Troisième séquence - Des femmes engagées, des agricultrices élues

Table ronde animée par Annick Billon,
membre de la délégation aux droits des femmes du Sénat
(sénatrice de la Vendée, groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC)

Intervenantes :

Anne Leclercq , adjointe au maire d'Ouzouer-sur-Trézée (Loiret), vice-présidente du conseil régional Centre-Val de Loire
(groupe Socialiste, radicaux et démocrates)
(polyculture-élevage de porcs et de volailles)

Marie-Christine Le Quer , conseillère départementale du Morbihan
(groupe DVD), adjointe au maire de Plouhinec
(exploitation laitière)

Brigitte Fischer-Patriat , conseillère départementale de la Haute-Marne
(groupe Les Républicains)
(exploitation céréalière)

Perrine Hervé-Gruyer , ancienne conseillère régionale de Haute-Normandie (groupe EELV), membre du conseil municipal du Bec-Hellouin, dans l'Eure
(maraîchage biologique, création d'une école de permaculture)

Jacqueline Panis , sénatrice de Meurthe-et-Moselle de 2007 à 2011 (groupe UMP), présidente du Syndicat départemental de la propriété privée rurale
de Meurthe-et-Moselle, membre du bureau de la Chambre d'agriculture
de Meurthe-et-Moselle, conseillère municipale de Seichamps

[Pendant que les participantes à la troisième table ronde s'installent à la tribune,
est projeté un extrait du portrait vidéo d'une lauréate de l'édition 2014
du concours
Graines d'agriculteurs - Les trophées de l'installation :
« Être actrice de son métier » 10 ( * ) ]

Annick Billon, sénatrice de la Vendée . - Avant de commencer, je souhaite remercier les intervenantes des précédentes tables rondes pour la qualité des débats auxquels nous avons assisté. Nous avons vu que toutes les femmes qui s'investissent dans l'agriculture ont du tempérament ! Elles sont dynamiques, elles ont de l'humour aussi, de la ténacité et de la volonté. Et elles ont en partage la passion et l'humanisme. J'ai apprécié ce constat que l'humain, l'homme, la femme, est au centre de vos préoccupations dans l'organisation de vos exploitations. C'est important de le souligner ! Les femmes, quand elles s'investissent, placent souvent l'humain au coeur de tout. Je vous remercie encore pour vos témoignages.

Je salue aussi les messieurs, qui sont quand même assez nombreux dans la salle, et plus particulièrement les sénateurs, bien évidemment. On a entendu parler de la Bretagne, sachez qu'en Vendée aussi on dit : « Il y a la Vendée et le reste de la France. » (Applaudissements.) Mon collègue Didier Mandelli ne pourra pas me contredire sur le sujet ! Nous accueillons aujourd'hui dans la salle une belle délégation d'agricultrices vendéennes que je remercie pour leur présence.

Il me revient donc de terminer ce colloque avec cette dernière table ronde consacrée aux agricultrices élues. Nous avons voulu par cette thématique faire un clin d'oeil à l'actualité de cette année électorale.

Demain, le Sénat suspendra ses travaux en séance publique, comme c'est l'usage en période de campagne électorale, car les élections sont pour bientôt.

Des agricultrices peuvent être très présentes dans les différentes instances de représentation (MSA, chambres d'agriculture) dont elles sont issues. Des agricultrices s'engagent aussi dans les collectivités territoriales : c'est une bonne chose. J'ai donc le plaisir d'accueillir à cette table ronde différents témoins qui, à travers la nature de leurs mandats et des territoires, présentent des profils divers.

J'accueille Marie-Christine Le Quer et Brigitte Fischer-Patriat, toutes deux conseillères départementales, Anne Leclercq, vice-présidente de conseil régional et Perrine Hervé-Gruyer, élue municipale, ancienne conseillère régionale. Je vais poser des questions à nos différents témoins puis je ferai réagir Jacqueline Panis, qui a été sénatrice de 2007 à 2011 et vice-présidente de notre délégation aux droits des femmes. Notre ancienne collègue a toujours un mandat municipal et est membre de la Chambre d'agriculture de Meurthe-et-Moselle.

Dans la mesure où vous avez toutes choisi d'avoir des engagements dans les collectivités, je vais poser à chacune la même question : quelle a été la motivation première de votre engagement en politique ?

Perrine Hervé-Gruyer, ancienne conseillère régionale de Haute-Normandie (groupe EELV), membre du conseil municipal du Bec-Hellouin, dans l'Eure. - Je suis maraîchère en Normandie. Il n'y a pas si longtemps, j'aurais dit conseillère régionale de Haute-Normandie, car j'étais de la précédente mandature. Ce qui m'a poussée à me lancer en politique ? Je ne me suis pas lancée en politique de moi-même, on est venu me chercher. Mon mari et moi avions créé une petite ferme qui, en 2010, a commencé à avoir une certaine notoriété locale, la Ferme du Bec-Hellouin , où l'on cultive selon les principes de la permaculture. Le risque était que l'on vienne me chercher pour jouer la « potiche » et respecter les quotas. Au départ, je ne me suis pas rendu compte de ça, je me suis dit : « Pourquoi pas ? ». Je n'avais jamais eu l'intention de m'engager en politique mais j'ai saisi cette opportunité pour transférer ce que je fais sur le terrain, sur mon exploitation, dans une enceinte politique et y porter une parole différente. Donc j'y suis allée ! Au début, c'était vraiment juste histoire de mettre mon nom sur la liste, voire en fin de la liste : Europe Écologie Les Verts est un tout petit mouvement... Mais quelques semaines avant l'élection, on m'a proposé d'être tête de liste pour le département, faute d'autres candidats. « Ça ferait bien, une femme » : c'était l'idée.

