C. LE TRANSPORT AÉRIEN : UN LEVIER DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET DE RÉÉQUILIBRAGE DES INÉGALITÉS TERRITORIALES

1. Transport aérien et développement économique des territoires sont fortement corrélés

Synthétisant de nombreux travaux de recherche 10 ( * ) , Yves Crozet et Paul Chiambaretto, économistes spécialistes du transport aérien, ont souligné devant votre mission l' impact significatif du transport aérien sur le développement économique 11 ( * ) . Selon les différentes études citées, une augmentation de 10 % du transport aérien entraînerait ainsi :

- une hausse de 0,1 à 0,5 % du PIB ;

- une hausse de 4,7 % d'investissements directs à l'étranger (IDE) ;

- une hausse de 0,3 à 0,7 % des salaires ;

- une hausse de 3,9 % de la démographie locale .

Les économistes distinguent cependant la corrélation de la causalité . Les recherches de Van de Vijver et al. (2014) 12 ( * ) ont ainsi mis en évidence l'existence d'un effet rétroactif, allant de la croissance économique à la croissance du trafic aérien : il existerait donc un cercle vertueux permettant au développement économique et au transport aérien de se renforcer mutuellement.

Les recherches de Mukkala & Tervo (2013) 13 ( * ) ont démontré que le sens de causalité est lié à la typologie des régions concernées. Ainsi, dans les régions « centres » (plus développées économiquement), c'est principalement la croissance économique qui attire le transport aérien. La croissance du trafic y est majoritairement induite . En revanche, dans les régions périphériques , le transport aérien stimule directement l'activité économique . Le trafic n'y est pas induit, mais il est moteur et porteur d'externalités positives pour l'économie locale.

Les enseignements de la théorie économique sont largement partagés par les acteurs locaux de certains territoires périphériques, rencontrés par votre mission lors de ses déplacements à Quimper, Aurillac et Rodez. La ligne Quimper-Paris a ainsi été décrite par plusieurs chefs d'entreprise du Finistère sud comme essentielle au tissu économique local. Les représentants de l'assureur Verlingue, qui ont rappelé leur « volonté de garder le siège historique de l'entreprise à Quimper », ont également insisté sur le rôle primordial joué par la liaison aérienne vers Paris pour assurer le déplacement, dans la journée, de ses salariés en région parisienne ou à l'étranger : « 6 à 7 collaborateurs prennent chaque jour l'avion pour négocier des contrats, se rendre à Zurich, dans une des filiales de l'entreprise... Le Quimper-Paris est pour nous vital ». Le rôle de la liaison aérienne ne se limite pas au déplacement des salariés : son attractivité pour les clients est au moins aussi importante. L'entreprise Armor Lux a en effet affirmé que le risque d'une interruption de la liaison entre Quimper et Paris « constituait la première crainte du groupe, tant elle est indispensable à l'accès de ses clients, notamment japonais, au Finistère sud ». Selon Jean-Guy Le Floch, son président-directeur général, « un problème de transport aérien se répercute donc systématiquement sur le carnet de commandes ». Nécessaires à l'industrie, les liaisons aériennes des régions périphériques stimulent également le tourisme , comme à Rodez. Selon les estimations des responsables de l'aéroport, les liaisons Dublin-Rodez et Charleroi-Rodez engendrent des retombées économiques de 2,14 millions d'euros pour le territoire aveyronnais .

Ces constats justifient pleinement l'existence d'un soutien au transport aérien dans les régions périphériques enclavées, par le biais de la subvention publique, et constituent le fondement d'une politique publique d'aménagement du territoire et de réduction des inégalités territoriales.

2. Le maillage aéroportuaire français se transforme, reflétant l'aggravation des inégalités territoriales et infrarégionales
a) Un maillage aéroportuaire unique, produit de l'histoire

Comme le notait le rapport du Conseil supérieur de l'aviation civile (CSAC) et du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) 14 ( * ) , « le maillage aéroportuaire français est le produit de l'histoire d'un pays pionnier de l'aviation civile . Après la seconde guerre mondiale, les aéroports ont permis de relier les villes françaises à la capitale en l'absence de moyens terrestres rapides ». Il en découle un maillage exceptionnellement dense, unique en Europe et dans le monde.

