B. L'ENJEU D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE L'ENVIRONNEMENT, DROIT DE L'HOMME DE NOUVELLE GÉNÉRATION

1. La vision d'un panel de haut niveau sur l'interaction entre l'environnement et les droits humains et sur le droit à un environnement sain, sûr et durable

Dans le prolongement d'une initiative prise lors de la session d'été concernant la convention d'Istanbul, le Bureau de l'APCE a décidé que l'Assemblée parlementaire consacrerait une partie de son ordre du jour à des échanges avec un panel de haut niveau sur l'environnement et les droits humains, sous l'angle du droit à un environnement sain, sûr et durable. Cette séquence, réunissant pour l'occasion le Secrétaire général de l'ONU, M. António Gutteres, la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, Mme Marija Pejèinoviæ-Buriæ, le Président de la République hongroise, M. János Áder, le Président de la Chambre des députés d'Italie, M. Roberto Fico, le Secrétaire d'État du Portugal, M. Eduardo Pinheiro, le juge britannique à la Cour européenne des droits de l'Homme, M. Tim Eicke, et l'activiste pour le climat et les droits humains, Mme Anuna de Wever Van der Heyden, s'est déroulée à l'ouverture de la séance du mercredi 29 septembre après-midi.

Au cours d'un message vidéo préenregistré, M. António Gutteres, Secrétaire général de l'ONU a spécifiquement déclaré que la destruction du milieu naturel atteint un point de non-retour alors même que les droits de l'Homme et l'environnement sont inséparables : sans biosystème sain, il n'existe pas de réels droits humains. Il a jugé indispensable d'accélérer les efforts pour lutter contre le réchauffement climatique et d'adopter un changement radical, basé notamment sur la reconnaissance du droit à un environnement sain.

Mme Marija Pejèinoviæ-Buriæ, Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, a vu dans la convention européenne des droits de l'Homme et la Charte sociale européenne, instruments de droit international vivants qui doivent être interprétés à la lumière de notre époque et s'adapter aux nouveaux enjeux dans le domaine des droits de l'Homme, un socle de règles utilisables à l'encontre des dommages causés à l'environnement dont la Cour de Strasbourg fait l'usage. Elle a également mis en exergue le travail d'accompagnement des États dans le respect leurs obligations que réalise le Conseil de l'Europe, citant à cet égard le manuel sur les droits de l'Homme et l'environnement et des cours en ligne sur le sujet. Elle a enfin indiqué qu'un groupe d'experts prépare une nouvelle recommandation sur les droits de l'Homme et l'environnement et examine également l'opportunité de nouveaux instruments contraignants.

Après avoir constaté que le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par cinq et que les dégâts matériels ont été multipliés par sept au cours des cinquante dernières années, M. János Áder, Président de la République hongroise, a déploré que, six ans après l'adoption de l'Accord de Paris, les États parties soient un peu plus éloignés des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre qu'ils l'étaient en 2015. Il a insisté sur la crise de l'eau, dont l'impact devient mondial, ainsi que sur la déforestation et la biodiversité. Il a ensuite fait valoir que la Hongrie, l'un des premiers États membres de l'Union européenne à avoir ratifié l'Accord de Paris, a diminué ses émissions de CO 2 de 32 % par rapport à 1990 ; en outre, son Parlement a adopté une loi fixant à 2050 l'objectif de neutralité carbone du pays. Il a enfin appelé les décideurs à changer leur mode de pensée économique, en intégrant les coûts externes, et à intégrer davantage dans les politiques publiques la logique de prévention, moins coûteuse que l'atténuation des dommages.

M. Roberto Fico, Président de la Chambre des députés d'Italie, a souscrit à l'approche intégrée de l'environnement et des droits humains proposée par l'Assemblée parlementaire. Il s'est montré favorable à l'adoption de règles internationales consolidées en la matière et a souligné que la Chambre des députés de l'Italie était saisie actuellement d'un projet de loi constitutionnelle introduisant, au sein des principes fondamentaux de la République, la protection de l'environnement, de la biodiversité et des écosystèmes. Il a jugé nécessaire de conduire des politiques transversales en la matière, associant les citoyens. Il a conclu par l'engagement de l'Italie, au travers du G20 et de la COP 26, à contribuer à des avancées politiques concrètes et multilatérales en faveur de la croissance durable, considérant que les débats de l'APCE pouvaient inspirer certaines des discussions à venir à Rome et à Glasgow.

M. Eduardo Pinheiro, secrétaire d'État du Portugal, a souligné que le Portugal a été le premier pays au monde à inclure dans sa Constitution le droit à un cadre de vie humain, sain et écologiquement équilibré. Il a jugé important de reconnaître que notre dépendance à l'égard des ressources naturelles de la Terre est fondamentale pour la vie, considérant que leur destruction constitue une violation ou est liée à la violation des droits de l'Homme. Face au changement climatique, il a estimé que l'Union européenne montre la voie avec le pacte vert pour l'Europe et le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », cadre d'une relance durable et neutre en carbone. Il a indiqué que le Portugal prendra sa part des décisions prises lors de la quinzième conférence des parties à la convention sur la diversité biologique (CDB COP 15) et lors de la COP 26 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Il a plaidé, en conclusion, en faveur d'une reconnaissance universelle du droit à un environnement sain, à un air pur, à l'eau potable, à une alimentation saine, à des océans propres, à un climat stable, à la biodiversité et à des écosystèmes sains.

