VII. AUDITIONS DU 24 MAI 1995

A. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR THOMAS TURSZ, DIRECTEUR DE L'INSTITUT GUSTAVE ROUSSY

M. Claude HURIET - Au nom de notre commission, je suis chargé de mener une réflexion sur les thérapies géniques et cellulaires. A l'occasion des textes relatifs à la bioéthique, le législateur s'est interrogé sur le statut qu'il convenait de leur attribuer et si les textes qui régissaient le médicament pouvaient s'appliquer. Le Sénat a souhaité marquer un temps de réflexion. Des experts, des responsables de l'administration des ministères concernés et des représentants de l'industrie pharmaceutique travaillent avec moi.

M. Thomas TURSZ - Je suis directeur de l'Institut Gustave Roussy depuis sept mois. Dans ma vie précédente, j'étais chercheur au CNRS. Je dirigeai le groupe de recherche sur la « biologie des tumeurs ». Mon activité personnelle avait été de monter une activité d'immunologie autour des maladies virales.

Parallèlement, j'ai toujours eu une activité clinique. J'ai été médecin assistant à l'Institut Gustave Roussy, puis professeur de cancérologie clinique, chef de service puis chef de département de médecine.

Je pense avoir été parmi les premiers en France à développer de nouvelles approches thérapeutiques dans le traitement du cancer, à côté de ce que l'on appelle la chimiothérapie conventionnelle. Je fais notamment allusion au développement des modifications de réponses biologiques, à l'Interleukine II, aux facteurs de croissance hématopoïétiques. Je me suis intéressé très tôt aux possibilités ouvertes par la thérapie génique, essentiellement dans une approche immunologique.

A l'Institut Gustave Roussy, nous avons bénéficié de l'apport de Michel Péricaudet qui est un expert reconnu dans le domaine des adenovirus et qui avait mis au point un laboratoire mixte Rhône-Poulenc-Rorer - Institut Gustave Roussy autour du développement des adenovirus et de leur mise en oeuvre sur le plan clinique.

Il y a deux ans, nous avions été les premiers à déposer une demande d'autorisation pour un essai de thérapie génique impliquant l'adenovirus en injection intratumorale directe afin de traiter le cancer des bronches. Ce cancer représente 22.000 morts par an en France. Il est la première cause de mortalité par cancer chez l'homme. Comme les femmes fument de plus en plus, il est en train de le devenir chez elles également.

Le pronostic du cancer des bronches est extrêmement mauvais. La survie globale est inférieure à 8 % à cinq ans. Nous pensons, au plan éthique, être autorisés à chercher des voies thérapeutiques nouvelles.

Nous avions développé avec Transgène un essai qui visait à l'administration intratumorale d'un virus recombinant (un adenovirus défectif dit de première génération) contenant un gène marqueur qui est le gène de la béta-galactosidose. Ce gène est un gène codant pour un enzyme bactérien du métabolisme du galactose. Il code pour une protéine qui n'existe pas dans les cellules humaines et est facilement décelable, lorsqu'elle s'exprime, sous la forme d'une coloration bleutée du noyau des cellules. Cette technique est la base de très nombreux travaux expérimentaux montrant l'efficacité de l'adenovirus comme vecteur susceptible d'infecter des cellules qui ne se divisent pas (à la différence des rétrovirus), d'avoir un coefficient d'infectibilité très grand dans de très nombreux types cellulaires (y compris le cerveau, les muscles et l'épithélium bronchique), ce qui est intéressant pour notre modèle et le traitement d'une maladie génétique comme la mucoviscidose.

Nous visions l'administration d'un gène neutre, purement marqueur. Les objectifs de l'étude étaient d'en montrer sa faisabilité, sa non-toxicité (au moyen de paliers de doses de virus administrés), et d'étudier sur le plan de l'effet local (par des biopsies thératives) l'infection des cellules bronchiques, la détermination du pourcentage de cellules infectées, la diffusion à distance du point d'injection et la persistance de l'expression du transgène dans les cellules infectées.

Nous voulions étalonner cette méthode, avoir une idée réelle de ce que nous faisions et disposer des moyens de proposer des protocoles réellement thérapeutiques lorsque nous introduirions des gènes à visée thérapeutique.

Il existait et existe toujours une réflexion sur l'adenovirus. Est-on bien sûr que les préparations pratiquées dans les meilleures conditions de sécurité ne risquent pas d'être contaminées, à faible taux, par des particules d'adenovirus sauvage ?

