N° 135

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à la hausse du coût de l'énergie,

Par Mme Françoise GATEL,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; M. Rémy Pointereau, premier vice-président ; Mme Agnès Canayer, MM. Cédric Vial, Fabien Genet, Mme Corinne Féret, MM. Éric Kerrouche, Gérard Lahellec, Mme Guylène Pantel, MM. Didier Rambaud, Pierre Jean Rochette, Grégory Blanc, vice-présidents ; MM. Jean Pierre Vogel, Laurent Burgoa, Bernard Delcros, Hervé Gillé, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Max Brisson, Mme Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Cédric Chevalier, Thierry Cozic, Mme Catherine Di Folco, MM. Jérôme Durain, Daniel Gueret, Mme Pascale Gruny, MM. Joshua Hochart, Patrice Joly, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Jacques Lozach, Pascal Martin, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Mme Sylviane Noël, MM. Olivier Paccaud, Hervé Reynaud, Jean-Yves Roux, Mmes Patricia Schillinger, Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Jean-Marie Vanlerenberghe.

INTRODUCTION

LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES CONFRONTÉES À LA HAUSSE BRUTALE ET DURABLE DES PRIX

Compte rendu de la réunion plénière du jeudi 8 juin 2023

Présidence de Mme Françoise Gatel, Présidente -

Table ronde : le coût des énergies et l'inflation subie par les collectivités territoriales

Mme Françoise Gatel, présidente. - Bonjour à tous. Je suis ravie de vous accueillir. Je vous remercie d'être venus ce matin au Sénat pour cet échange dans le cadre d'une table ronde sur un sujet, non seulement d'actualité, mais extrêmement important pour deux raisons. Nous sommes au coeur d'une transition écologique dans laquelle la question des énergies devient structurelle. Dans le projet de loi de finances, nous avons tenté d'intervenir pour adoucir l'inflation subie par les collectivités territoriales sur le coût de l'énergie. Nous savons que la fin de l'année 2021, dans ce contexte et compte tenu du début de la guerre en Ukraine, a été marquée par un impact important, chiffré à 15 milliards d'euros en année pleine pour les collectivités.

En 2022, la délégation a ainsi engagé un travail sur le coût de l'énergie et son incidence sur les collectivités territoriales. Bien que des mesures aient été mises en place et que les collectivités aient pris des dispositions pour réduire leurs dépenses en énergie, nous étions conscients de l'impact des hausses subies, incontournables et brutales. Nous avons matérialisé cet engagement par un rapport publié le 27 juillet 2022, intitulé « Les collectivités territoriales face à la hausse du coût de l'énergie ». Il s'agissait de sensibiliser l'ensemble des parlementaires à la charge qui allait peser sur les budgets 2022 et 2023. Nous avons également réalisé une consultation auprès des élus locaux, de concert avec la commission des Finances, pour éclairer ce débat. Plus de 1 200 élus ont participé et partagé leurs inquiétudes et les dispositions qu'ils comptaient prendre pour tenter d'atténuer ce choc. Nous savons que les élus locaux sont plutôt inventeurs de solutions que source de problèmes et qu'ils essaient toujours de trouver des réponses intelligentes aux hausses qui s'imposent brutalement à eux. Des mesures d'accompagnement ont été mises en place : un bouclier tarifaire, un amortisseur électricité, un filet de sécurité, une charte avec les fournisseurs et un prix de référence. Nous mesurons en 2023 l'effet de ces dispositifs sur les collectivités. Nous savons que l'aide des mesures gouvernementales ou législatives a des conséquences sur le résultat du compte administratif. Au-delà de l'énergie, nous avons souhaité élargir le champ d'investigation aux autres approvisionnements des collectivités. La mission de la délégation est de recueillir les bonnes pratiques et pistes d'évolution afin de les diffuser et les intégrer dans des dispositifs législatifs.

Je suis heureuse d'accueillir Madame Recrosio, directrice du marché d'affaires à la direction commerce d'EDF, Monsieur Jossa, président de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), les groupements d'achats devenant déterminants pour pallier la hausse de l'énergie, Monsieur Leyenberger, maire de Saverne, et Monsieur Pont-Nouras, président du syndicat national de la restauration collective (SNRC). Chacun d'entre vous fera part de son approche du sujet, dans le contexte inflationniste que nous connaissons. Nos collègues de la commission des Finances seront attentifs à vos propos, car certains dispositifs mis en place dans la loi de finances 2023 ont certainement vocation à évoluer.

