B. MIEUX ASSURER L'IMPLICATION DES ACTEURS POUR DÉVELOPPER UNE « CULTURE DE LA NORMALISATION »

La normalisation ne doit pas être l'affaire de quelques spécialistes, aguerris au complexe système d'élaboration français, européen ou international. Elle doit fédérer davantage d'acteurs du monde économique mais aussi du monde associatif et de l'administration. Il est important de développer une vraie « culture de la normalisation » , comme il en existe dans des pays comme l'Allemagne.

En France, la prise de conscience de cet enjeu stratégique est réelle, mais elle demeure encore à parfaire, notamment à l'égard des PME et hors du domaine de l'industrie.

1. Favoriser l'appréhension des enjeux et avantages potentiels de la normalisation
a) Améliorer la connaissance des normes
(1) Former davantage sur le rôle et l'intérêt des normes

Connaître les normes, c'est d'abord décrypter un système d'élaboration très complexe et percevoir l'utilité de ce mode de régulation des activités économiques.

Or, comme l'a souligné lors de son audition Mme Lydie Évrard, alors déléguée interministérielle aux normes, la méconnaissance de la norme est d'abord liée à un déficit de formation . Les programmes des écoles d'ingénieurs ou de commerce font une place trop ténue au phénomène et aux mécanismes de la normalisation. En outre, parce que la normalisation ne relève pas du « droit dur », elle n'est pas un sujet d'étude en soi dans le cursus universitaire juridique.

C'est donc souvent « sur le tas » que les personnels nouvellement recrutés par les entreprises se confrontent à la normalisation, à la condition néanmoins que la culture de la normalisation y soit développée. Si, historiquement tel est bien le cas dans l'industrie, il n'en va cependant pas nécessairement de même dans les autres secteurs.

En outre, cette présence de la norme est plus prégnante dans les grandes entreprises que dans les PME. Or, comme le rappelait à votre rapporteur M. Valéry Laurent, représentant le BNTEC, certains secteurs de l'économie sont essentiellement constitués de PME et TPE : le bâtiment représente ainsi 500 000 entreprises dont 87 % sont des PME comportant moins de 20 salariés. Face à ces chiffres, le besoin de diffuser une culture de la normalisation dans les secteurs où les PME assurent l'essentiel du tissu économique apparaît particulièrement marqué.

Cette méconnaissance de la norme se révèle également dans le monde de la recherche française . De l'avis de plusieurs personnes entendues, le continuum entre la recherche appliquée et la normalisation n'existe pas - ou très peu - dans notre pays , alors qu'il est l'une des pierres angulaires du processus de normalisation ailleurs. M. Franck Gambelli, s'exprimant au titre de la CPME, a ainsi souligné que les sociétés savantes allemandes étaient très directement impliquées dans les travaux de normalisation. Or, ce lien fort entre recherche et normalisation permet de valoriser fortement les résultats de la recherche, en particulier dans un rapport de complémentarité avec la protection au titre de la propriété intellectuelle, qui s'opère essentiellement par le dépôt des brevets. Il est donc indispensable de renforcer ces liens.

Mais c'est aussi le système de normalisation lui-même que les entreprises doivent mieux cerner . Car dans le « labyrinthe » qui découle de la profusion des organes intervenant aux différents niveaux du processus d'élaboration des normes, les entreprises doivent, comme l'a souligné la déléguée interministérielle aux normes, Mme Lydie Évrard, lors de son audition, être à même d'identifier l'instance stratégique dans laquelle elles pourront intervenir pour faire valoir leurs solutions techniques ou simplement s'informer des évolutions qui intéressent leur secteur d'activité.

Dans ces conditions, le rôle des fédérations et organisations professionnelles est essentiel, compte tenu de la place spécifique qu'elles occupent indirectement dans le système de normalisation par le biais des bureaux de normalisation, et dans la mesure où leur fonction première est l'information de leurs membres sur l'environnement juridique et économique de leur secteur.

Elles doivent dès lors renforcer l'information de leurs adhérents sur le bénéfice de la normalisation et de la participation aux travaux de normalisation.

Recommandation n° 14 : Renforcer l'information, dans l'enseignement supérieur et la recherche, puis chez les professionnels, sur le bénéfice de la normalisation et de la participation aux travaux de normalisation.

(2) Mieux assurer l'accès aux normes

Plus généralement, l'accès aux normes reste difficile. Selon la CPME, les PME n'y ont pas toujours un accès effectif. De fait, des améliorations sont indispensables pour que, dans leur ensemble, les entreprises, et notamment les plus petites, aient une connaissance de la norme qui les concerne, à tout stade du processus d'élaboration.