L'avantage, je dois le dire, c'est ma formation initiale de juriste internationale, qui m'a permis de me débrouiller pour comprendre les arcanes du conseil régional. Pour autant, ce n'était pas évident d'être investie sans aucune préparation ni aucune formation. Sur le papier, je n'avais que des désavantages : femme, agricultrice bio, écolo... J'avais tout faux ! Pour mieux m'intégrer, le président de l'époque m'a inscrite dans toutes les représentations agricoles (SAFER, chambre d'agriculture, etc.). L'idée, c'était : « Elle va apprendre un petit peu la vie, la p'tite bio ».

Finalement, tout s'est toujours bien passé car, comme on le disait tout à l'heure, je crois qu'il y a un respect du travail et une certaine humilité de notre part, n'est-ce pas mesdames ? Par humilité, j'entends cette espèce de pragmatisme qui fait qu'on ne va pas se battre autour de dogmes et d'idées toute faites. Les femmes essaient toujours de travailler, de parler de choses concrètes plutôt que de s'arcbouter sur une négociation et se bagarrer ! Ce n'est pas notre méthode. Sur la forme, nous avons une parole et des idées différentes. Nos paroles passent ou ne passent pas mais, la plupart du temps, elles ne suscitent pas d'animosité. Ça, c'est intéressant, et ça a été l'un des grands enseignements de cet engagement que, encore une fois, je n'avais pas prévu, mais qui a été riche. À titre personnel, il a été très compliqué, parce que quand j'ai été élue, mes filles avaient respectivement trois et cinq ans, que l'exploitation sortait tout juste la tête de l'eau, et qu'on arrivait tout juste à l'équilibre financier.

Il faut savoir que l'indemnité que j'ai perçue en tant qu'élue - 1 200 euros à l'époque - ne compensait pas mon absence de l'exploitation. Ça, c'était très compliqué à gérer ! En plus, notre mandat a été long puisque, initialement prévu pour quatre ans, il a été porté à cinq ans par le Président Hollande, puis à six ans compte tenu de la réforme territoriale. J'avoue que j'ai fini un petit peu fatiguée, mais assez contente, car j'ai pu revoir, avec les services du conseil régional, toute la politique régionale agricole. À cette époque, les régions sont devenues récipiendaires des fonds du second pilier de la PAC. Toute la politique que nous avons mise en place à ce moment-là n'a pas été détricotée par nos successeurs lors du changement de majorité, signe que nous avions bien travaillé. (Applaudissements.)

Marie-Christine Le Quer, conseillère départementale du Morbihan, (groupe DVD), adjointe au maire de Plouhinec . - Bonjour à toutes et à tous. Tout d'abord, je voudrais vous dire combien je suis heureuse et fière d'être invitée aujourd'hui en tant qu'agricultrice élue, et non pas en tant qu'élue agricultrice. Mon histoire est un peu différente de celle que nous venons d'entendre. Quand on parle de « venir chercher », c'est vrai que souvent, très souvent d'ailleurs, on « va chercher » une femme parce qu'il faut bien mettre une femme sur les listes.

Moi, n'étant pas du monde agricole, j'ai commencé mon parcours par une formation : quand je suis venue à l'agriculture, je ne connaissais pas du tout ce métier. Tout naturellement, je me suis tournée vers le GVA, Groupement de vulgarisation agricole. À travers le GVA, j'ai trouvé une école de formation, d'information, où assez rapidement j'ai voulu à mon tour m'investir pour apporter quelque chose. C'est en devenant présidente du GVA que je me suis progressivement tournée vers d'autres mandats. Ce mouvement a été naturel car la formation que m'a apportée le GVA m'a donné une base d'élue dans le milieu agricole.

Je me suis associée avec mon mari en 1988, en EARL. Lors de notre installation sur une exploitation laitière, assez naturellement là-encore, je me suis tournée vers le syndicalisme agricole car j'avais envie de défendre le métier et, aussi, d'être force de proposition pour l'agriculture. Nathalie Marchand l'a répété tout à l'heure, on a beaucoup défendu certains dossiers. Cependant, ces dossiers ne pouvaient pas être portés par les syndicats sans appui politique. Quand on a de gros dossiers à porter, à un moment on se tourne vers les élus, vers ceux qui sont aujourd'hui les conseillers départementaux, les conseillers régionaux, les parlementaires. À un moment on s'interroge : « Où sont les leviers pour pouvoir agir ? »

Parallèlement à cette réflexion, à partir de 1996, nous avons créé plusieurs gîtes sur notre exploitation. À cette occasion, je me suis intéressée à la politique touristique de notre commune, qui n'était pas tournée à l'époque vers le tourisme rural. Plutôt que de râler, je me suis lancée. On n'est pas venu me chercher, j'ai souhaité agir localement pour pouvoir faire bouger les choses. J'ai ainsi été élue aux élections municipales et je suis toujours aujourd'hui première adjointe. Je fais d'ailleurs un vrai lien entre mes mandats parce que j'ai les deux casquettes. Tout à l'heure, j'ai entendu : « Il faut que les politiques ouvrent les oreilles. » ( Rires.) C'est vrai qu'en tant que politique, des messages me sont adressés, et en tant qu'agricultrice, j'ai une connaissance de mon métier que je peux porter dans le cadre de mes fonctions politiques.

Que m'apporte le fait d'être élue ? Tout d'abord, j'aime le contact avec les gens. Mes premiers engagements répondaient aussi à ce besoin d'avoir des contacts et de sortir de l'exploitation. Et puis de pouvoir apporter des choses : par exemple, relayer des messages, mais aussi expliquer dans certaines instances qu'il ne faut pas opposer les agricultures, qu'il ne faut pas porter un regard clivant. Je suis en mesure d'intervenir dans les PLU (Plans locaux d'urbanisme) et les SCOT (Schémas de cohérence territoriale), car en tant qu'agricultrice, je suis légitime pour parler de ces sujets et de l'impact de ces décisions pour l'avenir. Je ne dis pas que les autres élus ne le sont pas, mais pour moi, c'est un vrai plus d'avoir cette connaissance venue de l'agriculture. Tout le débat sur l'environnement en atteste également.

