TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mardi 18 juillet 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement.

Mme Michèle André , présidente . - Mes chers collègues de la commission des finances et de la commission des affaires économiques auxquels cette réunion est ouverte, trois millions de personnes sont en situation de fragilité financière dans notre pays. Celles-ci rencontrent des difficultés d'accès aux services bancaires.

Nous disposons d'outils pour répondre à cet enjeu fondamental de permettre à chacun d'avoir accès à tous les services bancaires qui contribuent à mener une vie normale. Nous avons même renforcé nos instruments juridiques dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 ou, l'année dernière encore, dans la loi dite « Sapin 2 ».

Pourrait-on utiliser encore mieux les outils dont nous disposons ? Faudrait-il modifier une nouvelle fois la législation pour mieux répondre à l'objectif d'inclusion économique et sociale du plus grand nombre ?

C'est dans cet esprit qu'il y a un an j'ai saisi le Premier président de la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur les politiques de lutte contre l'exclusion bancaire. Monique Saliou, conseillère-maître à la Cour des comptes, va nous en présenter les grandes lignes. Nous recueillerons ensuite les réactions de certains des principaux acteurs de ce sujet.

La Banque de France est représentée par Jacques Fournier, directeur général des statistiques, le Gouverneur n'ayant pu être présent aujourd'hui. La Banque Postale, chargée par la loi d'une mission d'accessibilité bancaire, est représentée ce matin par le président directeur général du groupe La Poste, Philippe Wahl, et le président du directoire de la Banque postale, Rémy Weber. BNP Paribas, qui, comme toutes les banques, doit appliquer l'ensemble des règles applicables en matière d'inclusion bancaire, et qui vient par ailleurs d'acquérir le compte Nickel qui offre des services nouveaux à nos concitoyens, est représentée par Thierry Laborde, directeur général adjoint.

L'Association Nouvelles Voies est représentée par Philippe Guilbaud et Catherine Jeandel ; elle a pour objet de « faire valoir les droits pour prévenir l'isolement social et éviter le basculement dans la précarité ». Cette association gère un point conseil budget (PCB), c'est-à-dire une structure regroupant des acteurs publics et privés et qui s'adresse à toutes les personnes désireuses d'améliorer la gestion de leur budget, devant faire face à une situation financière difficile, anticiper un changement de situation familiale ou professionnelle ayant un impact sur leurs ressources ou leurs dépenses ou encore prévenir le surendettement.

Le sujet de ce matin est vaste, et il y aurait matière à une deuxième réunion, au cours de laquelle nous pourrions convier des associations de consommateurs pour évoquer la question du surendettement et en particulier du fichier positif, que la Cour des comptes a choisi d'évoquer à nouveau dans l'enquête. Nous essaierons de traiter au mieux les principaux sujets dans le temps limité qui nous est imparti.

Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.

Je vous rappelle aussi que nous devrons, en fin de réunion, décider si nous publions ou non l'enquête demandée à la Cour des comptes.

Je cède la parole à Monique Saliou, pour une présentation des principaux résultats de l'enquête de la Cour des comptes.

Mme Monique Saliou, conseiller-maître à la Cour des comptes . - Madame la présidente, je vous remercie d'avoir organisé cette audition, qui me permet de présenter le rapport demandé au Premier président de la Cour des comptes sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement.

Nous avons enquêté auprès des services de l'État et de la Banque de France, mais également auprès des fédérations professionnelles représentant des établissements de crédit, des enseignes de la grande distribution et d'un échantillon représentatif de leurs adhérents. Dans le cadre de cette enquête, la Cour a examiné les pratiques d'organismes, privés pour la plupart d'entre eux, sur lesquels elle ne dispose pas de compétences directes, mais elle a également beaucoup sollicité La Banque Postale. Tous les établissements consultés, publics comme privés, ont pleinement coopéré, et je les en remercie.

Nous avons par ailleurs associé à notre enquête de nombreuses associations de consommateurs, des associations caritatives et des organisations syndicales représentatives des personnels de banque. En effet, l'inclusion bancaire, comme la prévention du surendettement, recouvre des enjeux particulièrement importants pour l'insertion des citoyens dans la vie économique et sociale. Elle se situe au carrefour des politiques sociales de lutte contre l'exclusion et des politiques de régulation du secteur financier.

L'inclusion bancaire participe au processus d'inclusion dans la vie économique et sociale, selon l'Observatoire de l'inclusion bancaire. Elle permet à une personne physique d'accéder durablement à des produits et services bancaires adaptés.

Trois objectifs principaux sont visés par les mesures prises en faveur de l'inclusion bancaire : permettre à l'ensemble de la population d'accéder à un compte et à des moyens de paiement adaptés ; encadrer la distribution de certains produits financiers afin de prévenir les risques de surendettement ; enfin, favoriser l'accompagnement des publics ayant besoin d'un soutien pour la gestion de leur budget.

La possession d'un compte en banque par tout citoyen est devenue indispensable depuis la généralisation, dans les années quatre-vingt, des paiements des salaires et des prestations sociales par chèque et par virement. L'inclusion bancaire vise à y répondre et à prévenir le mésusage des outils bancaires ; d'où les politiques publiques visant à encadrer la distribution du crédit à la consommation.

Le message principal qui ressort de notre enquête est que, en dépit d'un taux de bancarisation très élevé - 96 % aujourd'hui - et du reflux significatif du nombre de dossiers de surendettement déposés depuis 2012 -c'est une très bonne nouvelle -, les politiques publiques mises en oeuvre en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement peuvent encore être améliorées.

Concernant l'accès à un compte bancaire et à des moyens de paiement adaptés, des efforts importants ont été fournis ces dernières années afin de renforcer l'efficacité des dispositifs légaux en faveur de l'inclusion bancaire, à commencer par le plan pluriannuel du 21 janvier 2013 contre la pauvreté auquel les associations caritatives avaient beaucoup participé, ainsi que la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaire.

