé -et j'en reviens au marché : en effet, ils nous ont dit que le marché indien est comme un buvard. Il absorbe tout ce qu'on lui donne. Je crois que c'est cette image qu'il faut retenir, car l'Inde d'aujourd'hui, et plus encore celle de demain, constitue un immense marché.

Si l'on s'y installe -et nos amis indiens le souhaitent- c'est évidemment pour exporter à partir de l'Inde, mais c'est avant tout pour satisfaire un immense marché intérieur qui, soyez-en assurés, pèsera très lourd dans l'Asie et l'Europe de demain !

On peut se demander si c'est le lièvre chinois ou la tortue hindoue qui parviendra au but en premier. L'avenir nous le dira... Est-ce cette combinaison de dictature et de liberté d'entreprise qui caractérise la Chine, ou au contraire cette véritable démocratie qui, désormais, s'appuiera aussi sur une économie de marché, qui l'emportera ? ... Ceux d'entre vous qui seront encore parmi nous dans une trentaine d'années -Mesdames, je n'en doute pas, ainsi que la plupart des messieurs que je vois ici, à l'exception de moi-même- en décideront !

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