M. Tim Eicke, juge britannique à la Cour européenne des droits de l'Homme, a rappelé que depuis près de trente ans, cette juridiction n'a cessé de reconnaître dans sa jurisprudence, à travers plus de 350 arrêts et décisions, l'importance croissante de la protection de l'environnement et son interrelation avec la jouissance des droits de l'Homme. Reconnaissant les limites de la protection que la Cour de Strasbourg a pu offrir jusqu'à présent, il a fait valoir qu'il n'appartient ni à cette dernière, ni à aucun de ses juges, de s'exprimer sur l'opportunité ou la faisabilité d'un nouveau protocole à la convention européenne des droits de l'Homme, qui ferait expressément relever la protection de l'environnement de sa compétence. Il a néanmoins estimé que quelle que soit la réponse à cette question essentiellement politique, la Cour continuera à jouer son rôle dans les limites de ses compétences.

Mme Anuna de Wever Van der Heyden, activiste pour le climat et les droits humains, s'est présentée comme la voix de la génération qui vivra avec les conséquences des décisions prises aujourd'hui. Tout en reconnaissant l'intérêt de la promotion d'un changement dans le droit international et national, ainsi que dans les politiques gouvernementales, afin de garantir qu'un environnement sain soit reconnu comme un droit humain fondamental, elle a regretté que les responsables politiques manquent de courage pour la mise en oeuvre de leurs promesses. Elle a rappelé à cet égard que le nouveau rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) souligne clairement le fait que tout retard dans la mise en oeuvre des mesures rend les scénarios les plus ambitieux, c'est-à-dire les seuls scénarios égaux et vivables, purement hypothétiques. Elle a indiqué que réclamer le droit à un avenir n'était pas la façon dont elle rêvait de passer sa jeunesse. En conclusion, elle a appelé le Comité des Ministres à faire preuve de courage et à concrétiser les résolutions et recommandations de l'APCE.

Au cours des interventions de parlementaires qui ont suivi, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) , s'exprimant au nom du groupe ADLE, s'est déclaré fier de la tenue de ce panel de haut niveau, résultat de deux ans d'efforts pour monter en puissance sur ce travail important.

Un consensus se dégage pour un passage aux actes. Le Conseil de l'Europe n'est ni l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ni la succursale de ses États membres. Si la Conférence de La Haye avait lieu aujourd'hui avec Konrad Adenauer, Winston Churchill et François Mitterrand, il apparaît évident que le droit à l'environnement serait inscrit dans la convention européenne des droits de l'Homme. Si la même chose se passait en 1990 au moment de la Charte sociale européenne, il en irait de même.

Il y a bien sûr quelques difficultés ici ou là ; il y a bien sûr la lourdeur du multilatéralisme ; il y a bien sûr les freins de quelques États. Mais les membres actuels de l'APCE appartiennent à une génération politique « charnière », celle pour laquelle les enfants et petits-enfants diront dans quelques années : « Grand-père, Papa, tu étais là, tu étais en responsabilité, tu vois où on en est maintenant ? Qu'est-ce que tu as fait ? »

Tout le monde sait parfaitement que la tendance actuelle est celle d'un réchauffement supérieur à 2°C par rapport à l'ère préindustrielle. Il faut donc que chacun se mobilise. Cette journée de débats consacrée au sujet à l'APCE montre les voies de la mobilisation. Et, parmi elles, figurent effectivement la préparation de protocoles additionnels aux conventions majeures de l'Organisation. Ce n'est pas un tabou, ce n'est pas non plus un totem : c'est un sujet qu'il faut étudier.

L'Assemblée parlementaire a accompli le maximum qu'elle pouvait faire. Le moment est venu d'agir et Mme Anuna De Wever Van Der Heyden doit être remerciée pour son propos, qui n'est pas une culpabilisation mais simplement un rappel à nos responsabilités.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a noté la prise de conscience collective que l'homme dégrade l'environnement dans lequel il vit et que cela menace sa santé mais aussi la pérennité de l'espèce humaine sur Terre. Il est donc satisfait que l'APCE se saisisse de la question environnementale et de son rapport avec les droits humains.

Le droit à vivre dans un environnement sain a été introduit en droit national par plusieurs États membres. Malgré tout, le bilan de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris n'est pas satisfaisant. D'après un rapport de l'ONG Climate Action Tracker , de toutes les nations signataires du traité, seule la Gambie a pris des mesures concrètes, suffisantes, pour respecter ses engagements. Des engagements plus fermes doivent donc impérativement être pris lors de la prochaine COP 26 à Glasgow.

En l'espèce, il convient de s'approprier les mots de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants ».

2. Les implications juridiques concrètes du défi climatique
a) L'ambition, pour le Conseil de l'Europe, d'ancrer le droit à un environnement sain dans les standards juridiques européens

Á l'occasion d'une journée de débats consacrée à l'ensemble des répercussions du changement climatique sur les droits humains, le mardi 28 septembre, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Simon Moutquin (Belgique - SOC), au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, une résolution et une recommandation portant l'ambition, pour le Conseil de l'Europe, d'ancrer le droit à un environnement sain dans les standards juridiques européens.

En introduction de la discussion générale, le rapporteur a rappelé les récentes inondations en Belgique et en Allemagne, où des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d'habitations détruites ou endommagées, les feux de forêt en Espagne, en Grèce, en Turquie ou encore en Sibérie, ainsi que les records de chaleur au Canada pour alerter sur les bouleversements environnementaux qui s'annoncent. Les prévisions faites par les scientifiques depuis près de cinquante ans se confirment chaque jour davantage et, l'été dernier, l'ultime rapport du GIEC estimait que le réchauffement de 1,5°C prévu initialement pour 2040 était à craindre pour 2030.

