Rapport d'information n° 832 (2021-2022) de Mme Corinne IMBERT , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 27 juillet 2022

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N° 832

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1),
sur l'
enquête de la Cour des comptes sur la réforme du 100 % santé ,

Par Mme Corinne IMBERT,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Daphné Ract-Madoux, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale, de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale », la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a, par courrier du 14 décembre 2021, demandé au Premier président de la Cour des comptes de procéder à une enquête sur le dispositif du 100 % santé.

La réforme, portée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, a entendu améliorer l'accès financier aux soins par l'établissement progressif, entre le 1 er janvier 2019 et le 1 er janvier 2021, de paniers de soins sans reste à charge dans trois secteurs où ce dernier s'avérait particulièrement important : l'optique, les aides auditives et les prothèses dentaires.

La commission des affaires sociales avait soutenu ce dispositif, tout en exprimant le souhait qu'il fasse l'objet d'un suivi rigoureux, nécessaire tant pour s'assurer que la réforme atteint les objectifs qui lui sont assignés en matière d'amélioration de l'accès aux soins que pour apprécier ses conséquences économiques et financières pour les assurances maladie obligatoire (AMO) et complémentaires (AMC), comme pour les industriels et professionnels de santé concernés. À cet effet, elle avait adopté un amendement demandant la transmission d'un premier bilan de la réforme au Parlement avant le 1 er janvier 2022, toutefois supprimé par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Dans ce contexte, la commission a souhaité recourir à l'expertise de la Cour afin que soit dressé un premier bilan de la réforme.

Si les constats de la Cour établissent l'intérêt du dispositif dans l'amélioration de l'accès aux soins, ils mettent toutefois en lumière des difficultés persistantes dans le pilotage économique et le déploiement de la réforme, susceptibles de réduire son efficacité voire d'entraîner, pour les assurés, des effets contraires à son objet. Largement partagées par votre rapporteure, ces conclusions doivent être mises en regard des dernières propositions de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) 1 ( * ) relatives à la mise en oeuvre et à l'extension du dispositif 100 % santé. Elles invitent à accélérer le déploiement et renforcer l'évaluation d'un dispositif appelé à être, ces prochaines années, l'un des leviers majeurs d'amélioration de l'accès aux soins.

I. SUPPRIMANT LE RESTE À CHARGE SUR UN PANIER DE SOINS DÉFINIS, LE 100 % SANTÉ A PERMIS D'AMÉLIORER L'ACCÈS AUX SOINS DES ASSURÉS

Le dispositif du 100 % santé mis en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a permis de réduire puis supprimer, pour la très grande majorité des assurés et dans les trois secteurs concernés, un reste à charge jusque-là élevé sur un panier de soins défini. Si la réforme s'est avérée efficace dans l'amélioration de l'accès aux prothèses dentaires et aides auditives, les résultats sont toutefois décevants dans l'optique.

A. LE 100 % SANTÉ A PERMIS LA SUPPRESSION PROGRESSIVE DES RESTES À CHARGE SUR DES PANIERS DE SOINS DÉFINIS

La réforme du 100 % santé a consisté à définir, dans chacun des trois secteurs visés, des paniers de soins à prix plafonnés ayant vocation à être intégralement pris en charge par l'AMO et les organismes complémentaires . Dans ce périmètre, les contrats complémentaires dits « solidaires et responsables » doivent désormais prévoir un financement complet du reste à charge après intervention de l'AMO. Le nombre d'assurés couverts par un tel contrat complémentaire et bénéficiant, de ce fait, pleinement de la réforme, est estimé par la Cnam à 63 millions de personnes , soit 94,5 % environ de la population âgée de 15 ans et plus 2 ( * ) .

Dans chaque secteur, coexiste avec le panier 100 % santé, dont les prix ont été plafonnés, un panier à prix libres . Pour les prothèses dentaires, un panier intermédiaire à « reste à charge modéré » a également été défini par voie conventionnelle 3 ( * ) : les honoraires y sont plafonnés mais leur prise en charge par l'AMO et les organismes complémentaires n'est pas intégrale.

En contrepartie du financement accru, par l'AMO et les organismes complémentaires, des biens des paniers 100 % santé, le niveau de prise en charge des paniers à prix libres a été réduit . Pour l'optique, par exemple, la base de remboursement par l'AMO a été abaissée à quelques centimes d'euros, et les plafonds de remboursement des montures par les contrats complémentaires responsables réduits de 150 € à 100 €.

La constitution des trois paniers 100 % santé a visé à garantir la qualité des équipements inclus et à couvrir les besoins essentiels des assurés dans les trois secteurs concernés.

Contenu des paniers 100 % santé

Prothèses dentaires

- Couronnes céramique monolithique et céramo-métalliques sur dents visibles (incisives, canines, premières prémolaires), couronnes céramique monolithique zircon (incisives et canines), couronnes métalliques

- Inlays core et couronnes transitoires ; prothèses amovibles à base résine

- Bridges céramo-métalliques (incisives et canines), bridges full zircon et métalliques

Aides auditives (prise en charge tous les quatre ans, garantie de la même durée)

- Tous types d'appareil : contour d'oreille classique, à écouteur déporté, intra-auriculaire

- 12 canaux de réglage pour assurer une adéquation de la correction au trouble auditif (ou dispositif de qualité équivalente) et système permettant l'amplification des sons extérieurs restitués à hauteur d'au moins 30 dB

- Au moins 3 options d'une liste dite « A », comprenant par exemple : système anti-acouphène, connectivité sans fil, réducteur de bruit du vent, synchronisation binaurale...

- 30 jours minimum d'essai avant achat, prestations de suivi (au moins une fois par an)

Optique (prise en charge tous les deux ans)

- Montures aux normes européennes, prix = 30 euros

- Verres correcteurs, amincissement selon la correction, durcissement et antireflets

Le plafonnement du prix des équipements 100 % santé, l' augmentation des prises en charge par l'AMO et les organismes complémentaires ont progressivement été mis en place entre le 1 er janvier 2019 et le 1 er janvier 2021. Dans le secteur de l'optique, le panier 100 % santé est intégralement remboursé depuis le 1 er janvier 2020. La convention dentaire de 2018 a prévu l'application échelonnée de plafonds sur les actes prothétiques du panier, tous intégralement remboursés à compter du 1 er janvier 2021, en contrepartie d'une revalorisation des actes conservateurs. Enfin, en matière d'aides auditives, le reste à charge sur le panier 100 % santé a été progressivement réduit par l'entrée en vigueur de prix limites de vente et le rehaussement de la prise en charge par l'AMO et les organismes complémentaires, le remboursement étant intégral depuis le 1 er janvier 2021.