Nous disposons en France aujourd'hui de dispositifs légaux nombreux, diversifiés, qui n'ont rien à envier à ceux qui existent ailleurs en Europe. D'ailleurs, les associations ne manifestent aucune insatisfaction profonde à leur endroit, si ce n'est sur la façon dont ils sont mis en oeuvre.

La procédure du droit au compte, créé en 1984, est le premier d'entre eux. Elle permet à toute personne à laquelle une banque a refusé l'ouverture d'un compte d'obtenir la désignation, par l'intermédiaire de la Banque de France, d'un établissement qui sera tenu de lui ouvrir un compte et de lui fournir gratuitement un certain nombre de services bancaires de base.

Pour que la procédure soit mise en oeuvre, plusieurs conditions sont nécessaires. Tout d'abord, vous n'avez pas de compte bancaire ou bien votre compte a été clôturé. La banque sollicitée refuse de vous ouvrir un compte bancaire. Elle doit vous délivrer une attestation de refus d'ouverture de compte. Vous pouvez ensuite déposer une demande de droit au compte à un guichet de la Banque de France, qui doit traiter votre dossier dans un délai d'une journée. Un établissement de crédit est alors désigné - souvent La Banque Postale -, qui est tenu d'ouvrir un compte bancaire dans les trois jours, à condition que le demandeur ait fourni les documents demandés, et de fournir les services bancaires de base : ouverture, tenue de compte, paiements par virements et prélèvements, carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par la banque. Ces services ne comprennent aucune autorisation de découvert ni de chéquier.

Un deuxième dispositif a été prévu par la loi 26 juillet 2013 en direction des clients en situation de fragilité financière. Cette offre comprend des services bancaires de base, pour un tarif maximum de 3 euros par mois et un plafonnement des frais facturés. Y sont éligibles les personnes surendettées, celles qui sont inscrites au fichier des incidents de paiement de chèques, les clients disposant de peu de ressources et rencontrant des difficultés quant au fonctionnement de leur compte bancaire.

Enfin, la mission d'accessibilité bancaire a été officiellement confiée à La Banque Postale par la loi du 4 août 2008. L'objectif de cette mission de service public est de permettre l'accès, via le Livret A, à un substitut de compte bancaire, dépourvu de moyens de paiement, mais sur lequel sont autorisés, de manière gratuite et illimitée, des retraits en liquide à partir de 1,5 euros - les autres établissements imposent un minimum de dix euros -, ainsi que certaines opérations de virement et de prélèvements.

Au titre de cette mission de service public, La Banque Postale perçoit une compensation financière, qui était de 225 millions d'euros en 2016, montant non négligeable pour l'équilibre financier de La Banque Postale.

L'enjeu aujourd'hui est moins de compléter les dispositifs existants que d'améliorer les conditions de leur mise en oeuvre et d'assurer la cohérence d'ensemble grâce à une meilleure articulation entre eux. Nous avons en effet constaté lors de notre contrôle que les dispositifs actuels se juxtaposent les uns aux autres, sans véritable hiérarchie, et se chevauchent en partie. Ainsi, environ 2 millions de détenteurs du Livret A utilisent ce service comme un substitut de compte bancaire, par le biais de nombreuses opérations de virement et de prélèvement, ainsi que de nombreux retraits et dépôts d'espèces via les guichets de La Banque Postale. Or une partie d'entre eux disposent déjà d'un compte bancaire et ne sont pas en situation d'exclusion bancaire. Ils ne constituent donc pas le coeur de cible de la mission d'accessibilité bancaire. Cet outil de gestion de trésorerie est incontestablement sécurisant, car il est exonéré de frais en cas d'incident. Mais la limitation de ces frais est précisément l'objectif assigné à l'offre spécifique de services bancaires.

Les bénévoles des associations caritatives et professionnels de l'action sociale ont souligné le manque de lisibilité en la matière, avec un risque d'inadaptation des services offerts par rapport aux besoins. Une clarification serait souhaitable afin de mieux définir les places respectives du droit au compte, de l'offre spécifique et de la mission d'accessibilité bancaire.

Selon nous, il convient de privilégier la primauté du droit au compte et de moyens de paiement adaptés en faveur des personnes qui en sont dépourvues. En revanche, pour les personnes déjà détentrices d'un compte bancaire mais qui se trouvent en situation de fragilité, l'offre spécifique paraît plus adaptée que le LivretA, dont les fonctionnalités sont très limitées.

La réaffirmation du droit au compte suppose une amélioration concernant la mise en oeuvre du dispositif, qui touchait seulement 145 000 comptes actifs en 2015. Ce chiffre est faible, car il existe d'autres solutions ; il s'explique aussi par la complexité et la longueur de la procédure pour les demandeurs. Des progrès pourraient être réalisés dans le pilotage du dispositif.

Actuellement, la Banque de France désigne des banques pour l'ouverture d'un banque, mais elle n'est pas informée des suites de ces désignations, y compris la non-présentation du demandeur. Or ce qui importe avant tout pour ce dernier, ce sont les conséquences concrètes de la désignation, c'est-à-dire l'ouverture effective du compte.

La Cour a donc formulé quelques recommandations concernant le droit au compte. Elle préconise de renforcer le suivi, par la Banque de France, des désignations effectuées au titre du droit au compte afin d'assurer l'effectivité et la rapidité de l'exercice de ce droit - aucune statistique n'existe encore à ce jour. Elle suggère de mettre en place un processus de dématérialisation des échanges entre la Banque de France et les établissements de crédit dans le cadre du droit au compte. Elle souhaite, enfin, renforcer les actions destinées à sensibiliser les acteurs de la sphère sociale et les associations sur la procédure du droit au compte.