Pour moi, dans l'engagement politique, ce qui est important, c'est d'aider à construire, d'être acteur au lieu de subir. (Applaudissements.)

Annick Billon . - Merci pour ce témoignage. Il y a un certain nombre de sénatrices dans la salle et je crois qu'il y a certaines similitudes, comme l'a soulevé notre présidente Chantal Jouanno, entre le monde agricole et le monde politique, si l'on considère l'engagement des femmes. Nous notons deux parcours de femmes qui s'engagent : certaines se sentent d'emblée légitimes et s'investissent, d'autres sont incitées à s'engager par les lois sur la parité mais acquièrent rapidement leur légitimité.

Je me tourne maintenant vers nos autres invitées pour savoir ce qui les a motivées à entrer en politique.

Anne Leclercq, adjointe au maire d'Ouzouer-sur-Trézée (Loiret), vice-présidente du Conseil régional Centre-Val de Loire (groupe Socialiste, radicaux et démocrates ). - Bonjour à toutes et à tous. Je suis conseillère municipale adjointe dans un village de 1 200 habitants du Loiret, Ouzouer-sur-Trézée, et vice-présidente du Conseil régional Centre-Val de Loire, déléguée aux questions de la santé et des formations sanitaires et sociales.

Avant de parler de mon vécu d'élue, je souhaite vous parler de mon métier d'agricultrice. Je suis fille d'agriculteurs. Mon père rentrait régulièrement le soir en nous disant : « Vous ne ferez jamais ce fichu métier ! ». Ses trois enfants ont pourtant suivi des études d'agriculture. Je suis la seule à être installée en tant qu'agricultrice. Après une adolescence pendant laquelle j'ai envisagé une autre carrière, je suis revenue à mon premier choix et j'ai choisi d'être agricultrice après ma formation d'ingénieur.

J'ai eu la chance - peut-être qu'il n'y a pas de hasard - de rencontrer un homme qui a fait le même choix que moi et qui s'est, lui, très vite investi dans le syndicalisme agricole. Nous avons eu nos enfants. Le projet d'installation a été un peu long à être mené à bien car nous nous sommes installés dans une structure qui est un GAEC non familial. Bien que fille d'agriculteurs, je ne suis pas installée sur la ferme familiale, j'ai déménagé à 250 kilomètres. Ce qui a été important pour moi, c'est d'être agricultrice à part entière, c'est-à-dire que je suis exploitante au même titre que les autres associés du GAEC. Nous étions initialement quatre, nous ne sommes aujourd'hui plus que deux, car nos associés ont pris leur retraite. Avoir ce statut a toujours été très important pour moi : je n'ai jamais envisagé d'être conjointe d'exploitant.

Mon engagement en politique s'est déroulé parallèlement à l'engagement syndical de mon compagnon. Il s'est fondé sur mon engagement associatif, car j'étais impliquée dans la vie de mon village. Petit à petit, j'ai investi la vie municipale. Le maire de ma commune était un ancien agriculteur qui faisait confiance aux agriculteurs et agricultrices pour les questions de gestion, d'implication, de prises de responsabilités. C'est ainsi que je suis entrée en politique, pour mes valeurs de gauche et mon choix d'un engagement social.

Je peux dire que mon engagement politique n'est pas parti de mon statut d'agricultrice, mais de mon statut de citoyenne. Cet engagement politique m'offre aussi une ouverture vers d'autres horizons. En milieu rural, ce n'est pas toujours évident mais il faut que nous, en tant que femmes, nous prenions notre place, comme beaucoup de témoignages l'ont déjà évoqué. Il faut savoir tirer parti des lois sur la parité, il faut savoir profiter de l'évolution des statuts. Le fait d'être une femme, le fait d'être agricultrice m'ont permis de figurer en bonne place sur une liste aux élections régionales. J'ai ainsi pu être élue dès 2010, puis réélue en décembre 2015. À ce titre, j'ai été chargée d'une délégation en matière de santé, autre sujet qui me passionne. Les questions de santé sont primordiales, notamment en milieu rural. Cette participation m'ouvre aussi à d'autres questions que l'agriculture et mon quotidien. Cet engagement tient une place importante dans mon équilibre.

Annick Billon . - A vous, Brigitte Fischer-Patriat !

Brigitte Fischer-Patriat, conseillère départementale de la Haute-Marne (groupe Les Républicains) . - Bonjour à toutes et à tous, merci pour les magnifiques témoignages très émouvants que nous avons entendus, et qui sont très encourageants. Agricultrice, oui, c'est ce que je suis, dans un tout petit village. Quand je me suis installée, à 25 ans, j'étais quasiment la seule jeune femme de la commune. Les autres femmes actives étaient en dehors du village pendant la journée, les femmes qui restaient étaient les retraitées. Donc, du coup : « Brigitte, on aurait besoin d'un petit coup de main, là », « Brigitte, ça va pas, la grand-mère est tombée, tu iras jeter un oeil ? », « Brigitte, on a besoin de quatre bottes de paille pour la kermesse de l'école, on va faire un stand ! ». Donc, les gens, on est chez eux tout le temps, ils nous parlent, ils nous confient leurs problèmes, on a l'impression d'être la petite assistante sociale du coin. J'avais envie de leur rendre service, mais j'entendais sans cesse : « il faudrait que ... », « vous devriez faire cela... », « de toute façon, qui pense à nous ? », « on en a ras le bol, on n'en n'a rien à faire de nous ». Je parle un peu familièrement, mais c'est ce que j'entends tout le temps. À force d'entendre ces réflexions, j'ai pensé que je devais relever mes manches pour m'engager, si j'en avais le courage. J'ai eu envie de passer des discours aux actes.