Près d'un tiers des espèces connues sont aujourd'hui menacées d'extinction. La pollution atmosphérique est responsable de plus de 700 000 décès par an en Europe, alors qu'à l'échelle du globe un quart des décès est imputable au dérèglement climatique.

Face à ces constats, il apparaît urgent de reconnaître le droit à un environnement sain comme un droit à part entière. Il y a cinquante ans, la déclaration de Stockholm établissait déjà l'interdépendance entre protection de l'environnement et droits humains. Depuis, de nombreux pays et juridictions du monde reconnaissent ce droit à un environnement autonome, notamment la Charte africaine ainsi que la Cour américaine des droits de l'Homme. Pas le Conseil de l'Europe, alors même qu'en 1950, l'APCE apportait une réponse pour protéger les droits fondamentaux à travers la convention européenne des droits de l'Homme.

Tour à tour, les présidences géorgienne, allemande et grecque du Comité des Ministres ont fait de la question environnementale une priorité absolue. Le Président actuel de l'Assemblée parlementaire aussi a inscrit l'ancrage de ce droit à son agenda. Le travail de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable sur le sujet se veut une sorte d'encyclopédie, de recueil de propositions, à la disposition du Comité des Ministres.

La première suggestion concerne l'élaboration d'un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme. Ce dernier permettrait, d'une part, de disposer d'un instrument de droit international contraignant, directement utilisable par les citoyens pour prévenir et obtenir des réparations contre les atteintes à l'environnement, et d'autre part, de mettre en oeuvre une approche préventive basée sur l'élimination des problèmes avant même qu'ils ne se présentent. Il permettrait aussi de donner un cadre clair aux juges de la Cour de Strasbourg, pour garantir des droits environnementaux autonomes et non plus uniquement fondés sur l'interprétation d'articles de la convention, par effet ricochet.

Le deuxième outil proposé est un protocole additionnel à la charte sociale européenne. Contrairement aux droits civiques et politiques qui sont des droits individuels par nature, les atteintes à l'environnement comportent, pour la plupart, une dimension collective. En étendant l'application de la Charte à la protection du droit à un environnement sain, il serait possible pour des organisations de porter des réclamations collectives en matière environnementale, ce qui serait un véritable progrès.

Le dernier support juridique envisagé est celui d'une convention dite « 5 P », complémentaire aux protocoles évoqués. Une telle convention aurait pour objectif d'installer une vision non pas anthropo-centrée mais éco-centrée de la défense de l'environnement. Les principes de prévention et de précaution seraient au coeur d'un tel texte et ils permettraient d'opérer un changement de paradigme.

Parallèlement, les entreprises ont un rôle important à jouer et il est crucial que leur responsabilité en matière d'environnement soit renforcée.

Désormais, le déni n'est plus une option politique. Les Nations Unies aussi ont décidé de placer ce droit à un environnement sain au sommet de leur agenda, ainsi que l'a rappelé la haute-commissaire aux droits de l'Homme lors de l'ouverture de la 40 ème session du Conseil des droits de l'Homme. Le Conseil de l'Europe doit avoir l'ambition de jouer un rôle majeur dans la préservation des droits fondamentaux de 833 millions de personnes face aux dérèglements environnementaux.

S'exprimant au nom du groupe PPE/DC, M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a estimé que les catastrophes qui se sont succédées cet été ont démontré, si cela était encore nécessaire, que ce sujet est prioritaire. Inondations, glissements de terrain, canicules, incendies, ouragans : toutes les régions du monde sont désormais touchées et la lutte contre le dérèglement climatique s'impose comme une évidence.

L'impact de ces phénomènes extrêmes sur les migrations s'annonce d'ores et déjà comme difficilement soutenable pour les populations. L'accroissement des inégalités qu'ils induisent est tout aussi préoccupant.

L'objectif à atteindre a été fixé par l'Accord de Paris, entré en vigueur en 2016. Il est impératif de réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de parvenir à la neutralité carbone d'ici 2050. À cet égard, la réflexion doit s'inscrire dans le cadre des dix-sept objectifs de développement durable des Nations Unies. L'APCE ne pouvait rester à l'écart de ces questions, à quelques semaines de la COP 26.

La reconnaissance de l'importance du rôle des Parlements est bienvenue car, si développer une démocratie plus participative va dans le sens de l'histoire, une convention citoyenne seule ne peut pas remplacer des débats parlementaires, voire interparlementaires. L'idée d'un réseau parlementaire est de ce point de vue tout à fait intéressante.

La circonspection est davantage de mise sur l'idée d'élaborer des protocoles additionnels à la convention européenne des droits de l'Homme et à la Charte sociale européenne. Si l'idée peut paraître séduisante, ce type de processus, qui par définition se heurterait à des intérêts multiples et opposés, pourrait ne jamais aboutir. L'urgence commande plutôt d'oeuvrer de manière plus pragmatique en recherchant l'efficacité. L'élaboration d'un instrument non contraignant sur les obligations des États en matière climatique et de protection de l'environnement pourrait être à privilégier. La démarche relèverait plutôt de l'ordre du signal ou du symbole mais elle présenterait l'avantage de pouvoir être vite élaborée et de faire consensus assez rapidement. Il est important d'ouvrir le champ des possibles.

Le chantier de la lutte contre le changement climatique est immense mais il faut relever ce défi pour transmettre à nos enfants une planète vivable et un environnement sain.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, Mme Liliana Tanguy (Finistère - La République en Marche) a souligné, à la lumière des catastrophes de l'été passé, la vulnérabilité du continent européen à l'égard des conséquences du changement climatique. Il est urgent d'agir et le volontarisme de l'APCE est à saluer.

