Rapport d'information n° 624 (2018-2019) de Mme Corinne IMBERT , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 3 juillet 2019

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N° 624

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juillet 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l'enquête de la Cour des comptes sur la politique de prévention et de prise en charge du VIH ,

Par Mme Corinne IMBERT,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe .

LISTE DES SIGLES

AME

Aide médicale de l'État

ANRS

Agence nationale de recherche sur le Sida et les hépatites virales

ARS

Agence régionale de santé

CeGIDD

Centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic

Cnam

Caisse nationale d'assurance maladie

Cnil

Commission nationale de l'informatique et des libertés

CNS

Conseil nationale du Sida et des hépatites virales

Corevih

Comité de la coordination régionale de la lutte contre l'infection par le VIH

DMP

Dossier médical partagé

ENS

Espace numérique de santé

HAS

Haute Autorité de santé

HSH

Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes

Inserm

Institut national de la santé et de la recherche médicale

IST

Infection sexuellement transmissible

PrEP

Prophylaxie pré-exposition

Sida

Syndrome d'immunodéficience acquise

TPE

Traitement post-exposition

TROD

Test rapide d'orientation diagnostique

VIH

Virus de l'immunodéficience humaine

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS
DE LA RAPPORTEURE

___________

Proposition n° 1

Mettre en place un portail unique de déclaration des cas diagnostiqués de VIH et de Sida géré conjointement par Santé publique France et la caisse nationale d'assurance maladie.

Proposition n° 2

Généraliser l'accès au dépistage gratuit sans prescription dans les laboratoires de biologie médicale.

Proposition n° 3

Autoriser la vente libre d'autotests en officines et leur mise à disposition gratuite dans les centres et associations habilités ainsi que dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire.

Proposition n° 4

Autoriser la réalisation de TROD VIH gratuits dans les pharmacies d'officine volontaires disposant d'un espace de confidentialité et dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire.

Proposition n° 5

Créer un « pass santé sexuelle » pour les populations les plus exposées aux IST (jeunes de moins de 25 ans, HSH, migrants) leur permettant d'avoir un accès gratuit aux préservatifs et à tout outil de dépistage, en priorité dans les territoires où l'incidence de la contamination au VIH est la plus élevée.

Proposition n° 6

Expérimenter la notification anonyme et gratuite par des structures habilitées des partenaires de personnes ayant découvert leur positivité à la recherche d'une IST, sous réserve de l'avis de la HAS et de la Cnil.

Proposition n° 7

Instituer une alerte tous les cinq ans via le DMP et l'ENS invitant à procéder à un dépistage d'IST.

Proposition n° 8

Étendre, après avis de la HAS, la prescription de la PrEP aux mineurs et autoriser sa primo-prescription en médecine de ville et en médecine scolaire du second degré et universitaire.

Proposition n° 9

Développer les téléconsultations sans restrictions au niveau des CeGIDD et des centres et associations habilités pour la prescription de la PrEP et du TPE.

Proposition n° 10

Étendre la délivrance des premières prises du TPE à la médecine de ville et aux officines.

Proposition n° 11

Inscrire dans les missions des hôpitaux de proximité une responsabilité dans la protection de la santé sexuelle des populations de leur territoire de ressort.

Proposition n° 12

Garantir la prise en compte dans les projets régionaux de santé des objectifs et actions de lutte contre les IST définis par la stratégie nationale de santé sexuelle.

Proposition n° 13

Renforcer la participation du ministère de la santé à la politique de soutien à la recherche sur le VIH et regrouper l'ensemble des crédits de cette politique dans la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ».

Proposition n° 14

Réviser les statuts du fonds mondial de lutte contre le Sida afin de permettre aux agences nationales de recherche de candidater à ses appels à projets.

Proposition n° 15

Renforcer le soutien financier public aux acteurs de la médiation sanitaire afin de faciliter leur formation aux parcours de soins associés à la prévention et à la prise en charge du VIH.

Proposition n° 16

Mettre en place un entretien d'accompagnement spécifique par le pharmacien pour les patients vivant avec le VIH.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, la commission des affaires sociales du Sénat a demandé à la Cour des comptes, le 11 décembre 2018, de réaliser une enquête sur la politique de prévention et de prise en charge du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) .

Cette enquête vient actualiser les constats, analyses et recommandations formulés par la Cour des comptes dans une communication de 2009 1 ( * ) . Dix ans plus tard, la dynamique de l'épidémie n'a toujours pas fléchi en France : Santé publique France recense 6 424 nouvelles découvertes de séropositivité en 2017 2 ( * ) , soit un taux de nouvelles découvertes de 7,8 pour 100 000 habitants, supérieur de 2,3 points à la moyenne de l'Union européenne et même de 3,6 points au taux enregistré en Allemagne (4,2). Dans un contexte de relâchement de la prévention chez les jeunes , chez lesquels le recours au préservatif semble de moins en moins systématique alors qu'ils sont parmi les plus exposés aux infections sexuellement transmissibles (IST), cette enquête s'imposait.

Ses résultats ont été présentés à la commission le 3 juillet 2019 par M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes. Les travaux de la Cour mettent en lumière les limites de la politique actuelle de prévention qui, en l'état, ne permettra pas à la France d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixés dans le cadre de la stratégie nationale de santé sexuelle afin d'en finir avec l'épidémie du sida d'ici 2030 3 ( * ) , à savoir réaliser la « cascade » suivante dès 2020 : 95 % des personnes séropositives doivent connaître leur statut, parmi lesquelles 95 % doivent être prises en charge et sous traitement, parmi lesquelles 95 % doivent avoir une charge virale indétectable et être donc non contaminantes.

En définitive, l'objectif est donc de parvenir, en France en 2020, à une suppression de la charge virale chez au moins 86 % 4 ( * ) de l'ensemble des personnes vivant avec le VIH . Or, selon les données de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) 5 ( * ) , les résultats de la « cascade » n'ont abouti, en 2016, qu'à une proportion de 73 % de personnes vivant avec le VIH et présentant une charge virale indétectable.

