IV. LE CONTRÔLE DE SUBSIDIARITÉ :

Il est utile de rappeler le contexte dans lequel le respect du principe de subsidiarité doit être apprécié. En effet, la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, avait affiché une volonté claire de réduire le nombre de ses propositions législatives pour recentrer son activité autour de quelques grandes priorités politiques. Cette volonté s'accompagnait de l'objectif de mieux respecter le principe de subsidiarité. Cependant, la Commission présidée par Ursula von der Leyen, a pris des initiatives législatives dont le nombre va de nouveau croissant, tout comme les interrogations sur la conformité de certains textes avec ce principe.

1. Rappel sur le contrôle de subsidiarité : les avis motivés

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1 er décembre 2009, les parlements nationaux disposent de compétences propres en matière de contrôle de la subsidiarité 16 ( * ) . Pour les assemblées du Parlement français, ces compétences sont également visées à l' article 88-6 de la Constitution :

« L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. »

À ce titre, pour chaque texte concerné, le Sénat doit vérifier que l'Union européenne, en adoptant ce projet d'acte législatif, reste bien dans son rôle, qu'elle intervient à bon escient et évite l'excès de réglementation. À cette fin, comme les autres assemblées parlementaires des États membres, le Sénat est directement destinataire de certains textes (142 en 2018, 28 en 2019 et 90 en 2020). Ils sont adressés à l'ensemble des sénateurs.

Le Sénat peut adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution s'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, avis dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Dans ce cadre, il va en pratique vérifier :

- si l'Union européenne est bien compétente pour proposer l'initiative concernée ;

- si la base juridique choisie est pertinente ;

- si l'initiative proposée est nécessaire et si elle apporte une « valeur ajoutée » par rapport au droit en vigueur ;

- enfin, si elle n'excède pas ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs poursuivis. En effet, dans son contrôle de la conformité des textes au principe de subsidiarité, le Sénat effectue également un contrôle de proportionnalité des mesures envisagées.

Le délai pour adopter un avis motivé est fixé par les traités à huit semaines à compter de la date à laquelle le Sénat a été saisi du texte 17 ( * ) .

UN GROUPE DE VEILLE SUR LA SUBSIDIARITÉ

Un groupe pilote a été constitué au sein de la commission des affaires européennes afin d'effectuer un examen systématique des projets d'actes législatifs au regard du principe de subsidiarité. Le Règlement du Sénat permet, en effet, à la commission des affaires européennes d'adopter un projet d'avis motivé de sa propre initiative.

Ce groupe pilote est présidé par le président de la commission des affaires européennes et comporte un représentant de chaque groupe politique.

Il a été renouvelé à l'occasion des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.

Le Règlement du Sénat prévoit que tout sénateur peut déposer une proposition de résolution portant avis motivé. Celle-ci doit d'abord être adoptée par la commission des affaires européennes . Elle est ensuite soumise à l'approbation de la commission compétente au fond, si cette dernière souhaite intervenir. Si, en revanche, elle ne statue pas dans les délais, le texte élaboré par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté par le Sénat. En outre, à tout moment de la procédure, le président d'un groupe politique peut demander un examen de la proposition de résolution en séance publique. Une fois adopté, l'avis motivé est aussitôt transmis aux institutions européennes (Commission européenne, Conseil et Parlement européen). Et le Gouvernement en est informé.

Conformément au protocole n° 2 annexé aux traités sur l'Union européenne et sur le fonctionnement de l'Union européenne, si un tiers des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, celle-ci doit être réexaminée par l'institution européenne concernée qui peut décider de la maintenir, de la modifier ou de la retirer. C'est ce que l'on appelle le « carton jaune » . Ce seuil est abaissé à un quart des parlements nationaux pour les projets d'acte législatif intervenant dans le domaine de la coopération judiciaire et policière en matière pénale .