C'est vrai que j'ai profité de la parité des listes du conseil départemental pour faire mon entrée en politique. Sans ces lois, je ne crois pas que j'aurais osé me lancer seule. Mais le binôme, le travail d'équipe, ça m'a plu. J'ai toujours travaillé en équipe : quand vous êtes agricultrice, vous travaillez rarement seule, vous travaillez avec les autres. Donc je me suis lancée, c'était un défi. J'ai vécu une campagne électorale : c'était une première, vraiment très difficile.

Mon engagement politique, je l'ai vécu comme un moyen de concilier mes paroles et mes actes. (Applaudissements.)

Annick Billon . - Merci, mesdames. Une autre question : pour beaucoup de femmes, l'engagement associatif peut être le préalable à un engagement politique. Partagez-vous ce constat ? Est-ce un engagement associatif qui vous a menées vers un mandat politique ? Est-ce que c'est le parcours associatif ou des préoccupations telles que, par exemple, les défis de l'urbanisation des terres agricoles qui vous ont poussées à vous engager ?

Marie-Christine Le Quer . - Ce sont en effet mes mandats associatifs qui m'ont conduite vers les mandats politiques. Je souhaite également réagir aux propos de l'intervenante précédente pour souligner que la mise en place du binôme paritaire a été une chance. C'est aussi grâce à cette formule que mon engagement a été facilité. Je suis consciente que c'est beaucoup plus difficile de se lancer dans des mandats importants quand on est seule au départ. Ce binôme a été une chance ; maintenant les femmes ont vécu des campagnes, elles sont là. Mais c'est un premier pas, qu'il faudra sans doute poursuivre.

Annick Billon . - Je m'adresse à Perrine Hervé-Gruyer, qui a également été sportive de haut niveau ! Vous êtes passée d'une vie de juriste internationale, vous l'avez dit, à la permaculture. Vous exploitez une ferme de vingt hectares dans l'Eure. Vous avez été élue au conseil régional. Vous êtes actuellement conseillère municipale. Vous reconnaissez-vous dans les témoignages précédents, s'agissant de ce parcours associatif ?

Perrine Hervé-Gruyer . - Même si le sport est une belle école de la vie - pour moi sans doute la meilleure d'ailleurs, quand on est jeune - ce n'est pas mon engagement associatif qui a guidé mes pas, mais plutôt ma première vie professionnelle en tant que juriste. J'ai travaillé, pendant la quasi-totalité de la première partie de ma carrière, à l'étranger, notamment au Japon, à Tokyo, et en Chine. Quand je suis rentrée en France, j'ai rencontré mon mari et nous nous sommes installés : il m'a fallu poser mes bagages. Quand je suis revenue vivre dans mon pays, je me suis rendu compte de la chance que nous avions de vivre en France. À Hong-Kong où je travaillais auparavant, mes collègues chinois pouvaient être licenciés du jour au lendemain, littéralement en quinze jours ils étaient dehors, il n'y avait pas d'allocation chômage, pas de système de santé. En France, il y a une qualité de vie évidente, une gastronomie géniale, de merveilleux paysages. C'est sans doute le plus beau pays du monde, je le pense vraiment ! Et j'ai beaucoup voyagé... Je me suis dit : « Quels atouts on a en France, c'est absolument incroyable ! ». Or, j'entendais partout, que ce soit dans ma famille ou à l'extérieur, dans le monde rural ou en ville, parler des choses qui n'allaient pas. Pour tous ceux que je rencontrais, rien n'allait. Dans l'ordre, c'était la faute du mari ou de la femme ou de la famille, puis c'était la faute du patron, puis celle des politiques, et enfin du président de la République. J'ai donc souhaité m'engager pour mieux faire toucher du doigt la chance que nous avons de vivre en France, tout en m'efforçant d'améliorer ce qui peut l'être.

Je me suis aussi engagée pour pouvoir défendre des situations comme celle de ma voisine qui, veuve, après avoir cédé son exploitation laitière, devait vivre avec 40 euros par mois de retraite, alors qu'elle avait gardé des vaches pendant quarante ans ! On ne lui avait pas dit qu'elle avait droit à une pension de réversion. Elle a reçu un beau papier l'informant que, comme elle n'avait pas fait de demande, elle n'avait droit à rien. Alors je me suis occupée de son dossier. Du coup, quand on est venu me chercher, je me suis dit : il faut dire les choses, il faut porter les choses un petit peu différemment. Voilà un peu ce qui m'a motivée. (Applaudissements.)

Annick Billon . - Juste en aparté, comme vous avez l'air de bien connaître la Chine, je pense que vous pourrez tout à fait aider notre jeune viticultrice à exporter et à développer sa production vers la Chine.

Perrine Hervé-Gruyer . - Et la Chine, effectivement, c'est un gros marché ! Je connais quelques personnes qui, déjà à l'époque où j'y habitais, essayaient de vendre du vin en Chine. Effectivement, le Beaujolais peut s'apprécier même si l'on ne connaît pas très bien le vin.

Annick Billon . - Peut-être que la Chine va s'ouvrir à vous, Ghislaine Dupeuble !

Une question que l'on nous pose souvent, à nous parlementaires, porte sur l'efficacité notre travail. Elle m'a d'ailleurs été posée tout à l'heure, tandis que rencontrais un groupe d'agricultrices vendéennes avant le colloque : « Avez-vous l'impression de servir à quelque chose ? ». (Rires dans la salle) . Je vais vous retourner la question, mesdames. Je vais commencer par vous, Brigitte Fischer-Patriat : depuis que vous êtes engagée en politique, avez-vous l'impression de faire avancer les choses, de faire avancer les dossiers, d'être utile ?