Calendrier de mise en oeuvre de la réforme

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

B. LE 100 % SANTÉ A PERMIS D'AMÉLIORER L'ACCÈS FINANCIER AUX SOINS DE MANIÈRE SENSIBLE, BIEN QU'INÉGALE

Par l'instauration de prix plafonds intégralement pris en charge par l'AMO et les organismes complémentaires, le 100 % santé a réussi à supprimer un reste à charge jusque-là important sur les paniers de soins concernés. À cet égard, le plafonnement des prix apparaît très largement respecté : la Cnam fait état, à l'issue de ses contrôles, de taux de mise en oeuvre des prix plafonds égaux ou supérieurs à 99,8 % dans chacun des trois secteurs visés par la réforme 4 ( * ) .

La Cour relève toutefois que la pénétration de l'offre 100 % santé s'avère très inégale selon le secteur : si les résultats de la réforme apparaissent positifs pour les prothèses dentaires comme les aides auditives, ils sont toutefois décevants pour l'optique. Au premier trimestre 2022, 55,90 % des actes prothétiques dentaires et 38,80 % des aides auditives relevaient ainsi des paniers 100 % santé quand 18,10 % seulement des équipements optiques comprenaient un verre et/ou une monture sans reste à charge 5 ( * ) . Logiquement, l'effet de la réforme sur le reste à charge moyen des assurés apparaît contrasté. L'Unocam 6 ( * ) estime que le reste à charge moyen a, entre 2019 et 2021, diminué de 29 % dans le secteur dentaire et de 40 % dans celui des aides auditives, mais a augmenté de 13 % dans le secteur optique, du fait de la diminution de la prise en charge par l'AMO comme les organismes complémentaires d'un panier libre auquel les assurés ont encore très majoritairement recours.

Part des paniers de soins dans la consommation
totale d'équipements, par secteur

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les chiffres de la CNAM.
* Pour l'optique, équipements contenant un élément au moins du panier 100 % santé (verres et / ou monture).

À cet égard, la Cour souligne que le dispositif, dans le secteur optique, est structurellement différent de ceux mis en place dans les deux autres secteurs : là où le 100 % santé est venu supprimer le reste à charge des assurés sur des prothèses dentaires et aides auditives d'ores et déjà consommées par une partie d'entre eux, il a consisté en optique à introduire une nouvelle gamme de produits, dont la qualité est garantie mais dont le prix est largement inférieur aux équipements jusque-là consommés. Le faible recours au panier sans reste à charge dans ce secteur pourrait être dû tant à la préexistence d'un panier d'équipements plus onéreux qu'aux critères esthétiques des assurés.

II. LES DIFFICULTÉS CONSTATÉES DANS LE PILOTAGE ÉCONOMIQUE DE LA RÉFORME POURRAIENT ENTRAÎNER DES EFFETS CONTRAIRES À SON OBJET

L'équilibre financier de la réforme n'apparait pas assuré et les outils de suivi et de pilotage, en la matière, insuffisants. La difficulté est particulièrement prégnante pour l'AMC, et pourrait amener les organismes complémentaires à augmenter leurs primes ou baisser leur prise en charge des paniers libres, à rebours de l'objectif affiché d'amélioration de l'accès financier aux soins. Votre commission avait, dès 2018, mis en garde contre ces écueils.

A. L'ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA RÉFORME N'APPARAÎT PAS ASSURÉ

L'équilibre financier de la réforme, fondé sur la compensation partielle des coûts résultant du meilleur remboursement des prothèses dentaires et auditives et de l'augmentation du recours aux équipements auditifs par les économies liées à la diminution de la prise en charge sur le panier libre optique et au recours à des équipements moins onéreux dans ce secteur, se révèle incertain. La Cour relève dans son rapport que le chiffrage initial était fondé sur des hypothèses particulièrement optimistes et insuffisamment documentées , qui avaient d'ailleurs été contestées par la Mutualité française .

À l'issue des trois premières années d'exécution de la réforme, les dépenses de l'AMO se sont avérées inférieures aux prévisions : alors que 150 M€ de dépenses supplémentaires étaient attendues sur la période 2019-2021, la Cour relève un surcoût de 127 M€ seulement. Des économies supérieures aux estimations dans l'optique permettraient de compenser le dynamisme des audioprothèses. En tentant d'éliminer, sur les trois années, les facteurs d'évolution des dépenses extérieurs à la réforme, tels que la crise sanitaire, la Cour obtient un résultat proche de celui résultant du suivi des dépenses.

En revanche, sur la même période, les organismes complémentaires font état de dépenses dépassant largement les prévisions : du fait notamment d'économies en optique sensiblement inférieures à celles anticipées, le coût annuel de la réforme pour l'AMC a été très fortement réévalué par la Mutualité française , de 144 M€ à 338 M€.

Dépenses supplémentaires prévisionnelles et réalisées induites par la réforme

en millions d'euros

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les chiffres recueillis par la Cour des comptes

Cet écart avec les prévisions, bien qu'incertain à ce stade, remet en question l'équilibre du dispositif et conduira probablement les organismes complémentaires à ajuster leur résultat technique par l'augmentation des primes ou la révision à la baisse de la prise en charge des biens des paniers libres. À cet égard, la Cour relève que les augmentations de primes pourraient toucher certaines populations fragiles, ne bénéficiant pas de la complémentaire santé solidaire du fait d'effets de seuil, que la réforme entendait précisément viser. Ce risque est d'autant plus grand que, toutes choses égales par ailleurs, ce sont les contrats d'entrée de gamme, les moins couvrants, qui sont les plus fortement touchés par le dispositif du 100 % santé et les plus susceptibles, donc, de connaître une augmentation.

Alors que le gouvernement l'estimait faible dans l'étude d'impact jointe au PLFSS pour 2019, ce risque avait été soulevé par la commission des affaires sociales du Sénat dès l'examen du projet de loi. L'évolution des primes des contrats de complémentaire santé et des prises en charge doit, ainsi que le préconise la Cour, être précisément suivie ces prochaines années et son incidence sur l'accès aux soins évaluée, afin de sauvegarder l'efficacité de la réforme.