Le débat conjoint permet d'aborder la question du droit à un environnement sain, sûr et durable sous différents angles, à partir de multiples pistes de travail pour que le Conseil de l'Europe apporte une réponse à la hauteur des enjeux pour les prochaines générations. Le groupe ADLE partage la vision exprimée sur ce sujet ; la question est désormais d'explorer le champ des possibles.

L'option ambitieuse serait de lancer un vaste chantier autour de nouveaux protocoles additionnels à la convention européenne des droits de l'Homme et à la Charte sociale européenne ou une convention de type « 5P » sur les menaces pour l'environnement et les risques pour la santé. Sur un champ plus étroit, et à plus court terme, la proposition d'une révision et d'une revitalisation de la convention sur la protection de l'environnement par le droit pénal de 1998 mérite de retenir l'attention. Son actualisation pourrait intervenir à plus brève échéance et permettre de punir les infractions environnementales les plus graves, de manière effective et unifiée à l'échelle du continent.

Ce débat intervient opportunément à quelques semaines de la clôture du Forum mondial de la démocratie, les 8 et 10 novembre à Strasbourg, sur le thème « La démocratie au secours de l'environnement ». À travers la convention citoyenne pour le climat, la France a elle-même expérimenté avec succès un exercice de démocratie participative autour de 150 citoyens tirés au sort ayant formulé 149 propositions concrètes à partir desquelles vient d'être votée, en août dernier, la loi dite « climat et résilience » contenant pas moins de 300 articles pour contribuer à l'objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Cette loi française crée notamment de nouveaux délits de mise en danger de l'environnement et d'écocide.

Au Conseil de l'Europe, désormais, dans le prolongement de son Assemblée parlementaire, d'être à la pointe sur ce dossier capital pour l'humanité et la planète.

b) Les questions de responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique

Lors de la même séance du 28 septembre au matin, l'Assemblée parlementaire a examiné, sur le rapport de M. Ziya Altunyaldiz (Turquie - Non-Inscrit), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution et une recommandation sur les questions de responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique.

Au cours de la discussion générale, le rapporteur s'est félicité de la priorité donnée à ce sujet un mois avant la tenue de la COP 26 à Glasgow. Après avoir rappelé que la reconnaissance de la responsabilité juridique des États en matière de changement climatique aux niveaux national, européen et international a débuté avec la signature de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992, il a relevé que les droits civil, pénal et constitutionnel ont joué un rôle de plus en plus important dans le contentieux climatique, à l'image de l'affaire néerlandaise « Urgenda », dans laquelle les tribunaux nationaux ont ordonné à l'État de remplir son devoir de vigilance pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de protéger le droit à la vie des citoyens à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale.

En mai 2021, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a rendu un arrêt comparable mais de plus grande portée. Des particuliers et des ONG ont également mis en cause la responsabilité liée au changement climatique dans des procès contre des entreprises dans d'autres pays européens. Par exemple, en mai dernier, aux Pays-Bas, un tribunal de première instance de La Haye a ordonné à Shell de réduire ses émissions de carbone de 45 %.

Étant donné que le changement climatique est un préjudice pour tous mais personne en particulier, il importe de définir une responsabilité au niveau européen.

Jusqu'à présent, deux conventions du Conseil de l'Europe visant à renforcer la responsabilité pour les préjudices causés à l'environnement ont été adoptées. La convention de 1998 sur la protection de l'environnement par le droit pénal, premier texte international contraignant consacré à l'harmonisation du droit pénal sur les questions environnementales en incluant notamment la question des infractions écologiques - malheureusement jamais entrée en vigueur -, et la convention de 1993 sur la responsabilité civile pour les dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement, qui vise à assurer une indemnisation adéquate des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement sur la base du principe du « pollueur-payeur », elle non-plus non en vigueur.

La convention sur la protection de l'environnement par le droit pénal devrait être remplacée au plus vite par un instrument juridique mieux adapté aux défis actuels et définissant plus précisément les infractions et sanctions environnementales. À cet égard, il est heureux que le comité européen sur les problèmes climatiques ait créé un groupe de travail sur l'environnement et le droit pénal en novembre 2020, en charge d'une étude de faisabilité sur le sujet. Les États pourraient également envisager d'introduire le crime d'écocide dans leur législation nationale, ainsi que de reconnaître la compétence universelle pour ce délit.

Concernant la responsabilité civile, les États membres du Conseil de l'Europe devraient ratifier la convention de 1993 et l'adapter aux défis actuels, notamment en modifiant son Annexe I sur les substances dangereuses. Ils pourraient également adapter leurs législations nationales par des dispositions spécifiques sur la responsabilité pour les dommages écologiques ou en élargissant le champ de la responsabilité dans certaines situations spécifiques.

La reconnaissance de recours préventifs et compensatoires devant les juridictions est également un point essentiel, surtout pour permettre aux ONG de lancer des procédures de litige climatique contre des entités étatiques et privées et exiger des entreprises qu'elles détaillent leurs activités ayant un impact sur l'environnement.