TROIS PRÉCÉDENTS EN MATIÈRE DE « CARTON JAUNE »

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les parlements nationaux ont adressé trois « cartons jaunes » à la Commission européenne. Le Sénat a contribué aux deux premiers avis :

- le premier concernait le paquet « Monti II », un ensemble de textes relatifs au droit de grève. Des assemblées parlementaires de douze États membres 18 ( * ) , représentant 19 voix, ont estimé que ces textes étaient contraires au principe de subsidiarité. La Commission européenne a retiré ce paquet le 26 septembre 2012 ;

- le deuxième « carton jaune » visait la proposition de règlement créant un Parquet européen. Des assemblées de dix États membres 19 ( * ) , représentant 18 voix, se sont exprimées dans le même sens. La Commission a souhaité maintenir son texte. Mais le Conseil et le Parlement européen, prenant acte des avis motivés, ont fait ensuite évoluer le projet conformément aux voeux du Sénat ;

- le troisième « carton jaune » portait sur la proposition de directive visant à réviser la directive de 1996 relative au détachement des travailleurs. Des assemblées de onze États membres 20 ( * ) , représentant 22 voix, ont considéré que ce texte, en particulier la question de la fixation des salaires, était contraire au principe de subsidiarité. Le 20 juillet 2016, la Commission a cependant maintenu son texte, rappelant que la directive qu'elle proposait de réviser datait de plus de vingt ans.

En outre, dans le cadre de la procédure législative ordinaire (codécision entre le Parlement européen et le Conseil), si la moitié des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, la Commission doit réexaminer sa proposition et décider soit de la maintenir, soit de la modifier, soit de la retirer. Si, malgré le nombre important d'avis négatifs, elle choisit de la maintenir, elle doit justifier cette décision en publiant elle-même un avis motivé indiquant les raisons pour lesquelles elle estime que cette proposition est conforme au principe de subsidiarité. De leur côté, le Parlement européen et le Conseil devront vérifier, avant d'achever la première lecture, la conformité du texte au principe de subsidiarité. Si le Parlement européen, à la majorité des suffrages exprimés, ou une majorité de 55 % des membres du Conseil estime qu'il n'est pas conforme, la proposition législative est rejetée et son examen n'est pas poursuivi. C'est ce que l'on appelle le « carton orange » .

Le contrôle de subsidiarité par le Sénat peut également en principe s'effectuer a posteriori . C'est ce que l'on appelle le « carton rouge » . Le Sénat peut ainsi, en application de l'article 88-6 de la Constitution, former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen déjà adopté , dans les deux mois suivant cette adoption, afin de faire constater qu'il ne respecte pas le principe de subsidiarité.

La procédure de décision est la même que pour les avis motivés. Toutefois, la Cour de justice peut également être saisie, sans qu'une décision du Sénat soit nécessaire, dès lors qu'au moins soixante sénateurs en font la demande.

2. Le contrôle de subsidiarité : un moindre intérêt de la part des parlements nationaux ?

Dans son rapport annuel 2020 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité et sur les relations avec les parlements nationaux, la Commission européenne souligne que « par rapport à 2019, année de transition institutionnelle, la coopération établie avec les parlements nationaux s'est resserrée en 2020, malgré les perturbations attribuables à la pandémie. » Rappelant qu'elle tient toujours compte des principes de subsidiarité et de proportionnalité dans ses analyses d'impact de ses propositions stratégiques, la Commission indique que le comité d'examen de la réglementation, organisme indépendant qui conseille le collège des commissaires, a rendu 41 avis sur les analyses d'impact en 2020.

Il convient de rappeler que le Parlement européen veille également au respect du principe de subsidiarité. Sa commission des affaires juridiques désigne un rapporteur pour la subsidiarité pour un mandat de six mois, sur la base d'une rotation entre les groupes politiques. Ce rapporteur suit les avis motivés reçus des parlements nationaux et a la possibilité de se saisir de questions qu'ils soulèvent pour en débattre en commission et pour adresser d'éventuelles recommandations à la commission compétente sur le texte concerné. La commission des affaires juridiques établit également un rapport sur le rapport annuel de la Commission relatif aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

De son côté, le Conseil informe également les États membres des avis motivés reçus des parlements nationaux. Enfin, le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) doit également être souligné, même si aucune saisine de la CJUE n'a encore été effectuée au titre de contrôle de subsidiarité.