Face au nombre des normes adoptées et à la multiplicité des stades d'élaboration des documents de normalisation, les entreprises qui ne participent pas directement aux travaux de normalisation d'un secteur déterminé peuvent avoir les plus grandes difficultés à assurer une simple veille . Or, c'est cette veille qui peut leur permettre, le moment venu, de s'intéresser au contenu d'une norme qu'elles pourront, le cas échéant, appliquer à leur activité, voire de participer au processus d'élaboration si elles l'estiment stratégique.

Mais la production normative est une véritable jungle : selon l'AFNOR, au 15 juin 2017, on dénombrait ainsi dans la collection française 54 ( * ) :

- 8 452 normes en conception ;

- 1 401 normes en réexamen ;

- 35 706 normes publiées .

Par ailleurs, à la fin mai 2017, 868 enquêtes publiques avaient été réalisées, sachant qu'en moyenne, l'AFNOR gère 2 000 enquêtes chaque année.

Dans ces conditions, on comprend la difficulté, pour des entreprises peu familiarisées avec le système de normalisation, de suivre régulièrement les travaux susceptibles d'intéresser leur activité.

L'AFNOR a néanmoins renforcé les moyens d'information du public en offrant depuis la fin de l'année 2015, par le biais de son site « norminfo.afnor.org », la possibilité de mettre en place des alertes pour l'ouverture d'enquêtes publiques ainsi qu'un mécanisme de suivi des étapes du processus d'élaboration de normes dans certains domaines ou secteurs d'activité. Il s'agit d'une grande avancée pour une meilleure diffusion de la normalisation auprès des entreprises.

Toutefois, l'existence même de ces potentialités devrait sans doute faire l'objet d'une meilleure information. Ainsi, en un an d'activité, le site n'a donné lieu qu'à la création de 6 843 comptes publics, et à seulement 459 alertes programmées. C'est encore fort peu, eu égard au nombre potentiel de personnes intéressées. Si l'AFNOR doit certainement trouver les moyens de mieux faire connaître ce nouveau système, le relais des organisations professionnelles ainsi que des organismes consulaires auprès de leurs ressortissants apparaît aussi essentiel.

(3) Garantir l'accès gratuit aux normes rendues obligatoires

L'article 17 du décret du 16 juin 2009 dispose que les normes rendues d'application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l'AFNOR. Toutefois, les représentants des entreprises entendus ont souligné que l'accès gratuit à ces normes restait malgré tout encore malaisé et parfois impossible en pratique.

De fait, le site Légifrance comporte bien une liste des normes rendues obligatoires mais renvoie au site de l'AFNOR qui donne accès à l'ensemble du catalogue de normes françaises. Or, si l'accès gratuit aux normes d'origine française rendues obligatoires est possible, le bénéfice de cet accès nécessite un enregistrement préalable dans la base de données d'AFNOR, ce qui est perçu comme une contrainte inutile par certains utilisateurs ayant besoin très ponctuellement de prendre connaissance de telle ou telle de ces normes.

Surtout, le site de l'AFNOR n'autorise pas l'accès gratuit aux normes d'origine internationale ou européenne. En effet, à la demande de l'ISO, du CEN et du Cenelec, l'AFNOR n'assure plus la consultation gratuite des normes ISO, NF ISO, NF EN ISO et NF EN, ces organismes opposant les droits de propriété intellectuelle qu'ils détiennent sur ces normes et qui les mettent à même d'en interdire la diffusion à des conditions auxquelles ils n'auraient pas consenti.

Il en va ainsi, par exemple, de la norme NF EN ISO 15502 « Appareils de réfrigération à usage ménager - Caractéristiques et méthodes d'essai », rendue obligatoire par arrêté du 23 juillet 1987, modifié par arrêté du 16 juillet 1996, ou de la norme NF EN 28839 « C aractéristiques mécaniques des éléments de fixation - Vis, goujons et écrous en métaux non ferreux », rendue obligatoire par arrêté du 2 janvier 1995, modifié par arrêté du 13 octobre 1997.

Votre rapporteur juge cette situation inacceptable tant au regard de l'article 17 du décret du 16 juin 2009 que de l'objectif constitutionnel d'accessibilité au droit. Dans la mesure où ces normes font l'objet d'une incorporation dans la réglementation, elles doivent, comme l'ensemble des autres règles législatives ou réglementaires, pouvoir être disponibles à tout moment de manière gratuite à l'ensemble des citoyens . Dès lors que les pouvoirs publics imposent aux citoyens - en ce compris les entreprises - d'appliquer ces normes, ils ont la responsabilité d'en garantir l'accès gratuit.

