PREMIÈRE PARTIE :
LE SYSTÈME ACTUEL NE PERMET PAS
AUX CITOYENS EUROPÉENS DE SUFFISAMMENT
FAIRE ENTENDRE LEUR VOIX

I. LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DEVRAIENT PERMETTRE AUX CITOYENS EUROPÉENS DE SE FAIRE ENTENDRE

A. LE FONCTIONNEMENT DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES

1. Les règles communautaires applicables
a) L'objectif initial mais jamais atteint d'une procédure uniforme

Bien que le traité de Rome n'ait prévu qu'une assemblée composée de membres des parlements nationaux, il stipulait dans son article 138 que cette assemblée élaborerait un projet en vue de permettre l'élection de ses membres au suffrage universel direct, « selon une procédure uniforme dans tous les États membres ». Le projet devait ensuite être adopté à l'unanimité au Conseil et ratifié par les États membres.

Malgré plusieurs propositions de l'Assemblée parlementaire, la situation demeura bloquée jusqu'au sommet de Paris de décembre 1974, à l'issue duquel les chefs d'État ou de Gouvernement invitèrent formellement l'Assemblée parlementaire à formuler des propositions permettant d'élire ses membres au suffrage universel direct. Celle-ci élabora une proposition en 1975, mais les États membres ne parvenant pas à se mettre d'accord sur une procédure uniforme, l'acte électoral de 19762(*) se limita à définir des principes communs et renvoya aux législations nationales pour le reste. Il réaffirme cependant la perspective d'une procédure uniforme, en prévoyant dans son article 7 que la procédure électorale est régie par des dispositions nationales, « jusqu'à l'entrée en vigueur d'une procédure électorale uniforme ».

Le traité d'Amsterdam (1997) réduit l'ambition en disposant que le Parlement européen élabore un projet permettant d'élire ses membres « selon une procédure uniforme dans tous les États membres ou conformément à des principes communs à tous les États membres » (art. 223 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - TFUE). La perspective d'une procédure commune est donc toujours présente dans les traités.

b) Les principes communs établis par le droit communautaire

Le traité de Maastricht prévoit que les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans (art. 14 du traité sur l'Union européenne - TUE).

L'acte électoral, modifié à plusieurs reprises depuis 1976, prévoit :

- une élection des députés européens au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de 5 ans, conformément au TUE ;

- une élection à la proportionnelle, avec un scrutin de liste - éventuellement préférentiel - ou de vote unique transférable3(*) ;

- un régime d'immunités et d'incompatibilités (notamment avec la qualité de membre d'un parlement national) ;

- la date des élections, sur une période de 4 jours, du jeudi au dimanche, qui permet à chaque État membre d'organiser le scrutin selon ses propres traditions ;

- la possibilité pour les États membres de fixer un seuil minimum pour l'attribution de sièges, qui ne peut pas excéder 5 % des suffrages exprimés ;

- la possibilité pour les États membres de fixer un plafond pour les dépenses de campagne ;

- la possibilité pour les États membres de constituer des circonscriptions, sans porter atteinte au caractère proportionnel du scrutin.

Enfin, depuis le traité de Maastricht, les citoyens européens bénéficient du droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État4(*). Ainsi, en 2019, en France, les listes « Renaissance » et du « Printemps républicain » comptaient respectivement six et sept candidats non-Français ou binationaux5(*).

c) Les apports de la décision du Conseil de 2018, d'un effet limité pour la France

Dans la perspective des élections européennes de 2019, à l'initiative du Parlement européen, le Conseil a adopté en juillet 2018 une décision6(*) complétant l'acte électoral et apportant quelques innovations.

La décision prévoit notamment que les États membres seront tenus, à partir de 2024, pour les circonscriptions élisant plus de 35 eurodéputés, d'instaurer un seuil minimum pour l'attribution de sièges, fixé par chaque État membre entre 2 % et 5 %. La France appliquant déjà un tel seuil, cette mesure est sans effet en ce qui la concerne.

Par ailleurs, la décision du Conseil ouvre des possibilités, non contraignantes. L'article 3 ter en particulier permet de faire apparaître sur les bulletins de vote le nom ou le logo du parti politique européen auquel est affiliée la liste de candidats. Il s'agit ainsi « d'européaniser » le scrutin, en donnant plus de visibilité aux partis politiques européens. En France, les candidats avaient déjà la possibilité de faire figurer « un emblème » sur les bulletins de vote (article L. 52-3 du code électoral). Cette possibilité est peu utilisée, comme le montre le tableau ci-dessous : à peine 6-7 % des listes utilisent ces possibilités. En France, seules deux listes ont fait référence au parti politique européen (le parti socialiste et le front de gauche en 2014). Un seul bulletin a fait référence à un candidat tête de liste (Alexis Tsipras sur la liste italienne « Une autre Europe avec Tsipras » en 2014).