En effet, avec 24 000 personnes ignorant leur séropositivité et 7 425 personnes diagnostiquées mais ne faisant pas l'objet d'une prise en charge en 2016, une « épidémie cachée » persiste en France et serait responsable de plus de 60 % des nouvelles contaminations. Par comparaison, le nombre de personnes ignorant leur séropositivité au Royaume-Uni était évalué à 13 000 en 2016 par l'agence de santé publique britannique 6 ( * ) , soit un nombre 46 % inférieur à celui des personnes séropositives non diagnostiquées en France.

Votre rapporteure partage la très grande majorité des constats et recommandations formulées par la Cour des comptes ; elle estime indispensable d'en tirer toutes les conséquences et d'aller plus loin dans le déploiement d'une politique de prévention résolument décomplexée, en levant les obstacles juridiques et financiers qui restreignent l'accès aux outils de dépistage et aux traitements préventifs. Elle appelle, par ailleurs, à intensifier les efforts des pouvoirs publics et de la recherche pour une prise en charge gratuite et efficace, articulée autour de schémas thérapeutiques aisément observables, en faveur des patients les plus exposés, en particulier des personnes rencontrant le plus de difficultés dans l'accès aux soins. Ses propositions s'inscrivent, à cet égard, dans le prolongement et en complémentarité avec les recommandations formulées par la Cour des comptes.

I. POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE L'ÉPIDÉMIE

L'objectivation de l'épidémie de VIH reste un exercice difficile en France, en dépit de l'institution en 2003 de la déclaration obligatoire des patients atteints par le VIH par les biologistes médicaux et les cliniciens. Les données de cette déclaration obligatoire coexistent avec les données médicalisées collectées par l'Inserm auprès des hôpitaux, sans véritable articulation. Dans ses recommandations, la Cour des comptes invite ainsi à renforcer le caractère exhaustif de la déclaration obligatoire, en relevant un taux d'exhaustivité médiocre de 70 % pour les biologistes et 49 % pour les médecins en 2015, et en déplorant que « vingt ans après la mise en place d'une déclaration obligatoire à tous les stades de la maladie, la France reste toujours dans l'attente d'un dispositif fiable de recueil, malgré le progrès que constitue le passage à [la déclaration par voie électronique] e-DO [en juillet 2016] . »

À cet égard, votre rapporteure plaide pour la mise en place d'un portail centralisé de déclaration des cas diagnostiqués de VIH et de Sida qui serait géré conjointement par Santé publique France et la caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Sur le modèle britannique du « HIV and AIDS Reporting System » (HARS), ce portail unique de saisie des cas anonymisés doit impérativement, selon elle, être interopérable avec les systèmes d'information hospitaliers, de l'assurance maladie, des cliniciens et des laboratoires de biologie médicale. En garantissant une meilleure articulation des systèmes d'information, il faciliterait grandement le travail des professionnels de santé et préviendrait les doublons dans les analyses épidémiologiques.

Proposition n° 1 : Mettre en place un portail unique de déclaration des cas diagnostiqués de VIH et de Sida géré conjointement par Santé publique France et la caisse nationale d'assurance maladie.

II. POUR UNE PRÉVENTION RÉSOLUMENT DÉCOMPLEXÉE

• Objectif 1 : Maximiser l'accès aux outils de dépistage

Le contrôle de l'épidémie de VIH suppose, en premier lieu, la réduction significative du nombre de personnes séropositives qui s'ignorent . En la matière, les hésitations des pouvoirs publics ne sont plus permises. La démarche de dépistage reste encore délicate dans notre société en raison du tabou et des stigmates qui entourent toute initiative personnelle en matière de santé sexuelle. Solliciter de son médecin traitant une ordonnance pour un test de dépistage d'IST, se rendre dans un centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) pour une consultation de prophylaxie pré-exposition (PrEP) ou encore acheter un autotest en pharmacie n'a malheureusement encore rien d'évident. Il convient, par conséquent, de ne pas entraver de telles démarches par des contraintes réglementaires et financières mais, bien au contraire, de les encourager, de les faciliter et, à terme, de les « normaliser ».

Votre rapporteure salue ainsi le lancement, à partir du 1 er juillet 2019, d'une première phase d'expérimentation de dépistages gratuits sans ordonnance en laboratoire à Paris et dans le département des Alpes-Maritimes, deux zones où l'incidence de l'infection au VIH reste élevée. Elle regrette, néanmoins, qu'une telle expérimentation ne soit pas déployée en Guyane car elle aurait permis d'y concevoir une procédure spécifique d'accès au dépistage en laboratoire en direction des populations migrantes qui ne disposent pas de numéro de sécurité sociale.

En tout état de cause, votre rapporteure partage pleinement la recommandation n° 8 de l'enquête de la Cour des comptes et estime incontournable la généralisation du dépistage gratuit sans prescription dans les laboratoires de biologie médicale , qui doit ainsi intervenir dès que les résultats des premières expérimentations seront connus. Lors de son audition par votre commission le 3 juillet 2019, M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes, a confirmé que « dans un schéma financièrement équilibré et sous réserve d'une évaluation au terme de deux ou trois ans, la Cour propose d'ouvrir largement et sans conditions l'accès aux laboratoires pour les sérologies, notamment parce que le réseau des laboratoires couvrent tout le territoire et que, dans certains endroits, il est sans doute plus aisé de trouver un laboratoire qu'un médecin traitant. » Le coût d'une telle mesure, encore difficile à estimer, pourrait avoisiner les 100 millions d'euros.

Dans le même esprit, votre rapporteure considère que cet accès au dépistage gratuit doit être universel en bénéficiant aux assurés disposant d'un numéro de sécurité sociale comme aux personnes ne disposant pas d'identifiant national de santé, et ne saurait faire l'objet d'aucune limitation , qu'il s'agisse de « quotas » de tests par personne par an ou d'un délai minimal entre deux tests consécutifs.

Proposition n° 2 : Généraliser l'accès au dépistage gratuit sans prescription dans les laboratoires de biologie médicale.

