C. RENFORCER LE PILOTAGE DU SYSTÈME FRANÇAIS DE NORMALISATION

1. Conforter la place du délégué interministériel aux normes et du réseau des correspondants ministériels

L'institution, dès 1984, d'un délégué interministériel aux normes a été très bénéfique en donnant plus de visibilité, dans la structure administrative, à l'activité de normalisation, tout en permettant à son titulaire de l'appréhender plus largement, au-delà de la traditionnelle segmentation ministérielle.

Un positionnement interministériel permet notamment d'éviter des « angles morts » dans le suivi des processus de normalisation , lorsqu'aucun des ministères n'estime qu'un sujet relève de sa pleine compétence et constitue un enjeu de son action. M. Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques, a indiqué lors de son audition que le cas s'était par exemple récemment rencontré au cours de l'élaboration de la norme ISO 37000 :2016 « Systèmes de management anti-corruption - Exigences et recommandations de mise en oeuvre », pour laquelle ni les services du ministère de la justice, ni ceux du ministère de l'économie ne se sentaient concernés au premier chef par ce sujet à caractère transversal.

La question à poser est néanmoins celle du positionnement institutionnel du délégué interministériel aux normes et de sa capacité d'animation réelle du réseau des responsables ministériels aux normes.

Le fait que le délégué n'ait aujourd'hui que rang de sous-directeur au sein d'un service du ministère de l'économie et des finances - le service de la compétitivité, de l'innovation et du développement des entreprises de la direction générale des entreprises - a été présenté, lors des auditions, comme un élément de faiblesse, qui rendait difficile une coordination effective et efficace du réseau des responsables ministériels et le dépassement des approches cloisonnées, réduites aux périmètres des ministères, souvent de mise en matière de normalisation.

Une solution envisagée pourrait donc être de confier la fonction de délégué interministériel aux normes à un chef de service ou un directeur d'administration centrale afin d'asseoir davantage son autorité.

De la même manière, il semble nécessaire que les responsables ministériels aux normes disposent, dans l'organigramme de leur ministère, d'un positionnement suffisant pour animer, de manière transversale, le travail des services sur les sujets faisant l'objet d'une normalisation .

En effet, le suivi des travaux de normalisation peut ne pas toujours être la priorité de certains services ministériels, au point de bloquer le processus d'homologation des normes. Ainsi, lors de son audition, M. Stéphane Dupré La Tour, président du CCPN, a relevé qu'une vingtaine de normes restaient à ce jour en attente d'homologation, parfois depuis plus de dix ans, à raison pour certaines d'une absence de réponse des administrations concernées aux sollicitations du délégué interministériel aux normes pour déterminer s'il convenait de s'opposer à cette homologation.

Cette situation, pour exceptionnelle qu'elle soit, démontre un réel dysfonctionnement dans le suivi des travaux de normalisation, d'autant plus dommageable lorsque sont en cause des normes d'origine européenne qui doivent être obligatoirement reprises dans la collection française.

Recommandation n° 23 : Confier les fonctions de délégué interministériel aux normes à un chef de service ou directeur d'administration centrale et celles de responsables ministériels aux normes à des fonctionnaires d'un niveau hiérarchique suffisant.

2. Poursuivre la rationalisation du système français de normalisation
a) Développer les synergies voire les regroupements entre bureaux de normalisation sectoriels

Il ressort des auditions conduites par votre rapporteur et des documents remis à cette occasion que l'apport des bureaux de normalisation sectoriels aux travaux de normalisation est essentiel et apprécié des entreprises, notamment des PME, en raison de leur proximité du « terrain » qui leur confère des contacts directs et efficaces avec les acteurs économiques. En outre, ainsi que l'a souligné notamment le BNTEC, l'approche sectorielle, organisée au moyen d'un lien organique ou fonctionnel fort avec les organismes professionnels correspondants, est également retenue dans d'autres pays.

QUELQUES EXEMPLES D'APPROCHES PAR BUREAUX SECTORIELS À L'ÉTRANGER

Aux États-Unis , l'organisme national, l'ANSI ( American National Standards Institute ), s'appuie sur un réseau de plus de 400 organismes de normalisation sectoriels parfois concurrents, souvent complémentaires, organisé sur la base des sociétés scientifiques.

En Suisse , l'Association suisse de normalisation (SNV) s'appuie sur six bureaux de normalisation sectoriels. Par exemple, dans le secteur du Bâtiment, un bureau sectoriel existe piloté par la Société suisse des architectes (SIA).