B. LES OUTILS DE SUIVI ET DE PILOTAGE DE LA RÉFORME SONT INSUFFISANTS

Au-delà des difficultés liées à l'appréciation de l'équilibre économique de la réforme et de ses incidences sur le secteur de l'AMC, la Cour fait état, dans son rapport, de plusieurs insuffisances dans le suivi et le pilotage du dispositif.

D'abord, les effets économiques du dispositif sur les trois secteurs demeurent difficilement évaluables et insuffisamment suivis, qu'il s'agisse des professionnels de santé ou des industries productrices des équipements visés par la réforme. La Cour relève, à cet égard, n'avoir pas pu obtenir de données précises et objectivées ni sur l'évolution des revenus, ni sur l'évolution des marges ni, encore, sur l'origine des équipements du 100 % santé. Comme elle l'a affirmé à l'occasion de l'examen du PLFSS pour 2019, la commission des affaires sociales juge nécessaire la mise en place d'un suivi rigoureux, complet et opérationnel de la réforme , visant à évaluer ses effets sur l'accès aux soins et le reste à charge des assurés comme ses incidences économiques sur les secteurs et professionnels de santé concernés .

À cet égard, la Cour relève dans son rapport une « comitologie dispersée » , le suivi des secteurs optique et auditif relevant du ministère et, notamment, du comité de suivi présidé par le ministre des solidarités et de la santé quand le secteur dentaire est suivi dans le cadre des discussions conventionnelles entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et les syndicats de chirurgiens-dentistes. L'appréhension transversale des effets de la réforme est encore complexifiée par les différences de méthode dans l'estimation, notamment, des dépenses : la Cnam réalise un chiffrage prévisionnel de la convention dentaire dans son ensemble, sans isoler les mesures relevant directement du panier 100 % santé sans reste à charge.

Ces difficultés de suivi ne permettent pas une conduite fine de la réforme, au demeurant dépourvue d'outils de pilotage efficaces . Si la convention dentaire de 2018 inclut une clause de rendez-vous permettant l'ouverture, en cas d'écart significatif avec la répartition attendue des trois paniers de soin, de la négociation d'un avenant, la conclusion de ce dernier nécessite l'accord des partenaires conventionnels. Le dispositif ne constitue donc pas un outil de maîtrise de la dépense à la main de l'Assurance maladie. De la même manière, si un mécanisme de réduction du prix limite de vente des audioprothèses du panier 100 % santé a été prévu en cas, cette fois, de dépassement d'un volume de ventes déterminé, celui-ci n'a pas été mis en oeuvre alors même que ce plafond a été largement dépassé pour l'année 2021 7 ( * ) . La Cour recommande la mise en oeuvre de ce dispositif de réduction : la réactualisation des paniers 100 % santé attendue en 2022 pourrait être l'occasion de l'activer.

III. TROIS ANS APRÈS SON ENTRÉE EN VIGUEUR, LE DISPOSITIF APPARAÎT ENCORE INACHEVÉ

Progressivement montée en charge entre le 1 er janvier 2019 et le 1 er janvier 2021, la réforme du 100 % santé apparaît encore inachevée. Plusieurs leviers identifiés par la Cour comme, récemment, par la Cnam, doivent permettre de mieux déployer le dispositif. Les interrogations entourant le contenu des paniers sans reste à charge et les propositions récentes d'extension à de nouveaux secteurs interrogent par ailleurs le périmètre du dispositif, qui doit faire l'objet d'un effort constant d'évaluation et de mise à jour.

A. LE DÉPLOIEMENT DU DISPOSITIF DOIT ENCORE ÊTRE RENFORCÉ

Le 100 % santé apparaît, plus de trois ans après la promulgation de la loi l'ayant instauré, encore trop méconnu des assurés qui pourraient en bénéficier. Par ailleurs, le tiers payant, pourtant rendu obligatoire dans ce périmètre par la loi, demeure partiellement inappliqué.

Perturbée par la crise sanitaire, la communication autour de la réforme n'a pas jusque-là permis de faire suffisamment connaître le dispositif . Une étude publiée en juillet 2022 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) 8 ( * ) établit ainsi qu'à la fin de l'année 2021, 53 % des Français seulement déclaraient avoir entendu parler du panier 100 % santé. Cette proportion augmente avec le niveau de diplôme, laissant craindre que certaines des populations les plus fragiles, pourtant visées par la réforme, n'aient pas connaissance du dispositif. Si la connaissance des paniers sans reste à charge a progressé ces dernières années, son niveau actuel n'est donc toujours pas satisfaisant et justifierait la réalisation d'une nouvelle campagne promotionnelle de la part du ministère ou de la Cnam. L'éventuelle mise à jour des paniers en 2022 pourrait, à cet égard, constituer une occasion opportune.

Dans le même objectif d'assurer la visibilité et la promotion du dispositif, des contrôles ont été menés visant à vérifier que les professionnels de santé concernés respectent leurs obligations en matière de présentation des offres 100 % santé. À l'issue d'une large campagne de contrôle menée entre le quatrième trimestre 2020 et la fin de l'année 2021, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a fait état d'un taux d'anomalies détectées de 72 %, essentiellement dans les secteurs de l'optique et de l'audioprothèse. En réponse à ce constat, la Cnam a engagé, à partir de septembre 2021, des actions d'accompagnement et de contrôle des opticiens ayant pu déboucher, pour 34 magasins au 23 juin 2022, sur des décisions de pénalité financière 9 ( * ) .

Enfin, si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a rendu obligatoire, à compter du 1 er janvier 2022, la pratique du tiers payant intégral par les organismes complémentaires pour les biens des paniers 100 % santé, la Cour relève que le tiers payant était jusque-là assez peu développé dans les secteurs concernés et souligne que des obstacles techniques, organisationnels voire juridiques pourraient empêcher la mise en oeuvre de cette obligation. Un cycle de réunions est organisé par le ministère à ce sujet en 2022, dans l'objectif d'établir un cahier des charges techniques. Il doit être l'occasion d'identifier les éventuels obstacles restants comme la manière de les surmonter.