Si le droit au compte doit être la clé de voute du dispositif d'amélioration de l'inclusion bancaire, faut-il pour autant renoncer à la mission de « pré-bancarisation » qui repose sur le Livret A de La Banque Postale ? Ce n'est pas notre conclusion, car il est difficile de définir précisément les utilisateurs exclusifs du Livret A, qu'ils détiennent ou non un autre compte bancaire. La Banque Postale et les pouvoirs publics devraient réaliser une enquête sur ce point, afin de sérier les besoins et de proposer une offre adaptée, qui passerait probablement par un recentrage de la mission d'accessibilité bancaire en faveur de ceux qui sont temporairement dans l'impossibilité de disposer d'un compte courant. L'exemple le plus évident est celui des migrants, dont un certain nombre ne sont pas en possession des pièces justificatives requises pour solliciter l'ouverture du droit au compte auprès de la Banque de France. Le Livret A constitue sans doute la meilleure offre à cet égard et devrait donc être maintenu.

Pour le reste, il faudrait proposer l'offre spécifique à ceux qui utilisent de manière intensive le Livret A tout en disposant d'un compte bancaire. L'offre créée en 2013 a été assez peu souscrite, car le dispositif est encore trop récent pour une montée en gamme, manque de clarté et se révèle inadapté à certaines populations. En outre, les établissements bancaires ne se sont pas précipités pour l'offrir à leur clientèle. Cette offre mériterait d'être réadaptée, ce qui supposerait une réflexion un peu plus large sur une mission de service public confiée à La Banque Postale et à La Poste, avec ses 17 000 points de contact. Dans ce contexte, cette pratique ne traduit-elle pas, plus qu'une fragilité financière stricto sensu , une fragilité d'un autre ordre qui s'extérioriserait pas le besoin de passer par un guichet ?

Je conclurai par une bonne nouvelle concernant la prévention du surendettement : le nombre de dépôts de dossiers a beaucoup diminué grâce aux mesures qui ont été prises. À moins de considérer que la pauvreté a considérablement reculé dans notre pays, seul l'arsenal législatif peut expliquer ce phénomène. Néanmoins, il existe encore un nombre non négligeable de dossiers de surendettement qui sont liés à l'accumulation de crédits. Il faut donner les moyens à l'établissement bancaire qui offre un crédit à la consommation de repérer le « crédit de trop ». C'est en ce sens que nous proposons non pas de revenir sur le fichier positif que le Conseil constitutionnel avait censuré, mais de trouver un moyen qui permette aux établissements financiers de mieux réguler leurs offres de crédit.

Mme Michèle André , présidente . - Je me tourne maintenant vers Philippe Guilbaud et Catherine Jeandel, afin de recueillir l'éclairage des acteurs associatifs sur le terrain. Les analyses de la Cour des comptes rejoignent-elles vos constatations quotidiennes ? Partagez-vous son avis au sujet de la complexité du droit au compte ? Comment expliquer que l'offre spécifique ne rencontre pas le succès attendu ? Certaines nouvelles formes d'exclusion bancaire seraient-elles liées au numérique ?

M. Philippe Guilbaud, président de l'Association Nouvelles Voies . - L'Association Nouvelles Voies favorise l'accès aux droits quotidiens en faveur de ses adhérents. À l'origine, le surendettement ne faisait pas partie de nos objectifs. Après seize ans, il représente un quart des dossiers que nous traitons, eu égard à la place que l'endettement, le « malendettement » et le surendettement ont prise en France. De plus, nombreux sont ceux qui ignorent leurs droits, y compris au sein des entreprises. En principe, nous ne visons pas les populations qui sont déjà en grande difficulté. Nous agissons plutôt pour éviter le basculement dans la précarité. C'est l'accès au droit qui nous a amenés au surendettement, mais l'inverse peut être vrai !

Nous accompagnons de nombreuses personnes vers ce droit au compte. Nous dirigeons traditionnellement les personnes vers La Poste, mais aussi désormais vers les comptes Nickel. Les difficultés tiennent à la complexité et à la longueur parfois décourageantes de la procédure. Notre accompagnement permet à nos adhérents d'aller au bout de leurs démarches.

Nous ne pouvons qu'être favorables à la prévention, qui s'inscrit dans le même esprit que nos démarches depuis le début de notre mission. Au sein de l'association, le service de prévention et d'actions collectives de prévention a été mis en place par Catherine Jeandel. Je saisis cette occasion pour lancer un appel, car nous manquons cruellement de moyens financiers pour développer ces actions, en accompagnement individuel ou en prévention collective. Espérons que la baisse des dossiers de surendettement aura des effets positifs.

Le numérique est un frein, car de nombreuses personnes n'y ont toujours pas accès aujourd'hui. Pour certaines, les démarches en ligne sont un vrai problème. Nous en avons fait le thème de l'année, afin d'accompagner les bénéficiaires du revenu de solidarité active, les personnes âgées, les jeunes travailleurs, en liaison avec les caisses d'allocations familiales ou les caisses de retraite. L'accès à un guichet et à une personne physique est essentiel pour beaucoup de nos concitoyens, qui préfèrent parfois remplir un formulaire que se retrouver devant un écran.

Nous nous battons pour l'interdiction des crédits renouvelables, véritable fléau. Le crédit de trop est un problème, mais le premier crédit souscrit peut aussi être celui qui met les pieds dans la vase ! Nous faisons tout pour que nos adhérents ne connaissent pas le surendettement. Pour cela, nous travaillons avec le Crédit municipal de Paris depuis longtemps. Les Points conseil budget n'existaient pas au départ, mais ils contribuent encore plus à restructurer les crédits et à éviter les procédures de surendettement, jugées stigmatisantes par de nombreux adhérents.

Mme Michèle André , présidente . - Monsieur Guilbaud, auriez-vous des idées pour alléger les procédures, à l'heure où la surabondance de normes est tant décriée ?