I. LE POINT DE VUE DES ACTEURS

A. L'ACCOMPAGNEMENT PAR LES FOURNISSEURS D'ÉNERGIE

Mme Nelly Recrosio, directrice du marché d'affaires à la direction commerce d'Électricité de France. - Madame la Présidente, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, merci pour votre invitation à cette audition, qui me donne l'occasion de m'exprimer sur ces sujets importants pour les collectivités.

Nous avons connu une tendance haussière des prix du gaz qui a provoqué une hausse des prix de l'électricité. Cette hausse a débuté en 2021, avec la reprise économique post-Covid. Elle s'est accentuée en 2022 avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ce phénomène a induit des augmentations très importantes sur le forward, à savoir le prix à terme vu en 2022 pour 2023. Par effet mécanique, cela a impacté les factures des consommateurs, collectivités et entreprises pour 2023, pour ceux ayant contractualisé au second semestre 2023. Ceux qui avaient contractualisé auparavant ont vu moins d'effet sur leur facture.

Les pouvoirs publics ont ensuite mis en place les mesures que vous avez évoquées, que je ne détaillerai pas : le bouclier tarifaire, le bouclier électricité, le suramortisseur pour les très petites entreprises (TPE) et pour les acteurs publics assimilés à des TPE, et l'amortisseur pour toutes les collectivités. Ces aides passent par la facture des fournisseurs. Le filet de sécurité, enfin, intervient directement entre l'État et les collectivités.

Nous avons accompagné nos clients collectivités et entreprises par trois grandes actions. La première correspondait à une phase d'explication, compte tenu de la complexité du dispositif. Nos équipes sur les territoires ont participé à plusieurs dizaines de réunions organisées souvent par les préfets, auxquelles beaucoup de collectivités étaient présentes. Nous avons également mis en place une ligne dédiée sur nos plateaux relations clients, une page web dédiée et une calculette permettant de calculer les aides sur notre site. Nous avons ensuite dû recueillir les attestations d'éligibilité. Ce programme relationnel a été déployé auprès de plus de 400 000 clients, afin de recueillir les attestations, les traiter, si possible automatiquement, prononcer leur conformité et appliquer les aides. Enfin, nous avons fait évoluer le système d'information afin d'inclure les aides dans les factures. Ces travaux ont été réalisés dans un temps extrêmement contraint. Nous ne savons pas ce que deviendront ces aides à partir de 2024. Le gouvernement a indiqué que le bouclier tarifaire serait prolongé jusqu'à début 2025.

S'agissant des prix, bien que nous ne puissions prévoir leur évolution, l'horizon porte sur trois ans. Nous savons que les prix ont commencé à baisser. Le forward de l'électricité navigue autour de 150 euros par mégawattheure pour 2024, 120 euros pour 2025 et 100 euros pour 2026. Un travail est conduit au niveau de l'Union européenne (UE) sur le market design, c'est-à-dire l'évolution du fonctionnement du marché. Celui-ci devrait prendre fin cette année. Il a deux grands objectifs, auxquels EDF ne peut que souscrire : d'une part apporter de la visibilité et de la stabilité au consommateur, en lui évitant d'être violemment impacté par les fluctuations que nous avons connues, d'autre part donner de la visibilité aux producteurs quels qu'ils soient pour investir dans la transition énergétique. Nous ne savons cependant pas quel mécanisme sera mis en place. Pour rappel, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) prend fin en 2025 en France.

Sur le sujet de la sobriété et de l'efficacité énergétique, que les collectivités et les entreprises pratiquent depuis longtemps, dans une période où le prix de l'électricité et les factures sont particulièrement élevés, bien qu'amortis par les aides, ce sujet devient de plus en plus important. Le temps de retour sur investissement des travaux d'efficacité énergétique se réduit considérablement. Nous accompagnons tous nos clients dans cette démarche, par des outils de compréhension de la consommation, les certificats d'économie d'énergie (CEE), qui aident à l'investissement, le financement de grands programmes qui favorisent la rénovation des bâtiments et permettent de produire des CEE, ou encore l'action des filiales, qui accompagnent les clients dans leurs actions, comme Dalkia pour les contrats de performance énergétique, Électricité de Strasbourg dans la région Est, ou EDF ENR, qui propose des solutions d'autoconsommation. Disposer d'une solution d'autoconsommation de photovoltaïque ne conduit pas à consommer moins, mais à produire soi-même et consommer localement, ce qui a beaucoup d'intérêt au niveau du prix.

