LES PROPOSITIONS DE LA MISSION

Sept axes thématiques et 30 propositions concrètes
pour adapter le droit et partager de bonnes pratiques

Ø AXE 1 : Renforcer le suivi de la stratégie nationale du transport aérien pour le désenclavement des zones isolées

§ Proposition n° 1 : Instaurer un suivi partagé des mesures de mise en oeuvre de la stratégie nationale du transport aérien réunissant les participants aux Assises et comportant un bilan annuel présenté par le Gouvernement.

§ Proposition n° 2 : Actualiser périodiquement la cartographie du maillage aéroportuaire métropolitain et engager une démarche analogue pour les territoires ultra-marins.

Ø AXE 2 : Conforter les lignes d'aménagement du territoire

§ Proposition n° 3 : Conforter les compétences des départements en matière de transport aérien pour leur permettre de participer de manière sécurisée au financement des lignes d'aménagement du territoire (LAT) (disposition législative).

§ Proposition n° 4 : Mettre en place une cellule de soutien aux collectivités territoriales pour la mise en oeuvre et le suivi des délégations de service public (DSP) en matière de liaisons aériennes, ainsi que pour le développement des liaisons aériennes commerciales régionales.

§ Proposition n° 5 : Organiser des réunions rassemblant les collectivités porteuses de lignes d'aménagement du territoire pour favoriser le partage d'expériences et la diffusion de bonnes pratiques.

Ø AXE 3 : Améliorer la qualité de service des LAT

§ Proposition n° 6 : Renforcer le contrôle des opérateurs de DSP et de leurs sous-traitants en matière de transparence des comptes d'exploitation et de respect des obligations de service public (mesure réglementaire).

§ Proposition n° 7 : Inscrire la qualité du service aérien et de l'accueil des passagers au titre des indicateurs de performance des LAT et du futur contrat de régulation économique (CRE) d'Aéroports de Paris (mesure réglementaire).

§ Proposition n° 8 : Créer les conditions d'ouverture à davantage de concurrence dans la définition des besoins des DSP en modernisant leur encadrement réglementaire pour concilier au meilleur coût la garantie des besoins exprimés par les collectivités et la souplesse d'exploitation nécessaire (mesure réglementaire).

§ Proposition n° 9 : Veiller dans les DSP à la mise en place d'une politique tarifaire plus favorable à la clientèle VFR (Voyage, famille, relations) et de tourisme, en complément de la clientèle d'affaires.

Ø AXE 4 : Optimiser la gestion des aéroports par les collectivités territoriales

§ Proposition n° 10 : Permettre la décentralisation d'aérodromes d'intérêt local, en publiant le décret d'application de l'article L. 6311-1 du code des transports (mesure réglementaire).

§ Proposition n° 11 : Mettre en place un observatoire des modalités de gestion et des coûts de touchée des aérodromes appartenant à des collectivités territoriales.

§ Proposition n° 12 : Mieux reconnaître les compétences des départements en matière aéroportuaire pour sécuriser leurs interventions en faveur des aéroports de désenclavement situés sur leur territoire (disposition législative).

§ Proposition n° 13 : Encourager les autorités organisatrices de la mobilité à assurer la bonne desserte des aérodromes et à coordonner leurs actions de promotion du territoire, notamment en matière économique et touristique.

§ Proposition n° 14 : Encourager les régions qui ne se sont pas encore saisies du sujet à élaborer une stratégie aéroportuaire régionale définissant une typologie des aéroports de leur territoire.

§ Proposition n° 15 : Instituer des échanges réguliers entre les régions pour favoriser les partages de bonnes pratiques sur les stratégies aéroportuaires.

Ø AXE 5 : Ajuster les aides aux passagers ultramarins

§ Proposition n° 16 : Ouvrir une réflexion sur l'efficacité de l'aide à la continuité territoriale dans les collectivités du Pacifique en prenant en compte les effets dissuasifs liés à des restes à charges importants.

§ Proposition n° 17 : Dans les territoires où plusieurs aides existent, travailler à la mise en place d'un guichet unique pour faciliter l'attribution de l'aide la plus favorable au potentiel bénéficiaire.

§ Proposition n° 18 : Déployer des dispositifs d'aides permettant aux ultramarins de développer des liens, notamment professionnels, avec leur bassin régional.