3. Les liens entre État de droit et démocratie, d'une part, et changement climatique, de l'autre
a) Une démocratie plus participative pour faire face au changement climatique

Toujours dans le cadre du débat joint du 28 septembre portant sur les répercussions du changement climatique sur les droits de l'Homme, l'APCE a approuvé, sur le rapport de M. George Papandreou (Grèce - SOC), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution et une recommandation prônant une démocratie plus participative pour faire face au changement climatique.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a rappelé qu'en 2016, 99 citoyens irlandais avaient été choisis au hasard, par tirage au sort pour proposer des recommandations sur la manière de faire de l'Irlande un pays en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique ; après une délibération démocratique approfondie et l'étude de près de 2 000 propositions émanant de groupes intéressés, ils ont formulé treize recommandations spécifiques. Ce travail a donné lieu à des idées novatrices en matière d'engagement public et a profondément enrichi la culture environnementale en Irlande. Le rapport final conclut que l'État doit jouer un rôle de premier plan pour atténuer la crise, donner la priorité aux dépenses de transport public, taxer les émissions de gaz à effet de serre provenant de l'agriculture et cesser de subventionner l'extraction de la tourbe. Fait frappant, 80 % des participants ont déclaré qu'ils seraient prêts à payer des taxes plus élevées sur les activités à forte intensité de carbone.

Cette expérience irlandaise n'est que l'une des nombreuses innovations fascinantes en matière de démocratie participative et délibérative. De nombreuses expériences similaires ont lieu en Europe, dans l'Union européenne dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, aux Nations Unies pour la COP 26 et dans le monde entier. De ce fait, il serait souhaitable que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne développent une Assemblée permanente de citoyens pour le climat et l'avenir de l'Europe.

L'Accord de Paris exige des sociétés qu'elles s'adaptent à long terme, sous peine de devoir faire face à des incendies dévastateurs, des inondations, des canicules, des conditions météorologiques extrêmes, de nouvelles pandémies et d'énormes flux migratoires. Or, la transition vers une société durable doit être socialement juste ; il doit également s'agir d'une transition éclairée, où l'éducation, la citoyenneté éduquée joueront un rôle crucial.

Aucune « main invisible » n'assurera cette transition ; elle ne peut se faire que par la volonté démocratique, raison pour laquelle il doit s'agir d'une transition élaborée et appropriée par les citoyens. Face à la crise climatique, soit nous approfondissons nos pratiques démocratiques et garantissons une transition pacifique, soit nous serons confrontés à une polarisation, à la violence et à l'autoritarisme.

Enfin, la prise de décision collective, la sagesse collective, aboutit le plus souvent à de meilleurs résultats et à de meilleures décisions politiques que ne le ferait un expert hautement qualifié, seul. Mais de telles pratiques délibératives et participatives ne seront efficaces que si elles influencent visiblement le pouvoir.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française , s'est félicitée que, pour la troisième fois, l'APCE tienne une journée entière de débats sur un thème essentiel et particulièrement actuel pour les droits humains. Après la pandémie de Covid-19 et ses effets, puis l'intelligence artificielle il y a un an, c'est l'ensemble des défis posés par le changement climatique pour nos sociétés, nos systèmes démocratiques, nos États et le multilatéralisme en général qui se trouve ainsi abordé.

Incontestablement, le dérèglement du climat engendre d'ores et déjà des mouvements migratoires et des inégalités criantes, qui ne pourront que s'aggraver si la tendance s'amplifie. Par ailleurs, la crise climatique impacte aussi fortement l'État de droit et le fonctionnement des démocraties, de sorte qu'il appartient aux parlementaires d'esquisser des pistes de solutions pour prémunir les États membres de retours en arrière politiques ou institutionnels qui seraient très préjudiciables.

De ce point de vue, certaines propositions émises paraissent porteuses d'espoir en ce qu'elles sont concrètes, pertinentes et pragmatiques.

Ainsi, l'appel à une démocratie plus participative entre en résonance avec des expériences récentes plutôt réussies, à l'instar de la convention citoyenne pour le climat, initiée par le Président de la République française en novembre 2019 et composée de 150 citoyens tirés au sort pour trouver des mesures permettant de réduire de 40 % les émissions à effet de serre de la France d'ici 2030. Au bout de huit mois, sur les 149 mesures proposées, 146 ont été reprises et le Parlement les a transcrites dans la loi sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, qui a été promulguée en août 2021.

L'idée de développer des programmes de recherche spécifiques sur le recyclage et les énergies renouvelables, tout en maintenant les projets de recherche fondamentale sur de nouvelles sources d'énergie durable, est également concrète et opérationnelle. L'ambition d'un cadre - sous la forme d'un accord partiel élargi, par exemple - permettant aux États membres du Conseil de l'Europe de mutualiser leurs moyens de recherche pour des projets ciblés en faveur de la transition énergétique est, de ce point de vue, une perspective très intéressante. Après les tensions au sein du Conseil de l'Europe, ces dernières années, il y a là le germe d'une relance fondamentale de l'esprit des pères fondateurs à l'échelle des quarante-sept États membres car l'enjeu dépasse de loin les frontières et réunit indubitablement des intérêts nationaux différents.

En définitive, par ce débat, l'APCE apporte sa pierre, une pierre importante, à l'édifice de la lutte contre le réchauffement climatique.

b) La crise climatique et l'État de droit

Lors de la même séance, le 28 septembre, l'Assemblée parlementaire a débattu, sur le rapport de Mme Edite Estrela (Portugal - SOC), au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, d'une résolution et d'une recommandation sur les implications de la crise climatique sur l'État de droit.

Ouvrant le débat, la rapporteure s'est félicitée du retour de l'environnement au coeur du mandat du Conseil de l'Europe. Il ne reste que huit ans, d'après le GIEC, pour tout changer. Les engagements des États contre la surchauffe planétaire sont gravés dans le marbre avec l'Accord de Paris et les objectifs de développement durable. Il n'est pas trop tard, à condition d'assumer l'urgence et de ne plus demeurer dans l'ambiguïté : il n'est plus possible de se limiter à l'interdiction des gobelets en plastique tout en continuant de polluer comme si rien n'avait changé.