Selon les « listes des aérodromes dont la création et la mise en service ont été autorisées », dont la dernière version a été publiée au Journal officiel le 20 février 2015, la France compte 486 aérodromes , en métropole et en outre-mer. Parmi ces 486 plateformes, 337 sont ouvertes à la circulation aérienne publique (CAP), 107 sont à usage restreint et 42 sont réservées à l'usage de l'administration (y compris les aérodromes militaires et les hélistations). En ajoutant à ces listes les plateformes de la Polynésie française (47 aérodromes), de la Nouvelle-Calédonie (15 aérodromes) et de Wallis-et-Futuna (2 aérodromes), la France dispose au total de 550 aérodromes.

Derrière cette statistique se cache une très grande diversité de plateformes et une importante variété d'usages et de fonctions, renvoyant à des problématiques et contraintes très différentes : transport régulier de passagers, fret, aviation d'affaires, aviation de loisirs, formation aéronautique, défense nationale, sécurité civile...

Selon le rapport du CSAC-CGET, en France métropolitaine, parmi l'ensemble des structures existantes, 120 aérodromes , ayant connu une activité de transport commercial de passagers au cours des vingt dernières années, constituent « l'armature du maillage » aéroportuaire français.

Alors qu'il a longtemps manqué une typologie exhaustive de ces aérodromes pour en distinguer les tailles et les fonctions, le CGET et la DGAC ont mené, dans le cadre des Assises du transport aérien, un travail approfondi visant à mieux représenter, dans sa richesse et sa complexité, le maillage aéroportuaire français.

En croisant plusieurs critères (volume de trafic, population, part des CSP+ dans le nombre total de voyageurs, degré de connectivité européenne par l'accès aux hubs étrangers...), le CGET et la DGAC ont abouti à une cartographie s'appuyant sur sept catégories distinctes d'aéroports :

- aéroports parisiens (Paris Charles de Gaulle, Orly, et Beauvais) ;

- grands aéroports régionaux (disposant d'un trafic de plus de 3 millions de passagers et de nombreuses lignes européennes, avec un développement conjoint de la connectivité extra-européenne) ;

- aéroports métropolitains (adossés à des aires urbaines métropolitaines, comme Brest, Lille ou Toulon, ces aéroports présentent pour la plupart un trafic de l'ordre de 1 million de passagers. À proximité d'aéroports plus conséquents, leurs perspectives de développement sont plus limitées) ;

- aéroports d'import de voyageurs (s'appuyant sur des compagnies à bas coûts pour accroître l'attractivité résidentielle et touristique de leur territoire, en direction d'une clientèle européenne issue principalement de l'Europe du Nord) ;

- aéroports d'export de voyageurs (s'appuyant également sur des compagnies à bas coûts, afin de transporter les passagers locaux vers des destinations étrangères) ;

- aéroports de désenclavement (ayant en commun des tissus industriels et tertiaires nécessitant, du fait de leur éloignement géographique, une connexion aérienne afin d'accéder à la région parisienne et, le cas échéant, à son hub. Ces lignes bénéficient souvent d'un subventionnement public, sur le modèle des lignes d'aménagement du territoire ;

- aéroports d'aviation d'affaire et d'aviation générale (structures diverses opérant aujourd'hui en complément du réseau commercial : activités de transport de dirigeants, de cadres et de clients ; activités touristiques pour une clientèle aisée (ex. Courchevel) ; activités industrielles, notamment de maintenance (ex. Morlaix)...).

Typologie des aéroports métropolitains

Source : Rapport sur le maillage aéroportuaire français, CSAC / CGET

Cette cartographie s'appuie sur des données de 2014 et mériterait d'être périodiquement actualisée pour la métropole comme pour les territoires ultra-marins.