B. LES STRATÉGIES D'ACHAT POUR LIMITER L'IMPACT DE LA VOLATILITÉ DES PRIX DE L'ÉNERGIE

M. Edward Jossa, président de l'Union des groupements d'achats publics. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, j'ai parfaitement conscience du choc qu'a eu le coût de l'énergie pour les collectivités territoriales sur leur budget de fonctionnement et leur budget d'investissement. Je ne reviendrai pas sur les causes de cette augmentation. Le marché de l'énergie correspond à une activité où l'offre doit s'adapter instantanément à la demande. Cette particularité conduit à en faire une activité de marché où les prix s'ajustent au coût marginal, c'est-à-dire au coût de l'énergie la plus coûteuse qui doit être mise en production. C'est la raison pour laquelle les prix du gaz rétroagissent sur les prix de l'électricité. Ce marché se régulant instantanément et l'offre ne pouvant maîtriser la demande, en cas de circonstance exceptionnelle, une très forte volatilité des prix peut se faire jour. La difficulté réside dans le fait d'adapter cette activité, intrinsèquement et structurellement volatile, aux collectivités locales et à d'autres consommateurs qui recherchent la stabilité.

Le prix payé par le client final recouvre deux éléments : d'une part le coût brut de l'énergie et d'autre part la rémunération de l'intermédiation. S'agissant du coût brut de l'énergie, les achats sont généralement réalisés un à deux ans à l'avance sur ce marché. Des ajustements sont opérés sur le marché Spot. Ceci influe sur le coût de l'énergie. L'essentiel des achats se faisant à terme, l'évaluation de la performance d'un fournisseur est liée au moment où lui-même s'est positionné sur le marché. Les prix que peuvent proposer les intermédiaires dépendent ainsi de leur stratégie d'achat, qui peut être spéculative, donc aléatoire. L'objectif est de limiter la spéculation. Nous souhaitons une plus grande surveillance des fournisseurs alternatifs, après avoir observé quelques excès dans ce domaine. Par ailleurs, lors de la passation de commandes publiques, il est possible soit d'acheter en une fois en exigeant un prix fixe, soit de bénéficier de dispositifs permettant de mettre en concurrence les opérateurs sur leur marge et de leur demander de se positionner sur le marché à différents moments, afin de lisser le risque. Il s'agit de la stratégie multiclics. Si l'acheteur exige un coût fixe sur la totalité de la période, cette solution offre beaucoup de visibilité mais revêt également un aspect spéculatif. Notre stratégie consiste donc à lisser les achats par une stratégie multiclics.

En ce qui concerne la rémunération du fournisseur, trois éléments sont décisifs : une courbe de consommation la plus plate possible, l'attribution la plus rapide possible (avec un objectif d'une à deux heures) et la courbe la plus fiable possible. Nous sommes donc exigeants sur le fait que lorsqu'une collectivité s'engage auprès de nous, il s'agit d'un engagement ferme et irrévocable, ce qui permet cette fiabilité des coûts et la réduction des coûts de production.

S'agissant des solutions envisagées, la meilleure consiste à économiser l'énergie. De ce point de vue, nous avons beaucoup investi sur l'accompagnement, en termes de conseils. Nous avons une offre de politique énergétique qui se développe, notamment dans le domaine des politiques énergétiques locales. D'autres solutions résident dans l'autoconsommation ou dans les power purchasing agreements (PPA), qui sont des accords principalement basés sur le photovoltaïque et l'éolien, où il est possible d'avoir un prix fixe sur une période de 10 à 15 ans. Ces deux ressources ont cependant la caractéristique d'être en quantité incertaine. Cette courbe de consommation incertaine peut avoir un coût pour la collectivité locale. S'agissant de l'introduction de tarifs réglementés, lorsque le prix est réglementé et s'éloigne du prix du marché, ce prix doit être payé par un acteur ou un autre. Le plafond ARENH arrive en outre à expiration et donnera lieu à un débat. Il est difficile de le distinguer du débat qui portera sur le market design de la Commission européenne.

