B. UNE POLITIQUE PUBLIQUE TRÈS ENCADRÉE PAR L'UNION EUROPÉENNE MAIS DONT L'INTÉGRATION DEMEURE INCOMPLÈTE

Dans un contexte concurrentiel et d'ouverture des frontières, il est toujours à craindre que des concurrences réglementaires ne s'exercent entre les États donnant une prime au moins-disant réglementaire.

Par ailleurs, il est facile de percevoir la relativité de contrôles nationaux très poussés si des produits moins bien contrôlés doivent être reçus dans le pays comparativement rigoureux.

Ces deux considérations très générales ont suscité l'élaboration tardive d'un cadre européen harmonisé pour la sécurité sanitaire des aliments. Il a été défini au cours des années 2000 par l'Union européenne , à la suite de la crise de l'ESB.

Il se traduit par l'existence de principes juridiques communs et d'autres vecteurs d'harmonisation de portée souvent opérationnelle.

Reste toutefois posée la question de savoir si, après cette harmonisation, les lois européennes encadrent les politiques nationales conduites pour assurer la sécurité sanitaire des aliments assez fortement pour concilier la libre circulation des marchandises et les préoccupations des États et des consommateurs en matière de sécurité sanitaire de l'alimentation.

De ce point de vue, l'intervention de l'Union européenne fait l'objet de critiques de sens opposés, faisant valoir, d'un côté, une excessive emprise sur les États , dont les marges de manoeuvre seraient réduites à trop peu par les exigences que l'Europe leur impose dans la conduite de leurs interventions, et, de l'autre, un déficit d'intégration débouchant sur l'absence d'une politique européenne de sécurité sanitaire des aliments .

Ces critiques, qui ne doivent pas conduire à négliger l'acquis communautaire, méritent chacune une pleine attention.

Les moyens consacrés à la politique sanitaire des aliments sont largement préemptés par les obligations qu'imposent les textes européens, comme on le montre plus bas en ce qui concerne la France.

Pour autant, l'Europe semble loin d'être unifiée si l'on se reporte aux données, trop rares, permettant d'apprécier les situations nationales tandis que sur des points importants de la problématique sanitaire des aliments, l'intervention de l'Union européenne reste à compléter.

1. Un corps de principes généraux non dénués d'ambiguïtés

Cinq règlements principaux, qui constituent le « Paquet Hygiène », fixent les exigences en la matière de sécurité sanitaire de l'alimentation.

Les textes fondateurs du droit alimentaire européen sont les suivants :

- le règlement (CE) n° 178/ 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des aliments, notamment s'agissant du réseau d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (RASFF) ;

- les règlements (CE) n° 852/2004 (hygiène des denrées alimentaires) et (CE) n° 853/2004 (règles spécifiques applicables aux denrées animales et d'origine animale) qui, fondés sur la « nouvelle approche », fixent des exigences essentielles et des objectifs sanitaires tout en laissant aux opérateurs le choix des moyens à mettre en place pour atteindre les objectifs fixés (mise en place d'une démarche HACCP, autocontrôles...) ;

- les règlements (CE) n° 882/2004 relatif aux contrôles officiels et (CE) n° 854/2004 (contrôles officiels vétérinaires).

Le règlement 178/ 2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 (principes de la sécurité sanitaire des aliments)

Adopté dans le sillage de la crise de l'encéphalite spongiforme bovine (ESB), le règlement est l'un des piliers de l'Europe de la sécurité sanitaire des aliments .

Il pose les principes communs aux États membres de la politique de sécurité sanitaire des aliments considérée comme une nécessité pour garantir le développement du marché intérieur, définit les processus d'intervention de la science dans ce domaine et les dispositions organisationnelles à suivre pour maîtriser le risque.

L'énoncé liminaire des principes généraux de la législation alimentaire - c'est-à-dire, au sens du règlement, toutes dispositions normatives régissant les denrées alimentaires en général et leur sécurité en particulier, au niveau communautaire ou national - marque d'emblée un besoin de conciliation entre des contraintes sanitaires au bénéfice des consommateurs et l'objectif de préservation de la santé animale et des plantes. Un certain nombre de conflits peuvent exister entre ces deux catégories de préoccupations. Pour les illustrer il suffit d'évoquer les questions posées par l'administration d'antibiotiques aux animaux ou par l'usage des produits phytosanitaires pour les végétaux.