Cette exigence a d'ailleurs conduit le Conseil d'État à annuler le 10 février 2016 un arrêté ministériel imposant le respect par les entreprises du secteur de l'électricité d'un recueil établi par l'Union technique de l'électricité, élaboré à partir de la norme NF C 18-510 « Opérations sur les ouvrages et installations électriques, et dans un environnement électrique - Prévention du risque électrique », en considérant que ce recueil comme la norme elle-même, n'avait fait « l'objet d'aucune mesure de publicité et n'était accessible que par acquisition, à titre onéreux, auprès de l'Association française de normalisation ; qu'en rendant ainsi obligatoire une norme dont l'accessibilité libre et gratuite n'était pas garantie, l'arrêté (...) a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l'article 17 du décret du 16 juin 2009 ». 55 ( * )

Dès lors, afin de garantir cette pleine accessibilité et disponibilité, il est indispensable que la norme rendue d'application obligatoire fasse l'objet d'une disponibilité permanente et gratuite. Votre rapporteur estime qu'en même temps que le texte réglementaire qui la rend d'application obligatoire, la norme devrait faire l'objet d'une mise à disposition permanente sur le site Légifrance .

Toutefois, dans la mesure où les normes en cause sont des normes « privées » couvertes par des droits de propriété intellectuelle, il conviendrait que l'État négocie avec les organismes de normalisation titulaires de ces droits les conditions d'une juste indemnisation, le cas échéant par un système de licence, pour compenser la mise à disposition gratuite des normes .

Recommandation n° 15 : Garantir un accès gratuit aux normes rendues d'application obligatoire par une publication et une mise à disposition permanente, sur le site Légifrance , en même temps que les textes réglementaires qui les rendent obligatoires, le cas échéant après mise en place d'un système de licence avec les organismes de normalisation titulaires des droits de propriété intellectuelle sur ces normes.

b) Favoriser la participation au processus de normalisation
(1) Mieux faire prendre conscience des enjeux de la participation aux travaux de normalisation

Mieux informées, les entreprises doivent ensuite être conscientes des enjeux pour elles-mêmes de la participation aux travaux de normalisation. Or, comme le relevait M. Valéry Laurent, directeur du Bureau de normalisation des techniques et des équipements de la construction du bâtiment (BNTEC), elles s'en désintéressent souvent faute d'y trouver un intérêt immédiat pour leur activité.

Pourtant, plusieurs exemples de PME ont été cités au cours des auditions qui, à un moment de leur développement, ont su tirer avantage de la normalisation pour favoriser leurs productions ou prestations.

DES EXEMPLES D'UTILISATION RÉUSSIE DE LA NORMALISATION PAR DES PME FRANÇAISES

Au cours des auditions, deux exemples de recours réussis de PME à la normalisation ont été particulièrement évoqués :

- L'entreprise MG International, qui contrôle Poséidon, opérant depuis son établissement de Boulogne-Billancourt pour ses activités de recherche et développement et d'études, a fortement participé à l'élaboration d'une nouvelle norme en matière d' alarmes pour piscine .

Cette PME a développé au cours des dernières années des technologies de vision par ordinateur permettant de détecter, dès les premières secondes, de possibles accidents de noyade, notamment dans les piscines publiques. En août 2014, a été publiée la norme NF S52-010 Août 2014 « Piscines publiques - Systèmes de vision par ordinateur pour la détection de noyades en piscines - Exigences de sécurité et méthodes d'essai - Systèmes de vision par ordinateur pour la détection de noyades en piscines - Exigences de sécurité et méthodes d'essai » qui « valide » ces technologies et en font une bonne pratique susceptible d'être reprise dans de nouveaux marchés.

Les documents sociaux publiés par la société à l'occasion de son assemblée générale mixte pour 2015 énoncent ainsi : « en faisant référence à certains brevets détenus par Poséidon, cette norme crée de facto une opportunité d'augmentation de parts de marché. Elle constitue également un outil de présentation des technologies propriétaires en donnant la possibilité aux forces de vente de valoriser les résultats des travaux de recherche et de développement. Enfin, la norme permet de stimuler les équipes d'Ingénieurs avec un objectif clair en matière de performances minimales à atteindre. » Une norme ISO, inspirée de la norme française, est en cours d'élaboration.