C. L'EXEMPLE DE LA COMMUNE DE SAVERNE : LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE POUR FAIRE FACE AU QUADRUPLEMENT DU COÛT DE L'ÉNERGIE

M. Stéphane Leyenberger, maire de Saverne. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité de porter la voix des villes de taille moyenne, qui sont les moteurs de nos territoires. Saverne est une ville de 12 000 habitants en Alsace, au sein d'une communauté de communes de 36 000 habitants. Elle est la ville centre d'un territoire beaucoup plus vaste, d'environ 150 000 personnes. Nous avons donc des obligations de centralité très fortes, avec les recettes d'une ville de 12 000 habitants. Nous avons un budget de fonctionnement de 16 millions d'euros, 90 000 m² de bâtiments à chauffer et éclairer et 70 kilomètres de voirie à entretenir et éclairer. Nous faisons en outre partie des communes qui arrivaient à l'échéance de leur contrat d'électricité au 31 décembre dernier. Nous avons donc dû renouveler notre appel d'offres. Nous n'avons eu qu'un participant, Électricité de Strasbourg, et nous avons aujourd'hui un coût de l'énergie multiplié par quatre, particulièrement difficile à amortir, sans compter l'augmentation du coût du gaz, plus fluctuante. Fin 2022, les services de la commune ont réalisé un calcul : à consommation identique aux années précédentes, nous aurions eu à subir 1,6 million d'euros de factures supplémentaires, soit 10 % de notre budget de fonctionnement. Ceci aurait supposé de mettre fin à toute une série de politiques publiques.

Avec notre équipe municipale, nous nous sommes refusés à cette absurdité consistant à prélever l'impôt exclusivement pour payer des fluides et à ne plus mener de politique publique. Dès l'automne, nous avons donc pris des décisions drastiques pour un plan de sobriété renforcé, d'abord des mesures de bon sens (limitation de la température dans nos bâtiments, chasse au gaspillage), puis des mesures exceptionnelles relativement drastiques. Dès le mois de septembre, nous avons décidé de couper l'éclairage public de 21 heures à 6 heures, pour 200 000 euros d'économies. Nous avons promis à nos administrés, en échange, la poursuite des politiques culturelles, sociales, sportives et environnementales auxquelles nous nous étions engagés. Nous avons également pris la décision, pour la première fois, de fermer une semaine entière les services publics, avec quelques permanences pour certains services, entre Noël et Nouvel An. J'ai pris la décision d'accorder quatre jours de congé supplémentaires à mon personnel. La balance entre le coût et le bénéfice nous est apparue largement positive. Nous n'avons pas eu de difficulté avec les syndicats sur cette question. La mesure la plus spectaculaire, que nous sommes une des rares collectivités à avoir prise, a consisté à mettre en place pendant l'hiver une semaine de quatre jours, du lundi au jeudi, afin d'abaisser le chauffage dès le jeudi après-midi et de ne le rallumer que dans la nuit du dimanche au lundi, pour les principaux services publics. Les résultats sont encourageants. Les calculs, qui sont en cours de finalisation, font apparaître 30 à 40 % d'économies sur les volumes consommés durant cette période. Cette économie en volume, cumulée à l'augmentation de 7,1 % des bases fiscales, et à l'amortisseur de l'État, que nous espérons mais qui demeure une interrogation puisque nous estimons y être éligibles et que nous en attendons 400 000 euros, nous permet de maintenir notre fonctionnement. À la hausse des coûts de l'énergie s'ajoute cependant celle des matières premières, alors même que nous sommes engagés dans un plan pluriannuel d'investissement qu'il ne nous est pas possible de différer. Nous avons un certain nombre de travaux en cours, notamment sur le château des Rohan, pour un budget de 6,5 millions d'euros. Nous avons donc une certaine inquiétude quant à l'avenir, au vu de notre capacité d'autofinancement qui se dégrade, avec des taux d'intérêt en augmentation.

En étant réactifs et en prenant des mesures fortes, nous sommes capables de faire face à une situation conjoncturelle. Si celle-ci devait devenir structurelle, nos marges de manoeuvre s'en trouveraient fortement réduites. Nos marges fiscales sont devenues particulièrement limitées à la seule taxe foncière, ce que je regrette profondément.

D. LES PISTES POUR ASSURER L'ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE DU SERVICE PUBLIC DE LA RESTAURATION SCOLAIRE

M. Philippe Pont-Nouras, président du Syndicat national de la restauration collective (SNRC). - Madame la Présidente, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, merci de votre invitation. Le SNRC réunit une quarantaine d'entreprises de toute taille (grands groupes, PME, ETI, TPE) qui maillent le territoire national pour réaliser le métier de la restauration collective. Nous gérons 20 000 restaurants en France, avec 80 000 salariés, pour un volume d'achats annuel de 2,6 milliards d'euros. Nous réalisons un quart de notre chiffre d'affaires avec les marchés publics, dont une partie importante est portée par les collectivités locales au titre de la restauration scolaire.