Dans ce contexte, les parlementaires ont la responsabilité de relever le défi de la crise climatique en travaillant ensemble et en faisant pression sur les gouvernements pour qu'ils respectent leurs engagements internationaux. Le Conseil de l'Europe, longtemps à l'avant-garde sur ces questions, peut accompagner les changements de mentalités. Pour ce faire, il doit envisager la création, au sein de l'APCE, d'un réseau parlementaire chargé de suivre les actions des autorités nationales et de mutualiser les expériences contre le réchauffement climatique.

À travers cette structure, il sera possible d'éviter ou à tout le moins d'aplanir les tensions entre les générations ou entre les plus faibles et les plus aisés. Pour anticiper une société profondément transformée, le rôle des parlementaires est effectivement essentiel.

M. Dimitri Houbron (Nord - Agir Ensemble) a estimé que les circonstances sanitaires actuelles ne facilitent pas l'enracinement d'une prise de conscience relative à la crise climatique.

D'une part, face à la flambée épidémique, la majorité des gouvernements ont dû prendre des mesures de restriction des libertés individuelles et collectives comme le confinement ; des décisions radicales qui poussent les États à ralentir la prise de nouvelles mesures écologiques. En effet, de nombreux acteurs nationaux assimilent trop souvent les politiques publiques environnementales à des mesures liberticides. La surtaxe de certains véhicules, l'interdiction de bâtir dans certaines zones, les débats sur la fréquence et les motifs de déplacement en avion : mal expliqués ou imposés sans concertation, ces dispositifs sont vivement rejetés parce qu'ils remettent en question des droits fondamentaux comme le droit à la propriété ou encore la liberté de circulation.

D'autre part, la fin progressive de la crise sanitaire a motivé les États à relancer leur économie le plus rapidement possible, parfois au détriment des réglementations environnementales, à l'exemple de l'ancienne administration américaine qui a fait annuler toutes les poursuites pour infraction fédérale contre l'environnement.

Ces faits rappellent que la volonté d'opposer l'environnement avec l'État de droit et le bien-être économique et social demeure tenace. L'objectif est de démontrer, plus que jamais, au lendemain de cette crise sanitaire, que la défense de l'environnement permet de sauvegarder nos droits et d'améliorer nos conditions de vie. Des pays, comme la France, ont fondé leur plan de relance économique sur la transition écologique. Ainsi, sur un budget global de 100 milliards d'euros, 30 milliards sont dédiés à des aides pour l'isolation thermique des logements, l'acquisition de véhicules propres ou encore des soutiens aux petites et moyennes entreprises.

Il est nécessaire de démontrer que la lutte contre la crise climatique peut s'appuyer sur la préservation de droits mais aussi que le changement climatique, lui, menace nos droits. Comme le rappelle Amnesty International, le dérèglement climatique met en péril notre droit à la vie, notre droit à la santé, notre droit au logement et notre droit à l'accès à l'eau. En réalité, c'est bel et bien la crise climatique qui menace notre modèle d'État de droit.

C'est donc à partir de cette analyse que le Conseil de l'Europe peut prendre des initiatives en concertation avec les institutions de l'Union européenne. L'objectif consisterait à élaborer un corpus juridique commun qui puisse servir de modèle et de source d'inspiration pour les États membres désireux de se lancer dans la transition écologique, tout en évitant l'atteinte aux libertés fondamentales comme la liberté d'entreprendre. À partir de ce constat, il semble également envisageable d'ériger des cadres, des plans et des objectifs environnementaux chiffrés donnant toute la souplesse nécessaire aux gouvernements pour y parvenir.

Bien que les dix-huit derniers mois furent éprouvants, une réelle prise de conscience s'est enracinée. Les États-Unis sont revenus dans les Accords de Paris et la crise épidémique a démontré notre capacité de rupture pour préserver l'intérêt général. Il convient de continuer à tirer les leçons et de poursuivre les efforts collectifs en la matière.

Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a insisté sur la complémentarité des enjeux autour de la question de la crise climatique et elle a souhaité alimenter le débat par deux propositions personnelles : la première, relative à la nécessité d'instaurer un objectif de protection climatique dans les traités commerciaux internationaux ; la deuxième, visant à donner un statut à ce que l'on appelle les biens communs.

Dans le premier cas, il apparaît indispensable de tenir compte des préoccupations sociales et environnementales dans le cadre des échanges économiques et commerciaux internationaux. Des traités sont ou seront conclus pour assurer l'accès des biens et services à des zones économiques. Si ces traités visent à faciliter les échanges économiques, ils sont parfois moins protecteurs que le droit local en matière de défense de l'environnement et de la santé. Il convient donc de faire en sorte que le droit à un environnement sain soit garanti au regard de la multiplication des échanges qu'entraîne, de facto , leur conclusion. Il serait ainsi opportun que ces projets de traités puissent faire l'objet d'une évaluation indépendante avant leur conclusion, sous forme de bilan carbone et aussi d'évaluation du maintien de la biodiversité.

Dans le second cas, il est question de donner un statut de biens communs à des ressources naturelles partagées entre tous les États. Ce concept de « biens communs », autrement dit de ressources partagées et gérées collectivement par une communauté, doit être réactualisé. Si la propriété privée fait figure de pierre angulaire du droit dans un grand nombre de sociétés et d'États depuis deux siècles et constitue aussi une protection avérée pour les personnes, il est aujourd'hui nécessaire de retrouver et de garantir le statut de biens communs à des ressources naturelles. Cette notion existait en droit romain ou encore dans le droit applicable au Moyen Âge et les exemples sont nombreux. Ces biens communs sont autant de biens pour lesquels une réflexion nouvelle et innovante doit être menée en droit pour en garantir l'accès au plus grand nombre, à tous. Au-delà de la définition d'un nouveau statut, c'est aussi une protection renouvelée de l'État de droit au service de la démocratie.