L'accès des populations les plus exposées aux autres outils de dépistage doit, en outre, être considérablement facilité. La dispensation d'autotests 7 ( * ) en pharmacies d'officine reste insuffisante alors que cet outil est plébiscité par un nombre croissant de personnes dans d'autres pays européens et aux États-Unis, en particulier par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). La Cour relève ainsi, dans son enquête, que seulement 35,5 % des pharmacies disposaient, en décembre 2018, d'autotests à la vente alors qu'elles étaient 47,9 % en décembre 2016. De même, cet outil demeure difficilement accessible aux jeunes, alors que l'accès de cette population aux tests de grossesse ou aux moyens contraceptifs d'urgence, notamment la pilule du lendemain, est possible en pharmacie comme dans les services de santé scolaire ou universitaire.

Votre rapporteure recommande, par conséquent, l'autorisation de la vente libre des autotests en officines , sans entretien préalable avec le pharmacien, et leur mise à disposition à titre gratuit tant dans les centres et associations habilités que dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire , sous réserve que ces tests soient accompagnés de notices d'utilisation plus détaillées renseignant l'utilisateur sur la marche à suivre en fonction du résultat et l'orientant vers les structures pertinentes .

Proposition n° 3 : Autoriser la vente libre d'autotests en officines et leur mise à disposition gratuite dans les centres et associations habilités ainsi que dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire.

Comme l'autotest, le test rapide d'orientation diagnostique (TROD) permet, de façon simple et rapide, de dépister une infection à la suite d'une exposition datant de plus de trois mois, sous réserve, en cas de résultat positif, de le faire confirmer par une sérologie. Aux termes de l'article L. 6211-3 du code de la santé publique 8 ( * ) , les TROD ne constituent pas des examens de biologie médicale et peuvent donc, à ce titre, être réalisés en dehors des laboratoires de biologie médicale par des catégories de personnes définies par arrêté.

La loi « Santé » du 26 janvier 2016 a étendu la réalisation des TROD VIH aux non-professionnels de santé ayant reçu une formation adaptée et relevant de structures de prévention et associatives et l'a autorisée sur des personnes mineures. Compte tenu de la rédaction en vigueur de l'article L. 6211-3 du code de la santé publique, un arrêté du 1 er août 2016 9 ( * ) réserve la réalisation des TROD aux professionnels de santé et non-professionnels de santé dûment formés à cet effet et exerçant dans un établissement ou service médico-social impliqué dans la prévention sanitaire ou dans une structure associative habilitée.

L'enquête de la Cour des comptes fait néanmoins état d'une utilisation encore marginale des TROD VIH : ils n'ont représenté que 2 % des dépistages pratiqués en 2016 par les structures associatives habilitées, alors même qu'ils présentent « des taux de découverte de séropositivité [...] plus élevés, ce qui démontre leur utilité et justifierait une diffusion plus large auprès des associations. »

Dans ces conditions, votre rapporteure préconise la maximisation des points d'accès aux TROD VIH qui devraient pouvoir être réalisés partout à titre gratuit 10 ( * ) et pris en charge par l'assurance maladie sans avance de frais . La réalisation des TROD VIH pourraient ainsi être autorisée dans toutes les pharmacies d'officine volontaires disposant d'un espace de confidentialité , celles-ci ayant déjà la possibilité de réaliser, sans prescription, des TROD oro-pharyngés pour le diagnostic de l'angine et de la grippe. De même, les TROD VIH pourraient être accessibles dans tous les services de santé scolaire du second degré et universitaire .

D'une façon générale, un effort de formation devra être déployé, en partenariat avec le conseil national de l'ordre des pharmaciens, en direction des pharmaciens afin de faciliter la réalisation des TROD VIH et de garantir une bonne information des personnes et leur orientation vers les structures pertinentes en fonction des résultats du test.

Proposition n° 4 : Autoriser la réalisation de TROD VIH gratuits dans les pharmacies d'officine volontaires disposant d'un espace de confidentialité et dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire.

Afin de maximiser l'accès des populations à risque aux outils de prévention dans les territoires où l'incidence de la contamination au VIH est la plus élevée, sans que le coût constitue une barrière, votre rapporteure propose par ailleurs la création d'un « pass santé sexuelle » qui serait attribué gratuitement à tout jeune de moins de 25 ans, aux hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes et aux migrants, y compris ceux bénéficiant de l'aide médicale de l'État ou ne pouvant en bénéficier , et qui leur permettrait d'avoir accès gratuitement dans les services hospitaliers, sociaux et médico-sociaux, dans les structures associatives habilitées, dans les CeGIDD, dans les laboratoires de biologie médicale, dans les officines et dans les services de santé scolaire et universitaire à des préservatifs et à tout outil de dépistage (tests sanguins, autotest et TROD).

Proposition n° 5 : Créer un « pass santé sexuelle » pour les populations les plus exposées aux IST (jeunes de moins de 25 ans, HSH, migrants) leur permettant d'avoir un accès gratuit aux préservatifs et à tout outil de dépistage, en priorité dans les territoires où l'incidence de la contamination au VIH est la plus élevée.

Par ailleurs, et sous réserve de l'avis de la HAS sollicité sur cette question par le Gouvernement mais également de l'avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sur les éventuels risques posés en termes de protection des données personnelles, une notification anonyme et gratuite par des structures habilitées des partenaires de personnes ayant découvert leur positivité à la recherche d'une IST pourrait être expérimentée, sur le modèle québécois.

Proposition n° 6 : Expérimenter la notification anonyme et gratuite par des structures habilitées des partenaires de personnes ayant découvert leur positivité à la recherche d'une IST, sous réserve de l'avis de la HAS et de la Cnil.

Enfin, en population générale, il apparaît indispensable de dépasser la recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) préconisant au moins un dépistage au moins une fois dans la vie, du reste vraisemblablement peu suivie et difficilement évaluable.

Dans son enquête, la Cour des comptes préconise l'organisation par les pouvoirs publics, à partir de l'expertise scientifique de la HAS et de l'avis du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) sur l'acceptabilité sociale et éthique, d'un large débat sur la possibilité de mettre en place un dépistage organisé du VIH et des hépatites en population générale . La Cour rappelle qu'une expérimentation conduite en Guyane auprès de plus des deux tiers des médecins généralistes installés dans ce territoire a montré la bonne acceptabilité par les médecins comme par les patients d'une proposition systématique de dépistage en population générale, via la mise à disposition gratuite de TROD VIH chez ces médecins. Dans ces conditions, la Cour recommande, à travers sa recommandation n° 9, la mise en place d'un dépistage organisé en population générale intégré dans une consultation de prévention ou de santé sexuelle en s'appuyant notamment sur les TROD .

