Rapport d'information n° 289 (2019-2020) de Mme Annick BILLON , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 30 janvier 2020

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N° 289

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 janvier 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes (1) sur les travaux de la délégation à l'occasion
du 25 novembre 2019, «
Journée internationale pour l' élimination de la violence à l'égard des femmes »,

Par Mme Annick BILLON,

Sénatrice

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; MM. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Laborde, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Claude Malhuret, Mmes Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol, vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marta de Cidrac et Nassimah Dindar, secrétaires ; M. Guillaume Arnell, Mmes Anne-Marie Bertrand, Christine Bonfanti-Dossat, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Guillaume Chevrollier, Roland Courteau, Mmes Chantal Deseyne, Nicole Duranton, Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul, M. Loïc Hervé, Mmes Victoire Jasmin, Claudine Kauffmann, Valérie Létard, Viviane Malet, Michelle Meunier, Marie-Pierre Monier, Christine Prunaud, Frédérique Puissat et Dominique Vérien.

AVANT-PROPOS

Après la libération de la parole des victimes de harcèlement et de violences sexuelles qui, dans le sillage de Metoo , avait marqué la période 2017-2018, l'année 2019 a été caractérisée par une prise de conscience croissante de la gravité des violences conjugales , fléau dont les trop nombreuses victimes sont des femmes et des enfants .

Ce tournant a été rendu possible par la publication du nombre de féminicides dans les médias, jour après jour depuis le début de 2019. Cette initiative militante d'un collectif Féminicides par compagnon ou ex , qui tient le décompte terrible depuis quelque trois années du nombre de femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon, a permis, à chaque annonce, de donner un visage et un nom à des femmes qui seraient, faute d'une telle démarche, demeurées des statistiques anonymes.

La tragique régularité de ces mises à jour a révélé à nombre de nos concitoyens l'ampleur d'un phénomène longtemps occulté par les termes rassurants de « crime passionnel » ou de « drame conjugal » , euphémismes qui désormais appartiennent à un autre siècle. Parallèlement, le mot « féminicide » est entré dans le vocabulaire courant et dans le dictionnaire, à défaut d'être reconnu par le code pénal.

La délégation a souhaité s'inscrire dans cette prise de conscience en prenant l'initiative d'une tribune pour appeler à une large mobilisation des pouvoirs publics contre les violences conjugales .

Ce texte a été cosigné par 152 sénateurs et sénatrices , de tous les groupes - ce nombre élevé souligne la volonté de nos collègues de participer à cet engagement - et publié le 3 juillet 2019 par un grand quotidien national 1 ( * ) .

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La délégation aux droits des femmes a tenu à faire en sorte que la date symbolique du 25 novembre, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes , soit en cette fin d'année 2019 au coeur de l'actualité du Sénat .

Il lui a paru important de mettre en valeur la mobilisation de l'ensemble de l'institution contre la première des inégalités entre les hommes et les femmes, partout dans le monde et à tous les âges .

Rappelons qu'une résolution de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies datée du 17 décembre 1999 a fait de chaque 25 novembre la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes .

Le 25 novembre 2019 étant le vingtième anniversaire de cette initiative onusienne , cette journée particulière avait une signification spécifique pour notre délégation, qui célébrait elle aussi en 2019 son vingtième anniversaire 2 ( * ) , événement auquel elle a, le 10 octobre 2019, consacré une manifestation ayant permis de revenir sur vingt années d'engagement en faveur de l'égalité femmes-hommes 3 ( * ) .

Trois initiatives 4 ( * ) (sur les violences faites aux femmes en situation de handicap , les violences au sein des couples et les violences subies par les femmes dans les territoires en crise ) ont donc scandé la semaine du 25 novembre 2019 au Sénat.

Par les trois thèmes abordés , ces séquences ont confirmé les constats opérés par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa Déclaration du 20 décembre 1993 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, qui soulignait « avec préoccupation que certains groupes de femmes, dont les femmes appartenant à des minorités, les femmes autochtones, les réfugiées , les femmes migrantes, les femmes vivant dans des communautés rurales ou reculées, les femmes sans ressources, les femmes internées, les femmes détenues, les petites filles, les femmes handicapées , les femmes âgées et les femmes dans des zones de conflit armé , sont particulièrement vulnérables face à la violence ».

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Le lundi 25 novembre 2019, une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution a été déposée pour appeler le Sénat à se mobiliser contre les violences faites aux femmes en situation de handicap . Ce texte a constitué l'aboutissement du travail réalisé par la délégation dans le cadre du rapport d'information Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! , présenté par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien et adopté à l'unanimité le 3 octobre 2019.

La délégation a souhaité inscrire à son agenda cette question complexe et à bien des égards taboue après avoir été alertée par des témoignages concordants laissant présumer une exposition particulière des femmes en situation de handicap aux violences , des acteurs de terrain s'étant déclarés inquiets de la situation de ces « oubliées des politiques publiques de la lutte contre les violences faites aux femmes ».

Le rapport adopté le 3 octobre 2019 avait donc conclu, entre autres orientations, à la nécessité de prendre en compte le handicap dans l'ensemble des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes et, inversement, appelle à intégrer la dimension de l'égalité femmes-hommes à toutes les politiques du handicap .

La proposition de résolution déposée le 25 novembre 2019 par Annick Billon, présidente, et par les quatre co-rapporteurs, a été cosignée par 153 autres sénateurs de tous les groupes, soit un total de 158 assez considérable pour être souligné.

Adopté en séance publique le 8 janvier 2020 , ce texte est devenu la Résolution du Sénat pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap .

L' unanimité qui a caractérisé ce vote rappelle l'adoption, dans les mêmes conditions, le 14 mars 2019, de la proposition de résolution pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants , les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines , dont Annick Billon, présidente, avait pris l'initiative et qui avait été cosignée par 129 sénateurs .

Lors de la célébration du vingtième anniversaire de la création de la délégation, le 10 octobre, Gérard Larcher, président du Sénat, avait d'ailleurs mentionné la « capacité [de la délégation] à mobiliser notre institution pour défendre les droits des femmes face [aux] violences ».

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Le deuxième événement organisé à l'occasion de la journée du 25 novembre se situait dans la logique du Grenelle de lutte contre les violences conjugales mis en place le 3 septembre 2019 par le Gouvernement pour réagir au nombre alarmant de « féminicides ». Ce processus a conduit, le 25 novembre 2019, à diverses annonces telles que l'ouverture sans interruption du numéro d'urgence 3919, la création de nouveaux postes d'intervenants sociaux dans les postes de police et de gendarmerie ou le renforcement de l'effort en matière d'hébergement des victimes de violences.

S'agissant des mesures législatives attendues , les conclusions du Grenelle concernent notamment la reconnaissance du phénomène de suicide forcé, la possibilité pour les professionnels de santé de lever le secret médical en cas de danger immédiat pour la victime ainsi que la suspension de l'autorité parentale des parents violents (sur ce dernier point, la délégation relève que le Gouvernement s'est déclaré défavorable aux amendements déposés en ce sens par certains de ses membres lors de la discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille 5 ( * ) ; ces amendements ont donc été rejetés par le Sénat).

Souhaitant entendre sur les violences conjugales le point de vue d' interlocuteurs rarement sollicités sur ce sujet, la délégation a rassemblé, le 26 novembre 2019, des représentants des cultes et des courants philosophiques dont la réflexion avait été absente du Grenelle . Compte tenu de sa date, cette table ronde a permis aux intervenants de réagir aux annonces rendues publiques la veille par le Gouvernement.

Comme l'a fait observer Annick Billon, présidente, en ouvrant ces échanges, il s'agissait, sur ce sujet, d'une réunion « sans précédent » alors que ces institutions sont régulièrement sollicitées « lorsque le Parlement débat de sujets concernant la famille ou la bioéthique » et que, par les contacts privilégiés qu'elles entretiennent avec de nombreuses personnes, hommes et femmes, de générations très diverses, leur point de vue sur les violences au sein des couples, « fléau qui [...] n'est ni une question de milieu, ni une question de culture », est important.

Cette initiative peut être rapprochée du colloque organisé avec la Conférence des responsables de cultes en France, en mai 2015, en amont de la COP 21, sur Le climat : quels enjeux pour les religions ?

La table ronde du 26 novembre 2019, unanimement appréciée et d'une rare richesse, a confirmé une détermination partagée , commune à tous ces acteurs, de faire avancer la lutte contre ces violences .

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La troisième manifestation ayant marqué la célébration au Sénat de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes a consisté en une table ronde, le jeudi 28 novembre 2019, sur les violences faites aux femmes dans les territoires en crise .

Cette réunion, inscrite à l'ordre du jour de la délégation à la demande de Claudine Lepage, vice-présidente, s'inscrivait à la suite du rapport d'information de la délégation intitulé Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d'être des armes de guerre , publié en décembre 2013 6 ( * ) dans un contexte encore très marqué par la guerre en ex-Yougoslavie et dominé par la tragique actualité des viols de guerre en République centrafricaine.

Six ans après la première réflexion conduite sur ce sujet particulièrement grave, on ne saurait dire que la situation des victimes se soit réellement améliorée ni que cette barbarie, qui s'attaque à des proies de tous âges, ait régressé . Ce constat fait ressortir à la fois la triste constance des violences faites aux femmes partout dans le monde, et le courage admirable des acteurs qui s'engagent contre de tels fléaux .

À cet égard, la délégation ne peut que rappeler l'action exemplaire de Denis Mukwege , lauréat du prix Nobel de la paix 2018, qui a consacré sa vie à soigner les femmes mutilées par les violences sexuelles.

Ce combat montre l' imbrication de toutes les formes de violences faites aux femmes et toutes les manifestations des inégalités entre les hommes et les femmes : comme l'a souligné le Dr Mukwege lors d'une conférence prononcée le samedi 30 novembre 2019 à l'Hôtel de Ville de Paris 7 ( * ) , l'utilisation du viol comme arme de guerre a pour racine « le mépris dont les femmes ont été victimes au cours des siècles ». Qu'il s'agisse du temps de paix ou des périodes de guerre, les violences sexuelles subies par les femmes sont liées à un enseignement séculaire de l'infériorité de la femme.

Au constat de l'utilisation du viol comme arme de guerre à des fins de « nettoyage ethnique », observée en ex-Yougoslavie et en RDC, il a estimé que la situation en Iraq avait ajouté le fléau de l'esclavage sexuel dont témoignait, entre autres manifestations, la vente de Yézidies, telles des « marchandises » sur un « étal de marché ». « Où est notre humanité ? », s'est-il interrogé.

Attirant l'attention du public sur le rôle de la tradition , M. Denis Mukwege a appelé à remplacer les « théologies misogynes » par des « théologies de l'estime de la femme » : nul mieux que lui ne pouvait faire le lien entre la table ronde du 26 novembre et celle du 28 novembre 2019 .

Parmi ses conclusions, le Dr Denis Mukwege a plaidé pour que les « souffrances indescriptibles » des femmes victimes de ces viols, « nos soeurs, nos mères, nos filles », soient mieux connues grâce à un travail de plaidoyer dont il a souligné l'importance. Telle est, entre autres ambitions, l'objet de ce recueil, dont la publication a été autorisée à l'unanimité par la délégation le 30 janvier 2020, sous l'intitulé 25 novembre 2019 : la lutte contre les violences faites aux femmes au coeur de l'agenda du Sénat .

I. LES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION À L'OCCASION DE LA JOURNÉE INTERNATIONALE POUR L'ÉLIMINATION DE LA VIOLENCE À L'ÉGARD DES FEMMES

A. UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION POUR DÉNONCER ET AGIR CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES EN SITUATION DE HANDICAP DÉPOSÉE LE 25 NOVEMBRE 2019

Annick Billon, présidente de la délégation, Chantal Deseyne, Roland Courteau, Françoise Laborde et Dominique Vérien ont souhaité prendre l'initiative d'une proposition de résolution faite dans le cadre de l'article 34-1 de la Constitution, pour tirer les conclusions du rapport Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! 8 ( * ) adopté à l'unanimité par la délégation le 3 octobre 2019.

Ce texte a donné lieu le 21 novembre à un échange de vues au sein de la délégation 9 ( * ) , qui a invité ses auteurs à le déposer à la date symbolique du 25 novembre.

Les violences faites aux femmes en situation de handicap ont fait l'objet d'un groupe de travail dédié dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales 10 ( * ) , qui a débouché sur des annonces concrètes en ce domaine.

La proposition de résolution a été discutée en séance publique le 8 janvier 2020 et adoptée à l'unanimité par le Sénat .

Il était important que la délégation prenne toute sa part dans ce débat et qu'elle rappelle aussi son intérêt précoce et son apport spécifique à cette question particulièrement grave .

La ministre a d'ailleurs salué cette « initiative transpartisane et consensuelle, sur un sujet longtemps tabou mais qui devient prégnant dans notre société ». 11 ( * )

La délégation tient à saluer le fait que, parmi les dix orateurs s'étant exprimés dans la discussion générale au titre des groupes politiques, sept d'entre eux étaient des membres de la délégation aux droits des femmes : Claude Malhuret (Les Indépendants), Dominique Vérien (UC), Chantal Deseyne (Les Républicains), Roland Courteau (SOCR), Françoise Laborde (RDSE), Loïc Hervé (UC) et Nicole Duranton (Les Républicains) 12 ( * ) . En outre, la présidente Annick Billon a bénéficié d'un temps de parole institutionnel de dix minutes, ce qui a contribué à renforcer la visibilité de la délégation dans cette circonstance.

La résolution reprend les axes forts des recommandations du rapport de la délégation, qu'il s'agisse de la nécessité de mieux connaître le phénomène par des études régulièrement actualisées, d'intensifier la formation et la sensibilisation des différents acteurs susceptibles d'être au contact de femmes en situation de handicap victimes de violences, de renforcer l'autonomie professionnelle et financière de ces femmes et de progresser dans leur accès aux soins , notamment gynécologiques, ainsi que dans l'accessibilité de la chaîne judiciaire et des lieux d'hébergement d'urgence .

Lors de la discussion en séance, la plupart de ces thèmes ont d'ailleurs été mis en exergue par les différents orateurs.

Annick Billon a fait valoir que « les violences peuvent être à la fois la cause et la conséquence du handicap » car, « si le handicap accroît pour une femme ou une fille le risque de subir des violences, inversement il peut aussi être la conséquence des violences subies ». Elle a également souligné le constat inquiétant selon lequel « les violences qui menacent les femmes en raison de leur handicap ne leur laissent aucun répit », pouvant être le fait « de l'entourage institutionnel ou familial ».

Enfin, elle a appelé à une mobilisation de moyens substantiels pour garantir une prise en charge adaptée des victimes quels que soient les territoires : « les moyens humains et financiers doivent être déployés dans tous les territoires pour prévenir, former, informer, accompagner et soigner. Je précise bien dans tous les territoires : en France métropolitaine et dans les outre-mer, dans les grandes villes et dans les territoires ruraux, car la violence n'a pas de frontière ».

Pour sa part, Dominique Vérien a insisté sur le besoin de statistiques afin de mieux appréhender les violences faites aux femmes en situation de handicap, et donc de mieux les combattre : « Il nous faut donc des chiffres, car comment construire une politique publique sur un sujet dont on ne maîtrise ni la fréquence, ni l'ampleur, ni les différentes dimensions, qu'elles soient psychologiques sexuelles, conjugales ou économiques ? ».

Nicole Duranton a elle aussi pointé le manque de statistiques et plaidé pour améliorer la situation dans ce domaine : « Il est nécessaire de mieux relier les indicateurs de “ violence ” et de “ handicap ” dans la prise en charge institutionnelle et légale des victimes, afin d'obtenir des bases statistiques qualifiant et quantifiant mieux les faits ».

Chantal Deseyne a souligné l'importance de l'autonomisation économique des femmes en situation de handicap pour les soustraire aux violences, déplorant à cet égard la « surdiscrimination dans l'emploi » des femmes handicapées : « Ces femmes sont d'autant plus fragiles et vulnérables qu'elles se trouvent bien souvent dans une situation de dépendance économique : elles ont du mal à poursuivre des études, à trouver un emploi et à évoluer dans leur carrière professionnelle ». « Le renforcement de l'autonomie professionnelle est l'un des facteurs clés pour prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap », a-t-elle conclu.

Dans le même esprit, Claude Malhuret a mis l'accent sur l'urgence d'améliorer l'accès à l'éducation des personnes en situation de handicap et de favoriser l'inclusion de ces personnes , et notamment des femmes autistes : « De nombreux témoignages font part des difficultés d'accès à l'éducation, pour ces femmes, dès le plus jeune âge (...). L'accès à l'éducation est un pilier de notre République (...) Il est important de mettre ici en lumière la situation, dans le milieu du travail, des femmes atteintes d'autisme, dont les témoignages appellent à l'urgence d'un meilleur dépistage ».

Roland Courteau a rappelé son engagement contre les violences faites aux femmes, qu'il a qualifié de « fil conducteur de son parcours d'élu ». Il a déploré le tabou qui entoure les violences faites aux femmes en situation de handicap et qui tend à marginaliser toujours plus ces victimes : « Deux adjectifs ont émergé des témoignages que nous avons entendus au cours de notre travail : “ oubliées ” et “ invisibles “. Il faut y ajouter “ inaudibles ”, car à toutes les violences que subissent ces femmes, s'ajoute la violence qui résulte d'une parole presque toujours mise en doute, au nom de leur handicap, comme si leur identité pouvait être réduite à celui-ci ».

Il a souligné que la formation des professionnels était un facteur décisif d'une prise en charge efficace des femmes handicapées victimes de violences, notamment pour favoriser la libération de la parole : « Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, une formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Plus particulièrement, la méconnaissance des symptômes du psychotrauma par de nombreux praticiens conduit des professionnels à passer à côté d'une situation de violence ».

Loïc Hervé a également souhaité mettre l'accent sur la formation des professionnels : « Les différentes lacunes que j'ai relevées aujourd'hui nous conduisent à recommander un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématique du handicap ».

Françoise Laborde a centré son intervention sur la question de l'accès aux droits et de la citoyenneté , rappelant l'importance de « considérer les personnes en situation de handicap non comme des “ objets de soin ”, mais comme des “ sujets de droit ” ». Elle a notamment déploré l'accès aux soins encore très insuffisant des femmes en situation de handicap - particulièrement s'agissant de la prévention des cancers gynécologiques - alors qu'il s'agit pourtant d'une « condition nécessaire à leur dignité ». « L'accès aux soins et aux dépistages des cancers féminins est un droit qui ne peut être enlevé aux femmes en situation de handicap », a-t-elle affirmé, en concluant « qu'il est de notre devoir de garantir la citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement ».

La discussion en séance de la proposition de résolution a également été l'occasion de mettre en perspective les propositions du Gouvernement dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales .

Selon Claude Malhuret, « les conclusions et les mesures dévoilées lors du Grenelle contre les violences conjugales constituent une avancée, qui doit être poursuivie ».

Pour sa part, Roland Courteau s'est interrogé sur la pertinence de certaines annonces , s'agissant par exemple de la « formation en ligne certifiante s'adressant aux professionnels des établissements et services médico-sociaux » dont il a déploré le « manque d'ambition » par rapport à un « réel apprentissage », plus adapté selon lui à « la complexité et la sensibilité de la question ».

Présentant les mesures envisagées par le Gouvernement pour renforcer la prévention des violences dans le secteur médico-social , Sophie Cluzel a fait valoir que « La plus grande vigilance [serait] exigée des autorités de contrôle sur l'identification et le traitement sans délai des violences ».

Elle a par ailleurs indiqué qu'il serait rappelé « à l'ensemble des établissements et services médico-sociaux la nécessité absolue du respect de l'intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées ».

En matière de santé , la ministre a indiqué son souhait « d'assurer une fluidité et une accessibilité du parcours de santé, de renforcer la prévention - une tumeur détectée chez une femme vivant dans un établissement médico-social est en moyenne dix fois plus grosse que celle d'une femme suivie en ville [...] - et la coordination des soins », ainsi que de « favoriser au maximum le droit commun et le libre choix ».

Le débat sur la proposition de résolution relative aux violences faites aux femmes en situation de handicap a été marqué par un grand consensus , comme en témoigne la conclusion de la ministre : « Vous pouvez donc compter sur le Gouvernement pour se tenir aux côtés de la chambre haute chaque fois que se présentera l'occasion de faire avancer la cause qui nous réunit aujourd'hui, celle des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière ».

Ce consensus a été renforcé par l' adoption de ce texte à l'unanimité , qui constitue par ailleurs un symbole fort de la capacité de la délégation à mobiliser le Sénat .

Compte tenu de la sensibilité d'un sujet de surcroît longtemps demeuré tabou, on ne peut que saluer ce résultat.

B. LA TABLE RONDE ASSOCIANT DES REPRÉSENTANTS DES CULTES ET DES COURANTS PHILOSOPHIQUES À LA RÉFLEXION DE LA DÉLÉGATION SUR LES VIOLENCES CONJUGALES (26 NOVEMBRE 2019)

Ouvrant cette séquence importante, Annick Billon, présidente, a estimé que les institutions invitées à participer à la réflexion de la délégation sur les violences conjugales pouvaient jouer un rôle non négligeable dans la lutte contre ce fléau, qu'il s'agisse de favoriser auprès des jeunes une culture de l'égalité, d'aider les victimes, d'intervenir auprès des auteurs de violences ou de contribuer à une large prise de conscience de la gravité de ces violences.

1. Un engagement partagé contre les violences conjugales

Tous les participants à la table ronde ont dénoncé avec force des violences jugées unanimement inacceptables . Parallèlement à cette condamnation sans équivoque, les représentants des cultes ont contesté sans ambiguïté toute interprétation des textes religieux qui tendrait à légitimer ces comportements .

La délégation salue cette unanimité.

Valérie Duval-Poujol, théologienne, docteure en histoire des religions et vice-présidente du conseil d'administration de la Fédération protestante de France, que la délégation avait entendue avec grand intérêt en janvier 2016 lors d'une table ronde intitulée L'égalité femmes-hommes contre les extrémismes religieux 13 ( * ) , a ainsi déploré que « dans certains milieux protestants fondamentalistes, la violence au sein des couples [puisse] être excusée, légitimée, au travers de lectures erronées de certains textes bibliques », regrettant qu'« avec cette compréhension abusive des textes , on enseigne à la femme de rester soumise en toutes circonstances, encourageant le pardon à l'infini, le renoncement, l'acceptation de la violence par le “ chef du couple, chef du foyer ”, ce qui implique soumission à ses ordres, a ses désirs, à ses interdits, à ses demandes, jusqu'au viol conjugal répété ».

Pour la représentante de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, Andrea Ionescu, « Il n'y a aucune forme de cautionnement de la violence conjugale dans l'orthodoxie ».

« Il n'y a pas d'excuse pour ces violences ! », a estimé dans le même esprit Haïm Korsia, Grand rabbin de France, qui a évoqué les « nombreuses illustrations de cet interdit dans le Talmud ». « Il faut donc oser poser la question de l'inadéquation de certaines interprétations », a-t-il fait valoir.

Dans un esprit comparable, le document adressé à la délégation par le Docteur Dalil Boubakeur, alors recteur de la Grande Mosquée de Paris 14 ( * ) , empêché d'assister à cette table ronde, qualifie les violences conjugales de « mortifères » et considère ces comportements comme la « honte et l'infériorité primale de l'homme ». Il estime que les « séquelles indélébiles » que ces violences « engendrent chez les rescapées, dans leurs familles et dans la société tout entière » doivent engager « tous les cultes » à les « prévenir et à les combattre ». Selon ce texte, « le message du Prophète de l'Islam, qui s'adresse à tous, hommes et femmes, fut souvent dévoyé en instrument de domination masculine ».

Dominique Blanchet, évêque de Belfort-Montbéliard et vice-président de la Conférence des évêques de France (CEF), a pour sa part mentionné l'« implication ancienne » de l'Église catholique « face à ce fléau ». Il s'est référé, pour la période, à une publication de la CEF de 2003 intitulée Les violences envers les femmes . « Jusqu'à quand ces victimes seront-elles abandonnées à leur souffrance, réduites au silence, spoliées de leur désir de vivre ? », s'interroge la CEF dans ce document.

Les représentants des cultes ont également, à l'instar de Monseigneur Blanchet, estimé que cette rencontre au Sénat constituait pour eux une occasion opportune d'avancer des pistes de réflexion pour progresser dans la lutte contre ces violences : « C'est aussi l'occasion de nous interroger sur notre responsabilité, aujourd'hui, pour travailler à cette volonté d'éradiquer ce fléau ».

« Les autorités religieuses ne sauraient s'exonérer de leur responsabilité dans ce domaine », a confirmé le Grand rabbin de France.

Parmi les initiatives des cultes pour contribuer à la lutte contre les violences conjugales et à l'aide aux victimes, Valérie Duval-Poujol a commenté les actions de formation récemment mises en place sous l'égide de la Fédération protestante de France à l'attention des pasteurs et des responsables religieux , notant que la nature de l'emprise et la compréhension du « cycle de la violence conjugale », avec ses conséquences sur les enfants, n'étaient « pas vraiment abordés dans les facultés de théologie ». Ces formations portent leurs fruits : les pasteurs qui les ont suivies « arrêtent de vouloir faire de la médiation et de la réconciliation en cas de violences conjugales », a-t-elle fait observer, entre autres progrès favorisés par cette initiative.

Oranne de Montort, responsable du Pôle famille au sein du Service national Famille et société de la Conférence des évêques de France, a évoqué la nécessité de former les « personnes en responsabilité » dans l'Église catholique à l'accompagnement et au soutien des victimes , en les invitant à relayer « les lieux ressource comme le 3919 », mais aussi en les informant des « aspects juridiques » des violences et des « possibilités thérapeutiques » qui peuvent être proposées aux victimes.

Le Grand rabbin de France a lui aussi jugé important que l'on parle de ces violences à l'école rabbinique.

Dans un esprit similaire, le recteur de la Grande Mosquée de Paris estime, dans le document adressé à la délégation, qu'il revient à l'imam de « renseigner la victime » sur ses droits et de « la diriger vers les services éducatifs, sociaux, médicaux, policiers et judiciaires compétents ».

Ce texte renvoie par ailleurs « à l'application essentielle de la loi », ce qui suppose que ces responsables reçoivent une formation leur permettant d'orienter efficacement les victimes qu'ils peuvent être conduits à recevoir.

Ce point de vigilance renvoie à un précédent constat de la délégation sur l'indispensable formation des ministres du culte et des cadres religieux à l'égalité entre femmes et hommes , qui faisait partie des conclusions du rapport d'information précité La laïcité garantit-elle l'égalité entre femmes et hommes ? 15 ( * ) .

Une autre responsabilité des religieux en lien avec la lutte contre les violences conjugales tient à la préparation au mariage et à la célébration de celui-ci . Ce point a été relevé notamment par le Grand rabbin de France. Oranne de Montort, responsable du Pôle famille au sein du Service national Famille et société de la CEF, a estimé à 50 000 le nombre de couples préparés chaque année au mariage catholique, les animateurs insistant à cette occasion sur « le refus absolu de la violence, y compris de la violence sexuelle » : « Il ne peut y avoir de relations sexuelles sans consentement à l'intérieur du mariage, défendent les catholiques », a-t-elle conclu.

La séparation et le divorce ont également été présentés comme une contribution à la protection des victimes dans le contexte de violence.

Le président de la Fédération protestante de France, M. François Clavairoly, a rappelé que le message protestant s'appuyait sur la « possibilité, au nom de la liberté du sujet et au nom de l'individu, [...] de se disjoindre de l'époux ». Renvoyant au Talmud, le Grand rabbin de France a estimé que « c'est pour la vie que [le mariage] a été instauré, pas pour la souffrance » : rompre une union est donc possible en cas de violences.

De même, les représentants de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France ont-ils estimé que la « faillite d'une union » pouvait conduire au divorce, la reconnaissance par l'orthodoxie d'un deuxième, voire d'un troisième mariage étant le « signe de la compréhension de la faiblesse humaine ».

Dans le contexte catholique, l'indissolubilité du mariage semble toutefois induire une approche différente du divorce, puisque celui-ci, comme l'a relevé notre collègue Laurence Rossignol, rend impossible le remariage religieux de ceux qui ont divorcé civilement, ce qui « donne à ces personnes une position un peu à part dans leur communauté ». De fait, Dominique Blanchet, vice-président de la Conférence des évêques de France, a évoqué la situation de femmes catholiques qui taisent d'éventuelles violences pour « sauver leur mariage ».

L'évêque de Belfort-Montbéliard s'est cependant référé à l'évolution du droit canon qui, après avoir considéré la séparation comme légitime dans certains cas en 1983, se réfère à sa « nécessité morale » depuis la publication de l'Exhortation apostolique La joie de l'amour en 2016 : « Ce texte fait autorité aujourd'hui sur la question du mariage et de la famille. Il réaffirme que la séparation en cas de violence envers le conjoint et/ou les enfants peut devenir une “ nécessité morale ” », l'indissolubilité du mariage pouvant être selon Monseigneur Blanchet un « piège véritablement lorsque la violence n'est pas dénoncée ». Selon le vice-président de la Conférence des évêques, le prêtre accueillant une victime de violences peut donc encourager celle-ci à envisager la séparation. Monseigneur Blanchet a également mentionné l'hypothèse de la déclaration de nullité d'un mariage, qui serait possible dans le contexte de violences et sous certaines conditions.

S'agissant des auteurs de violences , le Grand rabbin de France a enfin évoqué les sanctions susceptibles d'être adoptées dans le cadre spécifique de la religion, pour que s'exerce à leur encontre une « pression collective » forte.

De même, Benoît Graisset-Recco a-t-il fait état, pour le Grand Orient de France (GODF), de « protocoles pour faire la lumière sur de telles situations et prendre les dispositions qui s'imposent » : « nous avons dû nous séparer d'un adhérent dont le comportement était tout à fait condamnable de ce point de vue », a-t-il mentionné.

Parmi les mesures destinées à favoriser la prise de conscience de ces violences et à sensibiliser à leur gravité , Valérie Duval-Poujol a évoqué la campagne des « jeudis en noir » ainsi que l'initiative Une place pour elles , qui consiste à désigner, dans une assemblée ou un lieu public, un siège symbolisant la place que devrait pouvoir occuper toute victime de violences : « cette femme aurait dû être là parmi nous, mais elle est morte sous les coups de son mari, de son conjoint, de son ex ». « Cette initiative aconfessionnelle se révèle être un excellent moyen de sensibilisation, de libération de la parole », a-t-elle poursuivi, relevant qu'à la dernière assemblée générale de la Fédération protestante de France, Une place pour elle avait été matérialisée à côté du président, sur l'estrade 16 ( * ) .

Soulignant par ailleurs l' importance de l'accueil et de l'hébergement des victimes , les représentants de la Conférence des évêques de France ont mentionné, s'agissant des structures soutenues par l'Église catholique, l'action de certaines congrégations telles que les Apprentis d'Auteuil , Valérie Duval-Poujol se référant, pour le protestantisme, à la Fondation de l'Armée du salut et au CHRS Le Home de Strasbourg. La nécessité d'un engagement pour assurer accueil et protection aux enfants a, dans la même logique, été unanimement relevée, le Grand rabbin de France renvoyant, s'agissant du judaïsme, à l'action d'associations telles que l' OEuvre de secours aux enfants .

2. Les suites du Grenelle de lutte contre les violences conjugales : des points de vigilance exigeants

S'agissant des orientations définies à l'issue du Grenelle , divers points ont plus particulièrement donné lieu à débat.

La question des moyens et celle de leur insuffisance au regard des enjeux ont été à plusieurs reprises soulignées, Annick Billon, présidente, soulignant le risque d'inégalité entre les territoires susceptible de résulter, par exemple, du projet relatif à la création de deux centres d'hébergement pour auteurs de violences par région, annoncé le 25 novembre 2019 : « cela suppose que les régions investissent dans ces structures à hauteur de 50 % », a-t-elle noté. « Or on sait que les collectivités ont des budgets contraints. Faute d'une volonté politique équivalente dans toutes les régions, il y aura donc des inégalités territoriales ».

Odile Leperre-Verrier, intervenant au nom du Grand Orient de France (GODF), a estimé que les conclusions du Grenelle présentées par le Gouvernement le 25 novembre 2019 « allaient certainement dans le bons sens, si les moyens suivent ».

Brigitte Nabet, présidente de la Commission nationale des droits des femmes de la Grande Loge féminine de France (GLFF), a toutefois exprimé des doutes sur ce point, déplorant que les mille logements d'urgence annoncés le 25 novembre 2019 « correspondent à peine aux besoins identifiés dans [sa] région, la Nouvelle-Aquitaine » .

Divers intervenants ont cité en exemple l'Espagne : la représentante du GODF, Odile Leperre-Verrier, a mentionné la disproportion flagrante entre le nombre de femmes bénéficiant d'une ordonnance de protection en Espagne et en France . La vice-présidente de la Grande Loge féminine de France (GLFF), Brigitte Cabrolier, a appelé à l'élaboration d'une loi-cadre sur les violences , « comme en Espagne, avec un budget adapté ». Notre collègue Max Brisson s'est lui aussi, en tant qu'« élu d'un département voisin », référé au « retard » qu'accuse la France par rapport à ce pays. Il s'est interrogé, à un moment où l'ordre du jour du Sénat était centré sur la discussion du projet de loi de finances pour 2020, sur l'incohérence consistant à « ériger des “causes nationales” sans leur donner de moyens ».

Face au précédent espagnol, les représentants de la GLFF et du GODF ont souligné les insuffisances pointées par le récent rapport du GREVIO 17 ( * ) s'agissant des dispositifs de lutte contre les violences déployés par la France, la vice-présidente de la GLFF relevant entre autres « dysfonctionnements » la correctionnalisation fréquente du crime de viol, la « faiblesse du système des ordonnances de protection » ou « l'insuffisance des hébergements spécialisés, des lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation ».

Pour sa part, Brigitte Cabrolier a, au nom de la GLFF, mis en perspective le coût très élevé des violences pour la société en France (évalué à 3,6 milliards d'euros par an) et les moyens selon elle insuffisants qui sont consacrés à cette politique publique.

L'insuffisance des moyens a également été évoquée par la vice-présidente de la Fédération Française du Droit Humain (FFDH) qui, « convaincue que les violences ne sont absolument pas une fatalité », espérait du Grenelle « plus de moyens humains et financiers » : « le compte n'y est pas », selon elle. Viviane Villatte a ainsi déploré que le Gouvernement « se défausse [trop souvent] sur les associations sans augmenter leurs subventions en cohérence avec les missions qui leur sont confiées ».

Dans un registre similaire, le président de la Fédération protestante de France s'est élevé contre « la contraction des budgets sociaux, des dotations aux structures - oeuvres, fondations, associations - qui travaillent sur les violences ».

Notre collègue Françoise Laborde s'est déclarée sensible à ces alertes : « Vous pouvez compter sur nous pour relayer vos inquiétudes et plaider pour une hausse des moyens », a-t-elle indiqué.

La situation des enfants , qui par leur exposition aux violences au sein des couples en sont eux aussi les victimes , a été évoquée par tous. La vice-présidente de la GLFF a, parmi les orientations à promouvoir pour lutter contre les violences, tout particulièrement mentionné la « suppression de la garde alternée des enfants en cas de divorce s'il y a eu des violences », rejoignant une conviction de la délégation sur les dangers de la résidence alternée dans ce contexte.

Pour la Fédération Française du Droit Humain, la question de la vulnérabilité des enfants aux violences conjugales va de pair avec celle de l' autorité parentale . Odile Leperre-Verrier a, au nom du GODF, appelé à une « déchéance automatique en cas de féminicide ». Elle a insisté sur la nécessité, pour les magistrats, d'avoir conscience que l'autorité parentale est « pour un père violent le moyen de maintenir son emprise et sa domination sur sa famille ».

Le Grand rabbin de France a pour sa part fait valoir que « celui qui frappe son conjoint est inapte à être parent » et qu'« un conjoint violent n'est pas un bon père ».

Les questions relatives au secret médical et au secret professionnel ont fait l'objet d'un débat nourri.

En ce qui concerne le secret médical, dont la possible levée a émergé du Grenelle , les positions ont été contrastées . Le GODF a affirmé son opposition à une telle évolution dans le contexte de violences conjugales, estimant que l'« on ne signale pas une femme victime de violences comme on signale un enfant maltraité » : « ce serait l'infantiliser », selon Odile Leperre-Verrier, qui a insisté en revanche sur les progrès susceptibles de résulter d'outils de la chaîne pénale tels que l'ordonnance de protection, le bracelet anti-rapprochement et le téléphone grave danger. De plus, a-t-elle poursuivi, « je n'ai pas nécessairement le sentiment que la question a été centrale dans les affaires de féminicides ». La Grande Loge féminine a, en revanche, plaidé en faveur de la levée du secret médical, la vice-présidente de la commission nationale des droits des femmes affirmant que « sur la question du secret médical, il s'agit de sauver une vie : on est bien dans la logique du serment d'Hippocrate ! ». Pour la Fédération Française du Droit Humain, si la levée du secret médical est nécessaire dans le cas de personnes handicapées ou de « mineurs n'ayant pas les moyens de s'exprimer », les situations de violences conjugales posent la question du « droit moral de trahir son patient, d'aller contre sa volonté » : « définir une obligation générale de dénoncer ces violences, c'est aussi détruire la relation avec le patient, et pour tout dire la confiance ».

À la demande de notre collègue Françoise Laborde, vice-présidente, ce débat a été étendu au secret de la confession . Le représentant de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France a insisté sur la nécessité en la matière d'un « secret absolu ». Le « paradoxe » du secret de la confession a été résumé par Monseigneur Blanchet : « c'est le secret de la confession qui permet la parole ». Toutefois, cette obligation n'empêche pas le prêtre de « conseiller aux gens de prendre des mesures nécessaires pour se protéger », selon le représentant de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France. « Dans le cadre de cet échange, nous pouvons conseiller la personne qui se confie », a confirmé le vice-président de la Conférence des évêques de France. Faisant notamment allusion au recours au 3919, il a souligné que ces conseils pouvaient être l'occasion, en dépit du contexte confidentiel de la confession, de communiquer aux personnes, dans ces circonstances, « les protocoles républicains » .

Pour Grégoire Catta, prêtre, directeur du Service national Famille et société au sein de la CEF, le secret de la confession ne recouvre pas toutes les situations de violence dont des prêtres peuvent avoir connaissance dans le cadre de leur ministère. Il a fait valoir que les gens s'adressaient aux prêtres le plus souvent en dehors du contexte spécifique de la confession, dans un « cadre beaucoup plus large » et dans une « logique d'accompagnement spirituel » qu'il a jugés comparables au secret professionnel .

À cet égard, le Grand rabbin de France a estimé que le signalement de « tout comportement illégal soit envers un enfant soit envers le conjoint » relevait du devoir des rabbins .

Enfin, une vigilance particulière à l'égard de la situation dans les outre-mer a été exprimée par divers intervenants, notamment les représentants de la Fédération Française du Droit Humain. Oranne de Mautort a pour sa part fait référence à une déclaration des évêques catholiques des Caraïbes publiée en 2015 pour inviter à « mettre fin à la culture du silence ». Valérie Duval-Poujol, vice-présidente du conseil d'administration de la Fédération protestante de France, a fait état de témoignages relatifs à la situation dans les outre-mer où « le travail dans ce domaine semble encore plus urgent », selon elle.

La situation des femmes handicapées fait par ailleurs partie des préoccupations exprimées par la représentante de la Fédération Française du Droit Humain, rejoignant ainsi les réflexions de la délégation sur ce sujet 18 ( * ) .

***

Au terme de ces échanges, la délégation observe donc une convergence de vues entre les participants à la table ronde sur l'urgence de la lutte contre le fléau des violences conjugales et sur la nécessité de l'aide et du soutien aux victimes .

Elle constate avec intérêt que les représentants des cultes associés à cette table ronde ont affirmé relayer les lois de la République ainsi que les dispositifs d'aide aux victimes tels que le numéro d'urgence 3919.

Elle considère comme exemplaire la formation systématique des responsables religieux aux spécificités des violences conjugales entreprise sous l'égide de la Fédération protestante de France, et estime que cette initiative devrait être systématiquement étendue à tous les cultes.

En conclusion, la délégation relève avec Laurence Rossignol, vice-présidente, que « le consensus autour du traitement de ces violences marque une vraie avancée ».

C. LA TABLE RONDE SUR LES VIOLS DE GUERRE ET LES VIOLENCES SEXUELLES DANS LES TERRITOIRES EN CRISE (28 NOVEMBRE 2019)

1. Le rapport de la délégation « Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d'être des armes de guerre »19 ( * ) : rappel

La délégation a souhaité inscrire à son agenda la question des viols de guerre en 2013, à l'occasion du vingtième anniversaire de la Déclaration de l'ONU sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes qui, adoptée par l'Assemblée générale le 20 décembre 1993, constatait la « particulière vulnérabilité des femmes dans les zones de conflit armé ». Son rapport d'information, qui a fortement marqué la délégation à l'époque, a été présenté par Brigitte Gonthier-Maurin, alors présidente, en décembre 2013.

L'élaboration de la déclaration onusienne de 1993 et l'intérêt de la communauté internationale pour ce grave problème avaient été encouragés par la révélation des atrocités subies par les femmes lors du conflit en ex-Yougoslavie (viols suivis de grossesses forcées, internement des victimes dans des « camps de viol », mutilations et tortures sexuelles...), au cours duquel le recours systématique aux viols de masse s'est inscrit dans une stratégie d'extermination ethnique de l'ennemi .

La délégation a jugé souhaitable en 2019, plusieurs années après ce premier rapport, de se saisir à nouveau d'un sujet qui demeure d'une actualité glaçante , qu'il s'agisse de la situation en Syrie ou en République centrafricaine, ou de l'expansion de l'esclavage sexuel en lien avec des groupes armés dont l'obscurantisme le dispute à la barbarie.

Claudine Lepage, vice-présidente, qui a pris l'initiative de la table ronde du 28 novembre 2019, a ouvert cette réunion en rappelant les principaux constats établis par la délégation en 2013 :

- le caractère massif des viols de guerre (entre 20 000 et 50 000 en Bosnie-Herzégovine, entre 250 000 et 500 000 au Rwanda, plus de 500 000 en RDC), a fortiori quand, utilisés à des fins de nettoyage ethnique, ils visaient à faire porter l'« enfant de l'ennemi » à des victimes utilisées comme esclaves sexuelles ;

- le fait que les conflits et les crises ne sont plus limités désormais à des champs de bataille circonscrits, mais atteignent les lieux de vie des populations civiles , ce qui constitue l'une des causes de ces violences ;

- l'intégration de celles-ci dans une stratégie de destruction de communautés entières par la honte et l'humiliation (les hommes sont contraints d'assister au viol des filles et des femmes de leur famille, sans pouvoir les protéger 20 ( * ) ; quand ces viols concernent des hommes, ils confèrent, comme l'a relevé Claudine Lepage, « une dimension particulière à cette violence dans des sociétés où elle est particulièrement taboue ») ;

- la cruauté indicible de ces viols , qui n'épargnent aucun âge , les victimes étant de très jeunes enfants 21 ( * ) comme des personnes âgées, et qui n'épargnent pas non plus les hommes ;

- la violence spécifique qu'ajoutent les technologies numériques , permettant aux bourreaux de filmer ces atrocités et de faire ainsi peser sur les victimes la menace permanente « que ces vidéos se retrouvent en ligne et que leur déshonneur et celui de leurs proches soient connus de tous » 22 ( * ) ;

- le périmètre de ces violences , qui excède largement les territoires en conflit : les femmes accueillies en Europe au terme d'un parcours migratoire ont, dans une proportion importante, subi de telles violences dans leur pays d'origine, sur le chemin de l'exil ou dans des camps de réfugiés ;

- leurs conséquences dévastatrices sur la santé des victimes , sur les plans tant physique que psychologique. Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis , avait beaucoup frappé la délégation en affirmant, en 2013 : « Une part de ces femmes est morte, même si elles sont apparemment vivantes. Il faut voir le regard de ces femmes : c'est un regard mort » ;

- la « solitude absolue des victimes », dont notre collègue Claudine Lepage a rappelé qu'elles étaient souvent « rejetées par leur communauté au nom de l'honneur, contraintes d'élever seules l'enfant du viol et condamnées à une précarité économique et sociale terrible » ;

- la rareté des sanctions pénales , qui contraste avec l'extrême gravité des conséquences de ces violences pour les victimes.

2. Un sujet toujours présent dans l'agenda de la délégation

Les violences faites aux femmes dans les territoires en crise n'ont jamais été absentes de l'agenda de la délégation depuis l'adoption du rapport ci-dessus évoqué.

La délégation a ainsi rencontré à deux reprises, en juin puis en décembre 2014, des représentantes du Conseil coréen des « femmes de réconfort » , qui porte la voix des esclaves sexuelles de l'armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a eu l'occasion d'entendre le témoignage particulièrement émouvant d'une survivante, Kil Wonok.

Le 18 février 2016, dans le cadre de la préparation d'un rapport sur les femmes victimes de la traite des êtres humains 23 ( * ) , elle s'est entretenue avec Nadia Mourad , qui était intervenue deux mois plus tôt, le 16 décembre 2015, devant le Conseil de sécurité des Nations unies. La future lauréate du prix Nobel de la paix a témoigné des atrocités (« viols collectifs et tortures ») perpétrées par l'État islamique sur les femmes yézidies vendues par Daech pour servir d'esclaves sexuelles .

Une table ronde organisée avec UNICEF France le 11 octobre 2018 à l'occasion de la Journée internationale des droits des filles 24 ( * ) , a mis en évidence un autre fléau que les viols de guerre dans les territoires en conflit : l'expansion des mariages précoces , en lien avec la volonté des familles de protéger leurs filles des violences. Selon le directeur général d' UNICEF France , la situation en Syrie illustre ce constat : « Le mariage précoce ne se pratiquait pas en Syrie avant la guerre [...]. Les filles étaient scolarisées et pouvaient poursuivre leurs études ». La situation actuelle constitue ainsi selon lui un véritable « retour en arrière » .

Le rapport de 2013 avait montré l'extension de la thématique des viols de guerre aux parcours migratoires : ce point a été confirmé lors d'une table ronde sur l'excision, organisée le 8 février 2018 dans le cadre du rapport de nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac 25 ( * ) . Fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis, le Dr Ghada Hatem a inscrit les mutilations sexuelles féminines vécues par ses patientes dans un continuum de violences marqué par « l'excision, le mariage forcé, [...] l'exode, les crimes de guerre... », qui n'ont désormais plus de frontières .

