D. ÉCLAIRAGE SUR UNE RÉFORME EN COURS : LA RÉFORME GÉNÉRALE DES RETRAITES EN BELGIQUE

Jean Hindriks, économiste, membre du Conseil académique belge des pensions . - Je suis membre de la commission de réforme des pensions en Belgique créée au printemps 2013 et chargée de réfléchir à une réforme structurelle. Elle a rendu son rapport en juin 2014. Indépendante, elle est composée d'académiciens, de hauts fonctionnaires, d'économistes, de sociologues et d'actuaires et aussi paritaire que possible. La composition d'une telle commission est importante. Nous tentons de l'équilibrer.

Il lui a été imposé d'aboutir à un consensus. Le président était l'ancien ministre socialiste des pensions socialistes, Franck Vandenbroucke, qui a mis en place le système par capitalisation avec une dimension sociale importante. Le gouvernement suivant, pourtant de centre droit, a adopté l'intégralité du programme de réforme.

Ce dernier consiste à mettre à jour le système de calcul des pensions. Un basculement complet vers un nouveau système aurait soulevé trop d'inquiétudes, d'autant plus que les sondages démontraient l'incompréhension que le système de pensions suscitait et la méfiance des Belges vis-à-vis d'une réforme structurelle. Leur méfiance est accrue par la stricte séparation des régimes des fonctionnaires et du secteur privé, le premier étant plus généreux. Il se traduit par une pension moyenne deux fois plus élevée que dans le secteur privé à carrière et salaire identique. Le calcul se fonde sur les cinq dernières années de la carrière qui, généralement, sont les plus favorables en raison des mécanismes d'ancienneté. Dans le régime du secteur privé, le calcul porte sur l'ensemble de la carrière, l'unité était de 45 ans. Une harmonisation à court terme aurait généré un blocage.

Nous avons donc proposé la mise en place d'un régime de règles communes de pensions sous la forme d'un système à point, dont la valeur différerait selon les régimes. Les points accumulés sont liés aux rémunérations et non aux cotisations, afin de séparer le calcul des pensions de l'allègement des cotisations utilisé par les politiques d'emploi. La rémunération annuelle brute sert donc de référence pour le calcul des points, dont la valeur est indexée sur l'évolution des salaires dans chaque régime et sur une durée de carrière de référence. Enfin, le coefficient de conversion/âge introduit une décote ou une surcote en fonction d'un départ anticipé ou reporté en fonction d'un âge de référence.

La réforme trouve en partie son origine dans la demande de l'administration, confrontée à une difficulté de gestion des carrières mixtes. Sur ce point, la réforme belge innove en attribuant une valeur différente aux points en fonction du régime auxquels appartiennent les personnes (salariés, fonctionnaires, indépendants) et en correspondance avec des droits de pension. Le système tient donc compte de la diversité sans entrer dans une formule uniforme. Lors du départ en retraite, les points sont convertis en fonction de la valeur qui leur est accordée. La convergence devient possible sur cette base avec l'instauration de coefficients d'harmonisation sur une période.

La seconde nouveauté réside dans le basculement des conditions d'âge vers des conditions de carrière. Ce n'est plus l'âge du véhicule qui détermine son remplacement, mais le kilométrage. L'égalité de traitement est assurée non sur l'âge de départ, ce critère étant injuste, mais sur la durée de cotisation. L'indexation des âges de pension sur les gains d'espérance de vie se heurte aux inégalités de longévité.

Des études américaines et anglaises démontrent des écarts de 5 à 6 ans entre le premier et le dernier décile socio-économique. Instaurer une condition de carrière unique pour tous réintroduit de l'égalité : elle permet aux personnes moins qualifiées qui commencent leur carrière plus tôt de partir plus tôt sans décote. L'âge de suppression de la décote est ainsi basé sur la durée de cotisation requise, identique pour tous. La correction actuarielle est effectuée sur l'âge normal de départ en retraite, lequel est fondé sur l'âge de début de carrière augmenté de la durée de carrière requise.

En conclusion, cette réforme a commencé par emporter l'adhésion, avant que des difficultés surgissent dans les détails. Nous pensions obtenir le soutien des organisations syndicales en instaurant une durée de carrière uniforme indexée sur les gains de longévité comme critère de pilotage. Or l'incertitude pesant sur la valeur du point, indexée sur l'évolution des salaires, susceptibles de baisser, et la durée de carrière de référence, qui peut augmenter avec les gains de longévité, a posé problème. Les organisations syndicales craignent d'exposer les salariés à une dégradation de leurs pensions et s'opposent au gouvernement sur la question de la valeur du point. Le ministre en charge des pensions a proposé d'interdire dans la loi toute baisse de la valeur du point. Or la faisabilité technique d'une telle mesure reste à démontrer et requiert des simulations.

Enfin, la réforme systémique est soumise à une contrainte d'information. En calculant le montant des pensions des fonctionnaires sur les six derniers mois, comment un pays pourrait-il convertir son système en points sans connaître l'historique des carrières, des rémunérations et des cotisations ? La Belgique a l'avantage de pouvoir s'appuyer sur la banque carrefour de la Sécurité sociale, qui est une plateforme rassemblant l'ensemble des données de carrière. Il lui est possible de calculer l'impact d'un basculement vers un système à point. Pour les salariés et les indépendants, les écarts sont réduits. La simulation reste à réaliser pour les fonctionnaires.

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