En 2020, les Parlements nationaux ont transmis 9 avis motivés à la Commission européenne alors qu'en 2019, cette dernière n'avait reçu aucun avis motivé relatif au respect du principe de subsidiarité. Ce léger regain est cependant inférieur aux années précédentes et n'invalide pas la tendance pluriannuelle à la diminution du nombre d'avis motivés transmis (37 avis motivés reçus en 2018 contre 52 en 2017 et 65 en 2016).

Comment expliquer cette tendance alors même que le nombre de textes présentés par la Commission européenne augmente de nouveau et que le contrôle de subsidiarité constitue la seule véritable prérogative « de droit commun » reconnue aux Parlements nationaux pour intervenir dans le débat législatif européen ?

Comment expliquer également que treize ans après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les parlements nationaux n'aient jamais mis en oeuvre les procédures dites du « carton orange » et du « carton rouge » ?

Les causes de ce bilan mitigé, recensées dans le rapport d'information de la mission d'information du Sénat sur la judiciarisation de la vie publique 21 ( * ) , apparaissent multiples et souvent cumulatives :

- « en raison du fait majoritaire dans nombre de démocraties européennes, les chambres peuvent être conduites à renoncer à leurs prérogatives en matière de subsidiarité afin de ne pas gêner les positions diplomatiques défendues par le pouvoir exécutif dans les négociations européennes » ;

- « la mise en oeuvre du contrôle de subsidiarité est cantonnée dans un délai de huit semaines incompressible et ce délai est court, voire trop court, pour adopter un avis motivé puis pour convaincre les autres Parlements nationaux de la pertinence de la position adoptée... » ;

- « le seuil à atteindre pour former un « carton jaune » (un tiers des voix attribuées aux Parlements nationaux) est également dissuasif » ; en outre, même si le seuil du « carton jaune » est atteint, il ne contraint la Commission européenne qu'à un simple réexamen de sa position initiale.

- enfin, « le contrôle de subsidiarité n'est pas un contrôle au fond des projets d'actes législatifs examinés. (...) Pour des raisons de délai et de cohérence, le Sénat, en premier lieu sa commission des affaires européennes, peut être conduit à privilégier l'adoption de (...) résolutions et avis politiques en y insérant des éléments de subsidiarité. »

La mission d'information a, en conséquence :

- proposé un assouplissement des contraintes formelles actuelles empêchant aujourd'hui le déploiement du contrôle de subsidiarité sur les réformes importantes (proposition d'allongement du délai d'examen, de huit à dix semaines, et d'harmonisation du seuil du « carton jaune » à un quart des voix attribuées aux Parlements nationaux, comme c'est déjà le cas dans le domaine de la coopération judiciaire et policière en matière pénale ) ;

- préconisé la mise en oeuvre, dès que possible, d'un recours pour non-conformité d'un projet de texte européen au principe de subsidiarité devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) afin de faire vivre cette procédure et d'enclencher « un dialogue opérationnel » avec la Cour au sujet du contrôle de subsidiarité ;

- estimé que l'expression politique européenne du Sénat devait être non seulement « défensive » avec le contrôle de subsidiarité mais également « offensive » avec la création d'un « carton vert » (droit d'initiative indirect permettant aux parlements nationaux d'émettre des propositions législatives européennes) et l'adoption d'une recommandation sur le programme de travail annuel de la Commission européenne pour l'année à venir (cette recommandation devant - contrairement à aujourd'hui - être adoptée en séance publique, à l'issue d'un débat d'orientation).

