D. LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LE BLOC COMMUNAL ET LES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT DE L'INTERCOMMUNALITE

1. Une géographie faite d'insularités, de distances et d'éloignements

Les communes sont réparties dans cinq archipels dont l'archipel des Îles du Vent qui comptent 13 des 15 plus grandes communes de la Polynésie. A la dispersion qui marque très fortement la vie des communes (isolement, liaisons longues et aléatoires, éloignement des services de l'État ou du Pays, etc.), s'ajoutent des différences très marquées. La population des 48 communes varie entre 30 000 habitants pour Faa'a la plus grande, et 138 pour la plus petite, Puka Puka à l'est de l'archipel des Tuamotu. La perte de population de certains atolls notamment à l'est des Tuamotu (isolement, baisse de la ressource de pêche et de la production perlière) est à noter. Une autre différence citée à titre d'exemple est relative à la ressource en eau. Dans de nombreux atolls, elle se limite à celle recueillie dans des citernes, alors que dans les îles hautes les précipitations, qui atteignent parfois jusqu'à 4 fois celles relevées en métropole, permettent une ressource abondante qui n'empêche cependant pas 80 % des communes de ne pas être en mesure de fournir de l'eau potable à la population.

Ces contraintes géographiques et ces éloignements ne favorisent pas les dynamiques de rapprochement et rendent même la logique de mutualisation de moyens humains et matériels parfois inopérante.

La majorité des communes est composée de communes associées ce qui accentue l'émiettement, la dilution de la responsabilité et la dispersion des moyens et des compétences.

Par ailleurs, pour l'exercice des compétences, l'exigence législative d'une continuité territoriale pose problème. Il est difficile d'envisager une communauté de communes d'un seul tenant et sans enclave alors que certains territoires sont insulaires et donc séparés par un espace maritime. Les 118 îles (dont 76 habitées) sont dispersées sur un espace océanique grand comme l'Europe. Seule la communauté de communes de Tereheamanu dispose d'une continuité territoriale (sud et ouest de Tahiti) alors que la CCH se déploie sur un périmètre qui n'inclue pas tout l'archipel et que la CODIM est dispersée sur des centaines de kilomètres maritimes. Cela engendre des difficultés dans la mise en place des services aux populations, notamment en raison des distances. Par exemple, en matière de déchets cela pose des difficultés techniques.

Le législateur a prévu la possibilité de confier, dans le cas d'éclatement des communes entre plusieurs îles, à la communauté de communes des compétences spécifiques en matière de transport interinsulaire ou d'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Ces compétences ne sont cependant pas les plus simples à mettre en oeuvre du fait du manque d'ingénierie dans les services ou des coûts importants qu'engendrerait l'exercice de la compétence transport (par exemple dans l'archipel des Australes, l'île de Rapa est distante de plus de 500 km des autres communes).

2. Une absence de clause générale de compétence

Les communes polynésiennes ont été créées très récemment - leur mise en place date d'il y a cinquante ans à peine - il est donc logique que l'intercommunalité soit encore un phénomène récent.

De plus, la grande majorité des communes (30 sur 48) comportent plusieurs communes associées en leur sein, et fonctionnent donc déjà avec ce double niveau propre au bloc communal. L'intercommunalité semble ajouter de la complexité à un fonctionnement articulant déjà deux échelles.

Par ailleurs, le partage des compétences fixé par la loi organique statutaire de 2004 entre la Polynésie française et les communes ne confère pas à celles-ci une latitude d'action aussi large que celles des communes métropolitaines, qui disposent d'une clause générale de compétences, ce qui limite leurs possibilités de travail en commun.

Avis du Conseil d'État n° 390 576 du 24 novembre 2015

« Les communes ne peuvent intervenir sans habilitation du Pays dans les matières listées à l'article 43-II LOPF, [...] elles peuvent intervenir dans les autres matières non listées à l'article 43-II, mais de manière nécessairement subsidiaire et résiduelle, et dès lors qu'un intérêt public communal le justifie. [...]

Une éventuelle action communale en faveur du développement économique ne pourrait trouver un fondement que pour des actions hors du champ de l'article 43 LOPF, présentant un intérêt communal très particulier et ayant un caractère marginal, ponctuel ou spécifique pour la commune concernée ».

La répartition opérée par le statut d'autonomie de la Polynésie française ne confère aux communes aucune compétence en matière d'aménagement du territoire ou d'intervention économique, compétences qui constituent en métropole le coeur de la mutualisation intercommunale. La création de communautés de communes se fait donc sur la base des seules compétences communales (voirie, transport communal ou interinsulaire, écoles du premier degré, eau potable et assainissement, ordures ménagères, etc.). Le développement de l'intercommunalité subit donc un retard préjudiciable au règlement des enjeux auxquels les communes doivent faire face : développement économique, traitement des déchets, mutualisation de l'ingénierie, innovations, transports, activités culturelles, ...

Enfin, il est important que les choix d'exercice de compétences au niveau intercommunal se dirigent vers des compétences essentielles pour les populations et pas vers des compétences accessoires. En ce sens, la communauté de communes de Tereheamanu a choisi de manière volontaire deux compétences du bloc principal, proposées par le législateur, à savoir l'assainissement et le traitement des eaux usées ainsi que les voiries d'intérêt communautaires. Ces deux compétences sont essentielles pour la structuration et l'aménagement du territoire et pour le service aux usagers. La récente modernisation du service de navette inter-îles aux Marquises par la communauté de communes est aussi un autre exemple de pilotage d'un service essentiel à la population au niveau intercommunal.

3. Une fiscalité communale quasi-inexistante

Malgré les dispositifs incitatifs au niveau des dotations d'État, la création de structures de coopération intercommunale est freinée par la quasi-inexistence d'une fiscalité communale susceptible d'être transférée par les communes.