- Spécialisée dans la fabrication de portes motorisées , la PME Doitrand , établie dans le département de la Loire, s'est fortement investie dans le processus de normalisation européen en participant notamment à l'élaboration de la norme NF EN-13241-1 (juin 2011) « Portes et portails industriels, commerciaux et de garage » qui concerne directement son activité. Elle tire ainsi profit de la normalisation qui s'est opérée sur ce segment de marché, pleinement compatible avec les savoir-faire industriels et les exigences de sécurité qu'elle s'imposait déjà sur son site de fabrication et d'assemblage.

Il faut donc un changement de mentalités, et susciter la conviction dans les entreprises, très prégnante outre-Rhin, que la normalisation est la suite logique et indispensable de l'innovation et présente des opportunités majeures en termes d'efficience économique et de compétitivité.

L'importance de la participation vaut aussi pour les représentants de l'administration.

Comme l'ont souligné au cours des auditions M. Alain Costes et Mme Isabelle Rimbert, respectivement directeur et directrice adjointe de la normalisation d'AFNOR, la présence de représentants de l'administration dans les travaux des commissions contribue à assurer une veille sur l'activité de normalisation, mais également à mieux y faire connaître les impératifs législatifs ou réglementaires qui peuvent empêcher l'application en France de certains aspects d'une norme en cours d'élaboration. Or, cet aspect peut être déterminant pour orienter les travaux de normalisation internationale afin que ceux-ci complètent les lois et règlements français plutôt qu'ils ne les heurtent frontalement .

Il convient donc de sensibiliser les administrations à l'importance de leur présence dans les instances de normalisation. Tel ne semble pourtant pas toujours le cas aujourd'hui. Ainsi, selon le BNTEC, les représentants de l'administration représentent moins de 2 % des 1 400 personnes participant régulièrement chaque année aux travaux de normalisation qu'il abrite.

Dans d'autres secteurs, cette participation apparaît plus importante ou systématique. Par exemple, le Bureau de normalisation Fertilisation a indiqué à votre rapporteur que les représentants de l'administration étaient systématiquement inscrits et sollicités dans les commissions de normalisation chargées de l'élaboration ou de la révision des normes de dénomination, de spécification et de marquage (DSM) qui, il est vrai, sont rendues systématiquement obligatoires. Mais, même lorsque l'administration participe aux travaux de normalisation, ses délais de réponse sont jugés souvent trop lents, engendrant parfois des retards importants dans l'homologation de la norme.

De même, la sous-direction du tourisme du ministère de l'économie est très impliquée, au sein de l'ISO, dans les travaux du comité TC 228 relatif aux services touristiques et s'efforce de mobiliser les acteurs français (bureaux d'information touristique, espaces naturels protégés, tourisme d'aventure, etc...).

Si leur présence systématique dans l'ensemble des instances n'apparaît pas raisonnablement envisageable compte tenu de leur nombre, il est essentiel que des représentants des administrations concernées au premier chef par l'objet de la norme en cours d'élaboration ou de révision soient présents s'agissant des normes qui mettent en cause des intérêts publics stratégiques ou majeurs.

Recommandation n° 16 : Veiller à assurer la présence de représentants des administrations concernées pour l'élaboration ou la révision des normes qui mettent en cause des intérêts publics stratégiques ou majeurs.

De même, lors des auditions, l'absence de représentants des collectivités territoriales aux travaux de normalisation a été soulignée par plusieurs interlocuteurs.

Pourtant, dans certains domaines de la normalisation, cette présence s'est développée récemment. Il en va ainsi, en particulier, en matière de normes sportives.

Selon l'Association nationale des élus en charge du sport (Andes), il existe 370 normes volontaires dans le domaine du sport, s'enrichissant de 30 nouvelles mesures chaque année, qui s'ajoutent aux autres normes issues des fédérations sportives ou de la règlementation, comme l'a rappelé la table-ronde organisée au Sénat, le 16 mars 2017, par la commission de la culture et la délégation aux collectivités territoriales. 56 ( * ) On mesure donc la nécessité d'une forte participation aux travaux de normalisation, qui s'est déjà illustrée, par exemple, par la participation de l'Association des maires de France (AMF), de l'Andes et de l'Andiiss (Association nationale des directeurs d'installations et des services des sports) à l'élaboration d'une norme sur le contrôle des buts dans les terrains de football. Plus récemment, les départements de l'Isère, de la Savoie, de l'Ardèche et de la Haute-Savoie, ainsi que la commune de Besançon, ont effectué auprès de l'AFNOR des démarches afin d'initier une norme volontaire en matière de trail (course à pied en milieu naturel) à laquelle ils participent désormais activement.