3. Les avis motivés adoptés par le Sénat

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne jusqu'au 30 septembre 2021, le Sénat a adopté 34 avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité, soit :

- 1 en 2011 , sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ;

- 10 en 2012 , sur l'accès aux ressources génétiques, la gestion collective des droits d'auteur et licences multiterritoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne, le contrôle technique périodique des véhicules à moteur, le paquet « Monti II » (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») , l'information du public sur les médicaments et sur les médicaments à usage humain soumis à prescription médicale, la reconnaissance des qualifications professionnelles, le règlement général sur la protection des données, la définition des grands axes stratégiques du transport transeuropéen, et le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires dans les États membres de la zone euro ;

- 4 en 2013 , sur la déclaration de TVA normalisée, les commissions d'interchange pour les opérations de paiement liées à une carte, la création du parquet européen (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») et le 4 e paquet ferroviaire ;

- 2 en 2014 , sur des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne et le règlement sur les nouveaux aliments ;

- aucun en 2015 ;

- 4 en 2016 22 ( * ) , sur l'organe des régulateurs européens des communications électroniques, le mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie, les contrats de fourniture de contenu numérique, les contrats de vente et le contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens, et le paquet « déchets » ;

- 7 en 2017 , sur la certification des technologies de l'information et des communications en matière de cybersécurité, le cadre applicable à la libre circulation des données à caractère non personnel, le marché intérieur de l'électricité, l'agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie, la coordination des systèmes de sécurité sociale, la procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services, le contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions ;

- 2 en 2018 , sur les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et l'évaluation des technologies de la santé ;

- aucun en 2019 ;

- 1 en 2020 23 ( * ) , sur le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant la loi européenne sur le climat (règlement (UE) 2018/1999).

Du 1 er octobre 2020 au 30 septembre 2021 , le Sénat a adopté 3 avis motivés supplémentaires sur le « paquet santé » de l'Union européenne.

Texte

Proposition
de résolution portant avis motivé de la commission des affaires européennes

Résolution

Réponse
de la Commission européenne

Proposition de règlement relatif à un rôle renforcé de l'agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux


COM (2020) 725 final

N° 345 de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey déposée le 04/02/2021

N° 69 adoptée le 23/02/2021

Transmise le 10/06/2021

Proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n°851/2004 instituant un centre européen de prévention et de contrôle des maladies

COM (2020) 726 final

N° 344 de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey déposée le 04/02/2021

N° 68 adoptée le 23/02/2021

Transmise le 10/06/2021

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n° 1082/2013/UE

COM (2020) 727 final

N° 343 de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey déposée le 04/02/2021

N° 67 adoptée le 23/02/2021

Transmise le 10/06/2021

Dans sa résolution portant avis motivé sur la proposition de règlement COM(2020) 725 final relatif au rôle renforcé de l'agence européenne des médicaments, le Sénat a constaté que le texte examiné prévoyait la création de deux groupes de pilotage au sein de l'agence, le premier relatif aux médicaments et le second, aux dispositifs médicaux, confiait à ces groupes le soin de définir une liste critique de produits médicaux à surveiller et leur donnait la possibilité, en cas de pénurie, de formuler des recommandations devant être suivies par les États membres.

Il a également relevé que la Commission européenne justifiait sa proposition sur la base de l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et l'article 168, paragraphe 4 du même traité. L'article 114 précité permet au Parlement européen et au Conseil d'adopter des mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Lorsque ces mesures concernent le domaine de la santé, la Commission européenne, dans ses propositions, doit prendre pour base un niveau de protection élevé. L'article 168, paragraphe 4, prévoit quant à lui, que le Parlement européen et le Conseil peuvent adopter des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical.

Cependant, l'article 168 précité, dans son paragraphe 7, rappelle que l'action de l'Union européenne est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux.

En conséquence, et logiquement, le Sénat a considéré que les dispositions du « paquet santé » permettant aux groupes de pilotage qui seraient institués au sein de l'agence européenne des médicaments d'arrêter des listes critiques de produits à surveiller et d'imposer le suivi de leurs recommandations aux États membres, contrevenaient au principe de subsidiarité.