La Polynésie française est compétente depuis 2004 pour instituer des impôts ou taxes spécifiques aux communes, mais elle n'a pas exercé cette compétence. L'absence de fiscalité obère donc le développement de structures intercommunales plus intégrées, la création de SIVU et de SIVOM apparaissant actuellement plus adaptée à la situation et à la gestion mutualisée des compétences eau, déchets et assainissement.

En outre, l'impact de la création de communautés de communes conduit à une ventilation différente des dotations entre les communes et l'intercommunalité, qui se traduit par une baisse des dotations perçues par les communes. Cet effet sur les dotations communales - malgré la perception par l'EPCI d'une dotation d'intercommunalité généralement supérieure à la perte de recettes des communes - entrave parfois la dynamique.

Il semble inadéquat de qualifier les communautés de communes polynésiennes d'EPCI à fiscalité propre, dès lors que les communes ne peuvent pas transférer de fiscalité à l'établissement qu'elles créent. Ce terme persiste dans chaque réforme les concernant lorsque les textes sont étendus en Polynésie française, alors qu'il n'est pas adapté. Ce problème est en partie réglé par la loi organique du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de Polynésie française qui permet au Pays de déterminer les impôts et les taxes des EPCI. La libre administration des communes implique des moyens financiers propres alors que la fiscalité relève, en Polynésie, de la compétence du Pays. Il est regrettable cependant que le projet n'ait pas été concrétisé par une Loi du Pays. Dès lors les tavanas (maires) ont l'impression de devoir solliciter en permanence des moyens.

4. Une faiblesse des moyens humains et de l'ingénierie

La fonction publique communale regroupe environ 4000 fonctionnaires auxquels s'ajoutent 650 agents contractuels.

Elle est régie par un statut spécifique, déterminé par l'État via l'ordonnance du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française, de leurs établissements publics administratifs ainsi que des décrets d'application.

La fonction publique communale repose sur quatre spécialités - filière administrative, filière technique, filière sécurité publique et filière sécurité civile - et quatre catégories - de A à D. Près de 58 % des effectifs sont des agents de catégorie D, catégorie qui a disparue dans l'hexagone mais qui a été maintenue localement en raison d'un faible niveau de diplôme sur le territoire.

En moyenne, les communes polynésiennes comptent un agent communal pour 58 habitants. « Il n'est pas rare que les communes, particulièrement dans les archipels, constituent le premier employeur. Le recrutement communal fait office, dans certaines communes éloignées ayant peu d'activités économiques, d'emploi social. Il s'explique également dans les archipels par l'absence d'entreprises spécialisées pour la réalisation des travaux, rendant nécessaire de les effectuer en régie municipale » précise le rapport de Mme Catherine Troendlé et M. Mathieu Darnaud.

Malgré des progrès constatés depuis la création du Centre de gestion et de formation (CGF) il y a un peu plus de 10 ans (voir encadré), les communes et intercommunalités manquent encore de moyens humains et de compétences tant en administration et gestion, en management et encadrement intermédiaire, qu'en conduite de projet.

Le Centre de gestion et de formation (CGF)

Le CGF est un établissement public local à caractère administratif créé le 29 novembre 2011.

Il assure, sous forme d'un « guichet unique », les fonctions traditionnellement dévolues à un centre de gestion auxquelles sont ajoutées celles du Centre national de la fonction publique territoriale et du Conseil supérieur de la fonction publique locale.

Le Centre de gestion et de formation assure pour les communes membres une fonction de conseil juridique, la gestion des dossiers individuels, sous forme dématérialisée, le secrétariat des instances paritaires, la prise en charge des fonctionnaires privés d'emploi et le remboursement des autorisations spéciales d'absence et des décharges d'activités de service pour les représentants syndicaux.

Il joue un rôle essentiel en matière de formation à laquelle il consacre la moitié de son budget. Il organise des sessions délocalisées dans les archipels. Il vise à orienter les formations vers les besoins les plus en phase avec les missions des collectivités.

Ces difficultés pèsent sur la capacité des intercommunalités à faire émerger, porter et gérer des projets complexes.

Elles conduisent par ailleurs les communes et les intercommunalités à « un excès dans les sollicitations aux consultants, en volume et dans son contenu » allant même jusqu'à « externaliser le coeur de métier, celui de la conception des politiques publiques » selon la Chambre territoriale des comptes (CTC).

Enfin, ce déficit entraîne un pilotage au coup par coup, avec peu d'appropriation, peu de capitalisation, peu de continuité dans les projets « source de dispersion et de gaspillage » toujours selon la CTC.

5. Une appropriation encore récente du fait intercommunal

L'intercommunalité est perçue par certains maires et élus locaux comme un risque de dessaisissement de leur pouvoir du fait du transfert de compétences. Les clivages politiques, comme dans tous les territoires, peuvent aussi constituer un obstacle important à la création des regroupements intercommunaux. La volonté politique d'élaborer des projets communs reste une des clés de réussite de la création d'une intercommunalité.

La Chambre territoriale des comptes estime que le fonctionnement des intercommunalités est globalement insatisfaisant : soit elles tardent à concrétiser leurs projets d'origine, soit elles ne semblent pas répondre aux besoins des collectivités participantes. Elle souligne cependant des réussites, comme celle de Fenua Ma-collecte des déchets « qui assume ses compétences » avec une réelle expertise.

En conclusion, il résulte des éléments mentionnés dans ce rapide état des lieux que le « fait intercommunal » ne revêt pas pour le moment, en Polynésie française, une place aussi centrale qu'en métropole. À ce titre, on relèvera que la commission de la coopération intercommunale n'a pu être constituée suite au dernier renouvellement général des conseils municipaux, faute de candidatures.

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