Le coût d'un repas est composé à 40 % des matières premières, qui ont connu une augmentation de 20 % entre janvier 2022 et janvier 2023. Ce chiffre est supérieur à celui des grandes et moyennes surfaces (GMS), où les produits alimentaires ont en moyenne augmenté de 15 %. En effet, les volumes d'achat de la restauration collective ne sont pas ceux de la GMS, et la restauration collective utilise 85 % de produits bruts dans ses cuisines. Nous commençons à observer une légère décrue. Début juin, l'augmentation s'élevait à 17 %. Nous restons cependant dans des niveaux d'inflation inconnus depuis 40 ans. Le deuxième poste du compte de résultat de la restauration collective est constitué des salaires pour 45 % de la structure du coût d'un repas. Les augmentations successives du SMIC ont été mécaniques et représentent aujourd'hui plus de 10 %. Or il est nécessaire de tenir compte de cette progression sur le reste de la grille des salaires. Nous sommes en discussion avec les partenaires sociaux, dans le cadre d'une négociation qui devrait prendre fin le 20 juin. L'augmentation moyenne de la grille se situera à 12 % en 18 mois. Enfin, dans les autres coûts, qui représentent 15 %, la part de l'énergie est très modeste, puisqu'elle représente moins de 3 % du coût de la production et de la distribution d'un repas. En conséquence, nous ne pilotons pas la part énergétique mais la ressentons au travers du coût des matières premières que nous achetons.

Nous ne pouvons augmenter nos prix qu'une seule fois par an, à la date anniversaire du contrat. Les deux dates majeures sont soit le 1er septembre, soit le 1er  janvier. 70 % des contrats voient leur évolution tarifaire fixée au 1er septembre. Le 1er septembre 2022, nous avons augmenté nos prix de 4,5 %, en application mécanique des formules contractuelles dans les cahiers des charges. L'écart est donc majeur. La marge de la restauration collective est habituellement de 3 %. L'augmentation des prix appliquée au 1er janvier, passée de 4,5 à 5,1 %, reste encore loin de l'augmentation des coûts subie par la restauration collective. L'enjeu est donc majeur. Des entreprises se désengagent de ce métier, notamment les TPE et PME, qui ne veulent plus entendre parler des marchés publics. Les filières en amont considèrent, quant à elles, que la restauration collective n'est plus un débouché rentable, et envisagent également de s'en désengager, ce qui est dramatique du point de vue de l'enjeu de la souveraineté alimentaire et du soutien à l'agriculture française. Enfin, les professions d'hôtelier, de cafetier et de restaurateur manquent aujourd'hui de 200 000 à 250 000 salariés. Si nous ne sommes pas capables d'assurer une progression des salaires et de développer l'attractivité de nos métiers, de moins en moins de personnes souhaiteront les exercer. Du point de vue de la santé publique, nous pourrions également rencontrer des problèmes au sein de l'hôpital, si personne ne souhaite y être chef cuisinier. La gestion de cette crise conjoncturelle aura donc des effets structurels.

Pour soulager cette pression que nous devons répercuter auprès des collectivités locales, nous avons présenté à l'Association des maires de France (AMF) des pistes, parmi lesquelles le passage de cinq à quatre composantes pour certaines catégories de convives, notamment les petits des classes de maternelle, de trois à quatre ans. Certaines collectivités ont ainsi fait le choix de supprimer une des composantes, soit tous les jours, soit deux jours par semaine, sans que cela nuise à l'équilibre nutritionnel, afin de diminuer le volume servi. Ensuite, s'agissant du conditionnement des repas, le fait de diminuer le nombre de conditionnements abaisse le coût de la prestation. Le Covid a en outre perturbé nos statistiques de fréquentation des restaurants en raison des pratiques de télétravail des parents. L'une des pistes consiste donc à prévenir à l'avance des jours d'absence des enfants en restauration collective. Certains maires ont pris la décision de facturer les repas non consommés en cas d'absence, sauf justification. Des livraisons ont en outre été assurées très tôt le matin, afin de dégager quelques marges de manoeuvre, qui restent toutefois marginales. Il est nécessaire de se saisir de chacune de ces opportunités. Les indices applicables aux révisions de prix aux prochaines échéances devraient s'élever de 5 à 7 %, ce qui reste toutefois loin de couvrir le point mort des entreprises. Lors des nouveaux appels d'offre, les prix de marché sont nettement supérieurs aux prix pratiqués actuellement. Un travail est conduit avec la direction des affaires juridiques (DAJ) à Bercy et l'Insee afin d'avoir des mécanismes de révision plus équilibrés et de parvenir à un équilibre économique des contrats, au bénéfice des deux parties.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie pour vos témoignages complémentaires. Il est intéressant de constater que la culture de la sobriété dans la consommation d'énergie, comme dans la restauration collective, tend à se diffuser. On ne peut également manquer de relever que ce secteur de la restauration collective souffre d'injonctions contradictoires, avec d'une part des obligations d'approvisionnement en bio et en circuit court et, d'autre part, l'exigence des parents quant à la qualité nutritionnelle des repas.