Par ailleurs, les migrations et les risques de violences qu'elles impliquent pour les femmes ne résultent pas seulement des conflits. Ces dangers s'étendent aux « réfugiées climatiques », comme l'a montré une réflexion sur les incidences du changement climatique sur la situation des femmes, inspirée par la Conférence de Paris sur le climat (COP 21). La délégation avait été alertée sur les risques de violences qui menacent les femmes lors des déplacements de population dus au climat . Le rapport publié par Chantal Jouanno, alors présidente 26 ( * ) , en octobre 2015, relevait ainsi que « les déplacements de population liés au dérèglement climatique contribueront à rendre encore plus vulnérables de très nombreuses femmes ».

Enfin, le sujet des violences sexuelles dans les zones de conflit a été abordé lors de la table ronde organisée par la délégation le 20 juin 2019 sur les enjeux du G7 en termes d'égalité femmes-hommes . À travers la Déclaration de Dinard du 5 avril 2019 sur les femmes, la paix et la sécurité , le G7 a inscrit à son agenda la problématique des violences sexuelles dans les situations de conflit 27 ( * ) .

Ces engagements font écho au G8 de 2013 qui, comme le notait le précédent rapport de la délégation, avait souhaité, à la demande du Royaume-Uni, apporter sa contribution à la prévention des violences sexuelles et au financement de programmes de prise en charge des victimes.

Dans un autre registre, le colloque dont la délégation a pris l'initiative sur les femmes dans la Grande Guerre à l'occasion du Centenaire , en octobre 2018 28 ( * ) , a permis d'aborder la question des viols de guerre dans une perspective historique à propos des scandales survenus dans les territoires français ayant été occupés en 14-18 ainsi qu'en Belgique . Notre collègue Claudine Lepage faisait ainsi observer, en animant la séquence de ce colloque sur « l'intime et la guerre », que dès 1915 les viols et les atrocités « commis par les belligérants à l'encontre des populations civiles » avaient fait l'objet d'un « rapport officiel britannique traduit en quinze langues et largement diffusé » et qu'une « commission d'enquête confiée en France à des magistrats [avait] produit douze rapports sur ce sujet entre 1914 et 1919 ».

3. Les enseignements de la table ronde
a) La confirmation des précédents constats de la délégation

En préambule, diverses interventions ont confirmé les constats préalablement établis par la délégation .

(1) Le viol de guerre, une politique de terreur

En ce qui concerne tout d'abord l' ampleur des atrocités subies par les femmes dans les territoires concernés, la présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis, dans la contribution écrite qu'elle a adressée à la délégation 29 ( * ) , a qualifié le viol comme arme de guerre de « génocide calculé » et de « crime contre l'humanité », « son objectif n'étant autre que la destruction de la part de féminin dans notre histoire ».

Elle a estimé que cette « politique de terreur » ne pouvait « avoir de points communs avec aucune autre forme de violence ».

Dans le même esprit, le professeur Henri-Jean Philippe, secrétaire général de l'association Actions Santé Femmes , a souligné la spécificité du recours au viol comme arme de guerre par rapport aux viols commis indépendamment de ce contexte : « Il ne s'agit en effet pas seulement de crimes sexuels, déjà terribles, mais de viols organisés pour détruire des populations ».

Plusieurs intervenants ont en outre rappelé, comme les interlocuteurs de la délégation en 2013, que ces violences concernent aussi les hommes , même si les femmes en sont les victimes principales .

Céline Bardet a tenu à relever ce point : « Nous travaillons sur les violences sexuelles dans les zones de crise et dans les conflits, dans une approche non genrée, beaucoup d'hommes subissant aussi ces sévices . Je reviens sur le documentaire Libye, anatomie d'un crime qui montre le système de viols comme armes de guerre mis en place à partir de 2014 à l'encontre des hommes » .

Rana Amra, de l'ONG Humanity Diaspo , a abondé dans ce sens : « Je rejoins les propos de Céline Bardet quand elle affirme que ces violences ne concernent pas seulement les femmes, mais aussi les garçons . ». Évoquant les réfugiés des zones de crise et de conflit présents sur le sol européen, elle a insisté sur la situation « de jeunes afghans et pakistanais, mineurs et isolés, [qui] se prostituent pour pouvoir subvenir à leurs besoins ».

(2) Des violences sexuelles qui marquent les parcours migratoires, y compris jusqu'en Europe

L'un des constats principaux de la table ronde est que les violences sexuelles ne sont plus limitées aux zones de conflit , mais qu'elles s'étendent désormais aux parcours migratoires des réfugiés qui fuient leurs pays en guerre.

Céline Bardet, présidente de l'ONG We are NOT Weapons of War, a attiré l'attention de la délégation sur ce triste constat : « La route des migrations constitue un véritable sujet (...). Cette table ronde représente peut-être un levier pour apporter une réponse coordonnée aux personnes ayant subi des traumatismes et vivant sur notre territoire. Les violences sexuelles étant singulières, il faut les traiter de manière spécifique. Beaucoup de migrants ont été victimes de violences sexuelles dans leur pays d'origine ou durant leur parcours migratoire ». Elle a rapporté rencontrer régulièrement, à la Cour nationale du Droit d'asile (CNDA), des personnes victimes de telles violences.

Dans le même esprit, le professeur Henri-Jean Philippe, secrétaire général de l'association Actions Santé Femmes (ASF) , se référant à sa pratique professionnelle sur le territoire français, a mis en lumière la fréquence des violences sexuelles subies par les femmes migrantes et réfugiées . Selon lui, ces personnes vulnérables y sont presque systématiquement exposées : « Vous souhaitez évaluer l'importance des agressions survenues lors des trajets migratoires. Je reçois en consultation de gynécologie-obstétrique à l'Hôtel-Dieu à Paris des femmes migrantes qui sollicitent le droit d'asile. Je dirais que 80 % de ces femmes, pour ne pas dire 100 %, ont été victimes de viol durant leur parcours migratoire . Il ne s'agit donc pas d'un phénomène épisodique ».

De plus, Rana Hamra, de l'ONG Humanity Diaspo , a insisté sur le calvaire subi par les victimes tout au long de leur parcours migratoire, jusqu'en Europe : « Vous évoquiez plus tôt la honte des femmes victimes de viols pendant leur parcours d'exil et de migration. Sachez que cet opprobre ne prend pas fin une fois qu'elles se trouvent en Europe . Ainsi, des jeunes femmes syriennes ou irakiennes sont violées durant leur parcours migratoire par leur frère, leur cousin ou leur père, au prétexte que leur mort est imminente ! ».

À cet égard, elle a estimé que la priorité serait de mettre fin aux violences commises sur le territoire européen : « Ces situations sont dramatiques et ont lieu aujourd'hui en Europe. Vous pouvez agir en France et en Europe dans les zones de crise. Il faut bien sûr poursuivre le plaidoyer pour les pays du Sud, mais je pense que le premier pas doit être effectué à côté de chez nous ».

b) Les causes des viols de guerre : l'analyse de la présidente de l'ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles (SFVS)

Justine Masika Bihamba, fondatrice et présidente de l'ONG Synergie des Femmes pour les Victimes de Violences Sexuelles (SFVS) a souhaité mettre en exergue les causes des viols, plus particulièrement en RDC. Elle en a identifié quatre :

- « l'exploitation illégale des ressources naturelles , qui alimente les conflits » ;

- « l'impunité », qui va souvent de pair avec « d'importantes difficultés dans le domaine de la justice » dans les pays concernés ;

- l'absence de réformes du système de sécurité dans ces pays, avec pour conséquence la présence de « nombreux groupes armés congolais et étrangers sur tout le territoire , qui commettent des violations graves des droits humains et sèment la désolation » ;

- les « coutumes et traditions maintenant la femme en position d'infériorité par rapport à l'homme ».

c) Les résolutions « Femmes, paix et sécurité » du Conseil de sécurité de l'ONU : un bilan à poursuivre

Directrice exécutive d' ONU Femmes France , Fanny Benedetti a dressé un bilan mesuré de la mise en oeuvre des résolutions du dispositif Femmes, paix et sécurité du Conseil de sécurité . Se référant au rapport du secrétaire général de l'ONU publié sur ce sujet le 9 octobre 2019, elle a précisé que « le bilan officiel sur la mise en oeuvre des résolutions [était] en cours d'élaboration et [serait] publié l'année prochaine à l'occasion des vingt ans de la Résolution 1325 ».

Elle a relevé les facteurs de succès identifiés par le secrétaire général de l'ONU pour une mise en oeuvre réussie du dispositif :

- le financement d'initiatives destinées à promouvoir l'égalité femmes-hommes et l'autonomisation des femmes, ainsi que les moyens attribués par les États aux plans nationaux d'action destinés à la mise en oeuvre des résolutions Femmes, paix et sécurité ;

- l' obligation de rendre compte (« redevabilité »), accompagnée de la mise en place de mécanismes de suivi et de contrôle ;

- la présence d'une expertise en matière de genre .

d) Le manque d'études et statistiques sur les viols de guerre

Plusieurs interlocuteurs ont évoqué le besoin d'études et de statistiques plus précises pour quantifier le phénomène des violences sexuelles dans les territoires en conflit.

Selon Céline Bardet, c'est un enjeu essentiel car « pour que les programmes aient un impact financier concret, cela suppose de disposer de données pour évaluer l'ampleur du sujet ». À cet égard, elle a mentionné un outil prometteur développé par son association . Intitulé Back Up , il « permet aux victimes via une web-application de se signaler et d'être identifiées partout dans le monde tout en préservant leur témoignage et les preuves ». Cet outil transversal dispose aussi d'une « fonction d' early warning system - notamment en ce qui concerne les environnements fragiles ou instables sujets à recrudescences de violences lors des périodes électorales ».

Le professeur Henri-Jean Philippe a lui aussi relevé la difficulté d'évaluer avec certitude le nombre de viols dans les zones en crise : « Je partage l'avis de Céline Bardet au sujet de l'estimation du nombre de viols. Il est impossible d'en connaître les chiffres, en France comme à l'étranger ». Selon lui, l'une des raisons expliquant la difficulté de disposer de statistiques sur ces questions tient au fait que le phénomène est souvent « tu pour des raisons personnelles, culturelles ou coutumières ».

Fanny Benedetti, directrice exécutive d' ONU Femmes France , a également pointé le manque de données fiables et précises sur la question des violences sexuelles perpétrées dans les territoires en conflit, notamment à l'encontre des femmes déplacées ou réfugiées : « Les données chiffrées sont sujettes à beaucoup de réserves, en raison de leur faible nombre et de la difficulté à récolter ces données ».

Pour autant, elle a pointé l'existence d'une corrélation entre violences et instabilité : « L'ONU estime qu'une femme déplacée ou réfugiée sur cinq est ou a été victime de violences sexuelles, cette statistique étant mesurée auprès des camps de réfugiés où l'ONU est présente ». La directrice exécutive d' ONU Femmes France a par ailleurs confirmé le lien entre les violences sexuelles constatées dans les zones de crise et la pratique du mariage précoce, précédemment souligné : « neuf pays sur dix ayant les taux les plus élevés de mariages d'enfants se caractérisent par un contexte fragile ».

e) La question de l'affectation effective de l'aide internationale aux victimes de violences sexuelles dans les territoires en conflit

Plusieurs prises de parole ont mis en lumière l'opacité de l'affectation des fonds internationaux aux victimes de violences sexuelles dans les territoires en conflit.

Ainsi, pour Céline Bardet, « Il est nécessaire de se pencher sur les programmes d'aide ». Selon elle, « L'organisation des Nations unies investit beaucoup, mais il faut s'interroger sur les destinataires et la façon dont cet argent est utilisé ».

Elle a ainsi exprimé des doutes sur l' efficacité des programmes d'aide au regard des résultats : « Je me pose sérieusement la question de l'utilisation de l'argent. Travaillant sur diverses zones géographiques, en Afrique comme au Moyen-Orient, avec une association dont le budget annuel est inférieur à 80 000 euros, je ne constate pas d'amélioration sur le terrain et ne comprends pas comment est utilisé cet argent. À titre d'exemple, la situation en RDC, que Denis Mukwege a contribué à mettre en lumière, est tragique et perdure depuis vingt-cinq ans dans l'indifférence la plus totale des structures internationales ».

Tout en reconnaissant que l'ONU effectue un travail important sur le terrain, Céline Bardet a conclu en estimant qu'il serait « pertinent que les institutions ouvrent un débat sur les financements, afin de réfléchir à une méthodologie innovante permettant d'optimiser les flux financiers, et de mesurer les impacts des investissements ».

Fanny Benedetti a reconnu qu'une part très limitée de l'aide des programmes d'aide supervisés par l'ONU revenait effectivement aux victimes . Ce constat fait d'ailleurs partie des manquements relevés dans le rapport du secrétaire général de l'ONU précité sur la mise en oeuvre du dispositif Femmes, paix et sécurité du Conseil de sécurité : « Le secrétaire général indique que seul 0,2 % de l'aide bilatérale consacrée aux situations fragiles dans les contextes de conflits et post-crise est revenu aux associations de femmes ».

Pour sa part, Justine Masika Bihamba, fondatrice et présidente de l'ONG Synergie des Femmes pour les Victimes de Violences Sexuelles (SFVS), a déploré qu'« in fine , la victime ne touche que 5 % de la somme initialement allouée ». Selon elle, les victimes ne perçoivent qu'un pourcentage minimal des aides car les fonds servent essentiellement, dans la pratique, à financer la logistique de l'aide internationale. Ainsi, a-t-elle souligné, « 60 % de la somme versée revient à l'administration des organisations internationales afin de payer les primes de risque, les salaires ou encore le logement sur place des personnels dans des conditions sécurisées. Ensuite, une partie rembourse les frais de logistique des agents de l'ONU travaillant avec ces organisations internationales. Enfin, les organisations locales prennent une part pour couvrir leurs frais de fonctionnement ».

À cet égard, elle a exprimé son espoir que le Fonds mondial de réparation pour les victimes de violences sexuelles dans les conflits , créé à New York à l'initiative du docteur Mukwege, « [permette] aux victimes de percevoir au moins 80 % des fonds mobilisés et donc de voir leur situation évoluer significativement ».

Plus généralement, sur la question du financement et de l' aide internationale , Farah Malek-Bakouche, représentante d' UNICEF France, a plaidé pour un accompagnement financier compatible avec des conflits qui s'inscrivent dans la durée . Elle a également critiqué la complexité de certains circuits financiers : « La durée des conflits s'allonge, à l'image du conflit syrien qui se poursuit. Le financement doit prendre en compte le long terme , une réponse à ces problématiques ne pouvant pas être mesurée sur cinq ans seulement . En effet, dans la mesure où l'objectif est de renforcer des systèmes de justice, de protection sociale et d'éducation, les financements doivent s'inscrire dans la durée, être flexibles et accessibles à la société civile . Je fais référence sur ce dernier point aux bailleurs de fonds étatiques construisant des propositions de financement assez compliquées ».

Pour la présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis , « la notion de réparation est d'une grande importance » : elle a donc insisté sur la « nécessité de trouver de toute urgence les financements adéquats », faisant observer que le fond créé par la Libye pour les victimes de viol « reste désespérément vide depuis sa création en 2014 », même s'il a selon elle inspiré la création du fond mondial dont le Docteur Denis Mukwege a pris l'initiative. Souad Wheidi a par ailleurs jugé « intéressant de réfléchir à la création d'une taxe sur les armes afin de financer » l'aide aux victimes.

f) L'importance de l'autonomisation économique des victimes pour leur réinsertion

Un autre enseignement de la table ronde est l' importance de l'autonomisation économique des victimes de violences sexuelles pour favoriser leur réinsertion sociale.

Justine Masika Bihamba, dont l'association travaille précisément à la réinsertion socio-économique des femmes victimes de viol, a plus particulièrement développé ce point. Elle a expliqué comment Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles accompagne ces personnes pour les aider à exercer une activité et à se regrouper pour leur permettre d'épargner et de constituer des économies : « L'autonomisation de la femme est [...] très importante [...]. Nous tentons, avec le peu de moyens dont nous disposons, de faire de ces femmes des cheffes d'entreprise [...]. Nous regroupons également les femmes exerçant les mêmes activités, afin qu'elles mutualisent leur travail et puissent épargner . L'argent économisé peut être prêté à d'autres membres du groupe et les intérêts accumulés partagés en fin d'année. Cette organisation leur permet de faire des projets, par exemple l'achat d'un matelas avec les intérêts annuels, et cela fonctionne très bien ».

L'accompagnement socio-économique des victimes de violences sexuelles mené sur le terrain par l'association de Justine Masika Bihamba est d'autant plus concluant qu'il permet aux femmes ayant bénéficié de cette aide d'agir à leur tour auprès d'autres victimes de leur communauté en les orientant vers l'association.

Fanny Benedetti a salué l'action de Justine Masika Bihamba et souligné elle aussi l'enjeu de l'autonomisation économique des victimes comme facteur de guérison : « Je souhaiterais tout d'abord rebondir sur les propos de Justine Masika Bihamba au sujet de l'autonomisation économique des femmes comme vecteur de reconstruction, sur laquelle ONU Femmes travaille également. Au-delà du soutien médical et psychologique, la perspective de se reconstruire à travers un soutien à l'autonomisation économique est déterminante ».

g) Un prérequis : la reconstruction physique et psychologique des victimes

La table ronde a aussi été l'occasion d'aborder le sujet de la reconstruction des victimes , plus particulièrement développé par les représentants d' Actions Santé Femmes , qui ont présenté le travail mené sur le terrain par ASF à l'hôpital de Panzi, où exerce le Docteur Denis Mukwege.

Sophie Martinez a évoqué l'action des soignants d' ASF parallèlement au travail d'accompagnement psychologique essentiel aux patientes. Elle a insisté sur l'importance de la coopération mise en place avec les équipes locales dans une logique de partage d'expérience et de compétences : « En tant que soignants, nous agissons sur la réparation physique, complémentaire de la réparation psychologique [...]. Ces patientes, dans une situation de délabrement physique parfois extrêmement important, ont profondément besoin d'être réparées par des experts , qui enseignent ensuite leurs techniques afin que celles-ci soient transmises par la suite ».

h) Quels progrès dans le domaine judiciaire ?

La table ronde a également permis d'aborder le thème du traitement pénal des viols de guerre.

Les dimensions judiciaires de la question sont en effet essentielles pour aider les victimes à se reconstruire, comme l'a souligné Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis : « rendre des comptes à ces victimes est une EXIGENC E », a-t-elle souligné ; « L'humanité a le DEVOIR de mettre fin à un silence coupable à l'égard de ces femmes ».

S'agissant de l'impunité des criminels , qui a trop longtemps prévalu à l'égard des viols de guerre, les intervenants ont relevé quelques avancées , tout en faisant preuve d'un optimisme mesuré.

Par exemple, Justine Masika Bihamba a mentionné les progrès observés en République démocratique du Congo (RDC), mais a relativisé les peines prononcées contre certains criminels : « Concernant les procédures judiciaires (...), nous constatons des avancées, y compris en RDC, mais elles restent parfois insuffisantes . Ainsi, un chef rebelle a été condamné dans le Sud -Kivu et le procès de grands chefs rebelles est en cours dans le Nord-Kivu. De plus, à l'échelle internationale, Bosco Ntaganda a été condamné à trente ans . Cette peine est trop faible à mon sens ; elle ne l'empêchera pas de commettre de nouvelles violations graves des droits humains à sa sortie de prison » .

Dans le même esprit, Fanny Benedetti a présenté quelques actions concrètes menées par l'ONU pour lutter contre l'impunité . Elle a notamment cité la mise en place d'équipes d'experts des violences sexuelles dans les territoires concernés , ce qui a rendu possible certaines condamnations . Par exemple, selon elle, « en RDC, l'équipe d'experts a facilité la condamnation à perpétuité de Frédéric Batumike, dirigeant provincial inculpé de viols systématiques d'enfants à Kavumu, dans le Sud-Kivu, en 2010 et 2011. L'équipe assiste également l'investigation en cours sur Ntabo Ntaberi Sheka et ses co-défendants pour un viol de masse de 387 personnes dans le territoire de Walikale en 2010 ».

Céline Bardet a tenu à préciser que ces avancées judiciaires sur le plan pénal sont également « le fruit du travail des organisations civiles oeuvrant sur le terrain ».

Au-delà du volet pénal, Céline Bardet a esquissé deux pistes d'amélioration concernant la prise en charge judiciaire des victimes .

Tout d'abord, elle a évoqué la question des preuves , dont le recueil et la préservation pourraient être améliorés, afin de faciliter le témoignage des victimes : « Nous devons réfléchir aux modalités de préservation des preuves et aux possibilités pour la victime d'enregistrer son témoignage, pour lui éviter d'être interrogée à de nombreuses reprises et de perdre les éléments de preuve ».

Ce travail implique selon elle une collaboration avec les autorités et institutions locales . Elle a cité l'exemple de la Guinée, pays dans lequel le ministre de la sécurité publique a sollicité son association pour travailler avec l' Office de Protection Genre, Enfance et Moeurs (OPROGEM), afin de « mettre en place un outil sur les données et la préservation des preuves » .

Ensuite, Céline Bardet a estimé que « La justice doit être plus proactive envers les victimes » et que « la place des victimes doit être revalorisée ». Elle a cité à cet égard le forum Stand Speak Rise Up co-organisé avec le Docteur Mukwege, à l'initiative de la grande-duchesse du Luxembourg en mars 2019. Il s'agissait de la « première manifestation internationale à placer les survivantes au coeur du projet, en les faisant participer activement aux ateliers et débats ».

Selon elle, l'enjeu principal est de faire participer les victimes , ce qui passe d'abord par leur écoute et la prise en compte de leur vécu et de leurs besoins : « Il est nécessaire d' écouter les victimes et de les faire participer à la réflexion sur le viol, puisqu'elles connaissent par leur expérience vécue les difficultés inhérentes à leurs besoins. Je suis convaincue que nous devons travailler dans cette optique avec les personnes concernées et co-construire les réponses à apporter pour leur venir en aide ».

Ces diverses observations soulignent, par-delà la spécificité des viols comme armes de guerre ci-dessus évoquée, des points communs entre les besoins des victimes de viols de guerre et les autres victimes de viol , s'agissant par exemple de la question des preuves et de la nécessité d'une écoute.

II. DOCUMENTS ANNEXÉS

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION POUR DÉNONCER ET AGIR CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES EN SITUATION DE HANDICAP

1. Texte de la proposition de résolution

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des témoignages convergents recueillis depuis plusieurs années par des associations, des ONG et des institutions internationales, en France et dans le monde, ont mis en évidence la particulière vulnérabilité des femmes en situation de handicap aux violences. Selon les constats ainsi établis, ces violences, qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, menacent ces femmes dans tous les aspects de leur quotidien - dans les institutions où certaines sont hébergées, dans le cadre familial, dans la vie professionnelle où elles se heurtent à de nombreuses discriminations, ou encore lors de transports spécialisés. Elles peuvent être le fait tant de professionnels que de proches. Elles concernent tous les âges de la vie.

De surcroît, ces constats soulignent la nécessité de la prise de conscience d'une double corrélation entre violence et handicap, car si le handicap expose davantage les femmes et les enfants aux violences, il peut aussi, qu'il soit physique ou psychologique, être la conséquence de violences subies.

Pourtant, si la surexposition des femmes en situation de handicap aux violences est indéniable, les chiffres manquent et le besoin de statistiques complètes, régulièrement mises à jour, est évoqué par tous les experts.

Longtemps occulté par le terme de maltraitance, ce fléau semble constituer encore aujourd'hui un « angle mort » des politiques publiques de lutte contre les violences, a fortiori parce que la dénonciation des violences, déjà difficile pour les femmes dites valides, est compliquée par le lien de dépendance qui peut exister entre la victime handicapée et son agresseur, quand celui-ci est la personne - membre de la famille ou professionnel - qui est censée prendre soin d'elle.

De surcroît, la crédibilité des victimes est compromise par un préjugé trop largement répandu qui conduit à les considérer comme des mineures dont la parole peut être mise en doute, y compris par les professionnels chargés de recueillir leur plainte.

Ces violences effroyables sont donc non seulement invisibles, mais aussi inaudibles.

De ce fait, alors qu'elles sont plus exposées aux violences que la population dite valide, les femmes en situation de handicap confrontées aux violences rencontrent des difficultés accrues pour s'engager dans une démarche judiciaire.

Ces obstacles concernent notamment l'absence d'accessibilité des locaux de la police, de la gendarmerie ou de la justice. Ils tiennent également à un accès aux droits insuffisants, si l'on se réfère, entre autres exemples, à l'insuffisance de permanences juridiques en langue des signes ou à la formation lacunaire des professionnels de la police, de la gendarmerie et de la justice à l'accueil des victimes de violences en situation de handicap.

Quant à l'orientation et à l'accueil des femmes handicapées victimes de violences, ils sont rendus plus complexes par l'insuffisante accessibilité des centres d'hébergement d'urgence.

De plus, les acteurs de terrain et les experts constatent que les nombreuses discriminations subies dans le monde du travail contribuent à l'insuffisante autonomie économique des femmes en situation de handicap, ce qui les rend plus vulnérables aux violences, a fortiori lorsque celles-ci sont commises dans un contexte familial.

Les discriminations rencontrées par les femmes handicapées ne se limitent pas au cadre professionnel. Elles concernent aussi l'accès aux soins, très largement perfectible, qu'il s'agisse par exemple du suivi gynécologique ou du dépistage du cancer du sein, insuffisants faute de structures et de matériels adaptés. Il résulte de ces lacunes une dépendance aggravée, une dignité altérée et une prise en charge psychologique et sanitaire des victimes de violences très imparfaite au regard des traumatismes subis, avec des conséquences graves et durables sur leur santé.

L'amélioration de la prévention des violences qui menacent les femmes en situation de handicap passe, selon les experts 30 ( * ) , entre autres pistes :

- par des efforts en matière d'éducation à la sexualité des jeunes femmes concernées, afin de les aider à identifier d'éventuels prédateurs ;

- par une attention accrue au recrutement des professionnels et bénévoles intervenant au contact de personnes handicapées - plus particulièrement quand il s'agit d'enfants et de femmes - pour s'assurer que ces personnes ne sont pas inscrites au fichier automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) ;

- par une réflexion sur les responsabilités des professionnels, plus particulièrement des professionnels de santé, en matière de signalement des violences physiques, sexuelles ou psychiques commises sur des personnes handicapées dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

La période actuelle est caractérisée par une volonté politique partagée de renforcer les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce tournant a été encouragé par la prise de conscience de l'ampleur inacceptable des violences conjugales et des féminicides qui a marqué l'année 2019. Les femmes en situation de handicap ont toute leur place dans cette dynamique nouvelle, si l'on en juge par la permanence téléphonique Écoute violences femmes handicapées , qui observe que 35 % des violences signalées ont lieu au sein du couple et sont commises par le conjoint.

À l'heure où la mobilisation contre les violences faites aux femmes a franchi une étape significative dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales , il est donc primordial de réaliser des avancées concrètes au bénéfice des femmes en situation de handicap.

Par cette résolution, le Sénat :

- appelle à une prise de conscience généralisée des violences, notamment sexuelles, qui menacent les femmes handicapées et à une mobilisation de toute la société contre ce fléau ;

- encourage un changement de regard de l'ensemble de la société et des acteurs de la chaîne judiciaire sur les femmes en situation de handicap, afin que la femme et la citoyenne soient plus visibles que la personne handicapée et que la parole des victimes qui dénoncent des violences soit entendue ;

- rend hommage aux associations qui contribuent à lutter contre ces violences inacceptables en accueillant et en accompagnant les victimes ;

- rappelle que l'autonomie, plus particulièrement économique, des femmes en situation de handicap est une condition de leur protection contre le risque de violences auquel elles sont plus particulièrement exposées, ce qui suppose des efforts significatifs en termes d'accès aux études, aux formations et à l'emploi ;

- plaide pour que les femmes handicapées ne soient pas les oubliées des efforts actuellement envisagés dans le cadre de la Grande cause du quinquennat pour renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes ;

- suggère que la dimension de l'égalité entre femmes et hommes soit systématiquement intégrée à toutes les politiques du handicap et, inversement, que la dimension du handicap soit prise en compte dans toutes les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes.

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Vu la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), adoptée le 20 novembre 1989,

Vu la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006,

Vu la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l'Europe, dite Convention d'Istanbul, adoptée le 7 avril 2011,

Vu la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés,

Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,

Vu la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes,

Vu la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne,

Vu la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,

Vu la Résolution 2006/2277 (INI) du Parlement européen du 29 mars 2007 sur la situation des femmes handicapées dans l'Union européenne,

Vu la Résolution 2018/2685 (RSP) du Parlement européen du 29 novembre 2018 sur la situation des femmes handicapées,

Vu la recommandation CM/Rec(2012)6 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux États membres du 13 juin 2012 sur la protection et la promotion des droits des femmes et des filles handicapées,

Vu les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme du 30 mars 2012 sur la question de la violence à l'égard des femmes et des filles et du handicap,

Vu la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 19 décembre 2017 sur la situation des femmes et des filles handicapées,

Vu la décision du Défenseur des droits n° 2017-257 portant recommandations générales destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées,

Considérant que, selon un rapport de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen sur la situation des femmes handicapées dans l'Union européenne, publié en 2007, près de 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences, ces femmes étant quatre fois plus exposées au risque de violences sexuelles que les femmes dites valides ;

Considérant que l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a confirmé en mars 2016 la surexposition des femmes en situation de handicap au risque de violences au sein du couple ;

Considérant qu'une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2012 fait état d'un risque quatre fois plus élevé, pour les enfants en situation de handicap, d'être victimes de violences ;

Considérant que si le handicap accroît, pour les femmes, le risque de violences, notamment sexuelles, les violences elles-mêmes sont également à l'origine de handicaps, comme le relève l'Avis sur les violences contre les femmes et les féminicides de la CNCDH du 26 mai 2016, qui souligne les troubles physiques et psychiques très invalidants imputables aux violences ainsi que les handicaps permanents liés aux violences sexuelles ;

Considérant que, selon les acteurs de terrain, les violences menaçant les femmes en situation de handicap sont généralement commises par l'entourage familial ou institutionnel, aucun lieu, pas même leur domicile, ne leur garantissant une parfaite sécurité ;

Considérant que les appels reçus par Écoute violences femmes handicapées , permanence d'accueil et d'accompagnement dédiée aux violences faites aux femmes en situation de handicap, mettent en évidence le fait que 35 % des violences signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint ;

Considérant l'importance du signalement, par les professionnels, des faits de violence dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions pour mieux protéger les victimes, sanctionner les auteurs et prévenir le fléau des violences faites aux personnes vulnérables ;

Considérant que le manque de données statistiques coordonnées au niveau national et régulièrement actualisées empêche de prendre la mesure exacte de la surexposition des femmes et des jeunes filles handicapées aux violences, que celles-ci surviennent dans le cadre familial ou en institutions, et affecte la mise en place d'une politique publique de prévention et de lutte contre ces violences et de protection de ces personnes ;

Considérant que l'une des conditions de la protection des femmes en situation de handicap contre les violences réside dans le renforcement de leur autonomie, ce qui concerne tant leur indépendance économique que leur accès à la santé ;

Considérant que, selon le rapport du Défenseur des droits sur L'emploi des femmes en situation de handicap , publié le 14 novembre 2016 dans le cadre de sa mission de suivi de l'application de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, les femmes en situation de handicap sont davantage touchées par le chômage que la population générale ;

Considérant que, selon le même rapport, les femmes handicapées se heurtent non seulement à des difficultés d'accès à l'emploi liées à leur handicap, mais aussi aux obstacles auxquels sont trop souvent confrontées toutes les femmes dans leur parcours professionnel, s'agissant plus précisément de l'accès aux responsabilités : 1 % seulement des femmes en situation de handicap en emploi sont cadres contre 10 % pour leurs homologues masculins ;

Considérant que, selon le 11 e baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi, réalisé en 2018 par le Défenseur des droits avec l'Organisation internationale du travail (OIT), 54 % des femmes handicapées déclarent avoir été confrontées à des discriminations durant les cinq années précédant cette enquête, soit plus d'une femme sur deux et une proportion nettement plus élevée que pour la population active âgée de 18 à 65 ans (34 %) ;

Considérant que ces discriminations, conjuguées à un accès imparfait aux études et à la formation ainsi qu'au poids des préjugés, affectent défavorablement le parcours professionnel des femmes en situation de handicap et sont à l'origine d'une dépendance économique qui accroît leur vulnérabilité aux violences, plus particulièrement dans le cadre familial ;

Considérant qu'une étude de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France publiée en mars 2018 montrait que, sur 1 000 femmes handicapées, 58 % seulement affirmaient bénéficier d'un suivi gynécologique régulier et 85,7 % déclaraient ne jamais avoir effectué de mammographie, cette insuffisance étant confirmée en novembre 2018 par un constat du Parlement européen sur une exposition accrue des femmes handicapées au cancer du sein, faute d'équipements de dépistage et de diagnostic adaptés ;

Considérant que l'autonomie des femmes en situation de handicap passe par un accès renforcé aux soins, notamment gynécologiques, et par un accompagnement personnalisé à la maternité ;

Considérant que l'accueil des femmes handicapées victimes de violences est largement inapproprié, qu'il s'agisse de l'accessibilité des locaux de la police et de la gendarmerie ainsi que des hébergements d'urgence ou de la sensibilisation des professionnels et bénévoles à leurs besoins, et qu'entre autres améliorations un effort pourrait être entrepris en matière d'interprétariat en langue des signes dans l'ensemble de la chaîne judiciaire ;

N'accepte pas le risque accru de violences, notamment sexuelles, lié au handicap, et exprime sa vive émotion que des enfants, des adolescentes et des femmes en situation de handicap puissent être menacés tant dans le cadre institutionnel que dans le contexte familial ;

S'alarme du danger auquel semblent plus particulièrement exposées les jeunes filles et les femmes atteintes d'un trouble du spectre autistique et suggère l'intégration d'un dispositif dédié à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles dans la Stratégie nationale pour l'autisme ;

Estime qu'une meilleure protection des adolescentes et des femmes en situation de handicap contre les violences, plus particulièrement sexuelles, passe par un véritable effort en matière d'éducation à la sexualité, susceptible de leur permettre d'identifier d'éventuels prédateurs ;

Souhaite la mise à l'étude de la désignation de référents Intégrité physique au sein des personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont la mission serait de recueillir le témoignage et d'orienter toute personne accueillie dans un tel établissement qui déclarerait avoir été victime de violence ;

Souligne l'intérêt d'une réflexion sur les responsabilités des professionnels, incluant les soignants, en matière de signalement des violences, notamment sexuelles, dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ;

Appelle à la plus grande vigilance lors du recrutement des professionnels et bénévoles intervenant dans des établissements accueillant des personnes handicapées, a fortiori quand celles-ci sont mineures ;

Exprime sa profonde considération à tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, rend hommage à la regrettée Maudy Piot, disparue en 2017, inlassable avocate des droits et de la citoyenneté des femmes handicapées et fondatrice de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir , association de référence en matière de lutte contre les violences faites aux femmes handicapées, et encourage l'équipe qui lui a succédé à poursuivre son combat ;

Souligne l'importance cruciale des moyens dont doivent pouvoir disposer les associations, indispensables à la lutte contre les violences, plus particulièrement celles que subissent les femmes en situation de handicap, pour leur permettre de remplir leurs missions, et insiste sur la nécessaire prévisibilité des subventions susceptibles d'être attribuées aux acteurs du monde associatif ;

Demande l'établissement de statistiques précises afin d'améliorer la connaissance des violences et des discriminations faites aux femmes handicapées, et appelle à intégrer le handicap aux enquêtes nationales sur les violences faites aux femmes telle que l'étude Violences et rapports de genre (Virage), y compris dans sa déclinaison ultramarine ;

Souhaite que le questionnement du lien entre une violence dénoncée et un éventuel handicap psychique ou physique soit systématique lors de l'accueil des personnes contactant un numéro d'urgence ou une plateforme d'écoute ;

Considère l'autonomie des femmes en situation de handicap comme un prérequis pour les protéger des violences, notamment conjugales, et à ce titre :

- préconise la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l'emploi et le renforcement des mesures destinées à l'accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations, afin de dynamiser l'insertion professionnelle des femmes en situation de handicap, ;

- suggère de mieux identifier les freins à l'emploi des femmes en situation de handicap par la réalisation d'études et de statistiques sur l'accès à l'éducation et à l'emploi des personnes handicapées croisant les variables de l'âge, du sexe, du type du handicap et de la catégorie socioprofessionnelle ;

- appelle à une réflexion sur l'Allocation aux adultes handicapés (AAH) qui prenne en compte l'importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l'autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent ;

Juge indispensable que les femmes et les adolescentes en situation de handicap, qu'elles résident ou non dans des institutions, aient accès à un suivi gynécologique régulier, a fortiori dans le cadre d'un traitement contraceptif, et à un accompagnement personnalisé à la maternité, ce qui suppose entre autres efforts une meilleure accessibilité des structures médicales concernées ;

Demande que le matériel médical destiné au suivi gynécologique et obstétrical des patientes handicapées ainsi qu'au dépistage du cancer du sein soit adapté à leurs besoins sur tout le territoire, y compris dans les outre-mer ;

Est convaincu que l'amélioration de l'accueil des femmes handicapées victimes de violences par tous les acteurs de la chaîne judiciaire suppose un changement de regard sur ces personnes, afin qu'elles ne soient pas considérées comme des mineures et que leur parole et leur crédibilité ne soient pas mises en doute lorsqu'elles font état des violences qu'elles subissent ;

Affirme l'importance cruciale de l'accessibilité des lieux destinés à l'accueil des victimes de violences, qu'il s'agisse des locaux de la police et de la gendarmerie, des tribunaux ou des hébergements d'urgence, et du développement d'outils et de procédures permettant aux personnes handicapées de porter plainte dans des conditions adaptées à leur situation ;

Appelle à un effort accru de formation et de sensibilisation aux risques spécifiques de violences menaçant les femmes en situation de handicap, à destination de tous les acteurs de la chaîne judiciaire ainsi que des soignants et des personnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ;

Salue le travail accompli par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) pour développer des supports de formation sur les violences faites aux femmes dans des formats divers, accessibles aux personnes handicapées et recommande la systématisation de cette démarche inclusive ;

Forme des voeux pour que la dynamique encouragée à l'égard des femmes en situation de handicap par les quatrième et cinquième plans de lutte contre les violences faites aux femmes soit amplifiée dans les plans à venir, y compris dans les territoires ultramarins ;

Appelle à l'intégration systématique de la dimension de l'égalité entre femmes et hommes dans les politiques du handicap et, inversement, à un renforcement de l'intégration du handicap dans toutes les politiques d'égalité entre femmes et hommes.

2. Compte rendu du débat en séance publique (8 janvier 2020)

Mme la présidente . L'ordre du jour appelle l'examen, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, de la proposition de résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 150).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution que mes collègues Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et moi-même avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui est l'aboutissement de travaux conduits par la délégation aux droits des femmes sur un fléau qui est longtemps resté un « impensé » des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes : il s'agit des violences que subissent les femmes en situation de handicap.

À titre symbolique, nous avons souhaité déposer ce texte le 25 novembre 2019, journée consacrée chaque année, dans le monde entier, à la lutte contre les violences faites aux femmes. C'est d'ailleurs le jour qu'a choisi le Gouvernement pour exposer les conclusions du Grenelle de lutte contre les violences conjugales , ouvert le 3 septembre dernier dans le contexte créé par la prise de conscience de la réalité des féminicides.

Notre proposition de résolution est largement partagée au sein du Sénat puisqu'elle réunit à ce jour 158 cosignataires, de tous les groupes.

Cette véritable mobilisation, qui nous rassemble par-delà nos appartenances politiques, montre un indéniable progrès dans la prise de conscience de la gravité de violences demeurées trop longtemps taboues. Signe d'une longue incapacité à nommer des comportements insupportables, les violences faites aux femmes en situation de handicap ont longtemps été banalisées et désignées par la notion de « maltraitance », terme plus acceptable socialement. Cette incapacité à nommer ces violences a trop longtemps rendu les victimes invisibles.

Les femmes handicapées sont longtemps restées « invisibles et oubliées des politiques publiques », comme nous le confiait APF France handicap . D'ailleurs, Soeurs oubliées - Forgotten Sisters - est précisément le titre d'un rapport consacré en octobre 2012 par l'agence ONU Femmes sur les violences faites aux femmes handicapées. Son auteure, Michelle Bachelet, faisait observer combien la violence à l'égard des femmes handicapées demeurait « largement ignorée ».

Aujourd'hui, grâce au combat inlassable d'associations comme Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir et de sa regrettée fondatrice, Maudy Piot, à qui je souhaite une nouvelle fois rendre hommage, la parole de celles qui dénoncent ces comportements effroyables commence à être entendue.

Plusieurs constats ressortent de notre travail.

Le premier constat est la prise de conscience très récente du lien entre le handicap et les violences faites aux femmes puisqu'elle remonte à 2006, avec l'adoption par l'ONU de la convention relative aux droits des personnes handicapées. Ce texte est le premier à avoir reconnu explicitement que les femmes et les filles handicapées courent « des risques plus élevés de violence, d'atteinte à l'intégrité physique, d'abus, de délaissement ou de défaut de soins [...] ».

La même année, un plan d'action pour la promotion des droits des personnes handicapées, élaboré par le Conseil de l'Europe, soulignait les besoins spécifiques des femmes et des jeunes filles parmi lesquelles on compte une proportion de victimes d'abus et de violences largement supérieure à celle que l'on enregistre dans la population féminine non handicapée.

Le deuxième constat est que les violences peuvent être à la fois la cause et la conséquence du handicap. En effet, si le handicap accroît pour une femme ou une fille le risque de subir des violences, inversement il peut aussi être la conséquence de violences subies.

Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCH) relevait, dans un avis de mai 2016 : « Le handicap peut également être le résultat de la violence sexiste. Les violences subies peuvent être à l'origine chez les femmes battues de troubles psychiques et physiques importants, et les agressions sexuelles entraîner des handicaps permanents. »

Il était donc plus que temps que soient pris en compte les besoins particuliers des femmes en situation de handicap parmi les victimes de violences, même si, à ce stade, la particulière vulnérabilité de ces femmes aux violences est attestée par des témoignages convergents et par diverses enquêtes, sans toutefois que l'on puisse à ce jour s'appuyer sur une analyse statistique complète.

Le troisième constat est que les violences qui menacent les femmes en raison de leur handicap ne leur laissent aucun répit. Elles peuvent être le fait de l'entourage institutionnel ou familial. Selon une enquête réalisée par l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir , 60 % des violences subies par les femmes en situation de handicap surviennent à leur domicile. Cela signifie qu'elles ne sont nulle part à l'abri.

Le quatrième constat est qu'il existe une vulnérabilité particulière, s'agissant des violences sexuelles, liée au handicap mental ou psychique pour des victimes qui ne sont pas en mesure de comprendre l'agression dont elles font l'objet et dont l'« incapacité à dire non » peut être « perçue comme un signe de consentement à une relation sexuelle ».

À cet égard, la délégation aux droits des femmes a été plus particulièrement alertée sur l'exposition des femmes atteintes d'un trouble de l'autisme aux violences sexuelles. Je pense, bien sûr, au témoignage de Mme Marie Rabatel.

De manière générale, le risque de subir une violence sexuelle serait ainsi multiplié par six pour les femmes en situation de handicap mental. La réalité que recouvrent ces chiffres est insupportable !

Il est donc positif qu'un groupe de travail consacré aux femmes en situation de handicap se soit constitué lors du Grenelle de lutte contre les violences conjugales . On peut lire dans cette méthodologie le signe que la vulnérabilité liée au handicap est enfin intégrée aux politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes après en avoir été un « angle mort », pour reprendre l'expression de notre collègue Laurence Rossignol.

Je rappelle toutefois que l'exposition spécifique des femmes et des filles en situation de handicap aux violences ne doit pas se limiter au contexte conjugal, car elle concerne tout le champ des violences faites aux femmes. Le Grenelle ne saurait donc être considéré comme terminé depuis les annonces du 25 novembre. Il n'est qu'une étape dans un processus.

Aujourd'hui, les moyens humains et financiers doivent être déployés dans tous les territoires pour prévenir, former, informer, accompagner et soigner. Je précise bien dans tous les territoires : en France métropolitaine et dans les outre-mer, dans les grandes villes et dans les territoires plus ruraux, car la violence n'a pas de frontières.

M. François Bonhomme . Absolument !

Mme Annick Billon . Pour gagner ce combat, nous devons aussi et surtout tous changer notre regard sur les femmes en situation de handicap. Ces femmes aspirent à être considérées non comme d'« éternelles mineures » dépendantes de leur entourage, mais comme des citoyennes à part entière dont la parole ne saurait être mise en doute au nom de leur handicap quand elles dénoncent des violences. Bien entendu, ces dénonciations doivent avoir lieu dans un cadre particulier, car les victimes sont des personnes en situation de handicap, madame la secrétaire d'État. Il est donc nécessaire qu'elles soient reçues par des personnels formés et compétents : nous ne pouvons pas nous satisfaire de formations en ligne !

Nommer les violences et reconnaître ces femmes comme citoyennes, c'est déjà un pas pour lutter efficacement contre ce fléau. Nous devons donc tout mettre en oeuvre pour mieux connaître ce fléau, avoir de véritables statistiques et enfin lutter contre ces violences, qui sont totalement inadmissibles et révoltantes dans une société comme la nôtre ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM.)

Mme la présidente . La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à vous demander de bien vouloir excuser ma collègue Christine Prunaud, qui n'a pas pu être présente cet après-midi.

Je salue l'initiative prise par plusieurs membres de la délégation aux droits des femmes pour permettre la discussion de cette proposition de résolution. Dénoncer les violences faites aux femmes en situation de handicap et agir contre ces violences, tel est le louable et nécessaire objectif de ce texte.

En effet, ces femmes sont des victimes toutes désignées qui peinent à dénoncer et à se faire entendre. D'après un rapport de l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences.

De son côté, une étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales de 2018 montre que les femmes qui courent le plus de risques d'être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.

Le constat est le même pour l'association Femmes Solidaires , qui a mis en place un numéro d'écoute non surtaxé pour répondre à la détresse des femmes handicapées : 35 % des violences signalées sont commises par le conjoint, même si de nombreuses femmes n'appellent tout simplement pas, notamment en cas de handicap mental.

Cette proposition de résolution vise à formuler quatorze recommandations. Parmi elles, je citerai l'individualisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Elle permettra de sortir de la dépendance économique, qui rend compliquée la possibilité de quitter son conjoint violent. Au-delà de cette question, je rappelle que notre groupe a déposé une proposition de loi sur cette individualisation de l'AAH pour toutes les femmes handicapées, proposition de loi qui a malheureusement été rejetée en octobre 2018. Nombre d'associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap n'ont pas compris que notre Haute Assemblée ne soutienne pas cette proposition, d'autant que 49 % des femmes handicapées sont inactives et que 13 % d'entre elles sont au chômage.