En Australie , l'organisme de normalisation Standards Australia (SA), s'appuie sur cinq bureaux sectoriels (SDO) en dehors de sa propre activité.

En Italie , l'UNI ( Ente Italiano di Normazione ) s'appuie aussi sur sept organismes fédérés ( Enti Federati ) sectoriels.

Il n'y a donc nullement lieu de remettre en cause l'existence des bureaux de normalisation sectoriels et leur participation au processus de normalisation. Il n'y aurait d'ailleurs pas d'obstacle de principe à ce que, le cas échéant, certains domaines de la normalisation relevant aujourd'hui de l'AFNOR dans le cadre de son activité analogue à un bureau de normalisation soient à l'avenir confiés à des bureaux de normalisation sectoriels existants ou à créer si un secteur économique ou une filière le trouvait plus pertinent et efficace.

Toutefois , à l'instar de l'Autorité de la concurrence dans son avis du 16 décembre 2015, la pertinence du nombre - important - et de la grande disparité d'activités et de champ de compétence des bureaux de normalisation sectoriels peut être questionnée. En effet, on peut s'interroger sur l'efficacité d'un système aussi fragmenté, alors que la normalisation concerne de plus en plus des thématiques « transversales » qui touchent plusieurs secteurs industriels dont les bureaux de normalisation sectoriels sont l'émanation.

La création de « CoopBN » permet certes de disposer d'une « plate-forme » efficace de mutualisation de leurs moyens qui permet à plusieurs bureaux de normalisation de se concerter, et le cas échéant, d'adopter des positions communes.

LES ACTIONS COMMUNES MENÉES PAR « COOPBN »

Depuis sa naissance en 2010, les travaux de CoopBN ont permis, par exemple :

- de préparer les réunions du CCPN/GTP ;

- de collecter les besoins d'amélioration des outils informatiques opérationnels du système français de normalisation et de traiter ces points avec l'AFNOR ;

- de mutualiser les démarches qualité dans le cadre de la mise en place de la norme NF X 50-088 (décembre 2009) « Activité des bureaux de normalisation » et de construire des outils et procédures communes (ex. : recherche des parties intéressées) ;

- de susciter et de préparer la codification en cours des règles applicables dans les Règles de normalisation française ;

- d'organiser un partage des salles de réunions disponibles dans le réseau CoopBN ;

- d'élaborer des propositions collectives pour les avenants aux conventions AFNOR-BNS ;

- d'établir un retour d'expérience unique des audits du système français de normalisation, partagé avec le Comité d'audit et d'évaluation et le Comité consultatif de la politique de normalisation (CCPN).

En outre, en pratique, les bureaux de normalisation sectoriels assurent une coordination volontaire de leurs travaux. Ainsi, le Bureau de normalisation de l'industrie du béton a mis en exergue auprès de votre rapporteur la coordination existant entre les bureaux de normalisation intervenant dans le secteur du bâtiment (le BNBA -Bureau de normalisation du bois et de l'ameublement, le BNCM - Bureau de normalisation de la construction métallique, le BNIB - Bureau de normalisation de l'industrie du béton ainsi que le BNTEC - Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment) afin de ne pas complexifier le corpus normatif volontaire pour l'ensemble des acteurs, et notamment la grande majorité de TPE et PME oeuvrant dans le domaine de construction.

Ces coordinations fonctionnelles, dans leur forme actuelle, peuvent toutefois sembler insuffisantes pour assurer la pleine efficacité du système de normalisation .

Certains regroupements ont eu lieu dans les dernières années. Ainsi, la fusion des Bureaux de normalisation de la sidérurgie (BNS) et des tubes d'acier (BNTA), créés en 1940, a donné naissance en 2003 au Bureau de normalisation de l'acier (BN Acier). Et, le 21 mars 2017, le conseil d'administration d'AFNOR a validé le transfert des activités du BN Acier vers l'Union de la normalisation de la mécanique (UNM). Intervenant à l'initiative de la Fédération française de l'acier, ce regroupement est motivé par la forte proximité entre la fabrication des aciers, leur première transformation et leur utilisation dans de nombreuses applications du domaine de la mécanique, ainsi que par les synergies possibles entre les deux bureaux de normalisation.

Corrélativement, le champ de compétences de certains bureaux s'est étendu . Il en va ainsi, au premier chef, de l'Union de normalisation de la mécanique, qui a connu au cours des quinze dernières années un accroissement de son champ d'activité. Outre la mécanique, il exerce également depuis 2002 son activité dans le domaine du caoutchouc et, depuis 2006, dans celui de la soudure par disparition du comité de normalisation du soudage (CNS).