Il y a un autre risque. Le virus utilisé est un virus ADNA, humain, qui existe à l'état sauvage, porté par un grand nombre de personnes et peut-être par toute l'humanité sous de multiples formes, la plupart non pathogènes.

Or, dans le patient ou dans une personne de son entourage, pourrait survenir soit un réel élément de recombinaison génétique, soit un élément de transcomplémentation, c'est-à-dire l'empaquetage du génome du virus recombinant par des protéines d'enveloppe synthétisées. Ce virus recombinant, non infectieux, défectif, qui n'est plus qu'une seringue à gène qui entre dans la cellule, délivre son patrimoine génétique sous forme extrachromosomique, qui n'est pas capable de refabriquer de nouvelles particules virales, de ressortir des cellules, pourrait-il devenir infectieux, capable de ressortir des cellules, d'infecter d'autres cellules, voire le personnel et de créer un virus infectieux capable de disséminer le transgène ?

Il y a deux ans, il n'y avait pas d'arguments pour montrer la possibilité ou l'impossibilité de cet événement.

La survenue éventuelle de cet événement de recombinaison que nous aurions pu mesurer dans l'excrétat des bronches, les urines ou le sang aurait été intéressant dans la mesure où le gène véhiculé étant neutre, sans effet biologique, il n'y aurait pas eu de caractère de gravité et de dangerosité pour l'environnement.

Il était difficile de se référer à un modèle animal. Peu ou pas d'espèces animales sont permissives complètement à l'adenovirus.

Il a fallu dix-huit mois pour que cette proposition d'étude soit approuvée.

Nous avons choisi des malades qui suivent par ailleurs une chimiothérapie. Dans le consentement éclairé, on leur explique que le traitement de chimiothérapie est celui qu'en tout état de cause ils auraient reçu, avec un taux de réponse et une durée de survie connus, on leur demande s'ils acceptent de participer à cette expérience de transfert de gène sous bénéfice thérapeutique direct en leur disant que les contraintes supplémentaires impliquées par cet étude seront un isolement tant qu'ils resteront excréteurs de particules virales délétées et d'être soumis à trois fibroscopies en plus de celles qui sont exigées par le protocole thérapeutique classique.

Le 4 juillet 1994, la première infusion a été réalisée. Nous avons bâti, à Gustave Roussy, un secteur isolé conforme aux conditions de sécurité de classe II, visité par les deux commissions de génie génétique et de génie biomoléculaire.

Six patients ont été traités. Les trois premiers ont reçu une quantité de virus en intratumoral qui correspond à 10 7 PFU, les trois autres ont reçu une concentration de 10 8 PFU. En pratique, aucune toxicité propre n'a été liée à l'administration du virus recombinant. Nous avons observé un certain nombre de réponses. On ne peut se prononcer sur leur nature dans la mesure où les patients reçoivent une chimiothérapie concomitante mais il est frappant de voir un nombre assez important de réponses chez ces patients alors que théoriquement le taux attendu est de 12 à 20 %. On peut se demander quel est le rôle de la réponse immunitaire antivirale, voire anti béta-galactosidose.

Au premier palier, nous n'avons observé aucune infection visible dans la tumeur sous forme de cellule bleue. Par contre, en PCR, une tumeur a clairement été infectée avec amplification possible d'un produit recombinant entre une séquence de l'adenovirus et une séquence galactosidose.

Au second palier, deux patients ont clairement des cellules bleues et est visible une infection nette, d'un pourcentage important de cellules.

Actuellement, quelle est notre stratégie ? Les CCPPRB nous avaient demandé d'informer les différentes commissions des résultats des deux premiers paliers avant d'en entamer un troisième (10 9 PFU). Nous préparons actuellement ce rapport.

Tous les patients ont vu leur taux d'anticorps (anti-adenovirus) s'élever alors qu'aucun membre du personnel n'a constaté le phénomène sur lui-même. Aucun prélèvement à la recherche d'adenovirus sauvage n'a été positif.

Nous n'avons pas pu mettre en évidence de transfert d'adenovirus délété chez le personnel. Aucun patient n'a fait d'adenovirus infectieux. L'éventuelle recombinaison - transcomplémentation n'est pas survenue jsuqu'à maintenant.

Nous sollicitons l'autorisation de poursuivre cette étude sous bénéfice direct. Nous souhaitons, pour les deux paliers que nous avons validés, l'autorisation d'effectuer un réel essai thérapeutique de phase I, avec un adenovirus produit par Transgène.