Brigitte Fischer-Patriat . - Je l'espère ! C'est compliqué, quand on est une nouvelle élue. Les arcanes de la politique sont quand même sinueux. Il est difficile d'être opérationnelle tout de suite. Il faut d'abord observer, se renseigner, poser des questions. À un moment, les services n'en peuvent plus de vous voir arriver pour sans cesse poser des questions ! Puis, les gens de votre territoire commencent à adresser des demandes et il faut agir. Et là, les choses se mettent en place, il faut vite monter au créneau. J'essaie de faire du mieux que je peux. Si je ne peux pas répondre aux attentes, en tous cas j'écoute, je vois s'il y a une solution et si je n'en ai pas, j'essaie d'orienter les gens vers mon député, vers mon sénateur, le mieux à même de répondre. Pour le moins, je ne laisse personne de côté. À ce jour, je dirais que oui, j'arrive à faire quelque chose de positif. (Applaudissements.)

Annick Billon . - Merci pour ce témoignage. Je vais poser la même question à ma voisine, Anne Leclercq. Ce qui est assez significatif, c'est qu'en général, avant de répondre à une demande, les femmes n'ont pas peur de dire : « Je ne sais pas, je me renseigne, je pose les questions, et après on voit ». Excusez-moi, messieurs !

Anne Leclercq . - Effectivement, je pense que, à travers des parcours différents, nous vivons des choses très proches. Que ce soit dans un mandat municipal ou régional, on passe par ces phases-là. Effectivement, on n'a pas honte de dire qu'on ne sait pas, qu'on va se renseigner. La récompense, c'est que les gens vous disent : « Vous m'avez apporté une réponse, même si elle n'est pas satisfaisante, même si elle n'a pas plu et qu'elle ne me convient pas ». Je ne sais pas si c'est un trait féminin mais j'ai tendance à le penser. Nous avons l'envie d'aller au bout des choses, de notre engagement et de nos missions.

En tant qu'agricultrice, l'exercice de mes mandats m'a offert une reconnaissance et une diversification de mes missions. Mes mandats m'ont permis de m'ouvrir à d'autres question que celles concernant l'agriculture et mon village, de prendre du recul. Je croise beaucoup d'élus qui sont élus de leur village, de leur canton. Je pense que, au-delà du village ou du canton que nous représentons, notre mission est aussi de porter une politique qui s'applique à l'ensemble d'un territoire. C'est peut-être parce que nous sommes nouvelles en politique, mais je pense que les femmes se projettent moins dans la préparation de la prochaine élection. Je le dis un peu crûment, mais je le vis ainsi sur le territoire et je pense que je ne suis pas la seule.

Effectivement, mon mandat me prend beaucoup de temps et m'éloigne de la ferme. C'est une alternance dans mon organisation qui est assez compliquée à gérer, mais qui est très riche. C'est aussi la quadrature du cercle : certains projets doivent être abandonnés ou reportés à cause de mes absences. Pour moi, il est cependant vital de garder mon métier d'agricultrice tout en ayant un mandat d'élu. Dans les instances politiques, je peux témoigner légitimement de ma vie d'agricultrice dans l'élevage, surtout avec la crise terrible que nous connaissons depuis une dizaine d'années. À l'inverse, je peux expliquer au niveau de la CUMA (Coopérative d'utilisation de matériel agricole), dont je suis trésorière, pour quelles raisons le conseil régional finance un matériel plutôt qu'un autre, en fonction de son incidence sur l'environnement, parce qu'on a besoin de faire évoluer notre politique agricole vers une agriculture plus propre, une agriculture plus saine qui réponde aux besoins de nos concitoyens.

Cet investissement en politique a aussi des incidences sur notre ferme. Du fait de mes mandats, je suis beaucoup plus sensible aux questions environnementales. Depuis quatre ans, nous sommes passés à une agriculture sans labour, une agriculture de conservation des sols et à une augmentation de la rotation des cultures, des productions. Et c'est un plus ! Mon compagnon se passionne pour les terres, pour ma part j'interviens plus sur la partie élevage. Avoir toujours un pied dans la vie, dans la gestion de l'exploitation, c'est une richesse que j'apporte aussi au conseil régional. L'apport est donc réciproque.

Mon investissement politique et mon exercice professionnel s'allient et s'enrichissent mutuellement. C'est une fierté et un plaisir. Un jour je suis à la ferme, je cure du fumier, le lendemain je vais défendre un dossier auprès de médecins - je m'occupe de questions de santé au conseil régional - tout cela est d'une grande richesse et je le savoure. Pour autant, c'est mon deuxième mandat et je sais que j'arrêterai la politique car je veux laisser la place à d'autres. Mais je pense que c'est important d'introduire dans le microcosme politique une diversité, la diversité qu'apportent les femmes, et notamment les agricultrices.

Annick Billon . - Merci. Je vais poser la même question à Perrine Hervé-Gruyer. Quel bilan tirez-vous de votre mandat ? Estimez-vous que le fait d'être une agricultrice élue apporte un plus ?

Perrine Hervé-Gruyer - Il me semble que toutes les femmes qui s'engagent en politique sont utiles, qu'elles soient agricultrices ou non. Le fait d'être agricultrice est une chance, comme cela vient d'être dit, car nous bénéficions d'un ancrage dans le quotidien et que nous savons ce qu'est la vraie vie, une vie pas toujours simple, on le sait toutes - les fins de mois ne sont pas toujours évidentes, etc. Nous restons au fait des réalités. Comme nous savons que nous ne ferons pas carrière en politique, nous n'allons pas entrer dans tous les « petits arrangements entre amis » pour savoir qui va se présenter à la prochaine élection ou qui sera élu, ou qui fera un croc en jambe à qui. Donc nous avons une certaine liberté de parole, qui dérange souvent, car on ne va pas prendre parti pour un clan ou pour un autre - parfois on n'arrive pas à nous cerner. Notre passion, ce n'est pas la politique mais l'agriculture, et on s'engage en politique pour porter une parole.