Le recours à l'analyse scientifique des risques , excepté dans les cas où les circonstances commandent d'autres approches , sur la base de preuves scientifiques produites de façon indépendante, objective et transparente, mais aussi au principe de précaution est le premier instrument de la politique de sécurité sanitaire mentionné .

La législation alimentaire vise à protéger les consommateurs contre les pratiques frauduleuses ou trompeuses et la falsification des denrées et, en ce sens, elle implique une consultation des citoyens et leur information par des mesures appropriées.

Les produits importés doivent respecter la législation alimentaire ou les conditions que l'Union européenne a jugées au moins équivalentes . Il en va de même pour les produits exportés mais le droit du pays de destination prévaut.

Les prescriptions générales de la législation alimentaire commencent par une interdiction de mettre sur le marché des denrées dangereuses pour la santé .

L'acception du danger est large .

En effet, il est tenu compte non seulement d'effets immédiats mais aussi de l'éventualité d'effets à long terme et de leur cumulativité .

La conformité à des dispositions spécifiques fait présumer la non-dangerosité de la denrée sous l'angle concerné ; cependant, elle n'empêche pas que des restrictions de mise sur le marché soient prises lorsque le produit fait naître des soupçons sur sa dangerosité.

Par ailleurs, le principe d'une responsabilité principielle des exploitants du secteur alimentaire à toutes les étapes de la chaîne aboutissant à la mise sur le marché est affirmé. Ils doivent s'assurer du respect de l'ensemble des prescriptions, générales ou particulières, de la législation alimentaire.

Les États membres, quant à eux, ont obligation de contrôler et vérifier le respect par les exploitants de leurs devoirs . Ils doivent donc « maintenir » un système de contrôles officiels mais aussi « d'autres activités » (en particulier de communication ).

Ils ont également la compétence, et le devoir, de fixer le système de « mesures et sanctions » en cas de violation de la législation alimentaire en respectant les principes d'effectivité, de proportionnalité et de dissuasion de ce système . Cette responsabilité n'est pas seulement juridique ; elle a une dimension opérationnelle consistant dans le retrait de denrées suspectes.

De façon plus pratique, une obligation de traçabilité est posée et appliquée aux fournisseurs mais aussi aux transformateurs et distributeurs.

Un étiquetage des produits est prévu ainsi que la réunion de tout document indispensable à l'identification de leur cheminement .

Le règlement de 2002 a également créé l'agence européenne de sécurité des aliments.

L'esprit général du règlement, qui se retrouve naturellement dans la législation française, consacre une approche fondée sur une distribution des responsabilités mais aussi sur des standards élevés de sécurité sanitaire des aliments.

a) Une distribution des responsabilités entre producteurs et autorités publiques

Le règlement (CE) n° 882/2004 prévoit que les contrôles officiels en matière alimentaire sont effectués régulièrement et en fonction du risque, à une fréquence tenant notamment compte des risques liés aux activités des entreprises, de la maîtrise de la conformité des produits par celles-ci et des résultats des contrôles officiels antérieurs.

Il pose en ce sens une série d'obligations que doit respecter l'infrastructure publique de contrôle : complétude des moyens, niveau des effectifs, ressources financières suffisantes...

Le Règlement (CE) n° 882/ 2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 (contrôles officiels)

Le règlement porte sur les contrôles officiels effectués pour s'assurer de la conformité avec la législation sur les aliments pour animaux et les denrées alimentaires et avec les dispositions relatives à la santé animale et au bien-être des animaux.

Le règlement pose une série de principes destinés, par leur application commune, à harmoniser les pratiques de contrôles des États membres dans le domaine de l'alimentation animale, des denrées alimentaires et de la santé et du bien-être animal.