En réponse à cet avis motivé, la Commission européenne, sur un ton ferme, a d'abord réfuté toute atteinte aux responsabilités premières des États membres, telles que garanties par l'article 168, paragraphe 7, précité, avant d'expliquer leur « nécessité », estimant, d'une part, que le pouvoir de « recommandation impérative », si l'on peut dire, que la réforme confie aux groupes de l'agence européenne des médicaments était une simple « réaction coordonnée » au niveau de l'Union européenne et, d'autre part, que cette réforme était exigée par la gravité de la situation sanitaire : « à cet égard, la Commission européenne aimerait souligner que lorsqu'elles sont de l'ampleur de la crise Covid-19, les urgences de santé publique ont des répercussions sur tous les États membres, qui sont incapables d'apporter une riposte suffisante à eux seuls, ainsi qu'il est apparu de manière évidente notamment au cours des premiers mois de la pandémie de COVID-19. Les pénuries réelles ou potentielles de médicaments (autorisés au niveau central et national) et de dispositifs médicaux en temps de crise peuvent entraîner le risque que les États membres constituent des stocks disproportionnés ou mettent en place des restrictions de la circulation de ces marchandises dans le marché intérieur. »

Dans ses résolutions n° 68 et 69 portant respectivement avis motivés sur la proposition de règlement COM(2020) 726 final actualisant les missions du centre européen de prévention et de contrôle des maladies, et sur la proposition de règlement COM(2020) 727 final concernant les menaces transfrontières graves pour la santé, le Sénat a d'abord constaté que la Commission européenne avait fondé ses propositions sur les dispositions de l'article 168, paragraphe 5 du TFUE, qui prévoient que le Parlement européen et le Conseil peuvent adopter des mesures d'encouragement visant à lutter contre les grands fléaux transfrontières graves sur la santé, alerter en cas de telles menaces et lutter contre celles-ci, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

De là, en premier lieu, le Sénat a relevé, dans ses résolutions, que la réforme confiait au centre européen de prévention et de contrôle des crises, un rôle d'évaluation des plans de préparation et de réaction nationaux face aux menaces transfrontières graves pour la santé, afin de garantir l'interopérabilité de ces plans, et que cette interopérabilité supposait de facto une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires, en contradiction avec les dispositions de l'article 168, paragraphe 5, du TFUE.

En outre, dans son examen, le Sénat a mis en lumière les insuffisances de l'étude d'impact de la Commission européenne concernant la capacité du centre européen à assumer cette mission d'évaluation et d'audit.

Dans sa résolution n° 69, le Sénat a également souligné que ces évaluations et audits des plans nationaux, d'une part, ne pouvaient avoir pour effet de remettre en cause des législations et règlements nationaux, et, d'autre part, ne sauraient impliquer la révélation d'informations classifiées. Le Sénat a aussi insisté sur la nécessité, pour chaque État membre, de prévoir, s'il le souhaite, des dispositions spécifiques dans ses plans.

En deuxième lieu, alors que la réforme permet à la Commission européenne d'émettre des recommandations concernant des mesures communes et temporaires de santé publique destinées aux États membres lorsqu'elle estime que leur coordination est insuffisante face à une menace transfrontière grave, le Sénat a constaté une carence du législateur européen dans la définition des sujets pouvant faire l'objet de recommandations, et lui a demandé de préciser son dispositif.

En effet, « bien qu'elles ne soient pas contraignantes, [ces recommandations] sont prises en considération par les juges nationaux, notamment lorsque celles-ci éclairent l'interprétation de dispositions nationales prises dans le but d'assurer la mise en oeuvre de ces recommandations, ou encore lorsqu'elles ont pour objet de compléter des dispositions communautaires ayant un caractère contraignant. »

En dernier lieu, le Sénat a déploré le renvoi à des actes d'exécution, d'une part, pour préciser dans quelle mesure les avis du comité de sécurité sanitaire (CSS) pourraient lier les États membres et, d'autre part, pour déterminer les domaines couverts par les plans de préparation et de réaction.