Cette participation doit cependant aller bien au-delà des normes en matière sportive. Compte tenu de leurs compétences aujourd'hui très étendues, les collectivités territoriales exercent, en direct ou par délégation, des activités qui, le cas échéant, peuvent être concernées par des normes volontaires. Du reste, de nombreux marchés publics font aujourd'hui appel, dans leurs cahiers des charges, à des définitions de produits ou de prestations par référence à des normes existantes.

En tant qu'utilisateurs de ces normes, les collectivités territoriales devraient donc, encore davantage qu'aujourd'hui, être parties prenantes aux processus d'élaboration ou de révision des normes qui peuvent les concerner directement : par exemple, en matière d'équipements et de sols d'aires de jeux, de piscines ou de parcs aquatiques, de structures et équipements sportifs, de restauration scolaire, d'équipements et services de crèches, mais également dans le domaine devenu stratégique des smart cities , les villes « connectées » du futur... Cette démarche est d'autant plus importante que la normalisation internationale investit depuis peu directement le champ de l'organisation matérielle des services des collectivités territoriales . Ainsi, l'ISO a publié en 2014 la norme ISO 18091 « Systèmes de management de la qualité -- Lignes directrices pour l'application de l'ISO 9001:2008 à la collectivité locale ».

Il est certes difficile d'imaginer en pratique que des collectivités dotées de faibles moyens humains et matériels - les communes notamment - participent directement elles-mêmes à la normalisation. Aussi les associations d'élus locaux doivent-elles prendre toute leur place dans le processus d'élaboration des normes volontaires qui trouvent à s'appliquer dans leurs domaines de compétence pour y représenter les différents niveaux de collectivités.

L'AFNOR a créé un organe spécifique de concertation placé sous la responsabilité de son conseil d'administration, rassemblant des représentants des collectivités territoriales, afin de débattre de certaines thématiques clé dans leurs domaines de compétences. De même, localement, les délégations d'AFNOR travaillent parfois avec certaines collectivités. Ces initiatives sont à développer pour mieux sensibiliser les collectivités territoriales et les inciter à participer davantage à certains travaux dont les résultats peuvent avoir de lourdes conséquences pour la gestion quotidienne de certaines de leurs compétences.

Recommandation n° 17 : Favoriser la participation des représentants des collectivités territoriales, notamment par le biais de leurs associations représentatives, à d'élaboration ou la révision des normes qui concernent leurs domaines de compétences.

Enfin, votre rapporteur a pu constater que si les associations de consommateurs considéraient positivement le principe même de la normalisation, seules certaines d'entre elles s'investissaient réellement dans les travaux d'élaboration ou de révision .

Cette situation semble s'expliquer soit par une méconnaissance ou une difficulté d'appréhension des mécanismes de la normalisation par certaines associations, soit par un manque de financement qui ne leur permet pas d'assurer une présence effective dans les travaux. Elle résulte également, pour certaines, d'un positionnement stratégique différent, qui les conduit à porter davantage leur action sur la réglementation que sur la normalisation.

Ainsi que l'a souligné Mme Ludivine Coly-Dufourt, directrice de l'Association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs (ALLDC), les moyens financiers et humains dont disposent les associations leur imposent des choix drastiques dans la participation aux travaux de normalisation, en particulier lorsqu'ils se déroulent dans les instances européennes ou internationales de normalisation, en raison des coûts exposés et de la nécessité de trouver des représentants suffisamment compétents en langue anglaise, notamment sur des questions techniques.

Pourtant, la présence des associations de consommateurs, sur certains sujets, peut s'avérer déterminante afin que soient aussi pris en considération d'autres intérêts que ceux des producteurs ou prestataires de service. La prise en considération de ces intérêts permet, le cas échéant, de valoriser certains choix techniques qui répondent à des demandes sociales plus affirmées . La question de la durabilité des produits et la possibilité de favoriser l'utilisation de pièces de rechange entre produits, en sont une illustration parmi d'autres.

Certes, comme l'a relevé M. Etienne Defrance, représentant de l'Association Force-ouvrière consommateurs (AFOC), dans le cadre des commissions de normalisation, les représentants des consommateurs restent structurellement minoritaires par rapport aux autres parties intéressées. Néanmoins, une présence plus forte dans les organes de normalisation ou, à tout le moins, sur des sujets jugés essentiels par le monde de la consommation, serait de nature à favoriser la prise en considération de la position des consommateurs. Cela a pu être le cas, notamment, dans le cadre de l'élaboration des normes XP D90-300-1 (cigarettes électroniques) et XP D90-300-2 (e-liquides) d'avril 2017, où le seuil minimal des valeurs exigées a ainsi pu être relevé à l'instigation des associations de consommateurs.