B. LE PÉRIMÈTRE DU DISPOSITIF DOIT ÊTRE RÉGULIÈREMENT ÉVALUÉ

Le contenu des paniers sans reste à charge constitue un paramètre clé de la réforme . Si les paniers ont été définis de manière à couvrir les besoins essentiels des assurés dans les trois secteurs, des insuffisances ont été observées à l'épreuve de l'application du dispositif. Surtout, la qualité et l'attractivité des paniers doivent faire l'objet d'une évaluation constante et leur contenu doit être régulièrement adapté aux innovations sectorielles. Enfin, la Cnam a récemment proposé d'étendre la réforme à de nouveaux secteurs, marqués eux aussi par des restes à charge importants.

Si les paniers sans reste à charge définis couvrent la majorité des soins essentiels dans les trois secteurs retenus, la Cour souligne toutefois que certains besoins apparaissent, à ce stade, non couverts par la réforme . Il en va ainsi, par exemple, des piles des audioprothèses, dont le prix n'est pas plafonné pour les assurés ne relevant pas de la complémentaire santé solidaire, qui génèrent un reste à charge modeste mais récurrent pour les assurés équipés d'une aide auditive. De la même manière, la Cnam relève que l'offre optique sans reste à charge ne permet pas de couvrir correctement les assurés ayant besoin d'une très forte correction : les coûts de fabrication des verres, souvent sur-mesure, s'avèrent incompatibles avec les prix limites de vente fixés dans le cadre de la réforme. Ces manques plaident en faveur d'une évaluation rigoureuse et constante du contenu des paniers 100 % santé et de leur capacité à répondre aux besoins des assurés. Celle-ci peut déboucher sur un enrichissement des paniers lorsque cela paraît nécessaire.

Au-delà du périmètre, la qualité des équipements et actes inclus dans les paniers sans reste à charge et leur adéquation aux avancées techniques et thérapeutiques doit également être évaluée. Ce besoin est particulièrement prégnant dans les secteurs de l'optique et de l'aide auditive, connaissant des innovations fréquentes et susceptibles de rendre les paniers 100 % santé obsolètes si ceux-ci ne s'avèrent pas suffisamment évolutifs. Partiellement assise sur les remontées des industriels et des distributeurs, cette évaluation doit également inclure les retours d'expérience des patients ayant bénéficié d'un dispositif sans reste à charge. Le PLFSS pour 2019 prévoyait d'ailleurs la possibilité d'imposer aux distributeurs ou fabricants de participer à un dispositif d'évaluation comprenant la transmission d'un questionnaire au patient . À cet égard, la Cour relève que les travaux relatifs aux modalités d'évaluation par questionnaire, démarrés en 2018, n'ont toujours pas abouti. Il est désormais nécessaire que ces travaux soient accélérés et contribuent rapidement à l'évaluation de la qualité et de l'attractivité des paniers 100 % santé. La commission des affaires sociales regrette que les travaux relatifs à l'actualisation des paniers de soin ne puissent pas, dès cette année, s'appuyer sur de telles remontées pourtant indispensables.

Enfin, l'opportunité d'une extension du dispositif du 100 % santé à de nouveaux secteurs marqués eux aussi par des restes à charge importants doit être évaluée et débattue. À cet égard, la Cnam a récemment proposé l'extension du dispositif à trois nouveaux secteurs : les prothèses capillaires, marquées par un renoncement aux soins important et une prise en charge limitée aux modèles d'entrée de gamme ; les semelles orthopédiques, pour lesquelles la nomenclature actuelle apparaît inadaptée et laisse aux patients un reste à charge important ; l'orthodontie, enfin, pour laquelle la Cnam évalue le reste à charge des ménages à 23 % de la dépense. Une telle extension du dispositif apparaît risquée à court terme, du fait des difficultés de suivi, de pilotage et d'évaluation relevées par la Cour dans son rapport. Elle nécessiterait, au demeurant, des réformes importantes dans les secteurs considérés (mise à jour de la nomenclature pour les semelles orthopédiques, fixation d'honoraires limites dans l'orthodontie, etc.). Ces perspectives doivent en revanche inciter le gouvernement à mieux déployer et évaluer le dispositif du 100 % santé, afin d'en faire dans les prochaines années un outil efficace et soutenable d'amélioration de l'accès aux soins.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le mercredi 27 juillet 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de M. François de La Guéronnière, président de section à la Cour des comptes, pour donner suite à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur le dispositif du 100 % santé.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues,

Nous entendons ce matin M. François de La Guéronnière, président de section à la Cour des comptes, sur l'enquête demandée par notre commission, en application de l'article LO 132-3-1 du code des juridictions financières sur le 100 % santé.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.

Dès l'adoption de ce dispositif, notre commission avait souhaité un suivi rigoureux de sa mise en oeuvre afin d'en limiter les effets de bords, notamment en termes de qualité du service rendu aux assurés, d'évolution des tarifs des complémentaires et de coût pour la sécurité sociale.

Si j'ai bien lu votre enquête, le bilan ne peut être que provisoire mais je vous laisse la parole pour nous livrer les premières recommandations de la Cour.

M. François de La Guéronnière, président de section à la Cour des comptes . - Je vous remercie vivement de m'avoir invité à présenter ce rapport de la Cour des comptes sur la réforme du 100% santé. Je voudrai tout d'abord rappeler le cadre dans lequel cette réforme a été mise en oeuvre. Le 100% santé était une promesse électorale du président de la République formulée durant la campagne de 2017. La réforme ne remet pas en cause l'articulation entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire santé. Si les premiers éléments de cette réforme se sont concrétisés dès 2018, son entrée en vigueur intégrale n'a eu lieu qu'en 2021. La Cour n'a donc disposé que d'un recul limité pour procéder à ce premier bilan de mise en oeuvre du 100% santé, bilan qui repose sur des données parcellaires. Enfin, la réforme a été percutée par la crise sanitaire qui a probablement retardé sa mise en oeuvre.

Ma présentation s'articulera autour de trois points : un rappel des objectifs de la réforme, une présentation des premiers résultats, une évaluation des coûts.

La persistance de restes à charge élevés dans le champ de l'optique, du dentaire et de l'audioprothèse est le fondement de la réforme. Ces restes à charge étaient moindres en optique du fait de l'existence d'offres sans reste à charge. Ces restes à charge étaient à l'origine de renoncements aux soins, renoncements plus fréquents lorsque les personnes ne disposaient pas d'une assurance santé complémentaire, alors que ce mode de couverture n'est que peu concerné par cette réforme.