Prenant au sérieux la position du Sénat, la Commission européenne a apporté les éléments de réponse suivants :

- elle a souhaité rassurer le Sénat en confirmant que les nouvelles compétences attribuées au centre européen de prévention et de contrôle des maladies visaient à aider les États membres, « notamment en contribuant à l'élaboration, à l'examen régulier et à la mise à jour des plans de préparation et des projets de plans... » et non à substituer ces derniers à leurs propres décisions. En particulier, « la fourniture de cette aide n'implique aucune harmonisation des plans de préparation nationaux. ». Plus généralement, les articles [6 et 7] de la proposition ne prescrivent pas que les plans nationaux doivent être « interopérables, ni n'exigent une harmonisation des dispositions de nature législative et réglementaire des États membres » ;

- en revanche, se bornant à analyser « la lettre » de sa réforme et non « l'esprit », la Commission européenne a feint d'ignorer l'influence de ses propres recommandations sur les juges nationaux lorsqu'ils interprèteront les dispositions nationales destinées à les mettre en oeuvre, et a limité sa réponse au rappel du caractère non contraignant des recommandations ;

- de même, la Commission européenne n'a pas répondu aux craintes exprimées par le Sénat quant à une éventuelle divulgation d'informations classifiées lors d'une évaluation d'un plan national, considérant qu'elles ne relevaient pas du contrôle de subsidiarité ;

- enfin, la Commission européenne a confirmé la pertinence de la délégation prévue par la réforme, soulignant que les actes d'exécution prévus « ne (concernaient) que des procédures et ne (conféraient) pas de compétences supplémentaires au comité de sécurité sanitaire ni ne (rendaient) contraignants les avis dudit comité ».

Ainsi, si elle peut être considérée comme satisfaisante sur la forme, la réponse de la Commission européenne l'est beaucoup moins sur le fond, puisqu'elle se contente de confirmer de nouveau la pertinence du dispositif, dans ses délégations comme dans ses omissions.

Comme l'écrivait en 2020 24 ( * ) , l'ancien président de la commission des affaires européennes, le sénateur Jean Bizet, le texte issu des négociations évolue parfois beaucoup et « sa nouvelle rédaction tient compte, assez souvent, de tout ou partie des observations du Sénat, y compris sur des dispositions dont celui-ci contestait la conformité au principe de subsidiarité ». Il poursuivait : « Il serait sans doute souhaitable qu'à l'avenir, les réponses de la Commission aux avis motivés s'appuient sur le dernier état du texte afin, précisément, de tenir compte , non pas de sa proposition initiale, qui renseigne certes sur les intentions de la Commission, mais pas vraiment sur les dispositions qui seront applicables, directement ou à l'issue d'une transposition, dans les États membres, mais de la version définitive, ou à tout le moins la plus avancée possible » .


* 16 Aux termes du quatrième alinéa de l'article 5 du traité sur l'Union européenne, « les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité » conformément à la procédure prévue dans le protocole II annexé aux traités.

* 17 Par une lettre du 11 octobre 2019 adressée à M. le Président du Sénat, M. Frans Timmermans, alors premier vice-président de la Commission Juncker, a notifié l'intention de la Commission d'exclure la période comprise entre le 20 décembre d'une année donnée et le 10 janvier de l'année suivante du délai de 8 semaines accordé pour l'examen de la conformité de projets d'actes législatifs avec le principe de subsidiarité.

* 18 Belgique, Danemark, Finlande, France (Sénat), Lettonie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède et République tchèque.

* 19 Chypre, France (Sénat), Hongrie, Irlande, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovénie, Suède et République tchèque.

* 20 Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et République tchèque.

* 21 Rapport d'information n°592 (2021-2022) de Mme Cécile Cukierman (présidente) et de M. Philippe Bonnecarrère (rapporteur), au nom de la mission d'information du Sénat sur le thème « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l'État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? »

* 22 La faible activité de la nouvelle Commission européenne nommée en 2014 explique l'absence d'avis motivés adoptés en 2015.

* 23 En 2019, comme ce fut le cas en 2015, le Sénat n'a adopté aucun avis motivé, en raison à la fois du contexte général de diminution du nombre d'avis motivés émis par les parlements nationaux et de la moindre activité législative de la Commission liée au renouvellement des institutions, entre les mois de mai et décembre.

* 24 Rapport d'information n° 310 (2019-2020) de M. Jean Bizet (président) au nom de la mission d'information du Sénat sur le thème « L'impact des positions européennes du Sénat dans les négociations à Bruxelles »

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