La formation des professionnels de justice et de santé est également impérieuse, l'éducation dès le plus jeune âge indispensable, la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes primordiale. Ce sont autant de recommandations défendues depuis de nombreuses années par les associations féministes.

Dans les Côtes-d'Armor, de nombreuses initiatives en ce sens sont menées. L'association Athéol , par exemple, prévoit un accompagnement et un hébergement spécifique pour les femmes handicapées. La Maison des Femmes du département regroupe vingt et une associations, dont Adalea , qui propose une veille et des réponses très spécifiques pour les femmes victimes de violences conjugales et familiales.

Je formulerai une dernière remarque sur l'accessibilité des bâtiments pour les femmes en situation de handicap. Je rappelle l'incompréhension de mon groupe concernant l'allongement de neuf ans du délai de mise en accessibilité des lieux publics, voté ici même en 2015.

Appeler à une prise de conscience de la situation du handicap, c'est bien, mais donner les moyens techniques, humains et financiers d'accompagner les femmes en situation de handicap, c'est mieux ! À ce propos, nous regrettons qu'aucune référence ne soit faite aux moyens financiers nécessaires pour accompagner ces mesures.

Former des professionnels, aménager des espaces d'hébergement adaptés, mener une politique publique d'inclusion sont autant d'objectifs annoncés, mais sans budget véritablement alloué.

Dans le département du Nord, en 2018, la moitié seulement des 8 000 appels reçus par l'association SOLFA a pu être traitée, faute d'effectifs. Le constat est le même pour l'hébergement d'urgence, puisque plus de 500 demandes n'ont pu aboutir. Les chiffres de 2019, encore inconnus pour le moment, ne seront malheureusement pas meilleurs. C'est dommage, d'autant que les subventions de cette association ont sans cesse diminué depuis 2010.

Les associations féministes mobilisées sur le sujet espéraient sincèrement que le Grenelle déboucherait sur un plan Marshall doté au moins de 500 millions d'euros, voire de 1 milliard d'euros. Une somme bien loin des 79 millions d'euros spécifiquement alloués à cette lutte !

D'ailleurs, comment ne pas s'interroger sur le fait que les conclusions de ce Grenelle n'abordent même pas la question des femmes handicapées ? Elles en sont véritablement les grandes oubliées. C'est bien la preuve que cette proposition de résolution arrive à point nommé.

Parce qu'il montre l'engagement du Sénat sur cette question et qu'il représente un pas en faveur du droit des femmes, nous voterons sans réserve ce texte, cosigné déjà par deux de mes collègues, Christine Prunaud et Laurence Cohen. (Mme Michèle Vullien applaudit.)

Mme la présidente . La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le sujet des femmes en situation de handicap m'est apparu comme particulièrement grave et sous-estimé lors du travail que mes collègues co-rapporteurs et moi-même avons effectué au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Il est sous-estimé, déjà, parce qu'il n'est pas estimé du tout !

Comme pour d'autres sujets, par exemple la protection de l'enfance, nous sommes confrontés à une absence de données. S'il existe quelques enquêtes sectorielles qui tendent à montrer que ces femmes sont plus exposées aux violences que la population générale, ces données sont anciennes.

Le chiffre fréquemment cité selon lequel 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences provient d'un rapport du Parlement européen de 2007.

Il nous faut donc des chiffres, car comment construire une politique publique sur un sujet dont on ne maîtrise ni la fréquence, ni l'ampleur, ni les différentes dimensions, qu'elles soient psychologiques, sexuelles, conjugales ou économiques ? La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) prévoit de réaliser entre 2021 et 2023 une grande enquête sur les personnes handicapées. Tant mieux ! Mais pourquoi en prévoir une si tard ?

Graves et sous-estimées, aussi, sont les défaillances dans la prise en charge de jeunes filles en situation de handicap dans les établissements spécialisés.

Défaillances quant à la prescription de contraceptifs, par exemple, qui se ferait sans véritable consentement ni réel suivi médical. Cela paraît même être une condition pour y être accueillie. Lors de nos auditions, certaines interlocutrices sont allées jusqu'à se demander si l'objectif de telles pratiques n'était pas de se prémunir contre les conséquences de viols...

On ne peut pas non plus passer sous silence les stérilisations qui ont été imposées par le passé à des femmes handicapées dans des institutions françaises. Le Sénat avait déjà dénoncé ces pratiques en 2003, dans le cadre d'une commission d'enquête. Il les jugeait alors sous-estimées. Aujourd'hui, les stérilisations sont heureusement encadrées par la loi et interdites sur les handicapés mentaux placés sous tutelle ou curatelle, sauf indication médicale.

Toutefois, je rappelle ici avec force qu'aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne devrait être « obligée » de prendre une contraception ni faire l'objet d'une stérilisation dans des conditions contraires à la loi. Ce sont les femmes que l'on doit protéger et non les violences sexuelles !

Grave et sous-estimée toujours est la « culture de la soumission », qui caractérise les relations entre les familles des personnes en situation de handicap et les établissements spécialisés qui les accueillent.

Les familles seraient implicitement dissuadées de révéler des violences, par peur que leur enfant ne soit exclu de l'institution ou qu'il soit l'objet d'un signalement auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Par ailleurs, en tant que co-rapporteure de la mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leurs fonctions, le cas spécifique de ces établissements d'accueil nous a été signalé, mais les associations les ayant en gestion n'ont pas cru bon de répondre à notre invitation pour être auditionnées, excepté APF France handicap .

Nous avions alors proposé que le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIVS) soit obligatoirement consulté pour l'embauche de tout professionnel ou bénévole ayant à travailler dans de telles institutions. C'est une demande renouvelée aujourd'hui dans cette proposition de résolution.

Grave et sous-estimé, enfin, le manque de signalement. Or, vous le savez, le secret professionnel ne s'applique pas en cas de violences commises sur des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou d'une incapacité physique ou psychique.

Il serait bon que le signalement ne soit plus considéré, notamment par les médecins, comme une délation ou une prise de risque de leur part, mais soit perçu comme un acte pouvant sauver une vie. Je souhaite donc que le débat sur la question de l'obligation de signaler, actuellement en cours au sein d'une mission d'information au Sénat, aboutisse à une solution permettant de protéger les personnes en situation de handicap, particulièrement les femmes.

Mes chers collègues, cette gravité et cette sous-estimation m'ont poussée à cosigner ce projet de résolution que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente . La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. )

Mme Chantal Deseyne . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis de discuter aujourd'hui de cette proposition de résolution qui permet de mettre en lumière un sujet très grave et pourtant encore tabou.

Comme l'a rappelé Annick Billon, ce texte s'inscrit dans la continuité des travaux de la délégation aux droits des femmes, qui a publié au mois d'octobre dernier un rapport sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, dont j'étais co-rapporteure avec Roland Courteau, Françoise Laborde et Dominique Vérien.

La proposition de résolution vise à insister sur les multiples formes que prennent ces violences, qu'elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques.

Elle tend aussi à souligner, il faut le rappeler, que la vulnérabilité des femmes en situation de handicap est exacerbée par une menace constante. En effet, ces violences peuvent être commises aussi bien au sein de leur domicile, par un conjoint ou par des proches, qu'au sein d'institutions, par des membres du personnel.

Pourtant, rares, voire inexistantes, sont les campagnes de prévention ou les actions de sensibilisation contre ces violences.

Mon intervention portera plus spécifiquement sur le lien qui peut exister entre précarité des femmes en situation de handicap et violences.

En effet, ces femmes sont d'autant plus fragiles et vulnérables qu'elles se trouvent bien souvent dans une situation de dépendance économique : elles ont du mal à poursuivre des études, à trouver un emploi et à évoluer dans leur carrière professionnelle. Elles subissent donc encore plus d'inégalités que l'ensemble de la population féminine.

Notre rapport identifie plus particulièrement trois facteurs aggravant la précarité et la dépendance économique des femmes handicapées.

Premier facteur aggravant : les femmes handicapées se heurtent à des obstacles dans le suivi de leur scolarité et de leurs études supérieures, victimes de préjugés à la fois sur leur sexe et sur leur handicap. L'association Droit Pluriel a plus particulièrement alerté la délégation aux droits de femmes sur le taux très élevé de personnes sourdes ne sachant ni lire ni écrire. On ne saurait se satisfaire de cette situation. Il faut impérativement prendre des mesures pour y remédier. L'une de nos recommandations appelle donc à améliorer l'accès aux études des jeunes filles en situation de handicap, car cela constitue un enjeu important de leur autonomisation. Dans cette logique, nous visons aussi les études supérieures.

Deuxième facteur aggravant : la « surdiscrimination » au travail des femmes en situation de handicap ne doit pas être sous-estimée, car elle a des conséquences sur la capacité de ces femmes à échapper à leurs éventuels agresseurs.

Un remarquable rapport du Défenseur des droits, publié en novembre 2016, analyse en détail les multiples discriminations dans l'emploi dont sont victimes les femmes en situation de handicap. Le constat est édifiant.

Le Onzième baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi , publié en 2018 par le Défenseur des droits et l'Organisation internationale du travail, montre par exemple que 34 % de la population active âgée de 18 à 65 ans déclare avoir été confrontée à des discriminations durant les cinq dernières années, contre une proportion de 54 % pour les femmes en situation de handicap, soit plus d'une femme sur deux.

Les préjugés freinent ainsi l'insertion professionnelle des femmes handicapées, victimes d'une double exclusion, parce qu'elles sont femmes et parce qu'elles sont handicapées. À cet égard, il faut savoir que, dans un cadre professionnel, un homme handicapé sera considéré comme plus apte à surmonter son handicap qu'une femme handicapée.

Dans un premier temps, ces femmes sont soumises à une ségrégation horizontale puisqu'elles sont, davantage que les autres femmes, susceptibles d'occuper des emplois de niveau inférieur ou des temps partiels, généralement peu rémunérés, qui les maintiennent dans une situation de précarité.

Dans un second temps, elles subissent davantage les effets du « plafond de verre », puisque 1 % seulement des femmes handicapées en emploi sont cadres, contre 10 % de leurs homologues masculins.

L'une de nos recommandations vise donc à prévoir que le critère de l'égalité femmes-hommes soit mieux pris en compte dans les politiques visant à favoriser l'emploi et la formation des personnes en situation de handicap.

Suivant les préconisations du Défenseur des droits sur le sujet, nous recommandons aussi la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l'emploi et pour développer l'accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations au bénéfice des personnes en situation de handicap.

Troisième facteur aggravant : lorsque la seule source de revenus des femmes en situation de handicap est l'allocation aux adultes handicapés, elles demeurent dans une situation de précarité et de dépendance intolérables. En effet, en tant que revenu de solidarité, l'AAH est soumise à des conditions de ressources et intègre les revenus du conjoint dans le barème de versement.

Convaincus que l'autonomie économique des femmes handicapées est un prérequis pour leur permettre d'échapper à des situations de violence, nous appelons donc à une réflexion sur l'allocation aux adultes handicapés qui prenne en compte l'importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l'autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent.

Pour conclure, je dirai que le renforcement de l'autonomie professionnelle est l'un des facteurs clés pour prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.

Mme la présidente . Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Chantal Deseyne . Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. - Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente . La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est avec une émotion particulière que j'interviens cet après-midi à la tribune du Sénat pour défendre, avec mes collègues rapporteures et avec la présidente de la délégation aux droits des femmes, cette proposition de résolution.

Ce texte constitue l'aboutissement d'un travail de plusieurs mois sur les violences faites aux femmes en situation de handicap. Le rapport d'information qui en est issu a été adopté par notre délégation à l'unanimité.

Comme l'a souligné notre présidente, le fait que cette proposition de résolution soit cosignée par un si grand nombre de sénateurs et de sénatrices, de tous les groupes politiques, traduit l'implication de l'ensemble de notre assemblée pour défendre les victimes de ces violences insupportables, parce qu'elles visent des personnes vulnérables qu'il est de notre devoir de défendre contre les prédateurs qui les prennent pour cibles. Car il s'agit bien de prédateurs !

Mon engagement contre les violences faites aux femmes est ancien : c'est le fil conducteur de mon parcours d'élu. J'y travaille depuis de longues années, à la fois comme législateur et sur le terrain.

Si, ces dernières années, quelques avancées ont pu être constatées, notamment en matière de lutte contre les violences conjugales, on ne peut en dire autant des violences auxquelles sont confrontées les femmes en situation de handicap.

Deux adjectifs ont émergé des témoignages que nous avons entendus au cours de notre travail : « oubliées » et « invisibles ». Il faut y ajouter « inaudibles », car à toutes les violences que subissent ces femmes, s'ajoute la violence qui résulte d'une parole presque toujours mise en doute, au nom de leur handicap, comme si leur identité pouvait être réduite à celui-ci.

Certes, la prise en compte des femmes handicapées dans les politiques publiques de lutte contre les violences est récente, puisqu'elle remonte, en réalité, aux deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes : le quatrième plan, qui couvre la période 2014-2016, et le cinquième plan, qui concerne les années 2017-2019.

On peut donc espérer que les dynamiques enclenchées depuis 2014 conduisent prochainement, si les moyens nécessaires sont mobilisés, à des résultats concrets.

Le quatrième plan a ainsi pris en compte les femmes handicapées dans les objectifs définis dans le domaine de la formation initiale et continue des agents du service public et des professionnels. C'était une orientation pertinente, car la formation des personnels est, on le sait, décisive dans ce domaine.

Dans le même temps, des clips de sensibilisation ont été adaptés à certaines formes de handicap, puisqu'ils ont été sous-titrés et traduits en langue des signes. Voilà une bonne pratique à rendre, si cela est possible, systématique !

Quant au cinquième plan, il prévoyait la formation des professionnels au contact des femmes handicapées, l'éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux et la signature d'une convention entre le 3919 et le 3977, numéro national pour lutter contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées, afin d'orienter les femmes en situation de handicap vers des structures spécialisées.

Nous avons par ailleurs noté que la feuille de route issue du comité interministériel du handicap, intitulée Gardons le cap, changeons le quotidien !, prenait aussi en compte la lutte contre les violences faites aux femmes, en contribuant notamment à renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel et les discriminations. Cette démarche devra donc être amplifiée à l'avenir.

Parmi les pistes à explorer, on pourrait promouvoir des campagnes de sensibilisation et de communication montrant des femmes en situation de handicap. Il faut que celles-ci cessent d'être invisibles pour sensibiliser l'opinion publique à la réalité des violences qu'elles subissent.

Il est certain que l'effort de formation des professionnels doit se poursuivre de manière plus ambitieuse, afin d'encourager et de crédibiliser la parole des victimes de violences et de leur garantir une prise en charge adaptée. C'est un impératif bien connu de la délégation aux droits des femmes. Il est encore plus prégnant dans le cas des femmes en situation de handicap.

Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, une formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Plus particulièrement, la méconnaissance des symptômes du psychotrauma par de nombreux praticiens conduit des professionnels à passer à côté d'une situation de violence.

Tous les professionnels et bénévoles en contact avec des personnes en situation de handicap, ou susceptibles de l'être, devraient être formés au repérage des violences. Ce point concerne aussi bien les soignants, les bénévoles des centres d'accueil, les écoutants des plateformes téléphoniques que les personnels de l'ASE ou des cellules de recueil des informations préoccupantes. Il vise aussi, bien évidemment, les professionnels de la chaîne judiciaire.

Madame la secrétaire d'État, nous comptons sur le Gouvernement pour que le sixième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui devrait commencer en 2020, poursuive et amplifie les quelques efforts déjà observés ces dernières années.

Par ailleurs, il nous a paru regrettable que la stratégie nationale pour l'autisme au sein des troubles du neuro-développement ne prévoie pas de mention explicite de la prévention et de la lutte contre ces violences, même si certaines mesures peuvent contribuer à une prévention indirecte des violences sexuelles à l'égard des femmes autistes. Il y a probablement là une piste d'évolution à envisager.

Quant au Grenelle contre les violences conjugales , je ne suis pas convaincu que les actions spécifiques annoncées le 25 novembre dernier à destination des femmes en situation de handicap soient à la hauteur des enjeux. La « formation en ligne certifiante s'adressant aux professionnels des établissements et services médico-sociaux » manque d'ambition. Je ne vois pas comment une formation en ligne pourrait se substituer à un réel apprentissage, compte tenu de la complexité et de la sensibilité de la question.

Permettez-moi aussi d'exprimer quelques doutes sur les « centres ressources prévus dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et sexuelle et leur parentalité ».

Notre rapport souligne la nécessité d'une éducation à la sexualité pour toutes les jeunes femmes en situation de handicap, dans une perspective de prévention des violences et d'accompagnement à la maternité. Or ces centres ressources ne sont à la hauteur de cet enjeu ni par leur nombre, trop faible, ni par leurs objectifs, formulés en des termes aussi abstraits que flous.

Il nous a donc semblé que deux évolutions étaient nécessaires pour mieux accueillir les femmes handicapées victimes de violences. D'une part, il s'agit de faire en sorte que les politiques publiques du handicap intègrent la dimension de l'égalité femmes-hommes dès le plus jeune âge. D'autre part, les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes doivent systématiquement prendre en compte la dimension du handicap.

Seule cette approche transversale des questions relatives au handicap et des politiques publiques de lutte contre les violences, croisant le genre et le handicap, pourrait permettre aux femmes en situation de handicap d'avoir toute leur place dans les plans de lutte contre les violences.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste votera bien sûr sans réserve ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, RDSE et UC.)

Mme la présidente . La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. - Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme Françoise Laborde . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis heureuse de défendre aujourd'hui cette proposition de résolution visant à dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.

Comme l'ont déjà dit les orateurs précédents, ce texte s'inscrit dans la continuité d'un rapport de la délégation aux droits des femmes. Il nous a semblé important d'étudier en détail la situation de ces victimes parmi les plus vulnérables. Les personnes auditionnées nous ont rappelé l'importance de considérer les individus en situation de handicap non comme des « objets de soin », mais comme des « sujets de droit ».

Pour ma part, je centrerai mon intervention sur la question de l'accès aux droits pour ces femmes, véritable clé de la réussite dans la lutte contre les violences. Il faut, par exemple, permettre l'accessibilité aux structures d'accueil ou encore la prise en charge par les forces de police et de justice.

D'énormes progrès restent à faire en la matière. Si les démarches pour se rendre au commissariat et porter plainte sont éprouvantes pour les femmes victimes de violences, elles peuvent être insurmontables pour les femmes en situation de handicap. Le manque de formation des professionnels et l'inadaptation de certaines procédures aux formes de handicap sont des facteurs de blocage encore plus forts de la libération de la parole des femmes handicapées.

Cette spécificité nécessite une formation particulière, qui fait défaut aux forces de sécurité et aux personnels de la justice. La formation encore insuffisante à la question des violences faites aux femmes comporte encore davantage de lacunes lorsque ces violences concernent les personnes handicapées ! D'après les témoignages, l'accueil par la police des victimes en situation de handicap est largement perfectible : manque d'empathie parfois, attitude condescendante, inadaptation des questions... Comme l'ont dit mes collègues, cela ne s'apprend pas en ligne !

Alors que la crédibilité des victimes est centrale dans la procédure judiciaire, les personnes handicapées sont souvent infantilisées et présumées incapables. Les personnels n'intègrent pas le fait que les victimes puissent être particulièrement traumatisées par les violences subies.

Ces constats faits pour la police valent aussi pour la justice. Comme nous l'a indiqué la directrice de l'association Droit pluriel , les professionnels du droit ne comprennent pas, par exemple, la spécificité des personnes malentendantes. Le nombre de permanences juridiques en langue des signes reste à ce jour très limité, le public concerné est exclu de fait des lieux d'aide aux victimes.

En conséquence, nous plaidons pour le développement d'outils et de procédures permettant aux personnes handicapées d'entamer des démarches judiciaires dans des conditions adaptées. Cet effort doit notamment viser les personnes autistes et les personnes malentendantes.

L'accès aux droits des personnes en situation de handicap passe d'abord par l'accessibilité matérielle des dispositifs destinés aux victimes, comme les centres d'hébergement ou lieux de dépôt de plainte. Mais une meilleure accessibilité suppose aussi la formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap ; construire des rampes d'accès ou des ascenseurs adaptés ne suffit pas.

Un autre volet essentiel des droits des personnes en situation de handicap est celui de leur accès à la santé et de leur autonomie en matière de soins, conditions nécessaires à leur dignité. Le Parlement européen, dans des résolutions de mars 2007 et novembre 2018, a souligné les difficultés liées à l'inadaptation des infrastructures médicales et regretté le manque de suivi gynécologique des femmes handicapées.

Une étude de l'agence régionale de santé d'Île-de-France, publiée en 2018, relative aux besoins et à la prise en charge gynécologique et obstétricale montre un déficit plus important dans le suivi gynécologique des femmes en situation de handicap. Par exemple, 85 % d'entre elles n'ont jamais passé de mammographie.

On ne peut se satisfaire de cette situation ! L'accès aux soins et aux dépistages des cancers féminins est un droit qui ne peut être enlevé aux femmes en situation de handicap. L'une des recommandations de notre rapport porte donc sur le suivi gynécologique des femmes et adolescentes en situation de handicap : il est indispensable qu'il soit régulier , a fortiori dans le cadre d'un traitement contraceptif, qu'elles résident ou non dans des institutions. Nous demandons également que les équipements de dépistage du cancer du sein soient adaptés aux patientes handicapées.

L'information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualité doit s'inscrire dans la prévention des violences, y compris sexuelles, auxquelles elles sont particulièrement exposées et s'étendre à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.

Pour conclure, je voudrais citer ces paroles fortes de Brigitte Bricout, alors présidente de Femmes pour le dire, Femmes pour agir , association de référence pour la prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences : « Ce n'est pas notre handicap qui nous définit, c'est d'être femme. Les femmes qui constituent la moitié de la société civile sont des citoyennes, comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyenne est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile, mais à l'intérieur. »

Il est de notre devoir de garantir la citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement.

Mes chers collègues, je vous invite, tout comme le feront les membres du groupe du RDSE, à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente . La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous étudions aujourd'hui une proposition de résolution présentée par nos collègues membres de la délégation aux droits des femmes.

Nous tenons à saluer l'initiative transpartisane que constitue cette proposition de résolution et nous souscrivons largement aux objectifs qui y sont énoncés.

La lutte contre les violences faites aux femmes est un combat de tous les instants. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Selon une étude de l'Institut français d'opinion publique (IFOP), 12 % des Françaises ont été victimes de viols et 43 % déclarent avoir subi des gestes sexuels sans leur consentement.

Nous partageons le constat, plus qu'alarmant, sur l'exposition particulièrement marquée des femmes en situation de handicap aux violences, que ce soit dans le cercle familial ou dans les institutions spécialisées. D'après un rapport de l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences, notamment sexuelles et conjugales.

Un autre chiffre nous démontre l'ampleur du phénomène : selon une étude de 2016 de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, les femmes qui courent le plus de risques d'être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.

Il s'agit d'un cercle vicieux : le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent le handicap. Nous devons tout mettre en oeuvre pour sortir de cette spirale infernale et mieux protéger les femmes.

Cela passe tout d'abord par une meilleure prévention et une meilleure connaissance du phénomène grâce, notamment, à des études et des statistiques plus nombreuses.

Nous devons également travailler davantage avec les acteurs associatifs qui, chaque jour, proposent une écoute, un accompagnement juridique, social et psychologique à destination de ce public particulièrement exposé.

Enfin, la facilitation des démarches administratives et judiciaires apparaît nécessaire pour favoriser la prise en charge effective des victimes.

Le Gouvernement a pleinement conscience de cette réalité. Durant le Grenelle contre les violences conjugales , la prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap avait fait l'objet d'un groupe de travail spécifique. Un certain nombre de propositions ont été annoncées et seront mises en oeuvre dès 2020.

Je pense notamment à la lutte contre les violences en établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) par un travail d'encadrement et de valorisation des bonnes pratiques déployées par les agences régionales de santé (ARS).

Je pense également à la formation des professionnels de santé intervenant dans les ESMS à la question des violences faites aux femmes, dont les violences conjugales.

L'objectif est également de faire connaître des dispositifs déjà mis en place et qui ont prouvé leur efficacité. Ainsi, le 3919, service d'écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences, sera accessible aux personnes sourdes et malentendantes.

Nous sommes favorables à toute initiative visant à prévenir et à lutter contre les mauvais traitements infligés aux personnes en situation de handicap. La société inclusive que nous prônons est une société dans laquelle est intégrée chaque personne en dehors de toute autre considération. De ce fait, elle lutte contre les inégalités de destin par sa solidarité.

Aussi, nous saluons la qualité du rapport d'information du groupe de travail mené par notre collègue Roland Courteau au nom de la délégation aux droits des femmes, dont nous approuvons les propositions, car elles vont dans le sens d'une meilleure prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences.

Les politiques publiques concernant l'égalité entre les femmes et les hommes, grande cause nationale du quinquennat, s'entendent de manière générale. Elles concernent, a fortiori , les femmes les plus vulnérables et c'est pourquoi nous soutiendrons tous - en tout cas, je l'espère - cette proposition de résolution.

Voter ce texte à l'unanimité du Sénat enverrait un message fort et démontrerait notre volonté commune de lutter ardemment contre toutes les formes de violences faites aux femmes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et SOCR.)

Mme la présidente . La parole est à M. Loïc Hervé. ( Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, mes chers collègues, le nombre de femmes décédées en 2019 sous les coups de leur conjoint est de 149. Durant le Grenelle contre les violences conjugales installé le 3 septembre dernier par le Gouvernement, une attention toute particulière a été portée à la question des féminicides et à leur ampleur, mais également à celle des violences faites aux femmes en situation de handicap.

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, à laquelle j'appartiens, a voulu mettre l'accent sur ce fléau, souvent oublié par les politiques publiques, que sont les violences faites aux femmes handicapées. En effet, lors de la table ronde que nous avions organisée le 6 décembre 2018, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Mme Pascale Ribes, vice-présidente de l'association France handicap , rappelait une fois encore que « les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques ».

Je tiens à remercier nos collègues Dominique Vérien, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Roland Courteau pour leur travail et ce rapport, qui nous permet aujourd'hui de mesurer tout l'enjeu de cette proposition de résolution.

De nombreux points mis en avant par le rapport ont déjà été rappelés. Pour ma part, je souhaite mettre l'accent sur l'effort nécessaire de formation des professionnels, en particulier des forces de police et de justice qui sont les premiers interlocuteurs de toute victime souhaitant déposer plainte. Dans de nombreux cas, l'accueil de victimes en situation de handicap reste difficile : absence d'empathie, manque d'égards, attitude condescendante, inadaptation des questions ou de la procédure. C'est pourquoi il est essentiel qu'ils acquièrent les connaissances solides afin d'accueillir dans de meilleures conditions et avec bienveillance les femmes en situation de handicap victimes de violences sexuelles.

Ainsi, au cours des auditions menées par nos collègues rapporteurs, ont notamment été soulevées les difficultés rencontrées par les personnes sourdes et malentendantes sur lesquelles je voudrais faire quelques remarques.

Tout d'abord, celles-ci ne sont pas familières du monde judiciaire, et les professionnels du droit sont peu réceptifs à leur situation.

Ensuite, force est de constater que le nombre de permanences juridiques en langue des signes reste à ce jour très limité, ce qui exclut encore davantage ces personnes des dispositifs mis en place pour l'aide aux victimes.

Le même constat peut également être fait à l'égard des personnes autistes ou malentendantes.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les différentes lacunes que j'ai relevées aujourd'hui nous conduisent à recommander un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap.

En tant que membre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, j'estime qu'il est absolument nécessaire que nous prenions tous conscience des agissements que j'ai dénoncés. Je vous invite donc, avec les membres du groupe Union Centriste, à adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente . La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, mes chers collègues, 80 % des femmes handicapées subissent des violences. Elles sont négligées, humiliées, insultées, frappées, violées, parfois tuées. Nous ne pouvons plus tolérer l'intolérable. Les gouvernements successifs se sont penchés sur ce sujet ô combien tragique, mais hélas, jusqu'à aujourd'hui, ces violences persistent.

Cette proposition de résolution en date du 25 novembre 2019 vient s'inscrire dans la continuité des travaux engagés au cours de la session 2017-2018 par notre délégation aux droits des femmes sur les violences faites aux femmes, et du rapport déposé le 3 octobre dernier par mes collègues Chantal Deseyne, Dominique Vérien, Françoise Laborde et Roland Courteau, dont je salue l'excellente initiative.

Il y a un sujet sur lequel nous ne pouvons pas transiger tant il est important. Un sujet qui, cependant, reste étrangement silencieux lorsqu'il s'agit des femmes en situation de handicap, qui comptent pourtant parmi les premières victimes d'abus, compte tenu de leur vulnérabilité. Ce sujet, vous l'aurez compris, mes chers collègues, c'est le consentement, qui est « l'angle mort » de la politique publique d'accompagnement du handicap. Pourtant, il n'est pas possible de le considérer comme « acquis par défaut », qu'il s'agisse de sexualité ou de tout autre domaine de la vie.

Je souhaite donc rappeler dans un premier temps qu'il est nécessaire de mieux relier les indicateurs de « violence » et de « handicap » dans la prise en charge institutionnelle et légale des victimes, afin d'obtenir des bases statistiques qualifiant et quantifiant mieux les faits.

Selon une étude menée par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, 31 % des femmes en situation de handicap sont ou ont été victimes de violences physiques ou sexuelles. Par ailleurs, 3,9 % des femmes handicapées sont victimes de violence dans le couple, contre 1,87 % des femmes en moyenne. Les filles et les femmes en situation de handicap ont jusqu'à dix fois plus de risques d'être maltraitées que les femmes valides.

En France, cependant, aucune étude nationale spécifique n'a été menée récemment pour mesurer ces violences. Maudy Piot, présidente de l'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir estimait que quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences, notamment au-dessous de 25 ans. Les agresseurs sont les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 14 %, les parents à 9 % et les aidants extérieurs à 18 % selon les statistiques du 114, numéro d'urgence dédié aux personnes sourdes ou malentendantes. Ces femmes sont également victimes d'agressions sexuelles dans les institutions spécialisées qui les accueillent, comme les instituts médico-éducatifs (IME) ou les établissements et services d'aide par le travail (ÉSAT). Les dispositifs d'urgence existants doivent être renforcés pour repérer les victimes plus efficacement.

Cependant, ces abus de faiblesse ont lieu à 60 % au domicile, rendant le problème invisible. Beaucoup de femmes n'appellent pas ces numéros d'urgence, et n'entrent pas non plus en contact avec les nombreuses associations qui assurent un travail remarquable de terrain au quotidien, auxquelles je rends hommage aujourd'hui. Il convient de diversifier les systèmes de signalement et de contrôle afin que cette réalité soit prise en compte.

En dépit des conseils et de l'écoute des associations et institutions, les violences perdurent souvent. Il faut alors porter plainte. Mais la démarche est difficile, surtout lorsque des dépendances existent. Ces dépendances peuvent être financières, à travers la gestion de l'AAH par un proche maltraitant, mais également matérielles, au travers du logement ou de la nourriture, ou encore affectives, avec la pression morale exercée par le proche maltraitant. La peur des représailles est également très présente.

Dans un second temps, il faut donc évoquer la sécurisation d'un véritable parcours de plainte autonome et accessible pour toutes les femmes victimes de violence qui ont peur de se lancer dans une démarche judiciaire, pourtant essentielle.

Une fois ce cap franchi, le parcours de la combattante ne s'arrête pas ; il faut encore se déplacer et oser entrer dans le commissariat ou la gendarmerie. Or tous ces lieux ne sont pas encore entièrement accessibles. Il y a aussi la honte, face à des personnels parfois insuffisamment sensibilisés et formés pour recevoir ces plaintes. Trouver des solutions adaptées permettant de fluidifier la procédure est une priorité pour ces femmes. Il faut que l'ensemble des personnels d'accompagnement, les forces de l'ordre et plus largement les citoyens prennent conscience de la réalité des violences exercées à leur encontre. Cela implique de la pédagogie, de la formation, comme le rappelle le texte de notre proposition de résolution.

Je conclurai en disant que mon vote est bien entendu favorable à cette proposition de résolution que j'ai cosignée, mais également, mes chers collègues, que nous sommes tous les porte-parole de ces femmes en situation de handicap victimes de violence. Il faut absolument que la peur change de camp ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SOCR.)

Mme la présidente . La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd'hui sur l'un des angles morts des politiques publiques françaises : les violences faites aux femmes en situation de handicap. Je remercie notre collègue et présidente Annick Billon d'avoir porté ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes.

Le rapport sénatorial remis le 3 octobre dernier par nos collègues Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et Roland Courteau avait souligné un manque criant de données sur le sujet en France, alors même que plusieurs rapports internationaux sont unanimes pour souligner la surexposition des femmes handicapées aux violences.

Le constat est en effet sans appel : près de 80 % des femmes handicapées sont victimes de tous types de violences : tentatives de culpabilisation par des proches, moqueries et méchancetés gratuites au quotidien, maltraitances hospitalières, hospitalisations abusives en hôpital psychiatrique, abus de confiance...

Autre chiffre glaçant : les femmes handicapées sont quatre fois plus susceptibles de subir des violences sexuelles que le reste de la population féminine.

La vulnérabilité liée au handicap place bien souvent les femmes dans des situations de dépendance économique et émotionnelle vis-à-vis de leur agresseur. Beaucoup d'entre elles n'osent pas porter plainte par peur des représailles. D'autres, atteintes de handicap mental, sont même dans l'incapacité d'appeler les numéros d'urgence.

Lorsqu'elles osent ou peuvent franchir le pas, elles sont alors confrontées à d'autres violences psychologiques. C'est le cas de cette femme autiste dont on ne croit pas l'histoire parce qu'elle a du mal à s'exprimer et que ses émotions ne sont pas assez manifestes. On peut encore citer l'exemple terrible de cette femme malentendante qui se voit demander par des policiers de mimer le viol qu'elle a subi, car elle n'est pas capable de le raconter.

Cette proposition de résolution appelle à une prise de conscience sociétale, qui doit passer par une sensibilisation accrue de tous à ces violences.

D'abord, il est primordial de mieux former les professionnels à la spécificité des violences sexuelles commises contre les femmes en situation de handicap. Cet effort de formation doit même être étendu à tous les intervenants potentiels : les soignants, les écoutants des plateformes téléphoniques, les professionnels et les bénévoles en contact avec des personnes handicapées, sans oublier les magistrats et agents de police, qui sont en première ligne lorsqu'une victime souhaite déposer plainte.

Ensuite, il est nécessaire d'améliorer l'information des personnes handicapées sur leurs droits, ce qui suppose le développement d'outils de communication dans des formats accessibles, quel que soit le handicap. Une rencontre annuelle et obligatoire avec un psychologue constituerait aussi une véritable avancée pour aider les victimes à rompre le silence.

Enfin, il est temps de briser l'omerta qui règne encore trop souvent dans certains établissements spécialisés. Le secret professionnel ne doit pas permettre aux professionnels de s'exonérer de leurs responsabilités quand ils sont en mesure de présumer qu'une personne handicapée est victime de violences. J'ai ainsi en mémoire le témoignage accablant d'une professionnelle de santé travaillant dans le département dont je suis élue, l'Aisne, et qui soupçonnait un père de famille de viols incestueux réguliers sur ses deux filles placées en institution. Tout le monde savait ; personne n'a jamais osé parler... Parce que le signalement de situations de violences peut sauver des vies, nous devons soutenir l'introduction dans le code pénal d'une obligation de signalement des violences physiques, psychiques ou sexuelles, notamment pour les professionnels de santé.

Mes chers collègues, les violences faites aux femmes en situation de handicap sont aujourd'hui invisibles, mal connues et trop peu prises en compte. Nous voterons cette proposition de résolution, parce qu'elle encourage au changement de regard de l'ensemble de la société et des acteurs de la chaîne sur ces femmes oubliées. Nous devons les aider à sortir du silence et, surtout, faire entendre leur voix. Comme l'excellent rapport de nos quatre collègues nous y invite, il est temps de dénoncer l'invisible et d'agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. - Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente . La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. - M. Daniel Chasseing et Mme Nicole Duranton applaudissent également.)

M. Claude Malhuret . Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, longtemps les violences ont été taboues, en particulier celles qui étaient commises sur les enfants et sur les femmes.

L'année 2019 aura été une année importante dans la lutte pour la fin du silence en France ; il était temps. Une mobilisation sans précédent de la société civile contre les violences faites aux femmes a vu le jour, avec comme point d'orgue la marche organisée par le collectif Nous toutes au mois de novembre dernier. La prise de conscience est là ; c'est une première étape.

De nombreuses actions ont été mises en place. Dans nos rues, placardés sur les murs, comme une trace indélébile dans notre quotidien, nous pouvons voir les prénoms de celles qui ont péri sous les coups. Un Grenelle contre les violences conjugales s'est tenu à la fin de l'année dernière ; trente mesures, que nous soutenons, sont ou seront mises en place, avec, comme objectifs, la prévention et la protection.

Les violences infligées au sein même du cercle familial sont désormais audibles. Elles peuvent être physiques, mais aussi morales, psychologiques ou encore sexuelles. Elles touchent tous les âges et tous les sexes ; elles touchent toute notre société.

La délégation aux droits des femmes, que je souhaite saluer pour le travail sans relâche qu'elle conduit, sous l'égide de son infatigable présidente, Annick Billon, place aujourd'hui le Sénat face au fléau spécifique des violences que subissent les femmes en situation de handicap. Le rapport d'information publié en octobre dernier par cette délégation, sous un titre évocateur et avec des chiffres glaçants, nous donne des pistes de réflexion. La résolution proposée aujourd'hui en fait autant.

Une discussion s'ouvre, et elle doit absolument déboucher sur des réponses adaptées.

Les témoignages recueillis lors des auditions, mais également ceux que l'on entend tous les jours dans les médias et autour de nous, sont éloquents. Les femmes en situation de handicap sont confrontées à de nombreux obstacles et à des violences qui se produisent bien souvent au sein de la famille ou dans les institutions, qui devraient au contraire protéger. D'où l'importance de l'accès à des données fiables et actualisées, afin de prendre conscience de l'ampleur de cette situation.

La délégation a appelé à une prise en compte systématique, dans les politiques publiques, des femmes en situation de handicap. Les conclusions et les mesures dévoilées lors du Grenelle contre les violences conjugales constituent une avancée, qui doit être poursuivie.

La prévention et la sensibilisation sont primordiales, et une prise en charge adaptée en cas de violence l'est tout autant. La procédure en la matière doit être révisée ; tous les maillons du dispositif doivent être formés et sensibilisés aux besoins spécifiques des femmes handicapées.

La proposition de résolution fait à juste titre mention de l'accès aux établissements médicaux et aux locaux de police ou d'hébergement d'urgence. Cette accessibilité doit répondre à toutes les formes de handicaps.

Je souhaite aussi parler de la prise en charge lors des appels d'urgence. Il est nécessaire d'améliorer ce système grâce, là encore, à la sensibilisation et la formation du personnel. L'écoute est essentielle ; c'est l'une des recommandations de la mission d'information, et cela me semble nécessaire. On a prévu, à l'issue du Grenelle , l'ouverture 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 du numéro d'urgence 3919. Il est précisé, au travers de cette mesure, que ce dispositif sera rendu accessible aux personnes en situation de handicap. Celles-ci doivent être certaines qu'elles seront entendues, qu'une protection leur sera apportée et que leurs droits seront garantis.

Les difficultés d'accès se retrouvent aussi dans les diverses formes de soin, de dépistage et de diagnostic. La proposition de résolution le met en évidence, les études récentes ont démontré que les femmes handicapées étaient plus exposées au risque de cancer du sein, du fait d'un dépistage insuffisant. La question du suivi, notamment gynécologique, de ces femmes est aussi essentielle ; ce suivi ne paraît pas suffisamment bien assuré. La santé est un bien précieux pour chaque Français, pour chaque Française.

La délégation aux droits des femmes a soulevé un autre point substantiel et la proposition de résolution que nous étudions le reprend : il s'agit de l'autonomie économique des femmes en situation de handicap.

M. Roland Courteau . C'est essentiel !

M. Claude Malhuret . De nombreux témoignages font part des difficultés d'accès à l'éducation, pour ces femmes, dès le plus jeune âge. Cela se poursuit durant les études et, plus tard, lors d'une prise de poste ou de responsabilités supérieures. L'accès à l'éducation est un pilier de notre République ; la possibilité de créer son parcours professionnel et d'accéder à l'emploi forme la base de notre système et de notre conception de l'égalité des chances.

Il est important de mettre ici en lumière la situation, dans le milieu du travail, des femmes atteintes d'autisme, dont les témoignages appellent à l'urgence d'un meilleur dépistage. Chacun de nos concitoyens doit pouvoir prendre sa place dans notre société et ne pas s'en sentir exclu, mis de côté. Notre système doit s'adapter.

Chacun doit se sentir concerné par le sujet qui nous rassemble aujourd'hui. Les acteurs associatifs manquent de moyens et parfois de personnes suffisamment formées pour mener à bien leur combat. L'État, bien conscient de l'enjeu dont nous traitons, doit être encouragé à prendre, dans ses politiques publiques, des mesures de lutte, mais aussi de prévention, contre les violences faites aux femmes en situation de handicap. Les professionnels du secteur sont invités à avoir un haut niveau de formation et de sensibilisation sur ces violences. Enfin, nous, citoyens, devons modifier nos comportements et nos préjugés, car nous mènerons cette lutte ensemble pour bâtir une société plus tolérante et plus protectrice, où chacun trouvera sa place.

Le groupe Les Indépendants , dont tous les membres ont cosigné cette proposition de résolution, votera pour ce texte. Celui-ci nous propose de réfléchir et d'avancer ensemble, afin de répondre de manière adéquate à ce problème ; ce n'est que l'une des étapes de tout le travail qu'il reste à accomplir, mais elle est essentielle. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et SOCR. - M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente . La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées . Madame la présidente, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à saluer votre initiative, transpartisane et consensuelle, sur un sujet longtemps tabou mais qui devient prégnant dans notre société, et c'est tant mieux.

Vous l'avez très justement rappelé, être femme et en situation de handicap expose plus que tout à des situations de violences conjugales et sexuelles. Être femme et être en situation de handicap représentent souvent des motifs de discrimination, dont le cumul est plus qu'inacceptable.

Vous l'aurez noté, c'est la première fois qu'un gouvernement compte deux secrétariats d'État, l'un au handicap, l'autre à l'égalité femmes-hommes, directement rattachés au Premier ministre. Ainsi, ce sujet, loin d'être un angle mort, bénéficie au contraire pleinement de la volonté du Président de la République et du Premier ministre de mettre ces sujets au coeur de l'action gouvernementale et de nos politiques publiques.

Vous l'avez souligné, d'après un rapport de l'ONU, sur cinq femmes en situation de handicap, quatre seraient victimes de violences. De même, une étude, en date de mars 2016, de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales montre que les femmes qui courent le plus de risques d'être victimes de violences conjugales sont les jeunes femmes en situation de handicap de moins de 25 ans, qui se trouvent, souvent, chez elles.

L'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir , dont je veux saluer l'engagement de l'ancienne présidente, Maudy Piot, qui nous a quittés, m'a fait part, au cours de mes visites, du nombre croissant d'appels qu'elle reçoit depuis l'ouverture, en 2015, de son numéro d'appel. Parmi les appelants, 86 % sont des victimes ; les autres font généralement partie de l'entourage d'une victime. Par ailleurs, 38 % des appelantes ont entre 45 et 65 ans ; 16 % de ces femmes ont entre 26 et 45 ans. En revanche, les moins de 25 ans, pourtant largement victimes - ce sont les plus exposées -, n'appellent pas ou le font très peu.

Les femmes touchées par des handicaps psychiques représentent plus d'un tiers des appelantes ; elles sont, pour la moitié d'entre elles, sans emploi. Les femmes ayant une difficulté liée à une déficience intellectuelle n'appellent pas.

Une autre enquête corroborant l'urgence à agir est celle qui a été menée par l' Association francophone de femmes autistes . Alors que, en France, 14,5 % des femmes ayant entre 20 et 69 ans ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie, ce chiffre passe à 90 % pour celles qui sont atteintes de troubles du spectre de l'autisme. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes...

Les paroles des femmes sont également éloquentes. Ainsi de ce témoignage d'une femme de 47 ans, atteinte d'une déficience physique à l'âge de 22 ans : quand j'ai réussi à tomber enceinte - c'était un projet du couple depuis plusieurs années -, mon conjoint m'a intimé d'avorter, de peur que je « ponde un handicapé » - sic -, puis m'a infligé, entre autres histoires sordides, des maltraitances physiques et psychologiques qui ont entraîné ma fuite quand mon fils a eu cinq ans.

Autre témoignage : violence de mon mari, qui me traitait de « fainéante » et de « handicapée égocentrique «  devant les enfants, quand j'étais fatiguée. Il n'a jamais accepté la maladie ; il a supprimé mon accès aux comptes, à mon compte mail et a repris les clés de la maison quand j'étais en rééducation.

D'autres témoignages, aussi édifiants que ceux-là, parlent d'eux-mêmes, et vous les avez tous entendus lors de vos auditions.

Pourtant, longtemps, la société ne s'est pas sentie concernée et est souvent restée indifférente.

M. Roland Courteau . Eh oui !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État . Lancé, le 3 septembre 2019, par le Premier ministre, le Grenelle contre les violences faites aux femmes a été une occasion sans précédent de dresser ce bilan accablant. J'y ai justement conduit un atelier sur les violences faites aux femmes handicapées.

La société ne doit plus détourner le regard de ces violences. Croyez-moi, ce n'est qu'ensemble que nous pourrons relever ce défi, en prenant en compte les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap, dans tous les domaines de l'action publique. La mobilisation a permis d'accélérer et de renforcer la prise en considération du handicap dans la lutte contre les violences.

Conformément aux engagements pris par le comité interministériel du handicap, le 25 octobre 2018, et confirmés le 3 décembre 2019, nous avons lancé différentes actions.

La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et les associations mobilisées se sont engagés dans la rédaction de fiches réflexes, qui visent à apprendre à tous les professionnels intervenant auprès des femmes en situation de handicap à repérer des violences qu'elles subissent ou ont subies, à mieux accompagner les intéressées et à mieux les orienter. Ces fiches sont finalisées ; il s'agit maintenant de travailler sur leur déclinaison opérationnelle, ce qui sera fait prochainement.

Pour ce qui concerne les urgences, le numéro 114 a été mis en accessibilité totale, afin que les femmes malentendantes ou sourdes puissent obtenir une réponse rapide.

