B. GESTION DU SPECTRE ET GOUVERNANCE : VERS UN RENFORCEMENT DU RÔLE DE L'UNION EUROPÉENNE ?

1. Améliorer la gestion du spectre des fréquences pour faciliter l'arrivée de la 5G

Afin d'éviter les difficultés rencontrées lors de l'attribution des fréquences pour la 3G et la 4G, la Commission européenne fait des propositions visant à renforcer l'harmonisation dans la gestion du spectre. Cela concerne notamment :

- les conditions d'autorisation du spectre (ouverture à la concurrence, régime des licences qui mettent l'accent sur les obligations de couverture, durée d'autorisation, principe d'attribution des licences par les autorités de régulation nationales...) ; la proposition de la Commission permet de faire reposer la procédure d'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences sur des objectifs exigeants fixés au niveau européen, tout en laissant aux États membres la possibilité de prendre en compte les particularités, notamment géographiques ou concurrentielles, nationales, comme les obligations de couverture adaptées à la topographie des pays ;

- la coordination des calendriers d'attribution des droits d'utilisation de nouvelles fréquences ; pour favoriser la réalisation d'économies d'échelle, réduire les problématiques de brouillage, et permettre d'offrir une couverture complète sans fil sur l'ensemble de l'Union ;

- l'introduction d'un mécanisme de révision par les pairs prévu pour les autorisations d'utilisation du spectre, par lequel l'ORECE pourrait donner un avis non contraignant sur les décisions des autorités nationales ; cette mesure pourrait être utile, à la condition que cet examen préalable ne provoque pas de retard dans l'allocation des ressources et que l'ORECE soit conservé dans sa forme actuelle.

Par ces propositions, la Commission tire des conclusions justes des échecs passés pour favoriser l'arrivée de la 5G. Elles respectent les prérogatives des États membres en introduisant des mesures d'harmonisation pratiques et, somme toute, peu contraignantes. Ces évolutions méritent d'être appuyées.

En revanche, la Commission propose une durée minimum de 25 ans pour l'attribution des licences, ce qui n'est pas acceptable. Certes, cette mesure peut contribuer à donner plus de prévisibilité aux opérateurs, mais la durée est beaucoup trop longue au regard des évolutions récentes. Ces dernières montrent en effet que les technologies mobiles évoluent tous les 8-10 ans. Il serait donc plus réaliste de prévoir une durée maximale de 15 ans pour les licences, en introduisant des clauses de révision quinquennales.

2. Une agence de régulation européenne des télécommunications : une réforme qui n'est pas justifiée

La Commission européenne propose de transformer l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques, l'ORECE, en agence européenne au service de la Commission.

La nouvelle structure serait composée de la façon suivante :

- un conseil d'administration voterait les avis et autres décisions ; il serait composé des 28 régulateurs nationaux, dont seraient issus un président et un vice-président élus pour 4 ans, et de deux membres de la Commission européenne ;

- l'acteur central du nouveau dispositif serait un directeur exécutif nommé pour 5 ans sur la base d'une liste proposée uniquement par la Commission ;

- enfin, les groupes de travail seraient maintenus et une chambre des recours serait ajoutée.

Ce renforcement de la structure de l'ORECE s'explique par la volonté de la Commission européenne d'élargir ses missions dans le cadre du nouveau « paquet connectivité ». Outre des prérogatives renforcées dans l'adoption de lignes directrices, l'ORECE se verrait doté de pouvoirs de sanctions, ainsi que de recueils d'informations assez poussés auprès des autorités de régulation nationales. Il se verrait également chargé de donner un avis dans le cadre d'une procédure de « revue par les pairs » des projets de décisions nationales sur le spectre radioélectrique et en ce qui concerne la régulation des marchés nationaux. La proposition prévoit que si la Commission partage l'avis de l'ORECE, elle peut interdire que la décision soit prise. Elle disposerait donc, de fait, d'un véritable droit de véto sur les décisions des régulateurs nationaux.

Or, comme l'ont montré Colette Mélot et André Gattolin dans un avis motivé adopté par la commission des affaires européennes du Sénat au titre du contrôle de subsidiarité, cette réforme n'est pas justifiée 1 ( * ) .

Tout d'abord, l'ORECE, dans sa forme actuelle, a fait la preuve de sa capacité à mener les missions qui lui étaient confiées. Ensuite, cet organe rassemble des régulateurs indépendants au niveau national et il doit lui-même être indépendant au niveau européen ; en ce sens, il ne doit pas devenir une agence au service de la Commission européenne. Enfin, comme il a déjà été dit, les marchés des télécommunications sont essentiellement nationaux et les régulateurs doivent pouvoir garder une marge d'appréciation et d'adaptation à la situation propre à leur pays.

C'est pourquoi l'ORECE doit rester un organisme consultatif et indépendant. La réforme proposée qui aboutirait à confier un pouvoir de véto à la Commission européenne sur les décisions des régulateurs nationaux n'est pas acceptable. Pour garantir l'indépendance, il faudrait que le rôle et la place du directeur exécutif soient revus, en lien avec le mandat du président de l'ORECE. Par ailleurs, la collégialité des autorités de régulation nationale doit rester la règle qui préside à l'organisation du travail dans les groupes de travail et dans les prises de décisions.

Si des évolutions dans l'harmonisation sont nécessaires, une trop grande centralisation au niveau européen, contraire au principe de subsidiarité, s'avérerait contreproductive. Pour cette raison, vos rapporteurs ne sont pas favorables à l'instauration de cette agence.


* 1 Proposition de résolution européenne n°121 (2016-2017) de M. André Gattolin et de Mme Colette Mélot du 10 novembre 2016, devenue résolution du Sénat le 12 décembre 2016.

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