Ø AXE 6 : Encourager la connectivité aérienne régionale

§ Proposition n° 19 : Ouvrir le droit aux collectivités territoriales d'obtenir une délégation de l'État pour l'organisation de liaisons d'aménagement du territoire vers les États membres de l'Union européenne (disposition législative).

§ Proposition n° 20 : Donner aux collectivités territoriales les outils d'analyse et de rationalisation des routes aériennes pour mieux identifier les besoins de nouvelles liaisons infra et interrégionales pour mieux desservir transversalement les territoires.

§ Proposition n° 21 : Inscrire dans la loi les compétences régionales en matière de transport aérien (disposition législative).

§ Proposition n° 22 : Faire connaitre le dispositif des aides au démarrage aux acteurs publics impliqués dans le développement des aéroports et du transport aérien.

§ Proposition n° 23 : Consulter les gestionnaires d'aéroports et les régions préalablement à l'engagement de négociations bilatérales sur les droits de trafic.

§ Proposition n° 24 : Organiser une conférence annuelle par bassin ultramarin pour encourager le développement des droits de trafic régionaux, afin de mieux connecter chacun des territoires à son environnement régional.

§ Proposition n° 25 : Expérimenter l'association de représentants des collectivités ultramarines, si elles le souhaitent, à la conduite des négociations bilatérales relatives aux droits de trafic dans leur environnement régional.

Ø AXE 7 : Inscrire la desserte aérienne des territoires dans une trajectoire durable

§ Proposition n° 26 : Concilier la taxation carbone du transport aérien avec l'objectif d'aménagement du territoire en exonérant les LAT et les outre-mer et en instaurant un abattement prenant en compte le degré de substituabilité entre l'aérien et le train.

§ Proposition n° 27 : Orienter le produit de la taxation en priorité vers le financement de la recherche en faveur du transport aérien de demain en complément du financement de l'Afitf.

§ Proposition n° 28 : Intégrer des critères environnementaux dans les DSP pour orienter les compagnies vers l'utilisation des aéronefs les plus efficients en matière d'économie de carburant et de réduction des émissions carbone.

§ Proposition n° 29 : Développer la filière de production et d'approvisionnement en biocarburants aéronautiques localisée dans les territoires.

§ Proposition n° 30 : Faire de l'aviation régionale française le laboratoire du développement du transport aérien hybride et décarboné de demain

I. LE SOUTIEN AU TRANSPORT AÉRIEN COMME INSTRUMENT DU DÉSENCLAVEMENT DES TERRITOIRES

A. UNE PRATIQUE LARGEMENT PARTAGÉE À L'ÉTRANGER : DES DIFFÉRENCES ET DES BONNES PRATIQUES À RETENIR

1. Les cinq grands modèles d'intervention de la puissance publique dans le monde

Il existe dans le monde cinq grands modèles d'intervention publique pour favoriser le désenclavement des territoires par le transport aérien 6 ( * ) .

La première méthode est une politique fondée sur les routes , qui s'appuie sur le financement par la puissance publique de lignes aériennes non rentables. Ce système est privilégié par la majorité des pays occidentaux en raison de ses avantages : son périmètre d'action relativement clair, permettant un encadrement des coûts, la fixation contractuelle de la qualité, du prix, des fréquences, etc . Il prend souvent, comme en France, la forme d'un système avec des obligations de service public (OSP) . Ce modèle n'est pourtant pas sans inconvénients : il est ainsi observé, du fait de l'absence de concurrence, une dégradation de la qualité de service tout au long du contrat, avec un pic d'amélioration sur les derniers mois, juste avant le renouvellement du contrat. Selon la « théorie de l'agence » , développée notamment par Jensen & Meckling (1976) 7 ( * ) , l'inefficacité du modèle réside dans l'asymétrie d'information existant entre le principal (la puissance publique délégataire) et l'agent (la compagnie aérienne), ce dernier étant détenteur d'un savoir technique que le premier n'est pas nécessairement apte à contrôler ou appréhender. Pour pallier le risque d'inefficacité induit par la relation « principal/agent », la théorie économique préconise, d'une part, d'inciter l'agent par un intéressement sur le bénéfice du principal ou au contraire de pénaliser la méconnaissance par l'agent du contrat, et, d'autre part, de favoriser la remontée d'informations de l'agent vers le principal. Ces préconisations théoriques peuvent guider la bonne gestion des lignes sous OSP.