Pour l'essentiel, les principes dont s'agit conduisent à promouvoir :

- un contrôle à tous les stades de la production, de la transformation et de la distribution ;

- un contrôle confié à des autorités satisfaisant des critères opérationnels d'impartialité et d'efficacité, c'est-à-dire dotées de suffisamment de personnels non exposés à des conflits d'intérêt, dûment qualifiés et expérimentés et disposant d'installations et d'équipements adéquats ;

- un contrôle diversifié alliant contrôles de routine et contrôles intensifs ciblés ;

- un appareil de contrôle maîtrisant les principes HACCP (analyse des risques et points critiques) ;

- un contrôle assez fréquent et régulier mais proportionné aux risques ;

- un contrôle reposant sur des bases documentées aux fins d'assurer une suffisante uniformité et de disposer d'un contrôle de haute qualité ;

- un contrôle suffisamment coordonné en cas d'interventions de plusieurs structures et entre les différents niveaux (central ou local) où ils sont conduits ;

- des laboratoires répondant à des normes de fonctionnement et de performances ;

- un réseau de laboratoires de référence ;

- un système de contrôle prévoyant la délégation de missions de contrôle spécifiques à un organisme de contrôle mais sous certaines conditions ;

- un contrôle européen coordonné et prévoyant des coopérations entre États membres ;

- un contrôle des produits importés de pays tiers favorisé par la définition de points d'entrée particuliers sur le territoire de la Communauté ;

- un contrôle disposant de ressources financières adéquates parmi lesquelles le produit de redevances ou taxes pour couvrir les coûts du contrôle dont certaines pourraient et même, dans certains cas, devraient être imposées aux exploitants selon des principes communs définis par le règlement ;

- un contrôle régulier des procédures d'agrément et d'enregistrement prévues par les règles européennes ;

- l'inscription des contrôles dans des plans pluriannuels suffisamment précis pour servir de base à des inspections de la part des autorités communautaires et respectant de grandes orientations fixées au niveau communautaire ;

- un contrôle prévoyant des suites notamment via des sanctions administratives ;

- un contrôle transparent mais respectueux du secret professionnel.

b) Une acception ambitieuse de la sécurité sanitaire des aliments aux prolongements parfois incertains

Tout comme l'esprit de la loi sanitaire française dans le domaine de l'alimentation, la législation européenne est marquée par une approche ambitieuse de la politique sanitaire des aliments .

Il s'agit de couvrir le spectre « de la fourche à la fourchette » . Outre certaines ambiguïtés pouvant résulter de cette doctrine, déjà évoquées, sa singularité par rapport à d'autres conceptions, comme celle qui semble privilégiée aux États-Unis, doit être mentionnée.

Cette dimension de la stratégie sanitaire engage des enjeux qui dépassent le cadre du présent rapport. Elle tend notamment à associer à certaines pratiques productives une supériorité sanitaire sur d'autres, comportant des méthodes d'élimination des risques plus « industrielles », pratiquées en aval.

D'autres éléments plus méthodologiques méritent d'être soulignés .

Parmi ceux-ci figurent le recours à l'analyse scientifique des risques sur la base de preuves scientifiques produites de façon indépendante, objective et transparente, mais aussi au principe de précaution.

Ils valent d'autant plus d'être relevés que ces mentions s'accompagnent d'une acception très large et ambitieuse de la sécurité sanitaire au regard des dangers pris en compte (il est tenu compte non seulement d'effets immédiats mais aussi de l'éventualité d'effets à long terme et de leur cumulativité) .

Le principe de précaution en ce qui concerne la législation alimentaire, constitue la réponse politique et juridique à l'incertitude scientifique.

Il s'agit toutefois d'un concept délicat à manipuler, susceptible de se heurter au principe d'innovation. En outre, au plan pratique, les mesures appropriées peuvent être d'autant plus difficiles à déterminer que le risque est « ubiquitaire » (cas des expositions multiples à une même substance) ou que les méthodes d'analyse ne permettent pas la quantification du danger considéré.

Dans ce contexte, il serait justifié de vérifier la portée concrète réservée à l'analyse scientifique des risques et aux nécessaires conciliations entre le principe de précaution et d'autres objectifs dans l'approche européenne de la sécurité sanitaire des aliments.

Recommandation : réaliser un audit indépendant des conditions dans lesquelles les pays européens mettent en oeuvre le principe d'analyse scientifique des risques et appliquent le principe de précaution dans sa conciliation avec le principe d'innovation.

2. La diversité des vecteurs d'intégration européenne

Outre la législation de l'UE en vigueur, plusieurs autres vecteurs d'intégration existent au sein de l'Union européenne.