Proposition n° 2 :   Actualiser périodiquement la cartographie du maillage aéroportuaire métropolitain et engager une démarche analogue pour les territoires ultra-marins.

b) La métropolisation du trafic de passagers, reflet du renforcement des inégalités entre les territoires

La tendance à la métropolisation du trafic de passagers constitue une des principales conclusions du rapport précité sur le maillage aéroportuaire français : « un des phénomènes les plus marquants de la recomposition de nos territoires depuis une trentaine d'années vient de ce que les spécialistes appellent la métropolisation : elle se manifeste par une concentration des activités économiques les plus créatrices de valeur et des populations - en particulier les plus jeunes et les plus diplômés - dans les principales métropoles du pays. À quelques nuances près, la même tendance s'observe pour le transport commercial de passagers : au sein de chaque région, on assiste depuis une vingtaine d'années à une concentration du trafic dans les grandes plateformes régionale s ».

La métropolisation du trafic s'observe donc par l'augmentation importante des passagers dans les grands aéroports régionaux identifiés par le CGET, lesquels captent une part croissante du trafic passagers dans les régions (cf. tableau ci-dessous ).

Évolution de la métropolisation entre 1994 et 2014 du trafic passagers dans les régions ayant les trafics les plus importants (hors Île-de-France)

Part du trafic régional en %

1994

2014

PACA

Marseille-Provence

39,6

39,9

Nice- Côte d'Azur

52,7

57,3

92,3

97,2

Occitanie

Montpellier-Méditerranée

19,9

13,5

Toulouse-Blagnac

53,9

70,0

73,8

83,5

Auvergne-Rhône Alpes

Lyon-Saint-Exupéry

82,6

87,9

Grand Est

Bâle-Mulhouse

52,1

81,3

Strasbourg-Entzhim

41,4

14,5

93,5

95,8

Nouvelle Aquitaine

Bordeaux-Mérignac

62,2

64,8

Source : DGAC

Cette métropolisation se traduit par ailleurs par une part croissante du trafic des grands aéroports régionaux dans le trafic total en France ( cf. tableau ci-dessous), aux dépens notamment des autres aéroports de province.

Distribution du trafic de passagers des aéroports de France métropolitaine
en 1994 et 2014

Source : mission d'information d'après les données DGAC

Ces chiffres sont à mettre en perspective avec ceux de la croissance du trafic aérien depuis le début des années 2000, lequel a augmenté de 69,5 %, passant de 101,7 millions de passagers en 2000 à 172,4 millions de passagers en 2018. Cette tendance haussière cache en effet différentes dynamiques. Ainsi, si la part des vols Paris-province (lignes radiales) dans le trafic total a été divisée par deux (de 20,8 % à 9,5), dans le même temps, la part des vols internationaux est passée de 67,8 % en 2000 à 80,7 % en 2018 . Le recul relatif des vols Paris-province (lignes radiales), au profit des vols internationaux, s'est cependant accompagné d'une stabilité relative des vols province-province (lignes transversales).

Il est également intéressant de noter que sur la même période, les liaisons entre les outre-mer et l'international n'ont que peu progresser en nombre de passager, passant de 2,06 millions de passagers en 2000 à 2,4 millions en 2018. Compte tenu de la croissance globale sur cette période, la part des outre-mer dans le trafic international a régressé de 2 % du total à 1,4 % . À eux seuls, ces chiffres illustrent le déficit de connectivité internationale des outre-mer notamment avec les pays de leur bassin régional.

Évolution du trafic de passagers entre 2000 et 2018

2000

2018

En millions de passagers

En pourcentage du trafic total

En millions de passagers

En pourcentage du trafic total

Paris-province

21,16

20,8 %

16,34

9,5 %

Province-province

5,85

5,8 %

9,87

5,7 %

Métropole-outre-mer

3,75

3,7 %

4,67

2,7 %

Vols intérieurs outre-mer

1,91

1,9 %

2,62

1,4 %

France-international

Dont métropole-international

Dont outre-mer - international

69,01

66,95

2,06

67,8 %

65,8 %

2,0 %

138,86

136,46

2,40

80,7 %

79,2 %

1,4 %

Trafic total

101,69

100 %

172,36

100%

Source : DGAC (réponse au questionnaire)

Ces tendances reflètent la métropolisation du trafic de passagers en France : certains aéroports, de taille petite ou modeste, subissent le dynamisme moindre des lignes radiales, là où les grands aéroports régionaux sont stimulés par la bonne santé des lignes transversales et l'explosion des vols internationaux, dont ils bénéficient pour partie.

