E. UNE PERTE D'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE FRANÇAIS

La baisse toute relative des prélèvements sur les entreprises au cours du quinquennat - qui reste, en tout cas, inférieure à la réduction des charges patronales qui était prévue par la précédente majorité à compter de 2013 (voir supra ) -, de même que l' instabilité de la politique fiscale menée et les sollicitations répétées de la trésorerie des entreprises à des fins budgétaires ont indubitablement contribué au déclin de l'attractivité du territoire français.

1. Un coût du travail qui reste relativement élevé en France

Tout d'abord, il apparaît qu'en dépit des mesures adoptées depuis le début du quinquennat afin de réduire la fiscalité pesant sur le travail, comme le déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité et de solidarité, « la France affiche toujours des coûts salariaux parmi les plus élevés de la zone euro, principalement en raison du niveau élevé des cotisations sociales patronales » 50 ( * ) , ainsi que l'ont relevé les services de la Commission européenne dans le cadre de la procédure pour déséquilibres macroéconomiques en février 2016. À cet égard, selon les données figurant dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2017, le coût horaire de la main d'oeuvre dans l'industrie s'élevait, en 2015, à 37,6 euros en France, contre une moyenne de 32,3 euros dans la zone euro .

Certes, force est de constater que l'évolution des coûts salariaux unitaires a été, en moyenne, moins dynamique en France (+ 3,3 % entre 2012 et 2015) que dans la zone euro prise dans son ensemble (+ 4,9 %) ; pour autant, « les pertes de compétitivité accumulées au cours des années précédentes subsistent » 51 ( * ) . Un tel constat tend à démontrer qu'il aurait été préférable de procéder, dès le début du quinquennat, à une baisse significative des charges des entreprises, plutôt qu'à une réduction progressive de celles-ci comme cela a été le cas. En effet, le Gouvernement est, tout au plus, parvenu à « freiner » les pertes de compétitivité-coût de l'économie française, mais nullement à combler le retard français en ce domaine .

Tableau n° 18 : Coûts horaires de la main d'oeuvre dans l'industrie
(hors construction)

(en euros)

2000

2004

2008

2012

2013

2014

2015

Allemagne

27,7

31,2

32,5

35,2

36,3

37,1

38,0

France

25,4

29,7

33,1

36,4

36,7

37,1

37,6

Italie

18,1

22,6

24,1

27,2

27,7

28,0

28,0

Espagne

14,6

17,9

20,8

23,0

23,3

23,4

23,3

Zone euro (17 pays)

22,3

25,1

27,4

30,8

31,4

32,0

32,3

Source : rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017

2. Une fiscalité du capital plus lourde en France, susceptible de freiner les investissements étrangers

En plus de continuer à peser sur le travail, il apparaît également que la fiscalité est plus lourde sur le capital en France que chez nos principaux partenaires européens . Alors qu'elle représente, dans notre pays, 10,5 % du PIB, elle s'élève à 8,2 % en moyenne dans l'Union européenne, 6,2 % en Allemagne, 7,7 % en Espagne et 9,2 % au Royaume-Uni (voir graphique ci-après).

Graphique n° 19 : Effets des mesures relatives à l'imposition sur le revenu et des mesures sociales adoptées au cours du quinquennat sur le niveau de vie

(en % du PIB)

Note méthodologique : la définition de la fiscalité du capital utilisée pour construire ce graphique est cette retenue par Eurostat - intégrant la contribution sociale sur les bénéfices et contributions exceptionnelle - afin de pouvoir établir une comparaison entre les différents pays européens. En particulier, les impôts sur le « stock de capital » sont une catégorie hétérogène qui correspond aux taxes sur le patrimoine (dont l'ISF), sur les transferts de capital à titre gratuit (donations, successions) ou onéreux (DMTO, taxe sur les transactions financières) ainsi qu'à une partie des taxes pesant sur la production : foncier, utilisation du capital fiscal, licences, etc.

Source : rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017

Or, comme le relève lui-même le Gouvernement dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2017, « ce poids élevé de la fiscalité du capital en France par rapport à nos partenaires européens peut constituer un frein aux investissements étrangers. L'impôt sur les sociétés est, en particulier, un des éléments déterminants des stratégies de localisation des activités productives puisqu'il intervient dans le calcul du coût réel brut du capital. À cet égard, le taux nominal maximal d'IS en France, supérieur de 15 points en 2015 à la moyenne de l'UE à 28, peut constituer un signal négatif » 52 ( * ) . Ceci tend à montrer, encore une fois, le caractère peu opportun du report de la baisse du taux légal de l'impôt sur les sociétés qui avait été, initialement, annoncée par le Gouvernement pour 2017 dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité (voir supra ).