Le comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADAA) assiste la Commission européenne dans l'élaboration de la réglementation (actes d'exécution) qui concernent les denrées alimentaires. La Commission ne peut adopter des mesures d'exécution qu'après avoir recueilli l'avis positif de la majorité qualifiée des États membres réunis au sein du comité . Il joue un rôle essentiel pour la mise en pratique de la législation de l'Union européenne. Il s'agit également d'une instance qui permet un échange régulier entre les États membres et la Commission européenne. Ce comité a en particulier un rôle important dans le cadre de la réglementation des produits phytopharmaceutiques, dont la réglementation suit la procédure des actes d'exécution.

Pour l'adoption de la réglementation par actes délégués , moins fréquents que les actes d'exécution dans le domaine 16 ( * ) , la Commission européenne consulte également des groupes d'experts des États membres mais cette consultation est informelle dans la mesure où il n'y a ni vote ni avis d'un comité.

Le groupe des chefs des services vétérinaires CVO - chief veterinary officer ) du Conseil de l'Union européenne s'occupe des questions relatives à la santé animale, au bien-être des animaux, aux conditions d'élevage des animaux, mais aussi de la santé et l'hygiène en matière de denrées alimentaires d'origine animale. Ce groupe contribue notamment à définir la stratégie du Conseil sur ces questions, il prépare des lignes directrices destinées aux groupes d'experts du Conseil, examine des suggestions émanant de ces groupes d'experts. Il participe et oriente également activement les discussions entre États membres et pays tiers concernant les questions vétérinaires (santé animale et sécurité sanitaire des aliments.

Les groupes de travail thématiques comme ceux sur le « Paquet hygiène », les critères microbiologiques, les zoonoses, les mollusques bivalves, présidés par la Commission européenne, rassemblent des experts des autorités compétentes des États membres et sont réunis à des fréquences différentes selon la thématique. Ces réunions permettent de préparer des projets soumis au CPVADAAA et assurent des rencontres régulières entre les experts techniques des États membres et les services de la Commission européenne.

Au sein de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG-SANTE) de la Commission européenne, une unité est chargée d'effectuer des audits dans les États membres ( unité F « Audits et analyses dans les domaines de la santé et de l'alimentation », anciennement « office alimentaire et vétérinaire » - OAV ).

Les audits réalisés en France méritent d'être mentionnés à titre d'illustration des domaines d'intervention couverts mais aussi des suites réservées par notre pays à cette forme de supervision.

Principalement consacrés au secteur animal , les audits européens concernant la France, au nombre de 41, ont abouti entre 2009 et 2014 à l'expression de 258 recommandations (dont 78 au titre des denrées d'origine animale, 40 au titre du bien-être des animaux et 36 sur la santé des végétaux).

Elles ont été suivies de la mise en oeuvre de 145 mesures correctrices, 65 mesures étant en cours, taux de suite qui pourrait être amélioré.

De façon plus générale, et cette recommandation ne vaut pas que pour la France, il conviendrait d'assortir les recommandations des audits réalisés par les organismes européens des conditions d'une plus grande effectivité. Certes, des sanctions peuvent exister à travers des procédures comme celle des refus d'apurement ou des déclarations sanitaires. Mais, elles sont globalement lourdes si bien que manquent sans doute des procédures plus souples.

Recommandation : veiller à la transparence et à la mise en oeuvre des recommandations des audits réalisés par les services européens et rechercher les moyens plus systématiques de la garantir.

Vue d'ensemble des audits européens réalisés en France au cours de la période 2009-2015

Système de contrôle

Nombre d'audits finalisés 17 ( * )

Recommandations 2009 - 2014

Total

Mesures prises

Clôturées pour d'autres raisons

En cours

Mesures toujours requises

Santé animale

3

14

7

2

5

0

Denrées alimentaires d'origine animale

11

78

52

13

12

1

Contrôle des importations d'animaux et de denrées alimentaires d'origine animale

4

17

12

5

0

0

Aliments pour animaux et alimentation animale

3

23

14

7

2

0

EST/SPA

1

4

0

0

4

0

Médicaments vétérinaires et résidus

1

4

3

1

0

0

Denrées alimentaires et hygiène alimentaire

2

4

1

0

3

0

Importations de denrées alimentaires d'origine végétale 18 ( * )

1

2

1

0

1

0

Produits phytopharmaceutiques (PPP) et résidus 19 ( * )

3

27

16

3

8

0

Bien-être des animaux

4

40

14

8

17

1

Santé des végétaux

5

36

23

4

9

0

Signes européens de qualité

1

9

2

0

4

3

Horizontal - rapport d'audit général 2010

1

1

1

0

0

0

Total

38

258

145

43

65

5

Audits de suivi général

3

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs

La restructuration récente (2016) de la DG SANTE a souhaité mettre en avant ce rôle de conseil et d'analyse, qui était auparavant plus secondaire.