La deuxième approche, principalement appliquée en Inde, est une politique fondée sur le réseau , consistant à classer les aéroports du pays entre aéroports de premier, de deuxième et de troisième rang. Dans ce modèle, si une compagnie décide d'accroître le trafic dans les aéroports de premier rang, elle doit s'engager à un pourcentage de capacité supplémentaire similaire dans les aéroports de deuxième et de troisième rang. Non coûteux pour la puissance publique mais très dirigiste, cette approche semble peu pertinente en France ou en Europe, où elle serait probablement contraire au droit communautaire.

La troisième option s'appuie sur le soutien aux passagers . Privilégiée en Espagne, au Portugal, ou encore en Ecosse, cette politique permet aux voyageurs de bénéficier de vols à tarifs réduits, par un système de pourcentage sur les billets d'avion, ou de vols à tarif constant, indépendamment des variations tarifaires qui sont proposées par les compagnies aériennes. Si ce modèle préserve la concurrence et maintient la qualité de service, il est très coûteux pour l'État . Ainsi, le budget espagnol de subvention pour les passagers est supérieur à l'ensemble du budget des OSP pour l'Europe entière. Par ailleurs, ce mécanisme n'est pas incitatif pour les passagers qui ne sont pas locaux, les touristes, notamment, devant payer plus cher pour compenser le manque à gagner de la compagnie aérienne sur les billets à tarif réduit. Ce système tend donc à diminuer l'attractivité touristique et les investissements étrangers dans ces régions.

La quatrième approche est une politique fondée sur les compagnies aériennes, comme en Bolivie ou en Colombie, dans laquelle la puissance publique crée une compagnie aérienne spécialement dédiée à l'aménagement du territoire. Cette approche semble incompatible avec le droit de la concurrence.

Enfin, la dernière option consiste en une politique fondée sur les aéroports, subventionnés voire détenus pour tout ou partie par la puissance publique. En permettant de proposer des charges aéroportuaires plus faibles, ce modèle contribue à améliorer l'attractivité des plateformes pour les compagnies aériennes. S'il est mal conçu, il comporte cependant des risques importants de surenchère entre aéroports dont les zones de chalandise peuvent se recouper, et de mise en concurrence des plateformes par les compagnies aériennes.

2. Quelques exemples étrangers de législation et de bonnes pratiques comparées
a) Trois pays membres de l'Union européenne : Italie, Espagne et Suède

En Italie, le choix des aéroports d'intérêt national , - 38 au total -, est indexé sur la préservation du développement territorial et comporte, hormis les trois plus grands aéroports classés « portails intercontinentaux » (Rome Fiumicino, Milan Malpensa et Venise), de nombreux chefs-lieux de petites régions et de provinces répartis de façon homogène sur le territoire : Bergame, Gênes et Trieste dans le nord, Brindisi, Reggio Calabra, Lampedusa dans le sud. Cette classification des aéroports est fixée par décret avec l'accord de la Conférence permanente pour les rapports entre l'État et les régions. Il est intéressant de relever qu'il existe un comité de coordination technique auprès du ministre des transports composé de représentants du Gouvernement, des régions et du secteur aéronautique pour coordonner les politiques de développement des aéroports d'intérêt régional.

À la différence de l'Italie où les régions sont les interlocutrices privilégiées de l'État dans l'organisation de la continuité territoriale et l'organisation des appels d'offres, l'Espagne se caractérise par la compétence exclusive de l'État en matière de transport aérien et une politique orientée en faveur des passagers résidant dans les zones isolées . Les communautés autonomes peuvent solliciter l'action de l'État mais elles jouent un rôle plus subordonné dans la mise en oeuvre des politiques.

Cette politique de soutien aux passagers s'avère coûteuse et dynamique, en direction notamment des habitants des Canaries et des Baléares, pour une charge sur le budget de l'État estimée entre 300 et 350 millions d'euros pour quelque 9 millions de trajets subventionnés, soit un montant total supérieur à la totalité des dépenses publiques de compensation d'OSP sur le transport aérien dans les autres pays de l'Union européenne.