Cette métropolisation aéroportuaire n'est qu'une des manifestations de la métropolisation économique et démographique plus générale que connaît notre pays depuis vingt ans . Elle participe de l'aggravation des inégalités territoriales et infrarégionales .

La métropolisation du trafic de passagers, d'une part, et la recherche économique, démontrant le lien causal entre trafic aérien et croissance économique pour les régions périphériques, d'autre part, légitiment donc une politique publique de désenclavement des territoires par le transport aérien.

c) Une connectivité inégalitaire des territoires du centre et du sud de la France non résorbée par le maillage ferroviaire à grande vitesse

La métropolisation des centres économiques a été accentuée par le maillage ferroviaire à grande vitesse qui a considérablement réduit les temps de parcours le long des LGV mais laissé à l'écart de larges parts du territoire, notamment le Nord-Ouest (Normandie) et une vaste zone « Centre-Sud » située entre les LGV Sud-Est et Sud-Atlantique.

Carte de France isochrone des temps de parcours en TGV à partir de Paris
depuis la mise en service des LGV vers Rennes et Bordeaux le 1 er juillet 2017

Source : infographie Le Figaro à partir des données SNCF, RFF et Audia

Les temps de parcours ferroviaires sur les liaisons transversales, même combinés avec des trajets en TGV, demeurent longs. Ainsi, un Toulouse-Nantes, qui s'effectuait en 7 heures 14 en 1984 avec une correspondance à Bordeaux, est actuellement réalisé en 6 heures 43. Plus largement, les temps de parcours dépassent les 5 ou 6 heures sur de nombreuses lignes évoquées au cours de la mission : Bordeaux-Lyon (5 heures 22) ; La Rochelle-Lyon (6 heures 15) ; Bordeaux-Nice (9 heures 01) 15 ( * ) . Les utilisateurs des lignes Paris-Aurillac (6 heures 45) et Paris-Rodez (7 heures 05) ont même fait état de l'allongement de leur temps de parcours depuis la suppression de l'ancien train de nuit rapide « le Capitole » qui assurait la liaison Toulouse-Paris (l'actuel train Intercité de nuit effectue le trajet en 8 heures 22).

Au regard de ces éléments comparatifs, de son maillage aéroportuaire et de ses contraintes géographiques, juridiques et économiques, il semble donc à votre mission que ce mix français, s'articulant principalement autour du système des LAT, soit pertinent pour assurer le désenclavement des territoires.

L e modèle français s'appuie donc principalement sur la politique des routes, via des lignes d'aménagement du territoire, subventionnées selon le modèle des obligations de service publique (OSP). Le soutien aux aéroports constitue un axe de soutien important mais secondaire . Enfin , le soutien aux passagers se limite aux territoires ultramarins, visant plus à assurer la continuité du territoire qu'à en assurer l'aménagement.


* 10 Ont notamment été cités : R. Sellner, P. Nagl « Air accessibility and growth : The economic effects of a capacity expansion at Vienna International Airport », Journal of Air Transport Management, vol. 16, 2010 - K. Button, J. Yuan, « Airfreight Transport and Economic Development: An Examination of Causality », Urban Studies Journal, vol. n°50, 2013 - B. Blonigen, A. Cristea, « Air service and urban growth: Evidence from a quasi-natural policy experiment », Journal of Urban Economics, vol. n°86, 2015.

* 11 Table ronde sur l'économie du transport aérien (réunion plénière du 19 juin 2019).

* 12 E. Van De Vijver, B. Derudder, F, Witlox, « Air passenger transport and regional development: Cause and effect in Europe », Promet - Traffic & Transportation, 2016.

* 13 K. Mukkala, H. Tervo, « Air transportation and regional growth : which way does the causality run ? », Environment and Planning A, vol. n°45, 2013.

* 14 CSAC-CGET, Rapport sur le maillage aéroportuaire français, 2017.

* 15 Source : moteur de recherche des horaires sur le site internet www.oui.sncf .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page