Le groupe des « chefs d'agence de sécurité des aliments » est un groupe informel qui rassemble des représentants des autorités compétentes chargées de la gestion du risque dans le domaine dans les États-membres. Ce groupe définit des projets de travail auxquels s'associent des pays volontaires ; à titre d'exemple, la France participe activement au groupe de travail sur la reconnaissance, dans l'organisation des contrôles officiels, des dispositifs de certification et d'inspection privés.

Des réunions bilatérales sont organisées régulièrement. Ces réunions sont une opportunité pour identifier des bonnes pratiques afin de les décliner le cas échéant, en les adaptant en Allemagne.

Le programme de formation « Better Training for Safer Food » est une initiative de la Commission européenne, le dispositif formant, entre autres, les inspecteurs des États membres de l'Union européenne impliqués dans les contrôles officiels. Au-delà de l'acquisition de compétences et de connaissances, un des objectifs est d'assurer une harmonisation des pratiques d'inspection entre États-membres .

Le système d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (Rapid Alert System for Food and Feed, RASFF) est un système élaboré par la Commission européenne visant l'échange rapide d'informations entre les États membres et la coordination des réactions aux menaces en matière de sécurité sanitaire des aliments. Il est un outil indispensable en vue de protéger la santé des consommateurs européens dans le cadre européen.

3. Une intégration européenne en question

Même si la réglementation de la sécurité sanitaire elle-même fait l'objet d'un degré élevé d'intégration , à travers des spécifications techniques et des prescriptions relatives aux types de contrôle à mettre en oeuvre, en pratique, les systèmes de surveillance sanitaire suivent des modèles différenciés et paraissent affectées d'une effectivité inégale.

La conformité des systèmes de supervision publique des États aux règles prévalant en Europe offre des enjeux très élevés dans la mesure où les interdépendances entre pays européens sont fortes.

Le commerce intra-européen des biens alimentaires est libre et, par ailleurs, la qualité des produits alimentaires échangés avec des pays tiers par tout pays européen, qu'ils soient exportés ou importés, a toutes chances de comporter des enjeux collectifs majeurs pour l'ensemble des pays européens.

En outre, certaines composantes de la problématique sanitaire peuvent conduire à des interrogations sur la contribution de l'Union européenne elle-même à une politique de sécurité sanitaire satisfaisante.

a) L'encadrement européen des contrôles des autorités sanitaires nationales comporte des souplesses à la source d'inquiétudes quant à l'harmonisation des pratiques qui restent apparemment très diverses

La réglementation européenne pose des principes d'organisation des autorités publiques chargées des contrôles et de conduite des contrôles réalisés par ces autorités pour qu'elles contribuent effectivement à la maîtrise du risque sanitaire.

Ces principes visent à assurer un niveau satisfaisant de représentativité des contrôles , selon les enseignements de la théorie des sondages, tout en permettant , évidemment, de cibler les actions sur des situations présentant des risques particuliers.

Cet objectif dépend d'un autre principe aux termes duquel une intensité suffisante doit être donnée aux contrôles à la charge des autorités nationales.

Dans les faits, la diversité des situations dans les différents États européens conduit à s'inquiéter de la cohérence entre le principe consacré par la législation européenne de libre circulation des aliments et les objectifs posés en matière de sécurité sanitaire de l'alimentation .

L'harmonisation européenne repose, la vigilance volontaire des États exceptée, sur la mise en oeuvre d'un système d'audits, qui, en dépit de sa vigueur, ne peut à l'évidence assurer systématiquement un égal degré d'implication des autorités sanitaires publiques.

L'hétérogénéité dans les pratiques de contrôle des autorités publiques que décrivent les audits conduit à s'interroger sur l'inégale application des États membres à respecter l'objectif de sécurité sanitaire des aliments.

Elle a été confirmée par le récent rapport de parangonnage établi par le CGAAER.