M. Philippe Pont-Nouras. - Les 20 % d'augmentation que j'ai évoqués ont empêché la montée en gamme poursuivie par la loi EGAlim. Il n'est pas possible de supporter à la fois cette augmentation et d'organiser cette montée en gamme, qui suppose d'ajouter 40 centimes au couvert.

Par ailleurs, 25 % des appels d'offres lancés par les collectivités locales, pour leurs achats en denrées alimentaires à destination des cantines scolaires, sont infructueux.

E. LA RÉORGANISATION DES APPROVISIONNEMENTS DES COLLECTIVITÉS

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci de cet éclairage.

La réorganisation de l'approvisionnement et de la distribution me paraît une piste intéressante. Il ne s'agit pas d'imaginer les énergies renouvelables se substituer à d'autres énergies, mais d'aboutir à un mix d'approvisionnement permettant de lisser la consommation et d'en sécuriser une partie. Les progrès naissent parfois de la crise.

Cette volatilité et cette imprévisibilité sont-elles devenues structurelles ou sont-elles liées à des événements conjoncturels, comme la crise de l'Ukraine ? J'ai par ailleurs été très sensible à votre propos sur les fournisseurs alternatifs. Nous avons pensé qu'il fallait favoriser une offre élargie avec des fournisseurs alternatifs, et vous nous indiquez que ceux-ci posent une question de fiabilité. Je rappelle que nos collectivités ne sont pas à l'aise avec la notion de spéculation. Vous avez également fort opportunément évoqué la stratégie multiclics, qui permet de limiter l'augmentation.

Nous avons plusieurs demandes de parole.

II. VERS UN NOUVEAU MIX ÉNERGÉTIQUE POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. L'ÉVALUATION DES RÉSULTATS OBTENUS PAR LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT DES COLLECTIVITÉS

M. Bernard Delcros. - Madame la Directrice, vous avez évoqué les dispositifs qui ont été mis en place dans la loi de finances pour protéger les collectivités. Nous avons prévu un budget de 50 milliards d'euros pour financer ces mesures. Combien de collectivités ont pu en bénéficier ? Quel montant ces aides représentent-elles ?

Vous avez évoqué les CEE, qui sont cependant méconnus et complexes d'accès. Qu'est-il prévu pour les rendre plus accessibles et efficaces ?

Monsieur le Maire, vous avez indiqué que vos dépenses d'énergie avaient augmenté de 10 % du budget, pour 1,6 million d'euros. Je suppose que vous ne prenez en compte que les dépenses directes. En intégrant les effets induits, notamment sur les matières premières, les coûts seraient bien supérieurs. Quelles économies les mesures que vous avez prises pour réduire l'impact de cette augmentation ont-elles permises ? Les 40 % que vous avez évoqués s'entendent-ils en montant ou en consommation ?

Mme Céline Brulin. - Merci pour ces exposés démontrant que chacun déploie des trésors d'ingéniosité dans une situation que vous avez décrite comme conjoncturelle, mais dont vous avez tous souligné qu'elle pourrait devenir structurelle. Ceci suppose de réfléchir à des mesures plus structurelles. Le coût de l'énergie va impacter la capacité des collectivités à investir, par exemple pour réduire les dépenses énergétiques de leurs bâtiments. Une mission du Sénat porte actuellement sur le bâti scolaire, dont la rénovation représente 40 à 50 milliards d'euros d'investissements. Nous avons également vu qu'un nombre conséquent d'industries avait suspendu leurs activités. Je souhaiterais donc vous entendre sur les tarifs réglementés sur le marché européen de l'électricité et sur l'ARENH, puisque certains opérateurs alternatifs ont fait de la spéculation en matière énergétique.

Mme Nelly Recrosio. - Je ne dispose pas du nombre de collectivités. Nous avons environ 400 000 clients qui ont renvoyé une attestation conforme. S'agissant des marchés publics, nous les apprécions dans leur ensemble. Ils regroupent les collectivités, les bailleurs sociaux, etc. J'estime que ceux qui ont bénéficié des aides représentent moins de 10 % de ce volume.