Dans un souci d'efficacité de l'action de normalisation, ce mouvement de regroupement pourrait se poursuive, selon les modalités déterminées par les acteurs des secteurs concernés, afin que les bureaux de normalisation puissent atteindre une taille critique à même d'assurer de manière optimale leurs missions.

Recommandation n° 24 : Poursuivre, selon les modalités déterminées par les acteurs des secteurs concernés, le regroupement des bureaux de normalisation afin d'atteindre une taille critique les mettant à même d'assurer de manière optimale leurs missions.

b) Réexaminer périodiquement les périmètres des comités stratégiques et favoriser la constitution de groupes de coordination

La question du périmètre des comités stratégiques (CoS) actuels a été également soulevée au cours des auditions. Certaines personnes entendues ont estimé que l'existence de CoS avec des périmètres très étendus pouvait aller à l'encontre d'un pilotage stratégique suffisamment étroit des activités des commissions de normalisation.

En ce sens, le rapport de la mission de réflexion du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) propose une généralisation des « groupes de coordination » au sein de certains CoS aux compétences étendues, sur le modèle du groupe de coordination des normes du bâtiment (GCNorBât-DTU), dans le cadre du CoS « Construction et urbanisme ».

L'adoption de ce type de structure dans certains CoS pourrait en effet faciliter la définition d'une démarche stratégique au plus près des travaux de commission. Pour autant, votre rapporteur estime qu'il convient, en la matière, de ne pas figer les structures, et qu'il doit revenir à chacun des CoS de déterminer la pertinence de leur instauration .

À l'inverse, certains CoS disposent d'un champ de compétence relativement étroit et parfois connexe à celui d'autres comités. Tel est le cas, notamment, des CoS « Gaz » et « Pétrole » qui pourraient vraisemblablement trouver des synergies au sein d'un ensemble élargi. Toutefois, votre rapporteur estime que la question est moins celle du nombre ou du périmètre des CoS que celle de l'aptitude du système à offrir un cadre d'échanges et de réflexion pour toute activité de normalisation . De ce point de vue, une segmentation plus importante des périmètres des CoS actuels peut donc tout autant être envisagée.

En tout état de cause, il est important que la question du périmètre des différents CoS fasse l'objet d'un réexamen périodique destiné à évaluer s'ils correspondent aux besoins du système de normalisation afin, le cas échéant, de le modifier.

Recommandation n° 25 : Réexaminer périodiquement les périmètres des CoS et créer, le cas échéant, des groupes de coordination dans les CoS à périmètres étendus.

c) Renforcer la légitimité du comité d'audit et d'évaluation

La création, par le décret du 16 juin 2009, d'un comité d'audit et d'évaluation (CAE) a procédé d'une intention louable de disposer d'un organe indépendant destiné à s'assurer du bon fonctionnement du système français de normalisation dans son ensemble . Néanmoins, à l'instar de Mme Lydie Évrard et du Professeur Anne Penneau, votre rapporteur juge que le positionnement institutionnel actuel du comité est insatisfaisant.

Perçu comme une simple émanation de l'AFNOR plutôt que comme un organe véritablement indépendant « veillant » sur le système, le CAE peut voir sa légitimité discutée lorsqu'il lui revient d'évaluer le fonctionnement d'instances qui sont fonctionnellement très autonomes d'AFNOR, quand bien même elles agissent par délégation de celle-ci.

Certes, les indicateurs du contrat d'objectifs conclu entre l'AFNOR et l'État permettent également à l'administration d'évaluer le bon fonctionnement du système, complétant, le cas échéant, les missions du CAE. Mais il apparaît souhaitable que l'instance d'audit de l'ensemble du système ne soit pas l'émanation directe de l'une de ses parties prenantes, fût-elle essentielle.

Votre rapporteur estime donc nécessaire que la légitimité du CAE soit mieux établie , en prévoyant, sans en modifier la composition ni les critères de désignation, une plus forte autonomisation de cette instance par rapport à l'AFNOR. Celle-ci pourrait notamment passer par la nomination de ses membres et de son président par le ministre chargé de l'industrie , sur la proposition du conseil d'administration d'AFNOR.

Recommandation n° 26 : Autonomiser le comité d'audit et d'évaluation par rapport à l'AFNOR, notamment en prévoyant la nomination de ses membres et de son président par le ministre.

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