(1) Le pilotage de la politique de sécurité sanitaire des aliments, des modèles variés

En matière de pilotage (élaboration du droit, représentation de l'État dans les différentes instances européennes ou mondiales) plusieurs cas de figure se présentent :

Source : CGAAER ; Rapport n° 14072 sur le parangonnage des moyens consacrées à la politique de sécurité sanitaire des aliments

- le ministère chargé de l'agriculture est très largement responsable . C'est par exemple le cas en Allemagne où le ministère de l'alimentation et de l'agriculture pilote l'ensemble de ces missions. Le ministère de la santé intervient sur la protection des consommateurs et la réglementation concernant la pharmacie vétérinaire, le ministère chargé de l'environnement sur les questions de produits phytosanitaires et d'OGM ;

- le ministère chargé de l'agriculture partage un segment de compétences plus ou moins large avec une agence indépendante : au Royaume-Uni, le ministère de l'environnement, de l'alimentation et des affaires rurales (DEFRA) pilote la santé et la protection animales, l'agence de sécurité alimentaire (FSA), indépendante, gère toute la sécurité alimentaire et rapporte directement au Parlement ; au Danemark, une agence de la protection de l'environnement pilote la réglementation pour les végétaux et les produits phytosanitaires ;

- le ministère chargé de l'agriculture partage les compétences avec un autre ministère , notamment celui en charge de la santé. C'est le cas aux Pays-Bas où, au demeurant, le ministère de l'agriculture a été absorbé dans un grand ministère économique ;

- inversement, lorsque d'autres ministères sont prépondérants , c'est principalement le ministère de la santé qui pilote ce domaine (Italie).

(2) L'évaluation des risques est plus ou moins séparée de la gestion du risque

Sur ce point important de l'architecture des systèmes de surveillance sanitaire, des différenciations ont pu être relevées par le rapport établi par le CGAAER :

- soit l'évaluation ne relève pas d'une entité indépendante , comme c'est le cas pour le Royaume-Uni et l'Italie où elle est intégrée au sein du ministère qui pilote la gestion du risque (dans une direction toutefois supposée indépendante) ;

- soit elle est confiée à des agences ou des instituts publics . En ce cas, tous les cas de figure existent depuis une agence unique comme en France (Anses), ou plusieurs entités, agences ou instituts de recherche spécifiques comme en Allemagne.

Aux Pays-Bas, mises à part les autorisations de mise sur le marché phytosanitaires (évaluées par le « Board for Autorisation of Pesticides »), évaluation et avis scientifiques dans les différents domaines sont assurés par l'agence néerlandaise des produits alimentaires (NVWA) dont l'effectif, avec 2 155 ETP, ressort comme très fourni.

En plus de la dimension problématique de certains choix d'organisation au regard de principes de gouvernance généralement admis, il conviendrait d'estimer l'adéquation entre les capacités scientifiques et analytiques disponibles dans les différents États et certains choix réglementaires.

Recommandation : faire évoluer les principes applicables à la sécurité sanitaire des aliments vers la consécration d'un principe de séparation des activités de gestion et d'évaluation des risques.

(3) L'exécution des contrôles suit elle aussi des modèles différenciés

Source : CGAAER ; Rapport n° 14072 sur le parangonnage des moyens consacrées à la politique de sécurité sanitaire des aliments

Certains pays consacrent le monopole des services administratifs dans l'exécution des contrôles (Pologne, Danemark) tandis que le modèle français d'imbrication des administrations et de vétérinaires et groupements privés est suivi par d'autres pays (Pays-Bas).

Le niveau de déconcentration est variable, les pays fédéraux comme l'Allemagne pratiquant un haut niveau de déconcentration à travers 400 unités territoriales, les Kreiss, et une coordination centrale pour affronter certaines situations de crise.

La répartition des rôles entre ministères est elle-même variable avec une place plus ou moins grande réservée au ministère de la santé.

Enfin, certaines organisations consacrent le rôle d'agences.

(4) Des moyens disparates

Les pays européens diffèrent par les efforts déployés pour assurer la sécurité sanitaire des aliments.

La distribution du ratio entre les agents vétérinaires et les unités de gros bétail (qui donnent une indication du volume d'activité notionnel de contrôle) est marquée par des disparités qu'illustre le graphique ci-dessous.