La réforme a procédé à la création de trois paniers de soins différenciés (100% santé, libre, avec un reste à charge maitrisé). Son objectif est de plafonner le prix des soins des paniers 100 % santé et de proposer un remboursement intégral par le biais de l'assurance-maladie obligatoire et de l'assurance complémentaire santé.

Pour les prothèses dentaires et auditives, le dispositif supprime les restes à charge sur des équipements déjà consommés par une partie de la population. En optique, le dispositif introduit de nouveaux produits sans reste à charge, d'un niveau de prix très inférieur à celui des équipements majoritairement consommés jusqu'alors.

Cette réforme bénéficie également aux assurés de la complémentaire santé solidaire, les équipements proposés dans les paniers 100% santé étant de gammes supérieures à celles des produits qui leur étaient proposés jusqu'alors. En contrepartie, le remboursement de l'assurance maladie obligatoire hors paniers 100% santé a été réduit en optique et le plafonnement du remboursement des lunettes abaissé pour les complémentaires santé.

Les premiers résultats de cette réforme diffèrent selon les secteurs.

Pour le dentaire les résultats sont plutôt favorables. Le panier sans reste à charge et le panier modéré représentent une part très majoritaire des actes prothétiques réalisés (respectivement 55 % et 21 % en 2021). Une diminution des restes à charge de 21,2% en 2019 à 18,3% en 2020 est constatée. Le nombre de patients recourant aux soins est en augmentation (avec un nombre d'actes prothétiques par patient qui a augmenté de 2,28 en 2018 à 3,08 en 2021) mais cette évolution est encore incertaine.

Pour l'audioprothèse, le recours au 100% santé concerne 40 % des aides auditives vendues en 2021. Selon les informations communiquées à la Cour par l'Unocam, une diminution des restes à charge a pu être constatée. Cette forte augmentation du nombre de patients doit être confirmée dans la durée (avec un nombre d'aides auditives par patient qui a augmenté entre 2018 et 2021, pour passer de 1,82 à 1,94) tandis que les prestations de suivi doivent faire l'objet d'une attention soutenue et de contrôles réguliers.

C'est dans le domaine de l'optique que le bilan est le plus contrasté. Des offres sans reste à charge existaient déjà avant la mise en oeuvre de la réforme, dont l'apport est limité. Seuls 17 % des équipements sont délivrés avec au moins un bien du panier sans reste à charge. Ce taux n'est que de 9 % lorsque les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire sont écartés du panel. Aucune progression du taux de recours n'est constatée, au contraire, nous assistons à une augmentation du reste à charge de 23 % en 2019 à 27 % en 2020.

Au vu de ces résultats nous nous sommes interrogés sur les leviers qui pouvaient être mobilisées pour rendre la réforme plus effective.

Le premier levier concerne le renforcement de la communication. En direction des assurés, d'une part, puisque seule la moitié d'entre eux aurait connaissance du dispositif. En direction des professionnels concernés, d'autre part, puisque les trois quart (72 %) des établissements contrôlés par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) dans les secteurs de l'optique et des audioprothèses présentent au moins une non-conformité, dont près de 40 % s'avère en lien, direct ou indirect, avec la réforme du 100 % santé.

Le deuxième levier concerne l'évaluation de la qualité des équipements, notamment pour vérifier l'adéquation du contenu des paniers avec les besoins de la population (par exemple pour les grosses corrections en optique).

Enfin, il faut constater que l'obligation de proposer le tiers-payant intégral pour les actes du panier 100% santé est encore insuffisamment mise en oeuvre. Des taux faibles sont constatés, particulièrement en dentaire. Ces difficultés ne sont pas spécifiques au 100 % santé mais il importe de trouver des solutions pour mieux faire respecter cette obligation.

La cour s'est également penchée sur le coût de cette réforme qui, à ce stade, est difficilement évaluable. L'équilibre financier de la réforme a été construit sur deux principes. D'une part, un équilibre entre des surcoûts (issus des remboursements à 100 % des audioprothèses et des prothèses bancaires) et des économies (moindres remboursements et baisse des prix, notamment dans l'optique). D'autre part, une parité des coûts prévisionnels pour l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire en santé.

Cet équilibre reposait sur des hypothèses insuffisamment documentées et très volontaristes s'agissant de l'optique, d'ailleurs non partagées par les organismes complémentaires, qui projetaient de moindres économies sur l'optique que le Gouvernement.

Le coût prévisionnel de la réforme estimé par le ministère de la Santé s'élevait à 170 millions d'euros, dont 87 millions d'euros d'ici 2023 pour l'assurance maladie obligatoire (économies attendues sur le dentaire et l'optique) ; 80 millions d'euros pour les complémentaires (fortes économies sur l'optique en contrepartie de fortes hausses sur le dentaire et l'audioprothèse).

La cour n'ayant pas accès aux comptes des complémentaires santé, les chiffres qu'elle a recueillis reposent sur les données déclarées par ces derniers.

La mise en oeuvre de la réforme fait apparaitre des dépenses inférieures aux prévisions pour l'assurance maladie obligatoire mais supérieures pour les complémentaires. Les dépenses cumulées pour l'assurance maladie obligatoire seraient de 127 millions d'euros (2019-2021) contre 150 millions d'euros attendus. Le surcoût constaté sur les dépenses d'audioprothèse est contrebalancé par des économies supérieures à celles anticipées sur l'optique. Un surcoût potentiellement conséquent est constaté dans le champ des complémentaires santé. Une moindre économie de 265 millions d'euros serait constatée, du fait de l'optique pour l'essentiel. La Cour estime toutefois que ce chiffrage est à prendre avec précaution et doit faire l'objet d'analyses supplémentaires.

L'incidence de la réforme sur les secteurs économiques concernés par la réforme est quant à lui difficilement évaluable. Il est a priori très favorable dans l'audioprothèse, plutôt favorable dans le dentaire et encore incertain dans l'optique.