Ces constats s'appliquent de manière similaire aux associations de défense de l'environnement , qui doivent également pouvoir exprimer leurs positions dans les travaux de normalisation ayant un impact sur l'environnement, ainsi qu'aux organisations syndicales de travailleurs, pour les travaux portant sur les relations du travail, afin de garantir un véritable consensus des normes.

Recommandation n° 18 : Renforcer l'intérêt des acteurs associatifs, notamment dans le domaine de la consommation et de l'environnement, pour les travaux de normalisation.

(2) Des modalités de participation à moderniser

Pour certains intervenants au processus de normalisation, les conditions actuelles de participation aux travaux des différentes instances créent, dans les faits, pour reprendre les termes d'un récent rapport diligenté par le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique 57 ( * ) (CSCEE), « les conditions d'un déficit démocratique dans le fonctionnement des systèmes de normalisation ».

L'exigence d'une participation physique aux réunions des commissions de normalisation est ainsi vue comme un obstacle pratique majeur à la participation des acteurs. Cela a été particulièrement souligné devant votre rapporteur par les représentants du Bureau de normalisation des techniques de construction du bâtiment (BNTEC) et du Bureau de normalisation du bois et de l'ameublement (BNBA) qui représentent des secteurs économiques où prédominent les PME et TPE. Or, ces entreprises n'ont souvent pas les moyens de faire participer leurs personnels à des réunions qui peuvent durer plusieurs jours, a fortiori lorsqu'elles se déroulent à l'étranger.

Et si, ainsi que l'ont souligné le Bureau de normalisation de l'horlogerie, de la bijouterie et de la joaillerie ainsi que le BNTEC, l'implication des bureaux de normalisation et des organisations professionnelles permet de relayer les attentes et besoins des PME, leurs moyens restent également limités.

Il conviendrait donc de développer davantage la participation aux réunions par le biais de moyens de communication audiovisuels instantanés.

Votre rapporteur est néanmoins conscient que la téléconférence ou la visioconférence et, plus généralement, les moyens de communication à distance ne sauraient remplacer totalement la présence physique des délégués au sein des instances de normalisation. Comme dans toute négociation, la recherche du consensus est aussi le fruit d'entretiens tenus entre plusieurs délégations, en marge des réunions formelles.

Néanmoins, un recours plus important aux échanges dématérialisés peut présenter un intérêt certain dans le cadre des groupes de travail préalables aux délibérations plus solennelles des commissions de normalisation. Ces échanges se développent d'ailleurs dans le cadre de l'ISO et l'AFNOR, quant à elle, entend accroître les moyens techniques dont elle dispose actuellement pour ce faire. Pour les opérateurs du système de normalisation, qu'il s'agisse des bureaux de normalisation, de l'AFNOR ou des organismes européens ou internationaux, le recours à ces moyens représente néanmoins un investissement important.

Recommandation n° 19 : Développer le recours aux moyens de communication audiovisuelle instantanée pour la participation aux réunions des instances de normalisation.

En revanche, votre rapporteur souligne l'efficacité du système d'enquête publique dématérialisée mis en place par l'AFNOR sur le site « norminfo.afnor.org ». Il est en effet possible pour toute personne, en ligne, outre de prendre connaissance du projet de norme mis à l'enquête, de soumettre les observations et les demandes de modification qu'il suscite. Cette modalité technique ne peut que favoriser une meilleure participation des personnes susceptibles d'être intéressées à cette étape importante de validation du consensus trouvé au sein des commissions de normalisation.

(3) Des incitations financières à renforcer

Selon l'Union de normalisation de la mécanique et le Bureau de normalisation du gaz, la gratuité de l'accès aux travaux de normalisation pour les PME ou les consommateurs n'a pas entraîné d'affluence significative de leurs représentants dans les instances de normalisation. Votre rapporteur estime donc nécessaire d'actionner d'autres leviers plus efficaces. En particulier, certaines incitations financières existantes devraient être renforcées afin de favoriser la participation d'acteurs dont la modicité des moyens empêche de concourir plus activement à l'élaboration de la norme.

Il existe, depuis la loi de finances pour 1990, une incitation fiscale à la participation des entreprises aux travaux de normalisation.