Ratios élevage ou UGB par personnel vétérinaire et para vétérinaire

Source : CGAAER ; Rapport n° 14072 sur le parangonnage des moyens consacrées à la politique de sécurité sanitaire des aliments

Par ailleurs, il existe des indices d'une certaine variabilité des contrôles effectués relativement à différentes catégories d'opérations.

C'est ainsi que les données ci-dessous publiées par le CGAAER semblent traduire une inégale pression de contrôle sur les produits importés en provenance de pays tiers.

Source : CGAAER ; Rapport n° 14072 sur le parangonnage des moyens consacrées à la politique de sécurité sanitaire des aliments

Les performances de l'Allemagne sur deux produits ayant connu de fortes suspicions d'être porteurs de pathologies semblent témoigner dans ce pays d'une certaine mollesse des contrôles sur les produits importés.

On relève que les chiffres mentionnés confirment partiellement la réputation de certains grands ports européens qui en fait des points d'entrée « particulièrement permissifs » 20 ( * ) .

La variabilité des contrôles peut être favorisée par des modes d'organisation, qui, pour présenter un certain intérêt sur certains points paraissent témoigner d'une forme d'indétermination du sens des contrôles officiels, entre police sanitaire et prestations de services.

L'exemple de la Belgique mentionné ci-dessus à l'occasion des débats sur la contribution financière des professionnels aux contrôles peut être mentionné sous ces deux auspices, dans la mesure où l'organisation des contrôles y emprunte des voies intéressantes (modulation à raison de la qualité des systèmes d'autocontrôle, reconnaissance de la qualité de prestations de services des contrôles en abattoirs), mais aussi certaines solutions qui peuvent présenter des risques de non-conformité (externalisation des contrôles en abattoir, initiative apparemment large des opérateurs) qu'il conviendrait d' évaluer.

En toute hypothèse, l'analyse des audits de l'Office alimentaire et vétérinaire européen atteste, sinon une insuffisance générale de moyens (ponctuellement constatée), une assez grande variabilité dans le respect de toutes les obligations réglementaires, l'insuffisance des compétences des agents, parfois déficitaires, et la faiblesse du suivi des non conformités mises en évidence lors des contrôles.

Même si les comparaisons internationales pourraient gagner en robustesse, les performances des pays européens en termes de santé publique en lien avec l'alimentation accréditent la perception d'une inégale qualité dans la maîtrise du risque sanitaire.

Les données du tableau ci-dessous, dont certaines ne paraissent pas à jour (en particulier, celles relatives à la France) peuvent être évoquées à ce propos.

Nombre de cas déclarés de maladies humaines dans l'UE

Source : Autorité européenne de sécurité des aliments

b) Quelle contribution européenne à la maîtrise sanitaire du système ?

Par rapport aux ambitions de la politique sanitaire des aliments affichées au niveau européen, force est de constater certaines limites, certains inachèvements, dont plusieurs ont été évoquées plus haut.

Elles portent sur la complétude du dispositif, en particulier pour les risques émergents et l'évaluation des situations nationales, ainsi que sur le respect par l'Europe d'un principe de transparence qu'elle affiche pourtant à juste titre.

Sur le premier point, force est d'observer que l'Europe, pas plus que les États membres, ne paraît avoir pleinement réuni les moyens de garantir que les produits alimentaires consommés par les Européens réunissent, au terme d'une analyse scientifique des risques aboutie, les conditions d'innocuité que la législation européenne affiche pourtant sans ambiguïté.

Cette observation vaut pour les risques émergents mais aussi pour des risques identifiés de longue date, comme ceux tenant à l'accumulation de substances risquées, tout au long de la vie, ou à « l'effet cocktail ».

Les autorités européennes qui exercent des compétences réglementaires et des compétences directes de police sanitaire dans le domaine de l'alimentation, à travers la délivrance d'autorisations diverses (de mise sur le marché de substances ou de production) devraient s'attacher à clarifier leur doctrine propre au regard des principes de précaution et d'innovation.

La commission des affaires européennes du Sénat a récemment adopté un rapport éclairant sur les initiatives prises par la Commission en matière de perturbateurs endocriniens 21 ( * ) .