M. Philippe Guilbaud . - Nous sommes tout à fait prêts à travailler avec vous sur ce sujet.

Mme Michèle André , présidente . - Je me tourne maintenant vers La Banque Postale, acteur incontournable de l'inclusion bancaire qui doit ouvrir gratuitement un Livret A, souvent utilisé comme un quasi-compte bancaire, à toute personne qui en fait la demande. Cette mission légale doit être réformée d'ici à 2020. À quels besoins cette mission historique répond-elle ? Est-elle encore pertinente ? Qu'en est-il de l'accès à un guichet physique ?

M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste . - La Poste est très fière de sa troisième mission de service public, après la distribution du service universel postal, après le transport de la presse et avant l'aménagement du territoire. La Banque postale met en oeuvre cette mission d'intérêt général de l'accessibilité bancaire. Nous y sommes très attachés, comme nous voulons vraiment rendre vivante cette mission de lutte contre l'exclusion bancaire, adossée non pas seulement au Livret A, mais à la réalité du comportement de centaines de milliers de personnes. Il suffit de se rendre dans les bureaux de poste sur tout le territoire entre le 4 et le 6 de chaque mois pour voir la réalité de la mission d'inclusion bancaire de La Banque Postale et de La Poste.

Philippe Guilbaud, que je n'ai jamais rencontré auparavant, a affirmé que le droit au compte revenait pour lui à aller vers La Poste - il a également cité le compte Nickel. Nous voulons approfondir la réflexion sur cette mission d'intérêt général, mais sans rester crantés au seul outil du Livret A. Nous voyons une articulation très forte entre la mission d'accessibilité bancaire et la mission d'aménagement du territoire. En effet, l'exclusion bancaire réelle, qui prend également la forme de l'exclusion numérique, est vécue dans les territoires ruraux et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. D'où la nécessité d'accéder aux conseils humains via La Poste. Nous vivons chaque semaine des flux de masse en matière d'accessibilité bancaire. Ce sont les équipes de La Banque Postale qui la font vivre.

M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque postale . - Ce sujet dépasse la stricte accessibilité bancaire, même si celle-ci reste extrêmement importante.

Le Livret A est un instrument universel, gratuit et sans discrimination, d'où son énorme succès. C'est l'outil de la « pré-bancarisation » dans notre pays, utilisé notamment comme moyen de paiement dans les 1 300 bureaux de poste à dimension sociale marquée. Au-delà de la nécessité de moyens de paiement, ces utilisateurs ont besoin de proximité réelle, de conseils physiques, de sécurité. Près de 80 % des opérations de guichet ont trait à des opérations simples et à des demandes de solde de compte. À l'ère du numérique, on est tenté de sauter les étapes, mais nous ne pouvons nier la réalité.

Le rapport de la Cour des comptes relève l'utilisation du Livret A en tant que compte courant, même si certaines opérations en sont exclues comme la banque en ligne sur le téléphone. Les clients concernés ont vraiment besoin d'être entourés. D'ailleurs, dans les quartiers prioritaires de la ville, les bureaux de poste font appel à des interprètes, car près de 2 millions de personnes en ont besoin. De plus, les personnels des bureaux de poste sont tous formés pour s'occuper des clients. S'ils ont parfois un compte courant, c'est parce que nous essayons de les bancariser progressivement. Il serait illogique de ne s'en tenir qu'au Livret A. La période de transition dépendra des clients et de leurs besoins. Pour ce qui est du droit au compte, le commercial peut donner une lettre de refus, mais il hésitera face au risque croissant d'incivilité.

Notre dispositif est ouvert à tous, sans distinction, mais il ne suffit pas. C'est pourquoi nous avons lancé un programme complet pour éviter « la double peine », à savoir ajouter à l'exclusion bancaire l'exclusion numérique - nous avons notamment travaillé avec Emmaüs Connect sur ce sujet. Plus de 5 millions de personnes sont concernées par cette problématique. Nous avons donc réalisé dans les zones les plus sensibles une enquête précise concernant nos clients. Il en ressort que la moitié d'entre eux sont à peu près indépendants pour effectuer les opérations les plus courantes. Un peu plus du quart est complètement perdu face à ces usages. Quant aux derniers, il leur en faudrait peu pour devenir autonome.

S'agissant du rôle du Livret A dans l'accessibilité bancaire, ce n'est pas l'outil qui est coûteux, c'est la présence permanente aux guichets sur l'ensemble du territoire, les conseils prodigués aux clients, les démarches effectuées. L'ensemble de ce dispositif est nécessaire dans les environnements périurbains, mais aussi dans les zones rurales où sévit la double peine.

Enfin, toutes ces mesures doivent être accompagnées d'un mouvement de prévention et de formation, notamment grâce à l'« Appui », plateforme d'une quarantaine de personnes formées pour être au service des clients en difficulté, au travers du notre offre spécifique, dont nous détenons près de 40 % de parts de marché. Depuis 2013, nous avons déjà traité plus de 70 000 dossiers, pour lesquels les entretiens téléphoniques peuvent être très longs, avec un accompagnement psychologique ou une aide plus concrète, budgétaire ou autre. Les agents peuvent proposer des sessions de remise à niveau ou un soutien un peu plus individualisé réalisé grâce au partenariat avec des associations. À la fin du processus, nous envoyons les clients en Point conseil budget de deuxième niveau, la Fondation Crésus ou le Crédit municipal de Paris. Par conséquent, même si le flux global reste modeste, nous sommes un acteur très significatif de l'accessibilité bancaire, avec 10 millions d'agents au service de cette clientèle.

Tel est le sens de l'extension de notre mission d'accessibilité bancaire, qui est appelée à durer dans le temps du fait des difficultés actuelles de nos concitoyens.

Mme Michèle André , présidente . - Merci de ces informations concernant l'accompagnement des clients, dont certains éprouvent de grandes difficultés pour remplir le moindre formulaire.