Si les relations entre Rhône-Poulenc et Transgène sont devenues moins étroites, nous continuons à collaborer avec les deux établissements. C'est ainsi que, parallèlement, se sont poursuivis des travaux de recherche dans le cadre du laboratoire Institut Gustave Roussy - Rhône-Poulenc-Rorer.

Avec Rhône-Poulenc, les travaux de recherche portent dans deux directions :

- l'élaboration de nouveaux adenovirus de troisième génération. Le principe général est d'introduire des délétions supplémentaires afin de laisser plus de place dans le génome viral pour y insérer des éléments supplémentaires et de rendre moins vraisemblable la survenue d'une recombinaison. A ces délétions supplémentaires sont introduites des modifications de place de gène dans le génome ;

- ces recherches visent également à diminuer l'immunogénéïcité de ce virus ;

- l'adenovirus est un gros virus humain. Lorsqu'il est infecté par l'adenovirus, l'organisme élabore une réponse immunitaire antivirale qui est parfois très forte. L'usage des combinaisons de ce type dans le traitement des maladies génétiques posera un problème. Par défaut, l'adenovirus qui infecte tous les types cellulaires, y compris les cellules matures adultes qui ne se divisent pas, reste purement extrachromosomique. Il n'y aura pas intégration du matériel génétique dans le génome des cellules infectées. Si la limitation de la durée d'expression du transgène peut présenter des avantages en terme de sécurité, il est clair aussi que cette technique ne guérira pas de maladies génétiques.

L'utilisation de l'adenovirus dans le traitement de certaines maladies génétiques comme les myopathies, la mucoviscidose, tel qu'on le conçoit à l'heure actuelle, ne pourra être qu'un traitement de correction ou de substitution temporaire, et non pas de guérison définitive.

Il est probable que les administrations devront être répétées. La réponse immunitaire anti-adenovirus deviendra importante et soulèvera deux types de questions :

- la ré-administration répétée entravera-t-elle une réponse immunitaire susceptible de toxicité ?

- l'efficacité de la thérapeutique ne s'estompera-t-elle pas avec le temps ? Dans le laboratoire Gustave Roussy/Rhône-Poulenc, nous essayons de diminuer l'immunogénéïcité de ces constructions adenovirales.

Il ne nous paraît pas utile de développer ces travaux en cancérologie. Nous préférons utiliser, entre autres, les cytokines. Le nombre de cellules infectées et la durée de l'expression rendent ce modèle intéressant. Enfin, il nous semble que le traitement loco-régional sera encore pendant longtemps une des méthodes de choix. Nous essayons de développer la méthodologie de la radiologie interventionnelle. Actuellement, les imagiers sont capables de cathétériser n'importe quelle petite artériole, et sont capables d'isoler la vascularisation de presque toutes les tumeurs de la vessie, du rein, du cerveau. Nous souhaitons utiliser ce type d'approche dans la vectorisation de nos vecteurs et de leurs produits.

Sur le plan industriel, une convention nous lie à Transgène. Nous souhaitons la maintenir pour toute une série d'essais thérapeutiques.

Transgène comme Rhône-Poulenc nous considèrent comme leur partenaire privilégié dans le domaine de la cancérologie. Nous souhaitons étendre notre collaboration avec Rhône-Poulenc.

Nous faisons partie du réseau Gencell et sommes en discussion pour l'implantation à Gustave Roussy, d'un centre de thérapie cellulaire qui serait un atout pour notre pays. Il nous paraît important que ce type d'expérimentation ait lieu en France, que ce partenariat entre structure industrielle et structure hospitalière se fasse en grandeur nature. Il me semble qu'il faut des garde-fous et que chacun reste maître chez soi. La convention qui nous lie dans le domaine de la recherche au sein de ce centre commun devra être ouverte à des partenaires extérieurs sous le regard des pouvoirs publics. C'est un partenariat industriel et hospitalier adulte à l'échelle des enjeux.

Nous pouvons faire de l'expérimentation non seulement dans le domaine de la médecine et de la recherche, mais également dans les formes de partenariat entre l'industrie et les hôpitaux.

M. Claude HURIET - Je vous remercie de cette introduction.

Vous avez présenté un rapport au conseil de bioéthique de l'UNESCO. Dans le cadre des contacts que vous avez établis au cours de cette mission, pensez-vous que la législation française actuelle soit adaptée à la recherche en matière de thérapie génique et cellulaire et à ses perspectives de développement ? Si la réponse est négative, quelles sont vos attentes ? Ces modifications sont-elles du même ordre pour chacune de ces thérapies ?