Le crédit d'impôt recherche (CIR) permet en effet de prendre en compte l'effort financier que constitue, pour les entreprises, la participation aux instances de normalisation. Toutefois, contrairement aux dépenses de recherche et de développement au sens strict, seule la moitié des dépenses exposées est prise en compte pour l'obtention de ce crédit d'impôt. Il en résulte, comme l'avait souligné Mme Claude Revel dans son rapport au ministre du commerce extérieur, qu'en définitive le taux applicable aux dépenses de normalisation est plafonné à 15 %, alors qu'il est de 30 % pour les dépenses de recherche et d'innovation.

Les dépenses de normalisation couvertes par le crédit d'impôt recherche

Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, les entreprises peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre de la moitié du montant des dépenses de normalisation , relevant des catégories suivantes et afférentes aux produits de l'entreprise, qu'elles ont exposées au cours de l'année :

- les salaires et charges sociales afférents aux périodes pendant lesquelles les salariés participent aux réunions officielles de normalisation ;

- les autres dépenses exposées à raison de ces mêmes opérations ; ces dépenses étant fixées forfaitairement à 30 % des salaires susmentionnés ;

- dans des conditions fixées par décret, les dépenses exposées par le chef d'une entreprise individuelle, les personnes mentionnées au I de l'article 151 nonies et les mandataires sociaux pour leur participation aux réunions officielles de normalisation, à concurrence d'un forfait journalier de 450 € par jour de présence auxdites réunions.

Selon les informations recueillies auprès du ministère de l'économie et de l'industrie, le montant total du crédit d'impôt recherche au titre des dépenses de normalisation pour 2013 (derniers chiffres disponibles) a été de 2,5 millions d'euros, dont la moitié a bénéficié à des entreprises de plus de 5 000 salariés. Ces données montrent le recours très limité des entreprises à cette faveur fiscale et sa concentration sur les grands groupes.

Plusieurs personnes entendues ont d'ailleurs estimé que cette intégration du « crédit d'impôt normalisation » au sein du CIR conduit souvent les entreprises à considérer que les dépenses de normalisation qu'elles exposent doivent nécessairement être liées à des opérations de recherche et de développement qu'elles effectuent. Or, il convient de rappeler que les dépenses de normalisation entrent dans la base de calcul du CIR qu'elles soient consécutives ou non à des opérations de recherche et développement et qu'ainsi, une entreprise peut bénéficier du CIR au titre des seules dépenses de normalisation . Afin d'assurer la pleine efficacité de ce dispositif d'incitation fiscale, il conviendrait d'en assurer la pleine information, notamment au profit des PME.

En outre, il peut sembler souhaitable d' élargir les dépenses de normalisation éligibles au CIR.

Dans son rapport, Mme Claude Revel critiquait la différence de traitement des dépenses de normalisation par rapport aux autres dépenses couvertes par le CIR et demandait un alignement des deux régimes . Votre rapporteur soutient cette position et estime, par ailleurs, qu'il serait pertinent d'étendre les dépenses éligibles aux dépenses liées à des consultants extérieurs, notamment parce que les PME ou ETI innovantes n'ont pas nécessairement les moyens financiers ou humains de mobiliser leurs propres salariés sur de longues périodes.

Recommandation n° 20 : Mieux informer les entreprises, notamment les PME, sur l'éligibilité, en tant que telles, des dépenses de normalisation au crédit impôt recherche, et examiner l'élargissement du dispositif à la totalité des dépenses liées aux travaux de normalisation, y compris celles engendrées par le recours à des consultants extérieurs.

La direction générale des entreprises, au ministère de l'économie, fournit également des aides financières ponctuelles pour couvrir une partie des frais liés à la participation aux réunions des organes européens ou internationaux de normalisation.

Seules des organisations professionnelles (fédération ou syndicat professionnels, association, pôle de compétitivité) représentant des PME sont éligibles à ce dispositif, sous réserve :

- qu'elles représentent des PME totalisant un chiffre d'affaires supérieur à 100 millions d'euros ;

- que les effectifs en France et à l'étranger des entreprises représentées soient supérieurs à 1 000 personnes ;

- et qu'il existe une connexion forte avec la politique industrielle (par exemple, avec les projets « Industrie du Futur » ou de transition numérique).

Ces aides, prennent en charge, sous réserve d'un plafond, 50 % des frais de déplacement des experts mandatés, 50 % des frais d'hébergement sur place et 300 euros de rémunération de l'expert par jour de réunion, ainsi que des frais de transport et de préparation et restitution des informations.