Il illustre, en premier lieu, un point d'incomplétude de la politique de sécurité sanitaire des aliments en Europe, à savoir une prise en compte adaptée à la singularité des problèmes qu'ils posent des différents produits phytopharmaceutiques (PPP) et biocides, dont la réglementation axée sur « l'effet dose » ne tient pas compte des différentes questions que suscite l'effet de cumulativité.

Au-delà de ce déficit, et des propositions très contestables de la Commission européenne, la procédure suivie, par sa forme, qui risque d'aboutir, en particulier pour le règlement PPP, à une adoption ne laissant que peu de place aux interventions du Conseil et du Parlement européen, témoigne d'un problème de transparence qui se retrouve dans d'autres interventions de l'Union européenne.

Une partie importante de la contribution de l'Union européenne à la sécurité sanitaire de l'alimentation en Europe repose sur des activités d'audit des situations et des organisations nationales.

Des progrès devraient être réalisés du point de vue de la transparence et des suites réservées aux audits.

Il est, par exemple, regrettable que les rapports d'audits transversaux ne mentionnent pas systématiquement les pays jugés non conformes ou encore que les rapports pays soient, pour certains, difficiles d'accès.

Au-delà, la valorisation des activités d'audit mérite une réelle attention.

Les suites réservées aux recommandations de ces rapports ne sont pas clairement définies. Entre des audits pédagogiques et des audits punitifs, il pourrait être recommandé de constituer une troisième voie qui pourrait aboutir à des notations des pays au regard de critères partagés permettant d'évaluer la situation sanitaire des aliments produits sur leur territoire et l'efficacité de leurs systèmes de maîtrise des risques.

Recommandation : demander à la DG Santé de la Commission européenne d'établir une enquête transversale sur la réalité des potentiels de contrôle et leur exploitation dans les différents pays européens et réfléchir à la création d'une Agence de notation des pays au regard de la sécurité sanitaire des aliments.

Toujours dans cette perspective, il serait souhaitable que les points de doctrine et les conditions dans lesquelles les contrôles de conformité sont réalisés relativement aux obligations sanitaires des États soient précisément exposés, soigneusement évalués et, le cas échéant, puissent être sanctionnés en cas de manquement avéré.

Vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur les suites données aux manquements aux obligations de déclaration de la part de certains États d'Europe centrale dans le cadre de la crise de l'influenza aviaire.

L'Union européenne assume une fonction de centralisation des informations en provenance des différents États membres, qui revêt une grande importance opérationnelle et au regard du ciblage des contrôles.

Sur ce point également, des progrès mériteraient d'être accomplis qui pourraient favoriser les gains d'efficacité des systèmes de maîtrise sanitaire de l'alimentation.

Ainsi, alors que ces données sont disponibles, la Commission semble ne pas diffuser auprès des États membres les résultats des constats de non-conformité que chacun lui adresse au titre des contrôles sur les produits importés.

Cette lacune identifiée dans le rapport de Marion Guillou et Christian Babusiaux réduit l'optimisation des contrôles nationaux. Elle prolonge un constat analogue regardant le système de veille sanitaire européen qui a amené les deux auteurs à énoncer plusieurs recommandations tendant à ce que le niveau européen puisse être un échelon d'optimisation des moyens consacrés à l'identification des risques.

Vos rapporteurs spéciaux prennent acte de ces dernières recommandations, qui paraissent, en effet, de nature à limiter les doublons entre pays européens dans l'identification des risques.


* 16 Les actes d'exécution et les actes délégués suivent des procédures différentes qui confèrent au Parlement européen et au Conseil des pouvoirs de véto plus (les actes délégués) ou moins (les actes d'exécution) grands, contreparties sans doute des prérogatives inégales reconnues à la Commission. Il est curieux que la réglementation de produits analogues (biocides et produits phytopharmaceutiques) puisse suivre des procédures différenciées.

* 17 À l'exception des derniers audits énumérés au chapitre 2.B.13

* 18 Un audit de 2010 a porté à la fois sur les importations de denrées alimentaires d'origine végétale et les pesticides.

* 19 Un audit de 2010 a porté à la fois sur les importations de denrées alimentaires d'origine végétale et les pesticides.

* 20 Pour reprendre l'expression du rapport de Marion Guillou et Christian Babusiaux.

* 21 Rapport n° 293 (2016-2017) du 12 janvier 2017. Patricia Schillinger et Alain Vasselle : « Les perturbateurs endocriniens : un enjeu de santé publique ».

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