M. Thomas TURSZ - La situation française est assez satisfaisante.

Je regrette la complexité du parcours et des procédures, source de contrôles mais également de ralentissement des procédures. J'approuve la proposition de création d'une intercommission, présentée par le Professeur Cano. Aucune des commissions n'a une vision globale et complète des problèmes.

J'ai l'expérience du dialogue avec les CCPPRB. Les CCPPRB sont une particularité française bien utile. Certains craignaient qu'ils soient une source supplémentaire de retard. Or, ils ont obligé le monde médical à se poser des questions auxquelles il ne pensait pas. Le dialogue est un des facteurs majeurs de l'amélioration de la pratique des essais thérapeutiques. Tous leurs apports ont été fructueux et enrichissants, en particulier dans le domaine du consentement éclairé. Pour la thérapie génique, les règles doivent rester les mêmes. Il en résulte une amélioration de la qualité des protocoles et de la méthodologie proposée.

Il y a deux ans, dans le contexte social et politique, j'ai perçu une certaine frilosité autour du mot « virus » et de « l'adenovirus ». Un certain nombre de personnes craignait des dérives telles que celles qu'avait révélées l'affaire du sang contaminé. Ces réserves ne sont pas adaptées à la situation médicale et scientifique actuelle.

La recherche en thérapie génique ne pose pas de problèmes éthiques spécifiques réellement différents des autres approches thérapeutiques innovantes. Ce qui compte, c'est le respect des normes de sécurité, de qualité scientifique et de pertinence des questions posées.

En ce qui concerne la sécurité, le caractère novateur ne doit pas amener à verrouiller un système dont on ne connaît pas les perspectives d'évolution et les applications médicales réelles. Toutefois, il faut mettre des normes hautes. Des conditions de type GMP me paraissent nécessaires. Je constate que, pour les médicaments, ces règles existent, sont internationales et facilitent le contrôle.

Il y a une urgence sociale. La thérapie génique doit devenir une réalité pratique. Les essais cliniques doivent pouvoir être développés avec rigueur, dans le respect des règles de sécurité, sans passer par un parcours du combattant de commissions préalable.

C'est l'intérêt des patients, des équipes médicales françaises et des laboratoires pharmaceutiques qui essaient de développer ce type d'approche. Il faut définir une stratégie commune pour l'ensemble des équipes, une coordination des essais thérapeutiques. Ce pourrait être l'un des rôles d'une intercommission. La création de centres cliniques d'expérimentation de thérapie génique serait importante. Je me demande si, à l'échelle de notre pays, il n'y en a pas déjà trop. L'enjeu scientifique et médical me paraît tel qu'une coordination s'impose. La pire faute éthique, alors que nous ne savons pas où nous allons sur le plan thérapeutique, que des effets inattendus peuvent se produire, serait de ne pas mettre en commun l'ensemble des données. Ceci est peu compatible avec la compétition entre les équipes ou laboratoires.

Tout en permettant aux laboratoires de garantir leurs intérêts, la législation française devrait mettre fin à cette atmosphère de compétition.

Les règles que nous établirons devront être susceptibles de s'appliquer au plan européen afin de ne pas être contraints de les renégocier dans cinq ans pour s'y conformer.

M. Claude HURIET - Vous pensez que le danger existe ?

M. Thomas TURSZ - Oui.

M. Claude HURIET - Vous avez évoqué la coordination entre les équipes et la définition d'une politique globale. Pourriez-vous préciser le rôle que vous envisagez pour l'intercommission ? Vous avez également parlé du législateur. Estimez-vous qu'il lui reviendrait de mettre en place la coordination entre les équipes ?

M. Thomas TURSZ - Je souhaiterais que M. Cano nous précise où nous en sommes avant de vous répondre.

M. Jean-Paul CANO - L'intercommission que nous avions proposée n'est pas celle que l'on retrouve maintenant. C'est une commission de thérapie génique créée au sein de l'Agence qui regroupe des structures qui existaient déjà et auxquelles se sont surajoutés des membres qui peuvent être désignés par le directeur général et qui appartiennent à la commission d'autorisation de mise sur le marché, au groupe de sécurité virale... Le directeur général de l'INSERM pourra également proposer des noms de spécialistes afin que le directeur général de l'Agence du médicament choisisse parmi cette liste trois experts. La réflexion que nous avions menée incluait les deux autres commissions. Ce n'est pas l'intercommission au sens strict.