Par conséquent, votre rapporteure plaide pour la mise en place d'une notification périodique, qui prendrait la forme d'un message d'alerte tous les cinq ans, via le dossier médical partagé (DMP) et l'espace numérique de santé (ENS) dont l'ouverture a été rendue automatique pour tous par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui devrait être adopté définitivement très prochainement par le Parlement.

Proposition n° 7 : Instituer une alerte tous les cinq ans via le DMP et l'ENS invitant à procéder à un dépistage d'IST.

• Objectif 2 : Maximiser l'accès aux traitements préventifs

La découverte de la capacité des combinaisons d'antirétroviraux à empêcher la multiplication du VIH et donc à permettre au système immunitaire d'éliminer le virus peu après une exposition, dans le cadre de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) ou du traitement post-exposition (TPE), constitue une véritable révolution. Si l'accès à ces traitements préventifs est maximisé et leur observance accompagnée, l'évolution du nombre de nouvelles découvertes de séropositivité pourra être maîtrisée.

Lors de son audition par votre commission, M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes, a souligné que « les conditions d'accès aux CeGIDD ne sont pas toujours simples, leurs horaires d'ouverture sont souvent restreints, ces centres sont souvent saturés : par conséquent, là encore, il est préférable jouer la redondance des capacités de prescription que le resserrement sur des structures dédiées. » Dans cet esprit, la recommandation n° 7 de l'enquête de la Cour appelle à un renforcement de la diffusion des prophylaxies pré et post-exposition , sous réserve d'une réévaluation des critères d'éligibilité par la HAS, en diversifiant les points d'accès, notamment en assurant la primo-prescription par les médecins de ville.

À l'heure actuelle, la PrEP ne peut toujours pas être prescrite aux mineurs, alors même que certains d'entre eux sont particulièrement vulnérables au risque d'infection par le VIH. Il est temps de lever cette restriction, tout en adaptant le protocole de prescription et de suivi à leur situation particulière. En outre, les consultations destinées à la primo-prescription de la PrEP, effectuées dans les CeGIDD ou d'autres structures habilitées, continuent d'être perçues par les personnes souhaitant se protéger comme stigmatisantes. La prise de la PrEP continue en effet d'être associée dans l'imaginaire collectif à des comportements à risque alors même qu'elle constitue en soi un acte de responsabilité. Votre rapporteure recommande, par conséquent, d' étendre, après avis de la HAS, la primo-prescription de la PrEP à la médecine de ville et à la médecine scolaire du second degré et universitaire .

Les dispositions introduites par le Sénat dans le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé en faveur de la protection de la confidentialité des données de santé sexuelle des jeunes, tant au niveau du DMP et de l'ENS que du dossier pharmaceutique, devraient garantir la non-saisie des données de prise en charge de la PrEP dans les données de remboursement de leurs parents.

Proposition n° 8 : Étendre, après avis de la HAS, la prescription de la PrEP aux mineurs et autoriser sa primo-prescription en médecine de ville et en médecine scolaire du second degré et universitaire.

La télémédecine peut également constituer un moyen de préserver la confidentialité et l'intimité de la personne souhaitant s'engager dans une prise de PrEP, sous réserve qu'elle ait procédé aux tests et prélèvements préalables. À cet égard, l'obligation d'avoir consulté physiquement le médecin prescripteur au moins une fois dans les douze mois précédant la téléconsultation n'apparaît pas pertinente et devrait donc être levée pour toutes les téléconsultations de primo-prescription de la PrEP, et a fortiori pour la délivrance du TPE qui intervient par définition dans une situation d'urgence.

Proposition n° 9 : Développer les téléconsultations sans restrictions au niveau des CeGIDD et des centres et associations habilités pour la prescription de la PrEP et du TPE.

Enfin, compte tenu des inégalités territoriales dans l'accès aux traitements préventifs, votre rapporteure préconise :

- l' extension de la délivrance, à tout le moins, des premières prises du TPE à la médecine de ville et aux officines ;

- l' inscription dans les missions des hôpitaux de proximité d'une responsabilité dans la protection de la santé sexuelle des populations de leur territoire de ressort, en prenant en charge les personnes nécessitant de suivre un traitement préventif, notamment un TPE, ou en les redirigeant vers la structure appropriée ;

- la prise en compte par les projets régionaux de santé des agences régionales de santé (ARS) des objectifs et actions de lutte contre les IST définis par la stratégie nationale de santé sexuelle . Ces projets doivent permettre de coordonner sur les territoires les interventions des différents acteurs de la santé sexuelle et de garantir la cohérence des parcours de soins. Cette proposition rejoint la recommandation n° 5 de l'enquête de la Cour des comptes qui invite à confier aux ARS l'animation territoriale de la lutte contre le VIH et à renforcer les comités de la coordination régionale de la lutte contre l'infection par le VIH (Corevih) dans leur mission d'organisation des parcours.

Proposition n° 10 : Étendre la délivrance des premières prises du TPE à la médecine de ville et aux officines.

Proposition n° 11 : Inscrire dans les missions des hôpitaux de proximité une responsabilité dans la protection de la santé sexuelle des populations de leur territoire de ressort.

Proposition n° 12 : Garantir la prise en compte dans les projets régionaux de santé des objectifs et actions de lutte contre les IST définis par la stratégie nationale de santé sexuelle.

III. POUR UNE PRISE EN CHARGE GRATUITE ET EFFICACE

• Objectif 3 : Garantir une prise en charge efficace au service de la prévention

La suppression de la charge virale des personnes vivant avec le VIH, en la maintenant à un niveau indétectable, constitue un élément déterminant de la « cascade » précitée et un moyen majeur de prévention et de contrôle de l'épidémie. Elle garantit également aux personnes vivant avec le VIH une vie sociale et sexuelle épanouie.