Je me tourne maintenant vers BNP Paribas, qui applique les dispositifs d'inclusion. Monsieur Laborde, quel est votre avis sur le faible taux de souscription à l'offre spécifique ? Le développement des nouveaux outils, particulièrement le compte Nickel, pourrait-il réduire l'exclusion bancaire ?

M. Thierry Laborde, directeur général adjoint de BNP Paribas, responsable des « Marchés domestiques » . - Sur l'offre spécifique, j'ai la conviction que le fait de limiter la prévention de la fragilité des clients au taux d'adhésion à l'offre spécifique est une mesure très limitative. En effet, les clients trouvent parfois eux-mêmes d'autres solutions, en demandant par exemple à ne plus utiliser de chéquier, à avoir une carte soumise à autorisation systématique ou à bénéficier de l'adaptation du montant du découvert autorisé. Il est aussi possible de changer son quantième de prélèvement pour éviter le rejet de celui-ci et la spirale qui s'ensuit.

L'importance de la promotion de l'offre spécifique, qui est un dispositif récent, reste d'actualité. C'est pourquoi nous assurerons cette mission en envoyant cette année 240 000 courriers électroniques à la totalité de nos clients, identifiés par nos algorithmes comme pouvant être fragiles.

Quant au compte Nickel, il faut rendre au créateur de cette start-up le succès du modèle économique créé, qui répondait à un véritable besoin, plus large que l'inclusion bancaire. Cette promesse est tellement simple qu'elle a trouvé son modèle économique en trois ans, un cas unique parmi toutes les fintechs en Europe. Y ont souscrit 640 000 clients, désireux d'avoir accès au système de paiement international pour 20 euros par an et sans aucun découvert. Une carte de séjour est suffisante pour ouvrir un compte Nickel, mais un récépissé ne suffit pas. En outre, Nickel permet l'accès à 2 700 buralistes, qui peuvent également aider les clients. Le service peut être obtenu grâce à un simple téléphone ou à un téléphone portable à 24 euros par an, dans le cadre d'un forfait à 2 euros par mois, le plus bas à l'heure actuelle. Au total, le compte Nickel coûte 58 euros par an, contre 190 euros par an au minimum pour un compte ouvert dans une banque. Les clients apprécient que les opérations soient réalisées en temps réel, avec une garantie contre les découverts. Ils sont alertés par SMS en temps réel et peuvent ainsi trouver une solution immédiate. En outre, aucune stigmatisation n'est à craindre. Enfin, ce service est transparent, sans frais cachés : un euro est prélevé à chaque retrait, dont 60 centimes sont reversés à la banque qui possède le distributeur. BNP a choisi de ne rien changer, en gardant les spécificités du Compte Nickel. Il sera toujours présidé par son créateur, Ryad Boulanouar, qui avait lui-même souffert d'être interdit bancaire.

Mme Michèle André , présidente . - Chacun connait bien les bureaux de tabac, dans lesquels on peut déjà effectuer de nombreuses opérations. Voilà une nouvelle activité. Souvent, d'ailleurs, le bureau de tabac se trouve à côté de la Poste...

M. Thierry Laborde . - C'est une nouvelle possibilité de proximité. Plus il y a de choix, mieux c'est.

M. Rémy Weber . - Et le soir le buraliste vient souvent déposer son argent à La Banque Postale !

Mme Michèle André , présidente . - Je me tourne vers Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France. Dans son dernier rapport, en juin dernier, l'Observatoire de l'inclusion bancaire annonce des travaux concernant une adaptation de l'inclusion bancaire à de nouvelles exclusions. Sont visés les nouveaux usages liés à la digitalisation. Comment ces exclusions se matérialisent-elles ? Comment y répondre ?

M. Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France . - La Banque de France a la volonté forte d'aider les citoyens défavorisés. Notre pays s'est doté d'un éventail d'actions sans équivalent en Europe. La Banque de France gère la procédure du droit au compte, instruit les dossiers de surendettement, réalise de nombreuses études statistiques et assure la présidence de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, lieu d'échange qui regroupe les pouvoirs publics, les banques et des associations. À l'automne 2016, la Banque de France s'est aussi vu confier la coordination de la politique nationale d'éducation économique et financière.

Le nombre des dossiers de surendettement baisse : moins 11 % en 2016, moins 7 % au premier semestre 2017. Surtout, nous nous efforçons d'apurer les dossiers totalement pour permettre aux gens de sortir du cercle du surendettement. Nous avons proposé de simplifier les procédures, le législateur nous a suivis et les nouvelles dispositions entreront en vigueur au 1 er janvier 2018. Les délais seront raccourcis. Pour les gens concernés, il est crucial de voir leur dossier traité rapidement.

Le droit au compte est un mécanisme qui fonctionne, même s'il reste des progrès à faire. Il n'est pas très utilisé car il n'est pas toujours connu dans les centres communaux d'action sociale (CCAS) ou les caisses d'allocations familiales (CAF) qui doivent orienter les personnes qui n'ont pas de compte - dont le nombre est estimé à 500 000. C'est pourquoi nous comptons former 1 300 travailleurs sociaux prochainement. Le dispositif a été centralisé et des référents spécifiques ont été désignés au sein de chaque banque. Toutefois, nous n'avons pas le pouvoir d'exiger des banques un suivi de l'effectivité du droit au compte. Nous sommes ouverts à une évolution sur ce point.

L'inclusion bancaire ne se limite pas à l'accès au compte. C'est aussi l'accès aux services bancaires, en particulier aux petits crédits ou aux microcrédits accompagnés, jusqu'à 5 000 euros pour des crédits personnels ou 25 000 euros pour des microcrédits professionnels. Nous travaillons à ce sujet avec les associations et les banques. L'encours des microcrédits a ainsi augmenté de 32 % en trois ans. Ceux-ci, distribués de manière raisonnable et avec un accompagnement, constituent une solution préférable aux crédits à la consommation, qui sont distribués parfois de façon irresponsable, car ils permettent d'éviter la constitution d'une bulle qui risquerait de mettre en péril la stabilité financière, à laquelle nous devons aussi veiller.