M. Thomas TURSZ - Votre réponse facilite la mienne.

Il y a deux niveaux de coordination : je ne suis pas sûr qu'ils doivent dépendre de la même intercommission. Après tout, il n'est pas souhaitable que la thérapie génique devienne l'affaire de quelques-uns. Ces deux niveaux sont :

- l'examen des protocoles, cette commission ne pourrait pas, dans l'esprit de la loi française, fonctionner comme le RAC américain, mais permettrait d'éviter que l'on soit balloté de commission en commission. Pour répondre à des questionnaires peu différents, le fait que les ministères se regroupent autour d'une intercommission d'examen, technique, scientifique, méthodologique des essais, me paraît une nécessité.

L'approbation éthique resterait confiée aux CCPPRB :

- une coordination qui associerait des experts scientifiques, des médecins, des industriels afin de mener une réflexion stratégique sur les développements médicaux de la thérapie génique.

Je souhaiterais que la loi française soit adaptée à quatre exigences :

- définir un niveau de rigueur dans l'élaboration des produits correspondant aux normes GMP, une régulation des normes de qualité dès le départ de la production pour éviter le bricolage et les prises de risques. Il me semble qu'une régulation semblable ou au moins égale à celle du médicament pourrait assurer la sécurité. Ceci s'applique aussi bien à la thérapie cellulaire qu'à la thérapie génique ;

- éviter un carcan trop strict pour tenir compte de l'évolution des techniques ;

- favoriser le développement de la recherche et d'essais cliniques. C'est la seule piste que nous voyons pour traiter un certain nombre de maladies ;

- obliger, par une régulation financière, à la complémentarité, à la levée de la confidentialité qui est inadaptée à la situation médicale que nous devons affronter, replacer les notions de compétition scientifique et de parts de marché par parts des programmes coopératifs à l'échelle du pays.

M. Claude HURIET - Vous avez parlé de dix-huit mois pour l'approbation du protocole du cancer bronchique. Quelle est l'autorité qui a donné l'approbation ?

M. Thomas TURSZ - Je ne voudrais pas polémiquer. Nous avons été les premiers à soumettre un dossier d'essai clinique à la commission de génie génétique. A l'époque, les conditions d'isolement des patients, l'application en chambre clinique des règles de sécurité des laboratoires (P 1 , P 2 , P 3 ) n'étaient pas clairement définies. Il y a eu un travail d'adaptation.

Des progrès ont été réalisés. Toutefois, une harmonisation des questions qui sont posées est souhaitable. Il faut segmenter nos réponses pour répondre à chacune de ces commissions.

Dans cette fragmentation du type de débat que nous avions, la finalité médicale et scientifique du projet semblait se perdre.

La discussion que nous avions ne permettait pas une prise en compte des enjeux. Nous avions eu l'impression que la commission de sécurité virale sortait de son champ d'application en donnant des éléments éthiques alors qu'on lui demandait d'émettre un avis sur la sécurité du produit. Ceci était lié aux conditions particulières d'installation de cette commission dans le contexte auquel j'ai fait allusion précédemment.

Tout ceci aboutit à une perte de temps et à une déperdition d'énergie. Le dialogue avec les cinq commissions aboutit à diminuer l'impact des dossiers, crée des lourdeurs. Il y a actuellement plus de négociations, de jeux de commissions qu'une réelle réflexion médicale et stratrégique autour du développement d'essais thérapeutiques. On dialogue avec les commissions tout en cherchant à les contourner. La situation est trop compliquée, ingérable si on veut avoir des essais thérapeutiques qui s'enclenchent dans des délais assez rapides. L'intercommission devrait être plus médicalisée. Quelque part, un jugement devrait être émis sur l'ensemble du dossier y compris dans sa finalité médicale et scientifique.

Notre dossier, le premier à être déposé, n'était pas simple. Les commissions se sont fait une expérience autour de ce dossier. Chaque commission s'abritait derrière l'autre en disant « lorsque la commission précédente aura répondu, vous nous transmettrez les réponses », chaque commission ayant à coeur de montrer son utilité et pour montrer qu'elle avait bien lu le dossier a multiplié les critiques mineures.

M. Claude HURIET - Y-a-t-il une autorité qui délivre ou refuse une autorisation globale ?

M. Thomas TURSZ - Pour approuver l'essai, les CCPPRB demandent les avis donnés par les quatre autres commissions. Il nous faut recueillir l'avis favorable de tout le monde.

