Lucien Saliber,
président de l'Assemblée de Martinique

Depuis 2015, départements et régions se sont réunis en Martinique sous la forme d'une collectivité (comparable au modèle corse) avec un exécutif de 9 personnes et 51 élus qui constituent l'Assemblée. Nous avons connu une période extrêmement difficile due en grande partie à la crise sanitaire, mais pas seulement. Le Covid a été le déclencheur. Nous avons rencontré de très grandes difficultés dans la mise en place de nos politiques. Notre relation avec les services de l'État est bonne, mais nous avons un peu l'impression d'être infantilisés. Je vais vous donner quelques exemples pour que vous puissiez comprendre les conditions dans lesquelles nous travaillons régulièrement. La commune de Saint-Pierre a été détruite par le volcan de la montagne Pelée en 1902. Nous avons célébré les 120 ans de cet évènement cette année en réalisant une statue à l'effigie du seul survivant Louis Cyparis. Mais, pour que le maire puisse mettre la statue de Louis Cyparis dans son propre musée, il doit écrire une lettre à la direction de l'Agriculture. Un autre exemple concerne l'autosuffisance alimentaire. Pour redonner les terres aux agriculteurs afin qu'ils puissent nous nourrir sainement, une demande doit être adressée à la DEAL, ainsi qu'à l'Office national des forêts (ONF) et aux associations. Nous devons nous battre pour simplement pouvoir redonner les terres ou procéder à un désenclavement.

À la suite des désordres générés par la crise sanitaire, nous nous sommes réunis en congrès : maires, parlementaires, conseillers de l'Assemblée, conseillers exécutifs. Nous avons estimé que notre relation avec l'État devait changer pour nous permettre de disposer d'un minimum de leviers afin de gérer au plus près nos affaires personnelles et trouver des solutions pour assurer le bien-être de notre population. Nous avons créé trois commissions : une première commission, gérée par Catherine Conconne, va faire un diagnostic en recueillant l'avis de la population sur le changement institutionnel. Nous avons décidé d'organiser des auditions, des réunions citoyennes dans toutes les communes, de mettre en place une plateforme numérique et nous avons envoyé des jeunes pour prendre le pouls de notre population.

Après ces auditions, des préconisations seront élaborées dont certaines seront de notre ressort, tandis que d'autres dépendront de changements institutionnels. La deuxième phase consistera à mettre en place un certain nombre de solutions, et au cours de la troisième phase nous demanderons à l'État un certain nombre de modifications du cadre institutionnel pour nous permettre de disposer de plus de leviers. Nous voulons évidemment rester dans le cadre français et dans le cadre européen, nous voulons qu'il y ait une égalité des droits, mais nous voulons aussi avoir un droit à l'initiative dans notre département. Les articles 73 et 74 datant des années 1950, et la première décentralisation de 1983 doivent être dépoussiérés. Même le président de la République a dit que la décentralisation qui nous avait été accordée était une fausse décentralisation. Nous avons besoin de moyens pour exercer le pouvoir. Nous prévoyons donc de demander un pouvoir fiscal à l'État. Nous ne pouvons pas dire si nous arriverons à une autonomie. Les négociations avec l'État porteront aussi bien sur les domaines dans lesquels nous demandons une certaine autonomie, que sur les domaines qui sont de la compétence régalienne de l'État comme la santé.

En effet, si le préfet de l'époque avait mieux travaillé en concertation avec nous, nous ne serions pas arrivés à la situation problématique que nous avons connue à la fin de l'année 2021. Concernant l'éducation qui est aussi un domaine régalien, nous avons besoin que les programmes correspondent à ce que nous voulons. Comment voulez-vous faire une coopération régionale avec tous les pays qui vous entourent, qu'ils soient anglophones ou hispanophones, quand vous ne pouvez même pas expérimenter l'anglais dans les classes primaires ? Nous devons absolument mettre en place avec l'État une co-construction, même dans les domaines régaliens. Notre objectif est de travailler dans une égalité des droits, mais aussi d'avoir un droit à l'expérimentation, un droit de décision localement.

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