La Banque de France est attachée au développement d'une offre bancaire spécifique, plus large que le simple accès au compte. Cette offre va de pair avec un accompagnement, inhérent à une démarche d'inclusion bancaire et crucial pour une population en grande difficulté qui a besoin d'être aidée. Le législateur a prévu une offre spécifique. Elle n'est pas encore très développée. Il faut lui donner sa chance et nous partageons l'avis de la Cour des comptes à ce sujet. Il convient aussi d'analyser les raisons pour lesquelles elle n'a pas encore rencontré le succès : est-ce à cause de conditions tarifaires ? D'une mauvaise information de la clientèle ?

Un bon moyen de prévenir le surendettement serait d'exiger, à l'appui de toute demande de crédit d'un certain montant, la production des derniers relevés bancaires, afin de pouvoir évaluer de façon précise la situation du demandeur, ses crédits en cours, sa capacité de remboursement, etc. Le crédit de trop est souvent un crédit à la consommation, souvent un crédit renouvelable souscrit sur le lieu de vente. On connaîtrait ainsi les dettes non-financières du demandeur car, on le sait, dans les dossiers de surendettement, la part des dettes non-financières - pour payer l'eau, le loyer ou l'électricité par exemple - est plus importante. On aurait aussi une idée plus précise du revenu de la personne. Un fichier positif ne nous paraît pas la solution techniquement et juridiquement adaptée : très large, il serait inconstitutionnel...

Mme Michèle André , présidente . - Le Conseil constitutionnel s'est d'ailleurs déjà prononcé sur ce sujet à l'occasion de la loi « consommation » de 2014.

M. Jacques Fournier. - Trop restreint, il serait inefficace ! En Belgique, par exemple, où un tel fichier a été mis en place, le nombre des personnes ayant eu des incidents de paiements a augmenté l'an dernier, alors qu'il a diminué en France. Le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale s'est prononcé en faveur de notre proposition. Le Parlement européen, de son côté, a refusé toute mesure permettant d'avoir connaissance des lignes de prêts des personnes physiques, dans l'attente d'une solution adaptée et non intrusive.

Enfin l'éducation économique et financière constitue une part importante de l'action en faveur de l'inclusion bancaire. Sur le site de la Banque de France nous avons des rubriques spécialisées. D'ici à la fin de l'année, nous entendons former 14 000 travailleurs sociaux. En septembre, nous livrerons un kit destiné aux enseignants de l'Éducation nationale.

Mme Marie-France Beaufils . - Je suis dubitative à l'égard des propositions 4, 6 et 7 de la Cour des comptes. Je connais bien La Banque Postale. Mon département compte 42 % de logements sociaux, la population est très fragile. Chaque samedi les gens se présentent au guichet de la Poste pour savoir de quelle somme ils disposent sur leur compte pour faire leurs courses au marché ! Je tiens à saluer le travail accompli par les agents de La Poste, qui s'apparente à un travail social. Si l'on ferme des bureaux de poste, tant à la ville qu'en milieu rural, la situation s'aggravera.

Pourquoi vouloir enquêter sur les raisons de l'utilisation intensive du Livret A ? Il peut s'agir de personnes en situation d'interdit bancaire, de personnes qui préfèrent le Livret A par habitude, de personnes âgées, qui n'ont plus confiance dans leur capacité à utiliser un chéquier ou une carte bancaire...Vous proposez des règles plus restrictives de domiciliation du Livret A et de restreindre son utilisation. Ne serait-ce pas, si je lis les annexes, en raison de l'exigence européenne d'encadrement des aides d'État pour compensation de service public ? Il importe au contraire de ne pas diminuer cette compensation de service public pour ne pas réduire les capacités d'intervention.

Deuxième point, l'exclusion numérique. Qui a déjà réussi à remplir un formulaire numérique avec un smartphone ? Est-il réaliste de demander aux gens d'utiliser internet à domicile et d'imprimer eux-mêmes les documents alors qu'ils ne disposent pas toujours d'une imprimante ?

Enfin, je suis inquiète. Les demandes relatives à des impayés s'accumulent dans mon centre communal d'action sociale. Ces impayés deviennent lourds. Des progrès ont été faits, beaucoup de prestations sont désormais attribuées en tenant compte des capacités financières et du quotient familial, mais je ne sais pas si le Président de la République poursuivra dans cette voie... Réduit-on vraiment le surendettement si les dettes à d'autres créanciers que des banques augmentent par ailleurs ?

Enfin, si l'on veut prévenir le crédit de trop, il faut interdire le crédit renouvelable !

M. Philippe Dominati . - Malheureusement, tous les élus sont régulièrement confrontés à des situations de surendettement. Il y a eu des avancées législatives. Les services de la Banque de France font preuve d'une grande réactivité et d'un grand souci d'accompagnement.

Toutefois j'aimerais savoir si La Banque Postale remplit bien sa mission. Le coût pour l'État de la compensation de service public à la Banque postale s'élève à 225 millions d'euros. Une étude d'évaluation qualitative a-t-elle été menée ? La description faite par Rémy Weber et Philippe Wahl est idyllique, mais je connais beaucoup de cas où les personnes ont attendu trois semaines avant de recevoir une réponse négative pour l'ouverture d'un compte, non signée.

Quelle est l'efficacité concrète du mécanisme de droit au compte sur le terrain ? Combien de refus de comptes ont eu lieu ? Ne faudrait-il pas raccourcir les délais ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Concentrer la mission des Points conseil budget (PCB) sur le conseil et l'accompagnement budgétaires, l'accès aux droits ainsi que l'accompagnement des personnes surendettées, comme le propose la Cour des comptes, serait une erreur. Les cas les plus délicats exigent du temps. S'agit-il de supprimer la médiation, comme celle que réalise, par exemple, l'association Crésus, entre les personnes surendettées et les établissements bancaires ? Cette tâche est essentielle. Si l'on restreint trop la mission des PCB, les personnes les plus en difficulté n'y iront plus. La prise en charge globale doit être conservée.