M. Claude HURIET - Peut-on dire qu'il revient aux CCPPRB d'approuver l'essai ?

M. Thomas TURSZ - Ces CCPPRB nous disent qu'ils approuveront l'essai lorsque nous aurons répondu à l'ensemble des questions et des objections des commissions et qu'ils sortiraient de leur champ de compétences s'ils considéraient nos réponses statisfaisantes alors que les experts auraient donné un avis contraire.

Les CCPPRB ne sont pas un facteur de retard.

M. Philippe LAMOUREUX.- J'ai été très intéressé par toutes les explications que vous nous avez données.

Pourriez-vous préciser ce qu'est, pour vous, le périmètre de compétence de l'intercommission ? Une intercommission peut-elle à la fois mener une réflexion stratégique, de conseil, examiner les protocoles et assurer le contrôle sur la réalisation des essais ? Une commission qui donne l'autorisation en amont peut-elle contrôler ce qui se passe en aval ?

Quatre ou cinq ministères pourraient revendiquer l'intercommission : l'agriculture, la santé, la recherche, l'environnement, l'industrie. Selon vous, où se rattache le plus logiquement cette intercommission ?

M. Thomas TURSZ - Il y a deux niveaux de réflexion.

Je ne suis pas sûr que la même structure puisse répondre à tout ; il serait malsain que s'installe l'idée que la thérapie génique est entre les mains de quelques personnes qui approuveraient ou refuseraient l'essai en participant au développement de nouvelles voies thérapeutiques et seraient en même temps compétitrices.

Il faudrait trouver des règles du jeu qui dédramatisent les conditions de compétitions et d'affrontement industriel. On peut se demander si les règles du jeu sont bien claires et si chacun est bien à sa place. Les conditions actuelles ne sont pas compatibles avec l'existence d'une seule commission. Toutefois, nous sommes un petit pays. S'il est vrai que l'on retrouve les mêmes personnes aux mêmes endroits, c'est aussi parce qu'elles connaissent le mieux le sujet et il est préférable d'avoir des gens compétents.

Il me semble que le premier niveau est celui de l'autorisation technique, scientifique et, en terme de sécurité des essais thérapeutiques, qui éclaire les CCPPRB locaux sur l'opportunité d'approuver tel essai thérapeutique. Une commission de ce type devrait être en mesure, par sa composition, d'émettre un avis sur la globalité du dossier et en particulier sur sa méthodologie et sur son importance médicale et de santé publique et non pas sur tel ou tel aspect.

Des protocoles sont soumis actuellement par des hôpitaux pour leur permettre de dire qu'un malade est traité par thérapie génique. Cela ne me paraît pas une finalité suffisante pour approuver un essai. Un barrage doit être mis rapidement en place afin d'éviter la multiplication de ces situations qui n'appartient en rien au plan national ou international.

Le saucissonnage des décisions techniques fait que la cohérence scientifique et médicale des dossiers n'est jamais prise en compte réellement.

Cette commission doit prendre en compte le suivi des protocoles. Un critère important pour permettre l'approbation d'un deuxième protocole d'une équipe est que le premier ait donné des résultats utiles à la collectivité. Le second niveau est celui de la réflexion et de coordination stratégique qui approuverait et encouragerait une série d'actions médicale et scientifique dans tel ou tel domaine de la santé. L'autorisation ne serait pas donnée protocole par protocole mais stratégie thérapeutique par stratégie thérapeutique en favorisant les complémentarités, les échanges de compétences et d'informations aussi bien sur les innovations que sur les toxicités.

On ne peut pas rester chacun dans notre coin à faire chacun deux ou trois malades sans se raconter ce qui s'est passé au nom du secret et de la compétition.

Que les gens fassent partie des deux niveaux de réflexion ne me choque pas.

Mme Pascale BRIAND - Il est vrai que de nombreuses personnalités plaident pour la mise en place de l'intercommission. La situation est évolutive. Les prérogatives et les modes de fonctionnement de ces commissions évoluent à la même vitesse que les techniques de thérapie génique.

La commission de génie génétique donne son avis, uniquement en terme de sécurité, sur le niveau de confinement requis pour mener telle ou telle expérience. Son avis se bornera à cela. Les deux commissions CGG et CGB demandent de répondre à un formulaire commun.

On tend vers ce qui constituera la base d'une intercommission en interaction avec des commissions très spécifiques ayant à répondre à des points particuliers. On a un peu idéalisé la situation des USA. Les problèmes ne sont pas traités très différemment, simplement les Etats-Unis ont un plus grand recul.