Le Grenelle nous permet de poursuivre notre action et de l'amplifier. Ainsi, au titre de cette mobilisation interministérielle, nous allons agir plus fortement en matière de prévention. Lutter contre les violences faites aux femmes nécessite en effet de s'attaquer au problème à la racine ; l'éducation à la non-violence des enfants constitue donc un maillon indispensable de l'arsenal de mesures visant à combattre ces drames, afin d'éviter d'autres témoignages tels que celui-ci : « Au collège : harcèlement scolaire lié à mon handicap et au fait d'être une jeune fille. Le “légume” - c'est moi qui suis désignée comme tel par mes camarades - n'a pas la possibilité d'avoir un petit copain. On essaie de me rouler des pelles sans mon autorisation. » Ce témoignage, d'une femme de 32 ans atteinte d'un handicap physique de naissance, est très fréquent dans les collèges et les lycées.

Parmi les actions que nous allons engager à ce titre, une attention toute particulière sera accordée aux enfants et aux jeunes en situation de handicap. Nous devons être attentifs à ce que toutes nos actions puissent être adaptées, en tant que de besoin, aux femmes en situation de handicap.

À cet égard, je tiens à souligner une avancée importante : la mise en accessibilité prochaine du numéro 3919 pour les femmes sourdes ou malentendantes. Sur le fondement de la même exigence sera aussi créé un document accessible aux femmes en situation de handicap ; cela leur permettra d'être informées de la procédure, des recours et des possibilités d'accompagnement en cas de violence. Ce document sera adapté aux dispositifs locaux, en métropole comme en outre-mer, dans les lieux d'accueil, en coordonnant, par exemple, des actions locales.

Par ailleurs, nous nous sommes également engagés à mettre en oeuvre des actions très spécifiques, afin de répondre aux attentes des victimes en situation de handicap. Un centre de ressources sera déployé dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap, dans leur vie intime et sexuelle et dans leur parentalité. Ce centre mettra sur pied un réseau d'acteurs de proximité, afin que chaque femme en situation de handicap puisse trouver des réponses, qu'il s'agisse de sa vie intime ou de violences subies.

De surcroît, ces centres constitueront un point d'entrée unique, avec un réel rôle de coordination des différents acteurs concernés et, surtout, une identification beaucoup plus simple des interlocuteurs nécessaires lorsque l'on est confronté au pire. Avec cette organisation, les femmes seront soutenues dans leur pouvoir d'agir, notamment au travers d'échanges avec leurs pairs.

Ces centres seront aussi au service des aidants familiaux et des professionnels ; ils permettront d'avoir plus rapidement des retours d'expérience, afin d'affiner toujours mieux l'action des services de l'État.

Ce dispositif existe déjà ; il s'inspire fortement du centre ressources de Nouvelle-Aquitaine, qui fonctionne bien, car il est adossé à l'ensemble de cet écosystème et qui, en parallèle, sensibilise les aidants familiaux et les professionnels médico-sociaux. Nous travaillons actuellement avec les acteurs concernés à la rédaction du cahier des charges de ces centres de ressources, afin que ceux-ci essaiment le plus vite possible.

Il sera rappelé à l'ensemble des établissements et services médico-sociaux la nécessité absolue du respect de l'intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées. Aucune tolérance ne doit être acceptée à l'égard d'éventuels manquements en la matière ; c'est fondamental. La plus grande vigilance sera exigée des autorités de contrôle sur l'identification et le traitement sans délai des violences.

Nous nous appuierons notamment sur la Note d'orientation pour une action globale d'appui à la bientraitance dans l'aide à l'autonomie , remise par Denis Piveteau, président de la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance, commission conjointe du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge et du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Ce rapport a été remis, en janvier dernier, à Agnès Buzyn et à moi-même.

Il s'agit également de capitaliser sur les initiatives qui fonctionnent, comme le projet HandiGynéco , institué en Île-de-France en mai 2018, sur l'initiative de l'agence régionale de santé. Ce projet permet de faire intervenir des sages-femmes au sein des établissements médico-sociaux franciliens, pour leur proposer un suivi gynécologique qui représente parfois, pour certaines femmes, la première consultation gynécologique.

Nous voulons aussi travailler sur la notion de violences, d'atteintes corporelles, tant avec les personnes handicapées qu'avec le personnel. J'ai pu le vérifier par moi-même en me rendant dans un établissement : c'est assez remarquable comme la parole peut enfin se libérer, comme les femmes peuvent parler de leur propre corps, de leurs ressentis. C'est indispensable.

Les items de la mesure de satisfaction prévus par la Haute Autorité de santé pour les personnes accompagnées dans les établissements médico-sociaux devront également prendre en compte la dimension de la vie affective et sexuelle. Nous allons également améliorer l'accès aux soins des femmes en situation de handicap. Vous l'avez dit, monsieur le sénateur Malhuret, il faut absolument que l'on puisse tous travailler sur l'accès aux soins, notamment gynécologiques, en mettant en oeuvre les préconisations de la mission de Philippe Denormandie, figurant dans le rapport rendu à la ministre de la santé et à moi-même le 2 décembre 2019.

Il s'agit ainsi d'assurer une fluidité et une accessibilité du parcours de santé, de renforcer la prévention - une tumeur détectée chez une femme vivant dans un établissement médico-social est en moyenne dix fois plus grosse que celle d'une femme suivie en ville, c'est quand même une inégalité anormale - et la coordination des soins et, bien sûr, de favoriser au maximum le droit commun et le libre choix.

Il nous faut également travailler sur les urgences, avec la mise en place et l'essaimage de la charte Jacob, un excellent outil de formation aux problèmes des personnes en situation de handicap.

Nous soutiendrons les professionnels. Une formation certifiante en ligne sera mise en place afin de faire monter massivement en compétence tous ceux qui interviennent dans l'accompagnement. Cette formation est complémentaire de celles qui existent déjà dans les établissements médico-sociaux, elle ne s'y substitue pas, monsieur le sénateur Courteau.

Cela complétera les travaux déjà engagés par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées.

Je tiens par ailleurs à rappeler la signature, en mai 2018, d'une convention avec l'Unapei et la gendarmerie, destinée à promouvoir cette accessibilité au contenu et les formations des agents à la réception des plaintes.

Enfin, il nous reviendra de mesurer l'efficacité de notre action, afin de nous assurer de la réduction effective des violences subies par les femmes en situation de handicap. Les enquêtes devront comprendre des indicateurs permettant d'établir la réalité des violences subies, qu'elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, pour en suivre l'évolution.

Nous n'oublions pas non plus - plusieurs d'entre vous l'ont souligné - les questions relatives à l'emprise, notamment économique. Nous savons que ce phénomène peut constituer, pour les femmes en situation de handicap qui subissent des violences conjugales, un frein à la décision de quitter le domicile.

Pour résoudre cette situation, nous travaillons actuellement aux moyens, pour les femmes, de recouvrer leurs droits, de bénéficier du montant global de l'allocation aux adultes handicapés beaucoup plus rapidement après une séparation ou un divorce. Il en va de même pour ce qui concerne les solutions de logement d'urgence ; celles-ci doivent être adaptées au handicap de la victime.

Cela a été dit sur l'ensemble de vos travées, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons rester insensibles aux violences faites aux femmes handicapées ; votre proposition de résolution tout comme le rapport d'information d'octobre dernier de la délégation aux droits des femmes le démontrent.

Sachez-le, le Gouvernement y consacre la même énergie. Chaque action en faveur du handicap fait l'objet d'une étude portant sur l'égalité femmes-hommes, et la réciproque est également vraie, monsieur le sénateur Courteau.

Vous pouvez donc compter sur le Gouvernement pour se tenir aux côtés de la chambre haute chaque fois que se présentera l'occasion de faire avancer la cause qui nous réunit aujourd'hui, celle des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

Mme la présidente . La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

Proposition de résolution pour dénoncer et agir
contre les violences faites aux femmes en situation de handicap

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Vu la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), adoptée le 20 novembre 1989,

Vu la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006,

Vu la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l'Europe, dite Convention d'Istanbul, adoptée le 7 avril 2011,

Vu la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés,

Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,

Vu la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes,

Vu la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne,

Vu la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,

Vu la résolution 2006/2277 (INI) du Parlement européen du 26 avril 2007 sur la situation des femmes handicapées dans l'Union européenne,

Vu la résolution 2018/2685 (RSP) du Parlement européen du 29 novembre 2018 sur la situation des femmes handicapées,

Vu la recommandation CM/Rec(2012)6 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux États membres du 13 juin 2012 sur la protection et la promotion des droits des femmes et des filles handicapées,

Vu les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme du 30 mars 2012 sur la question de la violence à l'égard des femmes et des filles et du handicap,

Vu la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 19 décembre 2017 sur la situation des femmes et des filles handicapées,

Vu la décision du Défenseur des droits n° 2017-257 portant recommandations générales destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées,

Considérant que, selon un rapport de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen sur la situation des femmes handicapées dans l'Union européenne, publié en 2007, près de 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences, ces femmes étant quatre fois plus exposées au risque de violences sexuelles que les femmes dites valides ;

Considérant que l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a confirmé en mars 2016 la surexposition des femmes en situation de handicap au risque de violences au sein du couple ;

Considérant qu'une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2012 fait état d'un risque quatre fois plus élevé, pour les enfants en situation de handicap, d'être victimes de violences ;

Considérant que si le handicap accroît, pour les femmes, le risque de violences, notamment sexuelles, les violences elles-mêmes sont également à l'origine de handicaps, comme le relève l'Avis sur les violences contre les femmes et les féminicides de la CNCDH du 26 mai 2016, qui souligne les troubles physiques et psychiques très invalidants imputables aux violences ainsi que les handicaps permanents liés aux violences sexuelles ;

Considérant que, selon les acteurs de terrain, les violences menaçant les femmes en situation de handicap sont généralement commises par l'entourage familial ou institutionnel, aucun lieu, pas même leur domicile, ne leur garantissant une parfaite sécurité ;

Considérant que les appels reçus par « Écoute violences femmes handicapées », permanence d'accueil et d'accompagnement dédiée aux violences faites aux femmes en situation de handicap, mettent en évidence le fait que 35 % des violences signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint ;

Considérant l'importance du signalement, par les professionnels, des faits de violence dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions pour mieux protéger les victimes, sanctionner les auteurs et prévenir le fléau des violences faites aux personnes vulnérables ;

Considérant que le manque de données statistiques coordonnées au niveau national et régulièrement actualisées empêche de prendre la mesure exacte de la surexposition des femmes et des jeunes filles handicapées aux violences, que celles-ci surviennent dans le cadre familial ou en institutions, et affecte la mise en place d'une politique publique de prévention et de lutte contre ces violences et de protection de ces personnes ;

Considérant que l'une des conditions de la protection des femmes en situation de handicap contre les violences réside dans le renforcement de leur autonomie, ce qui concerne tant leur indépendance économique que leur accès à la santé ;

Considérant que, selon le rapport du Défenseur des droits intitulé « L'emploi des femmes en situation de handicap », publié le 14 novembre 2016 dans le cadre de sa mission de suivi de l'application de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, les femmes en situation de handicap sont davantage touchées par le chômage que la population générale ;

Considérant que, selon le même rapport, les femmes handicapées se heurtent non seulement à des difficultés d'accès à l'emploi liées à leur handicap, mais aussi aux obstacles auxquels sont trop souvent confrontées toutes les femmes dans leur parcours professionnel, s'agissant plus précisément de l'accès aux responsabilités : 1 % seulement des femmes en situation de handicap en emploi sont cadres contre 10 % pour leurs homologues masculins ;

Considérant que, selon le 11e baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi , réalisé en 2018 par le Défenseur des droits avec l'Organisation internationale du travail (OIT), 54 % des femmes handicapées déclarent avoir été confrontées à des discriminations durant les cinq années précédant cette enquête, soit plus d'une femme sur deux et une proportion nettement plus élevée que pour la population active âgée de 18 à 65 ans (34 %) ;

Considérant que ces discriminations, conjuguées à un accès imparfait aux études et à la formation ainsi qu'au poids des préjugés, affectent défavorablement le parcours professionnel des femmes en situation de handicap et sont à l'origine d'une dépendance économique qui accroît leur vulnérabilité aux violences, plus particulièrement dans le cadre familial ;

Considérant qu'une étude de l'Agence régionale de santé d'Île-de-France publiée en mars 2018 montrait que, sur 1 000 femmes handicapées, 58 % seulement affirmaient bénéficier d'un suivi gynécologique régulier et 85,7 % déclaraient ne jamais avoir effectué de mammographie, cette insuffisance étant confirmée en novembre 2018 par un constat du Parlement européen sur une exposition accrue des femmes handicapées au cancer du sein, faute d'équipements de dépistage et de diagnostic adaptés ;

Considérant que l'autonomie des femmes en situation de handicap passe par un accès renforcé aux soins, notamment gynécologiques, et par un accompagnement personnalisé à la maternité ;

Considérant que l'accueil des femmes handicapées victimes de violences est largement inapproprié, qu'il s'agisse de l'accessibilité des locaux de la police et de la gendarmerie ainsi que des hébergements d'urgence ou de la sensibilisation des professionnels et bénévoles à leurs besoins, et qu'entre autres améliorations un effort pourrait être entrepris en matière d'interprétariat en langue des signes dans l'ensemble de la chaîne judiciaire ;

N'accepte pas le risque accru de violences, notamment sexuelles, lié au handicap, et exprime sa vive émotion que des enfants, des adolescentes et des femmes en situation de handicap puissent être menacés tant dans le cadre institutionnel que dans le contexte familial ;

S'alarme du danger auquel semblent plus particulièrement exposées les jeunes filles et les femmes atteintes d'un trouble du spectre autistique et suggère l'intégration d'un dispositif dédié à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles dans la Stratégie nationale pour l'autisme ;

Estime qu'une meilleure protection des adolescentes et des femmes en situation de handicap contre les violences, plus particulièrement sexuelles, passe par un véritable effort en matière d'éducation à la sexualité, susceptible de leur permettre d'identifier d'éventuels prédateurs ;

Souhaite la mise à l'étude de la désignation de référents « Intégrité physique » au sein des personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont la mission serait de recueillir le témoignage et d'orienter toute personne accueillie dans un tel établissement qui déclarerait avoir été victime de violence ;

Souligne l'intérêt d'une réflexion sur les responsabilités des professionnels, incluant les soignants, en matière de signalement des violences, notamment sexuelles, dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ;

Appelle à la plus grande vigilance lors du recrutement des professionnels et bénévoles intervenant dans des établissements accueillant des personnes handicapées, a fortiori quand celles-ci sont mineures ;

Exprime sa profonde considération à tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, rend hommage à la regrettée Maudy Piot, disparue en 2017, inlassable avocate des droits et de la citoyenneté des femmes handicapées et fondatrice de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir , association de référence en matière de lutte contre les violences faites aux femmes handicapées, et encourage l'équipe qui lui a succédé à poursuivre son combat ;

Souligne l'importance cruciale des moyens dont doivent pouvoir disposer les associations, indispensables à la lutte contre les violences, plus particulièrement celles que subissent les femmes en situation de handicap, pour leur permettre de remplir leurs missions, et insiste sur la nécessaire prévisibilité des subventions susceptibles d'être attribuées aux acteurs du monde associatif ;

Demande l'établissement de statistiques précises afin d'améliorer la connaissance des violences et des discriminations faites aux femmes handicapées, et appelle à intégrer le handicap aux enquêtes nationales sur les violences faites aux femmes telles que l'étude « Violences et rapports de genre » (Virage), y compris dans sa déclinaison ultramarine ;

Souhaite que le questionnement du lien entre une violence dénoncée et un éventuel handicap psychique ou physique soit systématique lors de l'accueil des personnes contactant un numéro d'urgence ou une plateforme d'écoute ;

Considère l'autonomie des femmes en situation de handicap comme un prérequis pour les protéger des violences, notamment conjugales, et à ce titre :

- préconise la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l'emploi et le renforcement des mesures destinées à l'accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations, afin de dynamiser l'insertion professionnelle des femmes en situation de handicap ;

- suggère de mieux identifier les freins à l'emploi des femmes en situation de handicap par la réalisation d'études et de statistiques sur l'accès à l'éducation et à l'emploi des personnes handicapées croisant les variables de l'âge, du sexe, du type du handicap et de la catégorie socioprofessionnelle ;

- appelle à une réflexion sur l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui prenne en compte l'importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l'autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent ;

Juge indispensable que les femmes et les adolescentes en situation de handicap, qu'elles résident ou non dans des institutions, aient accès à un suivi gynécologique régulier, a fortiori dans le cadre d'un traitement contraceptif, et à un accompagnement personnalisé à la maternité, ce qui suppose entre autres efforts une meilleure accessibilité des structures médicales concernées ;

Demande que le matériel médical destiné au suivi gynécologique et obstétrical des patientes handicapées ainsi qu'au dépistage du cancer du sein soit adapté à leurs besoins sur tout le territoire, y compris dans les outre-mer ;

Est convaincu que l'amélioration de l'accueil des femmes handicapées victimes de violences par tous les acteurs de la chaîne judiciaire suppose un changement de regard sur ces personnes, afin qu'elles ne soient pas considérées comme des mineures et que leur parole et leur crédibilité ne soient pas mises en doute lorsqu'elles font état des violences qu'elles subissent ;

Affirme l'importance cruciale de l'accessibilité des lieux destinés à l'accueil des victimes de violences, qu'il s'agisse des locaux de la police et de la gendarmerie, des tribunaux ou des hébergements d'urgence, et du développement d'outils et de procédures permettant aux personnes handicapées de porter plainte dans des conditions adaptées à leur situation ;

Appelle à un effort accru de formation et de sensibilisation aux risques spécifiques de violences menaçant les femmes en situation de handicap, à destination de tous les acteurs de la chaîne judiciaire ainsi que des soignants et des personnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ;

Salue le travail accompli par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) pour développer des supports de formation sur les violences faites aux femmes dans des formats divers, accessibles aux personnes handicapées et recommande la systématisation de cette démarche inclusive ;

Forme des voeux pour que la dynamique encouragée à l'égard des femmes en situation de handicap par les quatrième et cinquième plans de lutte contre les violences faites aux femmes soit amplifiée dans les plans à venir, y compris dans les territoires ultramarins ;

Appelle à l'intégration systématique de la dimension de l'égalité entre femmes et hommes dans les politiques du handicap et, inversement, à un renforcement de l'intégration du handicap dans toutes les politiques d'égalité entre femmes et hommes.

VOTE SUR L'ENSEMBLE

Mme la présidente . Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente . Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente . Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :

Nombre de votants : 341

Nombre de suffrages exprimés : 341

Pour l'adoption : 341

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

B. LA TABLE RONDE ASSOCIANT DES REPRÉSENTANTS DES CULTES ET DES COURANTS PHILOSOPHIQUES À LA RÉFLEXION DE LA DÉLÉGATION SUR LES VIOLENCES CONJUGALES (26 NOVEMBRE 2019)

1. Compte rendu

Annick Billon, présidente . - Mesdames, Messieurs, chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier nos invités d'être venus jusqu'à nous pour cette réunion dédiée au thème de la lutte contre les violences au sein des couples. C'est un thème d'actualité, mais si l'on en parle beaucoup en ce moment, on avance à petits pas dans ce domaine...

Je vous souhaite donc la bienvenue dans cette salle qui fut la chapelle de la Chambre des Pairs puis du Sénat du Second Empire. Nous nous situons, bien sûr, dans le contexte antérieur à la loi de 1905 !

Sous la III e République, cette salle fut le cadre de réunions préparatoires à l'élection du Président de la République, alors élu par les deux assemblées parlementaires. Nous nous trouvons donc dans un lieu chargé d'histoire !

S'il est courant que l'on reçoive les institutions que vous représentez, Mesdames et Messieurs, lorsque le Parlement débat de sujets concernant la famille ou la bioéthique, il me semble que cette réunion est sans précédent.

Pourtant, par les contacts privilégiés que vous entretenez avec de nombreuses personnes, hommes et femmes, de générations très diverses, il m'a semblé important de vous entendre réagir sur le sujet des violences au sein des couples, un fléau qui, mes collègues et moi en sommes convaincus, n'est ni une question de milieu, ni une question de culture.

Le Sénat, du reste, a déjà eu une initiative pionnière comparable en organisant en mai 2015, en marge de la COP 21, avec la Conférence des responsables de cultes en France dont certains d'entre vous font partie, un colloque sur Le climat : quels enjeux pour les religions ?

Hier, 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le Gouvernement a annoncé des mesures pour accélérer la lutte contre ce fléau dont la prise de conscience a été encouragée, entre autres évolutions favorables, par le décompte glaçant des « féminicides », régulièrement publié dans la presse à l'initiative de militantes, ce qui a eu le mérite de généraliser la prise de conscience d'un fléau que l'euphémisme de « crime passionnel » a longtemps conduit à sous-évaluer.

Depuis le début du mois de septembre, des groupes de travail se sont réunis sous l'égide du Grenelle de lutte contre les violences conjugales constitué par le Gouvernement. L'objectif était de contribuer à traquer les défaillances de la chaîne judiciaire, à identifier les bonnes pratiques et les mesures à adopter pour mettre un terme à ces violences qui font plus de 120 victimes par an, sans compter les enfants.

Ce Grenelle concerne les politiques publiques : réponse pénale, accueil et orientation des victimes, hébergement d'urgence, formation des professionnels de la police, de la gendarmerie et de la magistrature...

Notre délégation travaille depuis de nombreuses années sur ces violences. Nous sommes particulièrement engagés dans la défense des enfants qui, il faut en être conscients, sont des victimes et pas seulement des témoins des violences au sein des couples. Nous estimons que ce constat justifie une interrogation sur le maintien de l'autorité parentale du parent violent. Nous sommes persuadés, ici, au sein de la délégation, qu'un père violent, un conjoint violent, ne peut pas être un bon parent.

Parmi nos autres points de vigilance, je veux citer aussi la vulnérabilité particulière des femmes handicapées et la situation dans les outre-mer.

Certaines des pistes formulées dans le cadre du Grenelle rejoignent d'ailleurs des recommandations identifiées par la délégation. Mais si l'on veut venir à bout de ces violences révoltantes, les politiques publiques ne suffiront pas. Les outils mis en place par le législateur, malgré leur utilité, ne doivent pas être considérés comme autant de « baguettes magiques » capables à elles seules de mettre fin aux violences conjugales.

Car, j'en suis convaincue, une mobilisation de la société tout entière dans tous les territoires, dans la durée et dans tous les secteurs professionnels, est nécessaire pour lutter contre ce fléau. C'est notre responsabilité d'élus, de parents, de citoyens, d'enseignants, de médecins, de voisins, d'amis, de collègues...

Cette réunion vise donc à poursuivre nos réflexions sur les violences conjugales avec les représentants des cultes et des courants philosophiques qui peuvent jouer un rôle non négligeable dans divers aspects de cette lutte, qu'il s'agisse :

- de favoriser auprès des jeunes le plus tôt possible une culture de l'égalité entre filles et garçons, car l'égalité est le prérequis de la lutte contre les violences ;

- d'aider les victimes, et peut-être d'intervenir auprès des auteurs de violences ;

- de contribuer à la prise de conscience de la gravité de ces violences, par-delà le respect de la vie privée et l'attachement à la cellule familiale.

L'ordre d'intervention qui vous a initialement été indiqué a été modifié pour permettre à M. le Grand rabbin de nous quitter pour se rendre à une cérémonie en hommage à nos militaires morts au Mali. Tout à l'heure, à l'ouverture de la séance, le président Gérard Larcher a rendu un hommage poignant aux victimes, parmi lesquelles se trouve le fils d'un de nos collègues. Notre assemblée est très affectée par ce drame.

Je me tourne donc vers nos invités, dans l'ordre de leurs interventions :

- François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France et de la Conférence des responsables des cultes en France, créée en 2010. Le président François Clavairoly est accompagné de Valérie Duval-Poujol, théologienne, docteure en histoire des religions et spécialiste des questions de traduction de la Bible.

Valérie Duval-Poujol a participé à la table ronde organisée par notre délégation le 14 janvier 2016, dans un contexte très marqué par les attentats de 2015. Cette table ronde dédiée à l'importance de l'égalité entre femmes et hommes dans la lutte contre les extrémismes religieux a beaucoup marqué celles et ceux qui y avaient assisté ;

- Odile Leperre-Verrier, ancienne députée européenne, interviendra pour le Grand Orient de France (GODF) 31 ( * ) ;

- Haïm Korsia, Grand rabbin de France ;

- Brigitte Cabrolier, vice-présidente de la Grande Loge Féminine de France (GLFF), accompagnée de Brigitte Nabet, et de Jeannine Camilleri, respectivement présidente et vice-présidente de la Commission nationale des Droit des femmes de la GLFF ;

- Monseigneur Dominique Blanchet, évêque de Belfort-Montbéliard, vice-président de la Conférence des évêques de France (CEF), et Oranne de Mautort, directrice adjointe et responsable du Pôle famille au sein du Service national Famille et société de la CEF, accompagnés de Grégoire Catta, directeur national du Service national Famille et société ;

- Viviane Villatte, première vice-présidente de la Fédération française du Droit humain (FFDH), accompagné de Sylvain Zeghni ;

- Razvan Ionescu, prêtre, qui représente le Métropolite Joseph, et Andrea Ionescu, de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF).

Je précise que nous avons sollicité tous les cultes, mais que des contraintes d'agendas ont pu empêcher certains de nous rejoindre aujourd'hui. Le président du Conseil français du culte musulman 32 ( * ) nous a adressé à l'instant sa contribution écrite à cette table ronde, et je l'en remercie.

Je rappelle aussi que, pour la sérénité de nos échanges, cette réunion n'est ni ouverte au public, ni enregistrée en vidéo.

Je vais maintenant donner la parole alternativement à des représentants des cultes et à des représentants des courants philosophiques, en rappelant à chacune et chacun d'entre vous la nécessité de respecter le temps de parole qui vous a été indiqué, de façon à laisser un peu de temps au débat et aux interventions.

Nous allons, si vous le voulez bien, commencer par le président de la Fédération Protestante de France et par Valérie Duval-Poujol. Vous avez la parole.

François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France et de la Conférence des responsables des cultes en France . - Je vous remercie pour votre présentation et pour l'introduction à ce sujet, et j'aimerais sans plus tarder vous transmettre une invitation qui concerne la venue du docteur Denis Mukwege à l'Hôtel de Ville de Paris, à l'invitation de la Fédération Protestante de France, conjointement avec Anne Hidalgo, maire de Paris.

Le docteur Denis Mukwege fera une conférence, ce soir-là, sur la défense des droits des femmes et l'action en leur faveur, notamment dans le contexte congolais. Ce travail et cette oeuvre ont été remarqués au plan international, comme le confirme le prix Nobel de la paix remis en 2018 au docteur Denis Mukwege. Nous aurons la joie de vous accueillir, vous-même ou les personnes qui vous représenteront.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie chaleureusement pour cette invitation, mais des engagements souscrits en Vendée, département dont je suis sénatrice, ne me permettent malheureusement pas d'être présente à vos côtés samedi soir. Croyez bien que je le regrette. Je vous remercie pour ce geste, auquel mes collègues et moi-même sommes particulièrement sensibles.

François Clavairoly . - Le lien avec ma prise de parole est naturel, puisque le Docteur Mukwege est protestant, évangélique, de l'Église du Congo, et c'est à ce titre aussi que nous l'invitons à la Mairie de Paris dans le cadre d'une laïcité « décontractée », ouverte, intelligente, telle que chacun d'entre nous essaie de la promouvoir en tant que responsable de culte, avec les autres responsables de cultes ici présents.

Je suis accompagné de Valérie Duval-Poujol, vice-présidente de la Fédération Protestante de France. C'est aussi une joie de l'avoir avec moi sur ce sujet qui lui tient à coeur depuis de nombreuses années.

Vous l'entendrez de façon plus précise dans les minutes qui nous sont imparties. J'aimerais juste introduire les propos de Valérie Duval-Poujol dans le cadre du protestantisme de manière générale et du protestantisme français en particulier, pour rappeler deux ou trois points d'histoire.

Depuis le grand mouvement de la Réforme, un processus de civilisation qui concerne l'ensemble des pays de cette planète, la « pointe fine » du message protestant a été précisément l'égalité homme-femme, avec une réalisation sur laquelle je voudrais insister : l'accès à l'éducation et à l'enseignement proposé aux filles et aux jeunes filles, dès le début, sous l'impulsion de Martin Luther qui a mis en place les premières écoles de filles dans son pays. De proche en proche, cette initiative s'est étendue à l'ensemble des pays touchés par le protestantisme.

Le deuxième point que je voulais rappeler se situe au XIX e siècle, avec cette dynamique portée par les femmes protestantes - avec les hommes et parfois contre eux - concernant leurs prises de parole, leur responsabilité et leur citoyenneté, à travers des mouvements qui ont agi parfois de manière indirecte et, si je puis dire, selon les méthodes protestantes, c'est-à-dire dans la discrétion. Ces mouvements étaient animés de l'idée d'une coresponsabilité dans la citoyenneté, à la fois au plan public et au plan ecclésial. Cela a conduit, sur le plan ecclésial, à la prise de parole et à la prédication avec des femmes pasteurs, des femmes qui prêchent, qui prennent des responsabilités dans l'Église.

Le troisième point concerne le XX e siècle, avec une attention particulière aux droits des femmes : le droit de vote et la citoyenneté, le droit à préserver leur vie personnelle et leur vie conjugale et, de manière générale, le fait qu'elles soient sujets de droit. On pourrait dire, avec le philosophe Olivier Abel, que si l'Orient a inventé le mariage, avec les alliances traditionnelles entre familles, l'Occident - l'Occident chrétien protestant en particulier, protestant réformé ou luthérien - a inventé le divorce. Cela signifie la possibilité, au nom de la liberté du sujet et au nom de l'individu, qui veut se trouver libre lorsque sa vie est menacée, de se disjoindre de l'époux. Le divorce intervient dans un contexte de violence où la femme peut, au nom de la liberté, de la revendication de son droit, se tenir droite, se tenir libre, et revendiquer le divorce.

C'est un paradoxe, mais c'est ainsi que la foi chrétienne, dans la tradition protestante, invente la liberté d'être libre, autonome, lorsque la violence fait obstacle à la liberté d'être soi-même.

Ce processus nous mène à la période actuelle, au XXI e siècle, avec la revendication des femmes de vivre libérées de toutes violences, verbales, psychologiques ou physiques.

Les Églises protestantes se sont saisies des questions des violences, que nous abordons aujourd'hui avec beaucoup de sérieux. Je laisse immédiatement la parole à Valérie Duval-Poujol.

Valérie Duval-Poujol, théologienne, docteure en histoire des religions et spécialiste des questions de traduction de la Bible . - Bonsoir à chacune et à chacun. Je m'associe aux remerciements exprimés par François Clavairoly au nom de la Fédération protestante pour cette audition.

En introduction, je voudrais rappeler les paroles de Martin Luther King, pasteur baptiste, lui aussi prix Nobel de la paix : « Ce qui m'effraie, ce n'est pas l'oppression des méchants ; c'est l'indifférence des bons ». Et votre invitation nous donne l'occasion de faire reculer l'indifférence dans nos communautés, et je vous remercie pour cela.

Longtemps taboue, la violence conjugale existe depuis toujours, dans tous les milieux, y compris dans les Églises, et nos Églises protestantes, dans toute leur diversité, sont concernées. Le couple, qui est présenté dans les textes de la Genèse comme devant être un lieu d'intimité, de confiance, devient un lieu de terreur, de souffrance, avec des conséquences non seulement sur le ou la partenaire victime, mais aussi sur les enfants ainsi que sur l'entourage. Et on compte aussi des hommes violents dans les rangs de nos pasteurs.

Nous n'avons pas de statistiques confessionnelles, mais les personnes travaillant dans l'accompagnement des victimes de violences conjugales en milieu protestant confirment que c'est une réalité malheureusement importante.

D'une part, je voudrais vous parler de l'engagement de nombreux protestants et protestantes contre ce fléau. Et en même temps, il faut reconnaître que l'appartenance religieuse des victimes est souvent un facteur rendant plus difficile leur départ. Dans certains milieux protestants fondamentalistes, la violence au sein des couples pourra être excusée, légitimée, au travers de lectures erronées de certains textes bibliques. Des enseignements pseudo-bibliques sur la soumission de la femme renforcent le poids du silence et la difficulté pour les victimes de violences conjugales de parler, d'oser dire « non » afin de faire cesser leur cauchemar quotidien. Avec cette compréhension abusive des textes, on enseigne à la femme de rester soumise en toutes circonstances, encourageant le pardon à l'infini, le renoncement, l'acceptation de la violence par le « chef du couple, chef du foyer », ce qui implique soumission à ses ordres, à ses désirs, à ses interdits, à ses demandes, jusqu'au viol conjugal répété.

Il est évident que l'étude sérieuse des textes bibliques infirme totalement ces lectures. Nous en avions parlé dans une précédente table ronde.

Quel est donc l'engagement des protestants ? Je vais me cantonner aux associations explicitement protestantes, mais il est clair que de nombreux protestantes et protestants se sont également engagés dans des instances ou associations non protestantes. Je pense en particulier au Planning familial, qui je le rappelle a été cofondé en 1956 par la sociologue Évelyne Sullerot, fille de pasteur.

Plusieurs axes existent.

Il y a d'abord l'accompagnement des victimes. Les associations et Églises protestantes gèrent de nombreux lieux d'accueil des victimes. J'en citerai quelques-uns :

- le CHRS Le Home à Strasbourg, qui existe depuis 1878 et qui compte 80 lits. Porté par la paroisse réformée du Bouclier, il montre que ce souci existe depuis longtemps. J'en profite pour rappeler que le financement de ces CHRS est assuré par une dotation globale de l'État, et que celle-ci ne cesse de se réduire, alors que les besoins ne cessent d'augmenter ;

- la Fondation de l'Armée du Salut , qui propose des structures d'hébergement et de réinsertion dédiées aux femmes victimes de violences, qu'elles soient seules ou avec des enfants, ainsi qu'un accompagnement avec des psychologues et des groupes de parole. Il existe des établissements à Paris, à Louviers ou à Nîmes.

- S'agissant de l'accompagnement des enfants, mentionnons le projet d'accueil de l' Association Baptiste pour l'entraide et la jeunesse (ABEJ-Solidarités), à Lille, conçu spécialement pour les enfants ;

- enfin, le Centre d'action sociale protestant (CASP) propose, au travers de l' Association Réflexion-Action Prison et Justice (ARAPEJ), en lien avec le monde carcéral, des permanences d'accès au droit spécialisées notamment en matière de violences faites aux femmes, avec également un numéro vert.

Évidemment, si les associations sont protestantes, les victimes qui sont accompagnées viennent de tous horizons confessionnels.

Il y a aussi l'accompagnement des auteurs de violence. La Fondation de l'Armée du Salut a annoncé en septembre dernier le lancement de deux projets expérimentaux, à Belfort et à Mulhouse, visant à accompagner des hommes ayant eu des comportements violents dans le cercle familial, en coordination avec le juge de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).

Autre axe, la formation et l'éducation : il s'agit d'un axe fondamental pour faire évoluer les mentalités. Je citerai plusieurs exemples récents :

- une charte d'engagement contre les violences conjugales a été rédigée par un groupe de travail de la Fédération baptiste (FEEB) et proposée aux Églises protestantes, qui ont la possibilité de l'afficher dans leurs salles de culte. Je vous lis un extrait de cette charte : « Notre Église affirme que la violence conjugale dans toutes ses formes est inadmissible, injustifiable et irréconciliable avec la foi chrétienne. » ;

- la formation des pasteurs et des responsables d'Églises : récemment, des formations pastorales ont vu le jour avec l'organisme Empreinte Formation , pour aider les pasteurs à mieux écouter et accompagner les victimes. Au programme, des sujets qui ne sont pas vraiment abordés dans les facultés de théologie : explication de ce qu'est l'emprise, identification du cycle de la violence conjugale et de ses effets, notamment sur les enfants. Je pense aussi au Diplôme d'études supérieures en relation d'aide , à l'Institut des sciences humaines de la faculté adventiste de Collonges, en lien avec l'académie de Grenoble, qui inclut dans ses modules l'accompagnement des victimes de violences conjugales pour ces pasteurs et ces accompagnants ;

- des ressources pour former sur le sujet. Je vous présente en particulier une brochure, qui vient de sortir, et qui a été éditée par la Fédération Baptiste. Elle s'intitule « Ensemble contre les violences conjugales ». Je voudrais mentionner aussi un ouvrage collectif qui sortira en mai prochain : Violences conjugales. Accompagner les victimes , où l'on retrouve à la fois les éléments psychologiques permettant d'analyser cette violence, mais aussi une approche expliquant les textes bibliques pour déconstruire les « mâles entendus », montrer en quoi ces textes ne sauraient légitimer la violence conjugale ;

- des actions aussi pour davantage d'égalité entre hommes et femmes, car c'est sur le terreau des inégalités que prospèrent les violences. Je pense au travail de long terme conduit dans ce domaine par la Fédération Luthérienne mondiale sur la « justice de genre », qui est aussi traduit en français.

Quatrième et dernier axe : sensibiliser.

Plusieurs initiatives tentent de briser le tabou de la violence domestique en libérant la parole et en encourageant le plaidoyer :

- les « jeudis en noir » sont une campagne mondiale, à laquelle participent de nombreuses Églises protestantes. Cette initiative nous vient du Conseil oecuménique des Églises. Il s'agit, tous les jeudis, de porter un vêtement noir et un badge, pour s'ériger contre les violences faites aux femmes. Cette initiative est encore balbutiante en France, mais on voit des groupes, notamment de femmes luthériennes en Alsace, qui commencent à la pratiquer ;

- et puis l'association Une place pour elles , que je préside. Il s'agit d'une initiative pour rendre visibles les victimes de violences conjugales, par un geste simple : on recouvre une chaise d'un tissu rouge dans un lieu public, en particulier autour du 25 novembre. Et on dispose un panneau sur la chaise, matérialisant que cette place est pour Elle , ce qui signifie que cette femme aurait dû être là parmi nous, mais elle est morte sous les coups de son mari, de son partenaire, de son ex. Cette initiative aconfessionnelle se révèle être un excellent moyen de sensibilisation, de libération de la parole. Je me permets de vous faire passer l'information si cela vous intéresse de la reproduire à votre tour. J'ajoute que lors de la dernière Assemblée générale de la Fédération Protestante, il y avait Une place pour Elle , sur l'estrade, à côté du président qui est là ce soir et des intervenants, et pendant tous les débats ;

- enfin, ce samedi, comme le président l'a dit, la FPF organise une soirée grand public avec le docteur Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix. L'« homme qui répare les femmes » va évoquer le viol comme arme de guerre. Notre mobilisation contre les violences conjugales ne nous fait pas oublier toutes les autres formes d'oppression.

En conclusion, j'ai pensé à ce terme swati, en Afrique du sud. Il se trouve que, dans cette langue, pour dire « conjointe », « épouse », « femme », on dit « celle qui meurt sans parler de ce qu'elle a subi ».

Alors je vous invite à vous mobiliser encore pour que « femme » ne rime plus avec « celle qui meurt sans parler de ce qu'elle a subi ». Je pense que cette audition va y contribuer. Merci de nous permettre d'avancer ensemble.

Permettez-moi de conclure avec cet appel du psalmiste : « Faites droit aux faibles et à l'orphelin, rendez justice au pauvre et au déshérité, libérez le faible et le pauvre, délivrez-les de la main des méchants » 33 ( * ) .

Notre désir est qu'ensemble dans notre pays nous mobilisions nos forces pour que cessent ces violences. Je vous remercie.

Odile Leperre-Verrier (Grand Orient de France) . -  Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Monsieur le sénateur, nous voudrions tout d'abord vous remercier de cette invitation à participer à cette table ronde sur les violences conjugales. Elle nous donne ainsi l'opportunité de vous présenter nos positions concernant un dossier particulièrement sensible. 138 femmes mortes sous les coups de leur mari, de leur compagnon, ou de leur ex-conjoint : c'est un constat implacable et glaçant. Nous sommes loin des crimes passionnels, objets privilégiés d'une certaine littérature. Aujourd'hui, où la violence fissure le rempart protecteur de la cellule familiale, la réalité a largement dépassé la fiction.

De façon liminaire, nous aimerions rappeler que le Grand Orient de France (GODF) est très attaché à notre devise républicaine. C'est en quelque sorte son ADN. À ce titre, il attache une toute particulière importance à l'égalité. C'est pourquoi nous nous sommes réjouis de voir le Président de la République faire de l'égalité femme-homme un des objectifs majeurs de son quinquennat, en souhaitant bien évidemment qu'il ne s'agisse pas d'un simple effet d'annonce.

Par ailleurs, le débat intervient aujourd'hui dans une période très particulière, où le sujet générique des violences faites aux femmes, qu'elles soient physiques ou morales, a pris une acuité inédite et a donné au combat féministe de nouvelles perspectives. Ainsi, à la suite de #MeToo , le sexisme ordinaire semble perdre du terrain au profit du respect et de la dignité des femmes. Néanmoins, si nous ne pouvons que nous féliciter de voir la parole des femmes se libérer, le débat qui nous réunit aujourd'hui concerne les violences conjugales et nous nous en tiendrons à ce douloureux problème.

Il va sans dire que nous avons été extrêmement attentifs aux mesures annoncées par le premier ministre à l'issue du Grenelle de lutte contre les violences conjugales . Elles vont certainement dans le bon sens, si toutefois les moyens suivent. Nous serons donc confiants mais vigilants. Mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

Pour ce qui nous concerne, nous considérons que la lutte contre les violences conjugales passe par une amélioration de la « chaîne pénale ». Par ailleurs, c'est par une mutualisation des moyens que nous pourrons renforcer l'efficacité des dispositifs de protection concernant toutes les victimes. C'est pourquoi, nous aborderons à la fin de notre intervention le problème des enfants.

Notre obédience a toujours marqué un attachement fondamental à la séparation des pouvoirs et au rôle incontournable du pouvoir judiciaire. Cela vaut d'ailleurs pour notre fonctionnement interne. À cet égard, nos instances judiciaires disciplinaires sont particulièrement attentives et réactives. Elles ont ainsi prononcé l'exclusion d'un de nos membres, condamné pour violences conjugales. Mais c'est aussi la lecture que nous faisons du Pacte Républicain.

Force doit donc rester à la loi et à la justice. Nous sommes ainsi persuadés que c'est l'amélioration du système judiciaire qui permettra de résoudre le problème. Malheureusement, il semble aujourd'hui trop souvent impuissant. La garde des sceaux elle-même en a fait l'aveu. Ainsi, le mécanisme des dépôts de plainte et de leur traitement judiciaire ont montré d'insupportables failles. Sans parler du scandale des mains courantes qui restent généralement lettres mortes, 80 % des plaintes déposées sont classées sans suite. Si l'on tient compte de la difficulté psychologique que constitue pour la victime le fait d'aller porter plainte, c'est un véritable parcours du combattant qui lui est infligé.

Pour améliorer l'écoute et la prise en charge des victimes, il faut que les intervenants comme les policiers ou les magistrats - mais cela vaut également pour les médecins et les travailleurs sociaux - soient réellement formés à la spécificité de ces problèmes. Certes, des efforts ont été consentis en ce sens, dans les centres de formation de la police nationale comme à l'École nationale de la magistrature. Ils sont, hélas, encore très insuffisants. Cela devrait permettre une meilleure réactivité, notamment des magistrats, en ce qui concerne la qualification des violences. En effet, trop souvent, les juges ont tendance à correctionnaliser le viol (qui est un crime) en simple agression sexuelle (qui est un délit). « Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde », écrivait Albert Camus. En l'occurrence, c'est accroître les risques encourus par les femmes. La France vient d'être montrée du doigt dans un récent rapport du GREVIO. Pour mémoire, le GREVIO est un groupe d'experts indépendants, mis en place par le Conseil de l'Europe pour suivre l'application de la Convention d'Istanbul.

De plus, nous ne pouvons que regretter la trop grande diversité qui prévaut dans le traitement des affaires de violences conjugales, d'un tribunal à l'autre. Tous les tribunaux n'ont pas la pugnacité du tribunal de Douai, qui a été un véritable pionnier en la matière. Cet état de fait nuit à l'égalité de traitement dont devraient pourtant bénéficier toutes les femmes sur l'ensemble du territoire national, et pourrait constituer, à terme, une rupture de la continuité territoriale dans notre République, qui est rappelons-le, « Une et indivisible ».

Au-delà de ces problèmes d'administration de la justice, il est, en second lieu, intéressant de s'interroger sur les dispositifs dont nous disposons pour assurer la protection des femmes victimes de violences conjugales, le but étant qu'ayant retrouvé la sécurité, elles puissent se reconstruire. Là encore, les rapports précédemment cités pointent les failles des administrations en charge de ces dossiers. Non seulement elles manquent d'efficacité, mais elles ont également beaucoup de difficultés à coopérer. Parmi les mesures préconisées, et notamment dans les procédures d'urgence, il semblerait souhaitable de mettre en place des structures d'accueil pluridisciplinaires, véritable SAMU des violences conjugales, où les femmes pourraient être prises en charge sur le plan médical - médecine légale comprise -, psychologique et juridique afin d'être protégées, conseillées, en un mot, accompagnées. Car il est extrêmement important qu'elles soient aidées à sortir de l'emprise dont elles sont victimes. C'est donc un travail d'écoute et de pédagogie.

À ce stade, il nous paraît utile de dire un mot de la proposition de levée du secret médical qui a émergé du Grenelle de lutte contre les violences conjugales . A priori , nous sommes contre. Alors que l'efficacité d'une telle mesure n'est pas avérée, nous estimons qu'elle reviendrait sur un principe fondamental de la déontologie médicale. On ne signale pas une femme victime de violences comme on signale un enfant maltraité. Ce serait l'infantiliser, et cela risquerait en second lieu de la fragiliser un peu plus. En effet, s'il est urgent de revoir les procédures de dépôt de plainte et, a minima, de les faciliter, le consentement de la plaignante nous paraît un passage obligé.

En revanche, il s'agit bien évidemment de mettre en oeuvre l'arsenal judiciaire existant : ordonnance de protection, bracelet électronique d'éloignement, téléphone grave danger, nous ne détaillerons pas tous les dispositifs aujourd'hui à la disposition des magistrats. Ils ont fait leur preuve, mais ils nécessitent non seulement la volonté de les utiliser, mais également des moyens humains et financiers. Enfin, nous ne pouvons omettre d'évoquer la prise en charge psychologique des auteurs de violence. Ils doivent faire l'objet d'un véritable suivi, notamment pendant les périodes de détention, afin d'éviter les récidives trop nombreuses en la matière.