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le fichier d'alerte sur les crédits à la consommation. L'association Crésus a proposé aux banques la création d'un Observatoire, permettant, sur la base du volontariat, aux banques comme aux emprunteurs d'avoir accès à certaines données pour éviter la souscription du crédit de trop. Qu'en pensent la Cour des comptes, la Banque de France ou les banques ? Beaucoup de personnes tombent dans le surendettement car elles n'ont simplement pas conscience des risques qu'elles prennent en souscrivant des crédits.

M. Philippe Dallier . - Le taux de bancarisation s'élève à 96%. Qui sont les 4 % restants ? Il est très difficile de se passer de tout service bancaire aujourd'hui.

M. Claude Raynal . - Quelle évaluation faites-vous de de la loi du 26 juillet 2013 ?

La création d'un fichier d'alerte est envisagée. Jacques Fournier en a évoqué les difficultés. Par qui serait-il géré : les banques, la Banque de France ?

Enfin, pourquoi n'interdit-on pas les crédits renouvelables ? Ont-ils un effet sur la croissance économique en soutenant la consommation ?

M. Bernard Lalande . - Plus on est pauvre, plus les risques sont élevés, plus les taux d'intérêts sont élevés ! Cela n'empêche pas les contentieux ! On s'efforce de créer grâce à la Banque de France et aux ministères un service de contentieux gratuit. La Banque de France a sollicité 157 millions d'euros de remboursement au titre de ses activités de médiation entre les prêteurs et les créanciers. Pourquoi les prêteurs ne prennent-ils pas à leur charge ce contentieux ? Ils ont tout à fait conscience des risques qu'ils prennent puisqu'ils exigent des taux d'intérêts plus élevés que ceux qu'ils ne consentent à ceux qui ont du patrimoine !

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Je partage les inquiétudes de Marie-Noëlle Lienemann sur les missions des Points conseil budget, qui reposent, je le rappelle, sur la logique du volontariat. L'enjeu en France n'est pas tant l'accès au compte que son usage. La création d'un institut de l'inclusion bancaire avait été envisagée. Où en est ce projet ? Cela pose aussi la question de la définition précise des personnes fragiles et en difficulté.

M. Thierry Carcenac . - Plusieurs dispositifs existent pour favoriser l'inclusion bancaire et agir contre le surendettement. L'enjeu est d'informer les personnes concernées. C'est le rôle des centres communaux d'action sociale, c'est aussi celui des services sociaux des départements, qui travaillent en lien étroit avec la Banque de France. Les microcrédits professionnels sont fondamentaux. Des associations, comme l'association pour le droit à l'initiative économique (Adie), interviennent. Dans le Tarn, ce sont les services sociaux du département qui montent les dossiers, tandis que les conseillers en économie sociale et familiale jouent un rôle d'accompagnement essentiel. C'est la preuve que l'on ne peut créer un dispositif sans prévoir un service social à l'autre bout de la chaîne pour le mettre en oeuvre.

M. Michel Canevet . - Dispose-t-on d'études qualitatives sur les personnes concernées pour mieux appréhender la situation ? Rémy Weber a évoqué l'accompagnement par La Banque Postale des personnes en difficulté. Les élus ruraux sont inquiets de la fermeture de bureaux de Poste. Il conviendrait de mener une réflexion à ce sujet, pour ne pas aggraver l'exclusion dans ces zones. Enfin, comment sont financées les associations de médiation ? Disposent-elles de suffisamment de moyens ?

M. Philippe Guilbaud . - Les associations manquent cruellement de moyens ! La suppression du Point conseil budget de deuxième niveau (PCB 2) serait dommageable. On s'appuie beaucoup sur le Crédit municipal de Paris pour mener des négociations et faire des restructurations de dettes. Pour autant, il ne faut pas limiter le rôle des PCB 1 à une mission d'information. Nous faisons beaucoup d'accompagnement mais on manque de moyens pour répondre à la demande et suivre les gens de manière durable.

J'ai déjà dit ce que je pensais ces crédits renouvelables. Ils ne servent pas l'économie : l'argent que les clients perdent à payer les intérêts ne soutient pas la consommation.

Notre association a été reconnue comme PCB 1 mais, en dépit du label, nos moyens n'ont pas augmenté et restent insuffisants.

Mme Catherine Jeandel, responsable des partenariats de l'association « Nouvelle voie » . - Depuis que nous avons reçu le label PCB 1 en avril 2016, nous avons reçu plus de 2500 personnes en Île-de-France dans nos 80 points d'accueil. Notre mission est triple : aide à l'ouverture des droits, accompagnement budgétaire et accompagnement des dossiers de surendettement. Nous avons aussi lancé une étude d'impact social pour évaluer les effets de notre travail.

M. Philippe Guilbaud . - Nous travaillons en lien étroit en avec les travailleurs sociaux, les centres communaux d'action sociale, les conseillers en économie sociale et familiale, etc. Cette complémentarité est essentielle.

Mme Michèle André , présidente . - Et d'où viennent vos financements ?

M. Philippe Guilbaud . - Nous sommes financés par tous les niveaux des collectivités territoriales, sauf la région dont ce n'est pas la compétence : les villes, les départements, mais aussi l'État, à travers la politique de la ville, les caisses d'allocation familiales, la Fondation Abbé Pierre, la Fondation les Petits frères des pauvres, certaines entreprises et certaines caisses de retraite. Cela reste insuffisant pour faire face à la hausse des demandes.

M. Rémy Weber . - La Banque Postale, ainsi qu'un autre établissement bancaire, a toujours été favorable à un fichier positif ou d'alerte.