Parmi les aides déployées, le suramortisseur, qui concerne les TPE et assimilés (moins de 10 salariés, moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires), consiste à plafonner le prix à 230 euros par mégawattheure hors acheminement, toute l'année.

S'agissant de la situation, nous ne connaîtrons probablement pas avant longtemps des prix de marché tels que nous les avons connus il y a quelques années. En 2016, ils se limitaient à 25 euros par mégawattheure. Les prix restent élevés, mais sont nettement inférieurs à ceux du second semestre 2022, où le prix s'élevait à 1 000 euros par mégawattheure fin août. Aujourd'hui, en forward 2024, nous sommes autour de 150 euros par mégawattheure. Pour faire face à cette situation, au-delà des mesures qui seront prises dans le cadre du market design, nous pouvons, en tant que fournisseurs, nous saisir du sujet de l'efficacité énergétique. Tout kilowattheure non consommé est gratuit. Nous avons une offre de pilotage intelligent du bâtiment, qui est adaptée aux collectivités territoriales et permet de gérer automatiquement, avec une interface digitale, le confort et la température. Nous avons observé, sur les clients qui l'utilisent, qu'ils enregistraient en moyenne 15 % d'économie d'énergie. S'agissant des industriels, en comparaison des concurrents européens, nous sommes beaucoup moins chers en France.

En ce qui concerne le tarif réglementé de vente, les décisions prises doivent être conformes aux règles européennes. Nous considérons que les consommateurs éligibles au tarif réglementé de vente sont ceux qui ont moins de 10 salariés, 2 millions d'euros de chiffre d'affaires et de budget et une puissance souscrite inférieure à 36 kVA. Nous avons eu environ 20 000 sites, dont 10 % provenant d'autres fournisseurs et 90 % déjà chez nous en offre de marché. Étendre l'éligibilité de ces acteurs aux puissances souscrites supérieures à 36 kVA nous paraît possible, car conforme au droit européen. En effet, ce chiffre de 36 kVA correspond à une spécificité française. Au-delà de ces conditions, nous identifions une incohérence avec le droit européen.

M. Stéphane Leyenberger. - L'économie que j'ai annoncée s'entend en volume. Nous attendons, sur l'augmentation de 1,6 million d'euros, 30 % d'économies financières. L'augmentation mécanique de la fiscalité, du fait de l'augmentation des bases, y sera quasi exclusivement consacrée. Nous comptons sur l'amortisseur de l'État. Une collectivité comme la nôtre ne peut en outre bénéficier du bouclier tarifaire, car nous avons des puissances beaucoup trop importantes.

Toutes ces mesures conjoncturelles ont par ailleurs des limites. Il nous faut diversifier notre mix énergétique. Nous avons ainsi lancé, à Saverne, une délégation de service public (DSP) pour un grand réseau de chaleur, avant même la crise énergétique. Nous attribuerons ce marché d'ici quelques semaines. 40 % de nos bâtiments devraient être raccordés à ce réseau de chaleur. Les mesures d'isolation des bâtiments représentent quant à elles un coût important. Le passage de l'éclairage public aux LED (Light Emitting Diode, soit diode émettant de la lumière) représente 2 millions d'euros. Sur 90 000 m² de bâtiments, nous avons la chance d'avoir de nombreux bâtiments historiques, qu'il est cependant difficile d'isoler.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Une mission du Sénat porte précisément sur la gestion des performances énergétiques et du patrimoine.

B. LES PERSPECTIVES D'AVENIR : RÉPONDRE À LA CRISE CONJONCTURELLE PAR DES ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES

Mme Nelly Recrosio. - Nous avons réalisé des opérations très intéressantes dans certaines régions : la récupération de chaleur sur des usines et sa réinjection dans le réseau de chaleur de la ville voisine. Cette récupération permet de chauffer jusqu'à plusieurs centaines de logements.

M. Fabien Genet. - Merci pour l'organisation de ce point d'étape sur cette thématique, et merci aux quatre intervenants pour leur exposé. Vous avez fait remarquer que le seuil de 36 kVA correspondait à une surtransposition, argument que nous avions fait valoir lors du projet de loi de finances et à l'occasion de discussions de PPL. Nous espérons, avec votre renfort, pouvoir faire progresser cette analyse et obtenir ce déplafonnement. Comme vous l'avez indiqué, ces mesures de soutien introduisent parfois des inégalités difficilement explicables entre collectivités. Elles sont en effet décidées sur la base de seuils qui ne sont pas toujours bien lisibles sur le terrain.