En dernier lieu, le sort des enfants dont les mères sont victimes de violences conjugales nous paraît préoccupant. Ils en sont les victimes collatérales ; ce sont des témoins passifs, quand ils ne sont pas eux-mêmes l'objet de sévices. À cet égard, on peut regretter que nos dispositifs, sans évidemment les ignorer, ne fassent pas de leur protection un traitement particulier. De ce point de vue, nous ne pouvons ignorer le problème de l'autorité parentale. La déchéance doit évidemment être automatique en cas de féminicide. Dans les autres cas, il est indispensable que le juge aux affaires familiales et le juge pénal coopèrent et fassent preuve de discernement, en prenant en compte le fait que l'exercice de l'autorité parentale est pour un père violent le moyen de maintenir son emprise et sa domination sur sa famille.

De façon plus générale, nous pensons que l'exercice de la violence prend ses racines dans l'histoire précoce de l'individu. L'éducation est donc un élément fondamental, incontournable dans l'apprentissage du respect de l'autre, en l'occurrence du sexe opposé. L'école, force d'émancipation, est un passage obligé dans cet apprentissage. Le rappeler n'est pas, hélas, faire preuve de beaucoup d'originalité. Mais la situation est grave. Lutter contre la violence à l'égard des filles, rejeter les stéréotypes sexistes, comprendre l'égalité fondamentale des êtres humains au-delà de toutes les différences, apprendre à se maîtriser et à ne pas recourir à la violence, restent des missions éducatives élémentaires. Cela suppose des enseignants formés, des programmes scolaires adaptés, dans des établissements scolaires sensibilisés, c'est-à-dire une volonté institutionnelle qui va bien au-delà des déclarations d'intention.

Alors que conclure ? Comme nous le disions en introduction, nous avons été très attentifs aux propositions du Gouvernement. Elles dénotent une volonté de répondre dans l'urgence à un problème qui préoccupe nos concitoyennes comme nos concitoyens. Mais nous craignons que les résultats ne soient pas tout à fait à la hauteur des enjeux, ni des engagements. Si nous nous félicitons de certaines mesures, dont la prise en compte dans la loi des violences psychologiques, nous nous interrogeons sur notre réelle capacité d'agir. Car actuellement l'arsenal juridique est là, c'est plutôt son application qui pêche, et il serait infiniment dommageable que les nouveaux dispositifs, notamment légaux, produisent les mêmes effets.

Parmi les pays européens, la France n'appartient pas aux meilleurs élèves, il s'en faut de beaucoup. Sans doute comme d'autres pays, notamment de l'Europe du Nord, la France devrait-elle prendre exemple sur l'Espagne qui, depuis une quinzaine d'années, a pris le problème à bras-le-corps. Ainsi, si en France 3 000 femmes bénéficient d'une ordonnance de protection, elles sont 40 000 en Espagne. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Certes, la situation ne pourra pas être réglée en quelques semaines. En tant que francs-maçons, nous travaillons dans ce que nous appelons aujourd'hui le temps long. Ainsi, lorsque la pression médiatique sera retombée, lorsque les violences conjugales ne feront plus l'actualité, nous savons qu'il y aura encore, ici et ailleurs - et nous ne pouvons que le regretter -, des femmes battues, des femmes qui tomberont sur les coups de leurs compagnons, et des enfants impuissants qui assisteront à ces scènes d'horreur.

Et c'est là qu'il faudra agir, et continuer à agir, pour passer des intentions à la réalisation avec des moyens, toujours plus de moyens. C'est ce que nous attendons du secrétariat d'État chargé de l'égalité femmes-hommes. Si nous saluons le dynamisme et l'énergie de la ministre, nous souhaiterions que ses compétences soient réaffirmées, et que son secrétariat d'État soit doté de réels moyens, non seulement budgétaires, mais également administratifs, car la tâche est considérable.

Mais je voudrais conclure sur une note résolument optimiste. N'oublions pas que, dans notre pacte républicain, juguler les violences faites aux femmes, et en particulier domestiques, reste un passage obligé vers l'égalité réelle des femmes et des hommes. Alors, un jour peut-être, dans des temps que d'aucuns jugeront lointains et incertains, connaîtrons-nous enfin cette égalité réelle. Des temps où les journées des droits des femmes ou les semaines contre les violences faites aux femmes seront devenues parfaitement obsolètes. Utopie, peut-être pas ?

Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup. Je rejoins forcément vos inquiétudes quant aux annonces dont tout le monde se satisfait, sans pour autant que les moyens suivent. On le constate dans tous les domaines, que ce soit l'éducation, la justice, la police, les soins ou l'hébergement. Il est urgent d'avoir des budgets à la hauteur des besoins. La principale critique qui s'exprime depuis les annonces qui ont été faites hier par le premier ministre et la secrétaire d'État portent sur les financements qui leur seront consacrés.

Un autre point m'inquiète : ce sont les inégalités territoriales. Un exemple : lorsqu'on parle de deux centres d'hébergement destinés aux agresseurs par région, cela suppose que les régions investissent dans ces structures à hauteur de 50 %. Or on sait que les collectivités ont aussi des budgets contraints. Faute d'une volonté politique équivalente dans toutes les régions, il y aura des inégalités territoriales.

Par ailleurs, vous avez raison de souligner l'importance des mots : il faut se référer au terme de « féminicide », sans plus jamais parler de crime passionnel.

Je donne la parole à M. le Grand rabbin.

Haïm Korsia, Grand rabbin de France . - Je voudrais d'abord vous remercier très sincèrement de nous offrir la possibilité de nous exprimer et d'exprimer notre préoccupation collective, chacune, chacun avec ses convictions, dans leurs différences, sur une problématique aussi douloureuse que celle de la violence dans les familles, et plus particulièrement les violences envers les femmes. Je reprends ce qui a été remarquablement dit auparavant sur le travail à accomplir, y compris à l'intérieur de nos cultes, de nos obédiences.

Il y a parfois, trop souvent, dans nos milieux, une sorte de compréhension, d'excuse. Vous le disiez très justement, l'expression de crime passionnel, insupportable parce qu'elle est fausse, vise à excuser cette violence.

La seule référence à un crime passionnel revient à chercher une explication à cette violence : c'est donc déjà l'excuser. Et c'est terrifiant, parce que ce qui mène à la mort ne peut être de l'amour.

Je crois que la société doit apprendre à reformuler des locutions qui nous viennent à l'esprit automatiquement. Le simple fait de parler de crime passionnel avec circonstances atténuantes peut signifier : « c'est terrible, mais ça peut se comprendre ». Une sorte de réprobation collective devrait bannir cette forme de compréhension des violences conjugales.

Si je vous parle de ça, c'est que j'ai lancé à l'intérieur du judaïsme un mouvement contre une autre forme de violence faite aux femmes, qui se manifeste par la difficulté pour certaines femmes d'obtenir l'acte de divorce religieux qu'on appelle le Guett . L'objectif n'est pas de transformer les règles s'appliquant à la délivrance du Guett , mais d'abaisser collectivement le seuil de tolérance à l'égard de ceux qui font obstacle à cette procédure.

Quand on entend parler d'un homme qui refuse de donner le Guett à son ex-épouse, on se dit que c'est inadmissible. Mais quand il s'agit d'un frère ou d'un cousin, on lui trouve toujours des excuses : « Oui, mais vous ne savez pas ce qu'elle lui a fait », ou alors « Oui, mais elle ne veut pas lui confier l'enfant », etc.

Je me bats donc avec une détermination sans limite contre ces refus. J'ai réussi à faire en sorte que des maris récalcitrants puissent être convaincus de délivrer ce document. Je pense à un cas en particulier : l'homme en question a été privé de son passeport pendant vingt-quatre jours en Israël, ce qui lui a permis de mieux comprendre les choses et de donner enfin ce document à son ex-épouse.

Finalement, ce qui importe, c'est l'engagement collectif. Et si personne ne trouve d'excuse à quelqu'un de violent, alors on pourra vraiment engager un combat de chaque instant contre ce fléau.

Je reviens sur ce que disait la présidente en introduction sur l'autorité parentale. Je suis absolument d'accord : quelqu'un qui frappe son conjoint est inapte à être parent. On entend parfois cette phrase terrible : « Oui, c'est un violent, il est terrible, mais vous savez, c'est un bon père ! ». Non, un conjoint violent n'est pas un bon père : sans même s'en rendre compte, il va transmettre à ses enfants le rejet, le dénigrement de leur mère.

Laure Darcos . - C'est un contre modèle !

Haïm Korsia . - En effet, c'est un contre modèle terrible, parce qu'on sait très bien que ce type de comportement se répercutera sur le couple que les enfants construiront à leur tour. J'en suis convaincu, il faut absolument montrer que cette violence n'est pas acceptable. Il ne s'agit pas de couper complètement le lien avec le père, évidemment non, mais avec des médiations, c'est-à-dire qu'il est nécessaire de contrôler cette part d'informel qu'il peut transmettre à ses enfants. Nous sommes donc tous comptables collectivement de cela.

Il y a des associations à vocation sociale destinées aux enfants dans le judaïsme, comme l' OEuvre de secours aux enfants (OSE) ou la fondation OPEJ ( OEuvre de protection des enfants juifs ), où l'on a en tant que rabbin le devoir de signaler tout enfant maltraité ou tout conjoint battu. Au dernier congrès rabbinique, j'ai expliqué à tous les rabbins que si nous avions connaissance d'un comportement illégal soit envers un enfant soit envers le conjoint ou la conjointe, nous encourions une responsabilité pénale en cas d'absence de signalement.

On ne peut pas se satisfaire que les violences restent enfermées dans ce que l'on appelle en hébreu avec une jolie formule Shalom Baït , la paix au foyer, sous-entendu : « Ils trouveront à s'arranger ». Si on laisse faire ces violences intrafamiliales, on les cautionne. Les autorités religieuses ne sauraient s'exonérer de leur responsabilité dans ce domaine. J'estime que quand on marie quelqu'un, on a une responsabilité, en quelque sorte, de « service après-vente ».

On doit donc être capable d'aller voir les mariés en leur disant : « Je sais ce qui se passe et ce n'est pas admissible ». Il faut aller carrément trouver le mari et lui dire : « Ce n'est pas acceptable ».

Comment le faire ? Avec nos moyens religieux, en faisant ce que j'ai imposé à un rabbin dans une ville en province : interdire à un mari qui avait un comportement inadmissible de monter à la Torah et de compter dans le quorum des dix hommes pour l'office - il faut dix personnes pour faire un office, mais lui ne compte pas. Jusqu'à ce que la pression collective soit telle que personne n'imagine excuser le comportement de l'homme violent par des explications telles que « Il l'aime tellement », « Il va être privé de ses enfants »... Il n'y a pas d'excuses pour ces violences !

Certes, pourrait-on dire, rien n'est parfait, il n'y a pas une solution absolue. Ce que je sais de manière très claire en revanche, c'est que le silence, pour paraphraser le poète Yves Simon, est forcément complice ou coupable 34 ( * ) .

Il est donc vraiment important que l'on parle aussi de ces violences au sein des religions - cela se fait à l'école rabbinique.

Je trouve important aussi de le rappeler avec force : jamais dans les religions, enfin en tout cas pas dans le judaïsme, on ne pourrait légitimer de quelque manière que ce soit une violence envers une femme ou un homme, et encore moins dans un couple, par une interprétation même erronée d'un texte. Cela n'existe pas, et c'est même l'inverse. Je pourrais vous trouver de nombreuses illustrations de cet interdit dans le Talmud, comme par exemple « Un homme doit honorer sa femme plus que lui-même », ou cette phrase, que j'aime particulièrement : « Dieu compte les larmes de chaque femme », et bien d'autres encore.

Pourquoi ? Parce que si, dans une famille, une maman est triste, elle transmet ce manque d'espérance à ses enfants. Tout ce qu'on construit avec cette violence, c'est une société sans espérance.

On ne se rend pas compte à quel point la violence peut tout détruire dans la société. C'est Moïse qui veut empêcher deux hommes de se battre, parce qu'il se dit : s'ils se battent, alors il n'y aura plus d'espérance, il n'y aura plus que la force, c'est la violence qui l'emportera.

Ce qui me paraît particulièrement intéressant, c'est le caractère extraordinairement précurseur du Talmud qui, rappelons-le, a deux mille ans ! Le traité Erouvin , page 100 B, nous renseigne : « Jamais un mari ne doit imposer à son épouse une relation sexuelle contre son gré ». Je ne peux m'empêcher de penser qu'il a fallu attendre près de deux mille ans pour que notre législation interdise clairement le viol conjugal. C'est dire à quel point, dans le judaïsme, le principe du respect de la personne est absolu et l'emporte sur toute autre considération.

Dès le Moyen Âge, un rabbin qui s'appelait Meïr de Rothenburg affirmait : « Aucune condition au monde ne saurait justifier qu'un époux se conduise violemment contre son épouse ». Mais mon professeur d'histoire me disait toujours : les règlements interdisent ce qui se fait. Si donc Meïr de Rothenburg éprouvait le besoin de rappeler cet interdit, c'est que ces violences existaient, et que certains les trouvaient normales... Comment est-ce possible ?

Il faut donc oser poser la question de l'inadéquation de certaines interprétations, sans jamais minorer le rôle des femmes en s'appuyant sur certaines interprétations des textes.

Il y a un verset terrible dans le Lévitique , chapitre 19 - très célèbre chapitre - qui dit : « Ne reste pas indifférent au sang de ton prochain ». Et peut-être que si on ferme les yeux - comme le dit Chantecler dans Le roman de Renart , « maudits soient les yeux fermés » - alors on a une part de responsabilité terrible dans ces violences.

Dans une phrase très belle, le Talmud dit : « C'est pour la vie que [le mariage] a été instauré, pas pour la souffrance ». Il est donc possible, si un mariage ne répond pas à cet impératif de vie, de choisir de rompre cette union.

Je voudrais en conclusion vous préciser deux choses.

Permettez-moi de revenir sur une interprétation assez incroyable de ce qu'on appelle la faute originelle. Qu'est-ce que la faute originelle ? Ève a tenté Adam, donc c'est la faute de femmes, et on a tout dit ! C'est tellement faux et tellement risible que je me sens autorisé, dans cette ancienne chapelle décorée du portrait de Saint Louis, à risquer une interprétation de ce texte, si mon ami le père Dominique m'y autorise.

Ce n'est pas Ève qui tente Adam : relisez bien les mots de la Bible. Dieu dit àAdam : de tous les arbres tu consommeras, l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas. Or on s'aperçoit que quand le serpent vient tenter Ève, elle lui dit : on n'a le droit ni d'en manger, ni d'y toucher. Dieu n'a pas parlé de « toucher ». C'est Adam, infantilisant Ève, comme on le fait avec nos enfants, qui a interdit non seulement d'en manger, mais aussi d'y toucher. Le serpent, poussant Ève vers l'arbre, lui fait toucher le fruit : rien ne se produit. Et donc elle pense que puisqu'elle a touché le fruit sans que rien ne se passe, elle pourrait tout aussi bien le manger. Quand elle explique cela à Adam, il ne peut pas reconnaître qu'il l'a infantilisée. Ce n'est donc pas véritablement à la tentation exercée par Ève qu'il cède, mais il subit les conséquences de sa pulsion d'infantilisation.

Chaque fois que nous infantilisons quelqu'un, cela se retourne contre nous. Il faut donc rééquilibrer les pouvoirs, le partage de l'autorité parentale, la capacité à faire les choses ensemble dans une famille.

Si l'on travaille ensemble là-dessus, en s'appuyant sur nos textes - pour ceux qui croient - et s'appuyant sur nos valeurs humanistes - pour ceux qui espèrent en l'homme -, on pourra collectivement changer la société.

Péguy disait : « Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme même perverse. C'est d'avoir une âme habituée » 35 ( * ) . C'est finalement lui qui a toujours le dernier mot !

Je souhaite qu'on ne s'habitue jamais à cette violence.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie et sans plus tarder je vais donner la parole à Mme Brigitte Cabrolier, présidente de la Grande Loge Féminine de France.

Brigitte Cabrolier, vice-présidente de la Grande Loge Féminine de France (GLFF) . - Merci Madame la présidente.

Depuis plus de soixante-dix ans, la Grande Loge Féminine de France (GLFF), première obédience maçonnique féminine de France, forte de 14 000 membres et présente sur tous les continents, travaille sur une société de justice et de progrès.

Notre spécificité est de nous forger une identité, une parole de femmes entre femmes.

L'article 3 de notre Déclaration de Principes affirme que la GLFF « oeuvre à l'accomplissement et au respect des droits des femmes, condition indispensable de l'universalisme des droits humains ».

Peut-on travailler à l'amélioration constante de la condition humaine sans avoir un regard sur la société qui nous entoure, dont nous sommes membres, toutes, en tant que citoyennes ?

Être franc-maçonne c'est se construire, mais c'est aussi agir, prendre position, c'est se sentir responsable du monde réel dans lequel nous vivons, et se battre pour celles qui n'ont pas la liberté de se battre, c'est se battre pour celles qui n'osent pas, qui ne peuvent pas parler...

Nous sommes des femmes engagées et responsables qui luttons de toutes nos forces contre les atteintes portées à nos principes de tolérance, de respect de l'autre, de parité, de laïcité.

Toute l'action de nos pionnières a été de participer activement à l'émancipation des femmes.

L'émancipation des femmes, c'est sans doute un bon outil pour éviter de tomber dans les griffes d'un prédateur, d'être « sous emprise ».

Nous sommes donc 14 000 femmes « émancipées », libres, non dogmatiques, qui travaillons en loge et qui nous engageons à mettre nos valeurs en pratique, en partage, hors loge, selon des modalités qui conviennent à chacune d'entre nous.

Lorsque nous nous engageons dans la vie civile au sein d'associations, c'est en notre nom propre, pas en tant que franc-maçonne.

Toute maçonne a le devoir de s'informer, de dénoncer, d'intervenir chaque fois que les droits des femmes, des hommes, des enfants, de l'être humain en général sont violés ou bafoués.

Prendre position est une responsabilité à laquelle la GLFF ne peut se soustraire. Si elle est une association discrète, elle n'est pas pour autant muette et elle sait communiquer et rappeler qu'elle travaille « à la recherche constante et sans limite de la vérité et de la justice dans le respect d'autrui ».

La GLFF s'est dotée de commissions nationales dans lesquelles nos régions sont représentées, ce sont des instances de débats, de réflexions, de contributions et de propositions.

Ainsi, la Commission nationale des droits des femmes constate, analyse, propose, lutte pour que les droits des femmes ne restent pas théoriques, mais soient appliqués intégralement. Elle travaille sur la question des violences faites aux femmes, sur des mesures à mettre en oeuvre : c'est ainsi qu'elle a rédigé un rapport alternatif/CEDAW 36 ( * ) et a contribué à la Convention d'Istanbul 37 ( * ) .

Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, nous vous remercions de nous avoir invitées à vous présenter nos réflexions sur le fléau insupportable et inadmissible des violences commises par certains hommes sur les femmes, qui est un problème majeur de notre société.

Soulignons d'abord l'ampleur de ces violences qui prennent des formes multiples : violences au sein du couple, violences au travail, violences dans l'espace public, violences physiques, violences psychologiques, mutilations sexuelles, etc.

Ayons présents à l'esprit ces chiffres :

- en 2019, une femme tuée tous les deux jours par son compagnon ;

- une femme violée toutes les sept minutes ;

- entre 9 000 et 15 000 années de vie perdues en une année.

Pour les survivantes, les violences génèrent des grandes souffrances, des troubles psychiques importants, des séquelles mentales et physiques.

Pour leurs enfants, témoins de ces violences, des souffrances, des séquelles à long terme, difficilement quantifiables.

Pour la société, un coût estimé à 3,6 milliards d'euros par an : soins médicaux, recours aux services de police et de justice, aides sociales, répercussions économiques, etc.

Pourtant, la France s'est dotée depuis ces quinze dernières années de nombreuses lois et a lancé diverses actions. Certes, ces lois et ces mesures ne sont pas toujours faciles à mettre en oeuvre, mais il faut souligner que la législation contre les violences faites aux femmes est mal appliquée, et de plus, toujours incomplète.

Le récent rapport du GREVIO (Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique), instance du Conseil de l'Europe, pointe ainsi de nombreux dysfonctionnements concernant la France :

- faiblesse du système des ordonnances de protection ;

- enfants co-victimes des violences conjugales ;

- correctionnalisation fréquente du crime de viol ;

- insuffisance des hébergements spécialisés, des lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation ;

- insuffisance des moyens financiers et humains ;

- insuffisance de l'application de la loi de 2001 qui prévoit trois heures d'information sexuelle par an pour les élèves ;

- insuffisance de l'application de la Convention d'Istanbul ;

- femmes victimes de discriminations multiples ;

- situation des femmes réfugiées et demandeuses d'asile.

Ce rapport propose également des améliorations rapides :

- amélioration de la collecte des données au niveau de la justice ;

- amélioration des services spécialisés, en veillant à la répartition géographique ;

- permanence en continu de la ligne 3919, etc.

De même, Nicole Belloubet, garde des sceaux, a reconnu récemment (dans le Journal du dimanche du 17 novembre 2019) que la chaîne pénale n'était pas satisfaisante, et a préconisé diverses mesures à prendre d'urgence.

Hier, Édouard Philippe, premier ministre, a déroulé un plan d'actions, qui pour certaines reprennent des mesures qui auraient dû être appliquées au regard de la signature de la Convention d'Istanbul. Des mesures annoncées sont néanmoins positives et attendues, telles que le recours aux bracelets anti-rapprochement, l'interdiction de la médiation, la reconnaissance de l'emprise, la déchéance de l'autorité parentale...

Cependant, pour nous, franc-maçonnes de la Grande Loge Féminine de France, il est indispensable que soient mises en place à la fois une politique volontariste pour répondre à l'urgence de la situation actuelle et une stratégie nationale d'éradication à terme de ce fléau.

Pour répondre à ces urgences, une loi-cadre est indispensable, comme en Espagne, avec un budget adapté.

Nous insisterons donc sur les mesures qui, à court ou long terme, nous semblent incontournables.

À court terme, nous souhaitons :

- la généralisation de l'expérience faite à Arras, où les conjoints violents sont éloignés dès les premières violences et ont l'interdiction absolue d'approcher leur compagne :

- la généralisation du bracelet électronique d'éloignement ;

- la levée du secret médical : il est envisagé un éventuel partage du secret médical dont les contours restent à définir, mais on oublie de spécifier qu'il faut faire obligatoirement figurer et de façon substantielle, dans la formation initiale et continue du personnel médical et paramédical, la problématique des violences à l'encontre des femmes ;

- l'obligation pour tous les hommes reconnus coupables de violences conjugales de participer à un stage pour une prise de conscience et de responsabilisation, ce qui permettrait un taux de récidive plus faible ;

- la prise en charge systématique de l'addiction à l'alcool, facteur aggravant des violences ;

- la suppression de la garde alternée des enfants en cas de divorce s'il y a eu des violences ;

- la suppression de l'autorité parentale en cas de condamnation ;

- une meilleure prise en compte de l'intérêt et de la sécurité de l'enfant ;

- la création de tribunaux spécialisés ;

- la formation des magistrats.

À plus long terme, nous préconisons :

- de renforcer, de la crèche au lycée, l'éducation au respect et à l'égalité filles-garçons, femmes-hommes, par la formation des personnels éducatifs ;

- de combattre, dans les différents champs sociaux, les stéréotypes de genre, afin de déconstruire les modèles archaïques préjudiciables à toutes et tous ;

- de créer, en s'inspirant du modèle espagnol, une « loi de protection intégrale contre les violences de genre », c'est-à-dire la mise en place d'un système global, sans faille ;

- enfin, de lutter efficacement contre la pauvreté, car la pauvreté, en touchant majoritairement les femmes, ne leur permet pas d'accéder à leur autonomie et de quitter leur conjoint lorsque leur sécurité l'exige.

En conclusion, la violence des hommes ne s'exerce pas seulement contre les femmes, elle en est un des aspects les plus condamnables, mais elle s'exerce dans tous les champs sociaux : les statistiques du ministère de l'intérieur sont sur ce sujet particulièrement éloquentes. Cette violence est nuisible à la paix sociale et coûteuse à la société tout entière.

Oui, il est urgent de mettre en place une politique volontariste pour lutter contre toutes les violences que subissent les femmes. Et pour qu'elle soit encore plus efficace, il faut aussi mettre en place une politique globale de lutte contre toutes les formes de violence, qui irriguerait dans les champs sociaux. Qu'elles aient lieu à la maison, au travail ou dans la rue, les violences ne sont pas une fatalité. Jamais.

Encore faut-il une volonté politique sans faille et des moyens adaptés.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie, Madame, pour ces propos clairs, et je salue M. le grand-rabbin qui nous quitte. Je vais immédiatement donner la parole à Monseigneur Blanchet.

Dominique Blanchet, évêque de Belfort-Montbéliard, vice-président de la Conférence des Évêques de France . - Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Monsieur le sénateur, c'est avec un grand intérêt que la Conférence des Évêques de France a souhaité répondre à votre invitation pour cette audition. C'est l'occasion, je crois, de pouvoir présenter ce qui a pu être engagé par l'Église catholique en France, pour lutter contre les violences. C'est aussi l'occasion de nous interroger sur notre responsabilité, aujourd'hui, pour travailler à cette volonté d'éradiquer ce fléau.

Il y a vingt ans, l' Action catholique des femmes , qui est un mouvement de l'Église, avait fait un important recueil de la parole de plus de 1 400 femmes, édité en 2000. L'une d'entre elle témoignait, ayant été battue pendant huit ans : « Ce que je me reproche encore aujourd'hui, c'est d'avoir accepté la première gifle. Cette violence a duré huit ans et pendant tout ce temps personne ne m'a aidée ».

Si je mentionne ce recueil, c'est pour souligner que cette attention a été portée par différents groupes au sein de l'Église catholique, qui ont permis d'éveiller la responsabilité de l'Église dans ce qu'elle pouvait suggérer pour faire face aux violences.

Notre propos commun s'énoncera en trois parties :

- la première portera sur l'implication ancienne de l'Église catholique face à ce fléau, comment elle s'est engagée, comment elle s'est tenue ;

- la deuxième concernera l'évolution de sa perception de la violence au sein de l'union conjugale ;

- la troisième tient à son engagement actuel, à travers quelques lieux où nous pouvons et devons agir ensemble. Ce point sera détaillé par Oranne de Mautort, qui est directrice adjointe du service Famille et Société.

En premier lieu, je rappellerai que l'implication de l'Église catholique face à ce fléau est ancienne.

Je crois que les congrégations religieuses sont l'expression la plus évidente de l'implication de l'Église catholique depuis plusieurs siècles pour lutter contre les violences. L'attention aux plus pauvres a été à l'origine de nombreuses vies consacrées comme de nombreuses congrégations. Ainsi, face à la grande vulnérabilité des femmes violentées dans la rue, fuyant leur foyer en raison des violences conjugales, celles qui refusaient un mariage forcé, ou bien l'attention à l'éducation des jeunes filles, d'autres femmes se sont associées en raison de leur foi pour être avec elles.

Cela a donné naissance à de nombreuses congrégations religieuses qui se sont largement développées dans le monde. Mais on peut en citer quelques-unes en exemple, parce qu'elles gardent aujourd'hui encore cette attention, qui est le coeur de leur action.

À cet égard, je mentionnerai la congrégation Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, fondée au XIX e siècle à Angers, qui se présente encore aujourd'hui sur son site avec ces mots : « La mission poursuivie depuis nos fondateurs Saint Jean Eudes et Sainte Marie de Sainte-Euphrasie, est d'aider les femmes bafouées dans leur dignité à se reconstruire dans tous les domaines. Et trouver leur place dans la société, en s'appuyant sur une spiritualité et des valeurs communes ».

C'est une congrégation qui ouvre encore aujourd'hui, en partenariat avec les collectivités publiques - en tout cas c'est la situation à Angers -, des places d'accueil pour des femmes soumises aux violences de toutes sortes. Ces congrégations, ainsi que des mouvements de femmes catholiques, comme l'Action catholique des femmes, ont éveillé la sensibilité de l'Église catholique au fléau des violences envers les femmes.

Plusieurs paroles officielles ont alors été prononcées. Certes, on peut regretter que ce discours officiel soit advenu trop tardivement, mais je relève malgré tout qu'en 2003, la commission sociale des Évêques de France, dans une publication intitulée Les violences envers les femmes , interrogeait : « Jusqu'à quand notre société supportera-t-elle ces innombrables actes de violence ? Jusqu'à quand ces victimes seront-elles abandonnées à leur souffrance, réduites au silence, spoliées dans leur désir de vivre ? ». Cette interrogation est malheureusement toujours d'actualité.

Ces propos avaient pour finalité de rappeler l'enracinement de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein de l'Église catholique - à tout le moins dans la sensibilité de quelques personnes - jusqu'à l'expression de cette conviction dans un texte officiel de la Conférence des Évêques de France.

Le deuxième aspect que je voulais aborder avec vous concerne l'évolution de la perception de la violence au sein de l'union conjugale.

Notre réunion d'aujourd'hui évoque spécifiquement cette violence-ci, la violence faite aux femmes dans le cadre conjugal, et il est bon aussi de mentionner l'évolution de la perception de la violence au sein du couple dans le contexte catholique. Elle a bien sûr toujours été bannie par l'Église catholique. Mais sans doute a-t-elle été trop souvent tolérée et tue par des femmes qui ont désiré « sauver leur mariage ».

Quand on parle de sauver son mariage, cela renvoie au fait que le mariage célébré dans l'Église catholique s'appuie sur un engagement d'indissolubilité.

Si cette perspective d'indissolubilité est une réelle force pour dépasser les inévitables conflits - on est là dans le registre des médiations, des conseils, qui sont parfois sollicités -, elle peut aussi être un piège, véritablement lorsque la violence n'est pas dénoncée. Un piège qui se ferme en quelque sorte sur les deux conjoints, notamment, le plus souvent, pour l'épouse.

Et pour que la violence conjugale puisse être clairement dénoncée et jamais couverte, il est nécessaire pour nous, Église catholique, de l'affirmer sans ambiguïté dans des textes du Magistère.

Le Pape François l'a fait en 2016, dans une lettre intitulée La joie de l'amour . Ce texte fait autorité aujourd'hui sur la question du mariage et de la famille. Il réaffirme que la séparation en cas de violence envers le conjoint et/ou les enfants peut devenir une « nécessité morale ».

Je le cite rapidement : « Il y a des cas où une séparation est inévitable. Parfois elle peut devenir moralement nécessaire lorsque justement il s'agit de soustraire le conjoint le plus faible ou les enfants en bas âge aux blessures les plus graves causées par l'abus et par la violence, par l'avilissement et par l'exploitation, par l'extranéité et par l'indifférence » (Pape François, La joie de l'amour n° 241).

En parlant de « nécessité morale de séparation », ce texte, qui fait partie du Magistère de l'Église catholique, va plus loin que la légitimité qui était entendue jusqu'alors et qui était formalisée dans le code de droit canon de 1983. Il y était question de légitimité ; la séparation était légitime en cas de violence. Avec la lettre du Pape François, on parle désormais de « nécessité morale de séparation », ce qui va au-delà.

Forts de ce cadre doctrinal sans équivoque, nous percevons bien qu'il nous faut continuer à nous engager résolument dans la lutte contre le fléau des violences conjugales. Et nous pouvons le faire en agissant d'abord dans des lieux où nous sommes présents, où nous recevons des personnes qui désirent se marier, où nous travaillons aussi à l'éducation. Je laisse la parole à Oranne de Mautort, directrice nationale adjointe du service Famille et Société, en charge du pôle Famille, qui va vous préciser ces engagements.

Oranne de Mautort, directrice adjointe et responsable du Pôle famille au sein du Service national Famille et Société de la Conférence des évêques de France . - Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre invitation.

Comme vient de le rappeler Mgr Blanchet, la violence envers les femmes est dénoncée sans ambiguïté par l'Église catholique, même si, il faut le dire, cet engagement reste méconnu.

Mais la dénonciation, si claire soit-elle, ne suffit pas. Nous le savons, et nous sommes invités à la fois personnellement mais aussi collectivement, à l'action, et donc nous vous remercions à nouveau de votre invitation.

Pour ce qui nous concerne dans l'Église catholique, je voudrais souligner quatre points.

Le premier point est qu'il s'agit de toujours mieux connaître les phénomènes. Je pense, et vous l'avez dit les uns et les autres, que nous devons continuer à repérer et nommer les différentes formes de violence - physique, psychologique, sexuelle, économiques et administrative.

Nos églises, nos aumôneries - par exemple nos aumôneries d'hôpitaux -, nos mouvements, nos communautés, sont des lieux où beaucoup de personnes viennent chercher une écoute.

Aujourd'hui, nous voulons dire qu'il nous faut toujours davantage écouter une personne qui témoigne. Davantage écouter ces victimes de violences conjugales, pour mieux cerner leurs difficultés à parler, mieux cerner leurs difficultés à porter plainte, à demander de l'aide à un tiers. Il nous faut toujours également chercher à mieux comprendre comment les notions d'emprise et d'abus de pouvoir jouent dans cette situation.

Le deuxième point concerne l'éducation et la prévention auprès d'un large public. Je citerai deux exemples, à partir des expériences concrètes que nous vivons dans l'Église catholique. Je pense d'abord à la question de l'éducation à la sexualité et aux relations affectives, qui doit normalement être abordée dans le cadre scolaire, nous le rappelions tout à l'heure.

À cet égard, l'association CLER Amour et famille est un mouvement de l'Église catholique, agréé association de jeunesse et d'éducation populaire, qui forme des éducateurs et assure des interventions en milieu scolaire. Les animateurs interviennent à partir des questions des jeunes. C'est leur point de départ. Et ils relèvent que ceux-ci ne parlent jamais spontanément de la violence en famille. La violence semble être un fait, mais pas quelque chose à questionner. Ce silence est significatif, la parole n'est pas libérée sur le sujet, le tabou demeure.

Ces mêmes animateurs mettent l'accent sur plusieurs leviers de prévention : l'estime de soi, le respect de soi-même et des autres, la question du consentement, l'égalité, évidemment, entre filles et garçons, mais aussi la mise en mots des émotions. Et ils rappellent qu'il faut du temps pour ce travail.

Un deuxième exemple de prévention concerne la formation des couples aux enjeux de la vie conjugale. Je rappelle que les catholiques préparent chaque année de nombreux couples - 50 000 environ - au mariage religieux. L'objectif est de leur permettre de mieux se connaître pour mieux s'aimer. Ce travail se fait en soulignant notamment le piège de l'idéalisation de la vie amoureuse. Les animateurs soulignent aussi l'impératif de la communication, ainsi que le refus absolu de la violence, y compris de la violence sexuelle. Il ne peut y avoir de relations sexuelles sans consentement à l'intérieur du mariage, défendent fortement les catholiques.

Le troisième point, après la prévention, tient à la formation et à la mobilisation des personnes en responsabilité. Pour prévenir, accompagner, soutenir, il nous faut relayer dans nos églises les lieux ressources comme le 3919, mais aussi les obligations juridiques, les possibilités thérapeutiques. Les catholiques, qui sont souvent en situation d'écoute, sont sans doute, comme tous les Français, un peu démunis devant les actions à mener en cas de violence.

Il nous faut aussi former sérieusement les éducateurs, les prêtres, les conseillers conjugaux et familiaux qui interviennent dans le cadre ecclésial à ce sujet. Je souligne que la formation des conseillers conjugaux et familiaux dure trois ans. Elle comporte des modules pratiques et des modules spécifiques sur la violence intrafamiliale. À titre d'exemple, on peut aussi noter que des journées de sensibilisation se préparent, par exemple dans le diocèse de Strasbourg.

Enfin, le dernier point concerne le soutien aux personnes victimes. En situation d'urgence, il est primordial de bien accueillir et d'écouter les victimes, de les sécuriser pour le logement, de prendre des mesures matérielles et financières, d'organiser la responsabilité parentale, et de soigner. Nous avons évoqué ces aspects ; l'Église y prend sa part. Je pense par exemple aux résidences sociales qui accueillent des familles - souvent des femmes avec enfants -, soutenues par les Apprentis d'Auteuil , l'une à Marseille, une à Chartres. On peut mentionner aussi quelques lignes d'écoute développées dans des diocèses. Mais il s'agit aussi d'inscrire la reconstruction des victimes dans la durée, et cela nous tient évidemment à coeur. Des groupes de parole y contribuent, à l'image de nombreux groupes de personnes divorcées qui sont promus par l'Église catholique dans les diocèses de France.

Pour conclure, je voudrais redonner la parole à une personne victime. Parce qu'écouter ses mots c'est pour nous, et pour moi, souligner le courage de ces femmes et notre devoir d'agir : « Malgré tout, avec le temps, j'ai retrouvé ma dignité, je me bats sans cesse, je veux réussir ma vie, mais j'ai toujours besoin d'être soutenue et écoutée ».

Je vous remercie.

Viviane Villatte, première vice-présidente de la Fédération Française du Droit humain (FFDH) . - Mesdames, Messieurs, chers amis, nous vous remercions pour cette invitation adressée aux représentants de la société. Car, en effet, le problème des violences faites aux femmes, y compris au sein du couple, dépasse la sphère privée : chaque citoyen doit exprimer sa responsabilité dans la prise en charge de ce fléau.

Je profite également de cette réunion pour vous féliciter pour le travail qu'accomplit votre délégation en faveur des droits des femmes. Nous nous y référons de temps à autre.

Sur le fronton de notre immeuble historique, on peut lire la phrase de Georges Martin, fondateur, avec Maria Deraismes, de la Fédération Française du Droit humain (FFDH), en 1893 38 ( * ) . Je cite : « Dans l'humanité, la femme a les mêmes droits que l'homme ; elle doit avoir aussi les mêmes droits dans la famille et dans la société » 39 ( * ) .

Je souhaitais donc vous dire que nous sommes concernés depuis longtemps par la justice sociale, qui passe bien sûr par la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes, la protection des enfants ainsi que par le respect des droits humains et du principe de la laïcité.

Nos membres sont des hommes et des femmes qui travaillent toujours en mixité. Nos engagements concernent notamment la lutte dans l'élimination des violences, sujet de cette table ronde. Notre attachement à la mixité est illustré par le fait que je suis accompagnée de Sylvain Zeghni, conseiller national comme moi, et qui participera au débat qui suivra.

Au Droit humain , comme dans d'autres obédiences, notre méthode de travail consiste à prendre du recul pour ne pas agir dans l'immédiateté, et d'une façon générale nous n'intervenons pas directement en tant que Fédération française - ou internationale, puisque nous sommes présents dans de nombreux pays - sur les problèmes sociétaux.

Nous travaillons via des commissions, nous organisons des réunions, des rencontres avec les personnes concernées, avec des experts aussi, afin d'éclairer nos 17 000 membres - 31 000 à l'international.

En plus des publications de nos différentes commissions selon les sujets, notre cellule de veille publie des communiqués adressés aux différents acteurs et instances de la société. Et toujours, nous insistons sur le respect du droit de chacun, sur l'importance de l'égalité homme-femme et sur la nécessaire prise de conscience de nos responsabilités pour agir.

C'est avec une meilleure connaissance des problèmes que chaque membre va ensuite oeuvrer concrètement dans des associations de son choix, qui peuvent être cultuelles : puisque comme nous sommes laïcs, nous comptons parmi nos membres des croyants et des non-croyants. Nous ne croyons pas tous dans la même chose.

Dans le cadre de violences conjugales, certains oeuvreront plus naturellement pour la protection des enfants ou pour celles des femmes, au regard de leurs compétences spécifiques - de médecins, d'enseignants...- ou bien au sein d'associations présentes sur le terrain, dont certaines d'ailleurs ont été auditionnées dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes .

Nous sommes convaincus que ces violences ne sont absolument pas une fatalité. Toutefois, les mesures existantes à ce jour ont montré leurs insuffisances puisque chaque année le nombre de victimes augmentequ'il s'agisse des femmes, qui sont nos amies, nos soeurs, nos mères, nos filles, que de leurs enfants qui bien sûr sont traumatisés, orphelins, quand ils ne sont pas décédés.

Nous espérions donc plus de moyens humains et financiers pour lutter contre le sexisme, renforcer la formation des intervenants de la chaîne de protection des victimes et assurer un suivi des auteurs de violences conjugales.

Si quelques-unes des mesures annoncées hier par le premier ministre nous satisfont, le compte général n'y est pas. Et trop souvent le Gouvernement se défausse sur les associations sans augmenter leurs subventions en cohérence avec les missions qui leur sont confiées, quand il ne « noie pas le poisson » en annonçant comme des mesures nouvelles des choses qui en fait existent déjà... Beaucoup d'annonces nous laissent donc dubitatifs, nous y reviendrons j'espère ce soir.

Le fait peut-être nettement positif de ce Grenelle me semble être la forte mobilisation des associations de terrain ce 23 novembre, qui confirme une véritable prise de conscience du phénomène des violences par les citoyens.

Nous pressentons qu'il nous faudra encore et encore remettre l'ouvrage sur le métier dans les années à venir. La vigilance et la persévérance restent de mise ! Et je voulais vous dire aussi qu'au cours des débats qui suivront ce premier tour de table, nous aimerions aborder trois aspects des violences : le cas des femmes handicapées, encore plus vulnérables, la situation particulière de l'outre-mer et celle des enfants témoins de scènes de violence.

Et avant de terminer, comme j'ai été très rapide, je voudrais saluer un outil que vous connaissez déjà. Conçu par le Centre Hubertine Auclert, il s'appelle le Violentomètre , que l'on peut - c'est gratuit - envoyer dans les écoles. Je l'ai fait parvenir à mes petites-filles, et je pourrais l'adresser, quand il sera plus grand, à mon petit-fils. On y parcourt différentes étapes, du feu vert au feu rouge, depuis « Profite de ta relation » et « Attention, dis stop ! » jusqu'à « Protège-toi et demande de l'aide ».

Je pense que le but de toutes les associations qui concourent à la lutte contre les violences est de donner de l'aide. Je vous remercie pour votre écoute.

Razvan Ionescu, prêtre, Assemblée des Évêques orthodoxes de France (AEOF) . - Nous vous remercions de nous avoir invités à participer à cette réunion.

Ce soir, je tenterai de vous proposer une vision théologique, ce qui ne veut pas dire que cette approche est dénuée de contact avec la réalité : pour nous, au contraire, la théologie découle de la vie, c'est très concret.

Nous considérons que c'est le rôle de l'Église d'offrir à ses fidèles, et aussi à toute la société, une sorte d'inspiration, de courage pour qu'à l'intérieur de l'homme s'exprime une sorte de paix profonde, une entente profonde avec soi-même et donc avec les autres. Selon nous, la paix intérieure rejaillit de manière positive sur les relations humaines.

Le but de la vie ecclésiale, c'est peut-être tout simplement de cultiver cette paix très profonde, cette paix qui est très pragmatique et, j'insiste une nouvelle fois, qui n'est pas dépourvue de contact avec la vie, au contraire. Si on arrive à ce but, qui est un but spirituel pour nous, je pense que la violence ne trouvera jamais une terre d'accueil dans le coeur des gens, dans les familles, dans les couples.

Parfois on se sent impuissant à aider les gens à améliorer l'équilibre de leur couple, de leur famille, de leurs relations avec leurs enfants.

On considère pourtant que c'est le rôle de l'Église d'intervenir dans ces difficultés. D'une façon très concrète, ça se fait à travers ce qu'on appelle la paternité spirituelle, la confession, les discussions avec le prêtre... J'aimerais bien que cette approche soit tellement visible dans nos sociétés qu'elle constitue un exemple pour les autres.

Malheureusement nous rencontrons beaucoup de difficultés, mais en même temps nous nous investissons beaucoup : une très grande partie de notre vie concerne cet engagement personnel dans la vie des autres, des couples et des familles.

Concernant l'égalité homme-femme, on parle aussi de la vocation de chacun : tout ce que je viens de dire, prenez-le comme une sorte d'introduction aux propos de mon épouse Andrea Ionescu, qui représente aussi aujourd'hui l'Assemblée des évêques orthodoxes de France.

Andrea Ionescu (AEOF) . - Je vous remercie de votre invitation. Nous sommes honorés et heureux de participer à votre réunion au nom de l'AEOF, l'Assemblée des évêques orthodoxes de France.

Je vais revenir sur la violence conjugale, mais permettez-moi de commencer en faisant un petit peu de théologie pour mieux situer mes propos du côté de la confession chrétienne orthodoxe.

C'est en essayant de répondre à la question fondamentale pour la foi authentique : « comment, et en qui crois-tu, chrétien orthodoxe ? » que surgit devant notre intérieur, presque involontairement, l'image de la Mère de Dieu. Le premier don du Christ, la première, la plus profonde révélation de son enseignement et de son appel nous sont offerts à travers l'image d'une femme. Pourquoi serait-ce aussi réconfortant, consolant et salvateur ? ». Car « Dans ce monde où règnent l'orgueil et l'agressivité », où « tout est réduit aux instruments de pouvoir, de domination, à la production, et aux moyens de production, à la compétition, à la violence, au refus de faire des concessions, de se réconcilier, de faire silence, de s'abîmer dans les profondeurs paisibles de l'existence, c'est précisément à tout cela que s'oppose une image, qui vient tout démasquer par sa seule présence » 40 ( * ) , dit le théologien Alexandre Schmemann. Cette image, c'est celle de Marie, la Mère du Christ, qui constitue la référence absolue de la vision de la femme pour l'Église orthodoxe. C'est le modèle féminin, car elle vit son humanité et sa féminité au niveau le plus élevé.

Ce fait se reflète aussi sur la position de la femme au sein du couple, marié et béni par Dieu : une présence vocationnelle, d'épouse et de mère.

Toutefois, dit un autre théologien orthodoxe, Paul Evdokimov, « Ce qu'une femme est appelée à faire dans le monde n'est pas [seulement] une coopération d'efforts ou de coopération pragmatiquement utiles et justifiées, mais la création ensemble avec l'homme de la toute nouvelle réalité du masculin et du féminin formant le corps du sacerdoce royal. [...] Ainsi, l'unité de la vie conjugale n'est pas une unité fermée sur le terrestre, mais déjà l'UN ouvert sur le siècle futur et qui dépasse les conditions de ce monde » 41 ( * ) .

De même, pour Saint Jean Chrysostome, « Le mariage est l'image non pas de quelque chose de terrestre, mais du céleste, il figure le Royaume de Dieu, et seule sa présence par anticipation le justifie ».

La femme, bibliquement, n'est donc pas une aide-servante, mais un vis-à-vis ; face au fils de Dieu se pose la fille de Dieu ; l'un complète l'autre ; « Dans le Seigneur, dit Paul, ni l'homme sans la femme, ni la femme sans l'homme » 42 ( * ) .

Or la violence contre la femme est la négation absolue de cette noble vocation. Comme vous l'avez dit ici, il n'y a pas d'amour qui tue. Il n'y a pas d'appel à la sainteté qui passe par la violence contre celui qui est appelé. Le don de la liberté présuppose un engagement personnel, voulu.