Mme Christine LISE JULOU - Je voudrais revenir sur le partage de l'information. Cet aspect avait été évoqué lors du congrès de pharmacologie à Giens.

L'intercommission devrait rendre public un rapport annuel d'activité. Ce genre de rapport existe déjà en Angleterre. Il indique les protocoles étudiés, le nombre de malades traités et les problèmes majeurs rencontrés.

M. Olivier AMÉDÉE-MANESME - Si la thérapie génique et la thérapie cellulaire sont assimilées au médicament, on a réglé 90 % des problèmes. On considère que cette intercommission ne s'occupe que de ce qui est médicament. Après, soit cette intercommission, soit une autre (ce serait préférable) de type IND suivrait l'évolution du médicament en les évaluant. C'est en train de se mettre en place pour un certain nombre de produits. Il y a, au sein de l'Agence du médicament, une commission des essais cliniques qui donne un accord et suit le dossier pour voir s'il y a des effets indésirables. Il faut faire la même chose pour la thérapie génique et la thérapie cellulaire. Il ne resterait qu'à s'interroger sur la recherche publique qui ne se pose pas la question en terme de médicaments et qui souvent est très en retard en terme de bonnes pratiques de fabrication, de qualité, à la différence de l'industrie. Les moyens ne sont peut-être pas les mêmes.

C'est peut-être là qu'il y a quelque chose à proposer, comme l'avait suggéré Claude Griscelli qui avait vu une tutelle plus large. Une structure qui surveillerait ce qui se passe dans le secteur public. Du jour où quelque chose devient un médicament, on repasse sous le contrôle de l'Agence.

M. Claude HURIET - En ce qui me concerne, je ne considère pas que la question soit définitivement tranchée.

M. Philippe LAMOUREUX - Il faut éviter un carcan trop strict. La législation du médicament doit être adaptée au cas spécifique des thérapies géniques. Elle n'est pas totalement transposable. Sur le concept d'établissements pharmaceutiques, on ne peut transposer ce qui se passe dans l'industrie à des équipes hospitalières. Il faut favoriser la recherche. Nous en avons déjà parlé dans cette enceinte. C'est le statut du médicament orphelin qui permettra notamment de développer la recherche en thérapie génique.

Vous avez séparé les deux niveaux. On a absolument besoin d'une réflexion stratégique globale.

Je ne suis pas sûr que l'on puisse parvenir à une mise en commun des connaissances.

M. Claude HURIET - Je suis d'accord pour rapprocher la thérapie génique du médicament. Cette approche est-elle valable pour la thérapie cellulaire ?

Mme Pascale BRIAND - Je n'ai jamais séparé thérapie cellulaire et thérapie génique, mais thérapie génique impliquant la manipulation de cellules du patient ex vivo et leur réintroduction, du reste.

Cette technique d'autogreffe de cellules modifiées est la seule qui pose éventuellement problème au regard de la définition du médicament.

M. Claude HURIET - C'était une orientation que j'avais envisagée. Plutôt que d'envisager une définition particulière pour la thérapie cellulaire ou la thérapie génique, il vaudrait mieux revoir la définition du médicament en faisant un ajout.

Mme Marie-Paule SERRE - La définition du médicament est européenne.

M. Claude HURIET - Je n'envisage pas de remettre en cause la définition du médicament.

Mme Marie-Paule SERRE - La définition du médicament se décline en diverses sous-catégories dont certaines sont des spécialités pharmaceutiques et d'autres des vaccins, des produits allergènes, des médicaments homéopathiques... A chaque sous-catégorie de produits correspondent des règles d'application particulières.

M. Claude HURIET - Il n'est pas question pour moi de toucher au tronc commun.

On a vu apparaître qu'en matière de thérapie cellulaire, dans ses modalités actuelles, l'Agence du sang, voire même l'Etablissement français des greffes, peuvent être considérés comme des interlocuteurs privilégiés. Je suis obligé de considérer les conséquences de la place que l'on donnera à la thérapie cellulaire par rapport à la définition du médicament.

M. Thomas TURSZ - Je voudrais revenir sur la réflexion stratégique. Le véritable enjeu éthique, c'est de faire en sorte que ce type de thérapeutique soit vraiment disponible en médecine réelle pour le plus grand nombre de malades possible. Les industriels ont un rôle majeur à jouer. Ils sont incontournables. Je ne souhaite pas que la recherche doive être soumise aux règles et aux intérêts des industriels. Par contre, il faut rechercher la pratique d'essais cohérents, efficaces, utiles, en France.