Je l'ai déjà dit un petit peu en introduction, j'ai eu la chance d'arriver à un moment clé pour la politique agricole du conseil régional de Haute-Normandie, lors de ce fameux deuxième pilier de la PAC. Avoir une parole technique dans un débat qui porte davantage sur les idées et les enjeux globaux, ramener les choses à des enjeux techniques quand on parle d'agriculture, ça permet d'inspirer confiance. Même quand on n'est pas dans la majorité, on se trouve sollicité pour contribuer à la rédaction de règlements précis. Le seul désavantage qu'ont les femmes à mon avis, c'est qu'elles n'ont pas nécessairement envie de briller dans l'hémicycle ou devant les journalistes. On ne va pas chercher la petite phrase qui sera retenue et débattue. Tandis que Bruno Le Maire siégeait dans le même hémicycle que moi, qu'il était ministre de l'Agriculture, j'ai veillé à avoir avec lui un discours exempt de toute agressivité tout en ayant un discours franc et clair. Dire les choses clairement et de façon directe (comptez sur moi !), finalement ça passe. Je crois que c'est ça qu'il faut en retenir : on peut être très efficaces, et d'ailleurs cela se ressent dans notre manière d'exercer notre métier, on ne cherche pas la quantité - comme le chiffre d'affaires - on va chercher une marge, on va chercher la qualité, et c'est vrai aussi dans nos engagements sociétaux. (Applaudissements.)

Marie-Christine Le Quer . - Je me retrouve complètement dans ces propos. En tant que femme, on ne fait pas de la politique de la même manière, encore moins quand on est agricultrice. Selon le type de mandat, l'utilité s'apprécie de manière différente. Avec un mandat municipal, le retour est beaucoup plus rapide : vous êtes en contact avec des gens qui viennent vous voir avec des problèmes précis. Il est donc plus facile d'apporter rapidement des réponses. Avec un mandat départemental - c'est ce qui fait partie de mes frustrations - on s'aperçoit que les décisions produisent plus lentement des résultats. Nous, en tant qu'agricultrices, on est dans l'action. Donc ce décalage est souvent très compliqué à gérer. Quand on nous pose la question : « Êtes-vous utile ? », je me dis jusqu'à un certain point, mais ça prend énormément de temps. Quand on va plus loin et qu'il s'agit de légiférer, comme ici au Sénat, ça prend encore plus de temps. On réalise l'impact d'une loi dans le quotidien longtemps après son adoption - je pense notamment à l'environnement. Je me dis qu'être utile, c'est remonter les demandes pour essayer d'agir du mieux possible, même s'il reste toujours des frustrations.

Annick Billon . - Merci. (Applaudissements.)

La question qui vient après est un petit peu surprenante pour un colloque organisé par la délégation aux droits des femmes. Pour moi, cette question n'aurait pas été posée à des hommes. Je vous la pose néanmoins : comment conciliez-vous vos activités d'élues et votre métier ?

Brigitte Fischer-Patriat . - J'ai de la chance puisque je travaille dans une ferme céréalière et que je m'occupe de la gestion comptable et du personnel ainsi que des relations avec les fournisseurs et les clients. Mon emploi du temps est donc modulable, même si certaines périodes de l'année sont plus tendues. Malgré tout, être élue et céréalière, ça ne se conjugue pas trop mal et on arrive à avoir du temps libre, même si évidemment le travail et l'engagement politique empiètent parfois sur les soirées. En revanche, je n'aurais pas fait la même réponse il y a dix ans, quand mes enfants étaient plus jeunes.

Anne Leclercq . - Pour ma part, je l'ai dit tout à l'heure, c'est souvent la quadrature du cercle. La conciliation est difficile, mais possible, car mon compagnon me soutient. Il était important pour moi d'être agricultrice car il était important que nos enfants vivent dans le concret, nous voient travailler et apprennent ce qu'est le travail. C'est une richesse que j'ai reçue dans mon enfance et je voulais la transmettre à mes enfants. Avec le temps, les enfants ont grandi donc cela a été moins compliqué. Et dans notre couple aussi, il y a eu une alternance ! Pendant longtemps, mon compagnon a été très investi dans le syndicalisme agricole. C'est aujourd'hui son tour d'être très présent à la ferme pendant que je m'investis ailleurs. Nous faisons par ailleurs appel à un salarié qui réalise des heures supplémentaires, mais je reconnais que les travaux de la ferme souffrent d'un certain retard. L'indemnité que je perçois au titre de mon mandat devrait me permettre d'embaucher un autre salarié mais ce n'est pas le cas au vu de la situation économique de notre exploitation. Toutefois, en tant que femme - est-ce lié au fait d'être une femme ou à l'éducation ? - nous avons appris à faire beaucoup de choses à la fois, à passer de l'une à l'autre, et nous y trouvons aussi un certain équilibre : ça me fait du bien d'être toute seule à la ferme de temps en temps, mais j'ai besoin aussi d'en sortir, de rencontrer du monde, et des gens différents qui m'apportent aussi beaucoup de choses.

Annick Billon . - Merci. (Applaudissements.) Juste une réponse, plus rapide si vous le pouvez car le temps est compté cet après-midi. Perrine Hervé-Gruyer, comment conciliez-vous le temps entre votre engagement politique et votre métier ?

