II. UN ARSENAL DÉVELOPPÉ, DES RÉSULTATS À PARFAIRE

A. UNE POLITIQUE INTERMINISTÉRIELLE QUI EXIGE UNE COOPÉRATION ÉTROITE ENTRE LES ACTEURS

Notre pays se distingue par la multiplicité des acteurs intervenant sur ce dossier : la gendarmerie et la police, l'inspection du travail, les Urssaf, les services des finances publiques, les douanes et les parquets. Ces administrations n'ont pas les mêmes procédures, ni la même culture, ni les mêmes priorités, ce qui se traduit par un coût de coordination élevé.

Les échanges et le partenariat progressent.

Comme vos rapporteurs ont pu le constater au cours de leurs auditions, les comités opérationnels départementaux de lutte anti-fraude (CODAF), créés en 2008, ont permis le développement d'une culture de collaboration et d'échanges, notamment grâce à la levée du secret professionnel entre ses membres, qui doit être soutenue et renforcée.

1. Une dimension interministérielle renforcée

Depuis sa création en 2008, la DNLF (délégation nationale à la lutte contre la fraude) a pour rôle central de coordonner au niveau national les actions interministérielles de la lutte contre la fraude aux finances publiques.

Le plan national de lutte contre le travail illégal a été présenté en septembre 2016 lors de la commission nationale de lutte contre le travail illégal pour la période 2016-2018.

Les principaux objectifs du PNLTI

Rechercher une plus grande efficacité au niveau européen dans la lutte contre la fraude au détachement (...);

Centrer le plan d'actions sur la lutte contre les fraudes qualifiées de complexes (...) ;

Développer une stratégie de contrôle concertée d'intervention et de prévention sur des cibles présentant des enjeux majeurs partagés par les différents partenaires ;

Renforcer les performances de contrôle en s'appuyant notamment sur un ciblage efficient des actions de contrôle via la mise à disposition d'outils dédiés (ex : base de déclaration préalable au détachement - SIPPSI) et une déclinaison opérationnelle des dispositifs législatifs et règlementaires applicables en la matière (ex : carte professionnelle du BTP, responsabilité solidaire des donneurs d'ouvrage...).

La coopération interministérielle s'appuie sur la déclinaison de conventions de partenariat visant à formaliser et renforcer les échanges d'informations entre les différents partenaires ou à définir des plans d'actions communs ou en mettant à disposition un inspecteur du recouvrement au sein d'un office ou au sein d'administrations partenaires en vue d'apporter une expertise sur l'évasion sociale et appuyer les procédures de contrôle. C'est dans ce cadre que le service de renseignement Tracfin, chargé du traitement des informations financières que les professionnels assujettis (banquiers...) doivent obligatoirement lui adresser, accueille un agent de recouvrement de l'Urssaf Île-de-France depuis janvier 2016.

La coopération entre les acteurs de la lutte contre le travail dissimulé se décline au niveau local dans les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) :

- la formation plénière, conjointement présidée par le préfet et par le procureur de la République, fixe les orientations stratégiques. Elle décline localement les orientations et les objectifs en matière de lutte contre le travail illégal arrêtés au niveau national, de même que les axes fondamentaux de la lutte contre les fraudes aux finances publiques, qu'elles soient fiscales, douanières ou sociales ;

- la formation restreinte, réunie sous l'autorité du procureur de la République territorialement compétent, est plus opérationnelle et axée sur la mise en oeuvre des actions judiciaires.

Ces structures informelles jouent un rôle très important dans le développement de la coopération, comme vos rapporteurs ont pu le constater en Auvergne-Rhône-Alpes.

Les outils informatiques communs ont en revanche plus de peine à entrer dans les faits.

Le projet de système d'information partagé (SUPTIL : suivi partagé des procédures de travail illégal) lancé en 2008, n'a jamais vu le jour. La base nationale des déclarations de détachement FRAMIDE (France migration détachement) prévue par un arrêté du 3 mars 2009 n'a jamais été mise en oeuvre non plus. Lancée 7 ans après, la base de données SIPSI, système d'information des prestations de service internationales, pour laquelle un décret a été publié le 15 décembre 2016, devrait apporter des réponses en matière de détachement.