« Européanisation » des bulletins de vote

 

Nombre de listes concernées

Nom ou logo du parti politique européen

Nom ou logo du groupe politique au Parlement européen

Nom du candidat tête de liste soutenu par la liste

Élections de 2014

18 sur 253

(7 %)

12

6

1

Élections de 2019

17 sur 264
(6 %)

11

7

0

Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir des données de l'étude du Parlement européen « Europeanising the elections of the European Parliament : Outlook on the implementation of Council Decision 2018/994 and harmonisation of national rules on European elections », juin 2021

Enfin, la décision autorise les États membres à avoir recours au vote par anticipation, au vote par correspondance, au vote électronique et au vote par internet.

Prise sur la base de l'article 223 du TFUE, cette décision doit être ratifiée par les États membres. La France l'a fait dès 20197(*). À la date du présent rapport, cinq États membres doivent encore le faire : l'Allemagne, la Croatie, Chypre, l'Estonie et l'Espagne8(*). En Allemagne, c'est la mise en place du seuil minimum qui pose des difficultés. En effet, la Cour constitutionnelle a considéré à deux reprises (2011 et 2014) que la mise en place de seuils était inconstitutionnelle, au nom du principe d'égalité devant le suffrage ; il sera donc a priori nécessaire de modifier la Loi fondamentale.

d) La répartition des sièges par État membre

L'article 14 du TUE dispose que le nombre total de députés européens est égal, au maximum, à 751 membres. Après le retrait du Royaume-Uni, le Parlement européen compte 705 membres. La répartition entre États membres est adoptée par le Conseil européen, à l'unanimité, sur proposition du Parlement européen et avec son approbation, selon une « représentation dégressivement proportionnelle »9(*) et avec un maximum de 96 députés pour un État membre. La France dispose de 79 députés, depuis la réattribution en 2018 d'une partie des sièges britanniques.

Nombre de députés européens par État membre

Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir des données du Parlement européen

2. Les règles de droit français applicables

Dans le respect du cadre communautaire, les autres règles des élections européennes sont définies au niveau national par chaque État membre. En France, les élections au Parlement européen sont régies par la loi de juillet 197710(*), modifiée à plusieurs reprises et notamment en 201811(*).

Le mode de scrutin choisi par la France est un scrutin proportionnel avec listes bloquées.

Le seuil minimum pour obtenir des sièges est de 5 %, comme en Lituanie, en Pologne, en Slovaquie, en République tchèque, en Roumanie et en Hongrie. Il est à 4 % en Autriche, en Italie et en Suède, à 3 % en Grèce et à 1,8 % à Chypre. Le seuil de 5 % a été validé par le Conseil constitutionnel12(*), qui a estimé que le législateur avait souhaité « favoriser la représentation au Parlement européen des principaux courants d'idées et d'opinions exprimés en France et ainsi renforcer leur influence en son sein » et « entendu contribuer à l'émergence et à la consolidation de groupes politiques européens de dimension significative », « sans affecter l'égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée ».

La France organise l'élection dans une circonscription nationale unique, après avoir élu ses eurodéputés dans 8 circonscriptions interrégionales entre 2003 et 2018. Tel est d'ailleurs le cas de la grande majorité des États membres. À l'inverse, l'Allemagne, la Pologne et l'Italie ont adopté un système mixte, avec un décompte national des suffrages, mais des dispositifs permettent de prendre en compte des spécificités régionales ; l'Irlande et la Belgique élisent quant à elles leurs eurodéputés dans des circonscriptions régionales ou interrégionales.

Enfin, en France, les listes doivent être composées alternativement d'un candidat de chaque sexe.


* 2 Acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct du 8 octobre 1976.

* 3 Ce système de vote permet à l'électeur d'ajouter d'autres noms de candidats, dans un ordre de préférence ; il aboutit à une répartition proportionnelle.

* 4 Article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

* 5 Ont été élus députés européens M. Sandro Gozi, de nationalité italienne, et Mme Chrysoula Zacharopoulou, de nationalité grecque.

* 6 Décision (UE, Euratom) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976.

* 7 Loi n° 2019-131 du 25 février 2019 autorisant l'approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976.

* 8 Voir l'étude du Parlement européen de juin 2021 précitée, qui retrace précisément les raisons.

* 9 Plus un État est peuplé, plus il dispose de sièges au Parlement européen, mais plus le nombre de députés par habitant de cet État est faible. Ainsi, on compte en Allemagne un député européen pour 866 000 habitants, mais un pour 86 000 habitants à Malte.

* 10 Loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.

* 11 Loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.

* 12 Décision n° 2019-811 QPC du 25 octobre 2019 Mme Fairouz H. et autres.

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