Avant de présenter les recommandations de la cour, je voudrais évoquer les outils de régulation qui accompagnent cette réforme. Un seul outil de régulation financière est disponible, il concerne le secteur des audioprothèses. Un mécanisme prix/volume devait s'appliquer si le volume vendu pour les adultes excédait 650 000 unités sur 9 mois ou 935 000 unités sur l'année 2021. Ce seuil fixé avec les acteurs a été largement dépassé en 2021 (1,38 million d'unités ont été remboursées à fin novembre 2021), pour autant aucune baisse de prix n'a été réalisée.

Dans le dentaire, une clause de rendez-vous, peu opérante, applicable uniquement en cas de déséquilibre dans la répartition observée des actes prothétiques dentaires entre les trois paniers est prévue. Enfin aucun mécanisme de régulation n'existe en optique, sauf la possibilité offerte aux complémentaires santé de réduire leurs garanties (pour lesquelles il n'existe pas de réel dispositif de suivi).

Ces constats dressés, la Cour formule trois recommandations. Premièrement, mettre en place un partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires santé en veillant à la mise à disposition de données de remboursement par ces dernières et assurer, sur cette base, un suivi identifiant les dépenses exposées au titre de la réforme.

Deuxièmement, réviser à la baisse les prix limites de vente des audioprothèses du panier 100 % santé.

Troisièmement, prévoir, dans le cadre de futures négociations conventionnelles avec les syndicats de chirurgiens-dentistes une clause permettant d'agir en cas de dérapage de la trajectoire des dépenses de prothèses dentaires ; renforcer les contrôles de la mise en oeuvre du 100% santé par les chirurgiens-dentistes.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci pour ce point d'étape sur une réforme importante, affectée il est vrai sur certains points par la crise sanitaire.

Mme Corinne Imbert , rapporteure de la branche maladie du PLFSS . - Une remarque d'abord : la ligne de partage entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance maladie complémentaire n'étant pas modifiée par la réforme, le 100 % santé ne concerne pas les assurés dépourvus de complémentaire, tels par exemple ceux dont les revenus sont situés juste au-dessus du plafond d'accès à la C2S... Les classes moyennes sont par conséquent pénalisées. Et quand la prise en charge par l'assurance maladie au-delà du panier 100 % santé se réduit, c'est la double peine.

Vous avez en outre insisté sur la nécessité de suivre finement la réforme, notamment la qualité des prothèses prises en charge. Or le coût des matériaux et des produits finis a augmenté depuis 2019. Cela aura-t-il un impact sur le montant des cotisations ? Le coût des prothèses ne finira-t-il pas par dépasser le montant du tarif remboursé par l'assurance maladie obligatoire ? Dans cette hypothèse, on ne pourrait plus parler de 100 % santé...

Dès lors que la réforme ne bénéficie que très partiellement aux personnes ne disposant pas d'une couverture complémentaire, dans quelle mesure diriez-vous que la réforme a atteint sa cible en réduisant les inégalités dans l'accès aux soins et le renoncement aux soins des populations les plus fragiles, et comment faire en sorte que ces objectifs soient mieux atteints - en gardant à l'esprit l'objectif d'équilibrer les comptes sociaux ?

Votre rapport regrette que les données permettant de mesurer l'effet de la réforme sur les primes et les prestations des complémentaires santé soient aujourd'hui limitées. Une hausse des primes vous semble-t-elle néanmoins justifiée par la santé financière des organismes complémentaire, qui ont engendré en 2020 d'importants excédents ?

Les dépenses induites par la réforme se sont révélées inférieures aux prévisions pour l'assurance maladie obligatoire mais largement supérieures aux prévisions, en revanche, pour l'assurance complémentaire. Ce déséquilibre, s'il se révélait structurel, devrait-il conduire à une redéfinition du partage de l'effort entre ces deux volets ?

Vous êtes-vous appuyés, dans le cadre de vos travaux, sur les conclusions du comité de suivi mis en place par le PLFSS pour 2019 ? Cette structure vous paraît-elle adaptée aux besoins de suivi ? Vous semble-t-elle avoir eu un rôle efficace jusque à présent dans le pilotage de la réforme - j'ai cru comprendre de vos propos que la réponse devait être négative ?

Une actualisation des paniers de soins doit être engagée cette année. Elle pourrait notamment conduire à une diminution du prix limite de vente des aides auditives, préconisée dans votre rapport. La révision doit-elle selon vous poursuivre d'autres objectifs ? Les paniers, notamment, doivent-ils être enrichis, par exemple pour les fortes correction en optique, pour les piles pour audioprothèses, ou pour les prothèses en céramique pour molaires ?

Une série de réunions avec les organismes complémentaires devait être programmée en 2022 afin de lever les obstacles techniques à la mise en oeuvre du tiers-payant intégral. Avez-vous pu constater, au cours de vos travaux, des avancées en la matière ?

Si le législateur s'était saisi de cette question en 2021, la disposition a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel. Le recours à la loi vous semble-t-il nécessaire ?

Quel regard portez-vous sur les propositions d'extension du 100 % santé, par exemple aux prothèses capillaires, aux semelles orthopédiques, ou à l'orthodontie, formulées par la CNAM dans son dernier rapport sur les charges et produits ? Une telle extension vous paraît-elle réaliste à court ou moyen terme compte tenu des difficultés dans le pilotage économique du dispositif ?

En bref, j'insiste, il faudrait veiller à, si j'ose dire, ne pas mentir aux Français sur la réforme du 100 % santé.

M. François de la Guéronnière . - Que les personnes dépourvues de complémentaire santé n'aient pu bénéficier du 100 % santé est en effet inhérent aux modalités de la réforme. Si nous n'avons pas cherché, dans notre enquête, à sortir du cadre intellectuel qu'elle a établi, nous avons bien relevé cet état de fait. Les résultats montrent que la réforme a des effets positifs pour les personnes concernées, mais pour les personnes dépourvues de complémentaire, à savoir majoritairement les chômeurs, les inactifs en âge de travailler ou les jeunes adultes, il faudrait distinguer le cas des personnes bénéficiant de la C2S, pour lesquelles le panier de soins proposé est devenu plus favorable, et les autres, qui n'ont bénéficié d'aucune amélioration.

La Cour a toutefois déjà eu l'occasion de réfléchir à l'articulation entre l'assurance de base et la couverture complémentaire dans son rapport de l'an dernier, réalisé à la demande de l'Assemblée nationale, où nous envisagions plusieurs hypothèses, telles le décroisement des risques, le bouclier sanitaire, ou le renforcement de la régulation.

