C. UN APPROFONDISSEMENT DES RELATIONS AVEC L'UNION EUROPÉENNE EN PARTIE SUSPENDU À LA CONCLUSION DE L'ACCORD D'ASSOCIATION MERCOSUR-UE

Au cours des 30 dernières années, l'Union européenne (UE) et le Brésil ont renforcé leur coopération économique (l'UE est ainsi le principal partenaire commercial ainsi que le 1er investisseur au Brésil) et diplomatique, dont le cadre juridique a été formalisé par :

- un accord-cadre de coopération signé en 1992 ;

- un accord de coopération scientifique et technologique signé en 2004 ;

- un accord-cadre de coopération avec le Mercosur signé en 1995 ;

- un partenariat stratégique mis en place en 2007 qui prévoit l'engagement des deux parties à jouer un rôle actif dans les problèmes politiques, régionaux, économiques et sociaux dans le monde, et comporte une série d'engagements concrets dans de nombreux domaines, dont la sécurité, le développement durable, la coopération régionale, la recherche et les nouvelles technologies, les migrations, l'éducation et la culture.

L'approfondissement des relations entre l'UE et le Brésil dépend cependant pour partie du futur de l'accord d'association UE-Mercosur négocié depuis 1999.

1. Depuis 2019, la conclusion de cet accord achoppe sur des questions environnementales

L'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur a fait l'objet de négociations conclues le 28 juin 2019. Celui-ci n'a cependant pas été présenté au Conseil en raison des préoccupations environnementales exprimées par plusieurs États membres, dont l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la France, laquelle a fait part de ses inquiétudes quant aux conséquences de cet accord sur l'environnement, notamment en ce qui concerne la déforestation au Brésil et le respect des engagements de l'Accord de Paris.

Celles-ci ont été rappelées par le Président de la République lors du sommet du G7 à Biarritz en août 2019, qui a indiqué que la France ne pouvait pas soutenir l'accord dans sa forme actuelle en raison de ces préoccupations.

En 2020, le Premier ministre a formulé trois conditions essentielles pour que la France puisse soutenir l'accord. En premier lieu, il a insisté sur le fait qu'il ne devait pas entraîner une augmentation de la déforestation importée au sein de l'Union européenne. En deuxième lieu, les politiques publiques des pays du Mercosur devaient être pleinement conformes à leurs engagements envers l'Accord de Paris. Enfin, en troisième lieu, il était primordial que les produits agroalimentaires importés respectent les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne.

2. Une année 2023 marquée par une relance des discussions

Au cours des derniers mois, l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur, a suscité un certain regain d'intérêt côté européen. Le 17 janvier 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen a ainsi appelé depuis le Forum économique mondial à « relancer les débats en ce qui concerne l'accord du Mercosur ».

Depuis son élection, le Président Lula a, à de nombreuses reprises, regretté que l'accord dans sa rédaction actuelle cantonne le Brésil dans un rôle de fournisseur de matières premières et que l'ouverture des marchés publics puisse entraver le développement des PME locales alors qu'il fait de la réindustrialisation du Brésil l'une de ses priorités. Selon lui, le Brésil doit chercher à obtenir certaines avancées sur ces fronts dans le cadre des discussions en cours sur la proposition d'instrument additionnel présenté par la Commission européenne sur les exigences environnementales européennes. En dépit d'un discours critique sur le contenu de l'accord, le Président Lula plaide pour une conclusion rapide de ce dernier.

Dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, la direction générale du Trésor a présenté les contours de l'instrument additionnel envisagé par la Commission. Celui-ci comprendrait des engagements de région à région, réciproques, juridiquement liants, et de nature interprétative, c'est-à-dire précisant les engagements déjà pris dans l'accord commercial, sans rouvrir la substance de l'accord : il viserait notamment à interpréter les dispositions de l'accord sur le changement climatique, la diversité biologique, les forêts, le droit du travail, la coopération, les droits de l'homme, et le rôle de la société civile. Il serait assorti d'un scenario proposant l'activation de la clause de revue du chapitre commerce et développement durable, dans l'objectif d'inclure un mécanisme contraignant et l'Accord de Paris comme élément essentiel de l'accord d'association.