L'APCE a le pouvoir et le devoir d'agir en ces sens.

4. Une vigilance particulière pour les populations vulnérables, les plus exposées
a) La nécessaire lutte contre les inégalités en matière de droit à un environnement sûr, sain et propre

En prolongement du débat joint de la matinée, l'APCE a tenu lors de sa deuxième séance de la journée du 28 septembre un second débat joint sur l'ensemble des répercussions du changement climatique sur les droits humains. Elle a notamment adopté, sur le rapport de Mme Edite Estrela (Portugal - SOC), au nom de la commission sur l'égalité et la non-discrimination, une résolution sur la nécessaire lutte contre les inégalités en matière de droit à un environnement sûr, sain et propre.

Lors de la discussion générale, la rapporteure a mis en exergue que le changement climatique touche un monde caractérisé par de profondes inégalités économiques, sociales ou de genre, notamment. En outre, le dérèglement climatique crée de nouvelles inégalités et vient renforcer les inégalités sociales existantes. Les pays développés ont le devoir d'aider les pays les plus pauvres à gérer les changements climatiques qui les affectent le plus. Si le nombre de catastrophes naturelles est similaire pour l'ensemble des États depuis 1970, le nombre de morts est dix fois plus important dans les pays les plus pauvres.

Selon l'OMS, 23 % des décès en 2012 dans le monde étaient attribuables à des nuisances environnementales, chiffre qui a certainement augmenté au cours de la dernière décennie. Certaines populations sont plus exposées aux effets du changement climatique et ont moins de moyens pour y faire face et s'adapter. C'est le cas notamment des jeunes, des Roms, des peuples autochtones et des femmes.

Un changement de paradigme est urgent dans le droit international et dans les politiques gouvernementales, afin de garantir qu'un environnement sain soit reconnu comme droit humain fondamental. L'élaboration d'un nouvel instrument juridique contraignant pour protéger le droit à un environnement sûr, sain et propre apparaît nécessaire. Jusqu'à présent, la forme que devrait prendre ce texte n'a pas fait l'objet d'un accord ; cependant, un consensus existe sur la nécessité de traduire les droits environnementaux en un corpus auquel les États membres du Conseil de l'Europe pourraient adhérer.

En 1995, à Pékin, lors de la Conférence mondiale sur les femmes, une déclaration indiquait que celles-ci « ont un rôle fondamental à jouer dans l'adoption de modes de consommation, de production et de gestion de ressources naturelles durables et écologiquement rationnels ». Cette même déclaration contenait un point K disposant qu'il est nécessaire d'« assurer une participation active des femmes aux prises de décisions concernant l'environnement à tous les niveaux . »

En tant que vigie des droits humains, de la démocratie et de la règle de droit, le Conseil de l'Europe doit appuyer les efforts de l'Union européenne pour s'assurer que personne n'est laissé sur le chemin.

Au cours des échanges qui ont suivi, Mme Liliana Tanguy (Finistère - La République en Marche) a considéré que la question des inégalités en matière de droit à un environnement sûr, sain et propre est essentielle car la relation entre l'exercice des droits humains et l'environnement s'affirme de plus en plus et le droit à un environnement sain est actuellement inscrit dans plus de cent Constitutions dans le monde entier.

L'APCE préconise un nouvel instrument juridiquement contraignant pour protéger ce droit mais un tel texte devra prendre en considération un ensemble de sources d'inégalités et de discriminations. Une révision de la convention sur la protection de l'environnement par le droit pénal de 1998 pourrait être une première action à mener pour arriver à des résultats tangibles et concrets pour les citoyens.

b) L'examen des interactions entre climat et migrations

Par la suite, au cours de la même séance du 28 septembre, l'Assemblée parlementaire a débattu, sur le rapport de M. Pierre-Alain Fridez (Suisse - SOC), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, d'une résolution examinant les interactions entre le climat et les migrations.

Présentant son travail, le rapporteur a souligné que, selon les rapports successifs du GIEC, à la fin du XXI ème siècle, la hausse du niveau des mers suite à la fonte des glaces, de 50 centimètres à un voire deux mètres, engendrera une catastrophe pour des centaines de millions de personnes vivant au bord immédiat des mers. À l'inverse, les régions du monde qui, déjà aujourd'hui, se trouvent en situation de stress hydrique verront leur situation s'aggraver alors même que beaucoup, à l'instar des pays d'Afrique subsaharienne, verront leur population doubler à l'horizon 2050. Autant dire que la voie sera grande ouverte à des migrations de masse.

Ce phénomène a d'ailleurs déjà débuté. En Afrique en particulier, les migrations climatiques sont essentiellement internes car pour se rendre vers l'Europe, par exemple, il faut des moyens physiques et financiers que ne possède qu'une faible proportion des populations concernées. Demain, des luttes violentes et des conflits sont susceptibles de survenir, entraînant de graves crises humanitaires avec migrations en masse. C'est un cercle vicieux.

Lutter de manière déterminée contre le réchauffement climatique est l'une des actions à entreprendre. Il faut aussi prévenir et anticiper les phénomènes migratoires en établissant des cartographies les plus précises possible des zones et des populations à risque, soit pour anticiper et organiser décemment leurs déplacements, soit pour permettre d'améliorer leur résilience. Cela suppose des efforts et les moyens financiers gigantesques.