Il n'y a donc aucune forme de cautionnement de la violence conjugale dans l'orthodoxie. La femme ne peut être forcée en rien, elle doit être portée par la noblesse du vécu de son époux vers son accomplissement en tant que partenaire sur le chemin de la vie et éventuellement en tant que mère de ses enfants.

Ainsi l'Église orthodoxe s'implique activement, à travers toute sa mission, dans l'éradication de la violence conjugale. Consciente de la souffrance que de tels cas engendrent dans le couple et la société, et notamment des traumas parfois irréversibles causés aux enfants, l'Église orthodoxe s'engage à oeuvrer de pair avec les autres organismes et institutions pour mieux enseigner, éduquer, informer, conseiller, soutenir, encourager l'entente des couples, hommes et femmes égaux, et combattre la violence conjugale au sein de nos communautés de fidèles et de toute la société.

Nous vous savons gré et vous félicitons pour tout votre travail dans le cadre de cette délégation du Sénat et nous vous remercions encore une fois de nous avoir conviés à cette table ronde.

Annick Billon, présidente . - Merci à tous pour ces interventions aussi variées que riches. Les positions que vous défendez sont, nous avons pu nous en rendre compte, le résultat d'un cheminement qui s'est fait à travers l'histoire.

Les violences, nous sommes tous d'accord autour de la table pour affirmer qu'elles sont inacceptables et inadmissibles. J'aimerais pour ma part vous demander, dans la mesure où des violences avérées, mettant en danger à la fois le conjoint et les enfants, ont été identifiées, si vous disposez d'un protocole dans vos institutions diverses. Comment incitez-vous la victime à aller porter plainte ?

Avant son intervention, peut-être une précision à l'attention de Mme Villatte, qui est intervenue sur la situation des femmes en situation de handicap.

Je voudrais préciser que la délégation a travaillé pendant plusieurs mois sur la thématique des femmes en situation de handicap victimes de violence. Elle rendu son rapport il y a quelques semaines, le 3 octobre. Comme nous souhaitions que nos propositions s'appuient sur un texte officiel, nous avons pris hier, le 25 novembre, l'initiative de déposer une proposition de résolution. Elle est aujourd'hui co-signée par 138 sénateurs. Nous espérons qu'elle puisse être inscrite à l'ordre du jour du Sénat au début de l'année 2020. Ce texte est disponible sur le site du Sénat.

Max Brisson . - Ma question, qui s'adresse à l'ensemble de nos invités, sera très courte et dans le prolongement de la vôtre.

Vous avez expliqué avec précision, comme notre présidente l'a dit, les procédures et la manière dont vos cultes ou vos obédiences ont pris en compte au fil de leur histoire et de celle de notre pays la question des violences faites aux femmes.

Il me semble que l'on peut dire, sans conteste, que notre société s'est beaucoup mobilisée cette année sur la question des violences. Toutefois, j'ai bien entendu et compris qu'il fallait inscrire ce travail dans la durée, et non pas uniquement sous le coup de l'émotion, liée en particulier à la recrudescence des féminicides dans notre pays.

Il n'empêche que cette recrudescence a bien eu lieu et je souhaiterais savoir si dans vos obédiences, dans vos cultes, dans vos assemblées il y a bien débat sur le sujet, ainsi qu'une réelle prise de conscience, au-delà de cette description dans le temps, Monseigneur, que vous avez évoqué en particulier pour l'Église catholique.

Le mouvement à l'oeuvre dans notre société, qui se traduit notamment à travers le Grenelle de lutte contre les violences conjugales et la proposition de loi pour lutter contre les violences intrafamiliales, récemment adoptée par le Sénat, a-t-il joué un rôle selon vous ? Comment cela a-t-il été perçu ?

Brigitte Nabet, Grande Loge Féminine de France (GLFF) . - J'interviens en tant que présidente de la Commission nationale des droits des femmes au sein de la Grande Loge Féminine de France (GLFF).

Bien évidemment, ces questions, nous les avons travaillées. Nous avons auditionné en interne ; nous organisons également des colloques sur les violences conjugales.

Nous avions, il y a quelques années, reçu les avocates de Jacqueline Sauvage. Nous avons aussi récemment entendu la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) pour être en phase avec les réalités du terrain, même si bon nombre de nos soeurs sont engagées dans des associations et oeuvres parallèlement à leur participation à la GLFF.

Le colloque que nous projetons va se dérouler en plusieurs temps :

- le temps du constat des violences faites aux femmes, de ce qu'elles sont et de ce qu'elles représentent ;

- puis, dans un deuxième temps, l'identification des solutions à mettre en place.

Les solutions ont été évoquées tout à l'heure : il y a l'éducation, mais aussi tout un plan d'actions que nous voulons promouvoir.

Lorsque nous auditionnons les associations et quand nous sommes sur le terrain, nous constatons bien évidemment les difficultés auxquelles certaines d'entre elles sont confrontées. Nous sommes inquiètes, parce que nous voyons qu'il y a de la compétition pour entrer dans une structure telle que la Fédération nationale Solidarité Femme (FNSF). Sur certains de nos territoires, les budgets sont très contraints, ce qui freine l'action des associations.

Et c'est donc aussi sur ce point que nous voulions mettre l'accent : les moyens financiers nécessaires pour accompagner les femmes, pour les aider à se reconstruire et à sortir de leur situation, de leur précarité.

En ce qui concerne le logement, les mille logements d'urgence annoncés récemment correspondent à peine aux besoins identifiés dans ma région, la Nouvelle-Aquitaine. Nous continuons à travailler mais l'insuffisance des moyens est un vrai sujet d'inquiétude.

François Clavairoly . - J'aimerais faire une première partie de réponse, et ensuite Valérie Duval-Poujol fera une seconde partie, pour dire que la réflexion sur le sujet ne commence pas avec MeToo et les débats d'aujourd'hui.

Premier point : on l'a rappelé tout à l'heure, c'est une question qui traverse le christianisme, et le christianisme catholique, protestant, orthodoxe, depuis très longtemps, de manière tant factuelle qu'institutionnelle, en France, depuis le XIX e siècle, avec toutes les oeuvres sociales qui ont été mises en place à cette époque.

Je crois que le paysage social français est lié à l'action du christianisme dans ce pays. Il faut se le redire de temps en temps. Cela a du sens dans un lieu comme celui-ci, qui est à la fois un lieu de la République et, comme l'a rappelé la présidente en introduisant cet échange, une chapelle. Il faut le garder présent à l'esprit, sous peine de faire comme le Grenelle de lutte contre les violences conjugales et d'oublier que le christianisme a co-construit ce pays. Je souhaite le réaffirmer ce soir, en tant que représentant de l'« ultra-minorité » protestante.

Deuxième point : après avoir rappelé que nous n'avons pas attendu le Sénat pour nous pencher sur ces questions, il est nécessaire de dire que - je rejoins sur ce point l'intervention précédente - l'on constate actuellement une contraction des budgets sociaux, des dotations aux structures - oeuvres, fondations, associations... - qui travaillent sur les violences. Cette réduction est un vrai scandale, il faut le souligner : ça ne va pas. Ça ne va pas pour l'action auprès des femmes qui sont victimes de violence, et ça ne va pas non plus pour l'action auprès des personnes défavorisées, des handicapés et des personnes en situation d'extrême pauvreté ou d'exclusion.

Je veux donc rappeler qu'il y a un vraiment un enjeu politique au sens le plus noble du terme : il est impératif que nous ne sortions pas de cette rencontre, de ce débat, pour être prêts ensuite à passer à autre chose demain, sans prendre les mesures nécessaires. Je vous encourage donc à porter cette parole dans vos engagements de parlementaires, de sorte que les moyens dédiés à ces actions soient en cohérence avec des besoins très importants.

Valérie Duval-Poujol . - Nos protocoles, notre levier, c'est le 3919. Nous essayons aussi d'être des diffuseurs d'information au niveau de la base, des gens fréquentant nos églises. Notre objectif est qu'ils sachent qu'on n'a pas à leur donner l'autorisation de fuir la violence de leur conjoint. À nous de leur dire qu'il n'y a aucun obstacle du point de vue de la foi pour qu'ils se lancent dans ce processus et pour se séparer de cette violence. Ça, c'est notre responsabilité.

Je voulais également évoquer l'outre-mer. Nous y sommes très présents, avec beaucoup de protestants dans ces territoires. Et des organismes comme Empreinte formation , qui dispensent des formations à l'accompagnement des victimes et à la relation d'aide, se rendent dans les outre-mer. Selon les remontées des formateurs qui interviennent là-bas, la violence semble culturellement acceptée et validée : le travail y est donc encore plus urgent.

Enfin, il est important de prévoir des lieux de débats. Nous sommes en train de monter un groupe de réflexion qui va associer des théologiennes - musulmanes, catholiques, juives, protestantes - pour qu'ensemble nous puissions réfléchir à nos textes et aux rapports entre ces textes et les violences. Nous nous sommes dit que qu'il fallait y réfléchir à plusieurs.

Annick Billon, présidente . - Juste une précision par rapport au 3919 (c'est d'ailleurs la question que j'ai adressée à Mme la secrétaire d'État hier). Ce numéro est désormais beaucoup mieux connu (par plus de 50 % de la population aujourd'hui), ce dont on peut se féliciter. Il n'est toutefois pas encore accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ; il ne devrait l'être que dans un an, ce qui s'explique par les contraintes liées aux procédures de marché public. Il s'agit donc d'une véritable préoccupation.

Nous avons quatre sénateurs dans cette délégation qui sont élus de territoires ultramarins. Cette problématique des violences faites aux femmes dans les outre-mer est inscrite à l'agenda de la délégation. Il semble que les réponses apportées à ce problème doivent intégrer les spécificités dues au phénomène îlien.

Je vais passer la parole à Mgr Blanchet, puis à Oranne de Mautort.

Dominique Blanchet . - Pour répondre à votre question sur les protocoles, je dirai qu'il n'existe pas de procédure dans nos églises pour conduire un fidèle à déposer plainte. Toutefois, nous avons le même réflexe que celui que vous indiquiez ; nous contribuons donc en quelque sorte à faire connaître le 3919 et son importance dans ces situations, ce qui appelle des moyens adaptés.

En outre, je peux dire que dans l'Église catholique, il existe des espaces d'écoute et de confiance, liés entre autres à la préparation au mariage. De fait, les couples qui se sont mariés à l'Église catholique savent qu'ils ont des lieux où ils peuvent venir parler.

Je pense que c'est une expérience relativement commune pour un prêtre que d'accueillir une personne soumise à des violences qui ne sont pas normales. Aucune violence n'est normale. Dans ces situations, le prêtre peut encourager la victime à envisager la séparation, ainsi que tout le processus qui en découlera.

J'en discutais encore tout récemment avec des évêques de l'Est de la France, qui me disaient le nombre de fois où ils ont encouragé des séparations. Mais cela est possible parce qu'il y avait un cadre de confiance et d'écoute qui permettait à cette parole d'aller plus loin. Si nous ne sommes pas dans le cadre d'un protocole formalisé, nous sommes malgré tout dans un espace qui permet d'enclencher un processus de réaction face aux violences.

Oranne de Mautort . - Je souhaiterais ajouter deux points. Le premier porte sur la question des Antilles. Effectivement, les évêques des Caraïbes ont publié une déclaration spécifique sur le sujet en 2015, en invitant par exemple à mettre fin à la culture du silence et en appelant à travailler avec les institutions, tout en reconnaissant qu'il y avait quelque chose de spécifique dans les Caraïbes sur le plan des violences.

Le deuxième point concerne la situation actuelle. Je crois pouvoir dire que nous avons enclenché un vrai mouvement dans les églises, dans nos institutions.

Pour ma part, j'assure de nombreuses formations car je suis aussi théologienne. Dans le cadre de ces formations, j'aborde systématiquement la question des violences intrafamiliales, en rappelant les fondamentaux que nous avons évoqués tout à l'heure. Je dois dire que le sujet n'est pas si bien connu.

Nous adoptons une posture assez modeste sur le sujet. Il faut absolument être clairvoyants sur tout cela, mais, les choses, je crois, commencent à bouger, ce qui est plutôt positif.

Annick Billon, présidente . - Merci Madame. Benoît Graisset-Recco, troisième grand maître adjoint du Grand Orient de France, souhaite intervenir.

Benoît Graisset-Recco, Grand Orient de France . - Madame la présidente, sur l'importance du débat, je voudrais rappeler que le Grand Orient de France le pratique depuis trois siècles ; c'est notre métier si j'ose dire ! Je voulais donc souligner un élément de principe sur notre prise de conscience des violences faites aux femmes, et sur la nécessité de les dénoncer, que nous partageons avec l'ensemble des organisations qui sont présentes autour de la table.

L'élément de principe repose de notre point de vue sur l'égalité. L'égalité est un thème que nous partageons depuis de très nombreuses années, bien avant le mouvement #MeToo , bien avant ce que nous pouvons vivre aujourd'hui.

De l'égalité hommes-femmes nous sommes passés à l'égalité femmes-hommes : le vocabulaire dit quelque chose de notre conscientisation. Ceci est un élément extrêmement important, l'égalité faisant partie de notre devise « Liberté, égalité, fraternité », qui est également celle de la République.

Pour nous, ces principes ne peuvent être écartés de l'universalisme et de l'humanisme. Avant tout, toute violence qui est faite à un humain est de ce point de vue quelque chose qui bafoue ce qui a été construit par les penseurs de la Renaissance et l'organisation sociétale issue de la Philosophie des Lumières.

Le deuxième point que je voulais évoquer par rapport à la question sur le protocole concerne la mise en pratique de ces principes. Nous le faisons - et je dis « nous » en élargissant sans doute ma prise de position à nos organismes -, pour faire prendre conscience à nos adhérents et à nos militants du caractère inacceptable des violences conjugales. Telle est notre contribution au combat contre les violences.

Plus particulièrement, le Grand Orient de France prévoit des protocoles pour faire la lumière sur de telles situations et prendre les dispositions qui s'imposent. Ainsi, comme l'a évoqué Odile Leperre-Verrier, nous avons dû nous séparer d'un adhérent dont le comportement était tout à fait condamnable de ce point de vue.

À travers cette prise de conscience et cette organisation interne, il est évident qu'il s'agit aussi pour nous de pouvoir aider telle ou telle à porter plainte à l'extérieur. Ces actions, qu'il s'agisse de celles qui reposent sur les principes d'universalisme et d'humanisme ou des mises en pratique que nous pouvons faire dans nos débats sur l'égalité femmes-hommes ou sur la dénonciation de tel ou tel comportement, sont inspirées - j'ose le mot - par l'amour de la République.

Pour nous, un élément essentiel est la transmission de ce que peut faire, de ce que doit faire la République, à travers les outils existants, sans s'interdire de les compléter. Il s'agit surtout de faire en sorte que plus personne ne soit mal accueilli en portant plainte et que les plaintes ne soient pas mises de côté, même si nous avons tous à l'esprit la difficulté liée au manque de moyens pour traiter chaque plainte. Je forme le voeu que la séquence du Grenelle et la médiatisation des féminicides aboutissent à des améliorations concrètes en ce domaine.

Françoise Laborde . - Merci Madame la présidente, et merci à l'ensemble de nos intervenants. Il est vrai que notre délégation aborde des sujets qui touchent à la fois les femmes et les hommes, comme nous y invite son intitulé : Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Nous avons beaucoup travaillé sur les violences faites aux femmes en outre-mer dans le cadre d'un travail conjoint avec la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Nous avons également mené une réflexion spécifique sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, victimes parmi les plus vulnérables. La présidente l'a dit, nous avons publié un rapport sur ce sujet le 3 octobre dernier.

Dans le cadre de ce travail d'ensemble sur les violences faites aux femmes, il nous a aussi semblé important, le lendemain de la journée symbolique du 25 novembre, de rencontrer les personnes représentant les cultes, les obédiences. Je me réjouis donc de cette table ronde.

Vous avez toutes et tous souligné l'enjeu de la libération de la parole. Nous sommes d'accord. Nous avons suivi tout ce qui a été présenté dans le cadre du Grenelle sur ce point.

Nous partageons un certain nombre de constats, notamment sur la question des financements. Vous pouvez compter sur nous pour relayer vos inquiétudes et plaider pour une hausse des moyens.

Beaucoup de choses ont été dites sur la tolérance aux violences et sur les excuses qu'on peut trouver aux auteurs, ainsi que sur l'emprise exercée sur les victimes. Vos propos sur l'infantilisation de celles-ci m'ont également intéressée.

J'ai parfois aussi été un peu surprise par l'usage de certaines expressions comme « sauver son mariage », et je me dis que le vocabulaire est assez révélateur de cette tolérance aux violences.

Quelle que soit notre aspiration au bonheur familial, on ne doit pas minimiser les violences au nom des valeurs familiales. On doit au contraire défendre l'absence de violence envers les individus, qui sont souvent les femmes et les enfants.

Je m'interroge sur la levée du secret médical en cas de violences conjugales. On se pose moins cette question quand il s'agit de violences commises contre des enfants. J'ai bien entendu ce que vous avez dit par rapport aux femmes, qui peut-être n'auraient plus confiance en leur médecin.

Ne pourrait-on étendre ce raisonnement au secret de la confession ? Le curé, le rabbin ou le pasteur connaissent bien souvent l'auteur des violences, puisque le couple vient sûrement ensemble au culte.

Pour moi, tout cela se rejoint : secret médical, secret de la confession, secret tout court. Dans les protocoles dont vous parlez, en réalité vous relayez les lois de la République et les dispositifs d'aide aux victimes comme le 3919, ce qui me semble très positif.

J'espère que vous rappelez également sans ambiguïté que le devoir conjugal n'existe pas, et que le viol dans le couple est puni par la loi. Tant que vous relayez les lois de la République, tout va bien !

Annick Billon, présidente . - Merci chère collègue. Qui souhaite répondre ?

Razvan Ionescu . - Je voudrais intervenir sur le secret de la confession. C'est cela qui permet aux gens qui viennent se confesser de s'ouvrir à nous. Sans le secret de la confession, on ne pourrait pas entendre ce qu'on entend.

Toutefois, bien que le prêtre soit lié par ce secret, il peut prendre des mesures. Si l'on se rend compte qu'il y a des situations de danger, on a le droit, je pense, de protéger une personne chez qui on constate une certaine fragilité.

Concernant les femmes, j'ai eu l'occasion, dans le cadre de la confession, de rencontrer des couples qui se déchiraient. Imaginez ce que l'on peut entendre quand on confesse les deux conjoints... Mais on ne peut faire état de ce que nous confie l'un des conjoints auprès de l'autre. Le secret doit rester absolu.

En revanche, on peut conseiller aux gens de prendre les mesures nécessaires pour se protéger. J'ai donc eu l'occasion, par exemple, de conseiller une femme pour lui permettre de réagir aux dangers qui la menaçaient. Heureusement, ce type de situation n'est pas courant, mais ça peut se produire. Pour conclure, nous disposons d'outils pour porter un regard attentif par rapport à la souffrance des gens.

En fait, nous n'appliquons pas à proprement parler de protocole, mais il y a toute une attention spirituelle à la souffrance des gens. On ne peut pas se contenter de laisser les gens qui souffrent sans rien faire. Notre attention s'adresse à chacun en particulier.

Laurence Rossignol . - Merci à tous pour votre participation à cette réunion. C'est agréable et encourageant de voir à quel point des sujets comme celui des violences patriarcales ont pris une dimension collective, et combien le consensus autour du traitement de ces sujets marque une vraie avancée.

Je me posais une question sur les règles spécifiques aux mariages religieux par rapport aux règles du code civil et du mariage civil.

N'avez-vous pas parfois l'impression que cette idée selon laquelle les liens du mariage sont sacrés, et donc ne peuvent pas être dissous, comme sont dissous les actes du mariage civil, peut poser problème ? Les liens du mariage étant sacrés, ne peut-on penser qu'il ne peut y avoir vraiment de dissolution du mariage religieux, et qu'il n'y a donc pas de remariage possible pour ceux qui ont divorcé civilement ? En conséquence, cela donne à ces personnes une position un peu à part dans leur communauté, puisque je crois savoir que, même si elles peuvent participer à la communauté, elles ne peuvent pas communier au moment de l'eucharistie. Toutefois, je suis loin d'être une experte dans ce domaine.

Dès lors, n'avez-vous pas l'impression que ces règles-là sont de nature à dissuader les femmes victimes de violences de divorcer civilement, dans la mesure où elles savent, si leur foi est très importante ou si leur respect de la règle religieuse est très ancré, que par ailleurs, le mariage religieux ne pourra pas être dissous ?

Dominique Blanchet . - Cette question vaut surtout pour l'Église catholique et l'Église orthodoxe ; elle concerne moins l'Église protestante. Je pense que ce qui est important pour le mariage, catholique en tout cas, c'est que le cadre protégé est celui de la parole des conjoints eux-mêmes, de ceux qui s'engagent. Ce n'est pas l'Église qui dit : « Il faut absolument vous engager dans l'indissolubilité ».

Nous avons bien conscience, dans nos assemblées, que beaucoup de couples ne sont pas mariés. Mais lorsqu'ils décident de s'engager, ils se donnent mutuellement leur parole que leur union sera indissoluble et protégée par l'Église.

De nombreux témoins nous disent combien cet engagement à l'indissolubilité les a aidés, les a portés pour dépasser des conflits et trouver en eux-mêmes des ressources de solution. Je pense que cela rejoint les interrogations posées par les décisions énoncées hier à l'issue du Grenelle sur le risque d'interprétation d'une médiation en cas de violences.

Parfois, assez régulièrement, voire souvent, il y a la déclaration de nullité d'un mariage. Il ne s'agit pas de dire que le mariage était nul, mais de déclarer ensemble qu'on s'est trompés, aussi bien chacun des conjoints que l'Église, qui a quelque part scellé cette parole.

Voilà un travail que nous menons régulièrement. La déclaration de nullité peut parfois survenir à cause d'une violence qui était déjà là au moment de l'échange des consentements. C'est plus compliqué en revanche quand la violence surgit après que rien ne pouvait permettre de la détecter. Je pense par exemple à des maladies ou des addictions à l'alcool qui peuvent déclencher la violence.

Concernant le secret de la confession, j'ai bien aimé l'expression qui a été utilisée tout à l'heure. Le paradoxe est bien que c'est le secret de la confession qui permet la parole. La confession est vraiment un lieu où nous pouvons entendre des choses qui ne sont révélées que parce qu'on est dans un cadre strictement confidentiel. Toute la question est de savoir ce qu'on peut faire moralement en responsabilité quand on a entendu une parole dans le secret de la confession qui implique la mise en danger d'autrui...

Puisque c'est un secret absolu, il ne peut pas, nous, nous faire agir en dehors de l'échange. En revanche, dans le cadre de cet échange, nous pouvons conseiller la personne qui se confie, y compris l'encourager à nous en reparler en dehors du cadre confidentiel.

Les protocoles républicains peuvent ainsi être communiqués dans le cadre du secret de la confession. Autrement dit, je pense que d'un point de vue social - et je ne défends pas le secret de la confession simplement en raison de ma religion -, les lieux rendant possible la confidentialité sont très précieux pour que la parole puisse se dire. Si l'on supprime de tels espaces, la possibilité de parler va devenir très compliquée. C'est ma perception.

Enfin, je terminerai avec une dernière remarque. C'est que nous travaillons beaucoup, et Oranne de Mautort l'a souligné, à l'éducation, qui est aussi une forme de prévention. Dans ce cadre-là, il peut également exister des dimensions de confidentialité qui sont nécessaires pour faire advenir la parole des plus jeunes.

Je pense par exemple à la question de la pornographie. Quand il y a un sondage fait dans une classe, qui est anonyme et dont on garantit la stricte confidentialité, on est surpris de constater que leur quasi seule source d'information sur la sexualité est la pornographie. Il faut qu'il y ait des lieux où tout cela puisse se dire, pour ensuite partir de ce constat et travailler avec eux. C'est aussi une forme de prévention, certes très en amont, contre les violences.

Jeannine Camilleri (GLFF) . - Je vous remercie. Ce qui m'intéresse plus particulièrement, c'est le secret médical. L'annonce de la garde des sceaux il y a quelques jours sur une éventuelle levée du secret médical a été contredite par la ministre de la santé, qui a évoqué les difficultés que poserait cette évolution. Il me semble pourtant que c'est un aspect essentiel de la lutte contre les violences, qui peut contribuer à sauver des femmes.

Lorsqu'on dit « on peut lever le secret médical dans certaines circonstances », il s'agit de sauver une femme. Alors à quel moment, vous qui êtes législateurs, allez-vous rencontrer un problème moral ?

Permettez-moi une distinction entre le légal et le légitime. Si la loi évolue, c'est pour évoluer en fonction de ce qui devient légitime, faute de quoi on légifère comme des machines. Excusez-moi pour cette image.

Si on s'appuie toujours sur le légal, il n'y a pas de progrès possible. Or le légal ne peut évoluer qu'en fonction de l'éthique. Sur la question du secret médical, il s'agit de sauver une vie : on est bien dans la logique du serment d'Hippocrate ! Il est donc important que vous en discutiez !

Annick Billon, présidente . - Merci Madame Camilleri. Il est vrai que nous avions voté au Sénat l'obligation de signaler pour les médecins, en cas de violences sexuelles commises sur des mineurs. Des recommandations en marge de la loi, portées par notre délégation, ont appelé à une réflexion sur la question générale de l'obligation de signalement des médecins en cas de violences.

Je reste persuadée qu'il y a une grande méconnaissance des règles du code pénal sur ce sujet et il me paraît urgent d'éclaircir les conditions dans lesquelles le secret médical peut être levé pour protéger d'éventuelles victimes, mais aussi pour que les médecins se protègent. On rencontre des difficultés pour aller vers cette levée du secret médical, car on a souvent davantage l'impression d'encourager la dénonciation que de protéger les gens par le signalement. Or l'objectif est bien de protéger les personnes vulnérables.

La parole est à M. Ionescu.

Razvan Ionescu . - Je voudrais compléter l'intervention de Mgr Blanchet et ajouter que chez les orthodoxes, il y a un deuxième, voire un troisième mariage. Je précise toutefois que le premier mariage est le sacrement par excellence, le deuxième et le troisième mariage relevant plutôt de l'ordre pénitentiel. Mais quand même, ils sont le signe de la compréhension de la faiblesse humaine.

Comme on constate la faillite d'une union, on prononce le divorce : les gens ne peuvent plus vivre ensemble. De telles situations existent depuis énormément de temps. Notre Église donne une deuxième chance, voire une troisième, mais pas plus que cela. Le troisième mariage est vraiment le tout dernier.

Je voulais dire aussi que, en tant que prêtres, nous gardons un contact très étroit avec les gens qui vivent la vie de notre Église. Nous sommes associés à la vie de leur famille, nous comprenons ce qui s'y passe. Et la crise s'installe bien avant la violence. Notre travail est de parvenir à aider les couples à fonder quelque chose de durable, de stable dans leur famille.

Valérie Duval-Poujol . - Je voudrais rebondir sur la médiation, précédemment évoquée. Il faut dire que c'est un des points saillants dans la formation que nous avons dispensée aux pasteurs soucieux d'accompagner les victimes de violences conjugales.

Ce dont ils nous ont fait part, c'est qu'ils auraient agi différemment s'ils avaient été avertis dès le début de leur ministère de la différence entre un conflit et une violence conjugale.

Ce témoignage a été l'un des apports peut-être les plus importants de cette formation : les pasteurs apprennent à faire la différence entre la violence conjugale, qui implique l'emprise, et un conflit de couple. De ce fait ils arrêtent de vouloir faire de la médiation et de la réconciliation en cas de violence conjugale. Et le premier fruit, direct, immédiat, de ces formations est qu'ils ne font plus venir Monsieur quand Madame leur a fait part des violences qu'elle subit.

Nous avons donc vu qu'au-delà du problème de la confession, il était possible d'agir, d'avancer grâce à cet accompagnement.

Grégoire Catta, prêtre, Conférence des évêques de France . - Je souhaite souligner que, dans l'Église catholique, la confession est vraiment spécifique à ces moments où la personne demande à venir recevoir le sacrement de confession.

Le secret est absolu. Toutefois, la confession peut être un lieu où l'on conseille le fidèle. Par exemple, un prêtre peut dire à une femme battue qu'elle peut obtenir la nullité du sacrement de son mariage, et cela peut la libérer. Par conséquent, nous pouvons quand même agir dans ce contexte.

Mais la majeure partie du temps et des lieux où l'on entend des choses se passe dans un cadre beaucoup plus large, qu'on pourrait rapprocher du « secret professionnel » : ce sont les gens qui viennent se confier à nous, dans une logique d'accompagnement spirituel et non pas en confession.

On n'est alors plus dans le secret, ni dans la confession stricte. Nous devons évidemment garder pour nous ce qui nous est dit, mais cette situation nous rapproche des débats sur le secret médical, quand pour sauver une vie il faut savoir passer outre.

Je pense que c'est une distinction importante, car le secret de la confession est finalement quelque chose de très réduit dans le temps. Bien souvent des personnes viennent se confier à nous hors du contexte de la confession.

Odile Leperre-Verrier . - Je voudrais revenir d'un mot sur la levée du secret médical. Je qualifierais celle-ci de « fausse bonne idée ». En effet, on ne dit pas s'il s'agit d'une obligation ou d'une possibilité. Or ce n'est pas du tout la même chose. Si c'est une obligation, ça veut dire au bout du compte que le médecin qui n'aurait pas signalé une violence pourra être montré du doigt et qu'on aura ainsi le coupable idéal. Et nous forçons à peine le trait.

En outre, le secret médical est un principe. Et quand on commence à transiger avec les principes, on ne sait pas très bien où ça mène... De surcroît, je n'ai pas nécessairement le sentiment que la question a été centrale dans les affaires de féminicides.

Souvent, les femmes victimes ont malgré tout pu porter plainte, puis il y a eu une sorte d'escalade de la violence. C'est cet engrenage auquel il faut mettre un terme. Il me semble ainsi que la levée du secret médical n'aurait sans doute rien changé dans la plupart de ces situations. Il y a donc ici matière à interrogation.

Pour que les femmes victimes de violences puissent avancer et se reconstruire, nous pensons qu'il est fondamental qu'elles parviennent à se prendre en charge, notamment dans cette reconnaissance de l'emprise dont elles sont victimes. Cela implique d'apprendre à dire non. Il s'agit d'un travail d'accompagnement sur le long terme, certainement difficile à mener mais indispensable pour progresser. Il s'agit donc vraiment d'une nécessité.

Enfin, s'il y a une réelle urgence, il nous semble que l'on peut s'appuyer sur le principe de l'assistance à personne en danger, notion juridique qui pourrait sans doute s'appliquer dans ces situations. C'est une réponse, certes peut-être un peu hypocrite, mais cela reste une réponse.

Annick Billon, présidente . - On le voit, l'obligation de signalement est un sujet de débat. Il faut clarifier les conditions dans lesquelles le secret médical peut ou doit être levé en cas de violences.

Il y a beaucoup de réticences et d'incompréhensions sur ce sujet ; les avis sont très partagés. Les médecins eux-mêmes n'ont pas toujours les idées très claires sur leurs devoirs et obligations dans ce domaine.

Comme je l'ai dit, le Sénat avait voté l'obligation de signalement des médecins en cas de violences sexuelles commises contre des enfants, dans le cadre de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette disposition a été supprimée en commission mixte paritaire.

Le débat a ressurgi dans le cadre des travaux de la mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions.

La réflexion doit donc se poursuivre. Un groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires sociales du Sénat approfondit justement la question et nous nous référerons avec intérêt à ses conclusions.

Noëlle Rauscent . - J'ai trouvé ce débat très intéressant. Je remercie la présidente de l'avoir organisé. Je voulais revenir sur la prévention. À cet égard, je souhaiterais savoir si, dans vos religions ou obédiences, on parle systématiquement des violences faites aux femmes, de l'égalité entre les hommes et les femmes et du respect, parce que je pense que c'est une chose très importante.

Annick Billon, présidente . - Merci, chère collègue. Je donne la parole à Sylvain Zeghni.

Sylvain Zeghni, Fédération française du droit humain (FFDH) . - Je voudrais revenir sur la notion de secret médical, qui est effectivement importante. Il est toujours dangereux de prévoir des obligations dans la loi.

S'agissant d'un mineur qui n'a pas forcément les moyens de s'exprimer ou d'une personne handicapée dont la conscience est altérée, on voit bien le rôle décisif du personnel médical et de tous les intervenants médicaux. Effectivement, ces professionnels doivent dénoncer ces violences à la place d'une victime qui n'a pas la possibilité de se protéger.

En revanche, les situations de violences conjugales posent effectivement la question du droit moral du médecin de trahir son patient, d'aller contre sa volonté, même s'il sait que les violences répétées, les coups répétés peuvent amener, dans le cas le plus défavorable, à la mort de la personne.

C'est effectivement une question importante, et je crois que définir une obligation générale de dénoncer ces violences, c'est aussi détruire la relation avec le patient, et pour tout dire la confiance.

J'aimerais aussi évoquer la situation des enfants, qui sont des co-victimes de ces violences. Les statistiques le montrent, celles-ci causent des traumatismes psychologiques, parfois même des traumatismes physiques : même quand les enfants ne sont pas battus, on sait qu'ils sont plus souvent malades, plus fragiles, que le taux d'opérations est bien plus important, de 20 %, pour ces enfants.

Effectivement, nous avons beaucoup parlé des femmes ce soir, mais tout ce que l'on pourra faire en matière de lutte contre les violences conjugales ne servira à rien si l'on n'agit pas aussi à l'égard des enfants. C'est question doit être abordée en lien avec l'autorité parentale. La question des enfants doit donc impérativement être aussi être étudiée.

Annick Billon, présidente . - Merci pour cette intervention. La question des enfants a été un peu abordée par différents intervenants. Le Sénat a récemment débattu d'une proposition de loi pour lutter contre les violences intrafamiliales. Dans ce cadre, de nombreux amendements ont été défendus pour protéger les enfants, qui sont toujours victimes en cas de violences conjugales.

Nous avons notamment déposé des amendements sur la suppression de l'autorité parentale en cas de féminicide, parce qu'il nous semble évident que le meurtrier d'un conjoint ne peut en aucun cas être un bon parent.

C'est un sujet de préoccupation. Dans la mesure où plus de 80 % des femmes victimes de violences dans la société sont des femmes qui ont des enfants, nous ne pouvons absolument pas dissocier le sort des enfants de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Je vais redonner la parole à Françoise Laborde, qui faisait partie de la mission qui a traité des violences faites aux enfants dans des institutions diverses et variées, sportives, cultuelles ou culturelles, que j'ai précédemment citée.

Françoise Laborde . - Les médecins ont aujourd'hui la possibilité de s'exonérer du secret médical dans certaines conditions, mais comme il s'agit d'une simple faculté, les règles ne sont peut-être pas assez claires et ils ne se sentent pas toujours assez protégés.

Nous aurions souhaité instaurer une obligation de signalement et de levée du secret médical en cas de violences sexuelles commises contre des mineurs, parce qu'on ne peut pas laisser un enfant en danger !

Dans certaines professions il y a une obligation de signalement, dans d'autres une simple possibilité. Lorsque j'étais enseignante, je me souviens que ma hiérarchie nous demandait de signaler toute violence contre un enfant, car on ne pouvait pas laisser un enfant dans une situation de danger.

C'est justement ce qui a souvent fait la différence dans nos sociétés. La présidente l'a rappelé, nous avons eu ce débat dans l'hémicycle. Des réticences assez fortes avaient alors émergé. Je les avais expliquées par le poids de notre histoire, marquée par le régime de Vichy. Cela explique selon moi que le signalement soit trop souvent perçu, à tort, comme de la délation.

Il pourrait y avoir d'autres exemples, mais entre signalement et dénonciation, on ne fait pas toujours bien la différence. Certes, les médecins doivent respecter le serment d'Hippocrate, mais il y a aussi des personnes en danger. Il faudra donc faire des choix.

Sur de tels sujets, nous avons besoin, en tant que législateurs, d'éthique et d'un travail de fond. Parce que nous sommes législateurs, mais au départ nous sommes aussi enseignants, médecins, agriculteurs...

Par conséquent, on voit bien la contradiction sur la levée du secret médical - qui pourra évoluer -, entre ce qu'a annoncé le premier ministre et ce que pourra dire Mme Buzyn, avec son expérience de médecin. C'est tout l'intérêt de ce genre de table ronde et du travail collectif que de nous aider à avancer sur ces questions très complexes.

Andrea Ionescu . - Je voudrais revenir sur la question du secret médical avec ma casquette - au-delà de notre conviction et de notre foi, nous faisons tous partie de la société civile - d'interprète-traductrice et d'experte à la cour d'appel de Paris.

Je souhaiterais évoquer une situation qui, je le crains, n'est pas du tout exceptionnelle. Dans mes fonctions d'interprète-traducteur, j'ai été confrontée à une situation où une mineure de 17 ans, qui faisait l'objet d'une enquête par la brigade des mineurs pour un fait de vol simple, présentait des traces de coups terribles au point qu'elle avait même du mal à s'asseoir. Elle était couverte de bleus. Cette petite était tellement battue par son conjoint qu'elle souffrait en outre de fractures.

L'officier de police judiciaire l'a remarqué mais a refusé de faire remonter cette situation au motif que celle-ci sortait du cadre de son affaire. Le médecin qu'elle a consulté a vu ce qui se passait : elle a appelé son référent et lui a indiqué qu'elle allait faire un signalement, car cette enfant était une victime et que les vols qu'elle commettait étaient la conséquence de ce qu'elle subissait chez elle. Son référent lui a demandé de ne rien dire.

Il n'y a donc pas eu de signalement. Le médecin m'a dit : « Madame, je suis impuissante, mon référent me l'interdit, mais peut-être allez-vous pouvoir faire quelque chose ». En allant au tribunal, j'ai présenté la situation à la procureure. Je lui ai fait valoir que j'étais bien consciente du fait que je devais rester neutre en tant qu'interprète, mais que la situation n'en était pas moins intolérable. La procureure a été extrêmement sensible à mes arguments. Elle a tout de suite appelé le procureur du parquet des mineurs et une enquête a été ouverte. Mais si je n'avais pas été là, un maillon dans la chaîne, la situation n'aurait pas été connue. Et cette situation n'est en rien exceptionnelle.

Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour ce témoignage fort, qui démontre aussi, et vous l'avez tous signalé, l'importance de l'écoute et de la compréhension des victimes.

Max Brisson . - Toutes les institutions ont leur histoire, et cette histoire est aussi la nôtre, vous avez eu raison de le rappeler. En la matière, cette histoire est incontestablement celle de la domination de l'homme sur la femme.

D'ailleurs, la République n'est pas exempte de reproches à cet égard. Le code civil a porté cette domination depuis Bonaparte. Nous toutes et tous sommes les héritiers de cette histoire. Ce qui me paraît important aujourd'hui, c'est que la prise de conscience est collective et qu'elle est de plus en plus partagée.

Il aurait presque été souhaitable qu'un certain nombre d'entre nous quittent la réunion pour se rendre dans l'hémicycle, où le Sénat débat du budget, pour se battre sur la question des moyens. Il faudra que nous menions ce combat, parce qu'il y a là un insupportable paradoxe, entre cette prise de conscience, entre les débats, le Grenelle , les votes de l'Assemblée et du Sénat, et les coupes budgétaires qui se poursuivent. Nous connaissons les difficultés financières de notre pays, mais on ne peut ériger de « causes nationales » sans leur donner les moyens.

D'autres pays l'ont fait, à l'instar de l'Espagne. Je parle en connaissance de cause, étant élu d'un département voisin. En France, nous accusons du retard par rapport à la société espagnole. Nous avons à nous y mettre toutes et tous et c'est en cela que je vous remercie.

Annick Billon, présidente . - À mon tour, je vous remercie pour ce long temps d'échange. Nous n'avons pas vu le temps passer ! Il était important que nous ayons ensemble ce débat.

Je conclurai malgré tout avec un bémol. De nouveaux outils sont mis au point et d'autres émergeront sans doute à la suite du Grenelle de lutte contre les violences conjugales, alors que des dispositifs adaptés existaient déjà. Pour ma part, j'aspire à ce que les procédures et les moyens soient les mêmes sur l'ensemble du territoire. Il en va de même pour les violences faites aux enfants.

Je rappelle par ailleurs mes réserves concernant les moyens. C'est la grande question qui demeure posée à la fin de ce Grenelle .

On peut aussi s'interroger sur le calendrier : comme l'ont souligné mes collègues, la « grande cause » du quinquennat a été déclarée en 2017 ; deux ans plus tard, nous sommes confrontés à un nombre de féminicides qui ne diminue pas...

Un certain nombre de lois et décrets existent, mais leur application est souvent parcellaire, voire défaillante. Il faudrait commencer par garantir l'application de tous les textes et procédures à notre disposition avant d'adopter de nouvelles mesures.

Pour ce qui est des associations, on a vu que certaines pouvaient se concurrencer, ce qui est regrettable. Là encore, les moyens sont trop souvent alloués de façon aléatoire dans les départements et les régions, et on ne peut que le regretter. Par ailleurs, des revirements viennent aussi perturber le jeu des subventions qui existaient depuis des années et qui ne sont pas reconduites. Ces phénomènes m'inquiètent.

Nous avons évoqué notre intérêt pour la situation dans les outre-mer. Notre délégation s'est également penchée sur les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes dans les territoires ruraux quand elles sont victimes de violences. Notre devise « Liberté, égalité, fraternité » devrait s'appliquer à toutes les femmes, qu'elles vivent en métropole, dans les territoires ruraux ou dans les territoires ultramarins. Toutes devraient pouvoir être accueillies, accompagnées et trouver des hébergements dans les mêmes conditions. Malheureusement, nous savons que ce n'est pas le cas.

Je remercie sincèrement le secrétariat de la délégation pour l'organisation de cette table ronde, en cette semaine symbolique de lutte contre les violences femmes aux femmes.

Nous avons eu plaisir à vous écouter et à échanger avec vous, et je ne doute pas que le compte rendu de cette réunion sera lu avec intérêt et relayé. Merci à tous pour votre participation.

Mes chers collègues, je vous donne rendez-vous jeudi matin, 28 novembre, pour notre troisième temps fort de cette semaine, avec une table ronde sur les violences sexuelles dans les territoires en crise. Ce grave sujet rejoint l'invitation que nous avons reçue de la Fédération protestante de France pour écouter le Docteur Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix en 2018, et expert incontesté de la prise en charge des victimes de ces fléaux.

Je vous remercie.

2. Texte communiqué à la délégation par le Docteur Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, président du Conseil français du culte musulman (CFCM)43 ( * )

« Le Conseil Français du Culte Musulman remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat pour son invitation à la table ronde organisée dans le cadre du Grenelle des violences conjugales.

« Le culte musulman tient à participer aux grands débats de notre société chaque fois qu'ils sont portés à l'attention du Parlement et que ce dernier juge utile de recourir à l'avis des responsables religieux.

« Les violences conjugales sont une cause nationale. Mortifères, elles engendrent chez les rescapées, dans leurs familles et dans la société tout entière, des séquelles indélébiles. C'est pourquoi tous les cultes doivent pleinement s'engager à les prévenir et à les combattre.

« La violence contre les femmes est un problème du fond des âges, avec lequel la religion entretient un lien complexe, souvent contradictoire. On ne saurait l'accuser d'avoir simplement réduit la femme, son esprit, son corps et sa sexualité, à des exutoires de la violence masculine.

« Pour les Grecs, Zeus avait imaginé et renfermé tous les maux de la condition humaine dans une boîte qu'il offrit à Pandore, l'épouse de la divinité primordiale et rivale de l'Olympe, Épiméthée.

« Lorsque Pandore ne put résister et ouvrit le présent, elle causa la propagation des souffrances dans l'humanité, mais elle lui donna en même temps la possibilité de se reproduire, de travailler à sa subsistance et de sortir de l'ignorance.

« De la faute « originelle » de la femme naquit ainsi la relation duale entre elle et l'homme, à partir de laquelle l'humanité pouvait basculer dans le chaos et le mal ou dans l'ordre et le bien.

« Pour lutter contre les violences faites aux femmes, l'Islam doit avoir, comme toutes les religions, une vision profonde et claire des rapports hommes/femmes qu'il recouvre.

« La question spécifique ne peut pas être traitée sans penser et sans agir pour l'amélioration générale de la place de la femme dans le culte musulman en France et de la citoyenne de confession musulmane dans notre société.

« En Islam, les femmes et les hommes sont des créatures égales devant Dieu. Le Prophète Mohammed défendit l'importance des femmes dans la vie religieuse et dans la vie sociale : son épouse Khadidja, de quinze ans son aînée, ne dirigeait-elle pas une grande affaire de négoce quand elle fut la première à reconnaître sa mission prophétique??

« Le Coran attestant que « Dieu a suscité entre [les femmes et les hommes] tendresse et miséricorde » (30? ; 21), le Prophète de l'Islam appela, lors de son dernier discours dit « de l'Adieu », à l'équilibre dans les rapports conjugaux : « Ô hommes, vous avez des droits sur vos femmes et vos femmes ont des droits sur vous (...). Craignez Dieu dans votre comportement envers les femmes ».

« La femme fut dès lors considérée comme une richesse à protéger, contre une époque où la naissance d'une fillette n'était qu'un funeste présage. Mais avec le temps, la lettre prit le pas sur l'esprit, les règles sur le sens, et un corps de traditions infondées grandit pour légitimer les violences faites aux femmes et pour les contraindre à l'infériorité, à l'extrême dépendance et au cloisonnement.

« Le message du Prophète de l'Islam, qui s'adressait à tous, hommes et femmes, fut souvent dévoyé en instrument de domination masculine.

« Si l'histoire de l'Islam et de ses civilisations comporte ses courants régressifs, elle n'en est pas moins enrichie par des femmes remarquables, qui se sont illustrées dans tous les domaines, religieux, culturels ou politiques.

« Près de nous, le XIX e siècle vit le monde musulman s'engager dans un vaste mouvement de modernisation sociale et de réinterprétation religieuse (l'ijtihad) ancrée dans le temps vécu.

« Sur les pas de Mohammed Abduh, pour qui « l'Islam a libéré l'intelligence de toute croyance fondée sur l'autorité », de nombreux intellectuels se sont engagés en faveur de l'émancipation des femmes.

« Il importe au plus haut point de faire connaître les écrits, d'une étonnante actualité, de Rifa'a Al-Tahtawi, qui fit une étude comparative de la condition des femmes à Paris, en 1826, de Qasim Amin, qui dénonça, dans La femme nouvelle daté de 1900, son déclassement injuste et sa vie soumise au sein de la famille « musulmane », de Huda Sha'rawi, qui fonda au Caire, en 1923, le premier mouvement féministe, ou encore de Tahar Haddad, dont les idées préfigurèrent le Code Tunisien du statut personnel, novateur, de 1956.