La suppression de la charge virale est conditionnée à la bonne observation des traitements antirétroviraux. Celle-ci est facilitée par des schémas thérapeutiques privilégiant la réduction du nombre et des prises d'antirétroviraux par jour. L'allègement thérapeutique des patients chroniques, et donc la meilleure observance des traitements, sont subordonnés aux progrès de la recherche dans la mise au point de modalités d'administration innovantes. À cet égard, votre rapporteure préconise un renforcement du soutien public à la recherche, en particulier de la part du ministère de la santé, et un regroupement de l'ensemble des crédits dédiés à la recherche sur le VIH dans la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires).

Par ailleurs, l'enquête de la Cour des comptes rappelle la place particulière que notre pays occupe, sur la scène internationale, dans la lutte contre le Sida, de par notamment sa contribution substantielle au fonds mondial de lutte contre le Sida , dont la reconstitution aura lieu en octobre prochain à Paris. Deuxième contributrice historique du fonds, la France y a consenti près de 5,3 milliards d'euros depuis sa création en 2002.

En retour, ce fonds peut constituer une source de financement exceptionnelle pour les projets de recherche que l'agence nationale de recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS) entreprend dans le cadre de ses partenariats avec les pays du Sud. L'ANRS est en réseau avec un grand nombre de laboratoires dans les pays du Nord comme du Sud. Les statuts du fonds mondial ne permettent pas à l'agence de pouvoir y accéder. Un des points de discussion de la réunion d'octobre 2019 portera sur l'ouverture du fonds à des agences nationales. Votre rapporteure plaide donc pour une révision des statuts du fonds mondial de lutte contre le Sida afin que les agences nationales de recherche puissent candidater à ses appels à projets. Une fois cette révision opérée, elle invite l'ANRS à se mobiliser sur les appels à projets du fonds en mettant l'accent sur les schémas thérapeutiques innovants aisément observables par les populations rencontrant des difficultés dans l'accès aux soins et sur l'élimination des réservoirs du VIH dans les cellules immunitaires.

Proposition n° 13 : Renforcer la participation du ministère de la santé à la politique de soutien à la recherche sur le VIH et regrouper l'ensemble des crédits de cette politique dans la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ».

Proposition n° 14 : Réviser les statuts du fonds mondial de lutte contre le Sida afin de permettre aux agences nationales de recherche de candidater à ses appels à projets.

La médiation sanitaire permet, par ailleurs, d'aller au contact des populations qui ne sont pas nécessairement en capacité de se rendre régulièrement en structures hospitalières ou associatives ou en officines pour obtenir leur traitement et bénéficier d'un suivi de qualité, en particulier les migrants ou encore les travailleurs du sexe. Cette médiation peut, par exemple, prendre la forme d'interprètes et de traducteurs qui, une fois formés à la problématique de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, peuvent diffuser des messages précieux sur la prévention et l'observance du traitement. Dans cette logique, votre rapporteure préconise un renforcement substantiel du soutien financier public aux associations, principaux acteurs de la médiation sanitaire . Ces moyens supplémentaires devront permettre d'accompagner les médiateurs sanitaires dans leurs efforts de formation sur les parcours de soins associés à la prévention et à la prise en charge du VIH.

Proposition n° 15 : Renforcer le soutien financier public aux acteurs de la médiation sanitaire afin de faciliter leur formation aux parcours de soins associés à la prévention et à la prise en charge du VIH.

Lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, le Sénat a consacré le principe d'un entretien d'accompagnement des patients atteints d'une pathologie chronique par le pharmacien ou d'un bilan de médication 11 ( * ) préalablement à la réalisation d'une activité de télésoin. Par ailleurs, la convention nationale des pharmaciens d'officine du 4 mai 2012 prévoit, à son article 28.2, la mise en place d'un accompagnement spécifique des patients atteints de pathologies chroniques à destination, dans un premier temps, des patients asthmatiques.

Selon votre rapporteure, un entretien spécifique d'accompagnement par les pharmaciens des patients vivant avec le VIH pourrait être mis en place dans des conditions précisées par un avenant à la convention nationale pharmaceutique précitée, afin de veiller à la bonne observance des traitements, de dispenser des conseils sur la bonne utilisation du traitement et d'assurer le lien avec le médecin traitant.

Proposition n° 16 : Mettre en place un entretien d'accompagnement spécifique par le pharmacien pour les patients vivant avec le VIH.

Enfin, dans son avis sur les crédits de la mission « Santé » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019, votre commission regrettait la non-compensation intégrale 12 ( * ) des frais dits de « soins urgents » liés à la prise en charge des migrants non éligibles à l'aide médicale de l'État (AME). Les frais irrécouvrables de prise en charge des migrants au titre de leur santé sexuelle évoqués dans l'enquête de la Cour des comptes relèvent précisément de ces frais. Votre rapporteure plaide donc pour une compensation intégrale des frais engagés par les établissements de santé dans la prise en charge des migrants vivant avec le VIH et non éligibles à l'AME .

Proposition n° 17 : Rembourser intégralement aux établissements de santé les frais liés à la prise en charge des migrants vivant avec le VIH et non éligibles à l'AME.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 3 juillet 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de M. Denis Morin, président de la 6 ème chambre de la Cour des comptes pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur la politique de prévention et de prise en charge du VIH.

M. Alain Milon , président. - Nous prolongeons l'audition de M. Morin par la présentation de l'enquête que notre commission a sollicitée de la Cour des comptes en application de l'article LO 132-3-1 du code des juridictions financières sur la politique de prévention et de prise en charge du VIH. M. Morin est accompagné de MM. François de la Guéronnière, président de section, Ali Saïb, conseiller maître, Didier Selles, conseiller maître, Clélia Delpech, conseillère référendaire et Jean-Christophe Bras, rapporteur.

Dans un contexte de relâchement de la prévention chez les jeunes et de recrudescence des infections sexuellement transmissibles (IST) au sein de cette population particulièrement vulnérable, cette enquête s'imposait.