3. La présidence espagnole de l'Union européenne, qui affiche son volontarisme sur ce sujet, pourrait permettre d'accélérer le processus même si d'importants obstacles doivent encore être levés

Selon la direction générale du Trésor, le Mercosur se montrerait constructif sur l'instrument additionnel présenté par la Commission, et aurait donné son consentement pour « débloquer » l'accord sans demander une réouverture des négociations. Le Mercosur aurait indiqué que l'instrument additionnel allait dans la bonne direction mais contenait certaines dispositions qui allaient au-delà des engagements pris en 2019 et étaient excessivement « centrées sur l'UE ». Le Brésil doit ainsi présenter prochainement une lettre de réponse, après concertation avec les membres du Mercosur, à l'instrument additionnel de la Commission européenne.

Dans la perspective de sa présidence de l'Union européenne intervenue le 1er juillet 2023, l'Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d'ici le sommet UE-CELAC des chefs d'État et de gouvernement qui se tiendra à Bruxelles les 17 et 18 juillet 2023.

Ce calendrier, déjà optimiste en début d'année 2023, semble désormais peu vraisemblable compte tenu du report au mois de mai 2023 de la deuxième session de négociation de l'instrument additionnel.

Les États membres du Mercosur ne semblent de surcroît pas unanimement partager le souhait que cet accord soit conclu dans un avenir proche. Ainsi, si l'Argentine se dit favorable à cet accord, à l'occasion de questions parlementaires du 29 mars, Agustin Rossi, chef de cabinet des ministres, a indiqué le 29 mars que « l'accord UE-Mercosur n'était pas à l'ordre du jour du sommet UE-CELAC ». Le Président argentin Alberto Fernandez a en outre appelé par le passé à « retourner à la table des négociations » et à « revoir les asymétries ».

Par ailleurs, le 13 juin 2023, l'Assemblée nationale a adopté une résolution relative à l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, par laquelle nos collègues députés indiquent que le volet commercial de l'accord n'est compatible ni avec les engagements de l'Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique, ni avec l'objectif de souveraineté alimentaire et s'opposent à son adoption tant que les produits en provenance du Mercosur ne seront pas contraints de respecter les normes de production européennes ainsi qu'à l'adoption séparée du volet commercial de l'accord.

De son côté, la secrétaire d'État chargée de l'Europe, Laurence Boone, a rappelé la fermeté de la position française lors du débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023 qui s'est tenu le 20 juin 2023 : « comme je le dis à tous nos partenaires européens, cet accord doit être complété par des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. L'accord de Paris doit en être une clause essentielle, et l'accord avec le Mercosur doit être aligné avec la nouvelle approche de l'Union européenne en matière de commerce et de développement durable. Nous portons cette position auprès de la Commission européenne, qui travaille en ce moment avec les États du Mercosur, et nous la relayons à la future présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne et à nos partenaires sud-américains. Je vous assure qu'il n'y aucune ambiguïté sur le sujet ».

À l'occasion d'une rencontre avec des représentants de la communauté diplomatique à Brasilia, les ambassadeurs présents ont majoritairement appelé à une conclusion de cet accord, certains diplomates considérant qu'un échec des négociations conduirait à un rapprochement du Brésil avec la Chine.

S'il peut sembler excessif de considérer qu'un éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et bien que la mission ne méconnaisse pas les problématiques soulevées par cet accord, qui ont été bien rappelées par des résolutions ou projets de résolution déposés à l'Assemblée nationale et au Sénat, elle considère qu'il convient de poursuivre les discussions sur ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en matière environnementale, cet accord pouvant, à tout le moins, contribuer au renforcement du lien unissant le Brésil aux pays occidentaux.

Lors de son entretien avec la mission, Cid Gomes, vice-président de la commission des relations extérieures du Sénat, a ainsi indiqué que les attentes vis-à-vis de la France étaient fortes sur ce sujet.

Entretien avec M. Cid Gomes, vice-président de la commission des relations extérieures du Sénat