M. Erwan Samyn, rapporteur extérieur à la Cour des comptes . - La Cour recommande effectivement un meilleur partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les complémentaires. Le code de la santé publique prévoit déjà que, dans le cadre du système national des données de santé, les complémentaires mettent à disposition un échantillon représentatif des données de remboursement. Or cette disposition n'est pas appliquée. Veiller à l'application de cette disposition pourrait être l'occasion d'enrichir le dispositif, en y ajoutant des données sur les garanties offertes par les différentes complémentaires.

Cette disposition n'étant pas appliquée, nous ne disposons que de données un peu anciennes. Le dernier rapport de la Drees fait état d'excédents légèrement supérieurs en 2020 - 637 millions d'euros - à leur niveau de 2019 - 462 millions d'euros. Il est néanmoins difficile d'en tirer des conclusions très assurées : il s'agit d'une moyenne, et l'on ignore la situation financière de ces différents organismes complémentaires en 2021.

M. François de la Guéronnière . - Vous nous interrogez encore sur l'opportunité de modifier le partage des efforts entre assurance maladie obligatoire et la couverture complémentaire. Le rapport n'apporte pas de réponse à cette question, mais il est vrai que la réforme s'insère dans cet enjeu plus large. En matière de soins dentaires par exemple, la convention dentaire qui mettait en oeuvre un certain nombre de dispositions de la réforme prévoyait 635 millions d'euros de l'assurance maladie obligatoire pour des soins conservateurs, contre 80 millions seulement pour les complémentaires. Si l'on devait toucher à l'équilibre entre assurance de base et assurance complémentaire, il conviendrait de le faire de manière plus globale, dans le cadre de la nouvelle convention dentaire, lorsqu'elle sera renégociée.

M. Erwan Samyn . - Nous avons eu accès aux documents du comité de suivi, créé par la LFSS pour 2019. Il a montré son utilité, en permettant aux parties prenantes d'être informés de l'avancement de la réforme. Un certain nombre d'acteurs nous ont toutefois indiqué que ce comité avait pu se révéler un peu trop descendant ou, disons, insuffisamment participatif, ne permettant guère de mettre sur la table tous les sujets. Surtout, les données financières actualisées permettant de mieux suivre la réforme ont manqué ; or c'était l'objectif premier de sa création.

M. François de la Guéronnière . - J'en viens à la question de l'éventuel enrichissement des paniers. Nous avons vu que la Cnam nourrissait progressivement ses dossiers sur cette question, notamment sur les fortes corrections optiques, les piles pour audioprothèses ou les prothèses en céramique pour les molaires. Nous n'avons toutefois pas encore les éléments permettant d'en tirer un bilan complet, notamment le résultat d'enquêtes auprès des patients permettant de savoir si le panier actuel est adapté. Il nous semble qu'il conviendrait de procéder d'abord à une telle évaluation avant d'envisager des extensions.

M. Erwan Samyn - S'agissant du tiers payant intégral, nous n'avons pas eu de remontées particulières sur ce point de la part des administrations. Le cycle de réunions que vous évoquez n'a sans doute pas donné d'effet probant jusqu'à présent. Si la situation venait à se figer, seule une disposition législative pourrait lever les blocages constatés.

Mme Corinne Imbert . - Vous abordez dans votre rapport les soins conservateurs en matière dentaire en mentionnant qu'ils seraient moins concernés par la question des délais importants d'accès aux soins que d'autres secteurs comme l'optique. Ce n'est pas le sentiment que nous avons dans nos départements.

M. Bernard Jomier . - Le tiers payant intégral est particulièrement important si on veut que le 100 % santé contribue à améliorer l'accès aux soins. Pourquoi n'est-il pas bien respecté ? Est-ce en raison d'une trop grande complexité du tiers-payant avec des procédures de recouvrement trop longues et fastidieuse ou bien est-ce parce qu'il existe des indices de non-respect des tarifs ? Vous avez dit que les leviers pour débloquer la situation du tiers payant intégral relevaient du domaine législatif. Ce n'est pas le cas de cette question.

L'ambition générale du 100 % Santé, c'est un meilleur accès aux soins dentaires, aux audioprothèses et à l'optique. Or, à vous écouter, j'ai le sentiment que pour les audioprothèses, l'amélioration est perceptible mais que cela est moins vrai sur l'optique. Me confirmez-vous cette impression ?

M. Erwan Samyn - Sur la première question de Monsieur Jomier relative aux difficultés du tiers payant intégral, les contrôles effectués par la Cnam ne permettent pas de relever un non-respect des tarifs. En revanche, les difficultés sont multifactorielles. La question de la granularité des données transmises aux organismes complémentaires a notamment émergé avec la réforme. La nouvelle nomenclature des données est devenue beaucoup plus fine et les opticiens refusent parfois de transmettre des informations très précises sur leurs patients. Or, les complémentaires estiment que sans ces données, elles ne peuvent mettre en oeuvre la gestion du risque. Cette situation freine la mise en place du tiers payant intégral.

D'autres réticences ou craintes de la part des professionnels sont liées au délai de remboursement. Un amendement proposé il y a un an répondait à ce sujet et réglementait la nature des données transmises. Sur cette question, il s'agit bien d'une réponse législative.

M. François de la Guéronnière - Sur l'ambition d'un meilleurs accès aux prestations, vous avez la bonne appréciation des choses. Le taux de recours au panier 100 % Santé est bien le plus élevé pour l'audioprothèse. Nous avons constaté une augmentation du nombre de personnes s'étant équipé d'audioprothèses ainsi qu'une diminution du reste à charge. Cette hausse du taux de recours est flagrante à tel point que nous nous sommes interrogés sur la pertinence du recours à certains équipements. Les deux oreilles sont beaucoup plus systématiquement couvertes alors que ce n'est pas toujours nécessaire. Nous recommandons donc d'investiguer sur ce domaine en particulier.

Dans le secteur de l'optique, le taux de recours demeure beaucoup plus faible. J'ai déjà rappelé une circonstance explicative qui réside dans le fait que des offres de « zéro reste à charge » préexistaient à la réforme avec les contrats responsables ou les contrats de la complémentaire santé solidaire. Le 100 % Santé a donc eu un apport moindre que pour les audioprothèses. En outre, les moyens ont été concentrés sur les paniers 100 % et se sont détournés des autres paniers. Puisque le recours au panier 100 % Santé n'a pas été à la hauteur des objectifs, il en a résulté une hausse du taux de reste à charge. Le bilan est donc nettement moins favorable.

