INTRODUCTION

« La Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire : hommes, bêtes de charge, voitures, marchandises, navires, idées, religions, arts de vivre » 1 ( * )

F. Braudel, historien

« L'importance d'une mer ou d'un océan ne se mesure pas à sa superficie : elle tient avant tout à sa position. Or celle de la Méditerranée, à la jointure de trois continents, est telle que cette mer est et restera toujours essentielle non seulement pour les pays riverains, mais pour toutes les nations » 2 ( * )

Amiral A.-G. Lemonnier, ancien chef d'état-major de la Marine (1943-1950)

La mer Méditerranée, qui baigne le territoire national le long d'une côte de plus de mille sept cents kilomètres, occupe une place particulière dans l'environnement stratégique de la France.

Espace d'échanges comme d'affrontements, depuis l'expansion commerciale des cités phéniciennes de l'Antiquité jusqu'à la bataille de Navarin remportée en 1827 par les révolutionnaires grecs contre les forces de l'Empire ottoman avec le soutien conjoint de la France, du Royaume-Uni et de la Russie, la Méditerranée est encore cette « mer de jonction entre les trois masses continentales de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique » 3 ( * ) décrite par Élisée Reclus.

Dans un périmètre restreint à 2,5 M de km 2 , soit un soixante-dixième seulement de l'océan Pacifique, la Méditerranée concentre non pas une civilisation mais, selon l'expression de Fernand Braudel, « des civilisations entassées les unes sur les autres » 4 ( * ) dans un espace dont la fragmentation est accentuée par l'existence de plusieurs mers distinctes à l'image de la mer Égée qui s'étend entre la Grèce, l'Asie mineure et la Crète ou de la mer Adriatique comprise entre la péninsule des Apennins et celles des Balkans.

Mer centrale dans la construction puis dans la diffusion de la civilisation occidentale, la Méditerranée est aujourd'hui sujette à une reconfiguration profonde qui s'est traduite, depuis cinquante ans, par un renversement de ses équilibres démographiques. Alors qu'en 1970, la France métropolitaine (54 M d'habitants) et l'Italie (51 M d'habitants) étaient encore les deux pays les plus peuplés du bassin et représentaient 37% de sa population totale, elles en représentent aujourd'hui, avec 65 M d'habitants pour la France et 61 M pour l'Italie, moins de 25% et sont largement devancées par l'Égypte (102 M d'habitants) et la Turquie (84 M d'habitants) 5 ( * ) . Ce rééquilibrage démographique, qui est amené à s'accentuer au regard du vieillissement relatif des pays de la rive nord, devrait se traduire par un poids croissant des populations de la rive sud du bassin qui représenteront en 2050 près de 50% de sa population totale avec 293 M d'habitants contre 159 M d'habitants projetés pour la rive est et 179 M pour la rive nord.

Outre ces évolutions démographiques de long terme, le déclenchement récent de la guerre en Ukraine a illustré l'importance stratégique de la Méditerranée et la profondeur des recompositions à l'oeuvre dans cet espace. Le 7 avril 2022, la Libye a été le seul pays d'Afrique du Nord à voter en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies prononçant la suspension de la Russie du Conseil des droits de l'homme à la suite de la découverte des crimes de guerre perpétrés par l'armée russe à Boutcha 6 ( * ) .

Parallèlement, la complexité de l'environnement stratégique méditerranéen est incarnée par l'ambiguïté de la position de la Turquie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui d'une part a refusé d'appliquer les sanctions économiques adoptées par l'Union européenne contre la Russie, a subordonné l'élargissement de l'OTAN à la Suède et à la Finlande à une série de mesures préalables et d'autre part a joué un rôle décisif de médiateur dans la conclusion des accords du 22 juillet 2022 entre la Russie, l'Ukraine, la Turquie et les Nations unies relatifs à l'exportation par voie maritime des récoltes de céréales ukrainiennes à travers la mer Noire.

Dans ce contexte changeant, la première partie de ce rapport s'attache à dresser une analyse circonstanciée et transversale des facteurs qui font de la Méditerranée un espace critique pour les relations internationales, du fait de sa situation stratégique au carrefour des flux d'êtres humains, de marchandises et d'information ; de ses facteurs de fragilité sur les plans économique, social et environnemental ; enfin de la présence dans cette espace de zones disputées, directement ou indirectement, entre des puissances rivales.

La deuxième partie de ce rapport a pour objet de dresser un panorama des forces en présence en Méditerranée, en s'appuyant non seulement sur l'importance du réarmement dans cette région, notamment des pays des rives sud et est du bassin, mais également sur la recomposition stratégique de l'espace méditerranéen, en s'intéressant à la fois au risque de recul de l'influence occidentale, au réinvestissement des puissances globales et à la réaffirmation de différents acteurs régionaux.

Enfin, la troisième partie de ce rapport propose une liste de recommandations à l'échelle de la France, de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique ayant pour objectif de consolider notre résilience et d'actualiser notre positionnement stratégique pour tenir compte du durcissement des logiques de puissance à l'oeuvre dans notre voisinage immédiat.


* 1 F. Braudel, 1977, La Méditerranée. L'Espace et l'Histoire

* 2 A.-G. Lemonnier, février 1957, « La Méditerranée mer essentielle » in Revue Défense Nationale, n°144

* 3 É. Reclus, 1876, Nouvelle Géographie universelle (I). L'Europe méridionale

* 4 F. Braudel, 1977, La Méditerranée. L'Espace et l'Histoire

* 5 J.-F. Léger, A. Parent, mai-juin 2021, « Basculement démographique en Méditerranée : le Sud devenu la première puissance » in Population & Avenir, n°753

* 6 Le Maroc n'était pas représenté pendant le vote, la Tunisie et l'Égypte se sont abstenues tandis que l'Algérie a voté contre la résolution

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