Toutefois, votre rapporteure a relevé que le principe de fixation dans les OSP de tarifs de référence (90 euros pour Badajoz-Madrid (400 kilomètres) et 140 euros pour Badajoz-Barcelone (1 000 kilomètres)) pouvait inspirer le système français dans lequel les tarifs aller-retour sur certaines lignes d'aménagement du territoire franchissent aisément les 500 euros. En Espagne, les tarifs maximaux ne peuvent excéder de plus de 25 % les tarifs de référence, les promotions ne pouvant pas être soumises à des conditions si elles ne constituent pas des rabais supérieurs à 20 %.

Le modèle suédois est fondé sur un état des lieux de l'accessibilité des territoires par rapport à la capitale mais aussi par rapport aux liaisons internationales, aux métropoles, aux hôpitaux et aux universités. Selon cette grille d'analyse, 40 communes font l'objet de mesures d'accessibilité prioritaires, continues ou accrues. Depuis les années 80, l'État organise des liaisons aériennes entre villes dépendantes d'un même hôpital (entre Östersund et Umea distantes de 350 kilomètres). Depuis 1999 et la création de l'autorité suédoise chargée des transports, 10 lignes de service public sont opérées depuis Stockholm vers le nord du pays, frontalier de la Norvège et de la Finlande, pour un montant annuel de 8,3 millions d'euros de compensation de l'État en 2016.

Par ailleurs, la Suède applique un plafonnement du prix des billets ainsi que des réductions pour les enfants et les étudiants. En matière de transparence, il est également intéressant de relever que les compagnies attributaires doivent rendre compte mensuellement et publiquement de l'exécution du marché (nombre de places offertes et vendues, nombre de vols effectués), ces données étant publiées sur internet.

b) Trois pays hors Union européenne : Canada, Australie et Colombie

Au Canada , avant 1996 et l'ouverture généralisée à la concurrence du transport aérien et du transfert au secteur privé du contrôle et de la sécurité du trafic aérien, auparavant compétence fédérale, la politique de connectivité et de désenclavement s'appuyait principalement sur Air Canada, propriété de l'État, et des compagnies régionales auxquelles étaient assignées des missions de service public. Avec la dérégulation du trafic aérien, la politique canadienne des transports prévoit que la « concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de service de transport viables et efficaces ». Il n'est plus fait mention d'objectif de désenclavement, de continuité territoriale ou de cohésion nationale. Aussi, les compagnies régionales desservant le Grand Nord sont-elles devenues les « bras armés » des communautés Inuits et Premières Nations du Grand Nord qui en ont fait l'acquisition, soit directement, soit via les sociétés d'investissement en charge du versement des indemnités versées à la population Inuit. Le soutien public a été maintenu en matière d'infrastructures au moyen d'un programme d'aide aux immobilisations aéroportuaires (PAIA) au profit de plateformes régionales offrant des vols pour au moins 1 000 passagers par an et au plus 525 000.

En Australie , le gouvernement fédéral organise et finance des programmes de soutien au transport régional pour assurer la desserte aérienne des zones isolées, comprenant le soutien aux lignes aériennes mais aussi la modernisation des aérodromes reculés. La notion d'isolement comprend aussi bien la desserte d'une ferme familiale comprenant seulement 6 personnes que des tribus aborigènes de quelques centaines de membres . Le budget consacré à ces services aériens s'établit annuellement à environ 8,5 millions d'euros. De plus, environ 20,7 millions d'euros ont été consacrés à la modernisation des aérodromes sur la période 2015-2020, qu'il s'agisse d'infrastructures nécessaires au trafic passagers ou seulement du service médical mobile ( Royal Flying Doctor Service ).

La Colombie continue à assurer la connectivité vers ses régions au moyen d'une compagnie aérienne à capitaux publics. La compagnie SATENA ( Servicio Aéreo a Territorios Nacionales ) est l'instrument de l'intégration des zones montagneuses et les plus reculées avec la particularité d'opérer des aéronefs militaires sur quelque 50 lignes protégées de la concurrence des compagnies privées. La connectivité vers les zones isolées non desservies par des liaisons régulières est assurée par des compagnies d'aérotaxis.


* 6 Audition de Paul Chiambaretto reprenant de récents travaux de recherche : X. Fageda, A. Suárez-Alemán, T. Serebrisky, R. Fioravanti, « Air connectivity in remote regions: A comprehensive review of existing transport policies worldwide », Journal of Air Transport Management, vol. 66, 2018.

* 7 M. Jensen, W. Meckling, « Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure », Journal of Financial Economics, vol. 3, n o 4,ý 1976.

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