Mme Michelle Meunier . - À la sortie de nos travaux sur le contrôle des Ehpad, je porte une attention particulière sur le contrôle et le suivi des prestations. Quels sont les moyens de contrôle sur les audioprothèses ?

M. François de la Guéronnière - Les contrôles sont effectués par le service médical de la Cnam mais, comme nous l'avons indiqué, ils n'ont pas été suffisants. Nous appelons à leur déploiement.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Quel rôle peut-il être attribué à la crise sanitaire dans les difficultés de mise en oeuvre du 100 % Santé ?

M. François de la Guéronnière - La crise, en saturant l'espace médiatique, a bien entendu une responsabilité dans la méconnaissance de la population sur le dispositif de la réforme. Nous préconisons dorénavant de renforcer l'effort d'information dans ce domaine.

Il n'a pas été mis en place de dispositif de suivi spécifique de la réforme notamment pour les aspects financiers. Il est donc très difficile de voir ce qui relève de la réforme 100 % santé et ce qui relève du bouleversement de la consommation médicale occasionné par la crise. Un moindre recours aux soins a été constaté durant la crise. Il est donc certain qu'une part des changements, certes difficile à mesurer, est due à cette dernière. L'année 2022 sera très importante pour l'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - La crise a en effet bouleversé les pratiques de la population qui n'a pas pleinement connaissance du dispositif 100 % Santé comme vous l'avez souligné. Ce n'est donc pas la période idéale pour évaluer la réforme.

Il faudra regarder l'incidence pour les patients mais aussi pour les professionnels comme les dentistes, les audioprothésistes et les opticiens et en tirer les conséquences dans la nuance et la mesure. Certains opticiens m'ont indiqué être contrôlés de manière excessive ! Il faut également regarder si la réforme n'a pas mis en danger des entreprises françaises fabricantes de lunettes, comme c'était notre crainte lors du vote de la réforme. Des fabricants jurassiens de montures nous avaient interpellés sur le risque de favoriser les lunettes importées au détriment de la production nationale.

Sur l'audioprothèse, nous partions effectivement de plus loin que pour l'optique. La montée en charge a donc été plus forte. Toutefois, ce que j'entends aussi de la part des audioprothésistes, c'est que la qualité des produits éligibles au 100 % santé ne correspond pas toujours au besoin des patients qui sont obligés de revenir plusieurs fois auprès des professionnels pour régler des problèmes techniques de leur équipement.

Pour les dentistes, j'ai l'impression que la mise en place du 100 % Santé a favorisé les soins de type « inlay » et « onlay », dont le coût est plus élevé, au détriment des soins prothétiques. Il y a là un point à corriger. En somme, sans faire un procès à l'ambition de toucher le plus de personnes dans la population, il ne faut pas privilégier la quantité à la qualité. Il faut également garder à l'esprit que des professionnels dans tous ces domaines ont besoin de gagner leur vie.

M. François de la Guéronnière - Nous n'avons rien à redire aux remarques que vous formulez. Concernant l'incidence sur les professions, nous avons observé que dans le secteur de l'optique, le panier 100 % Santé est peu proposé aux patients, ce qui a contribué au faible effet de la réforme dans ce secteur.

Nous nous sommes penchés sur l'incidence du dispositif sur les entreprises. La formulation de la réforme a été différente selon le secteur : dans le secteur optique, contrairement aux deux autres, le choix a été fait de développer des produits nouveaux avec des prix très bas. Compte tenu de ces prix, il est exact que les lunettes sont probablement en très large partie importées.

Une des conclusions principales de notre rapport est qu'il faut examiner l'adéquation des produits encouragés par la réforme avec les véritables besoins avant de faire évoluer le dispositif.

M. Alain Milon . - Notre système de prise en charge des dépenses qui voit coexister des interventions de l'assurance maladie obligatoire et de l'assurance complémentaire santé est affreusement compliqué. La question des avantages qu'apporteraient l'existence d'un seul financeur mérite d'être posée.

M. François de La Guéronnière - La question de l'articulation entre régime obligatoire et régime complémentaire n'est pas examinée dans la cadre de ce rapport. La coexistence de deux catégories d'acteurs chargés de la couverture d'un même risque est une des caractéristiques principales de notre système de santé. Dans d'autres pays européens, ce système n'existe pas. En Allemagne par exemple, le régime obligatoire et le régime complémentaire interviennent sur des champs différents. Chaque financeur est responsable de son domaine d'intervention. En outre, se pose en France la question des frais de gestion engendrés par cette organisation.

Ce mode d'organisation complique l'évaluation de la réforme du 100 % santé car la transmission des données se fait de manière incomplète, c'est pour cela que la Cour recommande la mise en place d'un partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les complémentaires santé.

Notre rapport remis à l'Assemblée nationale en 2018 esquissait des scénarios pour régler cette question des champs d'intervention respectifs de l'assurance maladie obligatoire et des complémentaires santé.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie pour cette présentation. La commission autorise la publication de cette enquête sous la forme d'un rapport d'information.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

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Consultable uniquement au format PDF


* 1 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'Assurance Maladie pour 2023 , juillet 2022.

* 2 Cnam, op. cit. , p. 254 ; DREES, La complémentaire santé - Acteurs, bénéficiaires, garanties , Edition 2019, p.64.

* 3 Convention nationale organisant les rapports entre les chirurgiens-dentistes libéraux et l'assurance maladie , approuvée par arrêté du 20 août 2018 et entrée en vigueur le 1 er avril 2019.

* 4 Cnam, op. cit. , p. 264.

* 5 Cnam , op. cit. , pp. 255 et suivantes.

* 6 Unocam, Baromètre 100 % santé. Principaux résultats de l'année 2021 , 5 juillet 2022.

* 7 Le seuil a été fixé, pour 2021, à 935 000 aides auditives pour adultes. À fin novembre 2021, 1,38 million d'unités avaient d'ores et déjà été remboursées d'après la Cour.

* 8 DREES, 100 % santé : fin 2021, un peu plus de la moitié des Français en ont entendu parler, juillet 2022.

* 9 Cnam, op. cit., p. 266.

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