Mais les migrants climatiques doivent aussi bénéficier d'un statut ; leur périple vers des terres plus hospitalières doit être encadré et sécurisé. De ce point de vue, ce qui se passe en Méditerranée avec des milliers de morts chaque année est une honte pour le continent européen et la solidarité à l'égard des pays en première ligne apparaît comme une nécessité urgente. Dès lors que l'Europe vieillit, l'immigration peut être perçue comme une opportunité.

La coopération au développement avec les pays de départ doit s'intensifier et, pour ce faire, la création d'un Fonds de solidarité européen, voire mondial, en faveur des questions migratoires serait bienvenue. L'Europe doit être au rendez-vous du défi civilisationnel du dérèglement climatique. Les populations les plus touchées comptent sur la solidarité active des États européens, pour soit les aider à résister sur place, soit pour les accompagner dans leur migration.

5. L'attention à porter aux politiques en matière de recherche en faveur de la protection de l'environnement pour l'avenir

En clôture des thématiques abordées lors de cette journée de débats sur les répercussions du changement climatique sur les droits de l'Homme, l'APCE a, lors de sa seconde séance du 28 septembre, approuvé sur le rapport de M. Olivier Becht (Haut-Rhin - Agir Ensemble) , au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, une résolution et une recommandation concernant l'attention et l'importance à accorder aux politiques publiques en matière de recherche et développement (R&D) pour la protection de l'environnement.

Présentant les conclusions de son travail, le rapporteur a constaté que l'urgence climatique devient une réalité en Europe avec plusieurs centaines de morts, l'été passé, lors de méga-inondations ou de méga-incendies. Il a considéré que l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050 laisse peu de temps pour agir. Alors que la seule solution pour y parvenir est de sortir progressivement des énergies fossiles, le fait est qu'il n'existe aujourd'hui aucune énergie totalement alternative au pétrole et au gaz. Cela signifie qu'il est indispensable d'accroître les efforts pour rechercher et découvrir des énergies nouvelles.

Il y a 120 ans, l'énergie atomique n'avait pas encore été découverte. Il est donc probable qu'existent d'autres sources d'énergie à rechercher et développer.

Pour ce qui concerne les énergies renouvelables, par définition intermittentes, se pose la question du stockage et des matériaux indispensables à cet effet (nickel, terres rares, cobalt, lithium), qui font défaut à l'Europe. À l'image de l'Europe des énergies, structurée en 1950, avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, et en 1957, avec la Communauté de l'énergie atomique, il importe donc de bâtir une Europe des matières premières nécessaires aux énergies renouvelables. Cette démarche pourrait s'appuyer sur un accord partiel portant sur cette question au sein du Conseil de l'Europe, ainsi que sur une banque des ressources stratégiques créée pour gérer ces stocks.

De telles initiatives permettraient de travailler pour la paix en associant largement les États membres, pour anticiper et participer à la prospérité de demain. Une prospérité partagée pour tous et une planète viable pour tous : tels semblent être les premiers des droits de l'Homme du futur. Fidèle à son histoire, le Conseil de l'Europe doit s'engager plus en avant pour le climat, pour la planète, en travaillant sur les énergies renouvelables, en mutualisant les efforts de recherche et en posant les conditions d'un partage des stocks de matières premières indispensables pour les batteries nécessaires aux énergies renouvelables.

Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a souhaité formuler deux propositions concrètes en complément de celles exposées au cours du débat joint.

La première concerne la lutte pour le changement écologique. Les personnes bénéficiant des revenus annuels les plus élevés sont celles qui émettent le plus de CO 2 par an. Si la redistribution économique est indispensable, elle ne saurait suffire, à elle seule, à lutter contre les menaces climatiques et environnementales. Si les États entendent investir dans des infrastructures plus écologiques, il faut aussi faire en sorte que la finance ait la même préoccupation. Or, en l'état, les impacts économiques du réchauffement ne sont pas pris en compte dans les comptabilités d'entreprise, ni dans celle des États. Ils sont donc sous-estimés. Seul le risque financier direct et de court terme est pris en compte. Il en résulte que les institutions financières prêtent à des industries fortement carbonées alors que le discours public est celui d'investir dans la transition écologique. Ce point peut apparaître un peu technique mais il est en fait politique. Il faut donc agir en faveur d'un cadre financier et l'Assemblée parlementaire pourrait utilement travailler sur ce point.

La deuxième proposition porte sur la recherche, notamment publique. La recherche et l'innovation sont au coeur des solutions face au changement climatique et pour la protection écologique. Or, malgré le fait d'être à l'origine de formidables progrès, la recherche-développement ne suffit pas à enrayer la dégradation climatique. Il convient donc d'inscrire le principe d'une recherche de progrès environnemental dans les politiques publiques. Il faut aussi mettre en place de grands programmes de recherche dédiés, en évaluant leurs bénéfices au regard de ceux du développement d'autres technologies plus consommatrices de ressources et porteuses de moins d'avantages socio-économiques. Un tel choix suppose de s'appuyer sur des connaissances scientifiques, sur la transparence des processus, sur la reconnaissance des incertitudes et il suppose aussi l'établissement de scénarios proposant des options, en mettant en évidence ce qui se passe du fait des actions engagées ou non.

Là encore, le Conseil de l'Europe et l'APCE, particulièrement, peuvent proposer, orienter et construire avec les États et leurs sociétés civiles des objectifs et des méthodes utiles à tous.

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