« Ces précurseurs ont oeuvré pour l'éducation de toutes les filles, le travail librement décidé, le droit de vote, le droit au divorce et à la contraception, la fin de la polygamie, du mariage forcé, des mutilations sexuelles et de tout châtiment corporel.

« Aujourd'hui encore, les femmes tiennent à revendiquer, jusque dans la rue, la nécessité d'accomplir ces objectifs partout où ils se trouvent freinés par des archaïsmes.

« En France, depuis les années 1980, les générations de femmes musulmanes nées et éduquées dans le pays ont su gagner un meilleur statut au sein de leurs familles et de la société.

« Nombre d'entre elles contribuent désormais à l'élévation inexorable de la présence des femmes dans toutes les sphères sociales, économiques, culturelles et politiques. Nombre d'entre elles sont aussi les malheureuses victimes des comportements immatures, destructeurs et déshumanisés de certains hommes enfermés dans l'ignorance, la vulnérabilité sociale et le cercle vicieux de la violence reproduite.

« Ces comportements sont la honte et l'infériorité primale de l'homme, à qui il revient de s'intégrer à ce Nouveau monde plus paritaire et plus juste. « La femme est aux âmes une voie aux bienfaits/Libérez-la des chaînes qui ne sont que honte/Nous ne serons libres si elle n'est pas libre » écrivait Allal El Fassi.

« Le Conseil Français du Culte Musulman a toujours fermement exhorté les institutions cultuelles et les fidèles à respecter l'égalité, la dignité et la liberté des femmes.

« Il veille à ce que ce discours se traduise à la fois dans le milieu social et dans le milieu religieux, où s'observe d'ailleurs un nombre grandissant de femmes employées aux diverses missions des mosquées ou d'étudiantes en islamologie, dont certaines aspirent même à l'imamat -- une évolution vis-à-vis de laquelle le droit musulman ne s'est pas encore prononcé.

« Cette place renforcée des femmes dans les mosquées favorise la réception, par les personnels religieux, et en particulier par les imams, de la parole des victimes de violences conjugales.

« L'imam se doit, sur le plan religieux, de lever le moindre sentiment de culpabilité chez la victime et d'en accabler, au contraire, l'individu violent.

« Lorsque cette situation se présente, il lui incombe de renseigner la victime de ses droits et de la diriger vers les services éducatifs, sociaux, médicaux, policiers et judiciaires compétents.

« Nous en appelons, à ce propos, à l'application essentielle de la loi, si besoin à sa modification à la hauteur du problème, ainsi qu'à toute amélioration souhaitable des mécanismes de prévention et de sanction.

« Les violences sur les femmes, ou les enfants, représentent un crime moral contre la source même du bonheur et de la vie. Le recul et l'éradication de ces violences sont une voie indispensable de l'espérance, si chère à nos religions, en un avenir où triompheront le bien commun et le respect de l'intégrité de chacune et de chacun. »

Docteur Dalil BOUBAKEUR

Recteur de la Grande Mosquée de Paris

Président du Conseil Français du Culte Musulman

C. LA TABLE RONDE SUR LES VIOLS DE GUERRE ET LES VIOLENCES SEXUELLES DANS LES TERRITOIRES EN CRISE (28 NOVEMBRE 2019)

1. Compte rendu

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous reprenons ce matin, avec cette table ronde sur les violences sexuelles faites aux femmes dans les territoires en crise, une thématique inscrite à notre programme de travail en novembre-décembre 2013, il y a tout juste six ans. Cette réflexion avait conduit à la publication d'un rapport intitulé Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d'être des armes de guerre , dont Brigitte Gonthier-Maurin, alors présidente, avait pris l'initiative.

Hélas, ce sujet est resté d'actualité et la multiplication des zones de conflits se traduit encore aujourd'hui par la persistance d'un fléau qui fait des victimes toujours plus nombreuses, et par l'impunité de bourreaux dont la barbarie ne connaît pas de limites.

Je remercie ma collègue Claudine Lepage, vice-présidente, d'avoir souhaité que notre délégation se saisisse à nouveau d'un sujet qui, en réalité, au cours de ces six dernières années, est resté présent dans notre agenda, comme le soulignent ces trois exemples :

- en février 2016, à l'occasion d'un travail sur les femmes victimes de la traite des êtres humains, nous avons entendu le témoignage bouleversant de Nadia Murad, qui à l'époque n'avait pas la notoriété qui est la sienne aujourd'hui, sur les violences inconcevables subies par les esclaves sexuelles de Daech ;

- en février 2018, à l'occasion d'une table ronde sur l'excision, le docteur Ghada Hatem, fondatrice de La Maison des Femmes de Saint-Denis, inscrivait les mutilations sexuelles dans un continuum de violences marqué par « l'excision, le viol, le mariage forcé, [...] l'exode, les crimes de guerre... » ;

- le 20 juin 2019, une table ronde sur les enjeux du G7 en termes d'égalité femmes-hommes nous permettait de mentionner qu'à travers la Déclaration de Dinard d'avril 2019, le G7 s'était inscrit dans la problématique des violences sexuelles dans les situations de conflit, cet engagement faisant écho au G8 de 2013 qui, comme le notait notre rapport de 2013, avait souhaité, à la demande du Royaume-Uni, apporter sa contribution à la prévention des violences sexuelles et au financement de programmes de prise en charge des victimes.

Je remercie les experts et responsables d'organisations non gouvernementales qui sont venus ce matin pour nous éclairer sur un sujet qui fait partie des préoccupations majeures de notre délégation et je leur souhaite la bienvenue au Sénat.

Le professeur Henri-Jean Philippe est secrétaire général de l'association Actions Santé Femmes (ASF) dédiée à « l'accès aux soins gynécologiques et obstétricaux des femmes les plus vulnérables dans le monde », qui intervient notamment en République démocratique du Congo (RDC) depuis 2016, au sein de l'hôpital de Panzi du docteur Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix 2018. Le professeur Philippe est accompagné de Sophie Martinez, sage-femme, responsable de la mission d'ASF en RDC.

Nous accueillons aussi Céline Bardet, présidente de l'ONG We are NOT Weapons of War (Nous ne sommes pas des armes de guerre ou WWoW ), qu'elle a fondée en 2014, juriste très engagée dans la justice pénale internationale. Les actions de WWoW concernent non seulement le plaidoyer, mais aussi l'aide aux victimes, ou plutôt aux survivantes, via l'utilisation des nouvelles technologies facilitant la coordination des actions judiciaires. Céline Bardet nous a précisé, en amont de cette réunion, qu'elle avait co-organisée en mars 2019 avec Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix, le Forum Stand Speak Rise Up à l'initiative de la grande-duchesse du Luxembourg. Cette manifestation a permis d'entendre les témoignages de cinquante survivantes et de réfléchir à la prévention de ces viols et à l'accompagnement des victimes.

Je souhaite également la bienvenue à Justine Masika Bihamba, fondatrice de l'ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles (SFVS), qui oeuvre pour protéger les femmes victimes de ces violences, plus particulièrement dans le Nord-Kivu. Je la remercie d'autant plus d'être présente avec nous aujourd'hui qu'elle est très éprouvée par le décès, il y a quelques jours, d'une compagne de lutte très proche, qui partageait le même engagement pour aider les femmes victimes de violences sexuelles et les enfants nés des viols à travers l'ONG congolaise Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral . Justine Masika Bihamba est accompagnée de Louis Guinamard, que nous avions auditionné dans le cadre de notre précédent rapport en 2013. Louis Guinamard a publié, en tant que journaliste, une enquête intitulée Survivantes : femmes violées dans la guerre en République démocratique du Congo . Il a depuis poursuivi son engagement puisqu'au titre de l'association Equipop , il a directement participé à l'organisation du sommet Women seven en mai dernier à l'UNESCO, dans le cadre du G7.

Nous retrouvons également Fanny Benedetti, directrice exécutive d' ONU Femmes France , qui a été au cours des dernières années une véritable partenaire de la délégation, nous apportant de précieux éclairages notamment au moment de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (COP21).

J'ai le regret de vous annoncer que Souad Wheidi, présidente de l'ONG Observatory on gender in crisis , dont le témoignage sur le calvaire des femmes victimes de viols en Libye avait bouleversé nos collègues en 2013, ne pourra finalement pas participer à cette table ronde.

Je donne sans plus tarder la parole à ma collègue Claudine Lepage, vice-présidente de la délégation, qui a pris l'initiative de cette table ronde et je l'en remercie. Claudine Lepage va rappeler les principaux constats établis par le rapport de la délégation il y a six ans, afin que chacune et chacun d'entre vous puisse réagir en fonction de son expérience et à la lumière de l'actualité.

Claudine Lepage, vice-présidente . - Merci Madame la présidente.

Parmi les constats établis par le rapport que nous avons publié il y a six ans, je souhaiterais rappeler aujourd'hui les éléments suivants.

La prise de conscience récente de l'utilisation du viol comme arme de guerre remonte aux années 1990, quand l'opinion internationale a découvert les horreurs commises en ex-Yougoslavie et a eu connaissance des dimensions « stratégiques » du viol, utilisé de manière massive à des fins de nettoyage ethnique, pour faire porter « l'enfant de l'ennemi » à des femmes utilisées comme esclaves sexuelles.

L'objectif est, avec l'utilisation du viol comme arme de guerre, de détruire des communautés entières, notamment en infligeant aux hommes l'humiliation d'assister au viol des femmes de leur famille.

Cette barbarie concerne tous les âges, de très jeunes enfants - parfois des nourrissons de quelques mois - comme des personnes âgées. Les hommes et les jeunes garçons ne sont pas épargnés, ce qui confère une dimension singulière à cette violence dans des sociétés où elle est particulièrement taboue.

Les technologies numériques, permettant aux bourreaux de filmer ces atrocités, ont ajouté la menace permanente, pour les victimes, que ces vidéos se retrouvent en ligne et que leur déshonneur et celui de leurs proches soient connus de tous. Le rôle de l'image constitue donc une dimension nouvelle des viols de guerre, comme nous en a alerté en 2013 Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis .

L'une des causes de l'expansion du viol de guerre est que les conflits actuels ne sont plus limités à des champs de bataille circonscrits, mais atteignent les lieux de vie des populations civiles, qui deviennent ainsi la cible de ces violences.

L'impact de celles-ci n'est pas limité aux territoires en crise : les femmes accueillies en Europe dans le cadre d'un parcours migratoire ont, dans une proportion importante, subi des violences, tant dans leur pays d'origine que dans les camps de réfugiés.

Les conséquences sur la santé des victimes sont destructrices, sur les plans psychologique et physique. Souad Wheidi le faisait observer en 2013 : « une part de ces femmes est morte, même si elles sont apparemment vivantes. Il faut voir le regard de ces femmes : c'est un regard mort ».

À cette fragilité évidente s'ajoute la solitude absolue des victimes, souvent rejetées par leur communauté au nom de l'honneur, contraintes d'élever seules l'enfant du viol et condamnées à une précarité économique et sociale terrible. Il résulte de ces constats le besoin d'une prise en charge globale de ces femmes, comme d'ailleurs l'ont souligné les responsables de structures telles que Women Safe , que nous avons entendus dans le cadre de nos travaux sur les mutilations sexuelles en 2018.

Face aux dévastations causées par le viol sur les victimes et au nombre colossal de celles-ci, les sanctions des bourreaux sont rares et disproportionnées.

À bien des égards, les constats établis par la délégation en 2013 pour l'ex-Yougoslavie, la RDC, la Libye et la Colombie sont transposables à la Syrie, où l'utilisation massive du viol a été révélée par Annick Cojean et Manon Loizeau, dont le documentaire Syrie, le cri étouffé , auquel a d'ailleurs participé Souad Wheidi, a été très remarqué en 2017.

J'ajoute, s'agissant de la dimension historique des viols de guerre, que nous avons rencontré à deux reprises, en juin puis en décembre 2014, des représentants du Conseil coréen des « Femmes de réconfort », ces esclaves sexuelles de l'armée impériale japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale. De même, lors de notre colloque sur les femmes dans la Grande Guerre, en octobre 2018, nous avons évoqué la question des viols de guerre à propos des scandales survenus dans les territoires français qui ont été occupés en 1914-1918. Nous aurions pu mentionner également les viols des femmes allemandes pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui s'élèvent à deux millions. Les historiens évoquent 100 000 viols commis rien qu'à Berlin entre avril et septembre 1945 par les Soviétiques, mais aussi par les Alliés dans le reste de l'Allemagne. Nous pourrions malheureusement étendre ce « palmarès » au reste du monde...

Pour en revenir à la situation actuelle, s'agissant enfin des réactions juridiques de la communauté internationale aux viols de guerre, notre rapport de 2013 commentait les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en faveur des droits des femmes et des enfants dans les conflits armés. Ce travail a commencé en octobre 2000 avec la Résolution 1325, devenue emblématique de l'engagement de l'ONU.

L'édifice juridique des résolutions Femmes, paix et sécurité constitué au cours de ces quelque vingt années peut toutefois sembler menacé, si l'on en juge par la polémique qu'a suscitée, en avril dernier, un projet de résolution appelant à une approche globale centrée sur les survivantes, à la reconnaissance des enfants nés du viol, à l'application de sanctions et à des engagements en matière de réparations pour les victimes. Le représentant de la France a vivement regretté « l'opposition de membres du Conseil de sécurité à voir réaffirmé le besoin d'accès des victimes de violences sexuelles à la santé sexuelle et reproductive », notant que les victimes ne sauraient être « sacrifiées sur l'autel des intérêts étroits et idéologies rétrogrades ». Fanny Benedetti pourra nous apporter l'éclairage d' ONU Femmes France sur ce point.

Enfin, on voit apparaître un aspect effroyable des violences faites aux femmes dans les pays en crise : il s'agit des mariages précoces, et donc forcés, dont l'augmentation est constatée dans les camps de réfugiés. Nous en avons été alertés par le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) lors de la table ronde organisée à l'occasion de la Journée internationale des filles, en octobre 2018. Une résolution du Sénat, adoptée à l'unanimité en mars dernier, a exprimé notre inquiétude face à ces pratiques d'un autre âge qui font craindre un recul considérable des droits des femmes dans les territoires concernés.

Je suis donc impatiente d'entendre les réactions de nos invités.

Annick Billon, présidente . - Merci, chère collègue. Je vais laisser la parole à nos invités pour répondre aux questions suivantes :

- Les violences faites aux femmes dans les territoires en crise ont-elles évolué ? Constate-t-on de nouvelles manifestations de ce fléau ?

- A-t-on progressé pour aider les victimes à se reconstruire ? Quels sont les principaux besoins de celles-ci ?

- En matière de sanctions, l'impunité des bourreaux est-elle toujours la règle ? Les crimes sexuels sont-ils plus couramment reconnus comme crimes de guerre ou crimes contre l'humanité ?

À ce propos, je donne sans plus tarder la parole à Céline Bardet, présidente de WWoW , pour évoquer la question des réponses judiciaires et des réparations pour les victimes.

Céline Bardet, fondatrice et présidente de We are NOT Weapons of War (WWoW) . - Je vous remercie. Bonjour à toutes et à tous, et merci beaucoup pour cette invitation. J'en suis honorée.

La question de la justice revient souvent lorsque l'on évoque les violences sexuelles dans les zones de crise et de conflits, mais également en droit commun.

Je soulignerai deux éléments en réponse à vos propos. D'une part, le viol comme arme de guerre est devenu un sujet public qui apparaît « en haut de l'agenda » : cette reconnaissance constitue un véritable motif de satisfaction. L'attribution du prix Nobel de la paix à Denis Mukwege et Nadia Murad a eu un impact significatif, lançant un appel à l'international pour considérer le viol comme un enjeu de sécurité, alors que la tendance sociétale conduit généralement à minimiser la gravité d'un viol. D'autre part, j'insiste sur le travail assez rare des deux lauréats du prix Nobel de la paix. En effet, au-delà de leur plaidoyer, ils sont parvenus à concrétiser des actions en une année seulement. Denis Mukwege a, entre autres réalisations, lancé le Fond global pour les survivants ; Nadia Murad travaille à la création d'un hôpital à Sinjar.

Par ailleurs, le questionnement récurrent sur une éventuelle augmentation des viols et des crimes sexuels ne me semble pas pertinent. Il faudrait à mon avis s'intéresser aux études : or, nous ne disposons pas de base solide pour analyser les viols de guerre. Des ONG produisent des estimations, mais elles sont en réalité peu fondées. Nous travaillons actuellement, au sein de WWoW , à la construction d'une étude globale sur ce sujet, qui manque aujourd'hui. Cette absence de documentation chiffrée reflète d'ailleurs le manque de considération vis-à-vis de ce phénomène. Par ailleurs, disposer d'études est essentiel, car une bonne compréhension de l'ampleur de ces viols et des actions mises en place permettrait de lutter plus efficacement.

En outre, si la lisibilité et la notoriété nouvellement acquises par le sujet sont des évolutions globalement positives, elles ont aussi des conséquences négatives, car beaucoup de personnes s'emparent de cette thématique sans forcément posséder l'expertise requise, ce qui peut donner lieu à des discours maladroits.

Enfin, il est nécessaire de se pencher sur les programmes d'aide. Contrairement à ce que j'entends régulièrement, il y a de l'argent. L'Organisation des Nations unies (ONU) investit notamment beaucoup, mais il faut s'interroger sur les destinataires et la façon dont cet argent est utilisé.

En tant que juriste spécialisée dans les crimes de guerre et enquêtrice criminelle internationale, je vous remercie d'avoir rappelé que le viol est un élément constitutif de crime international. En effet, le génocide, le crime contre l'humanité ou le crime de guerre sont composés de meurtres, de pillages ou encore de viols. L'impunité est une réalité, que j'explique par le fait que l'on a longtemps considéré le viol comme un crime « secondaire ». Néanmoins, la guerre en ex-Yougoslavie a frappé l'opinion publique internationale, notamment à travers les viols de guerre. En effet, l'existence de camps de viols en Bosnie-Herzégovine demeure un fait exceptionnel dans l'Histoire. Bien que de nombreuses critiques puissent être faites à l'encontre du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) où j'ai débuté ma carrière, les violences sexuelles lors de ce conflit y ont tout de même été jugées assez rapidement, établissant une jurisprudence très utile aujourd'hui. Ainsi, dès 1998, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a qualifié le viol d'élément constitutif de génocide. Je cite ces jurisprudences, car il est à mon sens important de rappeler que, bien que l'on ait parfois l'impression que la justice ne fait rien, elle s'exerçait déjà il y a vingt ans et tentait d'avancer. Cependant, son travail reste difficile.

Il me semble intéressant de citer les propos éloquents d'Adèle Haenel après sa décision de porter plainte : « La justice a fait un pas, j'en fais un ». Cette phrase est pertinente, car elle illustre la singularité des violences sexuelles, qu'il s'agisse des conflits ou du droit commun. Ces violences sont causes de traumatismes et de stigmates spécifiques.

Il faut donc en premier lieu arrêter de croire que le système judiciaire, tel qu'il est construit actuellement, peut fonctionner. Il ne s'agit pas de dire que le système dans son ensemble est mauvais, mais simplement qu'il n'apporte pas de réponse efficace aux violences sexuelles de droit commun, ni a fortiori à celles qui sont commises en zones de conflit. Je souhaite partager cette analyse avec vous, car elle peut faire écho aux débats qui ont lieu en France actuellement.

Nous travaillons à faire évoluer ce système. D'une part, la justice doit être plus proactive envers les victimes et arrêter d'attendre que celles-ci portent plainte. D'autre part, comme vous l'avez mentionné, la place des victimes doit être revalorisée. Le forum Stand Speak Rise Up que nous avons co-organisé avec Denis Mukwege à l'initiative de la grande-duchesse de Luxembourg en mars 2019 est la première manifestation internationale à avoir placé les survivantes au coeur du projet, en les faisant participer activement aux ateliers et aux débats. Depuis cette rencontre, plusieurs évènements ont adopté une telle démarche. La première action à entreprendre est donc de faire participer les victimes : cela passe en priorité par l'écoute. Il est nécessaire d'écouter les victimes et de les faire participer à la réflexion sur le viol, puisqu'elles connaissent par leur expérience vécue les difficultés inhérentes à leur situation et leurs besoins. Je suis convaincue que nous devons travailler dans cette optique avec les personnes concernées et co-construire les réponses à apporter pour leur venir en aide. Un mouvement s'est créé et s'inscrit dans cette démarche, initié par Denis Mukwege et WWoW .

Par ailleurs, je me pose sérieusement la question de l'utilisation de l'argent. Travaillant sur diverses zones géographiques, en Afrique comme au Moyen-Orient, avec une association dont le budget annuel est inférieur à 80 000 euros, je ne constate pas d'amélioration sur le terrain et ne comprends pas comment est utilisé cet argent. À titre d'exemple, la situation en RDC, que Denis Mukwege a contribué à mettre en lumière, est tragique et perdure depuis vingt-cinq ans dans l'indifférence la plus totale des structures internationales.

Enfin, la question de la réparation, encore assez floue aujourd'hui, est importante pour les victimes. Des solutions sont mises en place, à l'image du Fonds mondial pour les survivantes créé par Denis Mukwege et de systèmes de réparation à l'initiative des États. L'enjeu est d'accompagner les victimes durant la procédure judiciaire, longue et compliquée, afin qu'elles se reconstruisent. La justice ne peut pas fonctionner si l'on n'accompagne pas la victime dans une approche holistique. De plus, le besoin de justice des victimes apparaît souvent dans un second temps, après le soin et la reconstruction, et constitue un second aspect singulier des violences sexuelles. Il est donc essentiel de donner du temps aux victimes et de les accompagner dans leur cheminement.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie.

S'agissant des soins aux victimes, nous écoutons à présent les témoignages du professeur Henri-Jean Philippe et de Sophie Martinez, sage-femme, sur l'action d'ASF.

Henri-Jean Philippe, gynécologue, secrétaire général d' Actions Santé Femmes (ASF) . - Merci beaucoup, Madame la présidente.

Nous sommes très honorés d'être conviés à cette table ronde qui a un sens tout particulier aujourd'hui et vous en remercions sincèrement. Nous connaissons les travaux considérables menés par la délégation depuis plusieurs années.

Nous avons préparé une présentation des actions de notre association, relativement petite et au budget assez proche de celui qu'évoquait WWoW . ASF se consacre prioritairement à la santé des femmes en difficulté en France et dans le monde. Son action s'articule autour de quatre domaines d'intervention :

- les missions de défense des droits des femmes, visant à soutenir par l'expertise médicale les femmes dont les droits ne sont pas respectés, alors qu'il est démontré que le non-respect des droits humains a des conséquences sur la santé ;

- les missions d'éducation et de prévention ;

- les missions d'accompagnement ;

- les missions de soins et d'urgence.

Depuis plus de dix ans - quatre via cette association - nous organisons des colloques sur les droits et la santé des femmes. Après l'avortement et les conflits armés les années passées, le colloque de 2020 abordera les crimes d'honneur et les mariages forcés. Voici une vidéo présentant notre action en RDC.

[Une vidéo est projetée.]

Comme vous l'avez vu dans cette vidéo, l'hôpital de Panzi vit au rythme des moments de bonheur et des périodes de prise en charge de situations dramatiques. Cette mission est pilotée par Sophie Martinez, à qui je laisse la parole.

Sophie Martinez, sage-femme, responsable de la mission d' ASF en République démocratique du Congo . - Bonjour à tous. Cette mission a été mise en place en 2016 et se compose de deux versants. Le versant obstétrical initial vise la prise en charge des patientes au moyen d'un transfert de connaissances et d'expérience, avec un travail en étroite collaboration avec les soignants sur place. Cette démarche est essentielle et a particulièrement bien fonctionné à Panzi. L'objectif est de sécuriser les conditions d'accouchement et d'accueil néo-natal, la mortalité per et post partum étant particulièrement élevée dans ces régions où les conditions économiques et géopolitiques sont compliquées. Outre la prise en charge habituelle, adaptée aux conditions locales, nous accompagnons physiquement et psychologiquement des patientes avec des grossesses non désirées, issues de viols. L'avortement n'est pas autorisé par la loi dans ces pays, ni forcément envisagé par les patientes, et elles mènent donc à terme la grossesse résultant des horreurs qu'elles ont subies, qui requiert une prise en charge très particulière de la part des soignants.

Le versant chirurgical, plus récent, touche à la thématique de la réparation et de la reconnaissance évoquée précédemment. En tant que soignants, nous agissons sur la réparation physique, complémentaire de la réparation psychologique. Les victimes de ces exactions terribles sont physiquement très abîmées. Dans le cadre des missions d'accompagnement, un enseignement universitaire est dispensé en amont, notamment par le professeur Philippe, complété par un accompagnement en bloc opératoire lors duquel sont transmises des techniques spécifiques, dont peu de chirurgiens ont la pratique. Ces patientes, dans une situation de délabrement physique parfois extrêmement important, ont profondément besoin d'être réparées par des experts, qui enseignent ensuite leurs techniques afin que celles-ci soient transmises par la suite.

Henri-Jean Philippe . - Je voudrais évoquer la reconstruction : Denis Mukwege a acquis une expertise et une expérience de chirurgien gynécologue peu communes, dont nous avons bénéficié en travaillant à ses côtés. Nous essayons de lui apporter en retour l'expertise de chirurgiens plasticiens réparateurs. En effet, bien que les blessures au niveau du périnée soient parfaitement prises en charge, il nous est apparu que certaines techniques chirurgicales spécifiques devaient impérativement être enseignées et nécessitaient d'être pratiquées par des chirurgiens plasticiens. D'autres traumatismes, tels que les brûlures, les plaies ou les non-traitements corrects, à l'origine de séquelles importantes, relèvent également de l'expertise des plasticiens. Nous tentons de créer avec Denis Mukwege à Panzi des diplômes universitaires de chirurgie réparatrice afin d'étendre cette expertise et de proposer une prise en charge plus fonctionnelle. Comme cela a été dit précédemment, ces femmes violées sont d'abord exclues, notamment du système de santé.

Je partage l'avis de Céline Bardet au sujet de l'estimation du nombre de viols. Il est impossible d'en connaître les chiffres, en France comme à l'étranger. À titre d'exemple, sollicités par Bernard Kouchner au moment du conflit au Kosovo pour prendre en charge, aux niveaux médical et psychologique, les femmes violées dans les camps, nous avons constaté à notre arrivée qu'il n'y avait pas de femmes violées : c'est inconcevable pour les Kosovars, une femme devant se battre jusqu'à la mort si l'on tente de la violer. Identifier une augmentation ou une diminution des violences sexuelles est donc extrêmement ardue, ce phénomène étant souvent tu pour des raisons personnelles, culturelles ou coutumières.

Vous disiez également que les viols pendant les conflits avaient toujours existé et qu'ils restent négligés, considérés comme un fait habituel. Mais le terme de « viol comme arme de guerre » est apparu lors de la guerre en RDC ; il apporte une connotation tout à fait différente. Nous qui ne sommes pas experts du viol saisissons ainsi mieux son atrocité et le sens de ce crime. Il ne s'agit en effet pas seulement de crimes sexuels, déjà terribles, mais de viols organisés pour détruire des populations. L'usage du terme de viol de guerre est donc important.

Enfin, vous évoquiez les besoins de ces femmes. Comme l'a expliqué Céline Bardet, elles ont d'abord besoin d'être reconnues pour pouvoir agir par la suite sur le plan médical, social et juridique. L'exclusion des femmes dans ces pays est comparable à celle des femmes ayant des fistules obstétricales. Au Burundi, elles sont ainsi surnommées « les femmes de l'arrière-cour », ce qui signifie qu'elles sont mises dehors et deviennent inexistantes, y compris vis-à-vis du système de santé. À mon sens, le besoin primordial de ces femmes demeure d'ordre médical.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie pour ces premières réponses.

Je donne maintenant la parole à Louis Guinamard, qui avait contribué, comme je l'ai dit en introduction, à la réflexion de nos collègues, en 2013, avec son ouvrage Survivantes : femmes violées dans la guerre en République démocratique du Congo , ainsi qu'à Justine Masika Bihamba, présidente de l'ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles (SFVS). La parole est à vous.

Louis Guinamard . - Merci, Madame la présidente.

Je prendrai la parole très brièvement pour ma part. Premièrement, je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir évoqué le décès de Maître Mambo Zawadi lors du crash de l'avion à Goma il y a quelques jours, dont vous avez dû entendre parler. Maître Zawadi était une activiste très impliquée au Nord-Kivu et une très proche collaboratrice de Justine Masika Bihamba. Deuxièmement, je me considère comme un simple rouage dans la lutte contre ces violences et ne vais pas rappeler ce que j'ai exposé en 2013. Depuis, je suis en contact avec des militantes de terrain, dont Justine Masika Bihamba, et l'objet de mon travail aujourd'hui est de donner la parole aux femmes engagées dans ce combat. Je suis ravi d'être parmi vous et surtout de laisser la parole à Justine Masika Bihamba. Basée à Goma, elle travaille depuis vingt ans sur ce dossier dans le Nord-Kivu avec SFVS.

Justine Masika Bihamba, fondatrice et présidente de l'ONG Synergie des Femmes pour les Victimes de Violences Sexuelles (SFVS) . - Merci, Madame la présidente, de me donner l'opportunité d'évoquer une nouvelle fois mon combat.

Je remercie également les intervenants qui se sont déjà exprimés sur ce sujet depuis le début de cette réunion.

Il est parfois difficile d'aborder la situation des victimes des violences sexuelles. Comme l'a dit Louis Guinamard, je suis présidente de l'ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles , plateforme réunissant trente-cinq organisations. Nous nous sommes rassemblées pour réfléchir ensemble à l'aide à apporter à nos soeurs abusées sexuellement. Comme cela a été dit précédemment, les femmes et les enfants qui subissent ces sévices sont en fait victimes deux fois. En effet, au lieu de les considérer comme telles, ils sont rejetés et n'ont pas accès aux soins dont ils auraient besoin. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire. Nous avons alors constaté que travailler individuellement était trop compliqué et qu'il était indispensable de se rassembler. Nous faisons de notre mieux pour que les victimes aient accès aux soins médicaux. À ce propos, je remercie Henri-Jean Philippe et Sophie Martinez d'être venus nous aider. Je crois d'ailleurs qu'un médecin du Nord-Kivu participe à vos formations. En outre, nous assurons la prise en charge médicale et adressons les victimes de violences sexuelles à certaines structures, notamment à Goma. Des conseillères délivrent un véritable accompagnement psychosocial en prodiguant des conseils aux victimes.

De plus, nous favorisons la réinsertion socio-économique, sur laquelle je vais mettre l'accent. L'autonomisation de la femme est effectivement très importante, d'autant plus quand les viols sont accompagnés d'enfants non désirés. La prise en charge de ces enfants peut devenir un problème, la seule vue de ces enfants rappelant aux mères le drame qu'elles ont vécu. Toutefois, si la mère a des moyens suffisants pour subvenir aux besoins de l'enfant, celui-ci est à moitié accepté. Même la communauté fait preuve de méchanceté à l'égard des victimes, appelant les enfants par le nom des agresseurs. Aussi, nous tentons, avec le peu de moyens dont nous disposons, de faire de ces femmes des cheffes d'entreprise. Mais pas au sens où vous l'entendez ! Une femme qui cuisine et vend des beignets devant chez elle est cheffe d'entreprise, puisqu'elle peut engager quelqu'un pour l'aider dans son commerce. Nous regroupons également les femmes exerçant les mêmes activités, afin qu'elles mutualisent leur travail et puissent épargner. L'argent économisé peut être prêté à d'autres membres du groupe et les intérêts accumulés partagés en fin d'année. Cette organisation leur permet de faire des projets, par exemple l'achat d'un matelas avec les intérêts annuels, et cela fonctionne très bien.

Après avoir également travaillé sur les conséquences du viol, avec les victimes, il nous a paru nécessaire de nous concentrer sur les causes, dont les quatre suivantes nous semblent saillantes :

- l'exploitation illégale des ressources naturelles qui alimente les conflits ;

- l'impunité, en lien avec d'importantes difficultés en RDC dans le domaine de la justice ;

- la non-réforme du système de sécurité, avec de nombreux groupes armés congolais et étrangers présents sur le territoire, qui commettent des violations graves des droits humains et sèment la désolation ;

- les coutumes et traditions maintenant la femme en position d'infériorité par rapport à l'homme.

Nous rencontrons ces problèmes quotidiennement et tentons de contribuer à leur éradication. Les actions que nous menons sur le terrain, au niveau provincial, ne sont pas suffisantes et nous devons nous aider du réseau national, voire international, pour trouver des solutions à ces problèmes. Notre force sur le terrain est que les femmes nous acceptent. La confiance qu'elles nous accordent nous permet de leur apporter l'aide dont elles ont besoin. En outre, un second atout est que les femmes que nous avons accompagnées agissent en relais dans leurs communautés en orientant les victimes vers notre association.

Nous rencontrons des difficultés à l'échelle nationale en raison de l'immensité du territoire de la RDC. Par exemple, les problématiques diffèrent entre le Nord-Kivu et le Sud-Kivu et la configuration géographique rend la communication difficile. Aussi nous n'avons pas de vision globale des difficultés rencontrées et des actions menées dans chaque région du pays.

Nous travaillons en lien avec les autorités aux niveaux local, national et international, mais elles ne nous écoutent pas systématiquement. En RDC, les autorités considèrent le viol comme un problème international qui ne serait pas de leur ressort, bien qu'une conseillère spéciale du chef de l'État en matière de lutte contre les violences sexuelles et le recrutement d'enfants ait été nommée. Suite à notre plaidoyer, une ligne budgétaire a été ajoutée pour les fonds de réparation des victimes, qui constitue un défi majeur. Nous ne savons malheureusement pas si ces fonds sont attribués, car jamais une victime n'en a bénéficié.

Nous saluons donc le lancement du Fonds mondial de réparation pour les victimes des violences sexuelles dans les conflits, créé à New York, qui nous l'espérons permettra aux victimes de percevoir au moins 80 % des fonds mobilisés et donc de voir leur situation évoluer significativement. À titre de comparaison, aujourd'hui, 60 % de la somme versée revient à l'administration des organisations internationales afin de payer les primes de risque, les salaires ou encore le logement sur place des personnels dans des conditions sécurisées. Ensuite, une partie rembourse les frais de logistique des agents de l'ONU travaillant avec ces organisations internationales. Enfin, les organisations locales prennent une part pour couvrir leur frais de fonctionnement. In fine , la victime ne touche que 5 % de la somme initialement allouée.

Concernant les procédures judiciaires, je vais revenir sur les propos de Céline Bardet. Nous constatons des avancées, y compris en RDC, mais elles restent toutefois insuffisantes. Ainsi, un chef rebelle a été condamné dans le Sud-Kivu et le procès de grands chefs rebelles est en cours dans le Nord-Kivu. De plus, à l'échelle internationale, Bosco Ntaganda a été condamné à trente ans. Cette peine est trop faible à mon sens ; elle ne l'empêchera pas de commettre de nouvelles violations graves des droits humains à sa sortie de prison. Des progrès restent à faire et les efforts doivent se poursuivre malgré les difficultés. La loi sur la répression des violences sexuelles entrée en vigueur en 2006 est le fruit de notre plaidoyer, qui a commencé en 2002. La Déclaration de Kampala a également institué une tolérance zéro vis-à-vis des violences sexuelles.

En conclusion, je vous demanderai : quelles vont être les suites de notre discussion de ce jour ?

Annick Billon, présidente . - Merci Madame pour ce témoignage ancré dans la réalité.

Vous avez soulevé le problème lié à l'utilisation et à la répartition de l'aide allouée aux victimes, également évoqué par Céline Bardet. Cette défaillance fera vraisemblablement partie des questions que vous poseront mes collègues ultérieurement.

Nous abordons enfin la thématique de la réponse de la Communauté internationale et des résolutions Femmes, paix et sécurité de l'ONU : quel bilan et quelles perspectives après 2019 ? Fanny Benedetti, nous vous écoutons avec intérêt.

Fanny Benedetti, directrice exécutive d' ONU Femmes France . - Merci Madame la présidente. Je remercie la délégation de cette invitation et de votre intérêt continu pour ce sujet important.

Je souhaiterais tout d'abord rebondir sur les propos de Justine Masika Bihamba au sujet de l'autonomisation économique des femmes comme vecteur de reconstruction, sur laquelle ONU Femmes travaille également. Au-delà du soutien médical et psychologique, la perspective de se reconstruire à travers un soutien à l'autonomisation économique est déterminante.

En préambule, je précise que l'ONU n'est pas un monolithe ; elle apporte une grande diversité de réponses complémentaires. En conséquence, l'analyse qu'elle délivre, réalisée par différentes entités, n'est pas forcément unanime. Le bilan officiel sur la mise en oeuvre des résolutions est en cours d'élaboration et sera publié l'année prochaine à l'occasion de l'anniversaire des vingt ans de la Résolution 1325. La tenue de cette table ronde est appropriée puisqu'elle permettra de nourrir ce bilan.

Parallèlement, le secrétaire général de l'ONU a publié il y a un mois un rapport sur la mise en oeuvre de la résolution du dispositif Femmes, paix et sécurité du Conseil de sécurité. Ce bilan n'est pas positif et même « très contrasté », selon ses mots. Je traduis ses propos : « Le contraste entre la rhétorique et la réalité est frappant. Là où il y a eu des engagements préalables, ceux-ci n'ont pas été assortis de mesures concrètes. Les efforts visant à soutenir et à accompagner les femmes de manière à leur permettre de prendre toute leur part dans la vie de leur famille et de leur communauté ont été insuffisants ». Il plaide pour « que soit mis au coeur de l'effort onusien au sens large la promotion de la participation des femmes à la vie civile et à l'éducation, les organisations de la société civile, les artisans de la paix et les défenseurs des droits humains en tant qu'acteurs politiques, clés du maintien de la paix et de la sécurité internationale ». Le secrétaire général parle en son nom à travers ce rapport, à la différence du bilan global qui émanera de diverses entités de l'ONU, comme le Département des opérations de maintien de la paix ou le Conseil de sécurité. Son rapport concerne la mise en oeuvre d'opérations ou de recommandations par les agences de l'ONU elles-mêmes.

Les premiers résultats d'évaluation issus de ce rapport, que vous pourrez consulter en détail, dressent un état des lieux des trente recommandations adressées à l'ONU sur le sujet.

- 50 % ont été mises en oeuvre ou sont en progrès ;

- 40 % sont incomplètes et des progrès importants sont nécessaires pour que leur réalisation soit satisfaisante ;

- 10 % ont fait marche arrière ou n'ont pas progressé.

Les facteurs déterminants du succès de la mise en oeuvre de ces recommandations adressées à l'ONU dans le cadre des résolutions 1325 et suivantes sont :

-  la priorité accordée au financement ;

- la présence ou pas d'une obligation de rendre compte (« redevabilité ») et la mise en place de mécanismes de suivi et de surveillance ;

- la présence ou non d'une expertise en matière de genre, en l'espèce insuffisante.

Quels sont les principaux constats de ce rapport ?

Le premier constat, généraliste et politique, souligne le niveau aujourd'hui particulièrement élevé de violences politiques ciblant les femmes, incluant des assassinats, des enlèvements, des violences sexuelles, des agressions sexuelles, des violences collectives et des disparitions forcées. Le contexte global est également marqué par la montée du discours misogyne et homophobe de la classe politique, ayant contribué à l'augmentation des violences faites aux femmes au sens large, ainsi qu'aux Lesbiennes Gay Bi Trans Queer Intersexes, et aux défenseurs des droits humains.

Selon le bilan spécifique de la mise en oeuvre de l'ensemble des résolutions du Conseil de sécurité pour l'année 2018, moins de 20 % de résolutions contiennent des références spécifiques à la nécessité de garantir les droits et libertés pour la société civile au sens large, et surtout les droits des femmes. Selon un bilan établi par le Conseil de sécurité pour l'année 2018, 72 % de toutes les décisions adoptées contiennent des références explicites à l'agenda Femmes, paix et sécurité .

Le secrétaire général indique que seul 0,2 % du total de l'aide bilatérale consacrée aux situations fragiles dans les contextes de conflits et post-crise est revenu aux associations de femmes, ce qui rejoint plusieurs constats partagés ce matin.

Les données chiffrées sont sujettes à beaucoup de réserves, en raison de leur faible nombre et de la difficulté à récolter ces données. L'ONU estime qu'une femme déplacée ou réfugiée sur cinq est ou a été victime de violences sexuelles, cette statistique étant mesurée auprès des camps de réfugiés où l'ONU est présente. En outre, neuf pays sur dix ayant les taux les plus élevés de mariages d'enfants se caractérisent par un contexte fragile.

Ensuite, la participation des femmes aux délégations chargées des négociations de paix stagne, alors que la Résolution 1325 appelle à une meilleure association des femmes à ces négociations. Toutefois, on observe un léger progrès en 2018, puisque 14 des 19 délégations comptaient des femmes, dans le cadre des six missions actives dirigées ou codirigées par l'ONU, avec un pourcentage néanmoins très faible.

Je vous communique des chiffres bruts, en l'absence de données consolidées. Seuls 19,7 % des accords et traités conclus entre 1990 et 2018 en vue de favoriser la fin des conflits contenaient des dispositions spécifiques aux droits des femmes et des filles en général. En 2018, ce chiffre est limité à 7,7 %.

Le personnel militaire des missions de maintien de la paix de l'ONU comprend 4,2 % de femmes. Un progrès significatif est relevé au sein du Département des opérations de maintien de la paix en 2018. En effet, dix des quinze missions disposent d'unités spéciales dédiées à l'égalité femmes-hommes ( gender experts) , en général du personnel civil.

Le rapport souligne le chiffre honorable de 41 % des États membres ayant adopté des plans d'actions nationaux Femmes, paix et sécurité , comme l'exige la Résolution 1325. En revanche, seulement 22 % de ces plans prévoient des mesures de financement, la plupart d'entre eux se limitant donc à des dispositifs préexistants.

Je citerai à présent des actions onusiennes plus concrètes, en particulier les réalisations intéressantes de l'équipe d'experts des violences sexuelles auprès de la représentante spéciale du secrétaire général sur les violences sexuelles dans les conflits armés, en collaboration avec les opérations de maintien de la paix dans les situations de crise.

En 2018, en République centrafricaine, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) a travaillé, avec l'appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), avec la police et la gendarmerie sur la question de la conduite des enquêtes. Cette collaboration a abouti à la création d'une unité mixte d'intervention rapide et de répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants (l'UMIRR).

La mise en place du même type de protocoles en Côte d'Ivoire, menée avec les forces ivoiriennes de défense et de sécurité, s'est révélée utile et efficace, avec un impact significatif sur le nombre de violations attribuables aux forces militaires.

En RDC, l'équipe d'experts a facilité la condamnation à perpétuité de Frédéric Batumike, dirigeant provincial inculpé de viols systématiques d'enfants à Kavumu, dans le Sud-Kivu, en 2010 et 2011. L'équipe assiste également l'investigation en cours sur Ntabo Ntaberi Sheka et ses co-défendants pour un viol de masse de 387 personnes dans le territoire de Walikale en 2010. Nous nous rendons ainsi compte du temps que prennent ces enquêtes et ces procès, qui débutent parfois dix ans après les faits incriminés, et qui peuvent aussi être ralentis par des annulations de procédure, à l'instar des enquêtes menées par la Cour pénale internationale.

Dans le même objectif de lutte contre l'impunité, l'équipe de l'ONU en Guinée-Conakry a contribué à la mise en accusation de quinze militaires haut gradés, dont le président Moussa Dadis Camara, pour l'assassinat de 157 personnes et des violences sexuelles commises sur au moins 109 femmes et filles en 2009.

Céline Bardet . - Je me permets d'intervenir afin de préciser qu'il s'agit simplement d'un acte d'accusation, sans que soit prévue à ce jour une date de procès. La situation en Guinée ne progresse pas du tout. Par ailleurs, ce résultat est également le fruit du travail des organisations civiles oeuvrant sur le terrain.

Fanny Benedetti . - Je vous remercie pour ces précisions. Je ne tiens bien sûr pas à nier le rôle de la société civile, qu' ONU Femmes soutient. Mon but n'est pas de dire que tout va bien, mais de donner des exemples concrets de l'action menée par l'ONU, en collaboration avec tous les acteurs de la société civile. Bien que ce bilan soit insuffisant, je pense qu'il faut encourager l'action de l'ONU. La France a d'ailleurs une place prépondérante et particulière au sein de l'ONU, puisqu'elle est membre du Conseil de sécurité et que le chef du Département de maintien de la paix est depuis toujours un Français. De fait, il me semble important que vous soyez informés des actions de l'ONU, quels que soient leurs résultats.

Pour terminer rapidement, je précise que le rapport expose des recommandations à plusieurs égards. En premier lieu, il formule dix recommandations immédiates et urgentes à l'attention de l'ONU, puis dix préconisations aux États membres et aux organisations régionales et, enfin, sept préconisations immédiates au Conseil de sécurité.

Par ailleurs, je comprends que la suppression de la référence à la santé sexuelle et reproductive des femmes victimes de viols lors des conflits, dans le cadre du projet de résolution destiné à accroître la protection de ces femmes, mentionnée par Mme la présidente, puisse être mal perçue. Cependant, les réticences suscitées par la notion de santé sexuelle et reproductive des femmes ne se retrouvent pas seulement au Conseil de sécurité, mais dans toutes les enceintes onusiennes. Il était prévisible que le Conseil de sécurité, dont l'action est « verrouillée » par le gouvernement actuel des États-Unis, bloque le projet de résolution. Cet incident a eu un impact assez positif à mon sens, car il a attiré l'attention du public et des médias sur un sujet auparavant peu connu.

Je vous remercie.

Annick Billon, présidente . - Merci à vous tous pour ces premières réponses. Je retiendrai de vos propos quelques points saillants.

Tout d'abord, il apparaît nécessaire de nommer les faits, à l'image des viols identifiés comme des « armes de guerre ». De nombreuses personnes et personnalités s'emparent de ce sujet, s'exprimant parfois maladroitement en raison du défaut d'expertise.

Ensuite, nous l'avons constaté dans plusieurs rapports, nous avons besoin de connaître la situation des droits des femmes via des données chiffrées et des statistiques, afin de mesurer le fléau et d'orienter les moyens humains et financiers.

En outre, je note un besoin de soins médicaux et d'accompagnement psychologique pour les victimes. De plus, le besoin de justice est très important, la fin de l'impunité et les premières condamnations pouvant dissuader les criminels.