Ma description n'était pas idyllique. Sur le terrain, rien n'est simple ! Bien au contraire. Nos conseillers n'osent souvent pas délivrer en direct des lettres de refus, ce qui explique le détour par les services centraux et un délai de réponse de trois semaines. Il est en effet plus facile de dire non à distance. Je suis aussi soucieux de la sécurité de mes collaborateurs. Dans certains quartiers, ceux-ci exercent dans des conditions difficiles. Il suffit parfois d'un mot mal interprété pour être agressé physiquement. Je dois les protéger.

La consultation publique du comité consultatif du secteur financier (CCSF) de juillet dernier a montré la satisfaction de toutes les parties et des associations quant à la mission d'accessibilité de La Banque Postale. Même les autres banques, nos concurrents, se sont abstenues de façon bienveillante. Nous traitons tous nos clients de la même façon. Les personnes qui ne sont pas bancarisées disposent souvent d'un Livret A.

M. Thierry Laborde . - Notre taux de bancarisation est parmi les plus élevés au monde. La question est celle, en effet, de l'usage du compte. Pour cela, il faut de la pédagogie, proposer des solutions alternatives, développer des systèmes d'alertes en cas de demandes de paiement imminentes, etc. La profession bancaire réclame depuis longtemps des suites concrètes au rapport de la Banque de France sur le surendettement qui remet en cause beaucoup d'idées reçues et identifie des pistes d'améliorations, impliquant les acteurs publics et privés, au-delà de la sphère financière. La proportion des dettes non financières dans les dossiers de surendettement est très élevée. C'est pourquoi il importe de comprendre comment on entre dans le surendettement, d'identifier les parcours. Quant au crédit renouvelable, en fin de compte, c'est le créancier qui est perdant. Le coût du dispositif public n'est pas comparable au coût, pour le privé, des dettes non remboursées ! Je rappelle enfin que le montant d'utilisation moyen d'un crédit renouvelable en retirage est de 48 euros. La loi Lagarde a limité le montant des crédits renouvelables. Ces petits crédits sont un moyen pour certains ménages d'avoir accès à un crédit, auquel ils n'auraient pas accès autrement.

M. Jacques Fournier. - Nous ne recommandons pas la création d'un Observatoire sur la base du volontariat car, comme tous les organismes de crédit ne sont pas désireux d'y participer, l'outil ne serait pas efficace. Une réflexion est en cours sur le rôle des Points conseil budget. Nous les soutenons, tout en veillant à éviter des doublons.

L'encours des crédits renouvelables s'élève à 19 milliards d'euros. Ces crédits constituent un soutien à l'économie. Ils bénéficient à toutes les tranches de revenus, puisque moins de la moitié des encours sont détenus par des personnes du premier quartile de revenus et la plupart ne sont pas en situation de précarité. Plus qu'une interdiction qui porterait atteinte à la liberté du commerce, nous préférons l'accompagnement et le contrôle des abus.

Le rapport sur l'inclusion bancaire, consultable sur le site de la Banque de France, comprend des données chiffrées et des analyses qualitatives. Dans nos réflexions futures, nous tiendrons compte du contenu de nos échanges et des travaux de la commission des finances du Sénat.

Mme Michèle André , présidente . - Je laisse le soin de conclure à Monique Saliou que je remercie pour ses éclairages techniques et pour avoir su mettre en avant la dimension humaine. Il reviendra au Parlement de se saisir à nouveau de la question du surendettement. La première loi sur le sujet a été votée il y a trente ans, à l'initiative de Véronique Neiertz. Le débat a été riche en 2014. J'espère que nos débats d'aujourd'hui nourriront la réflexion future.

Mme Monique Saliou . - L'accompagnement des personnes surendettées est fondamental. Le rôle des PCB 1 est donc central. Nous ne recommandons pas la suppression des PCB 2 existants qui font de la médiation. L'association Crésus ou le Crédit municipal à Paris font un travail remarquable. Mais faut-il généraliser ? Ce serait contreproductif car toutes les associations ne sont pas prêtes à assumer cette mission. Attendons la fin de l'expérimentation.

Nous avons abordé la question du fichier positif sous l'angle du coût, financier comme humain. N'oublions pas que les personnes surendettées sont plus souvent malades que les autres. Le surendettement a un coût financier tant pour les organismes de crédit, qui peuvent certes se rattraper grâce aux taux d'intérêts, que pour les finances publiques : l'État rembourse à la Banque de France le coût du secrétariat de la commission de surendettement et en cas de faillite personnelle, l'État abandonne des créances (impôts locaux, frais de cantines, etc.) Il existe une marge de progrès dans la prévention du surendettement. Un fichier positif, allégé par rapport à celui censuré par le Conseil constitutionnel, est une piste. Nous proposons que la Banque de France gère ce fichier, même si elle n'est guère enthousiaste à cette idée.

Le droit au compte constitue la clef de voûte du dispositif pour l'inclusion bancaire. Il y a une marge de progrès pour l'offre spécifique. Il existe d'autres possibilités comme le compte Nickel ou ses concurrents. Une loi a été votée en 2013 de manière consensuelle : appliquons-là. Elle monte en puissance.

En matière d'accessibilité bancaire, le rôle d'accompagnement de La Banque Postale des personnes défavorisées, qui ont besoin d'un guichet et d'être aidées, est essentiel. Ce rôle se limite-t-il à l'ouverture d'un Livret A ? Faut-il enfermer ces personnes dans ce cadre ? Derrière ces questions, se pose la question du financement : dans la mesure où ces comptes sont adossés au Livret A, c'est le fonds d'épargne qui est mis à contribution et qui rembourse La Banque Postale. Si on reconnaît, comme nous le jugeons nécessaire, une mission de service public élargie à l'accès aux espèces ou l'accès à un guichet, il faudra reposer la question des modalités de financement.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de Mme Michèle André.

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