Perrine Hervé-Gruyer . - L'équilibre est difficile à trouver avec des enfants en bas âge, et encore davantage pour nous avec une production de maraîchage - nous sommes en petit maraîchage diversifié, donc nous produisons toute l'année, y compris pendant l'hiver. Mais l'aspect positif est que nous avons dû embaucher. La ferme a perdu de l'argent parce que, comme je vous l'ai dit, entre les charges et le salaire, nous dépensions plus pour notre salarié que le montant de mon indemnité de conseillère régionale. Mais, d'une certaine façon, nous avons choisi des options qui ont fait que l'équipe s'est étoffée et ce n'était pas une mauvaise chose. À titre personnel, cet investissement politique m'a un peu éloignée de la terre. Je rejoins ma collègue : c'est une question d'équilibre, d'être à la fois à la ferme, d'être dans le concret, et de voir d'autres personnes. Ne pas se limiter à l'administratif, la gestion et la comptabilité de la ferme, c'est bien aussi ! Il y a un équilibre à trouver entre le travail à la ferme et l'ouverture ailleurs. (Applaudissements.)

Marie-Christine Le Quer . - Pour moi, ce n'est pas exactement pareil, ça n'a pas été très difficile même si c'est tout le temps la course. Je n'aurais jamais pu m'engager sans le soutien de mon mari, si mon conjoint n'avait pas été là tout le temps pour me dire : « Vas-y, je serai là, au fur et à mesure on réglera les problèmes ». C'est ce qu'on a fait, on a réorganisé l'exploitation, recentré notre activité sur le lait. Nous avons fait appel à une ETA (Entreprise de travaux agricoles) et nous avons embauché un salarié à mi-temps. On a vraiment réorganisé le travail, d'une manière qu'on a décidée ensemble, pour que je puisse poursuivre mes mandats. Je voudrais juste ajouter un point. J'ai bien aimé tout à l'heure l'évocation des limites des femmes qui s'engagent. Je dis souvent que la limite de mes mandats politiques, c'est le quotidien. Vous disiez qu'on ne pose pas la question aux hommes, mais effectivement, quand je rentre à 23h30 après une session, je dois encore vider le lave-vaisselle, vérifier s'il reste à manger dans le réfrigérateur, lancer une machine, etc. Je me dis souvent : « Je ne suis pas sûre que mon député fasse la même chose »... (Rires.)

Annick Billon . - Merci pour ce témoignage que je partage totalement. Étant sénatrice trois jours par semaine à Paris, lorsque je rentre la problématique est la même, je vous rassure. (Rires.)

Juste une dernière question à nos quatre interlocutrices. On connaît le rôle majeur de l'agriculture dans l'aménagement du territoire. Au Sénat, cette dimension est bien connue car les sénateurs représentent les collectivités, il y a d'ailleurs des agriculteurs parmi les sénateurs. Pensez-vous que le rôle que vous jouez en tant qu'élue dans une collectivité - département, région, mairie - apporte un regard nouveau sur l'agriculture ? Je vous appelle toutes à une certaine concision...

Brigitte Fischer-Patriat . - Plutôt qu'un regard précis d'agricultrice, je dirais que nous portons un regard de femme. C'est déjà ça qui change en premier lieu. En tant qu'agricultrice, je pense que nous apportons des données auxquelles les hommes ne pensent pas forcément. Je pense ici aux sujets ayant trait à la gestion du personnel, aux relations avec les fournisseurs et les clients, à la notion de revenus. Pour nous les femmes, c'est le revenu qui va compter. Je ne travaille qu'avec des hommes, je m'occupe de la gestion et de la comptabilité. Ils viennent m'interroger pour savoir si nous pouvons nous lancer dans tel projet ou acheter du nouveau matériel. Car nous, les femmes, nous savons tout de suite voir quel sera l'impact de cette décision sur le plan financier.

Je vous assure, les agricultrices qui sont autour de moi, sur le plan des compétences financières, elles sont au top ! Elles sont formées - contrairement à ce qu'on a pu entendre - tout au long de leur vie et continuent à se former, et dans des domaines très différents. Moi par exemple, j'ai fait une licence en sciences de l'éducation à quarante ans. Il faut pouvoir répondre à des problématiques qui sont vraiment beaucoup plus larges que l'agriculture stricto sensu . On a parlé d'environnement, mais il y a aussi le social, quand on voit toutes ces femmes d'agriculteurs à la retraite... Il y a beaucoup de problématiques, beaucoup de champs d'action. J'aimerais aussi dire que ce sont ces femmes d'agriculteurs, ces agricultrices, ces cheffes d'exploitation qui font vivre nos villages. Il y a un travail énorme à faire. Et il faut vraiment pousser les jeunes agricultrices à s'engager, j'essaie de le faire. Oui, c'est important ! (Applaudissements.)

Annick Billon . - Merci pour ce témoignage.

Pour terminer, je souhaite m'adresser à ma voisine, Jacqueline Panis, qui a été sénatrice de 2007 à 2011. Vous avez été très investie dans les questions d'égalité entre les femmes et les hommes. Que pensez-vous de tous les témoignages que nous venons d'entendre ? Vous reconnaissez-vous dans ces parcours ? L'agriculture et la politique sont des mondes encore très masculins : 25 % seulement de femmes au Sénat... Avez-vous eu à franchir des obstacles, à vous battre - comme certaines l'ont dit tout à l'heure ? Vous avez été sénatrice, vous êtes toujours élue municipale, vous exercez des responsabilités à la chambre d'agriculture de votre département. Où avez-vous eu l'impression d'être le plus en mesure de faire avancer vos idées ?

Jacqueline Panis, sénatrice de Meurthe-et-Moselle de 2007 à 2011 (groupe UMP), présidente du Syndicat départemental de la propriété privée rurale de Meurthe-et-Moselle, membre du bureau de la Chambre d'agriculture de Meurthe-et-Moselle, conseillère municipale de Seichamps . - Je voudrais tout d'abord remercier la présidente de la délégation d'avoir pris l'initiative d'organiser cet après-midi riche en échanges et qui est le point de départ, d'après ce que j'ai compris, de travaux à venir. Je ne doute pas que nous y contribuerons toutes et tous. Je remercie tout particulièrement Françoise Laborde qui a suggéré, lorsque nous nous sommes rencontrées en janvier, que je participe à ce colloque, quand elle a appris que j'étais membre de la chambre d'agriculture de mon département.