Santé publique France relevait ainsi l'année dernière que le recours au préservatif devenait de moins en moins systématique chez les jeunes de moins de 25 ans. Votre enquête fait état d'une « épidémie cachée », que nous n'arrivons toujours pas à circonscrire : le nombre d'infections nouvelles chaque année ne faiblit pas.

Il n'y a désormais plus de place pour les hésitations dans la lutte contre le VIH : il nous faut nous engager dans une politique de prévention résolument décomplexée, en levant les barrières juridiques et financières à l'accès du plus grand nombre aux outils de dépistage et aux traitements préventifs. Démultiplier les points d'accès gratuit aux tests sanguins, autotests et tests rapides d'orientation diagnostique (TROD), mais aussi à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) et au traitement post-exposition (TPE), représente certes un coût pour l'assurance maladie, mais il sera toujours inférieur au coût de prise en charge d'une affection de longue durée.

Enfin, votre rapport souligne l'effort de recherche de notre pays et la place particulière qu'il occupe, sur la scène internationale, dans la lutte contre le Sida, de par notamment sa contribution substantielle au fonds mondial de lutte contre le Sida, dont la reconstitution aura lieu en octobre prochain à Paris. À cet égard, pouvez-vous nous indiquer si notre agence de recherche française (ANRS) parvient à mobiliser en retour le soutien financier de ce fonds pour ses projets de recherche en partenariat avec les pays du Sud ?

M. Denis Morin . - Je ne peux être que redondant par rapport à votre présentation. J'ajouterai seulement quelques constats. Il y a actuellement en France 172 700 personnes séropositives en France ; 30 000 d'entre elles ignorent leur statut sérologique et 60 % des contaminations nouvelles sont liées à cette épidémie cachée. 6 000 personnes ont découvert leur séropositivité en 2017. L'épidémie n'est donc pas finie en France, alors qu'elle stagne ou régresse dans d'autres pays. Cela justifie des initiatives audacieuses en matière de prévention si nous souhaitons atteindre les objectifs non seulement de l'organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi du Gouvernement, lequel est encore plus ambitieux. Selon l'OMS, on pourra considérer que le Sida est éradiqué quand trois conditions seront réunies : 90 % des séropositifs au clair sur leur statut, c'est le principal point de fragilité de la situation française aujourd'hui ; 90 % des personnes dépistées traitées par un traitement antirétroviral ; 90 % des personnes traitées avec une charge virale indétectable et donc potentiellement non contaminantes. C'est ce que l'on appelle la cascade de l'OMS, qu'elle identifie comme la condition d'une éradication de l'épidémie. La France est encore plus ambitieuse, puisqu'elle porte ces taux à 95 %.

En France, l'épidémie est très concentrée dans les grandes villes - Paris, Lyon, la Côte d'Azur - et sur certaines populations. La situation sanitaire est aussi très difficile dans les outre-mer, particulièrement en Guyane. La contamination concerne principalement la population masculine, en partie des migrants d'origine subsaharienne. Les transmissions materno-foetales sont maîtrisées, tandis que les transmissions par seringues usagées dans les populations toxicomanes ont quasiment disparu.

Outre le préservatif, il y a d'autres moyens de prévention, tels que les traitements antirétroviraux à titre préventif. Reste que le préservatif est indispensable pour se protéger d'autres types d'IST.

Nous devons considérablement faire porter notre effort sur la prévention, qui est un des défauts de notre système de santé au sens large, alors que nous sommes bons en curatif. Le coût d'une bonne politique de prévention représente moins de 10 % de celui du traitement de l'épidémie, qui est de l'ordre d'1,5 milliard d'euros dans notre pays. Il serait possible de dégager des ressources supplémentaires en accélérant la réduction du coût des traitements sous l'impulsion du comité économique des produits de santé (CEPS), qui pourraient être mobilisées pour le développement d'actions plus vigoureuses de prévention. Nous défendons dans notre rapport le programme de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) « Au labo sans ordo », dont l'expérimentation vient de débuter à Paris et en Côte d'Azur, qui permet de réaliser gratuitement, sans ordonnance ni rendez-vous, un dépistage du VIH dans des laboratoires d'analyses médicales.

Nous avons le sentiment que le seul moyen d'atteindre le premier taux de 95 % de la cascade, c'est de saturer l'espace public en moyens de dépistage gratuit accessibles sans médiation. Il faut stimuler le recours aux autotests et aux TROD. J'ai le souvenir, lors de l'introduction sur le marché des autotests, qu'il avait été objecté qu'ils ne devraient être mis à disposition que dans le cadre d'un accompagnement médical très étroit, la découverte d'une séropositivité dans cette démarche pouvant être problématique.

La réalité est différente : il faut mettre l'accent sur la mise à disposition gratuite des autotests partout où c'est possible. Pour les sérologies en laboratoire, c'est ce que propose la Cnam pour un coût modeste de 20 euros par personne, chiffre à comparer, encore une fois, avec le coût des traitements. Il faudra bien entendu évaluer ce programme.

Enfin, s'agissant de la gouvernance, nous ne faisons pas de propositions spectaculaires.

Mme Corinne Imbert . - Vous proposez un dépistage en population générale et vous avez rappelé votre soutien au programme « Au labo sans ordo ». Est-ce à dire que vous envisagez un accès illimité aux dépistages gratuits en laboratoire ou faudra-t-il, selon vous, mettre des conditions afin de maîtriser le coût pour l'assurance maladie ?

Le renforcement de la participation du ministère de la santé à la politique de recherche sur le VIH passe-t-il nécessairement par une augmentation des crédits en ce sens dans la mission « Santé » ? Ne serait-il pas plus cohérent d'inscrire l'ensemble des crédits de la recherche sur le VIH dans la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) ? Dans quelle mesure la France peut-elle avoir accès au fonds mondial de lutte contre le Sida, auquel elle est l'un des premiers contributeurs ?

La commission des affaires sociales dénonçait la non-compensation intégrale des soins urgents liés à la prise en charge des migrants non éligibles à l'aide médicale de l'État (AME). Les frais irrécouvrables de prise en charge des migrants au titre de leur santé sexuelle font partie de ces frais. La Cour des comptes soulève-t-elle cette problématique dans la certification des comptes 2018 du budget de l'État pour la mission « Santé » et plaide-t-elle pour une compensation intégrale des établissements de santé au titre de ces dépenses ? Cette compensation est aujourd'hui forfaitaire et se situe autour de 40 millions d'euros dans la loi de finances pour 2019.

