C. COMMENT EST PRISE EN COMPTE ET FINANCÉE LA SOLIDARITÉ DANS LE SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS ?

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites . - En préalable, je tiens à préciser que mon propos est personnel et n'engage pas les membres du COR. Le système de retraite français suit deux logiques :

• une proportionnalité aux revenus de la vie active

« Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu'ils ont tirés de leur activité... Les assurés bénéficient d'un traitement équitable. » (article L. 111-2-1 du CSS). Cet article fait référence aux revenus de la vie active et non aux cotisations versées. Dans la perspective de la réforme, les cotisations versées deviennent la référence majeure.

• en intégrant une exigence de solidarité

« La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération » (article L. 111-2-1 du CSS).

(1) Le système de retraite actuel

Actuellement, le coeur du système de retraite est composé des droits à la retraite calculés en fonction des salaires ou traitements et de la durée d'assurance (régime général/alignés, régimes spéciaux). Les droits à la retraite prennent en compte les 25 meilleures années dans le régime général, les 6 derniers mois dans les régimes spéciaux. Dans les régimes complémentaires et les régimes des professions libérales qui fonctionnent en points, le niveau de retraite dépend des cotisations versées tout au long de la carrière. Au-delà du coeur du système, des dispositifs de solidarité assurent des droits à la retraite sans liens avec une rémunération ou des cotisations.

Le coeur du système ne réduit pas lors de la retraite l'écart des rémunérations moyennes. Pour les salariés du secteur public ou privé nés entre 1955 et 1964, le rapport interdécile (D9/D1) 1 ( * ) atteint 5,85 pour le cumul des salaires perçus au cours de la carrière, mais vaut 6,66 pour les pensions issues du coeur du système (hors dispositifs de solidarité). Toutefois, les dispositifs de solidarité sont quant à eux fortement redistributifs : ils ramènent le rapport interdécile de 6,66 à 4,10. Au total, le système est donc redistributif.

Les règles du coeur du système avantagent les carrières complètes et donc longues. Par exemple, la règle des 25 meilleures années bénéficie à ceux qui ont effectué 40 ans de carrière (certaines années moins favorables sont gommées du calcul de la retraite). Pour une carrière courte (moins de 25 ans), cette règle n'apporte aucun bénéfice.

(2) Les dispositifs de solidarité

Les dispositifs de solidarité sont nombreux :

- les périodes assimilées à de l'activité : chômage, maladie, etc.

- les droits familiaux : majoration de durée d'assurance, allocation vieillesse des parents au foyer, majoration de pension pour trois enfants ;

- les droits liés au couple : réversion ;

- les droits attachés à certaines caractéristiques de carrière : le compte personnel de prévention de la pénibilité, les catégories actives de la fonction publique, les « carrières longues », etc. ;

- les droits liés aux faibles rémunérations : minimum contributif, minimum garanti ;

- les droits liés aux faibles revenus du ménage : minimum vieillesse, étant précisé que le minimum vieillesse ne relève pas strictement du domaine des retraites mais se rattache à l'action sociale.

Les montants des dispositifs de solidarité sont importants et délicats à évaluer. Pour les salariés du secteur privé, ils correspondent à environ 20 % des pensions de droit direct, soit 33,6 milliards d'euros en 2016, financés par des transferts du FSV pour 16,9 milliards d'euros, la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) pour 9,3 milliards d'euros et l'Unédic pour 3,4 milliards d'euros, en lien avec les droits attribués, et par un financement interne des régimes à hauteur de 4 milliards d'euros. Pour les fonctionnaires, les dispositifs de solidarité correspondent également à environ 20 % des pensions, avec moins de périodes assimilées et plus de solidarité sous forme de départs anticipés. Les régimes du secteur public assurent un financement interne de la solidarité sans apport externe. Pour les non-salariés, les dispositifs de solidarité reposent sur des transferts externes (Cnaf, FSV) et des financements internes.

(3) La perspective de la réforme

Dans la perspective de la réforme, le « coeur du système » serait strictement contributif, comme l'exprime le principe : « un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Cet objectif de contributivité est toutefois compatible avec le maintien de solidarités. Il reste possible d'octroyer des droits au titre de la solidarité dans un régime en points ou en comptes notionnels.