Il faut s'interroger sur la place de la recherche française et sa défense dans ce système.

C'est vrai que beaucoup de gens qui ont apporté quelque chose sont extrêmement loin de la notion de sécurité et de bonnes pratiques de laboratoires. Il y a une insuffisance de l'évolution des mentalités. La recherche publique a tendance à considérer qu'elle travaille dans des conditions difficiles, avec des crédits sans cesse réduits, et refuse des règles contraignantes.

L'un des rôles de la commission de réflexion stratégique est de faire en sorte que les industriels ne se retrouvent pas seuls, soient financièrement accompagnés.

Je voudrais enfin évoquer la notion de site qui est fondamentale. Au-delà des structures, des commissions, il y a des hommes. La recherche ne peut progresser que s'ils se parlent. Le plus intéressant de la réflexion stratégique est de veiller à la mise en place de l'harmonisation de la politique de chacun de ces sites en matière de recherche, de développement industriel. Ces sites doivent être des sites d'implantation industrielle dont on peut discuter les modalités, avec une politique d'essais coordonnée. Je crois qu'un échange d'informations peut se faire entre les sites dont le nombre doit être limité et travaillant en réseau.

M. Pierre BOTREAU-ROUSSEL - En ce qui concerne la thérapie cellulaire, l'AFS et l'EFG établissent en commun un code de bonnes pratiques en matière de prélèvement, de la conservation, de l'expansion des cellules et de leur réinjection. Au premier abord, il s'agit de cellules souches hématopoïétiques que l'on peut recueillir dans la moëlle osseuse ou le sang périphérique. Assez rapidement, après concertation avec les professeurs, les gens des CHU, des établissements de transfusion sanguine, ces bonnes pratiques pourront être adaptées. Par arrêté, le ministre pourra donc définir un cadre précis.

Des travaux assez considérables ont déjà été réalisés. Certes, les cellules souches hématopoïétiques ne sont qu'une partie de la thérapie cellulaire mais un cadre pour les autogreffes humaines se dessine assez rapidement. On est peut-être un peu éloigné du médicament.

M. Claude HURIET - Entre la recherche et le développement d'un médicament, l'échelle du temps est de dix ans, on parle de quatre ou cinq ans pour la thérapie génique. Quelle est votre appréciation sur la vitesse de développement de ces techniques ?

M. Thomas TURSZ - En matière de cancérologie, on peut évaluer à quatre ou cinq ans le délai entre l'identification du gène et la première application médicale. Les premiers résultats thérapeutiques datent de la fin des années 80.

Actuellement, ils ne changent pas la stratégie thérapeutique de la cancérologie.

Il y a beaucoup d'arguments pour penser que les premiers effets mesurables seront assez rapides.

Les délais pour le traitement des grandes maladies génétiques seront beaucoup plus longs.

Il est probable que les thérapies géniques et cellulaires changeront un certain nombre de stratégies thérapeutiques dans les cinq ans. Il faudra entre cinq et dix ans pour assister à la montée en force de ces thérapeutiques. Ceci est plus rapide que le temps de développement logique d'un médicament. Le problème est compliqué par la crise de la pharmacologie traditionnelle. Les voies qui ont conduit jusqu'à maintenant à l'élaboration de nouveaux médicaments me semblent en partie obsolètes. Cette discipline est en crise conceptuelle, ce qui explique peut-être la longueur des délais.

Dans mon domaine, je suis cependant un peu déçu. Avec les potentialités que nous avions en France il y a deux ans, je pensais que nous serions plus performants que nous ne le sommes actuellement. C'est sûrement en grande partie de notre faute. Je ne souhaite pas mettre en cause les commissions.

Nous souffrons d'un défaut d'organisation, d'un éparpillement, d'un manque de prise de conscience, d'une exacerbation de la concurrence. Notre place était, nous sommes en deuxième position après les USA, a priori, meilleure il y a deux ans que maintenant.

Mme Pascale BRIAND - Il faut prendre maintenant les dispositions pour éviter que ce soit le cas. Nous sommes en deuxième position après les USA. Dans ce pays, les résultats sont également décevants. Nous n'avons pas encore perdu de temps.

M. Olivier AMÉDÉE-MANESME - Nous sommes l'un des pays les plus puissants en matière de thérapie cellulaire et de thérapie génique. Nous sommes les leaders européens. Si nous ne nous positionnons pas au mieux, d'autres pays iront plus vite que nous.

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