Beaucoup de nos concitoyens se posent une question que je souhaiterais relayer : ces prix parfois exorbitants que nous avons connus s'éloignent souvent du prix de production. Où l'argent passe-t-il ?

Vous avez par ailleurs souligné la faible visibilité sur les perspectives d'évolution de ces coûts au-delà de 2025. Or les collectivités locales doivent aujourd'hui arbitrer sur un certain nombre d'investissements, qui sont prioritaires en matière énergétique. Sur quoi faut-il investir ? Lorsque je présidais le syndicat départemental d'énergie, entre 2014 et 2020, j'indiquais dans mes interventions que le gaz pouvait devenir vert et qu'il devait être développé. Un autre discours est aujourd'hui tenu, au profit du tout électrique. Or les concitoyens et les maires, désormais confrontés à une forte volatilité des prix de cette énergie, jugent cette solution contre-intuitive. Comment arbitrer les nécessités d'investissement ?

Enfin, si les initiatives prises par les territoires pour réaliser des économies sont à saluer, elles se font parfois au détriment de la qualité du service public. Jusqu'où peut-on dégrader ce dernier ?

Mme Muriel Jourda. - Je suis agacée par le terme de sobriété. De tout temps, les maires ont réalisé des efforts. Nous sommes tous responsables, même s'il existe encore des marges de manoeuvre, qui ne dépendent parfois pas de la mairie.

Le retour d'investissement sur les économies d'énergie qui peuvent être liées aux travaux réalisés dans les bâtiments a-t-il été calculé ?

M. Edward Jossa. - Ce marché restera un marché mondial. Le gaz est importé en France, principalement de Norvège mais aussi, de manière accessoire, de Russie, avec les difficultés que nous connaissons. Les ventes se feront au coût marginal, d'où l'importance de bien acheter dans ce contexte. Concernant les éléments structurels, la substitution des énergies électriques décarbonées aux énergies fossiles est fondamentale et difficile à évaluer. Cette pression tire à la hausse les coûts de l'énergie, mais nous connaissons également des ralentisseurs, notamment dans le domaine des véhicules. La rareté des métaux rares entrant dans la composition des batteries sera un de ces éléments structurants. Tous ces sujets méritent des analyses économiques croisées complexes.

Les fournisseurs alternatifs, quant à eux, ont permis une ouverture à la concurrence et l'émergence d'acteurs intéressants qui ont élargi le marché. Une question se pose lorsque ces fournisseurs signent des contrats considérables eu égard à leurs capacités financières. L'un, notamment, a disparu après avoir signé des contrats colossaux et pris des risques spéculatifs sur les prix. Dans un autre cas, un fournisseur dans le domaine du gaz s'était correctement couvert mais, compte tenu des variations de consommation, a dû acheter sur le marché Spot à des prix extrêmement élevés. Tous ces événements ont conduit à une recomposition du paysage et le système s'est régulé.

M. Philippe Pont-Nouras. - Sur la question de savoir si la situation est structurelle ou conjoncturelle, les salaires ne connaîtront, fort heureusement, pas de retour en arrière. Les salaires des personnes qui ont fait le choix de la restauration collective ne devraient pas être la variable d'ajustement d'une transition environnementale, agricole et alimentaire.

Nous serons de plus en plus nombreux sur terre. Du fait des conditions climatiques, nous commençons à vivre des baisses de rendement. Nous devons en outre soutenir l'agriculture française et ne pouvons pour cela impacter les agriculteurs, qui connaissent des difficultés considérables. Nous devrons donc nous habituer à payer plus cher notre alimentation.

CONCLUSION

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie pour l'intérêt de vos contributions. Le sujet de la restauration collective, que nous explorons peu, est majeur. Les collectivités ont besoin d'être accompagnées pour réussir cette transition et prendre de bonnes décisions. Dans le secteur des énergies, l'intelligence et l'innovation sont à l'oeuvre : nous retenons l'enjeu d'un mix énergétique et celui de la capacité de notre pays à bénéficier d'une certaine autonomie dans son approvisionnement.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- Mme Nelly RECROSIO, directrice marché d'affaires - Pôle Clients Services, Électricité de France ;

- M. Edward JOSSA, président-directeur général, Union des groupements d'achats publics (UGAP) ;

- M. Stéphane LEYENBERGER, maire de Saverne ;

- M. Philippe PONT-NOURAT, président du Syndicat national de la restauration collective (SNRC).

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