Cette réunion s'inscrit dans une série d'auditions dédiées à l'actualité internationale des droits des femmes. À votre question sur les suites de cette table ronde, je répondrai, Madame Masika Bihamba, que nos travaux sont susceptibles de déboucher sur des propositions de résolutions, à l'instar de la proposition de résolution pour la lutte contre les mariages d'enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles, qui fut votée à l'unanimité au Sénat au mois de mars 2019, et qui est donc devenue une résolution du Sénat. Je citerai également la récente proposition de résolution sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, déposée le 25 novembre 2019, et qui sera prochainement examinée en séance publique. Nos travaux d'aujourd'hui et tous ceux qui concernent l'international pourraient donc, eux aussi, donner lieu à une proposition de résolution.

Claudine Lepage, vice-présidente . - Merci Madame la présidente. Je remercie tous les intervenants pour leur contribution à ce sujet qui, comme vous le constatez, nous concerne de près.

J'ai une question pour Justine Masika Bihamba à propos de l'inscription à l'état civil des enfants sans identité, sujet sur lequel je travaille dans le cadre de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie. Vous savez sans doute que l'UNICEF estime que 230 millions d'enfants dans le monde n'ont pas d'identité. J'aimerais savoir, et je pense connaître la réponse, si les enfants nés du viol sont déclarés par la mère, sachant qu'un enfant non déclaré est la proie de tous les abus possibles. Je sais que la situation globale en RDC n'est pas très bonne ; qu'en est-il cependant dans votre région, le Nord-Kivu ?

Justine Masika Bihamba . - Merci beaucoup pour cette question qui soulève un réel problème. Nous, organisations de la société civile, avons mené un plaidoyer qui a abouti à un arrêté du gouverneur du Nord-Kivu il y a environ deux ans, qui stipule que les enfants issus du viol doivent être enregistrés à l'état civil. J'ignore en revanche la situation dans les autres provinces de RDC.

Maryvonne Blondin . - Merci à vous toutes et tous d'être venus évoquer ces violences et surtout vos actions. Que pouvons-nous faire pour vous aider et vous accompagner ?

Je m'interroge sur la suite donnée aux recommandations et aux préconisations prescrites par l'ONU et relève la difficulté de les imposer aux États, comme vous l'avez mentionné Madame Benedetti. Je ferai un parallèle avec la Commission Égalité et lutte contre les discriminations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui élabore de nombreux rapports traitant de sujets similaires à ceux évoqués ce matin. Nous décernons des prix au nom de ce Conseil, comme le prix Václav Havel pour des personnes ayant subi ce type de violences.

Au Conseil de l'Europe, outre l'Assemblée parlementaire, le Comité des Ministres accepte ou non les résolutions qui lui sont proposées et les ministres se chargent le cas échéant de les décliner dans leurs pays respectifs. La Convention d'Istanbul est l'outil le plus contraignant juridiquement pour les 47 États membres, certains pays évoqués pendant la séance ne faisant pas partie de cette Convention. Ensuite, l'évaluation de l'application de la Convention par les États membres est un enjeu important qui relève du GREVIO, un groupe d'experts dont le rôle n'est pas de sanctionner les États mais de les accompagner et de les conseiller.

Je m'interroge, Madame Masika Bihamba, sur l'autonomisation économique des femmes, thème souvent évoqué. Dans les traditions de votre pays, et de beaucoup d'autres, les femmes violées subissent un déshonneur et sont mises à l'écart. Elles sont totalement exclues, sans accès à quoi que ce soit. L'autonomisation est permise grâce aux actions du collectif d'associations et des organisations internationales luttant contre ces violences. Vous avez raison, Madame Bardet, de mettre en avant l'ensemble de vos actions, car les organisations dont vous faites tous partie sont le bras armé de ce que le politique peut faire, et sont donc indispensables.

Je me demande par ailleurs si vous êtes surveillés lorsque vous vous rendez dans ces pays et aimerais connaître l'accueil qui vous est réservé par les autorités.

Céline Bardet . - L'accueil dépend du contexte. Par exemple, intervenir dans le cadre d'une organisation internationale est plus facile. Il existe évidemment des enjeux de sécurité dans ces zones de conflits, par définition dangereuses, comme le montre le documentaire Libye, anatomie d'un crime, réalisé par Cécile Allegra. J'ai à titre personnel subi plusieurs menaces graves.

J'estime qu'il est pertinent, pour faire évoluer les choses, que les institutions remettent en question leurs actions lorsque celles-ci ne sont pas efficaces. Votre question soulève une autre interrogation : dans quelle mesure travaillons-nous avec les institutions des pays ? Ainsi, l'attitude des autorités de Guinée, dont nous revenons, suscite des questionnements. Je crois toutefois que l'on ne peut pas faire avancer un pays si l'on ne collabore pas un minimum avec les institutions locales, mis à part les cas extrêmes tels que la Libye et la Syrie évidemment.

Ce partenariat est essentiel, car il s'inscrit dans une approche de développement, au-delà de l'humanitaire, nécessaire à mon sens pour progresser. Agir sur le terrain est incontestablement difficile, d'autant plus lorsque les victimes ne parlent pas, comme au Kosovo ou en Libye, et que les institutions ignorent le problème. Je relativiserai tout de même cette situation, en indiquant que certaines institutions ont conscience de cette difficulté. Le ministre de la sécurité publique de Guinée nous demande par exemple de travailler avec la police de l'Office de Protection Genre, Enfance et Moeurs (OPROGEM), pour mettre en place un outil sur les données et la préservation des preuves. Comme vous l'avez justement rappelé, la justice avance lentement.

Nous devons donc réfléchir aux modalités de préservation des preuves et aux possibilités pour la victime d'enregistrer son témoignage, pour lui éviter d'être interrogée à de nombreuses reprises et de perdre les éléments de preuve. Nous pourrons évoquer ce sujet ultérieurement. Je pense que nous devons travailler avec les institutions, tout en ayant conscience de leur fonctionnement et de leurs limites, puisqu'il s'agit parfois de gouvernements corrompus, auteurs ou commanditaires de crimes. Je ne connais pas l'expérience de Justine Masika Bihamba à ce sujet en RDC, qui est un territoire particulier. Pour ma part, j'estime qu'il est important de coopérer avec les institutions bien que cela soit difficile en termes de sécurité.

Sophie Martinez . - Je voulais souligner qu'il est souvent compliqué d'obtenir ne serait-ce que les documents pour entrer dans un pays. Ainsi, nous avons dû annuler nos missions à plusieurs reprises, car nous n'avions pas obtenu nos visas dans les délais impartis ou pour des raisons de sécurité.

Je confirme qu'il est important de travailler avec les institutions locales. Dans ce contexte-là, nous oeuvrons avec la direction des établissements de soins, pour les informer que nous sommes présents. Nous sommes ensuite libres de mettre en place ce que nous estimons bénéfique du point de vue médical.

La problématique de la sécurité est importante, puisqu'il ne faut en aucun cas mettre en danger les personnes avec lesquelles nous travaillons sur le terrain. Cette notion est essentielle et il est inconcevable de transgresser la loi, car cela nuirait à la sécurité des personnes. Je concède toutefois que cela est souvent très compliqué.

Françoise Laborde . - Par vos actions humanitaires et associatives, vous faites avancer les choses, je tenais à vous remercier pour cela.

Le bilan de l'ONU est en effet, comme le disait Mme Benedetti, contrasté. S'agissant des financements, je m'inquiète du faible montant parvenant in fine aux personnes à qui ils sont réellement destinés. Bien que ce constat ne soit pas une surprise, son ampleur m'interpelle. J'ai deux questions. Pensez-vous que nous puissions vous aider, à notre niveau, à mener un suivi de l'utilisation de ces fonds ?

De plus, quelle aide pouvons-nous apporter concernant le parcours migratoire de ces jeunes enfants, garçons et surtout filles, qui viennent dans notre pays ? Je rejoins vos propos, Madame Masika Bihamba, sur l'affichage international de tolérance zéro, dont nous sommes en réalité bien loin.

Annick Billon, présidente . - Je complèterai la question sur les moyens par une référence au budget français. Nous examinons actuellement le projet de loi de finances pour 2020. Bien que le budget en faveur de l'égalité femmes-hommes soit en hausse, une grande partie de ces crédits est dédiée aux aspects internationaux. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur l'utilisation des financements sur le terrain, au vu des échos pour le moins mitigés qui ressortent de nos échanges ?

Céline Bardet . - Je vous remercie d'aborder la question des migrations. Je spécifierai tout d'abord deux choses. D'une part, le viol comme arme de guerre semble concerner en réalité un pourcentage assez limité du total des viols, puisqu'il implique une stratégie systématique mise en place dans un objectif précis. D'autre part, il diffère des violences, y compris sexuelles, dans la guerre et dans les zones de crise. Je ne veux pas dire que l'un est plus grave que l'autre ! Je tiens à souligner cette distinction, car il me paraît important de qualifier correctement les faits, en particulier pour avancer sur le plan juridique et judiciaire. Je ne développerai pas davantage cet aspect qui pourrait faire l'objet d'une discussion à part entière. Je mentionnerai enfin les violences faites aux femmes, qui relèvent d'un autre ensemble à mon sens. Nous travaillons sur les violences sexuelles dans les zones de crise et dans les conflits, dans une approche non genrée, beaucoup d'hommes subissant aussi ces sévices. Je reviens sur le documentaire Libye, anatomie d'un crime qui montre le système de viols comme armes de guerre mis en place à partir de 2014 à l'encontre des hommes.

La route des migrations constitue un véritable sujet, qui me consterne à titre personnel. Cette table ronde représente peut-être un levier pour apporter une réponse coordonnée aux personnes ayant subi des traumatismes et vivant sur notre territoire. Les violences sexuelles étant singulières, il faut les traiter de manière spécifique. Beaucoup de migrants ont été victimes de violences sexuelles dans leur pays d'origine ou durant leur parcours migratoire. Je suis aussi juge de l'asile et je vois tous les jours, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), des personnes ayant subi de telles violences.

Par ailleurs, il me semblerait pertinent que les institutions ouvrent un débat sur les financements, afin de réfléchir à une méthodologie innovante permettant d'optimiser les flux financiers, et de mesurer les impacts des investissements. L'ONU fait un travail très important sur le terrain ; loin de moi l'idée de critiquer cette action. Mais on peut aussi améliorer les choses.

Enfin, de mon point de vue, pour que les programmes aient un impact financier concret, cela suppose de disposer de données pour évaluer l'ampleur du sujet. Le chiffre évoqué précédemment d'une femme réfugiée sur cinq ayant subi des violences sexuelles est évidemment sous-estimé. Nous avons développé un outil, BackUp , qui permet aux victimes via une web-application de se signaler et d'être identifiées partout dans le monde tout en préservant leur témoignage et les preuves ; de coordonner les services sur le terrain via une plateforme collaborative professionnelle pour assurer une prise en charge immédiate et adaptée des victimes identifiées et, enfin, de collecter et d'analyser les informations sur le Back Office , générant des données sourcées et viables utiles à la constitution de dossiers judiciaires admissibles et l'émission de rapports d'analyse sur le phénomène des violences sexuelles liées aux conflits armés. BackUp est un outil transversal qui dispose aussi d'une fonction d' early warning system - notamment en ce qui concerne les environnements fragiles ou instables sujets à des recrudescences de violences lors des périodes électorales.

Nous avons lancé les phases pilotes en Guinée-Conakry, au Burundi et au Rwanda en 2019. La République centrafricaine, le Mali, la Libye et la Colombie sont les prochaines zones identifiées en 2020, un budget de 250 000 euros étant nécessaire pour cela. Nous souhaitons aussi déployer cet outil, qui répond à l'urgence de quantifier les données, sur la route des migrations, mais nous n'avons pas les fonds suffisants.

- Présidence de Mme Claudine Lepage, vice-présidente -

Henri-Jean Philippe . - Vous souhaitez évaluer l'importance des agressions survenues lors des trajets migratoires. Je reçois en consultation de gynécologie-obstétrique à l'Hôtel-Dieu à Paris des femmes migrantes qui sollicitent le droit d'asile. Je dirais que 80 % de ces femmes, pour ne pas dire 100 %, ont été victimes de viol durant leur parcours migratoire. Il ne s'agit donc pas d'un phénomène épisodique. La consultation débute par un entretien avec la patiente pour évaluer sa situation, au cours duquel elle précise par exemple avoir traversé le Mali et l'Algérie jusqu'à la Libye, où elle a été violée pendant un an. Ces récits sont quotidiens.

Je leur demande fréquemment pourquoi elles sont venues en France, où leur condition est loin d'être idéale puisqu'elles vivent dans la rue. Elles m'expliquent qu'elles vivent des situations sociales très difficiles sur place, par exemple un mariage forcé. Nous savons de quels pays il s'agit et pouvons donc orienter nos actions.

Je souhaitais poser une question à l'ensemble des intervenants. Nous parlons ce matin des viols dans le contexte des conflits. Je distinguerai deux situations :

- le viol comme arme de guerre, problématique avec des causes et des solutions différentes, peut-être finalement plus simple à traiter ;

- les viols en général, parfois banalisés dans la pratique, mais avec des conséquences tout sauf banales, puisque les victimes de ces pays se retrouvent dans une situation d'exclusion encore plus dramatique qu'en France.

De fait, la dimension culturelle et coutumière est extrêmement importante et je ne sais pas comment agir. J'aurais aimé que les experts ici présents citent au moins un pays où la situation des femmes a progressé de manière significative dans ce domaine. En revanche, en ce qui concerne les mutilations sexuelles féminines, des avancées ont été constatées. Je fais toujours référence à l'exemple du Burkina Faso, pays qui a connu une diminution du taux de mutilations. A la question « Êtes-vous favorables au maintien de l'excision ? » posée il y a quelques années à des femmes maliennes entre 15 ans et 45 ans dans le cadre d'une enquête de l'UNICEF, 85 % ont répondu par l'affirmative. La même question posée à des femmes burkinabé atteint seulement 15 à 20 % de réponses positives, alors que les deux pays sont voisins et constitués des mêmes ethnies. Pourquoi une telle différence ? Elle s'explique selon moi par trois facteurs. D'une part, la Première dame Chantal Compaoré s'est publiquement engagée contre l'excision, la qualifiant de « violence faite aux femmes » et appelant à cesser cette pratique. La première alerte vient donc des femmes. Ensuite, les médecins sont intervenus en expliquant que ce geste coutumier avait des répercussions sur la santé et qu'il fallait donc y mettre un terme. Enfin, les hommes ont été sensibilisés via des groupes de parole les invitant à considérer les risques de ces pratiques sur la santé de leurs filles.

Ces actions à trois niveaux se sont révélées efficaces. Y a-t-il d'autres pays où une démarche de même ampleur serait efficace pour faire baisser le nombre de viols, qui sont aussi coutumiers, voire « banals », comme le disait Céline Bardet, dans beaucoup d'États ?

Je pense pour ma part qu'il faut agir à ces différents niveaux :

- les hommes, pour remettre en cause la pratique et son caractère habituel ;

- les médecins, qui doivent s'impliquer davantage ;

- les personnes que l'on écoute en raison de leur statut officiel, comme les « Premières dames » et les parlementaires.

Certains pays comptent d'ailleurs beaucoup de femmes députées, 50 % au Burundi à titre d'exemple. Je ne sais pas en revanche si elles disposent d'une écoute suffisante.

Claudine Lepage, présidente . - Merci Professeur.

Fanny Benedetti . -  Vous mettez l'accent sur l'environnement et les causes profondes, également abordées par Justine Masika Bihamba. Ces dernières sont les inégalités structurelles de genre dans la société. De fait, des contextes politiques changeants peuvent engendrer une différence radicale. Ainsi, le contexte était favorable au Burkina avec la prise de parole par la Première dame. Ces évolutions ne s'étendent pas nécessairement sur des décennies, et des améliorations rapides peuvent advenir. À ce titre, le Rwanda est souvent cité en exemple d'un changement radical post-crise, qui s'est d'ailleurs traduit par une amélioration de la situation des femmes dans la société au sens large. L'autonomisation et la place des femmes dans la société font évidemment la différence en agissant comme un déclencheur, avec un effet d'entraînement global. Ce postulat rejoint le mandat donné à ONU Femmes . Je ne voudrais pas conclure cette réunion sur l'idée d'une utilisation inefficace des fonds par l'ONU.

Vous vous demandiez comment pouvait agir le Sénat. Je pense que vous avez un rôle majeur à jouer. Je rappelle qu' ONU Femmes est l'entité globale de plaidoyer créée par les associations féministes du monde entier. Existant depuis moins de dix ans, elle accuse un retard de 60 à 70 ans sur les autres associations, provoquant un décalage. La promesse de budget faite par les États membres au démarrage d' ONU Femmes était de 500 millions d'euros par an, montant qui n'est toujours pas atteint dix ans plus tard. Les trois quarts du budget sont étroitement fléchés, empêchant l'entité d'avoir une action autonome et indépendante. Le problème du financement de l'égalité femmes-hommes se retrouve donc à tous les niveaux.

Les financements sont insuffisants, parfois microscopiques. Le secrétaire général de l'ONU lui-même met l'accent sur l'inadéquation des financements, l'amélioration des reportings , la mise en place d'un cycle de « redevabilité » et le manque d'expertise genre au sein des missions de maintien de la paix. Il propose dans son rapport d'instaurer un quota minimum de 15 % de financements fléchés au profit de l'égalité femmes-hommes dans le budget onusien, c'est-à-dire en faveur de l'autonomisation des femmes et de l' empowerment (émancipation) des femmes et des filles.

Le Sénat pourrait également agir sur le budget alloué au maintien de la paix, d'un montant d'environ sept milliards d'euros. Ne pourrait-on pas disposer d'un levier d'action important, en fléchant une partie de ce budget sur la protection et la place des femmes dans un contexte de reconstruction des sociétés post-crise, à l'image de ce que préconise le secrétaire général de l'ONU ? Je pense qu'un plaidoyer très fort peut être mené à ce sujet ; finalement l'argent est disponible, bien que parfois insuffisant compte tenu des mandats donnés. La majorité des mandats des missions de maintien de la paix porte d'ailleurs sur la protection des populations civiles.

Claudine Lepage, présidente . - Merci Madame. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée de financements dédiés et fléchés, mais il faut s'assurer qu'ils parviennent à destination.

Martine Filleul . - Je vous remercie toutes et tous de vos témoignages extrêmement intéressants et émouvants.

Je remercie également la présidente de la délégation pour sa synthèse de nos échanges, qui a mis en évidence les problématiques évoquées ce matin. Je serais favorable à un projet de résolution sur ces thématiques, qui permettrait de faire avancer la réflexion générale.

Je voulais insister sur deux sujets déjà abordés. Sur la question des financements internationaux, je pense qu'il ne faut pas se résigner à ce qu'ils soient aussi modestes et « évaporés » sur le terrain. En effet, la crédibilité des grandes organisations internationales en dépend et une forme de rejet vis-à-vis de ces organisations peut voir le jour dans les pays destinataires. J'ai été témoin au Burkina Faso de l'opposition à ces organisations, face à tout ce qu'elles représentent matériellement et dont manquent les autres opérateurs de terrain.

En outre, je souligne le rôle de la diplomatie internationale et européenne, toutes les violences que nous dénonçons trouvant leur origine dans l'absence d'un État de droit dans ces zones. Il faut à mon sens que nous pesions afin de rétablir des États de droit. J'ai conscience que cette mission dépasse les compétences de la délégation aux droits des femmes, mais il est tout de même nécessaire que nous puissions, à l'échelle de chaque État, mener davantage d'interventions en ce sens.

Sophie Martinez . - Je reviens sur le parcours migratoire et la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles. Le professeur Henri-Jean Philippe reçoit ces femmes en consultation et nous les accueillons également dans d'autres structures. Nous n'avons cependant pas les moyens d'agir correctement. En effet, les soignants manquent d'informations concrètes sur le vécu de ces patientes. De plus, j'estime que des créneaux dédiés avec des médecins et des sages-femmes devraient leur être réservés.

Je suis également d'avis que libérer la parole et nommer les choses sont importants. Aujourd'hui, autour de cette table, beaucoup ont été surpris du nombre de viols subis par les hommes et les femmes lors de leur parcours migratoire. Or ce phénomène est une réalité. J'ignore dans quelle mesure des actions peuvent être mises en place afin de favoriser la libération de la parole, mais je pense qu'une réflexion est nécessaire, puisque ne rien dire équivaut à laisser faire et que cela est inenvisageable.

Claudine Lepage, présidente . - Je vous remercie. Nous allons maintenant prendre les questions du public.

Farah Malek-Bakouche, UNICEF France . - Merci pour ces interventions. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit sur les routes migratoires et la nécessité d'une prise en charge minimale dans les services de santé, avec des moyens alloués et sans délai de carence. Ces actions sont d'autant plus urgentes qu'elles concernent des traumatismes graves devant être pris en charge immédiatement et des enfants n'ayant pas accès aux écoles. L' UNICEF plaide également pour des routes migratoires sûres, afin d'y éviter les agressions sexuelles, par exemple grâce à des visas étudiants permettant aux jeunes mineurs d'arriver sereinement dans les pays d'accueil. Je voulais simplement souligner que des solutions existent, nécessitant la contribution de plusieurs acteurs, pas tous présents autour de cette table. Je pourrai approfondir ce sujet avec vous plus tard au besoin.

Concernant les réponses, je signalerai simplement que la durée des conflits s'allonge, à l'image du conflit syrien qui se poursuit. Le financement doit prendre en compte le long terme, une réponse à ces problématiques ne pouvant pas être mesurée sur cinq ans seulement. En effet, dans la mesure où l'objectif est de renforcer des systèmes de justice, de protection sociale et d'éducation, les financements doivent s'inscrire dans la durée, être flexibles et accessibles à la société civile. Je fais référence sur ce dernier point aux bailleurs de fonds étatiques construisant des propositions de financement assez compliquées.

En outre, je relève la différence entre l'aide bilatérale et multilatérale. Aujourd'hui, le financement de l'éducation en humanitaire multilatéral n'atteint pas 2 % du PIB des pays. Nous nous situons donc très bas par rapport aux besoins, alors que l'éducation est décisive pour l'avenir des filles et qu'elle leur permet d'aller à l'école et d'accéder à des services de soins adaptés. Il faut garder à l'esprit que cette tranche de la population va vivre avec ce traumatisme pendant des décennies et constituera la société future, où l'on constate pour l'instant une répétition des mêmes conflits. Des discussions traitant des enjeux de long terme sont en cours, à l'instar du Grand Bargain et du Nexus Humanitaire Développement, concernant l'organisation des interventions. En écho aux propos de Céline Bardet, je confirme qu'il faut mener une réflexion sur les programmes d'aide.

Par ailleurs, je soutiens la diplomatie féministe. À cet égard, je citerai l'exemple du Canada qui a une très bonne politique d'assistance internationale et qui inscrit la question du genre dans les modalités d'intervention de ses programmes. Cette démarche n'est pas parfaite, mais peut néanmoins constituer une source d'inspiration. On peut aussi citer des pays comme la Suède. Enfin, n'oublions pas les enjeux de l'enfance pour traiter toutes ces questions.

Rana Hamra, ONG Humanity Diaspo . - Je rejoins les remerciements de Fara Malek-Bakouche pour les retours d'expérience très intéressants de Céline Bardet, Justine Masika Bihamba, Sophie Martinez et Henri-Jean Philippe. J'espère que vous organiserez d'autres tables rondes de ce type.

Vous vous interrogiez sur la capacité d'action de la délégation. Je souhaiterais à cet égard partager mon retour d'expérience d'un passé peu glorieux, lorsque j'étais experte française « asile » pour la Commission européenne, envoyée en Grèce dans le cadre de la création de hotspots (zones sensibles) sur l'île de Samos. Les pays du Sud ont été souvent évoqués ce matin, mais on fait fi de ce qui se passe en Europe. Un député européen a récemment voulu entrer, sans succès, dans le camp de Samos, afin de constater comment les milliards d'euros octroyés par l'Europe pour recevoir décemment les migrants étaient utilisés. Je parlerai de migrant ou de réfugié indifféremment, même si ce sont deux notions juridiques distinctes. Vous évoquiez plus tôt la honte des femmes victimes de viols pendant leur parcours d'exil et de migration. Sachez que cet opprobre ne prend pas fin une fois qu'elles se trouvent en Europe. Ainsi, des jeunes femmes syriennes ou irakiennes sont violées durant leur parcours migratoire par leur frère, leur cousin ou leur père, au prétexte que leur mort est imminente !

Dans les îles grecques comme à Athènes, ces femmes n'ont pas accès à la santé psychologique et gynécologique, par manque d'information et d'argent. Je crains que ces situations ne commencent à se reproduire en France, avec une restriction des droits d'accès à la santé, eux-mêmes de plus en plus incertains. L'accès des demandeurs d'asile à la Protection Universelle Maladie (PUMa) prend par exemple un temps infini et les délais d'obtention d'un rendez-vous gynécologique conduisent parfois la femme à dépasser la période d'avortement légale, et donc à poursuivre sa grossesse en France. De la même manière, les accès des ONG au camp informel de la jungle de Calais ont été refusés durant des mois, conduisant des femmes somaliennes ou éthiopiennes à accoucher sur place d'enfants non désirés issus de viols.

Je rejoins les propos de Céline Bardet quand elle affirme que ces violences ne concernent pas seulement les femmes, mais aussi les garçons. Dans le centre d'Athènes, de jeunes afghans et pakistanais, mineurs et isolés, se prostituent pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Ces situations sont dramatiques et ont lieu aujourd'hui en Europe. Vous pouvez agir en France et en Europe dans les zones de crise. Il faut bien sûr poursuivre le plaidoyer pour les pays du Sud, mais je pense que le premier pas doit être effectué à côté de chez nous. Merci beaucoup.

Claudine Lepage, présidente . - Merci de votre témoignage.

Monique Bouaziz . - Bonjour et merci. Membres de l' Alliance Internationale des Femmes et présidente de l' Association des Femmes de l'Europe Méridionale , nous menons notre action avec très peu de fonds et nous trouvons des façons d'agir avec des moyens limités. Ainsi, les femmes que nous aidons persuadent les chefs du village et les maris de faire revenir les femmes violées dans le village et le foyer. Nous sommes parvenues à obtenir des financements du programme de participation de l'UNESCO pour que ces femmes bénéficient d'un apprentissage de l'entretien des puits et des pompes pendant trois semaines au Burkina Faso. Fortes de leur diplôme de formatrices, elles reviennent ensuite dans leur pays pour transmettre à leur tour leur savoir. La responsable de cette initiative a ouvert un orphelinat recueillant des enfants violés.

Nous travaillons énormément avec l'Afrique, grâce à la présence d'organisations françaises dans le monde entier, et sommes venues entendre le témoignage de Justine Masika Bihamba. Si vous souhaitez aider ces femmes, le meilleur moyen est de contribuer financièrement à la mise en place de formations dans leur pays. L'argent de l'UNESCO revient à notre trésorière qui paie ensuite les écoles au Burkina Faso, les vaccins et les voyages entre autres, notre association ne touchant pas un centime. Il me paraît nécessaire de travailler dans cette configuration, l'argent ne devant pas être distribué n'importe comment.

Claudine Lepage, présidente . - J'indique que, lorsque nous avons parlé « d'évaporation des fonds », nous ne faisions référence ni aux associations, ni aux ONG.

Monique Bouaziz . - Bien sûr, nous sommes d'accord.

Danielle Levy . - Également membre de l'Alliance internationale des Femmes , j'ai été frappée par le cas de cette jeune femme s'occupant d'un orphelinat et étant depuis peu titulaire d'un diplôme d'avocat. Elle a concouru au jugement de violeurs, réussissant à faire obtenir aux victimes des parcelles de terrain.

Claudine Lepage, présidente . - Merci, Madame, de votre témoignage. Quelqu'un veut-il encore prendre la parole ?

Fanny Benedetti . - Je souhaitais juste rappeler que l'année 2020 est importante, puisque la France accueille le Forum mondial Génération Égalité , 25 ans après la conférence mondiale de Pékin. J'espère qu'il mettra l'accent sur les problématiques traitées ce matin et je vous invite toutes et tous à porter ce sujet qui doit faire l'objet d'actions concertées et concrètes avec un cadre de « redevabilité ».

Claudine Lepage, présidente . - Nous ne sommes pas décisionnaires, mais nous apporterons notre pierre au plaidoyer.

Monique Bouaziz . - Je me permets de vous signaler un ouvrage d'information publié le 22 novembre à l'initiative de l'UNESCO sur les violences faites aux femmes, qui constitue selon moi une source d'inspirations pour des actions à mettre en place.

Claudine Lepage, présidente . - Cette table ronde nous aura incités à continuer à travailler dans ce domaine. Bien qu'il ait été beaucoup question de l'Afrique, puisque nous évoquions en particulier les conflits, nous n'oublions pas ce qui se passe en France et nous resterons mobilisés sur ce sujet pour lequel je suis engagée à titre personnel.

Merci à tous pour votre action. J'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir bientôt.

2. Texte communiqué à la délégation par Mme Souad Wheidi, présidente de l'ONG Observatory on gender in crisis

Ce texte a été adressé à la délégation par Mme Souad Wheidi, empêchée de se rendre à Paris pour assister à la table ronde du 28 novembre 2019.

« En préambule, je souhaite souligner l'importance CAPITALE de faire la différence entre la violence à l'égard des femmes (y compris le viol) et la violence sexuellependant les conflits armés. Ce génocide calculé est un crime contre l'humanité.

« Les témoignages terrifiants émanant des victimes dans les différentes zones de conflits armés à travers le monde ne nous permettent plus d'ignorer cette réalité. L'usage des armes et le nombre important de violeurs pendant les conflits armés ne permettent pas de comparer ce type de violence inqualifiable avec les autres formes de violence.

« Le viol est devenu une véritable stratégie de guerre considérée comme LÉGITIME. Il ne peut-être comparé avec aucune autre forme de violence, son objectif n'étant autre que la destruction de la part du féminin de notre histoire.

« Si l'histoire est amnésique au regard de cette destruction du féminin dans les zones de conflit, nous avons la certitude que l'utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre ne fait que confirmer ce crime contre l'humanité.

« Ces violences, qui relèvent d'une cruauté sans précédent, témoignent d'une véritable politique de la terreur, dont l'horreur ne peut avoir de points communs avec aucune autre forme de violence.

« La responsabilité de l'humanité est ENGAGÉE. Rendre des comptes à ces victimes est une EXIGENCE.

« Nous sommes dans l'OBLIGATION de leur répondre. L'humanité a le DEVOIR de mettre fin à un silence coupable à l'égard de ces femmes, dans lequel elle s'est enfermée pendant des siècles. Elle doit enfin reconnaître cette vérité.

« Au regard des échecs successifs du passé pour mettre fin à ce fléau, il faut aborder ce sujet dans un nouveau paradigme afin d'extraire le viol comme arme de guerre de ses racines.

« Il est nécessaire d'encourager les femmes à se saisir pleinement des postes à forte responsabilité dans les armées, car une femme qui offre la vie a la responsabilité d'offrir aussi la paix. On ne peut concevoir que des femmes encouragent le viol, car elles portent de manière consciente l'humanité qu'elles ont vocation à transmettre.

« Il est clair que personne ne peut réellement connaître l'ampleur et le niveau des violations commises pendant les guerres et les conflits armés, ou lors de régimes dictatoriaux ou coloniaux. Il est donc important d'établir une documentation neutre de l'histoire de ce type de violence dans la société, afin d'éviter de fausser les faits à venir.

« Tout cela constitue une base nécessaire pour parvenir à une justice transitionnelle (l'ensemble des mesures judiciaires et extrajudiciaires mises en oeuvre par différents pays afin de lutter contre les graves violations des droits de l'homme dont ils ont hérité du fait des périodes de tyrannie, de colonialisme ou de guerre).

« Quelles sont les attentes des victimes ?

« Tout d'abord ces attentes sont EXTRÊMEMENT URGENTES.

« Révéler la vérité « complète », malgré sa cruauté, est un élément capital pour les victimes, car chaque victime a besoin de savoir pourquoi elle a été violée.

« Dévoiler tous les faits est nécessaire pour établir la vérité elle-même. Nous confirmons que l'ampleur des viols commis pendant le « règne » de Khadafi et pendant la période actuelle, que les victimes soient des femmes, des hommes ou des enfants, reste à identifier.

« Nous devons donc créer des comités indépendants pour révéler la vérité sur ces crimes. En profitant pleinement des expériences de pays tels que la Libye, on peut encourager le passage d'une domination répressive, raciale ou coloniale vers la liberté et la démocratie.

« La révélation de la vérité est considérée par les Nations unies comme la première étape de la justice transitionnelle qui conduit à la réconciliation nationale, nécessaire à la stabilité et à la construction d'une société de vérité, de justice et de démocratie.

« Cette étape particulière tire son importance de plusieurs raisons, la première étant de présenter des faits « sans équivoque », ce qui permet de savoir quels viols ont eu lieu et de créer ainsi une conscience collective de leur dénonciation, susceptible d'empêcher leur répétition à l'avenir.

« Autrement dit, « révéler la vérité » est une étape décisive pour aider les victimes de viol à se réconcilier avec elles-mêmes, lorsqu'elles prennent conscience de la vérité, et à clore un chapitre douloureux de leur vie.

« Cette démarche est essentielle, car elle aide les victimes à avancer vers l'avenir et à s'adapter à une nouvelle phase de leur vie, avec de nouvelles exigences.

« La formation de commissions destinées à révéler la vérité est indispensable pendant les périodes de transition. Ces commissions auraient pour mission de documenter une étape importante de l'histoire de la société afin d'empêcher sa falsification ou sa réécriture à l'avenir.

« La poursuite judiciaire des auteurs des crimes sexuels en temps de conflits armés devant les juridictions nationales et internationales, y compris la cour pénale internationale, est elle aussi essentielle.

« Pour aider les victimes à se réconcilier avec elles-mêmes et à recommencer à vivre, la notion de réparation est d'une grande importance. À cet égard, nous insistons sur la nécessité de trouver de toute urgence les financements adéquats (en Libye, malgré la reconnaissance officielle des victimes de viol comme victimes de guerre, le premier fond pour s'occuper des victimes de viol reste désespérément vide depuis sa création en 2014 !).

« En effet, notre lutte a inspiré la création du Fonds mondial de réparation pour toutes les victimes de viol dans le monde. Il serait intéressant de réfléchir à la création d'une taxe sur les armes afin de financer ce fond.

« En conclusion, il faut exiger la libération de tous les détenus dans la prison d'Al-Assad, où le viol est utilisé comme un outil de torture au quotidien. »

D. EXTRAIT DE L'ÉCHANGE DE VUES DE LA DÉLÉGATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ÉLABORÉE PAR LES QUATRE CO-AUTEURS DU RAPPORT D'INFORMATION « FEMMES ET HANDICAP : DÉNONCER L'INVISIBLE ET AGIR ! » (21 NOVEMBRE 2019)

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, les rapporteurs sur les violences faites aux femmes handicapées, Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien, ont souhaité prendre l'initiative d'une proposition de résolution faite dans le cadre de l'article 34-1 de la Constitution, pour tirer les conséquences de ce travail, texte que je souhaite déposer avec eux.

Roland Courteau vous demande de l'excuser car il ne peut être présent ce matin.

Ce type de texte, nous l'avons constaté avec notre proposition de résolution sur l'excision, le mariage des enfants et les grossesses précoces, permet de donner de la substance à des prises de position de notre institution qui ne relèvent pas des compétences législatives. En outre, l'adoption à l'unanimité d'une résolution du Sénat, comme cela a été le cas pour notre précédente résolution sur les droits des filles, constitue un symbole fort de notre capacité à mobiliser notre institution sur les sujets que nous portons.

Les rapporteurs souhaitent un dépôt de cette proposition de résolution le 25 novembre, date symbolique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. En outre, alors que les propositions issues du Grenelle de lutte contre les violences conjugales seront dévoilées le 25 novembre, il me paraît important de rappeler l'intérêt précoce et l'apport spécifique de notre délégation à la question particulièrement grave des violences faites aux femmes en situation de handicap, à laquelle le Gouvernement a dédié un groupe de travail du Grenelle .

Vous trouverez dans la proposition de résolution la plupart des constats et points de vigilance formulés dans notre rapport d'information, qu'il s'agisse de la nécessité de mieux connaître le phénomène par des études régulièrement actualisées, d'intensifier la formation et la sensibilisation des différents acteurs, de renforcer l'autonomie professionnelle et financière des femmes en situation de handicap et de progresser dans l'accès aux soins, notamment gynécologiques, ainsi que dans l'accessibilité tant de la chaîne judiciaire que des lieux d'hébergement d'urgence.

Je précise que l'objectif est de montrer l'implication du Sénat tout entier dans la lutte contre ces violences inacceptables. Il est aussi de marquer la considération de notre institution pour tous les acteurs, professionnels et bénévoles, qui agissent pour lutter contre ces violences et accompagner les victimes au quotidien.

L'idéal serait que nous parvenions à réunir le maximum de cosignatures d'ici le dépôt de ce texte, prévu lundi matin, les cosignataires non membres de notre délégation étant évidemment les bienvenus.

Pour des raisons pratiques, je suggère que le secrétariat de la délégation, exceptionnellement, centralise les demandes de cosignatures.

En outre, le dépôt de la proposition de résolution sera accompagné de la publication d'un communiqué de presse, daté lui aussi du 25 novembre, que je vais dans un instant soumettre à votre validation.

Qui souhaite intervenir ?

Françoise Laborde . - Merci Madame la présidente. Cette proposition de résolution constitue un bel aboutissement de notre travail sur les violences faites aux femmes en situation de handicap. Il me paraît important de recueillir le plus grand nombre de cosignatures de la part de nos collègues de groupes.

Chantal Deseyne . - Je me réjouis de cette initiative qui offre de la visibilité à nos travaux et qui donne de l'importance à un sujet encore peu traité, alors que les femmes en situation de handicap subissent des violences et des discriminations dans tous les domaines. Notre démarche, il faut le souligner, est aussi un travail transpartisan.

Laure Darcos . - Je tiens à féliciter les co-rapporteurs pour ce travail.

Annick Billon, présidente . - Nous sommes donc d'accord sur ce projet de texte. Venons-en à l'intitulé de la proposition de résolution. Voici deux possibilités de titre :

1 - Proposition de résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes handicapées/en situation de handicap ;

2 - Proposition de résolution pour lutter contre les violences faites aux femmes handicapées/en situation de handicap .

Dominique Vérien . - L'expression « femmes en situation de handicap » me semble plus adaptée. En outre, je préfère la première proposition, qui se rapproche davantage du titre de notre rapport.

Annick Billon, présidente . - Nous sommes donc d'accord sur cette Proposition de résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap .

Je vais maintenant vous demander de valider le communiqué de presse préparé pour accompagner le dépôt de notre proposition de résolution.

Françoise Laborde . - Le projet de communiqué de presse me convient tout à fait. Les journalistes pourront extraire de sa substance les informations qu'ils souhaiteront mettre en exergue et la presse quotidienne régionale (PQR) pourra valoriser la parole des sénateurs des départements concernés grâce aux citations des co-rapporteurs et de la présidente.

Annick Billon, présidente . - Je ne vois pas d'opposition : ce texte est validé. Merci, chers collègues. Je vous invite à le relayer localement.

Avec votre autorisation, je vais donc écrire au Président Larcher pour solliciter l'examen de notre proposition de résolution en séance publique dès que possible.


* 1 Cette tribune, intitulée Féminicides : où est la grande cause du quinquennat ? se situait le 7 juillet 2019 au cinquième rang des 100 articles les plus lus sur le site de Libération .

* 2 Les deux délégations parlementaires aux droits des femmes ont été créées par la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999.

* 3 Voir le recueil des actes de l'événement ayant marqué cette commémoration : Rapport d'information fait au nom de la délégation par Annick Billon, Laurence Cohen, Marta de Cidrac, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Laurence Rossignol sur la célébration du vingtième anniversaire de la création de la délégation aux droits des femmes du Sénat (n° 148, 2019-2020).

* 4 Les comptes rendus de ces trois séquences sont annexés au présent volume.

* 5 Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019.

* 6 Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Brigitte Gonthier-Maurin (n° 212, 2013-2014).

* 7 Conférence de Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix, à l'Hôtel de Ville, le 30 novembre 2019, dans le cadre d'un événement organisé par la Fédération protestante de France avec le soutien d'Anne Hidalgo, maire de Paris. Cette manifestation a été évoquée dès le début de la table ronde du 26 novembre 2019 par le président de la Fédération protestante de France , qui y a convié la délégation. Qu'il en soit chaleureusement remercié.

* 8 Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien (n° 14, 2019-2020).

* 9 Voir le compte rendu de cet échange de vues en annexe du présent rapport.

* 10 Les travaux du Grenelle se sont déroulés sur la période du 3 septembre 2019 au 25 novembre 2019.

* 11 Voir le compte rendu de la séance publique du 8 janvier 2020 en annexe du présent rapport.

* 12 Les trois derniers orateurs étaient Michelle Gréaume (CRCE), Xavier Iacovelli (Ratt. LaREM) et Pascale Gruny (Les Républicains).

* 13 Le compte rendu de cette table ronde est annexé au rapport d'information La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Chantal Jouanno (n° 101, 2016-2017).

* 14 Ce document est annexé au présent recueil. Depuis la réunion du 26 novembre 2019, M. Chems-Eddine Hafiz est devenu recteur de la Grande Mosquée de Paris (Voir le Bulletin quotidi en du 13 janvier 2020). La délégation remercie M. Boubakeur pour cet envoi.

* 15 « La délégation considérerait comme une évolution positive que les cadres religieux, de tous les cultes, soient encouragés, parallèlement à leur formation théologique propre à chaque culte, à suivre les diplômes universitaires sur le fait religieux et la laïcité, ouverts à toutes et tous, et que ces diplômes comportent un enseignement sur l'égalité entre femmes et hommes, valeur fondamentale de notre République ».

* 16 L'association Une place pour elle et son action de sensibilisation ont été évoquées par le magazine La vie dans un numéro consacré aux « Violences faites aux femmes - que font les chrétiens ? » (n° 3873, 21-27 novembre 2019, p. 33), https://uneplacepourelles.weebly.com/

* 17 Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique , mis en place dans le cadre du Conseil de l'Europe pour assurer le suivi de la convention d'Istanbul.

* 18 Voir supra les développements relatifs au rapport d'information sur les violences faites aux femmes en situation de handicap et à la proposition de résolution qui en est issue.

* 19 Rapport d'information fait au nom de la délégation par Brigitte Gonthier-Maurin (n° 212, 2013-2014).

* 20 Selon Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis entendue en 2013 par la délégation, « Dans une société traditionnelle comme la société libyenne, c'est le pire qui puisse arriver à un être humain ».

* 21 Lors de son audition en 2013, la ministre déléguée à la Francophonie avait évoqué l'image insoutenable de fillettes de quelques mois, originaires du Nord Kivu, transformées en « poupées de sang » par des « monstres pédophiles ».

* 22 Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis , entendue en 2013, avait tout particulièrement attiré l'attention de la délégation sur cette dimension des viols de guerre dans des sociétés où les victimes de viols sont rejetées au nom de l'honneur.

* 23 Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes , rapport d'information fait au nom de la délégation par Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno et Mireille Jouve (n° 448, 2015-2016). Le témoignage de Nadia Mourad est commenté pp. 14 à 16.

* 24 Voir le rapport Dénoncer, pour y mettre fin, le mariage des enfants et les grossesses précoces : un enjeu décisif pour les droits des filles, partout dans le monde , rapport d'information fait au nom de la délégation par Annick Billon (n° 262, 2018-2019). Ce document a été élaboré à la suite de la table ronde du 11 octobre 2018.

* 25 Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport d'information fait au nom de la délégation par Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac (n° 479, 2017-2018).

* 26 L'égalité entre hommes et femmes pour la justice climatique , rapport d'information fait au nom de la délégation par Chantal Jouanno (n° 45, 2015-2016), p. 12.

* 27 Par ce texte, les pays membres du G7 ont souscrit aux engagements suivants :

« - Poursuivre nos efforts pour répondre aux besoins médicaux, psychologiques et sociaux spécifiques des personnes survivantes et des victimes ; Nous encourageons les efforts tels que ceux entrepris par les lauréats du prix Nobel de la Paix Mme Nadia Murad et le Dr. Denis Mukwege en vue de créer un fonds volontaire dédié aux personnes survivantes et aux victimes de violences sexuelles ;

« - Approfondir la coordination entre membres du G7 afin de renforcer notre réponse rapide en matière de soutien aux personnes survivantes et aux victimes, notamment en fournissant une assistance médicale, psychologique et sociale, ainsi que des secours aux personnes survivantes et aux victimes. Les efforts pourraient venir en appui à des initiatives existantes ainsi qu'à la mise en place de nouvelles initiatives et mesures ;

« - Renforcer la coordination entre membres du G7 pour appuyer la participation des femmes aux processus de paix, notamment dans leur rôle de négociatrices, de médiatrices et de bâtisseuses de la paix ; et

« - Encourager les initiatives visant à accroître la participation entière, significative et sur un pied d'égalité des femmes aux processus de paix, au rétablissement et à la consolidation de la paix (...). »

* 28 Les femmes pendant la Grande guerre - Actes du colloque du 18 octobre 2018 , rapport d'information fait au nom de la délégation par Annick Billon (n° 165, 2018-2019).

* 29 Ce texte est annexé au présent rapport.

* 30 Cf. Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien (n° 14, 2019-2020).

* 31 Odile Leperre-Verrier était accompagnée de Benoît Graisset-Recco, qui est intervenu pendant le temps d'échanges.

* 32 Alors M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris. Depuis le table ronde du 26 novembre 2019, Mohammed Moussaoui a été élu à la présidence du CFCM le 19 janvier 2020, Chems-Eddine Hafiz étant devenu recteur de la Grande Mosquée de Paris.

* 33 (Ps 82, 3-4).

* 34 « Le silence est forcément complice ou trompeur » (Raconte-toi, chanson d'Yves Simon (1975)).

* 35 OEuvres en prose, 1909-1914, Charles Péguy, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1959, p. 1397.

* 36 Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée dans le cadre de l'ONU en 1979.

* 37 Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.

* 38 Cet immeuble est situé 5 rue Jules Breton, dans le XIII e arrondissement de Paris.

https://www.droithumain-france.org/journees-europeennes-du-patrimoine-centenaire-du-temple-jules-breton/

* 39 Selon le site Internet de la Fédération française du Droit humain , « Le 4 avril 1893, deux esprits résolument modernes, Maria Deraismes et Georges Martin scellaient la fondation de la première Loge mixte LE DROIT HUMAIN. Ils décidaient ainsi de braver les conformismes et les préjugés, qui tenaient les femmes éloignées de la Société et de l'initiation en Franc-Maçonnerie ».

* 40 Vous tous qui avez soif, pp. 270-271.

* 41 La femme et le salut du monde, p. 19.

* 42 1 Cor 11,11.

* 43 En janvier 2020, M. Chems-Eddine Hafiz est devenu président du CFCM à la suite de la démission de M. Boubakeur.

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