Mme Catherine Deroche . - Avez-vous des informations sur la recherche sur le vaccin, préventif ou thérapeutique ? Ne pensez-vous pas que nous pourrions encourager la télémédecine pour faciliter l'accès aux consultations pour la délivrance de la PrEP en centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) et en centres de santé sexuelle hospitaliers ou associatifs, qui sont parfois vécues de manière assez stigmatisante ?

M. Yves Daudigny . - Nous avons été alertés lors des auditions sur un nombre croissant de ruptures d'approvisionnement en antirétroviraux. Ne pensez-vous pas que les écarts de prix avec d'autres pays risquent d'amplifier le risque ? L'offre thérapeutique est-elle suffisante et adaptée pour les enfants ?

Par ailleurs, l'accès au traitement post-exposition (TPE) est-il principalement concentré dans les services d'urgences des centres hospitaliers universitaires (CHU) ? N'aurait-il pas fallu prévoir une mission, pour les hôpitaux de proximité, dans la prévention et la prise en charge des IST afin d'y garantir l'accès au TPE ? Observez-vous des inégalités territoriales dans l'accès au TPE ?

Enfin, la recherche avance-t-elle, selon vous, sur l'identification et la destruction des cellules réservoirs du VIH chez les personnes à la charge virale indétectable ?

Mme Laurence Cohen . - Il y a encore de nombreux défis à relever, notamment pour combattre les discriminations. Que pensez-vous de la mise en place d'un « pass santé sexuelle » qui pourrait être distribué gratuitement en services de médecine scolaire et universitaire, ainsi que dans les CeGIDD, aux jeunes de moins de 25 ans et aux populations à risque, pour leur permettre un accès gratuit et permanent à tous les outils de dépistage ?

Votre rapport évoque des discriminations dans la prise en charge des personnes séropositives. Le code de la sécurité sociale prévoit pourtant la possibilité pour les organismes d'assurance maladie de prononcer des sanctions à l'encontre des professionnels de santé coupables de ces discriminations. Avez-vous pu vérifier si de telles sanctions avaient déjà été prononcées ?

Enfin, je crois avoir compris que vous étiez favorable au programme « Au labo sans ordo » mis en oeuvre depuis le 1 er juillet à Paris et dans les Alpes-Maritimes. Nous sommes, dans notre groupe, favorables à la généralisation de cette expérimentation.

Mme Michelle Meunier . - Je m'étonne que la contamination par seringue ait quasiment disparu : quelle est la place de la prévention tertiaire dans ce résultat ? Est-ce la conséquence des politiques de mise à disposition et d'échange de seringues ou d'autres types de drogues sont-elles apparues ?

Mme Jocelyne Guidez . - La prophylaxie pré-exposition est-elle accessible aux mineurs sans information des parents ? Faut-il, selon vous, l'envisager ? Si oui, faut-il étendre la possibilité de délivrer la PrEP aux services de médecine scolaire et universitaire, avec les précautions nécessaires pour que la prise en charge de la PrEP ne figure pas dans les données de remboursement des parents ?

Avez-vous, par ailleurs, constaté des inégalités d'accès aux traitements post-exposition ? Ne serait-il pas souhaitable d'autoriser la médecine de ville et les pharmacies d'officine à délivrer au moins les premières prises de TPE ?

M. René-Paul Savary . - Pouvons-nous imaginer de développer les TROD en pharmacie ? Dans le cadre du dernier projet de loi « Santé », nous avons automatisé l'ouverture du dossier médical partagé et de l'espace numérique de santé : dans ce cadre, peut-on envisager un dépistage périodique de la population tous les 5 ans ?

Mme Victoire Jasmin . - Il y a eu une augmentation de l'AME, mais le problème linguistique crée des barrières chez les migrants, en particulier en Guyane. Avez-vous identifié un lien de causalité ? Pouvez-vous nous parler du programme Interreg Caraïbes ? Pour ce qui est de l'utilisation du préservatif, je pense que nous devons vraiment mettre l'accent en milieu scolaire.

M. Ali Saïb, conseiller maître à la Cour des comptes . - La recherche française est très bien placée. Nous y consacrons 40 millions d'euros annuels. Dès la fin des années 1980, l'agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) s'est positionnée en mettant tout le monde autour de la table, devenant une véritable plateforme de coordination et de financement de la recherche sur le Sida.

La question du vaccin a été posée dès le départ par les chercheurs, mais ils n'ont pour l'instant rencontré aucun succès majeur en matière de prévention. On parle aujourd'hui de vaccins curatifs, qui permettent d'éliminer les cellules, mais, pour pouvoir atteindre cet objectif, il faut identifier les cellules infectées. On arrive à limiter la réplication du virus, et faire en sorte qu'il soit indétectable au niveau du sang périphérique des individus infectés, mais, dès que l'on arrête les traitements, le virus réapparaît, ce qui sous-entend qu'il y a des réservoirs et non pas un seul. L'enjeu est de tous les identifier en réactivant éventuellement le virus pour pouvoir cibler ces réservoirs et les éliminer de l'organisme.

Des personnes sont également naturellement résistantes au virus. Il y a donc également un volet immunologique, que l'on ne connaît pas encore très bien.

Il y a un laboratoire d'excellence en France qui est en connexion avec un réseau international pour partager les connaissances sur le vaccin. Le tout est toujours plus que la somme des parties.