3. Une perte d'attractivité de la France pour les centres de décision des entreprises

Dans ces conditions, il n'est guère étonnant qu'une perte d'attractivité de la France pour les centres de décision des entreprises soit observée 53 ( * ) . Bien évidemment, de nombreux facteurs sont susceptibles d'intervenir dans les choix de localisation des centres de décision, comme la qualité des infrastructures de transport, ou encore la présence, sur le territoire, d'autres centres de décision 54 ( * ) ; pour autant, la littérature économique a également mis en évidence le fait que la fiscalité sur les bénéfices et sur les revenus du travail pouvait jouer négativement sur les décisions de localisation - les activités intenses en main d'oeuvre qualifiée étant, en particulier, sensibles au niveau et à la progressivité des barèmes d'imposition 55 ( * ) . Or, la France continue d'afficher une fiscalité élevée sur les entreprises et les mesures adoptées par la majorité gouvernementale actuelle ont considérablement accru la taxation des tranches supérieures des revenus du travail (voir supra ) - ces éléments venant s'ajouter au caractère instable et imprévisible de la politique fiscale mise en oeuvre.

Ainsi, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, indiquait en 2015 : « À juste titre, mon prédécesseur avait demandé un rapport à l'inspection générale des finances sur les risques de délocalisation des grands groupes [...]. Lorsque l'on regarde la réalité des choses, plus du quart de nos entreprises du CAC 40 est en train de se détricoter via leur comité directeur. C'est cela la réalité de notre économie ! » 56 ( * ) . En effet, dans le rapport précité de l'Inspection générale des finances 57 ( * ) , s'il est noté que la France « enregistre peu de délocalisations complètes, dites "sèches" » 58 ( * ) , les auteurs relèvent, d'une part, l'existence d'un « mouvement de pertes de substance des quartiers généraux déjà implantés » 59 ( * ) , se traduisant par la délocalisation de certaines fonctions comme la trésorerie ou la gestion des ressources humaines, qui vise à « vider de leur substance les quartiers généraux, qui deviennent alors des coquilles juridiques » 60 ( * ) et, d'autre part, « un assèchement des flux de nouvelles localisations ». À ce titre, six implantations de centres de décision en France auraient été observées en 2012, aucune en 2013, contre 24 en 2010.

De même, une étude publiée en avril 2016 par le Conseil d'analyse économique (CAE) confirme le recul de la France dans le classement des principaux pays d'accueil des centres de décision en Europe , relevant qu'« entre 1980 et 2012, la France recule de la 1 ère à la 4 e place, tandis que l'Allemagne passe de la 4 e place à la 1 ère place » 61 ( * ) ; même, s'il est tenu compte de la taille des centres de décision, la France est rétrogradée à la sixième place.


* 50 Services de la Commission européenne, op. cit. , p. 29.

* 51 Id.

* 52 Rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017, p. 141.

* 53 Voir F. Toubal et A. Trannoy, « L'attractivité de la France pour les centres de décision des entreprises », Les notes du Conseil d'analyse économique , n° 30, 2016 et Y. Bonnet et E. Saliot, Attractivité du territoire français pour les talents internationaux , Paris, Inspection générale des finances, 2016.

* 54 F. Toubal et A. Trannoy, op. cit.

* 55 Voir par exemple P. Egger, D. Radulescu et N. Strecker, « Effective labor taxation and the international location of headquarters », International Tax and Public Finance , vol. 20, n° 4, 2013, p. 631-652.

* 56 Assemblée nationale, compte rendu intégral de la 3 e séance du vendredi 6 février 2015, JORF du 7 février 2015, p. 1177.

* 57 D. Banquy et J. Munch, Les quartiers généraux des grandes entreprises en France , Paris, Inspection générale des finances, 2014.

* 58 Ibid. , p. 1

* 59 Id.

* 60 Ibid. , p. 2.

* 61 F. Toubal et A. Trannoy, op. cit. , p. 4.

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