Le chantier reste ouvert pour l'accès aux fichiers gérés par les différentes administrations, qui reste à géométrie variable.

Une impulsion politique forte reste nécessaire pour faire travailler ensemble les différents acteurs, d'autant plus que la mobilisation est variable selon les territoires.

2. Les services de police et de gendarmerie

Les services de police et de gendarmerie sont les premiers producteurs de procès-verbaux de travail dissimulé.

Pour structurer cette activité au sein du ministère de l'intérieur, l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) a été créé le 12 mai 2005. Il vient en appui aux services et dirige certaines enquêtes. Il dispense des formations. A compétence judiciaire nationale, l'OCLTI réunit 40 enquêteurs.

Vos rapporteurs ont pu constater qu'il centralisait une grande expertise et, au-delà, une réflexion approfondie sur les problématiques de travail dissimulé, tant sur la question des organisations que sur les schémas de fraude ou les réponses à y apporter.

Sa compétence comprend toutes les formes de fraude sociale, des formes classiques de travail dissimulé jusqu'à des pratiques qui s'apparentent à de la traite des êtres humains ou à de l'esclavage moderne.

En 2015, il a saisi près de 1,8 million d'euros d'avoirs criminels.

3. L'inspection du travail

Au sein de l'inspection du travail, 2 236 agents sont affectés au contrôle des entreprises, assistés par 829 assistants de contrôle.

La part du travail illégal dans les contrôles de l'inspection du travail, corps généraliste, était de 12,73 % en 2014.

130 agents sont exclusivement consacrés à la lutte contre le travail illégal dans le cadre des unités régionales spécialisées, les Uracti, créées par un décret du 20 mars 2014 et opérationnelles depuis le 1 er janvier 2015. Un groupe national de veille, d'appui et de contrôle a été parallèlement mis en place.

L'année 2015 a connu une forte progression de l'activité de lutte contre le travail illégal en raison d'une mobilisation accrue sur la lutte contre les fraudes au détachement dans le cadre d'une prestation de services internationale.

En juillet 2015, l'inspection du travail s'est fixé un objectif de 1 000 interventions par mois, tous secteurs confondus.

Même s'il est trop tôt pour en tirer un premier bilan, les Uracti favorisent un travail spécialisé et en réseau devenu indispensable.

4. Le réseau des Urssaf

La branche recouvrement compte 1 500 postes d'inspecteurs et 200 postes de contrôleurs du recouvrement.

Le développement de la lutte contre le travail dissimulé a requis une approche spécialisée des organisations et des équipes se traduisant notamment par un management et des moyens dédiés (soit environ 12% des effectifs inspecteurs recouvrement).

En 2016, le temps consacré par les Urssaf et les CGSS à la lutte contre le travail dissimulé représente 14 % du temps de contrôle. Ce temps comprend la réalisation d'actions de prévention.

Montant des redressements en fonction du type de contrôle

(en millions d'euros)

Types d'actions

Montants redressés

Actions ciblées régime général

507,7 millions d'euros

Actions ciblées travailleurs indépendants

16,7 millions d'euros

Actions nées de l'exploitation des PV partenaires

17,2 millions d'euros

Actions de contrôle comptable d'assiette
portant motifs de redressement LCTI

14 millions d'euros

Total

555 millions d'euros

Source : Acoss

La fréquence de redressement, qui traduit l'amélioration du ciblage des contrôles, s'établit à 87,9 %.

Dans leur très grande majorité (82 %), les redressements sont liés à la dissimulation d'emploi salarié. Les redressements liés aux travailleurs indépendants ne représentent que 33,4 millions d'euros.

Une analyse des secteurs d'activité concernés fait apparaître la part prépondérante du secteur de la construction (51,2 % des redressements) suivi des services administratifs, qui comprennent notamment les activités de sécurité privée (11 % des redressements), les autres secteurs se répartissant de façon équilibrée le montant résiduel des redressements.

Les entreprises de moins de 10 salariés concentrent 85,7 % des contrôles ciblés et représentent les deux-tiers des redressements, pour un montant moyen de 65 200 euros.

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