Je suis membre de la chambre d'agriculture depuis fort longtemps. J'y suis entrée par le biais du syndicat professionnel des propriétaires ruraux dont j'étais la présidente dans les années 1990. C'est ce qui m'a permis, étant fille et petite-fille d'agriculteur, donc déjà dans le milieu, de m'investir dans tout ce qui concernait l'organisation agricole. C'est ce mandat qui m'a permis de m'investir en politique. J'ai la chance que mon mari m'ait poussée et aidée à m'investir. Parfois, quand j'avais un discours à préparer, il était particulièrement critique...

Les femmes se posent toujours la question de leur engagement avant de s'engager. Un homme ne se pose jamais cette question. Au bout de trente ans, il vous dit : « Moi ça fait trente ans que je prends la parole », il n'est pas fichu de mettre un mot devant l'autre, mais il est toujours là ! (Applaudissements.) Une femme, en revanche, on va lui demander des compétences ! Ceci est très important, le manque de confiance en soi a été évoqué.

Les femmes prennent confiance en elles au fur et à mesure qu'elles avancent. Elles ont à gérer une vie familiale, ç'a été dit. Pourtant, s'il y a vie familiale, c'est qu'il y a un compagnon ou un conjoint... Mais c'est à elle de gérer ! Le bénévolat nous amène aussi vers d'autres engagements. La question de l'âge se pose également, alors que les hommes ne se posent pas la question. Lors du renouvellement du Sénat en 2011, je n'avais pas encore 65 ans, pourtant on m'a fait comprendre que j'étais trop âgée. Je ne voudrais pas dire quel est l'âge des élus à Nancy, vous regarderez...

Il y a un point qui n'a pas été évoqué cet après-midi sur l'agriculture, c'est la question foncière. Or elle est essentielle. Je suis toujours présidente d'un syndicat de propriétaires ruraux. Je pense que cette question doit faire l'objet de travaux complémentaires dans le cadre de votre étude.

Agricultrice et citoyenne, ça passe par un mandat local. Dans la mesure du possible, il faut démarrer comme adjointe municipale. L'engagement commence souvent, comme vous l'avez dit, par un investissement dans le milieu associatif. Dans un village, l'agricultrice qui participe à l'association de parents d'élèves peut être sollicitée pour participer au conseil municipal. Vous devenez adjointe, cela a été mon cas. Au conseil de mon village, j'ai été adjointe chargée des affaires sociales et scolaires, qui est souvent un portefeuille dévolu aux femmes. Pour autant, cette place m'a permis d'apprendre beaucoup de choses. Une anecdote : à l'époque, alors que j'étais la seule femme adjointe, le maire avait proposé à ses collègues masculins de participer à un colloque de deux jours à Dijon. Il ne m'a même pas demandé si cela m'intéressait ! J'ai donc levé la main et je lui ai dit que j'étais volontaire pour y aller. Il a fallu ensuite que je m'organise en urgence pour tenir ma parole. (Applaudissements.) C'est comme ça qu'il faut faire si on veut obtenir quelque chose ! C'est pour ça aussi que je parle de l'importance du conjoint.

Quand j'étais au Sénat, j'ai également dû compter sur le soutien de mon conjoint puisque je restais à Paris pendant trois jours chaque semaine. J'ai vécu mon mandat à fond, c'était mon choix. Et quand je rentrais le week-end, il y avait toutes les manifestations, les représentations. Mon mari faisait le chauffeur, photographe, secrétaire et garde du corps... (Applaudissements.) Oui, c'est comme ça qu'on se présentait. Et il n'était pas mon assistant parlementaire ! (Rires.)

Que dire d'autre ? Femme et homme en agriculture - je pense au projet présenté par Sarah Bourtembourg - j'estime que, dans nos départements respectifs, nous devrions faire en sorte de mener des réflexions similaires à celle lancée par la Chambre d'agriculture des Ardennes. C'est un sujet qui devrait même remonter jusqu'ici. Il y a là une base de données à laquelle il faudra contribuer pour faire en sorte que 30 % de femmes siègent dans les différentes instances de la profession.

Je suis un produit de la parité. En 2001, c'était la première fois que des listes étaient proposées dans nos départements et il fallait placer le nom d'une femme en seconde place. Malheureusement, la personne qui figurait en premier sur la liste est décédée, donc je suis devenue sénatrice. Au Sénat, jamais je n'ai essuyé de remarque sur ma condition de femme. C'est aux femmes de montrer qu'elles sont capables, qu'elles sont disponibles et qu'elles s'engagent pour vivre leur mandat pleinement.

Je voudrais donc conclure en disant : soyez présentes dans vos départements. C'est d'ailleurs le cas puisque par votre présence ici aujourd'hui, vous contribuez à faire avancer les choses. Je souhaite que le Sénat puisse être le relais de vos revendications. Il faudra que les travaux que commence le Sénat aujourd'hui puissent être relayés dans nos départements.

Annick Billon . - Je vous remercie, mesdames, pour votre participation à cette table ronde.

Il faut savoir que dix-sept agriculteurs siègent au Sénat, mais ce sont tous des hommes... Il y a un renouvellement au mois de septembre : mesdames, vous pouvez être candidates !

Je vais maintenant laisser la parole, pour conclure cet après-midi, à ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, qui a été présidente de la délégation de 2011 à 2014 et qui y a toujours été très impliquée.


* 10 L'intitulé de cet extrait du portrait vidéo de la lauréate est inspiré par une citation de l'agricultrice interviewée, citation qui illustre le thème de la table ronde.

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