Corinne Bouchoux, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes (Groupe Écologiste)

Madame la ministre,

Madame la présidente du Planning familial ,

Mes chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

C'est un grand honneur pour moi d'avoir été associée à cet hommage à Lucien Neuwirth, qui a su comprendre que le droit de maîtriser leur fécondité est pour les femmes un droit primordial, et qui a associé son nom à un combat décisif pour les libertés des femmes.

Je voudrais tout d'abord rappeler quelques éléments de contexte. Je ne sais pas combien l'Assemblée nationale comptait de députées au moment des débats sur ce qui allait devenir la « loi Neuwirth », mais il faut avoir présent à l'esprit qu'à l'époque, cinq femmes seulement siégeaient au Sénat : Marie-Hélène Cardot 8 ( * ) , Suzanne Crémieux 9 ( * ) , Renée Dervaux 10 ( * ) , Irma Rapuzzi 11 ( * ) et Jeannette Thorez-Vermeersch 12 ( * ) .

Je voudrais aussi citer quelques « perles » des débats parlementaires de décembre 1967.

On a pu craindre en effet, dans nos assemblées, que la contraception encourage « une licence accrue des moeurs parmi la jeunesse ».

On a pu estimer aussi que notre pays était menacé par « une flambée inouïe d'érotisme » et que la pilule allait « encore favoriser davantage les amours illicites et ébranler les assises de la famille ».

L'inquiétude enfin s'est exprimée du « viol de la conscience médicale » que subirait le médecin auquel une jeune fille ou une femme demanderait la pilule « sans aucun prétexte médical ou social, c'est-à-dire dans un souci évident d'agrément »...

Je voudrais cet après-midi évoquer un autre combat de Lucien Neuwirth, qui devait, lui aussi, avoir des conséquences immenses.

Je veux parler de son engagement, dès 1994, à la commission des affaires sociales du Sénat dont il est un membre particulièrement actif, pour la prise en charge de la douleur, face à une médecine française qui n'avait pas encore pris la mesure de cette dimension essentielle du soin.

De fait, ce rapport de Lucien Neuwirth, dont on a peut-être oublié le caractère révolutionnaire, envisageait tous les aspects de la douleur, sans laisser de côté le scandale de la douleur des enfants.

En 1999, cet engagement pionnier donnera lieu à l'adoption d'une proposition de loi qui deviendra la loi de juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs 13 ( * ) .

Le rapport de 1994 « sur les problèmes posés, en France, par le traitement de la douleur » 14 ( * ) - c'est son titre officiel - concluait ainsi : « Comment oserions-nous construire cet humanisme du XXI ème siècle que tous les peuples appellent de leurs voeux, en laissant de côté, chez nous, celles et ceux qui souffrent ? »

Cette phrase permet rétrospectivement de mieux comprendre le combat de Lucien Neuwirth pour la contraception.

Son humanisme, qui l'a conduit dans les années 1950-1960 à vouloir mettre fin à la détresse qu'éprouvent les femmes confrontées à une maternité subie, le mène, quelque trente ans plus tard, à consacrer son énergie au traitement de la souffrance.

« Sauvegarder la dignité du malade », permettre aux femmes de vivre la maternité « de manière consciente et pleinement responsable » : voilà deux aspects d'un même engagement au service du progrès et de l'humanité, qui caractérise Lucien Neuwirth.

Cet après-midi, nous rendons donc hommage à un parlementaire hors pair qui, fort de son expérience de terrain, a osé s'engager, dans une France encore très conservatrice, en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps.

Mais il ne faudrait pas oublier que ce combat aurait été impossible sans le militantisme inlassable de la fondatrice du Planning familial , l'Américaine Margaret Sanger, qui a rendu possible l'autorisation de la pilule aux États-Unis en 1960, sept ans avant la France.

Il m'a paru indispensable de le rappeler, a fortiori en présence de la présidente du Planning familial français qui nous fait l'honneur d'assister à cette cérémonie.

Je souhaite également souligner que si, en 1944, les femmes ont obtenu le droit de voter et d'être éligibles, ce n'est pas seulement parce que le général de Gaulle leur a « octroyé » ce droit. C'était aussi, et Lucien Neuwirth le savait bien, le résultat de plusieurs décennies de lutte des femmes pour leurs droits civiques.

Il faut absolument tous et toutes être conscient-e-s aujourd'hui, quand on voit très concrètement qu'aux États-Unis le droit des femmes à maîtriser leur fécondité est ouvertement mis en cause, que ces combats ne sont pas des combats du passé.

Je voudrais enfin saluer les proches de Lucien Neuwirth qui ont été témoins de ses engagements et qui sont présents cet après-midi à nos côtés, et je me dois de conclure que le combat pour les droits et libertés des femmes, qu'il a porté avec tant de courage, ce combat n'est hélas jamais terminé !

Je vous remercie.


* 8 Marie-Hélène Cardot (1899-1977), membre du Conseil de la République de 1946 à 1959 puis du Sénat de 1959 à 1971 ; élue des Ardennes ; membre du groupe du Mouvement républicain populaire (MRP) puis de l'Union centriste. Ancienne résistante, décorée de la Médaille de la Résistance et de la Croix de guerre, elle a fait partie des 21 femmes élues au Conseil de la République en 1946. Elle y a présidé la commission des pensions puis a été vice-présidente du Sénat de la V ème République.

* 9 Suzanne Crémieux (1895-1976), membre du Conseil de la République de 1948 à 1955 puis du Sénat de 1959 à 1976 ; élue du Gard ; membre du groupe du Rassemblement des gauches républicaines puis de la Gauche démocratique. Déléguée auprès de la Société des Nations au début des années 30, elle entre en 1938 au cabinet de Marc Rucard, ministre de la santé publique dans le cabinet Daladier ; elle est plus particulièrement chargée des problèmes de la protection maternelle et infantile. En juin 1940, elle s'embarque sur le Massilia avec des membres de l'ancien gouvernement et des parlementaires qui refusent la signature de l'Armistice. De 1955 à 1958, elle siège à l'Assemblée de l'Union française.

* 10 Renée Dervaux (1908-1996), membre du Conseil de la république de 1956 à 1959 puis du Sénat de 1959 à 1968 ; élue de la Seine ; membre du Parti communiste. Ancienne résistante, décorée de la Croix du combattant volontaire de la Résistance ; militante féministe, membre de l' Union des femmes françaises .

* 11 Irma Rapuzzi (née en 1910), membre du Conseil de la république de 1955 à 1958 puis du Sénat de 1959 à 1989 ; élue des Bouches-du-Rhône (de 1947 à 1989, elle a été première adjointe au maire de Marseille, Gaston Defferre), membre du groupe socialiste du Sénat.

* 12 Jeannette Thorez-Vermeersch (1910-2001), députée de la Seine de 1945 à 1958 puis sénatrice de la Seine de 1959 à 1968 ; membre du Parti communiste ; épouse de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF.

* 13 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.

* 14 Rapport d'information sur les problèmes posés, en France, par le traitement de la douleur, fait par M. Lucien Neuwirth au nom de la commission des affaires sociales ; n° 138 (1994-1995). https://www.senat.fr/notice-rapport/1994/i1994_1995_0138-notice.html

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