Logiquement, le financement de la solidarité sera distinct de la future cotisation contributive au système universel avec une prise en charge par l'Etat (impôt), par une cotisation spécifique ou par un tiers (FSV, Cnaf, Unédic, etc.) qui verserait des cotisations au système universel. Les droits au titre de la solidarité seraient plus lisibles et s'exprimeraient en points ou en euros. Ces droits seraient quantifiables au moment du fait générateur et apporteraient nécessairement un supplément de pension (ce qui n'est pas toujours le cas des trimestres octroyés aujourd'hui).

A priori , les droits seront ainsi plus lisibles. La réforme introduirait une distinction stricte entre le coeur contributif et les droits au titre de la solidarité. Pour certains, c'est un progrès. Pour d'autres, un système de retraite doit mêler solidarité et contributivité sans viser à les distinguer de manière stricte : isoler la solidarité risque de l'affaiblir dès lors que ceux qui la financent n'auront de cesse d'essayer de la réduire.

(4) Les questions liées à la réforme : quelques illustrations

(a) Exonérations de cotisations

Actuellement, les exonérations de cotisations sont un élément de la politique de l'emploi sans lien étroit avec les retraites, ces dernières sont en effet calculées sur les revenus bruts, sur lesquels les exonérations de cotisations ne pèsent pas. Aujourd'hui, la retraite au régime général dépend des salaires bruts et de la durée d'assurance. Les exonérations de cotisations employeurs n'ont donc pas d'effet sur les droits à retraite. Demain, les droits à retraite dépendront des cotisations effectivement versées. La compensation des exonérations a vocation à apparaître de manière explicite comme un dispositif de solidarité à destination des bas salaires.

(b) Majorations de durée d'assurance pour enfants

Les majorations de durée d'assurance pour enfants sont un second exemple. Aujourd'hui, une solidarité différente devant les enfants s'exprime en trimestres (aux effets incertains sur les pensions des bénéficiaires) avec des écarts selon les régimes (8 trimestres au régime général, 2 trimestres dans les fonctions publiques).

Il faudra donc établir une équivalence entre des droits actuels matérialisés par des trimestres d'assurance et des droits qui dans le nouveau système s'exprimeront en points ou en euros. Il faudra certainement aussi harmoniser les droits soit vers le haut soit vers le bas. Un premier mouvement peut conduire à être généreux pour les droits octroyés au titre de la solidarité. Mais à enveloppe de dépenses de retraite donnée, la générosité au titre de la solidarité réduit la part de la contributivité. Au global, il faudra formuler un choix sur la part respective de la solidarité et de la contributivité.

(c) Réversion

La réversion constitue de fait un écart par rapport à la règle
« un euro cotisé donne les mêmes droits... ». Un euro de cotisation ouvre potentiellement davantage de droits à une personne mariée qu'à une personne non-mariée.

Dans le nouveau système, la réversion sera-t-elle un dispositif de solidarité, financé par un apport externe au système universel ou de la redistribution interne au système universel, des non-mariés vers les mariés ?

(d) Catégories actives de la fonction publique

Les catégories actives de la fonction publique seront mon dernier exemple. Actuellement, les droits liés à certains métiers (policiers, pompiers, aides-soignants, etc.) sont pris en charge intégralement par les régimes de la fonction publique. Demain, dès lors que « un euro cotisé donne les mêmes droits... », les droits attachés à ces métiers seront-ils financés par la solidarité nationale ?

En conclusion, un système universel avec un coeur strictement contributif est compatible avec des droits ouverts au titre de la solidarité, mais la logique conduirait à distinguer plus nettement qu'aujourd'hui le « coeur » contributif et les dispositifs de solidarité. La « réécriture » des dispositifs de solidarité dans le nouveau système suppose de s'interroger sur leur forme, leur ampleur et donc sur les objectifs poursuivis. Les quatre exemples montrent que les débats seront complexes : par exemple, la réversion renvoie à une vision du mariage, du couple et de la famille. Le débat promet donc d'être animé, vif et, je l'espère pour ma part, fructueux.


* 1 C'est-à-dire entre les 10 % de la population les mieux payés et les 10 % les moins payés.

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