La direction générale des entreprises instruit les demandes qui doivent décrire les thématiques de normalisation et les innovations technologiques associées, la politique publique éventuelle à laquelle se rattachent les travaux, le positionnement de l'organisme par rapport à sa participation à la normalisation (description de l'enjeu pour le secteur français), ainsi que les avantages compétitifs escomptés pour la France.

Les crédits alloués à ce dispositif se sont élevés à 200 000 euros par an en 2016 et 2017, en baisse de 20 % par rapport à 2015. Il résulte des données transmises par la direction générale des entreprises que le taux d'emploi de ces crédits est fort (98 % en 2016).

Ce dispositif, inspiré de celui mis en place en Suède, permet très utilement d'apporter une aide ponctuelle de nature à favoriser la participation de PME aux travaux de normalisation. La modicité du dispositif - qui n'offre un financement qu'à quelques initiatives chaque année 58 ( * ) - et son centrage sur la seule politique industrielle alors que le domaine des services est un secteur stratégique de la normalisation au sein duquel les PME peuvent également peiner à trouver leur place, paraissent cependant regrettables.

Votre rapporteur invite donc le Gouvernement à envisager un renforcement de ce système d'aides afin qu'il puisse favoriser encore davantage l'implication des PME dans le processus de normalisation.

Recommandation n° 21 : Donner davantage de publicité et renforcer le système d'aide à la participation aux travaux de normalisation dont peuvent bénéficier les PME et TPE.

Enfin, lors des auditions, l'attention de votre rapporteur a été attirée sur les conditions difficiles de participation des associations de consommateurs aux réunions de normalisation au niveau européen ou international , compte tenu de leurs budgets limités.

Désireuse d'aider cette catégorie d'acteurs à participer aux travaux de normalisation internationaux, la direction générale des entreprises avait consenti à leur apporter une aide financière sur la même base que celle allouée aux groupements professionnels dans le cadre du dispositif évoqué ci-dessus. Une convention a ainsi été conclue pour la période 2012-2015 avec l'Institut national de la consommation, mobilisant 49 350 euros. Cette dotation a permis de prendre en charge une partie des dépenses occasionnées par leur participation aux travaux internationaux ou européens de normalisation, notamment au sein du comité de l'ISO pour la politique en matière de consommation (COPOLCO) sur des sujets tels que les séjours linguistiques et le tourisme.

Toutefois, selon les informations communiquées à votre rapporteur, seuls 18 242 euros ont été consommés et, faute de demande de prorogation de la part de l'INC, cette convention a pris fin en décembre 2015, privant les associations d'une source de financement plus que modique mais essentielle.

Ainsi, Mme Ludivide Coly-Dufourt, directrice de l'Association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs (ALLDC), a indiqué que son association avait dû recourir à une plateforme de crowfunding afin de recueillir la somme de 1 500 euros nécessaire pour assurer le transport et la présence sur plusieurs jours d'un de ses représentants lors d'une réunion de l'ISO à Genève... À lui seul, cet exemple met en lumière les difficultés de participation du monde associatif à la normalisation en l'absence d'un système d'aide publique.

Votre rapporteur se félicite que, compte tenu de la situation, la direction générale des entreprises ait accepté en 2017 de mobiliser 12 500 euros sur 18 mois au profit de l'Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (ADEIC), afin de l'aider à poursuivre des travaux jugés prioritaires, ce qu'elle n'aurait pu faire en l'absence de ce financement.

Sans rentrer dans la question de savoir si un tel dispositif doit relever davantage de la direction générale de la concurrence, de la consommation ou de la répression des fraudes, interlocuteur privilégié du monde de la consommation, ou de la direction générale des entreprises, votre rapporteur souhaite que puisse être assurée la pérennité des aides à la participation aux travaux de normalisation dont peuvent bénéficier les associations agréées, notamment représentant les consommateurs.

Recommandation n° 22 : Assurer la pérennité des aides à la participation aux travaux de normalisation dont peuvent bénéficier les associations agréées, notamment celles représentant les consommateurs.


* 54 Selon les données de « Norm'info » publiées par l'AFNOR.

* 55 Conseil d'Etat, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail (FNME- CGT), n° 383756.

* 56 Dans le cadre du groupe de travail sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du sport, ayant pour rapporteurs Mme Christine Prunaud et MM. Michel Savin, Christian Manable et Dominique de Legge.

* 57 Rapport précité, 12 juillet 2016, p. 4.

* 58 Pour 2017, la direction générale des entreprises fait ainsi état d'un projet mobilisant à lui seul la moitié des crédits annuels.

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