M. Denis Morin . - Dans un schéma financièrement équilibré, nous préconisons effectivement d'ouvrir largement et sans condition l'accès aux laboratoires pour effectuer des sérologies, ce qui serait financé par les économies réalisées sur le curatif. Nous ferions une évaluation au bout de deux ou trois ans. Il faut le généraliser à toute la France au nom du principe d'égalité : dans certains territoires, il est sans doute plus aisé de trouver un laboratoire qu'un médecin traitant. A fortiori dans des territoires où moins de monde est concerné, cela coûtera moins cher. Nous évaluons le coût global de la mesure à une centaine de millions d'euros, même si les estimations restent compliquées. Nous proposons également d'ouvrir largement la PrEP, y compris grâce à la télémédecine. Les conditions d'accès aux CeGIDD ne sont pas toujours simples, les horaires d'ouverture sont souvent restreints, et ces centres sont souvent raturés. Encore une fois, il est préférable de jouer la redondance des capacités de prescription que le resserrement sur des centres dédiés.

M. François de la Guéronnière, président de section à la Cour des comptes . - Les ruptures d'approvisionnement sont encore limitées. Nous en avons recensé 18 de moins de 15 jours. Pour l'avenir, nous recommandons le développement des génériques, ce qui réduira le risque de rupture. Pour ce qui est des enfants, nous n'avons pas pointé de difficultés particulières.

S'agissant de l'accès aux traitements post-exposition, le point clé est l'accessibilité 24 heures sur 24, donc les services d'urgence des CHU sont les endroits les plus adaptés. Il y a sans doute une méconnaissance du dispositif. Nous recommandons que la circulaire de 2008 qui en détermine les conditions de délivrance soit réactualisée à la lumière d'études de la Haute Autorité de santé, notamment concernant les modalités pratiques de sa dispensation.

M. Ali Saïb . - Quels sont aujourd'hui les grands enjeux de la recherche sur le VIH ? L'identification des réservoirs, à partir desquels le virus se réactive. On a évoqué tout à l'heure le réservoir populationnel : 30 000 personnes qui ignorent leur statut ou ne sont pas prises en charge. Mais il existe un correspondant au niveau de la recherche : le réservoir cellulaire.

Pour revenir sur le fonds mondial et sur son champ d'intervention, l'ANRS est en réseau avec un grand nombre de laboratoires dans les pays du Nord comme du Sud. Les statuts du fonds mondial ne permettent pas à l'agence de pouvoir y accéder. Un des points de discussion de la réunion d'octobre 2019 portera sur l'ouverture du fonds à des agences nationales.

M. Denis Morin . - Je suis évidemment favorable à la mise en place du « pass santé sexuelle ». Il ne faut pas non plus multiplier à l'infini les intervenants pour ne pas risquer des brouiller les messages.

S'agissant des discriminations, une étude de l'association Aides relève que 80 % des personnes séropositives ont déjà été victimes de discriminations. Près du quart de ces attitudes discriminatoires étaient le fait de personnels médicaux ou paramédicaux. Nous n'avons pas la possibilité de vérifier ces chiffres. Je ne peux que conseiller aux victimes de saisir les structures ordinales.

Madame Meunier, nous pensons effectivement que la fin des contaminations par seringue est la conséquence des politiques de santé publique qui ont été menées.

Madame Guidez, la PrEP n'est pas accessible aux mineurs, mais c'est envisageable, en particulier à titre préventif pour un traitement antirétroviral dont il est établi aujourd'hui qu'il évite des contaminations. Nous évoquons un dépistage général de la population dans le rapport. D'aucuns nous ont répondu que ce n'était pas le sujet. Je n'en suis pas persuadé. Personnellement, l'idée ne me choque pas qu'il y ait au moins une fois au cours de la vie un dépistage.

S'agissant de l'accès aux TROD en pharmacie, cela demande une formation des pharmaciens. L'ordre des pharmaciens y est hostile.

M. François de la Guéronnière . - Madame Jasmin, la Haute Autorité de santé a formulé des recommandations pour essayer de surmonter la question linguistique dans le cadre de la médiation sanitaire. Le comité de la coordination régionale de la lutte contre l'infection par le VIH (Corevih) d'Île-de-France a par exemple mis en place des expérimentations sur ce point en 2015, de même que l'université Paris XIII a ouvert des formations pour surmonter ces problèmes linguistiques. Malheureusement, nous n'avons pas d'éléments sur le plan Interreg Caraïbes.

M. Denis Morin . - Madame Imbert, vous avez raison, il faut une compensation intégrale des frais engagés dans le cadre de l'AME, qui du reste ne concernerait que quelques établissements.

La commission autorise la publication du rapport.

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

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* 1 Cour des comptes, La politique de lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et le syndrome d'immunodéficience acquise (Sida) en France , communication à la commission des affaires sociales du Sénat, 31 juillet 2009.

* 2 Santé publique France, « Surveillance de l'infection à VIH (dépistage et déclaration obligatoire), 2010-2017 », Bulletin de santé publique, 28 mars 2019.

* 3 Ministère des affaires sociales et de la santé, Stratégie nationale de santé sexuelle , agenda 2017-2030.

* 4 86 % est le résultat de 95 % de 95 % de 95 %.

* 5 « Cascade » Inserm, données 2016 selon la nouvelle méthode (p. 36 de l'enquête de la Cour des comptes).

* 6 Kirwan PD, Chau C, Brown AE, Gill ON, Delpech VC et al., HIV in the UK - 2016 report , rapport de Public Health England, décembre 2016.

* 7 Dont le coût unitaire varie entre 10 euros et 28 euros.

* 8 En application de l'ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.

* 9 Arrêté du 1 er août 2016 fixant les conditions de réalisation des tests rapides d'orientation diagnostique de l'infection par les virus de l'immunodéficience humaine (VIH 1 et 2) et de l'infection par le virus de l'hépatite C (VHC) en milieu médico-social ou associatif.

* 10 En 2014, le coût unitaire de prise en charge par l'assurance maladie du TROD VIH dans les structures de prévention ou associatives était de 25 euros TTC et le coût unitaire d'acquisition de 5 euros TTC pour les associations (Haute Autorité de santé, Place des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) dans la stratégie de dépistage de l'hépatite C , recommandation en santé publique, mai 2014).

* 11 Mis en oeuvre depuis l'arrêté du 9 mars 2018 portant approbation de l'avenant 12 à la convention nationale du 4 mai 2012, organisant les rapports entres les pharmaciens titulaires d'officine et l'assurance maladie.

* 12 Forfaitaire, d'un montant de 40 millions d'euros dans le PLF 2019.

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